L`œuf de Colomb énergétique

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L`œuf de Colomb énergétique
25/10/13
LeTemps.ch | L’œuf de Colomb énergétique
Analys e Vendredi 25 octobre 2013
L’œuf de Colomb énergétique
Par Pier r e Vey a
«Pow e r-to-gaz», l’œuf de Colomb é ne rgé tique Transforme r le s
surplus d’é ne rgie re nouve lable e n hydrogè ne ou gaz de synthè se
apporte une solution clé à la transition é ne rgé tique
L’éolien et le solaire photovoltaïque posent un problème récurrent: que faire du courant électrique
excédentaire, qui doit être consommé quasi instantanément sous peine de déstabiliser le réseau? Le
pompage-turbinage est une réponse, mais elle est coûteuse et adaptée pour des durées limitées (de
un jour à quelques semaines). Disposant de peu de barrages, l’Allemagne teste en grandeur nature
une nouvelle technologie très prometteuse. Le «power-to-gas», littéralement de «l’électricité au gaz»,
soit la transformation des surplus renouvelables produits – quand le soleil brille ou par grands vents –
en hydrogène par électrolyse de l’eau. Hydrogène qui peut être mis à disposition de l’industrie, brûlé
dans une pile à combustible (voiture ou chauffage ménager) ou réinjecté dans le réseau de gaz naturel,
économisant ce dernier (voir schéma). Un projet ambitieux, développé en périphérie de la ville de
Werlte, au cœur du premier Land éolien, en Basse-Saxe, sert de laboratoire industriel. Sur le site d’un
ancien dépôt de munitions de l’armée américaine, une usine pilote recombine l’hydrogène avec le gaz
issu d’une centrale de méthanisation (biogaz) avec, à la sortie, un fluide de synthèse, baptisé «e-gaz».
Ce gaz a les mêmes propriétés que le méthane naturel, tout en étant un sous-produit du biogaz et
donc totalement neutre du point de vue climatique. Une boucle énergétique vertueuse, un carburant
renouvelable certifié TÜV, l’œuf de Colomb énergétique en quelque sorte.
L’usine de Werlte, inaugurée en juin 2003, est alimentée par une vingtaine d’éoliennes et un champ de
panneaux solaires. Le constructeur automobile Audi en finance en partie le développement, notamment
pour tester une flotte de 1500 voitures qui rouleront avec ce gaz de synthèse et dont les émissions
polluantes seront inférieures aux véhicules hybrides rechargeables. Mais l’innovation porte en elle une
plus grande ambition. Les installations de Werlte permettent de stocker l’énergie verte dans le vaste
réseau de gaz qui parcourt toute l’Allemagne. Dans quelques semaines, les installations seront
intégrées dans le système électrique allemand et serviront de batterie pour l’équilibrer.
Du point de vue conceptuel et technologique, c’est un pas majeur dans la transformation du paysage
énergétique allemand. Et urgent. Car, certains jours, les excédents allemands menacent la stabilité
énergétique du continent. A l’inverse, en cas de pénurie, l’Allemagne mobilise les capacités de réserve
de ses voisins, y compris suisses. Plus l’Allemagne augmentera la part des électrons verts, plus les
problèmes de stockage et de réglage iront croissants. Le défi à l’échelle d’un pays de 80 millions
d’habitants est donc colossal.
Les ingénieurs ont certes imaginé faire appel à la Norvège, qui met à disposition de l’Allemagne une
connexion de 1 GW (puissance équivalente à une centrale nucléaire). Or, le passage de l’Allemagne à
100% d’énergies renouvelables (prévu vers 2050) exigerait une infrastructure de 42 GW, difficilement
imaginable. «A l’inverse, le «power-to-gas» est une solution décentralisée, qui peut pallier le manque
de lignes électriques en Allemagne et évite la construction de grosses infrastructures», selon Andreas
Weber, de l’Agence allemande de l’énergie (Dena), cité par la revue Le Journal des énergies
renouvelables (septembre-octobre 2013). De fait, la capacité du réseau de gaz allemand permettrait
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d’y faire face, selon les premières études. Une première étape consisterait à injecter jusqu’à 5 à 10%
d’hydrogène dans les gazoducs et à transformer le solde en gaz de synthèse que l’on peut stocker
dans des cavernes, comme on le fait pour le méthane naturel. Huit installations pilotes produisent déjà
de l’hydrogène d’origine renouvelable en Allemagne, pour une puissance de 6,7 MW. Ces projets
s’insèrent dans un réseau très dense d’usines de méthanisation (déchets transformés en biogaz), dont
la puissance installée dépassera en 2013 les 3500 MW, soit celle de trois grosses centrales nucléaires
ou à charbon.
En Suisse, des réflexions préliminaires ont eu lieu. Avec le retard qui le caractérise, le Conseil des
Ecoles polytechniques a annoncé, en septembre 2012 (LT du 05.09.2012), vouloir développer le
concept du «power-to-gas», jugé indispensable pour accompagner la sortie du nucléaire.
Evidemment, en Suisse, comme en Allemagne, les obstacles au développement de cette filière de
stockage de l’énergie à grande échelle sont d’ordre économique. Si les rendements de conversion pour
fabriquer de l’hydrogène ou recombiner celui-ci avec du CO2 pour obtenir du méthane de synthèse
s’améliorent, les coûts finaux demeurent trois à cinq fois supérieurs au prix du gaz ou du kilowattheure
électrique conventionnel. Conscients des enjeux, les industriels allemands ont entamé des discussions
pour obtenir une taxation plus favorable du gaz de synthèse et le rachat à meilleur prix du courant
électrique solaire ou éolien. Discussions qui ont été interrompues mais qui devraient reprendre avec le
nouveau gouvernement issu de la coalition d’Angela Merkel. Les promoteurs de la filière se montrent
optimistes car, en Allemagne, tous les partis, sans exception, font du «power-to-gas» une priorité dans
leurs programmes électoraux. Le «power-to-gas» suscite également l’intérêt de plus en plus marqué
des groupes pétroliers, qui y décèlent la clé de la transition énergétique.
© 2013 Le Temps SA
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