UNIVERSITE D`AIX MARSEILLE INSTITUT PYTHEAS - DISCOH
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UNIVERSITE D’AIX MARSEILLE INSTITUT PYTHEAS Master d’Océanographie Spécialité: Biologie et Ecologie Marine Effets de la variabilité environnementale, de la distribution et de l’abondance des proies et du régime d’exploitation de la pêcherie sur l’effort de fourragement des fous et des cormorans du Pérou Etudiante : Giannina Passuni-Saldaña Directrice de Stage : Sophie Bertrand Institution d’accueil : UMR2-212 2011-2012 SOMMAIRE 1.INTRODUCTION .......................................................................................................1 2.MATERIELS ...............................................................................................................4 2.1. Effort de fourragement des oiseaux marins .............................................................4 2.2. Conditions environnementales .................................................................................6 2.3. Données d’observation directe sur l’anchois du Pérou ............................................6 2.4. Débarquements d’anchois par la pêcherie péruvienne.............................................8 2.5. Dénombrement des colonies d’oiseaux ...................................................................9 3.MÉTHODES .............................................................................................................. 10 3.1. Exploration préliminaire des variables .................................................................. 10 3.2. Modèles de forêts aléatoires................................................................................... 10 4.RESULTATS ............................................................................................................. 14 4.1 Covariables environnementales .............................................................................. 14 4.1.1. Environnement océanographique........................................................................ 14 4.1.2. Environnement halieutique ................................................................................. 14 4.1.3 Scenarios d’écosystème ....................................................................................... 14 4.1.4. Débarquements d’anchois ................................................................................... 15 4.1.5 Dénombrements des populations d’oiseaux......................................................... 15 4.2. Effort de fourragement des oiseaux ....................................................................... 16 4.2.1. Différences entre les espèces .............................................................................. 16 4.2.2. Différences entre les années analysées ............................................................... 17 4.3. Forets aléatoires ..................................................................................................... 18 4.3.1. Fourragement des fous ........................................................................................ 18 4.3.2. Fourragement du cormoran ................................................................................. 19 5.DISCUSSION ............................................................................................................ 23 5.1. Variabilité de l’effort de fourragement des oiseaux et scenarios d’écosystème .... 23 5.2. Différences de stratégies entre les deux espèces d’oiseaux ................................... 23 5.3. Quelles sont les variables d’environnement qui expliquent le mieux la variabilité de l’effort de fourragement des oiseaux? ....................................................................................... 24 5.4. Effets de seuils ....................................................................................................... 25 5.5. Forces et faiblesses de l’approche par forêts aléatoires ......................................... 26 6.CONCLUSIONS........................................................................................................ 27 7.REFERENCES BIBLIOGRAFIQUES...................................................................... 28 0 1. INTRODUCTION Le Système du Courant de Humboldt (SCH, 5°S - 48°S) est l’un des écosystèmes marins les plus productifs au monde grâce à ses eaux froides et riches en sels nutritifs qui proviennent de remontées d’eaux profondes (Cushing, 1971 ; Montecino et al., 2006). Ces conditions très productives permettent le développement d’une remarquable mais très variable biomasse d’anchois (Engraulis ringens, Jenyns, 1842) (Chavez et al., 2003 ; 2008 ; Bertrand et al., 2004), qui conditionne directement ses prédateurs naturels (Muck et Pauly, 1987) comme les oiseaux marins, les pinnipèdes (Muck et Fuentes, 1987; Jahncke et Goya, 1998) et la pêcherie industrielle mono-spécifique la plus importante du monde en termes de débarquements (5 millions de tonnes par an en moyenne depuis les années 1960 ; Chavez et al., 2008). Les principaux oiseaux marins en termes d’abondance sont le fou péruvien (Sula variegata, Tschudi, 1843), le cormoran guanay (Phalacrocorax bougainvillii, Lesson, 1837) et le pélican thage (Pelecanus thagus, Molina, 1782), (Jahncke, 1998 ; Fig.1). Ces trois espèces sont importantes économiquement car leurs déjections, le guano, constituent un engrais naturel de haute qualité. Cette industrie du guano a connu ses maxima de production pendant le XIXème siècle (Cushman, 2003). a b Figure 1. Le fou péruvien (Sula variegata, a) et le cormoran guanay (Phalacrocorax bougainvillii, b) pendant la saison de reproduction. ® Bertrand S. ® Weimerskirch H. Le cormoran guanay, dénommé à partir d’ici cormoran, est la principale espèce en termes d’abondance, même si sa population a oscillé entre 4 millions d'individus pendant la récupération du boom d’exploitation du « guano » (1909-1920) et 21 millions avant le développement de la pêcherie industrielle (1954), pour retrouver un niveau de 3,7 millions d’individus lors de la période récente, en pleine période de concurrence avec la pêcherie (Jahncke, 1998). Le fou péruvien, appelé à partir d’ici fou, est la deuxième espèce en termes d’abondance. Les populations de fous ont maintenu des niveaux de population relativement stables, autour de 2 millions d'oiseaux durant tout le dernier siècle (Goya, 1 2000). Les différences d’abondances de fous et de cormoran, qui partagent pourtant la même proie et le même territoire de reproduction (Duffy, 1983a), pourraient s’expliquer par les différences de leur comportement de fourragement (Weimerskirch et al. 2010). Les fous chassent en solitaire et cherchent leur proie dans les couches d’eau superficielles (2m à 6m) tandis que le cormoran utilise davantage le comportement de groupe et peut plonger sans difficulté jusqu’à une cinquantaine de mètres (Arbulu-Smet, 2011). Ces différences confèrent à alternativement à l’une et l’autre espèce une stratégie avantageuse selon comment les fluctuations environnementales conditionnent la distribution et l’abondance de la proie-anchois. L’écosystème côtier péruvien est soumis à de larges fluctuations climatiques dans le temps et l´espace qui provoquent des changements de régime/scenario environnementaux (Chavez et al. 2008). Les régimes les plus importantes sont saisonnier, interannuel (El Niño Southern Oscillation : ENSO) et décennal (Pacific Decadal Oscillation : PDO). Le régime non-cyclique ENSO oppose deux scenarios : des conditions anormalement chaudes ou évènements «El Niño» et des conditions anormalement froides ou évènements « La Niña ». Habituellement les eaux côtières froides (ECF, 14°C < T < 18°C, 34.8< S< 35.0) prédominent le long des côtes péruviennes. Les ECF, qui favorisent la productivité primaire et secondaire du système, constituent l’habitat préférentiel de l’anchois (Swartzman et al., 2008). Lorsque la résurgence est très active, leur extension longitudinale est importante, et l’habitat horizontal de l’anchois est étendu. La forte productivité de ce système est associée à une intense zone de minimum d’oxygène (ZMO), qui limite l’habitat vertical des poissons dans ces eaux côtières de quelques mètres à quelques dizaines de mètres (Bertrand et al., 2011). Plus les conditions sont anormalement froides, plus l’habitat horizontal de l’anchois est vaste, mais plus son habitat vertical est réduit (Fig. 2b). Des anomalies chaudes se produisent régulièrement (cycle saisonnier ou interannuel), lorsque la résurgence d’eaux profondes s’affaiblit et que les ECF se mélangent avec des eaux subtropicales superficielles (ESS, 20°C < T < 28°C, S > 35.1) provenant du large ou avec des eaux superficielles équatoriales au Nord (ESE, 20 °C< T < 26°C, 34.0 < S < 34.8) (Zuta et Guillen, 1970). Ces anomalies chaudes sont associées à un approfondissement de la ZMO. Ces conditions créent une contraction de l’habitat horizontal de l’anchois (qui a tendance alors à se concentrer à la côte en grosses agrégations dans les cellules résiduelles de résurgence) et une extension de l’habitat vertical (pouvant entraîner un approfondissement des agrégation d’anchois) (Alheit et al., 2004 ; Fig.2a). La concentration de l’anchois à la côte en grosses agrégations tend à le rendre plus accessible aux prédateurs (réduction de l’effort de recherche), mais dans le même temps, son approfondissement peut le rendre plus difficilement capturable par les espèces qui n’ont accès 2 qu’aux couches superficielles (fou et pélican). La favorabilité de ces scenarios aux prédateurs dépend bien entendu aussi de l’abondance de l’anchois durant ces anomalies ; e.g. une anomalie froide qui tend à disperser les agrégations d’anchois peut tout à fait constituer un scenario favorable si l’abondance d’anchois est élevée. a b ®Lopez P. Figure 2. Représentation de la variabilité de la structure de l’habitat de l’anchois a) scenario d’anomalie chaude, avec concentration de l’anchois en grosses agrégations (figurées par les tâches bleu sombre) à la côte dans les ECF et b) scenario d’anomalie froide avec dispersion des agrégations d’anchois dans le domaine étendu des ECF. Les événements « El Niño» constituent un extrême d’anomalie chaude, en amplitude et en durée, qui conduit à la quasi-disparition de la résurgence, une forte diminution de la production primaire et secondaire. L’anchois peut supporter quelques temps ces conditions en se réfugiant dans quelques cellules de résurgence résiduelles (ex. du Niño 97-98), mais si elles se prolongent, il peut subir une très forte mortalité (ex. du Niño 82-83 ; Bertrand et al., 2004). Dans ces cas, les oiseaux marins abandonnent massivement leurs nids et peuvent eux aussi subir de fortes mortalités par inanition (Duffy, 1983 ; Jahncke 1998 ; Apaza et Figari 1999). La combinaison d’évènements el Niño forts et de la concurrence avec la pêche industrielle d’anchois a déjà occasionné des effets dévastateurs pour les populations d’oiseaux marins (début des années 1970, Tasker et al. 2000). En dehors de ces évènements catastrophiques, il existe toute une gamme de conditions d’anomalies chaudes et froides, et de niveaux de compétition avec la pêcherie, que les oiseaux parviennent à compenser en ajustant leur effort de fourragement (Kitaysky et al. 2000, Piatt et al. 2007). Sur cette base, nous faisons l’hypothèse que différents facteurs peuvent faire varier l’effort de fourragement des oiseaux marins du Pérou (contexte climatique, conditions d’abondance et de distribution des proies, compétition avec la pêche, compétition entre les oiseaux) et que la significativité et l’amplitude de leurs effets peuvent différer selon les espèces d’oiseaux considérées. L’objectif de ce travail est par conséquent d’identifier et de quantifier les facteurs qui font varier l’effort de fourragement du cormoran et du fou pendant les années 2008 à 2011. Les facteurs 3 explicatifs considérés sont l’environnement océanographique, la pêche, l’abondance et la distribution du poisson et les effets densité-dépendance liés à la reproduction en colonies denses. Un travail précurseur (Jahncke, 1998) avait procédé à une approche corrélative entre biomasse, capture d’anchois et population d’oiseaux producteurs du guano, sans cependant proposer une classification de l’importance relative de ces différents facteurs. La hiérarchisation de l’importance de ces différents facteurs est essentielle pour informer les politiques de gestion des pêches et de conservation. 2. MATERIELS Pour identifier et quantifier la contribution relative des facteurs explicatifs de la variabilité de l’effort de fourragement des deux principales espèces d’oiseaux marins productrices de guano, on dispose de bases de données d’origines variées. A continuation, on détaille les caractéristiques de l’échantillonnage de ces types de données, tout d’abord pour les variables qui décrivent l’effort de fourragement des oiseaux et ensuite, pour les variables explicatives comme les conditions environnementales, les données d’observation directe sur l’anchois du Pérou, les débarquements d’anchois par la pêcherie industrielle et les dénombrements des colonies d’oiseaux. 2.1. Effort de fourragement des oiseaux marins Des campagnes de marquage électronique de fous et de cormorans ont été conduites de 2008 à 2011 sur l’île de Pescadores (11° 47'00''S - 77° 26'30''O) (Fig.3) dans le cadre du projet de recherche TOPINEME (collaboration IRD1-IMARPE2). L’île de Pescadores se situe à environ 6.3 km de la côte, au Nord de Lima, dans la région centrale du Pérou. Cette région est la seconde en termes de débarquements d'anchois par la pêcherie industrielle. La période la plus propice pour les marquages électroniques est celle de la reproduction des deux espèces (octobre/ janvier), et plus précisément la période pendant laquelle les œufs viennent d’éclore (novembre/décembre). L’attachement au nid des oiseaux durant cette période permet de (1) faciliter la pose et la récupération du matériel électronique, et (2) d’étudier l’une des périodes du cycle de vie des oiseaux la plus critique en termes de fourragement, puisque les oiseaux ont à la fois les besoin énergétiques les plus importants (nourrissage des poussins) et le rayon d’action le plus restreint (les jeunes poussins ne sont pas thermiquement indépendants, et particulièrement exposés à la prédation par les goélands, ce qui requiert une présence permanente de l’un des parents au nid). 1 2 Institut de Recherche pour le Développement Institut de la Mer du Pérou 4 N Huarmey -11.90 -11.85 -11.80 -11.75 -11.70 0 Île Pescadores N Supe Vegueta Huacho 5.55 km 111 km Figure 3. Localisation de l’île de Pescadores avec les principaux ports de débarquement d’anchois de la zone. Callao -77.30 -77.25 -77.20 -77.15 -77.10 Quatre types de GPS miniaturisés ont été utilisés : (1) GipSy GPS, 25 – 30 g (Technosmart, Italy), (2) MiniGPSlog, 30 g (Earth and Ocean GPS, Germany), (3) Trackstick-MINIs (AMC, France), et (4) IGotU. Les deux premiers types d’appareils sont spécifiquement conçus pour la pose sur des oiseaux ; les deux derniers sont des équipements commerciaux destinés aux sportifs et reconditionnés. Les GPS étaient fixés avec de l’adhésif Tesa® sur les plumes de la queue pour les fous et sur les plumes du dos pour les cormorans (Fig.4). a b Figure. 4. Méthodologie de fixation des GPS pour les a) fous et b) les cormorans ® Bertrand S. ® Bertrand S. Ces espèces ne fourrageant pas de nuit, les appareils ont été posés au lever du jour (5 – 7 h) avant les départs en mer et récupérés dans l’après - midi (16 :00 h - 18:30 h), entre 1 et 4 jours après la pose (Weimerskirch et al., 2010). Les fréquences de positionnement furent, pour la majorité des individus, de 1 position par seconde, et pour quelques individus de 1 position par 30 secondes. Les enregistrements collectés sur un animal documentent en général plusieurs voyages de fourragement. Le prétraitement des données GPS consiste donc à séparer dans l’enregistrement les différents voyages de fourragement. Certains voyages ne sont enregistrés que partiellement (limitation des batteries) et ne sont pas considérés dans les analyses. A partir des voyages complets sont calculés 5 comme indices d’effort de fourragement (Tbale I): la distance totale parcourue (D, km), la distance maximale au nid (Dmax, km), le temps passé en mer (T, h), la sinuosité (S, calculée comme le ratio D/2*Dmax). Table I. Caractéristiques des données recueillies lors des expériences de marquage électronique des oiseaux marins depuis l’île de Pescadores (F: Fous, C: Cormorans). Dates de marquage électronique Nº de déploiements GPS perdus ou défaillants Voyages de fourragement conservés pour l’analyse Nº d’individus effectuant les voyages conservés Dates des voyages de fourragement conservés 21/11/2008 09/12/2008 50 (F) 19 (C) 5 (F) 3 (C) 129 (F) 34 (C) 44(F) 14 (C) 23/11/2008 08/12/2008 25/11/2009 11/12/2009 16 (F) 6 (C) 2 (F) 3 (C) 41 (F) 13 (C) 11 (F) 3 (C) 27/11/2009 05/12/2009 21/11/2010 10/12/2010 54 (F) 17 (C) 2 (F) 0 (C) 129 (F) 38(C) 42 (F) 10 (C) 21/11/2010 09/12/2010 12/11/2011 27/11/2011 9 (F) 45(C) 0(F) 4(C) 23 (F) 114 (C) 8 (F) 37 (C) 12/11/2011 27/11/2011 2.2. Conditions environnementales Les paramètres utilisés pour décrire les conditions environnementales lors des différentes expériences de marquage proviennent d’observations satellites : chlorophylle-a (Chl-a, mg m-3) et Température de Surface de la Mer (TSM, °C). D’autres types de variables ont été considérés au départ (altimétrie, vents et indice d’upwelling correspondant) mais soit ces observations n’étaient pas disponibles pour un partie importante de la série d’intérêt (vent, satellite QuikSCAT arrêté novembre 2009), soit leur résolution spatiale ne permettait pas de les exploiter correctement (les données altimétriques sont mal définies à la côte). La Chlorophylle-a et la TSM sont obtenues à partir des observations du satellite MODIS, agrégées par 8 jours à une résolution spatiale de 4x4 km. Ces données ont été moyennées dans un carré de 2x2 degrés autour de l’île de Pescadores (11.77°S, -77.26°O). A partir de cette série et d’une climatologie établie par ailleurs (A. Chaigneau, IRD, com. pers.) ont été calculées les anomalies mensuelles de Chl-a (Chl-aA) et TSM (TSMA) pour les années 2008 à 2011. 2.3. Données d’observation directe sur l’anchois du Pérou Les données d’observation directe sur l’anchois du Pérou (Engraulis ringens), la proie commune aux oiseaux producteurs de guano et à la pêcherie industrielle, proviennent de campagnes scientifiques acoustiques réalisées par l’IMARPE (N/O Olaya", 41 m) de façon simultanée aux campagnes de marquage électronique des oiseaux. L’échantillonnage a été réalisé entre Punta Salinas 6 (11º17’S) et Callao (12º18’S) pour les années 2008 à 2011 (Table II.). L’échantillonnage consistait de transects parallèles entre eux et perpendiculaires à la côte (depuis 0.2 mn jusque 20 ou 45 mn au large selon les transects ; voir Fig.5). L’aire d’intérêt pour l’île de Pescadores est comprise dans le carré de coordonnées (9.5°S - 12.5°S; 76.5°O - 78.5°O). La donnée acoustique provient d’un écho-sondeur scientifique de coque (EK-60, Kongsberg, Simrad AS), tri-fréquentiel (38, 120 et 200 kHz). Sont utilisées ici les données échantillonnées à une fréquence de 120 kHz (voir Simmonds et al., 2009). La calibration de l’écho-sondeur a été réalisée selon une procédure standard (Foote et al. 1987). La colonne d’eau était échantillonnée jusque 500 m de profondeur. Des coups de chalut pélagiques ont permis l’échantillonnage biologique des organismes observés au sondeur (filet Engel 124/1800, 12mm de taille de maille de fond de chalut), et leur identification spécifique. Deux types de bases de données ont été construits à partir de la donnée de base. Tout d’abord, le coefficient d’énergie rétrodiffusée par unité de surface (NASC ou sA, Mac Lennan et al. 2002), classiquement considéré comme un indice d’abondance en poisson, a été enregistré le long du trajet du navire, pour chaque unité élémentaire d’échantillonnage de 1 mn (ESDU, ‘elementary sampling distance unit’, MacLennan, 2002). Les données acoustiques contiennent beaucoup de zéros en raison de la nature grégaire de l'anchois et pour cette raison on a utilisé comme indices de distribution : une moyenne de sA des ESDU non nuls ( ) et le pourcentage de ESDU non-nuls (ISO; Bertrand et al. 2004). Ensuite, les bancs d’anchois rencontrés le long du trajet du navire ont été identifiés et extraits des échogrammes grâce à un module spécifique du logiciel Echoview (SonarData Pty. Ltd., Hobart, Tasmanie, Australie). Ont pu ainsi être extraits à l’échelle du banc de poisson : l’énergie acoustique rétrodiffusée, ou indice d’abondance du banc (NASCB, m2.mn-2), sa profondeur moyenne (ProfB, m), sa hauteur (HautB, m), sa longueur (LongB, m). Seules les données de jour ont été considérées ici, car l’anchois se disperse la nuit en couche diffuse. Une troisième base de données, produite par l’IMARPE, et convertissant les énergies rétrodiffusées en biomasses d’anchois a été utilisée. On calcule à partir de cette base la biomasse d’anchois contenue dans la zone d’étude et dans les premiers 70 mn à partir de la côte (Biom70, t ; 1 mn=1852 m). Table II. Campagnes IMARPE 2008, 2009 2010 et 2011 utilisées dans le cadre de ce travail. Années 2008 2009 2010 2011 Date de début 29/11/2008 04/12/2009 03/12/2010 17/11/2011 Date de la fin 12/12/2008 17/12/2009 13/12/2010 26/11/2011 7 a N Biom70 =2.2x106 t ISO=49% Biom70 =0.7x106 t ISO=29% Latitude Latitude b N * 55.65 km * 55.65 km Longitude Longitude c N d N Biom70=2.7x106t ISO=45% Latitude Latitude Biom70=1.3x106 t ISO=53% * 55.65 km Longitude * 55.65 km Figure. 5. Distribution de l’abondance d’anchois (log(NASC+1)) dans l’aire d’étude pour les années : a) 2008, b) 2009, c) 2010 et d) 2011. Le signe * rouge signale l’emplacement de l’île de Pescadores, et les chiffres insérés en haut à droite indiquent la biomasse d’anchois (t) et le pourcentage des ESDU non-nuls (avec présence d’anchois) dans la zone d’étude Longitude 2.4. Débarquements d’anchois par la pêcherie péruvienne La pêcherie d’anchois péruvienne est remarquable par l’ampleur de ses captures : plus de 5 millions de tonnes par an en moyenne depuis les années 1960 (Chavez et al., 2008). C’est une pêche industrielle minotière (l’essentiel des captures est destiné à la production d’huile et de farine) pratiquée à l’aide de senneurs. Les gestionnaires distinguent 2 stocks, un au centre-nord (03°S15°S) et l’autre au sud (15°S-40°S). Le stock d'anchois du centre-nord est de loin le plus important (Barange et al., 2009) et celui qui intéresse notre aire d’étude. La pêcherie industrielle d’anchois a commencé dans les années 1950, a connu un effondrement majeur dans les années 1970 (dus à la conjonction d’évènements climatiques défavorables – El Niño, et d’une surpêche) et est encadrée aujourd’hui par une variété de régulations pour assurer le renouvellement du stock (Aranda, 2009). Une des mesures de gestion pour le stock centre-nord consiste à fermer la pêche deux fois par an pour protéger les pics de ponte et de recrutement des juvéniles (Schreiber, 2012). La première saison de pêche a lieu entre Mars et Juillet et la deuxième d´Octobre à Janvier. La deuxième saison coïncide avec notre campagne d´échantillonnage sur les oiseaux en reproduction, ce qui offre une opportunité pour étudier si l’épuisement local de poissons par la pêcherie affecte le 8 fourragement des oiseaux en reproduction.. Les dates d’ouverture de la pêche pour notre période d’étude sont détaillées dans la Table III. Pour évaluer l’ampleur des prélèvements d’anchois par la pêche dans la zone d’étude, nous considérons les débarquements journaliers (CaptJ, tonnes) dans les ports suivants : Huarmey (10.09°S, 78.17°W), Supe (10.79°S, 77.74°W), Vegueta (11°S, 77.65°W), Huacho (11.12°S, 77.61°W) et Callao (12.05°S, 77.15°W) (Fig.3). A partir des débarquements quotidiens dans la zone, on calcule le total cumulé des débarquements jour après jour (CaptC, tonnes) afin de mieux représenter l’épuisement progressif de la ressource en anchois dans la zone d’étude. Table III. Dates d’ouverture et fermeture de la pêche d’anchois dans la zone d’étude. Années Dates d’ouverture Dates de fermeture 2008 15/11/2008 13/12/2008 2009 06/11/2009 31/12/2009 2010 20/11/2010 05/12/2010 2011 23/11/2011 12/12/2011 2.5. Dénombrement des colonies d’oiseaux La série temporelle de dénombrement des oiseaux producteurs de guano (fou péruvien, cormoran guanay et pélican thage) au Pérou remonte à 1953, date à laquelle a été établi un protocole standard pour le comptage (Tovar et al., 1987). Ces dénombrements sont réalisés deux fois par mois par les gardiens des réserves à guano gérées par Agrorural3. . Profitant du point d’observation le plus haut du site, les gardiens reproduisent sur une carte millimétrée les colonies d’oiseaux observées. La quantité d’oiseaux présente est estimée en appliquant à la surface de ces colonies deux facteurs de conversion : le rapport d’échelle de la carte et la densité moyenne des individus par mètre carré. Les densités d’individus diffèrent entre adultes reproducteurs, adultes non reproducteurs et juvéniles. Il est généralement supposé que les oiseaux en reproduction ont une densité d’environ 3.5 nids par mètre carré pour les cormorans et 2.5 nids par mètre carré pour les fous. Le comptage de densité par mètre carré des oiseaux non reproducteurs et juvéniles se fait à l’œil. On dispose à partir de cette base de données des dénombrements mensuels correspondant aux fous péruviens en reproduction (FREP, individus) et fous total (FTOT, individus) ainsi qu’au cormoran en reproduction (CREP, individus) et cormoran total (CTOT, individus) pour l’île Pescadores pour les années 2008 à 2011. Il est à noter que les cormorans utilisent généralement des surfaces planes alors que les fous privilégient falaises et îlots pour établir leur nid. Le biais de dénombrement est de ce fait plus important pour les fous que pour les cormorans. L’importance du biais dépend aussi de l’expérience de comptage du gardien. 3 Institution publique péruvienne responsable de l’extraction et commercialisation de guano des îles 9 3. MÉTHODES A partir des différentes données présentées, on construit une matrice de données ( L ) qui a comme lignes les voyages de fourragement des fous et des cormorans et comme colonnes les variables à expliquer (Dmax, D, T, S) et explicatives (Chl-aA, TSMA, sA+, ISO, NASCB, ProfB, HautB, LongB, Biom70, CaptJ, CaptC, FREP, FTOT, CREP, CTOT). Comme il s’agit de différentes sources de données, d’échelles temporelles différentes (journalières, mensuelles et annuelles), on est amenés à répéter un certain nombre de fois les valeurs des variables explicatives (par ex., tous les voyages d’une même année seront associés à une valeur des indicateurs provenant de la campagne acoustique ; ou tous les voyages d’un même jour seront associés à une donnée de capture par la pêcherie identique). 3.1. Exploration préliminaire des variables Dans un premier temps, on effectue une exploration simple de cette matrice de données. Sur les variables à expliquer, on applique un test de Wilcoxon-Mann-Whitney (U, alternative non paramétrique au test-t), pour estimer s’il existe des différences de le comportement de fourragement (Dmax, D, T, S) entre fou et cormoran. Ensuite on applique un test de Kruskal-Wallis (alternative non paramétrique à l’ANOVA) pour vérifier s’il existe des différences entre les années d’étude (2008 à 2011) ; on complète par un test de comparaison multiple deux à deux post Kruskal-Wallis (Siegel et Castellan, 1988) pour identifier quelle année présente éventuellement une différence significative. De la même façon pour les variables explicatives, on regarde d’abord les séries temporelles de TSMA, Chl-aA, CREP, CTOT, FREP et FTOT pour évaluer les tendances pour les années étudiées. Ensuite sur les données d’observation directe d’anchois, on applique un test de Kruskal-Wallis pour estimer s’il existe des différences entre les années d’étude (2008 à 2011), complété par un test de comparaison multiple deux à deux post Kruskal-Wallis pour identifier si une année en particulier se distingue. 3.2. Modèles de forêts aléatoires On utilise ici une approche basée sur les arbres de décision pour identifier les facteurs qui influencent l’effort de fourragement des oiseaux et quantifier leur l’importance relative. L’approche par arbres de décision est une alternative puissante aux modèles statistiques traditionnels. Elle permet d’identifier des relations non-linéaires entre de multiples variables prédictives éventuellement corrélées, elle ne demande aucune hypothèse particulière sur la distribution des variables prédictives, elle est peu sensible au nombre et à l’équilibre des échantillons (Perez del Olmo, 2010 ; Genuer, 2010), elle ne nécessite pas l’indépendance des données, ce qui affranchit des problèmes liés à la pseudo-réplication par exemple (Davidson et al., 2009). Comme un simple 10 arbre de décision peut être assez sensible à de petits changements dans la base de données analysée, on utilise des forêts aléatoires (Breiman, 2001), une technique qui combine les résultats de nombreux arbres de décision indépendants en un modèle composite robuste (Cutler et al, 2007). Soit une matrice d’échantillons ( Ln ) où n est le nombre d‘échantillons et p est le nombre des variables prédictives. La construction d’une forêt aléatoire se réalise en deux étapes. A partir de Θ Ln on génère tout d’abord des sous-échantillons indépendants ( LΘn 1 ,..., Ln q ) par tirage aléatoire avec remise. Chaque tirage retient 63% des données d’origine créant un sous-échantillon «in-bag » (IB), et met de côté environ 37% des données d’origine, formant le sous-échantillon « out-of-bag » ( OOB ) (Cutler et al., 2007). L’IB est utilisé comme base d’apprentissage pour construire une série d’arbres ( q ). L’ OOB est utilisé pour calculer le taux d'erreur sans biais et l’importance relative des variables (i.e. échantillon de validation croisée ; (Prasad et al. 2006). Ensuite, sur chaque sous-échantillon, on construit un arbre entier (i.e. non élagué). Pour chaque arbre et chaque nœud, la meilleure partition est sélectionnée en suivant le même principe général que dans les arbres de régression ou de classification classiques (CART, Breiman et al. 1984) : chaque partition doit minimiser une fonction de coût, qui dans le cas des arbres de régression consiste à maximiser la variance inter-classes et minimiser la variance intra-classe. Deux approches sont possibles pour construire ces arbres. Soit ils sont construits avec l’ensemble des variables prédictives ( m ) dans le cas du « bagging » (Breiman, 1996). Soit on procède pour construire chaque noeud à un échantillonnage aléatoire des variables prédictives (méthode du ‘Random Input Selection’, RF-RI, Breiman 2001). Dans ce cas, on procède à un tirage aléatoire uniforme et sans remise des variables (Θ1 ,..., Θ q ) parmi toutes les variables prédictives. La seconde méthode permet d’éviter un sur-ajustement du modèle aux données d’origine, et donc d’améliorer les capacités prédictives du modèle lorsqu’il est confronté à un nouveau jeu de données (Genuer, 2010). Dans notre cas, nous utilisons la forêt aléatoire à des fins avant tout explicatives, nous sommes donc peu concernés par le problème de sur-ajustement, et nous retenons la méthode du Θ bagging. On obtient finalement une collection d’arbres ((hˆ(., LΘn 1 ),..., hˆ(., Ln q )) et le modèle composite se construit par agrégation de cette collection. Les forêts aléatoires, comme les arbres de décision peuvent être de classification, de régression ou indéterminées (Breiman, 2001) : si la variable est continue, on a une forêt aléatoire de régression, si elle est discrète on a une forêt aléatoire de classification, si elle est de nature non spécifiée on a une forêt aléatoire indéterminée. Dans notre cas, toutes les variables réponses sont continues donc on utilise des forêts aléatoires d’arbres de régression. La synthèse des arbres de régression se fait par moyenne. La moyenne des arbres nous donne (1) une partition des individus, 11 (2) une quantification de l’importance des variables dans la constitution des groupes d’individus, et (3) l’erreur de généralisation, obtenue par le test du modèle sur les données OOB. Pour calculer l’erreur de généralisation on fixe une observation ( X i , Yi ) de l’échantillon Ln , où Yi est la variable à estimer et X i sont les variables explicatives d’une ligne i. Considérons Θ maintenant l'ensemble des arbres ((hˆ(., LΘn 1 ),..., hˆ(., Ln q )) construits sur les échantillons aléatoires Θ indépendants ( LΘn 1 ,..., Ln q ) pour lesquels cette observation est OOB . Nous agrégeons alors uniquement les inférences de ces arbres établir notre inférence Yˆi de Yi . En régression, après avoir fait cette opération pour toutes les données de Ln , nous calculons alors l'erreur commise par nos n n ( ) 2 inférences comme l'erreur quadratique moyenne 1 ∑ Yi − Yˆi . Cette quantité est appelée erreur i =1 OOB ( errOOB ) (Liaw et Wiener, 2002). A partir du calcul de l’erreur quadratique moyenne ( errOOB ), on calcule le pourcentage de variance expliquée, 1 − errOOB , où σˆY2 est la variance de 2 ˆ σY la variable à inférer Y . Le calcul de l’importance des variables explicatives se fait à partir des échantillons Θ aléatoires indépendants ( LΘn 1 ,..., Ln q ) . Pour calculer l’importance de la variable explicative X j où j ∈ {1,..., p} , on considère un échantillon indépendant LΘn l et l’échantillon associé OOBl . On calcule errOOBl , l’erreur commise sur OOBl quand on construit un arbre avec l’échantillon LΘn l . Ensuite, on permute les valeurs de la variable X j dans l’échantillon OOBl . Cet échantillon permuté est noté . On calcule ensuite l’erreur commise sur . On répète la même opération pour tous les échantillons indépendants et on fait une moyenne. Enfin, l’importance de la variable X j , ( VI ( X j ) ), est définie par la moyenne entre tous les arbres de la différence entre l’erreur commise sur l’échantillon permuté et l’erreur sur OOBl . On interprète ce résultat de la façon suivante : plus les permutations aléatoires de la j − ième variable engendre une forte augmentation de l'erreur, plus la variable est considérée comme importante. A l'inverse, si les permutations n'ont quasiment aucun effet sur l'erreur, la variable est considérée comme très peu importante (Genuer 2010). Pour améliorer la stabilité de calcul, il est possible de faire plusieurs fois des permutations sur X j . Dans ce cas, on calcule l’erreur moyenne sur toutes les permutations associée à cet échantillon 12 avant de faire la différence avec errOOBl . Il est conseillé aussi de normaliser la différence des erreurs . On normalise en divisant la différence des erreurs par l’écart type des différences. Si l'écart-type des différences est égal à 0 pour une variable, la division ne se fait pas (mais la moyenne est presque toujours égale à 0 dans ce cas). Pour mettre en œuvre le modèle de forêt aléatoire, on utilise la librairie ‘randomForest’ développée par Liaw et Wiener (2002), pour R 2.12.0. Un paramètre important dans la construction d’une forêt aléatoire est le nombre d’arbres à construire ( ntree ). Un nombre élevé d’arbres est recommandé (de l’ordre de 500) pour stabiliser les mesures d’importance des variables et minimiser le taux d’erreur (Liaw et Wiener, 2002). L’unique contrainte supérieure pour ntree est le temps de calcul. Une des raisons pour construire un grand nombre d’arbres est de limiter le surapprentissage à l’échantillon utilisé (Prasad et al. 2006). On utilise ici 10 000 arbres (le temps de calcul d’une forêt est de l’ordre de 2 à 3 minutes). Un autre paramètre à ajuster est le nombre minimum d'observations en dessous duquel on ne construit pas un nœud, nommé nodesize . Ici on utilise la valeur par défaut de la librairie qui est nodesize = 5 . On fixe à 10 le nombre de permutation sur X j pour obtenir l’importance des variables. Les résultats sont présentés sous forme graphique représentant l’importance des variables explicatives par le errOOB entre inférence ‘normale’ et inférence avec la variable d’intérêt permutée. Cette mesure est appelée « Diminution moyenne en précision». Dans ces graphiques, on interprète l’importance relative des variables en fonction des sauts dans les valeurs prises par la « Diminution moyenne en précision». D‘autres résultats utiles pour l’interprétation écologique sont les graphiques de dépendance partielle. Avec les graphiques de dépendance partielle on peut observer la tendance moyenne d’une variable explicative en particulier, en relation a la réponse obtenue à partir de la forêt aléatoire (Friedman 2001). On calcule la dépendance partielle à une variable explicative X j comme l’espérance de la fonction de régression ( f ) par rapport à toutes les variables explicatives sauf X j : f j ( X j ) = E X ( − j ) [ f ( X )] Dans les graphiques, c'est la forme de la tendance qui est importante pas les valeurs absolues de l’axe y (Liaw, Help R). 13 4. RESULTATS 4.1 Covariables environnementales 4.1.1. Environnement océanographique Pour la période analysée, on observe fin 2008 une très légère anomalie négative de TSM et une anomalie nettement positive de production primaire (Fig.6). L’année 2009 présente des anomalies positives de température et un système moins productif que la normale. Fin 2010 présente des anomalies négatives de température et de production primaire. Fin 2011 présente une Anomalies Chlo-a (mg m-3) anomalie négative de température et de production primaire (Fig.6). Anomalies TSM (°C) a b Années Années Figure 6. Anomalies mensuelles de a)TSM et b) chlorophylle a (calculées sur la période 19602010). 4.1.2. Environnement halieutique Le test Kruskal-Wallis montre des différences significatives de sA+ entre les quatre années analysées (Table IV), 2008 présentant un sA+ significativement plus élevé que les autres années. Concernant les bancs, on observe des différences significatives entre toutes les années pour NASCB, HautB, ProfB (sauf entre 2008 et 2010), et LongB.(sauf entre 2009 et 2010) (Table IV). Table IV. Comparaison des moyennes, écart-types et significativité du test de Kruskal-Wallis (X2), entre les facteurs qui structurent l’environnement halieutique. * indique différences hautement significatives. Kruskal-Wallis sA+ (p<0.01*) NASCB (p<0.01*) ProfB (p<0.01*) HautB (p<0.01*) LongB (p<0.01*) 2008 1565.9±6699.5 7318.5±28135.3 8.3±4.0 2.4±1.99 23.8±32.5 2009 291.6±836.4 1556.8±6850.2 14.5± 9.7 1.9±2.3 29.2±44.4 2010 794.4±5911.1 3301.8±9307.9 8.7±4.5 1.7±1.4 30.9±67.9 2011 920.6±6804.1 7838±32973.9 10.5±5.1 3.1±2.9 54.4±113.7 4.1.3 Scenarios d’écosystème Si l’on combine les données océanographiques et les données d’observation de l’anchois par acoustique de façon semi-quantitiative (Table V), on peut caractériser le scenario d’écosystème auquel ont été confrontés les oiseaux en reproduction a la fin de chacune des années d’étude. Fin 2008 s’est globalement caractérisée par des conditions environnementales moyennes, une légère 14 anomalie froide, une forte production primaire, une biomasse en anchois moyenne, distribuée sur une surface moyennement étendue. Fin 2009 s’est caractérisée par une anomalie chaude, un système peu productif, une biomasse en anchois faible, mais relativement concentrée dans l’espace. Fin 2010 s’est caractérisée par une anomalie froide, un système moyennement productif, une biomasse d’anchois moyenne/faible, distribuée sur une très grande surface, i.e. littéralement diluée dans l’espace, donc demandant un effort de recherche accru aux prédateurs. Fin 2011, le système était en légère anomalie froide, peu productif, mais avec une biomasse d’anchois forte, répartie sur une surface faible, donc particulièrement facile à localiser pour les prédateurs. Table V. Facteurs qui conditionnent le scenario des oiseaux en reproduction. Année TSMa 2008 2009 2010 2011 Chloa-A -0.24 0.65 -1.02 -0.21 4.45 -3.65 -1.72 -4.02 Biomasse région (106 t) 2.2 0.7 1.3 2.7 Rang biomasse 2 4 3 1 % de l’aire d’étude occupée par anchois 49 29 53 45 Rang aire 2 4 1 3 4.1.4. Débarquements d’anchois La pêche à l’anchois a changé au cours des années étudiées. L’instauration de quotas individuels, à partir de 2009 (Tveteras et al., 2011) a transformé le patron d’exploitation de la pêcherie : alors que le quota global était prélevé en une trentaine de jours en 2008 pour la deuxième saison de pêche (surcapacité de la flottille et course olympique au poisson, Fig. 7a), le même quota global a été prélevé en 55 jours en 2009 pour la deuxième saison de pêche (Fig.7b). La pression de capture 8 8 journalière est donc nettement inférieure à partir de l’année 2009 (Fig.7). 7 5 6 b 0 1 0 1 2 3 4 Capt(x105 t) 5 6 3 4 2 Capt(x105 t) 7 a 1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 1 4 7 10 13 16 19 22 25 28 31 34 37 40 43 46 49 52 55 Durée de la saison (jours) 3 4 5 6 d 2 3 4 Capt(x105 t) 5 6 7 c 0 1 0 1 2 Capt(x105 t) 7 8 8 Durée de la saison (jours) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 Durée de la saison (jours) Figure 7. Séries temporelles des débarquements journaliers de l’anchois (CaptJ) en rouge et des débarquements cumulés (CaptC) en bleu pour les années : a) 2008, b) 2009, c) 2010 et d) 2011. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 121314 151617 181920 Durée de la saison (jours) 4.1.5 Dénombrements des populations d’oiseaux Les cormorans (~ centaines de milliers) sont nettement plus abondants que les fous (~ dizaines de milliers) sur l’île Pescadores (Fig.8). Pour les deux espèces, les variations interannuelles sont 15 importantes. Pour les fous on observe un pic majeur de reproduction fin 2008 (~10 000 nids), et les données des gardiens n’indiquent pas de reproducteurs fin 2010 et 2011. Remarquons que ces données de comptage sont robustes en termes d’ordre de grandeur, mais pas de précision : un zéro déclaré par les gardiens peut en fait correspondre à quelques dizaines de nids (preuve en est la possibilité d’équiper des oiseaux au nid ces années là). Pour les cormorans on observe aussi un pic majeur de reproduction fin 2008 (~200 000 nids), après une chute drastique pour fin 2009 (~25 000 2008 5 4 3 2 1 Nombre d’individus(x105) b 0 5 10 15 20 a 0 Nombre d’individus(x104) nids) et une reprise fin 2010 (~50 000 nids) et fin 2011 (~ 75 000 nids) (Fig.8). 2009 2010 2011 2012 2008 2009 2010 2011 2012 Figure 8. Dénombrements de a) fou et b) cormoran pour les années 2008 à 2011 sur l’île Pescadores. La ligne bleue représente les oiseaux en reproduction et la ligne rouge le total des oiseaux présents (reproducteurs et non reproducteurs). Années Années 4.2. Effort de fourragement des oiseaux 4.2.1. Différences entre les espèces Le test de Wilcoxon-Mann-Whitney indique que les comportements de fourragement en termes de distance maximale au nid (Dmax), de distance totale parcourue (D) et de temps passé en mer (T) sont significativement différents entre le fou et le cormoran. Seule la sinuosité (S) n’est pas significativement différente. Considérés par année, Dmax et D sont significativement différents entre fous et cormorans en 2010, T diffère significativement entre les deux espèces pour toutes les années étudiées (Table IV). Table IV. Comparaison des moyennes, écart-types et test de Wilcoxon-Mann- Whitney (U), entre les variables d’effort de fourragement du fou (F) et du cormoran (C) pendant les années 2008-2011. * indique les différences significatives. Wilcoxon Dmax (km) D (km) T (min) S Total 23.2 ±15.0 (F) 19.4±10.3 (C) U, p<0.01* 65.7±45.2 (F) 53.7±27.5 (C) U, p=0.02* 95.8±71.0 (F) 137.4±73.4(C) U, p<0.01* 1.4±0.3 (F) 1.5±0.4 (C) U, p=0.11 2008 18.8±10.6 (F) 17.6±6.7 (C) U, p=0.75 47.8±26.4(F) 42.4±18.1(C) U, p=0.82 67.4±34.4 (F) 98.7±43.2(C) U, p<0.01* 1.3±0.2 (F) 1.2±0.2 (C) U, p=0.08 2009 14.93±10.4(F) 12.2±5.6 (C) U, p=0.82 42.93±24.9(F) 34.9±15.3 (C) U, p=0.5 60.34±34.5(F) 91.3±44.0 (C) U, p<0.01* 1.6±0.4 (F) 1.5±0.3 (C) U, p=0.5 2010 32.4±16.7 (F) 21.9±14.7 (C) U, p<0.01* 93.9±53.1 (F) 60.6±36.1 (C) U, p=0.02* 139.3±89.0 (F) 165.7±77.4(C) U, p=0.01* 1.5±0.4 (F) 1.6±0.7 (C) U, p=0.9 2011 19.9±10.5 (F) 19.9±9.4 (C) U, p=0.83 57.1±29.0 (F) 57.0±25.9 (C) U, p=0.94 81.8±41.7 (F) 144.7±75.8(C) U, p<0.01* 1.5±0.3 (F) 1.5±0.4 (C) U, p=0.7 16 4.2.2. Différences entre les années analysées Le test de Kruskal-Wallis indique des différences significatives entre années pour les quatre variables analysées : la distance maximale au nid (Dmax), la distance totale parcourue (D), le temps passé en mer (T) et la sinuosité (S) (Table V). Pour le fou, le test post-Kruskall indique de que Dmax, D et T sont significativement supérieurs (p<0.05) en 2010 par rapport à 2008/2009/20011 (Fig. 9). Pour le cormoran, le test post-Kruskall indique que Dmax, D et T sont significativement plus faibles en 2009 (p<0.05) qu’en 2010-2011, et que D et T sont significativement plus faibles en 2008 qu’en 2010-2011 (Fig. 10). Tant pour les fous que pour les cormorans, S est significativement plus faible en 2008 qu’en 2009/2010/2011 (Fig. 9 et 10). Kruskal-Wallis Fou péruvien X2 ddl p Dmax 77.9* 3 <0.01 D 93.0* 3 <0.01 T 92.4* 3 <0.01 S 48.5* 3 <0.01 Cormoran guanay X2 ddl p 9.2* 3 0.02 17.9* 3 <0.01 27.3* 3 <0.01 28.7* 3 <0.01 Table V. Test de Kruskal-Wallis comparant la distance maximale au nid (Dmax), la distance totale parcourue (D), le temps passé en mer (T) et la sinuosité (S) en fonction des années (2008-2011). b D (km) Dmax (km) a Années Années d S T (min) c Fig.9. Boîte à moustaches de a) Dmax, b) D, c) T et d) S pour le fou, années 20082011 Années Années b D (km) Dmax (km) a Années Années d S T (min) c Fig. 10. Boîte à moustaches de a) Dmax, b) D, c) T et d) S pour le cormoran, années 2008- Années Années 17 4.3. Forets aléatoires 4.3.1. Fourragement des fous Les forêts aléatoires expliquent ~22% de la variance de la distance maximale au nid (Dmax), de la distance totale parcourue (D) et de la durée du voyage (T) ; la variance de la sinuosité (S) n’est expliquée qu’à hauteur d’environ 13% (Fig. 11). Les variables explicatives les plus importantes sont le débarquement journalier de la pêcherie (CaptJ), les anomalies de température (TSMA), le débarquement cumulé depuis le début de la saison (CaptC) et le pourcentage d’ESDU avec présence d’anchois (ISO) ; dans le cas de S, l’anomalie de chlorophylle-a (Chl-aA) est également une variable importante du modèle (Fig.11). La dépendance partielle de Dmax, D, T et S au débarquement journalier (CaptJ) est non linéaire et nettement bimodale, illustrant un assez net effet de seuil. Les valeurs sont faibles et sans tendance claire tant que CaptJ < ~20 000 tonnes, Elles sont fortes au-delà de ~20 000 tonnes (Fig. 12a-d). La dépendance partielle de Dmax, D, T et S à la TSMA montre que les relations ne sont pas monotones et/ou linéaires. Pour les anomalies de températures négatives, Dmax, D et T ont des valeurs hautes sans tendance particulières qui diminuent subitement lorsque les anomalies deviennent positives (Fig.12e-h). Les dépendances partielles de D, T et S au débarquement cumulé (CaptC) montrent que les relations ne sont pas linéaires là non plus. Il y a un effet seuil autour de ~200 000 tonnes : en deçà, D, T et S oscillent autour de valeurs faibles, au-delà, elles oscillent autour de valeurs fortes (Fig.12i-k). La dépendance partielle de Dmax, D et T à l’ISO est sans tendance tant que l’ISO est <~45%, puis croît linéairement au-delà (Fig. 12l-n). Finalement la dépendance partielle de S à la Chl-aA est non-linéaire et bimodale. S est élevée lorsqu’il y a des anomalies négatives de Chl-aA et faible lorsque les anomalies sont positives (Fig.12o). 18 Capt J TSM A HautB ISO Capt C FTOT Biom 70 sA+ FREP NASCB Chl-a A Prof B LongB a 22.3% CaptJ TSMA ISO CaptC FTOT HautB FREP Prof B Chl-a A sA+ NASCB Biom 70 LongB Diminution moyenne en précision Capt J Capt C ISO TSM A HautB FTOT FREP Chl-a A Prof B Biom 70 NASCB sA+ LongB c 22.0% Diminution moyenne en précision b 24.9% Diminution moyenne en précision Chl-a A CaptC CaptJ TSMA FTOT ISO NASCB Biom 70 sA+ FREP Prof B LongB HautB d Fig.11. Importances des variables explicatives dans la variabilité de fourragement du fou pour: a) la distance maximale au nid (Dmax), b) la distance totale parcourue (D), c) le temps passé en mer (T) et d) la sinuosité (S). Les valeurs indiquées en bas à droite de chaque graphique correspondent au pourcentage de variance expliquée par le modèle. 13.8% Diminution moyenne en précision 4.3.2. Fourragement du cormoran Les forêts aléatoires expliquent une faible part de la variance (<10%) de la distance maximale au nid (Dmax), la distance totale parcourue (D) et la durée du voyage (T). La variance expliquée est nettement supérieure pour la sinuosité (S) ~23% (Fig. 13). En ce qui concerne S, les variables les plus importantes sont les anomalies de chlorophylle-a (Chl-aA), les débarquements cumulés (CaptC) et les anomalies de température (TSMA). Malgré les faibles variances expliquées de Dmax, D et T on observe qu‘en général, les variables explicatives les plus importantes sont CaptJ et CaptC, ensuite Chl-aA et les tailles des colonies totales (CTOT) et en reproduction (CREP) (Fig. 13). Les dépendances partielles de Dmax, D, T et S au débarquement cumulé (CaptC) présentent de façon consistante un comportement bimodal : Dmax, D et T oscillent autour de valeurs fortes en dessous de 200 000 tonnes cumulées d’anchois prélevées par la pêcherie, et chutent au-delà de ce seuil. (Fig.14a-d). La sinuosité présente une relation inverse à ce qui a été décrit pour les variables antérieures. On observe des faibles valeurs de S quand les CaptC son basses, et une augmentation rapide de S quand CaptC atteint ~200 000 tonnes pour ensuite rester stable (Fig. 14a-d). Les dépendances partielles de Dmax, D, T et S au débarquement journalier (CaptJ) présentent un comportement bimodal avec un effet seuil à ~30 000 tonnes. Les valeurs de Dmax, D et T décroissent presque linéairement pour CaptJ <~30 000 tonnes, et se stabilisent à des valeurs 19 moyennes au-delà. Les valeurs de S sont élevées lorsque le CaptJ est <~30 000 tonnes, puis faibles au-delà (Fig.14e-h). La dépendance partielle de D, T, et S à l’anomalie de chlorophylle-a (Chl-aA) présente un comportement bimodal. En particulier, D et T présentent un effet seuil autour de -4 mg m-3 d’anomalie négative, au-delà de cette valeur D et T augmentent se stabilisent autour de fortes valeurs (Fig. 14i-k). La dépendance partielle de S à la Chl-aA montre un autre patron : S diminue de façon constante avec la Chl-a pour des valeurs <-2 mg m-3 et reste faible pour des valeurs au-delà de -2 mg m-3 (Fig. 14i-k). La dépendance partielle de S à l’anomalie de TSM (TSMA) présente un comportement bimodal, S présente un effet seuil autour de -0.5°C d’anomalie négative, au-delà de cette valeur S reste faible (Fig.14l). La dépendance partielle de Dmax, D et T au CREP montre un comportement bimodal. Lorsque le CREP est <150 000, Dmax, D et T oscillent autour de fortes valeurs, au-delà de cette valeur Dmax, D et T oscillent autour de faibles valeurs. (Fig. 14m-o). On ne présente pas CTOT car les résultats son très similaires du fait que presque tous les individus dans l’île sont en reproduction (Fig.14m-o). CaptJ CaptC CTOT CREP Chl-a A TSM A LongB ISO Prof B HautB NASCB sA+ Biom 70 a 9.3% CaptC CaptJ Chl-a A C TOT C REP LongB TSMA Prof B sA+ Haut B Biom 70 NASC B ISO Diminution moyenne en précision CaptC Chl-a A CTOT CaptJ CREP ISO LongB HautB TSM A Prof B sA+ NASCB Biom 70 c 2.8% Diminution moyenne en précision b 6.4% Diminution moyenne en précision Chl-a A Ca ptC TSMA Ca ptJ ISO Prof B Ha utB CTOT sA+ Biom 70 LongB NASCB CREP d Fig.13. Importances des variables explicatives de la variabilité du fourragement du cormoran: a) la distance maximale au nid (Dmax), b) la distance totale parcourue (D), c) le temps passé en mer (T) et d) la sinuosité (S). Les valeurs présentées en bas à droite de chaque graphique sont le pourcentage de variance expliquée par le modèle. 23.6% Diminution moyenne en précision 20 b l Capt C Prédiction Prédiction Prédiction k m ISO Capt C Prédiction Prédiction Capt C TSMA TSMA j Prédiction i h g Capt J Figure 12. Dépendance partielle de: a) Dmax, b) D, c) T et d) S aux CaptJ ; e) Dmax, f) D, g) T et h) S aux TSMA ; i) D, j)T et k)S aux CaptC ; l) Dmax. m) D et n)T aux ISO et o) a ChlaA à S. Les coches sur l’axe x indiquent la distribution des valeurs de la variable explicative correspondante Prédiction Prédiction Prédiction Prédiction d Capt J TSMA TSMA n ISO Prédiction Prédiction Prédiction CaptJ Capt J c f Prédiction e Prédiction a ISO o ChlaA . 21 Prédiction Capt C Capt C Capt J d C TOT l CTOT Prédiction o Prédiction Prédiction Fig. 14. Dépendance partielle de : a) Dmax, b) D, c) T et d) S à Captc ; e) Dmax, f) D, g) T et h) S à CaptJ ; i) D, j) T et k) S à ChlaA, l)S à TSMA et m) Dmax, n) D et o) T à CTOT Prédiction Chl-aA k n Prédiction Prédiction Chl-aA Capt J m Prédiction j Chl-aA Prédiction Capt J Capt C i h Prédiction Capt C Capt J g Prédiction Prédiction c f Prédiction e Prédiction b Prédiction a TSMA C TOT 22 5. DISCUSSION 5.1. Variabilité de l’effort de fourragement des oiseaux et scenarios d’écosystème Bien que le fou et le cormoran soient des espèces sympatriques partageant la même proie, et les mêmes zones de nidification (Duffy, 1983a), elles présentent des comportements de fourragement différents. On observe des différences de distance maximale au nid, de distance totale parcourue et de temps passé en mer. Une analyse année par année nous montre que les deux espèces n’ont pas systématiquement un effort de fourragement différent, sauf sur la durée des voyages qui est toujours supérieure pour les cormorans, quelles que soient les conditions de l’année. La variabilité de l’effort de fourragement des oiseaux peut être replacée dans 3 scenarios d’écosystème pour les années étudiées : les années ‘normales’ (2008-2011), l’année de scenario ‘chaud’ (2009) et l’année de scenario ‘froid’ (2010). L’année 2009 se démarque par un faible niveau de biomasse d’anchois, mais dont les quelques agrégations présentes étaient d’accès relativement aisé car concentrées à la côte. Comparé aux autres années, l’effort de fourragement des oiseaux observés n’apparaît donc pas comme significativement différent en 2009. Cependant, les oiseaux se sont adaptés aux conditions difficiles de fourragement associées à une faible biomasse d’anchois en limitant leur reproduction (année du plus faible nombre de reproducteurs cormorans) durant les mois étudiés et en retardant leur nidification à l’automne 2009-2010 lorsque des conditions plus favorables se sont rétablies (S. Bertrand, com. pers.). L’année 2009 est donc typique du cas où la modulation de l’effort de fourragement n’est pas suffisante pour compenser des conditions environnementales difficiles et où la variable d’ajustement est la décision même d’entrer en reproduction. L’année 2010 est celle qui se démarque le plus en termes d’effort de fourragement. La biomasse d’anchois était moyenne, permettant le déclenchement de la saison de reproduction (nombre moyen de reproducteurs cormorans), mais la ‘dilution’ dans un grand habitat favorable des agrégations d’anchois a contraint les oiseaux à augmenter significativement leur effort de fourragement. C’est l’année typique où une modulation de l’effort de fourragement permet de compenser une certaine difficulté d’accès aux proies. 5.2. Différences de stratégies entre les deux espèces d’oiseaux Selon les années, il peut exister des différences significatives entre les efforts de fourragement des deux espèces, ce qui suggère qu’elles peuvent adopter des stratégies différentes pour faire face aux mêmes conditions. D’une façon générale (i.e. pour les distances parcourues et le temps passé en mer), la variabilité du comportement des fous (2223 25% de variance expliquée) est mieux expliquée par nos modèles que celle du cormoran (39% de variance expliquée). A l’inverse, la sinuosité des trajets est mieux expliquée pour les cormorans (24% de variance expliquée) que pour les fous (14% de variance expliquée). Il faut noter à ce stade que les variables de fourragement utilisées ici décrivent seulement le comportement horizontal des oiseaux ; les différences observées peuvent donc s’expliquer par les différences comportementales des deux espèces. Le fou, avantagé par ses bonnes capacités de voilier, mais restreint par de faibles capacités de plongée, peut donc moduler sont effort de fourragement essentiellement dans le plan horizontal, c’est-à-dire en explorant des zones plus éloignées et/ou des surfaces d’océan plus vastes. Le cormoran au contraire est avantagé par ses capacités de plongeur, mais plus limité dans ces capacités de vol. Il ajuste davantage son comportement de fourragement en termes de sinuosité c’est-à-dire qu’il augmente l’intensité de ses recherches au niveau très local, mais ne module pas forcément énormément les surfaces explorées. Il est probable que l’ajustement en termes de sinuosité soit en fait le reflet d’une augmentation du nombre et/ou de la profondeur des plongées sur une même agrégation. Une des perspectives de ce travail sera de confirmer cette hypothèse en utilisant données de plongées pour analyser l’effort de fourragement dans sa composante verticale. 5.3. Quelles sont les variables d’environnement qui expliquent le mieux la variabilité de l’effort de fourragement des oiseaux? Le comportement de fourragement des fous répond principalement aux captures journalières effectuées par la pêcherie dans la zone, puis aux conditions de température (anomalies de température de la mer, proxy du scenario environnemental). Le comportement de fourragement des cormorans répond principalement au scenario environnemental (anomalies de chlorophylle-a et de température) et aux captures cumulées de la pêcherie depuis le début de la période. Le premier élément important de ces résultats est que l’activité de pêche ressort comme un facteur très important dans la modulation des efforts des oiseaux. La compétition avec la pêche ajoute donc une contrainte importante et significative aux conditions environnementales rencontrées par les oiseaux et joue donc un rôle déterminant dans le succès reproducteur de ces espèces. L’activité de pêche semble cependant avoir un effet un peu différent sur les fous et les cormorans. L’effort de fourragement des fous répond principalement aux captures journalières : lorsque celles-ci dépassent un certain seuil (20 000T), les fous augmentent significativement leur effort. L’hypothèse qui peut sous-tendre ce phénomène pourrait être de nature comportementale. Les fous utilisent leur mémoire à courte échelle de temps pour décider vers quelle zone de fourragement s’orienter : en admettant qu’ils aient détecté une agrégation 24 d’anchois importante, ils auront tendance à retourner sur le même site au voyage suivant surtout s’il leur a permis un bon succès (Weimerskirch et al., 2010).. Mais si la pêcherie a aussi détecté cette agrégation et l’a épuisée (ce qui est d’autant plus probable que les captures quotidiennes sont élevées), cela devient un désavantage pour les fous, qui vont retourner à ce site, puis devront à partir de ce site épuisé retrouver une nouvelle zone favorable. En d’autres termes, d’importantes captures quotidiennes, souvent réalisées en groupes de navires sur une même agrégation (Bertrand et al., 2004 ), peuvent affecter le comportement séquentiel des fous d’un voyage à l’autre. Le fourragement des cormorans répond davantage aux captures cumulées, qui sont plutôt, elles, un indicateur de la déplétion régionale progressive en proies. Les cormorans privilégient avant tout le comportement collectif pour la prise de décision de fourragement (fourragement en colonnes), ce qui a pour conséquence un ajustement permanent des directions de départ et des zones visitées (Weimerskirch et al., 2010). L’effet mémoire et retour à une zone préalablement favorable est donc minoré ici. Par contre ces stratégies de fourragement de groupe nécessitent pour être intéressantes la présence d’agrégations de forte biomasse. C’est probablement pour cette raison que les cormorans sont plus sensibles à l’effet de réduction globale et progressive d’abondance par la pêche, qui est traduit par l’augmentation importante des captures cumulées. 5.4. Effets de seuils La forme des réponses des variables de fourragement aux variables d’environnement est aussi très intéressante. Concernant les fous, les distances et la durée des voyages répondent de façon quasi linéaire à l’anomalie de température : plus l’anomalie est chaude, moins les voyages vont loin et durent longtemps. Ceci est du à l’augmentation progressive d’accessibilité de l’anchois au fur et à mesure que la taille de son habitat se réduit (Fig.2). Ces mêmes variables de fourragement répondent plutôt par seuil aux captures quotidiennes de la pêcherie : elles augmentent significativement au-delà de 20 000 tonnes capturées par jour dans la région d’étude. Cet effet seuil est probablement à mettre en lien avec la nature grégaire de l’anchois et les stratégies de recherche développées par les fous. Les fous utilisent l’effet de ‘renforcement local’, ou ‘local enhancement’ (e.g. Nevitt et Veit, 1999), c'est-à-dire qu’ils se servent de l’observation des congénères et des compétiteurs pour détecter à distance la présence probable de proies. On a donc affaire à un fourragement en réseau ou ‘network foraging’ (Wittenberger et Hunt 1985) qui demande pour être efficace, à ce que le nombre d’évènements détectables dans le champ de vision de l’oiseau soit compatible avec un 25 fourragement efficace. Si les évènements de chasse d’oiseaux ou de pêche sont trop rares, trop espacés, ou trop concentrés dans l’espace, le ‘network foraging’ devient inefficace. Il semble tout à fait raisonnable que ce type de processus ne soit pas linéaire mais présente des seuils. Concernant les cormorans, la sinuosité des voyages augmente alors que les captures cumulées de la pêcherie augmentent. La réponse présente ici aussi un effet seuil lorsque les captures cumulées atteignent 200 000 T dans la région d’étude. Le fait que les captures cumulées expliquent mieux le fourragement des cormorans que les captures journalières semble indiquer que l’effet de la concurrence avec la pêcherie s’exprime de façon différente à celle des fous. Les cormorans semblent plus sensibles à une diminution globale dans la région de l’abondance en proies. Cela est probablement à relier là aussi avec leur stratégie de fourragement. Les cormorans utilisent pour fourrager une stratégie de proche en proche, type ‘tapis-roulant’, favorisée par les grandes tailles de leurs colonies reproductives. Au matin, les premiers individus doivent identifier les zones riches, mais une fois que cela est établi, les individus que partent ensuite choisissent toujours la direction des colonnes d’oiseaux qui reviennent, procédant ainsi à un transfert d’information sur la direction des zones intéressantes à explorer (Weimerskirch et al. 2010). Cette stratégie est d’autant plus efficace que les grands groupes ainsi formés trouvent suffisamment de proies sur les sites ainsi identifiés. En d’autres termes, c’est une stratégie avantageuse lorsque l’on est nombreux et que la proie est abondante et concentrée dans l’espace. L’activité de pêche a tendance, au contraire, à éroder la biomasse régionale et rendre cette stratégie collective moins efficace. Les cormorans semblent compenser cet effet par une intensification de l’effort de fourragement local (augmentation de la sinuosité des voyages) lorsque la pêche a prélevé une quantité trop importante de ressource (>200 000 T dans la région) 5.5. Forces et faiblesses de l’approche par forêts aléatoires Les forêts aléatoires constituent une méthode très intéressante par toutes les hypothèses contraignantes de la statistique classique qu’elles permettent de relâcher. Elles sont très puissantes aussi pour hiérarchiser l’effet de multiples facteurs sur un processus d’intérêt. Leur mise en application est aisée grâce aux librairies disponibles dans le logiciel R. Quelques aspects de leur paramétrage et de l’interprétation de leurs résultats sont cependant non triviaux et méritent d’être discutés ici. Plusieurs auteurs décrivent les forets aléatoires comme une boite noire parce que il n’est pas possible de contrôler la construction des arbres qui sont crées de façon aléatoire (Prasad et al., 2006). Le fait que les arbres soient construits aléatoirement produit selon notre expérience une sensibilité du modèle au nombre d’arbres 26 utilisés. Nous avons choisi un compromis entre nombre maximum d’arbres et temps de calcul acceptable, pour assurer que la classification par importance des variables soit consistante. Une des possibilités pour améliorer la stabilité des résultats est de faire nombreux répétitions des forêts aléatoires et de faire une moyenne des importances des variables estimées à chaque réplicat. Cette alternative n’a pas été testée ici par manque de temps mais mériterait d’être expérimentée dans de futurs travaux. Un autre aspect éventuellement limitant de ce type de modèle est l’impossibilité d’introduire des effets d’interaction entre les variables explicatives, alors que ces effets d’interaction pourraient éventuellement modifier l’ordre d’importance des covariables. Une solution consiste à examiner des graphiques en 3D des variables explicatives les plus importantes comme proposé par Cutler et al. (2007). Une autre alternative serait de compléter cette approche par une modélisation type GAM ou GLM qui permet d’introduire explicitement les effets d’interactions entre les variables. 6. CONCLUSIONS 1. Dans le HCS, les oiseaux marins modulent leurs stratégies comportementales de fourragement pour faire face à la grande variabilité des conditions de l’écosystème: pour toute une gamme de conditions non extrêmes, les oiseaux s’adaptent à la variabilité des conditions environnementales en modulant leur effort de fourragement ; dans des conditions particulièrement difficiles, la variable d’ajustement du comportement est la décision d’entrer en reproduction ou non. 2. La modulation de l’effort de fourragement présente des modalités différentes selon les espèces et leurs capacités éco-physiologiques (voiliers versus plongeurs). 3. La compétition avec la pêche a un effet significatif sur l’effort de fourragement des oiseaux, au moins aussi important que les conditions environnementales ; lorsque ses prélèvements excèdent certains seuils, elles contraignent les oiseaux à augmenter leur effort, augmentant par la les risques, lorsque les conditions environnementales sont défavorables, de conduire à un échec de reproduction. 27 7. REFERENCES BIBLIOGRAFIQUES Alheit J, Ñiquen M (2004) Regime shifts in the Humboldt Current ecosystem. Progress in Oceanography, 60: 201–222. Aranda M. (2009) Developments on fisheries management in Peru: The new individual vessel quota system for the anchoveta fishery. 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Avant le développement de la pêcherie industrielle, ces espèces ont présenté des niveaux de populations remarquables (25 millions d’individus dans les années 1950) mais sous l’effet de conditions environnementales défavorables et d’une surexploitation de l’anchois par la pêche, ces niveaux ont drastiquement baissé (~ 4 millions). La compétition avec la pêche affecte principalement les oiseaux en reproduction dans leur capacité à ramener suffisamment d’anchois pour nourrir les poussins. Les oiseaux peuvent tamponner dans certaines limites les effets de la variabilité environnementale et de la compétition avec la pêche en modulant leur effort de fourragement. L’objectif de ce travail est, au travers de l’application des modèles de forets aléatoires, d’identifier les facteurs qui font varier l’effort de fourragement du cormoran et du fou et de quantifier leur influence relative, pendant les années 2008 à 2011. Les facteurs explicatifs considérés sont l’environnement océanographique, la pêche, l’abondance et la distribution du poisson, et les effets densité-dépendance liés à la reproduction en colonies denses. Nos résultats montrent que pour toute une gamme de conditions non extrêmes, les oiseaux s’adaptent à la variabilité des conditions environnementales et à la compétition avec la pêche en modulant leur effort de fourragement. La modulation de l’effort de fourragement prend des formes différentes selon les espèces et leurs capacités éco-physiologiques: Les fous modulent l’aire explorée pour le fourragement, les cormorans augmentent l’intensité de leur recherche très locale. La compétition avec la pêche a un effet significatif sur l’effort de fourragement des oiseaux, au moins aussi important que les conditions environnementales. Lorsque ses prélèvements excèdent certains seuils, elles contraignent les oiseaux à augmenter leur effort, augmentant par la les risques, lorsque les conditions environnementales sont défavorables, de conduire à un échec de reproduction. Cette hiérarchisation et quantification des facteurs qui influencent le comportement de fourragement des oiseaux marins est utile pour informer les politiques de gestion des pêches et de conservation. ABSTRACT The Peruvian coastal ecosystem hosts a very abundant and fluctuating anchvoy (Engraulis ringens) population. This forage fish is exploited at the same time by the main world monospecific fishery, and by two major guano-producing seabird populations (Peruvian booby Sula variegata; Guanay cormorant, Phalacrocorax bougainvillii). Before the development of the industrial fishery, these species exhibited remarkable population levels (25 millions individuals in the 50’), but under the combined effect of unfavourable environmental conditions and anchovy overfishing, those populations reduced drastically (~ 4 millions individuals). Competition with the fishery impacts mainly breeding seabirds in their capacity to bring back enough anchovy to feed their chicks. Within some extent, seabirds may buffer the effect of environmental variability and competition with the fishery by modulating their foraging effort. The objective of this work is to identify the factors that modulateseabird foraging effort and to quantify their relative influence during 2008-2011. The covariates considered are the oceanographic conditions, the fishing activity, fish abundance and distribution, and the density-dependent effects linked to breeding in dense colonies. Our results show that for a wide extent of non extreme conditions, seabirds adapt heir behaviour to the variability of the environmental conditions and to the competition with the fishery, by modulating their foraging effort. The modulation of the foraging effort differs with species and their eco-physiologic skills. Boobies modulate the explored area while cormorants modulate the intensity of their local foraging. Competition with the fishery has a significant effect on seabird foraging effort, at least as important as that from environmental conditions. When catches from the fishery exceed a given threshold, seabirds increase their foraging effort, what convey the risk, when environmental conditions are unfavourable, to jeopardize the breeding success. This hierarchization and quantification of the factors affecting the foraging behaviour of seabirds is useful for documenting fishery management and conservation policies