l`esprit d`escalier
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L’Esprit d’escalier L’ESPRIT D’ESCALIER Pierre Maudet, Conseiller d’Etat Généralement connu pour toutes les démarches en lien avec la citoyenneté – Genevois, Suisses et étrangers confondus – l’Office cantonal de la population (OCP) dégage parfois une image d’austérité, dont il souhaite aujourd’hui se départir. Grâce aux coups de pinceaux inspirés des étudiants de la Haute école d’art et de design – Genève et au généreux soutien de la Fondation Hans Wilsdorf, les espaces gris et quelque peu froids du bâtiment de la route de Chancy ont repris vie et se sont illuminés. La mission confiée aux étudiants de la HEAD – Genève, à savoir que leurs œuvres créent une relation nouvelle avec les usagers du lieu, qu’il s’agisse du public ou du personnel, est ainsi pleinement remplie. De par leur diversité, les peintures murales qui ornent désormais les murs de l’Office cantonal de la population nous rappellent les multiples tâches qui lui sont confiées et la variété des publics auxquels il s’adresse quotidiennement. « L’inspiration nous vient en descendant l’escalier de la tribune » disait Diderot à propos de « l’Esprit d’escalier ». En l’occurrence, au-delà de l’inspiration, les escaliers de l’OCP créent des ponts, des passerelles entre celles et ceux qui les empruntent, entre les différentes cultures qui s’y rencontrent. Associé à des décisions parfois douloureuses, notamment en matière d’asile, l’OCP est aussi le lieu où passent celles et ceux qui souhaitent en savoir plus sur les procédures liées aux étapes heureuses de la vie comme le mariage ou la naissance d’un enfant. En délivrant chaque année environ 3’000 passeports suisses (3’091 en 2011) à des personnes nouvellement naturalisées, l’OCP est aussi la porte d’entrée pour les étrangers désireux de s’ancrer un peu plus dans la vie genevoise et suisse et de s’intégrer à la vie locale. Dans son nouvel écrin, l’Office cantonal de la population se voit ainsi renforcé dans son rôle de point de rencontre de celles et ceux qui font Genève. Vous avez dit bizarre ? Bernard Gut, Directeur de l’Office cantonal de la population Population, mouvements et migration Ce 31 octobre, veille de ténèbres, les visiteurs de l’OCP n’auront ni à prendre de ticket, ni à s’annoncer aux guichets. Le libre accès aux locaux leur sera garanti et le voyage sera coloré. Suggérée dès l’entrée par les fleurs et les pollens de Gérald Poussin, la migration aura alors le sens des montées ou des descentes d’escalier. Désireux de se départir de son image contraignante, l’Office a souhaité célébrer dans la lumière le mouvement des populations, auquel il contribue bon an mal an et dont il se nourrit quotidiennement. Dans cette perspective et avec le soutien de la Fondation Hans Wilsdorf, appel a été lancé à l’imagination des étudiants de la HEAD – Genève et à un artiste rompu à la divagation. Soucieux d’allier l’ingénuité des artistes à leur créativité, l’OCP a mis à leur disposition des murs gris, certes occultés à tout regard externe, mais surfaces remuantes, offertes à l’inspiration. Le résultat dépasse toute espérance. Désormais nos espaces bougent. La réflexion et le questionnement débutent ou se poursuivent dans nos couloirs. Les techniques utilisées sont audacieuses et les œuvres produites ont en commun le fait qu’elles rassemblent, sans se ressembler. Il nous faut ici remercier ces interprètes des générations montantes dont l’expression enthousiaste nous livre leur vision du monde et nous révèle leurs envies de demain. L’architecture de la passerelle, qui servira de cadre à la partie officielle du vernissage et d’écrin à la présentation des projets réalisés, témoigne d’une volonté de transparence. Cette intention devrait à la fois faciliter la compréhension de nos activités et rendre plus évidente la délivrance de nos prestations. Le terreau étant semé, l’OCP veut persister et ambitionne de devenir, à terme, un forum de projection et de discussion avec la société civile. Quand émergeront ces opportunités seront alors enfin réunies, entre Arve et Rhône, touches d’insolite et pointes d’insolence. Participants Anaïs Perez Wenger Construction Meryl Schmalz et Robert Topulos Communication visuelle Bastien Guillan, Lucien Mottet et Guillaume Zwaan Communication visuelle Un mandat de L’OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION confié à LA HAUTE ECOLE D’ART ET DE DESIGN – GENÈVE Avec le soutien de la FONDATION HANS WILSDORF Février - Octobre 2012 Carolina Guillermet Postgrade ALPes Sophie Ros et Aurélia Calo Communication visuelle Séverin Guelpa work.master Océane Izard Communication visuelle Nelly Haliti et Guillaume Fuchs work.master Suzanne Perrin work.master Boutheyna Bouslama Postgrade ALPes Débora Alcaine Gonzalez Art/action Gustave Didelot Communication visuelle Christoffer Ellegaard Communication visuelle Camille Silvain et Laurie Vannaz work.master Seda Yildiz work.master Elise Viladent et Ainhoa Cayuso Communication visuelle Le concours « l’Esprit d’escalier » invite les étudiant-e-s de la HEAD – Genève à conduire une réflexion artistique à partir du thème « Population, mouvements et migration » et ainsi à transformer la perception des espaces publics et de travail de l’OCP à travers le traitement des quatre cages d’escaliers. Axé sur les questions cruciales de culture et d’identité, de migrations et d’échanges que posent les activités de l’OCP à Genève et dans sa région, le projet associe, dans son lien à l’architecture et aux usages du lieu, une nécessaire dimension visuelle à une réflexion sociale et politique. Un pré-jury, formé par des représentants du personnel de l’OCP s’est penché sur l’ensemble des seize projets présentés et en a retenu dix, ceux qui correspondaient le mieux à l’esprit de l’Office, à la typologie des bâtiments et au thème fixé. Le jury final, composé de représentants de l’OCP et de personnalités extérieures a désigné quatre projets lauréats : Oiseaux migrateurs — Bastien Guillan, Lucien Mottet et Guillaume Zwaan Miasto — Meryl Schmalz et Robert Topulos Déplacement — Carolina Guillermet Panorama urbain — Anaïs Perez Wenger Présentation Jean-Pierre Greff, Directeur de la Haute école d’art et de design – Genève Il convient de s’en réjouir. La HEAD – Genève a été une nouvelle fois sollicitée par un établissement public – l’Office cantonal de la population de l’Etat de Genève – pour accompagner la démarche d’ouverture d’une institution et d’un bâtiment liés à la vie et à l’identité de la cité. Cette marque de confiance réitérée, mais assez peu commune, signifie aussi un défi renouvelé. Soyons francs. Les quatre cages d’escaliers du bâtiment de l’OCP ne se disposent pas, à première vue, comme des espaces hospitaliers pour des œuvres d’art. Mais à y regarder de plus près, ces espaces de pure utilité, non-lieux d’une nudité grise et de traversées furtives, concentrent la complexité (comme les ambivalences) de l’invitation faite aux artistes dans l’espace public. Redonner vie et sens à un espace dépourvu de lien social véritable, en renouveler le regard et les usages, conjurer la triste banalité d’un lieu disqualifié, tel est le défi parfois excessif proposé aux artistes, désormais reconnus en tant qu’acteurs majeurs de la scène publique. Plus encore, l’OCP est une institution dont les activités sont décisives pour la vie de celles et ceux qui s’y rendent et soulèvent des questions cruciales à Genève, république dont l’identité est historiquement marquée par son ouverture à la circulation des biens et des personnes : ville refuge pour de grandes figures (Calvin, Lénine, Borges, parmi d’autres), ville dont la scène artistique d’une vitalité et d’une pluralité sans pareilles, relativement à sa dimension, ville étudiante. Notre école elle-même trouve une part de son énergie dans l’accueil de nombreux étudiants, enseignants et intervenants internationaux. Si elle appartient à l’héritage helvétique, la question de l’hospitalité que l’on accorde aux artistes et aux intellectuels est toujours instante, tout particulièrement en période de difficultés économiques. Il faut à cet endroit souligner « l’intérêt scientifique et économique prépondérant » de leur contribution, quand bien même elle ne répond pas à une efficacité de court terme. Les questions sociales et politiques de migration et du droit d’asile concernent les artistes au premier chef et en particulier celles et ceux qui vivent et travaillent à Genève. Au sein de la HEAD – Genève, l’enseignement est volontiers tourné vers un art qui s’engage et se confronte aux réalités sociales, un art qui, souvent, entend quitter l’école comme le musée, pour se déplacer vers le théâtre de ces opérations. C’est à l’aune de ces enjeux que je tiens à remercier l’OCP et sa direction d’avoir offert ces lieux à la réflexion et aux propositions de nos étudiant-e-s. Et, avec le soutien précieux de la Fondation Hans Wilsdorf, de les leur avoir offert véritablement, c’est-à-dire non pas comme un exercice mais comme un projet en vraie grandeur, dans un bâtiment public très fréquenté et affecté, lourd d’enjeux sociaux – avec ce que cela signifie de prise de risques mutuelle –, pour y réaliser avec un budget adapté un ensemble de quatre œuvres « pérennes », puisque installées pour une dizaine d’années. Je me plais à souligner ici l’engagement de tous – commanditaire, étudiants et enseignants – dans ce projet. Les discussions furent nourries, serrées et passionnées, mais il est juste de saluer l’ouverture d’esprit et la disponibilité bienveillante de la direction de l’OCP. Sans complaisance, je relève la qualité de réflexion de nos étudiants, la façon exigeante et imaginative avec laquelle ils ou elles ont conçu leur projet. En témoignent les entretiens menés par Maryline Billod, pour ne rien dire de leur engagement de plusieurs mois dans la réalisation de ce vaste chantier. Ce projet a été mené dans le cadre du programme ALPes, dont l’objet est d’offrir des contextes réels, dans divers espaces publics, urbains ou non, institutionnels ou non, de dimensions et de durées variables, afin de permettre aux étudiant-e-s d’expérimenter, souvent pour la première fois, la contextualisation de leur pratique en dehors de l’atelier et des espaces d’exposition conventionnels. L’appel à concours a été ouvert à nos étudiants Bachelor et Master, en Arts visuels et Communication visuelle, favorisant ainsi une pluralité et un croisement des regards, des approches, des générations comme des pratiques. Nous avons reçu un ensemble de seize propositions très différentes. Toutes, ou presque, témoignent d’une confrontation exigeante à ces questions complexes et d’une « négociation avec le réel », l’espace contraint d’une architecture « fonctionnelle », l’institution du lieu, ses acteurs et utilisateurs. Comment traiter d’un sujet tel que celui des migrations, dans le lieu même où celles-ci sont placées sous le joug de l’institution, dans l’espace même de contrôle, de régulation, voire de sanction des mouvements migratoires ? Comment, en tant qu’artiste, prendre position, tout en restant juste, pertinent et penser à la réception triple de l’œuvre – artistique, institutionnelle et plus émotionnelle – par les usagers du lieu ? Quel rôle de l’artiste dans ces situations qui peuvent être de l’ordre de la formalité administrative, mais aussi de la tension, voire du drame personnel ? Quelle langue adopter, quelles formes proposer, quelle stratégie employer ? Comment échapper à l’instrumentalisation du geste artistique, tout comme à la provocation ? Et finalement, quelles sont les fonctions de l’art, singulièrement dans l’espace public ? Peut-on, en l’occurrence réhabiliter et légitimer une fonction décorative ? Comment y exercer le questionnement critique, parfois grinçant, qui est le propre de l’art ? En résulte quatre propositions aux sujets et aux formes variées, mais qui ont toutes en commun de questionner, avec les idéaux et les outils d’aujourd’hui – ceux des jeunes artistes encore en formation et donc possiblement des artistes de demain – ce statut singulier de l’art confronté à l’espace social, réel. Sans provocation ni sujétion, ces propositions parviennent, avec une véritable qualité de résolution formelle du propos – efficace, volontiers allusif ou métaphorique – à animer ces cages d’escalier. A les animer au sens fort, natif, du terme, c’est-à-dire à leur donner souffle et vie. Refuser l’immobilisme, ébranler un espace confiné, rompre la grisaille des jours, n’est-ce pas déjà subvertir l’ordre machinal des choses et ré-enchanter (un instant) le quotidien de celles et ceux qui traversent ces lieux. C’est peu et beaucoup à la fois. 4 5 Panorama urbain Anaïs Perez Wenger Des vues de Genève sont tracées à même le mur alors que d’autres villes sont projetées, de sorte que l’on ne peut distinguer la silhouette de Genève qu’en passant devant la source de projection. Ainsi, l’ombre de l’utilisateur de l’escalier laisse apparaître l’un après l’autre les monuments représentatifs qui dessinent les contours de la ville. Cette installation souligne l’importance du rôle de la population genevoise qui crée l’identité de la ville, puisque seule la présence humaine et le mouvement révèlent le dessin de la cité de Calvin. Ce propos est accentué par la projection des autres villes, insistant ainsi sur le caractère multiculturel de Genève. Tout en offrant une interactivité aux usagers du lieu, cette mise en lumière de la diversité est également une source d’éclairage additionnel pour la cage d’escalier. 6 7 MIASTO Meryl Schmalz et Robert Topulos alias Bärltz 8 Le projet que nous proposons répond à la question de migration et de mixité des cultures en réalisant une ville. Celle-ci est composée de diverses architectures inspirées du monde entier. Notre idée est de suggérer des styles d’architectures ou des bâtiments existants, mais de ne jamais les représenter de manière trop fidèle pour laisser libre cours à notre imagination et à la libre interprétation des visiteurs. La réalisation extrêmement détaillée a pour but de faire perdurer le dessin dans le temps en amenant les personnes qui fréquentent les lieux au quotidien à découvrir de nouveaux éléments au fur et à mesure de leurs passages et d’accentuer graphiquement la multitude d’architectures et de matériaux existants. C’est pourquoi nous avons choisis de composer différents plans – plus ou moins rapprochés – qui dévoilent en certains endroits des enseignes ou des détails plus précis quant à un bâtiment (une grande porte en bois, une statue, du mobilier, etc.) et ainsi créent un rythme de lecture de l’image. 9 Oiseaux migrateurs Bastien Guillan, Lucien Mottet et Guillaume Zwaan 10 Pour nous, il s’agit de sensibiliser le spectateur aux dures réalités que rencontre chaque migrant. Pour parler de la migration, du déplacement, du mouvement, nous sommes partis de la thématique des oiseaux. Un code (affiché dans l’escalier) associe les trames qui les colorent et les différents conflits économiques, politiques, sociaux, écologiques auxquels les populations sont confrontées. Ces événements apparaissent sur les murs des étages par des lieux et des dates qui se réfèrent aux faits historiques liés aux diverses migrations qui ont traversé notre pays. Le spectateur associe librement les faits et les images. 11 Déplacement Carolina Guillermet J’ai souhaité travailler la dynamique de la circulation dans l’espace de l’escalier et la notion de déplacement des usagers. J’envisage l’architecture comme réceptacle d’émotions. La vibration de la couleur produit des effets d’ambiance : lumière et amplitude de l’espace. Le projet considère le bâtiment dans une vision globale et la cage d’escalier comme un espace de circulation vertical. La couleur est en lien avec la typologie du lieu. Deux couleurs se croisent. Si la cage d’escalier est vue comme un parallélépipède, un L (mur long et mur court) est de couleur A et l’autre L (mur long et mur court) de couleur B. La dynamique de la circulation La composition souligne la circulation en ellipse et en vertical (ascendant - descendant) dans l’escalier. 12 dans l’escalier fait que l’on trouve une fois sur deux la couleur A sur la droite et une fois sur deux la couleur B, ce qui produit un effet visuel de deux couleurs en torsade le long d’un parallélépipède. Les murs courts (où se croisent les deux murs longs de couleurs distinctes) sont chaque fois légèrement teintés par la couleur alternative (B dans A). 13 Interviews des auteurs des 4 projets lauréats par Maryline Billod, historienne de l’art Panorama urbain Anaïs Perez Wenger Votre installation se déploie dans l’escalier « asile » ; elle propose des combinaisons de vues de Genève, peintes au lavis sur le béton, sur lesquelles sont projetées des images de villes étrangères. Sur quels éléments du lieu ou de la commande vous êtes-vous appuyée pour construire votre projet ? Anaïs Perez Wenger : en fait, l’idée du dispositif précède le concours ; elle est née d’une anecdote. En rentrant chez moi un soir, une voiture m’a dépassée et j’ai vu mon ombre se déplacer en un grand mouvement circulaire autour de moi ; j’ai trouvé cela très intéressant et je me suis dit que j’allais décortiquer et creuser ce phénomène à l’atelier. Cette anecdote faisait écho alors à une autre référence. En 2010 dans l’exposition Voici un dessin suisse au Musée Rath, une installation d’Ante Timmermans m’avait frappée : l’artiste avait construit une image au moyen d’une feuille de papier trouée et placée sous un rétroprojecteur ; la projection qui en résultait donnait à voir une ville la nuit. J’avais trouvé cela très beau, extrêmement poétique. Et puis, au moment du concours de l’OCP, je développais en atelier un travail sur le ciel. Je dessinais des skylines de Genève depuis mon atelier, des vues de toits ; je me questionnais sur la relation entre la ville et son architecture et dans quelle mesure cette association construisait son identité. Lorsque l’on tape le nom d’une ville sur internet, il y a très souvent une skyline qui apparaît et qui devient représentative de la ville. Voilà les recherches qui étaient en cours au moment où j’ai commencé à réfléchir au concours pour l’OCP. — Pour votre dispositif, quelles sont les vues de Genève que vous avez privilégiées et quelles sont les villes que vous avez choisies ? A. P. W. : pour Genève, j’ai opté pour des lieux facilement reconnaissables, qui sont aussi devenus des symboles de la ville : le jet d’eau, la jetée des Pâquis, le Pont de la Machine avec l’Ile Rousseau, le lac avec le Salève, par exemple. Les lavis sont soutenus et présentent un dessin clair, délié. Toutefois, j’ai cherché à jouer avec les aspérités, les accidents et les traces présentes dans le béton, de sorte à ce que les images soient véritablement ancrées dans leur support. Au départ, autant pour Genève que pour les villes, j’avais imaginé des vues plus intimistes mais je me suis rendue compte qu’elles n’étaient pas forcément identifiables et de facto mon projet perdait en lisibilité. Pour les projections, j’ai des vues d’Amsterdam, de Bamako, de Bruxelles, du Caire, de Kaboul, de Paris, de Skopje, de SaintPétersbourg et de Venise. J’ai choisi ces villes au hasard et les images proviennent d’internet. A part pour Bamako, ce sont plutôt des vues générales, qui permettent d’identifier les villes. De haut en bas et de gauche à droite : Carolina Guillermet, auteur du projet « Déplacement » — Meryl Schmalz et Robert Topulos, auteurs du projet « Miasto » — Meryl Schmalz et Robert Topulos dessinent à main levée leur ville imaginaire — Bastien Guillan, Lucien Mottet, Guillaume Zwaan et un artisan de l’entreprise Jeca sérigraphient à même le mur les oiseaux qui composent la peinture murale — Bastien Guillan, Lucien Mottet et Guillaume Zwaan, auteurs du projet « Oiseaux migrateurs » — Anais Perez Wenger, auteur du projet « Panorama urbain ». — Comment fonctionne votre dispositif et à quoi donne lieu la superposition des images ? A. P. W. : en traversant le faisceau lumineux, la personne qui déambule dans la cage d’escalier va voir son ombre se projeter contre le mur et mettre en évidence le dessin de Genève. Simultanément, l’image de la diapositive se révèle brièvement sur son corps. Il y a donc un aspect assez ludique, c’est véritablement l’usager de la cage d’escalier qui met en acte le dispositif. 14 15 Il y a six ou sept superpositions de taille différente qui s’égrènent dans l’escalier. Je ne cherche pas à confondre les lieux ; toutefois, certaines superpositions reposent sur des similitudes ou des complémentarités, d’autres se frictionnent davantage. De cet enchevêtrement d’images naît un troisième lieu, un ailleurs. — On peut lire une idée d’effacement, de disparition dans votre installation. Comment vient-elle toucher le thème « population, mouvements et migration » proposé dans le concours ? A. P. W. : au moment où la personne traverse le faisceau de lumière, c’est comme si elle se trouvait entre deux lieux. Un peu comme si Genève était là présente, mais simultanément dissimulée, et parallèlement l’image d’une autre ville émerge, mais de façon fragmentée et fugace. A la manière d’un souvenir aux contours estompés, approximatifs qui surgirait à l’esprit inopinément. Il suffit parfois d’un son, d’une odeur pour faire surgir à l’esprit un souvenir et nous dérober à la réalité. Tout à coup, le souvenir apparaît au premier plan de notre conscience, il se superpose à la réalité qui nous entoure, puis s’efface. C’est un peu ce mécanisme que j’ai cherché à mettre en œuvre dans cette cage d’escalier. En travaillant avec des images de villes, je voulais parler de la migration, du déplacement des individus ou des populations. Comment le souvenir d’une ville quittée par un émigré se superpose à réalité de la ville dans laquelle il habite désormais, comment souvenir et réalité fusionnent. Et puis, il y a également l’idée de la mémoire, de la remémoration. Les images projetées sont en noir et blanc et présentent des contours légèrement estompés. Cette esthétique rappelle les anciennes photographies ; cette forme contient donc déjà l’idée du souvenir. — Qui fréquente cette cage d’escalier ? — Plus on s’élève dans la cage, plus elle devient claire en raison de la lumière naturelle zénithale qui provient de la lucarne située au sommet de la cage. Dès lors, l’intensité de la projection faiblit et le mécanisme du dispositif s’atténue. Comment avez-vous travaillé avec ce paramètre ? A. P. W. : à un moment donné, j’ai pensé à fixer un filtre sur la lucarne pour assombrir le haut de la cage ou même à intervenir différemment au sommet de l’escalier. Puis j’ai décidé que c’était intéressant de travailler avec cette contrainte. Cette lumière naturelle, qui évolue au fil de la journée et au rythme des saisons, vient influencer mon installation en lui donnant une sorte de pulsion et de progression. Je suis contente que le projet vive un peu comme une respiration. Et puis l’idée d’effacement, de disparition apparaît de façon renouvelée par cet aspect. A. P. W. : seulement le personnel. C’est une zone un peu sensible apparemment. Elle a peu de lumière, c’est un peu un no man’s land. — — Est-ce votre première commande pour l’espace public ? Certaines des villes que vous avez choisies ont connu de récentes tragédies ou sont aujourd’hui encore en grande tension ; leur présence résonne particulièrement dans cette cage d’escalier liée au secteur asile de l’OCP. D’autres apparaissent bien plus apaisées et représentent des destinations touristiques de premier choix. Comment s’est faite la sélection de ces villes ? A. P. W. : oui, c’est ma première commande. Elle m’a offert un cadre de travail que j’ai apprécié et que j’ai trouvé très stimulant. Il nous oblige à nous confronter à des réalités très pratiques telles que réaliser un dossier présentant le projet, collaborer avec d’autres corps de métier (électricien) pour la mise en place de l’installation. Mais c’est aussi exigeant, il faut que le projet soit vraiment bien pensé et finalisé du point de vue technique. C’est un long processus et parfois je me suis senti un peu impatiente. Mon travail est en plein développement, je viens d’entrer en deuxième bachelor et, parfois, j’avais envie d’aller plus vite, de passer à d’autres projets, d’essayer d’autres choses. A. P. W. : j’ai cherché une sorte d’équilibre entre des villes plus tranquilles qui évoquent davantage les vacances, les loisirs et des villes qui avaient des connotations plus tragiques. Il est vrai qu’à un moment donné je me suis demandé si je donnais un trait plus politique à mon installation, en choisissant des villes plus sinistrée. Puis, je me suis rendu compte que le propos dont je voulais parler se trouvait également dans le dispositif même de mon 16 installation et qu’il n’était pas nécessaire de faire une surenchère de cet aspect dramatique. Par rapport aux usagers, je voulais aussi ponctuer la cage avec des lieux qui évoquent davantage l’évasion, la légèreté. — 17 A un moment donné vous avez dit « j’espère que l’installation va plaire aux usagers ». Il est difficile de prévoir la réception du public, comment avez-vous travaillé avec cette inconnue ? A. P. W. : oui, dans la mesure où j’ai répondu à une commande, j’aimerais vraiment que l’installation plaise aux usagers du lieu. Qu’ils trouvent la pièce agréable à vivre et qu’ils n’en aient pas assez au bout de deux semaines ! J’ai pris en compte le confort des usagers, en faisant attention à ce qu’ils ne reçoivent pas les faisceaux de lumière dans les yeux par exemple. Et puis, l’installation se découvre dans le temps, elle ne se livre pas forcément entièrement au premier coup d’œil ou passage dans l’escalier. L’usager pressé ne réussira pas forcément à saisir tout le dispositif la première fois. Cet aspect suscitera peut-être la curiosité et repoussera l’effet de lassitude. Et si le public n’aime pas cette intervention et bien, ce n’est plus ma responsabilité, je n’ai plus de contrôle là-dessus... — Les interventions resteront visibles pendant dix ans. Est-ce long ou est-ce court ? Est-ce que le projet continuera à être éloquent sur une telle durée ou pensez-vous qu’il puisse devenir plus silencieux ? A. P. W. : c’est très très long. C’est la possibilité qu’offre l’OCP mais je ne pense pas que les interventions resteront visibles aussi longtemps. Il y a aussi des œuvres qui sont aujourd’hui démodées, dépassées mais qui continuent quand même à être éloquentes, car elles traduisent un investissement, une réflexion à un moment donné. Alors, effectivement, peut-être que dans dix ans, cette installation sera moins parlante… oui, c’est fort possible. Je n’y pense pas vraiment… Au moment où je l’ai faite, c’est-à-dire maintenant, j’ai travaillé avec sincérité et engagement. Et il me semble que c’est ce qui importe. Miasto Meryl Schmalz et Robert Topulos alias Bärltz Nous sommes au haut de la cage d’escalier, face à votre intervention. Ici, elle présente une ville, vraiment dense et d’une grande mixité architecturale. Comment se déplie votre projet dans la cage d’escalier ? Meryl Schmalz et Robert Topulos : oui, en haut de l’escalier, c’est la partie la plus dense du projet. L’idée était vraiment d’inscrire une évolution, une progression depuis le rez-de-chaussée jusqu’au quatrième étage. Donc tout en bas, c’est comme le commencement, avec peu d’éléments représentés contre les murs. Et tout en haut, c’est un moment de saturation, qui nous donne à voir une ville tentaculaire, avec un grand mélange d’architecture. De nombreux bâtiments citent des architectures réelles ou s’en inspirent dans une grande mesure. Mais à les regarder de plus près, on se rend compte qu’ils sont transformés et qu’ils prennent des libertés par rapport à une représentation fidèle. En ce sens, ils deviennent plus ou moins imaginaires. D’autres sont de pures inventions. Par cette mixité, nous voulons aussi dire que nous n’avons pas une position déterminée ou fixée par rapport à une culture. Par exemple, nous avons représenté des églises russes orthodoxes juxtaposées à des minarets. Tout est mélangé et dans la réalité cet entremêlement est peu probable. Ce paysage culturel que nous représentons est un peu forcé. — 18 S’agit-il pour vous d’une ville utopique construite sur un syncrétisme de nombreuses cultures ? Est-ce une ville idéale ? M. S. et R. T. : non, elle n’est pas forcément idéale. Il y aurait peut-être l’idée d’une ville utopique, dans laquelle tout peut exister, se côtoyer. En même temps, cette ville peut encore se construire, elle n’est pas terminée. Ici et là, on voit des grues qui indiquent le chantier, la progression de la construction. Donc, comme pour toute ville, elle n’est pas figée ; elle vit, se développe, s’agrandit. Le développement ne finit jamais. — Cette ville apparaît tentaculaire, elle ne semble plus être à l’échelle humaine. Pourtant, il s’agit d’une ville pleine de mixité et je me demandais où était l’individu. Il n’apparaît pas, la ville est vide. N’a-t-il donc pas sa place dans cette ville utopique ? M. S. et R. T. : c’est comme à New York par exemple, c’est une ville dense et l’architecture est parfois écrasante. Le projet aurait été différent si nous avions représenté des humains. Nous l’aurions construite différemment. Il n’y aurait pas eu cette densité. L’être humain est finalement représenté par l’architecture. Le fait qu’il ne soit pas représenté provient également des différentes perspectives qui construisent la composition ; nous sommes dans un dessin très spontané et souvent, nous ne sommes pas dans la justesse. Les échelles entre les bâtiments sont très changeantes. — Est-ce que votre collaboration est nouvelle, est-ce une première ? Comment avez-vous travaillé ? M. S. et R. T. : non, il ne s’agit pas de notre première collaboration. Nous avons déjà beaucoup travaillé ensemble. Pour ce projet, au niveau de notre organisation, nous nous sommes entendus au départ sur le style. Au niveau de la réalisation, nous nous échangeons parfois les rôles : l’un fait les tracés, l’autre se concentre sur les textures ou inversement. Parfois, nous construisons chacun une architecture de bout en bout. L’idée était d’arriver à une véritable fusion de nos styles, de sorte à ce que l’on ne distingue pas l’intervention de deux mains différentes. — Au niveau de la composition, travaillez-vous de façon linéaire, en progressant de haut en bas ou commencez-vous à poser des éléments sur plusieurs étages que vous complétez ensuite ? M. S. et R. T. : au niveau de la réalisation, nous terminons généralement un mur avant d’engager le suivant. Au vu de la particularité de son revêtement, il y a toujours un mur que nous ne pouvons pas utiliser et que nous devons laisser vide. Il a donc fallu tenir compte de cette contrainte dans la progression de la narration. Nous veillons toujours à avoir une liaison entre la fin d’un mur et le début du suivant, en tenant compte du mur vide. Au niveau de la narration, nous sommes restés fidèles à notre idée de base, c’est-à-dire qu’il y a une densité architecturale au sommet de la cage et que plus nous descendons, plus la composition s’allège. Nous nous rendons compte que lorsque nous arrivons dans les endroits où il y a moins d’immeubles, où la composition s’est éclaircie, la narration devient plus importante, elle a plus de sens. Peu à peu, nous quittons la ville pour nous retrouver dans la banlieue. Puis, dès le milieu de la cage, la nature et le paysage émergent. 19 Des hameaux remplacent la grande ville, l’humain semble retrouver une place possible. Au niveau de la réalisation, la composition se génère d’elle-même, au fur et à mesure de son développement. Il y a beaucoup de spontanéité dans la composition. Il ne s’agit pas d’une composition réfléchie dans tous ses détails. Parfois des bribes de narration apparaissent presque d’elles-mêmes, mais vraiment à l’échelle du détail. — Que signifie Miasto ? M. S. et R. T. : Miasto signifie « ville » en polonais. Cet emprunt à la langue polonaise vient renforcer l’idée de mixité culturelle dont nous parlons avec notre projet. — Sur quel axe thématique émanant de la commande avez-vous développé votre projet ? M. S. et R. T. : le thème que nous avons surtout retenu était celui du multiculturel. Mais il est vrai que le thème de la migration apparaît aussi, par le déplacement. Notre ville réunit des bâtiments qui ont été déplacés de leur ancrage original. Des bâtiments phares de différents pays se retrouvent côte à côte. Dans la même rue, on passe de New York à Sidney. Cela parle d’une certaine façon de la migration. L’idée est aussi que les maisons que nous construisons font référence à une culture ; elles ont leur propre origine ; comme si chaque bâtiment symbolisait un individu de culture différente. — Il y a déjà deux mois que vous travaillez à l’OCP, avez-vous eu l’occasion d’échanger avec les usagers du lieu ? M. S. et R. T. : oui, il y a eu plusieurs échanges. Il est arrivé plusieurs fois que les gens rebondissent sur la présence des minarets, en disant qu’ils n’étaient pas assez visibles. Nous voyons donc plutôt le public se positionner par rapport à notre proposition. Les gens sont surtout curieux de savoir comment nous procédons, comment nous construisons notre intervention. Ils se questionnent aussi sur l’identité de la cette ville ; comme ils reconnaissent des bâtiments, ils pensent tout à coup avoir identifié une ville, mais ils se rendent compte aussitôt que ce n’est pas celle qu’ils croyaient. Il semble qu’ils aient besoin de se repérer, de se situer. Et dans la liberté artistique, vous êtes-vous sentis contraints ou restreints ? M. S. et R. T. : non. — Vous travaillez dans la cage d’escalier réservée au personnel de l’OCP. Les gens que vous rencontrez travaillent sur des dossiers délicats, peut-être sontils dans des processus décisionnels importants liés au statut d’individus ou de familles en Suisse. Ressentez-vous une tension dans ce lieu et est-ce un paramètre qui aurait pu influencer votre composition ? M. S. et R. T. : nous ne le ressentons pas comme tel, mais nous en sommes conscients. Par contre, ce paramètre n’influence pas notre projet pour autant. Si nous avons envie de faire quelque chose, nous le ferons. C’est vrai que lorsque nous travaillons, nous sommes immergés dans nos pensées et nous ne réfléchissons pas forcément à tout ce qui se passe autour… Ce qui nous frappe surtout, c’est le paradoxe entre ce que nous faisons et ce que ces gens font ici toute la journée. Nous avons l’impression que c’est plutôt eux qui sont davantage interpellés par notre travail, que nous par eux. Nous ne nous demandons pas constamment ce qu’ils font, ce qui se passe avec leurs dossiers. Ils font de la bureaucratie, de l’administration, ce qui n’est pas forcément drôle. Parfois, certains nous disent qu’ils aiment bien dessiner et que nous voir à l’œuvre leur fait envie. — Avez-vous souhaité prendre une position critique par rapport aux activités du lieu à un moment ou l’autre ? M. S. et R. T. : nous avons une position critique par rapport au lieu et à ses activités que nous avons traitées sous une forme humoristique. Les usagers du bâtiment pourront découvrir des éléments traduisant notre position au fur et à mesure de leur déambulation dans la cage d’escalier. Cela étant, nous ne sentons pas le besoin de laisser à tout prix un message dans ce lieu. Ce qui nous importe et que nous avons pu voir au quotidien pendant la durée du chantier, c’est la réaction des usagers : l’intervention provoque leur curiosité. Ils semblent avoir du plaisir à plonger leur regard dans le dessin, comme s’il leur offrait un moment de récréation, une diversion. Entre autres, c’est ce que nous gardons de cette expérience. — Est-ce que travailler avec une commande, qui précisait clairement ses souhaits et donnait des pistes au niveau formel, s’est révélé contraignant ? M. S. et R. T. : par rapport au concept, nous n’avons pas trouvé qu’il y avait beaucoup de contraintes ; nous n’avons donc pas ressenti les demandes du commanditaire comme telles. Nous avons été complètement libres. Par contre, ce serait plutôt au niveau de la réalisation que les contraintes sont apparues, par exemple, au niveau des horaires. Nous apprécions de travailler beaucoup d’heures d’affilée. Mais ici quand nous sommes bien lancés, nous devons nous arrêter. — 20 21 Sont-ils reconnaissables et identifiables ou s’agit-il d’inventions ? G.Z. : ils sont un peu imaginaires. Au début, nous étions dans une optique plus scientifique mais peu à peu nous avons abandonné cette idée pour des raisons diverses. Comme l’oiseau est tramé, il est déjà un peu abstractifié et partant de là, nous avons parfois forcé le trait imaginaire. Lorsqu’ils se superposent, ils deviennent moins lisibles. B. G. : nous nous sommes basés sur quatre causes d’immigration en Suisse, trouvées sur le site de la Confédération : politiques et économiques, image du pays, sécurité personnelle, désastre naturel. Chacune de ces causes est représentée par une trame différente. Et puis, il y a encore quatre couleurs, utilisées aléatoirement, en fonction de l’équilibre chromatique de la composition. Elle dit la mixité, la pluralité. Donc une même trame peut être de différentes couleurs. La couleur n’a pas d’identification précise. — La frise que vous avez composée comprend un certains nombres d’éléments visuels et textuels. D’une part, il y a les oiseaux représentés par des trames, des couleurs et des tailles différentes. D’autre part, des éléments textuels sont partie prenante de la composition, apparaissant au même niveau que les oiseaux ; ils donnent des chiffres et retracent une histoire récente de l’immigration en Suisse. Des textes relatifs aux causes d’immigration puisés dans les statistiques officielles de la Confédération viennent compléter le propos. Le projet présente donc un caractère documentaire. Est-ce que cette composition devient une sorte de graphique, une mise en forme visuelle et esthétique d’un ensemble de données statistiques qui se déploierait dans la cage d’escalier ? Oiseaux migrateurs La cage d’escalier que vous avez investie est la seule ouverte au public. Comment avez-vous répondu à la commande, autrement dit sur quels éléments est-ce que votre projet s’appuie par rapport à la thématique donnée par le commanditaire, par rapport au lieu et par rapport à sa réalité architecturale ? Bastien Guillan, Lucien Mottet et Guillaume Zwaan Guillaume Zwaan : à partir de la thématique population mouvements et migration, nous avons essayé de trouver un symbole qui puisse être compris par tout un chacun et donc nous avons trouvé l’oiseau. Bastien Guillan : oui, l’oiseau migrateur parle à tout le monde ; le rapprochement avec la migration, avec le déplacement se fait quasi spontanément. C’est donc le symbole de base sur lequel nous avons construit notre projet. G. Z. : puis nous avons décidé de l’articuler dans cette cage d’escalier, de l’inscrire dans une large composition qui révélerait une idée de mouvement, de flux de population. B. G. : nous voulions surtout donner une dynamique à notre composition. Comme il s’agit d’un escalier et qu’il induit un mouvement du bas vers le haut, car le public peut l’emprunter depuis le rez-de-chaussée pour aller dans les étages supérieurs, nous avons travaillé sur l’idée d’élévation, l’élévation des oiseaux, leur envolée, et donner à voir un flux disparate dans la cage. En ce qui concerne les tailles des volatiles, c’est un élément esthétique qui vient rythmer la composition. G.Z. : oui, ce sont tous des oiseaux migrateurs. Par contre, les oiseaux ne symbolisent pas un pays en particulier. G. Z. : cependant, pour renforcer la compréhension de notre idée, nous avons introduit des textes. L’idée de base, de flux, de migration est vite compréhensible. Mais nous voulions donner une idée plus précise ; nous voulions pointer de façon claire les causes de l’immigration sur lesquelles nous nous sommes basés pour notre projet, citer également nos sources, en introduisant des textes officiels. Cela donne la possibilité de se projeter dans cette frise de plusieurs façons ou simplement de s’informer sur l’immigration en Suisse. En donnant des sources officielles, il y avait aussi l’idée de rester neutres, car nous ne sommes pas des experts dans ce domaine et nous ne voulions pas interpréter nos sources. — — — Votre composition comprend plusieurs espèces de volatiles. Sont-ils tous des oiseaux migrateurs ? Au niveau du choix, est-ce que chaque oiseau est représentatif d’un pays connaissant une forte émigration ? 24 G. Z. : en fonction du temps de travail que nous avions pour développer ce projet et en fonction de la taille même du projet, il n’était pas réaliste de vouloir introduire ce rapport avec les statistiques et donc de construire un graphique. Notre intervention s’est construite sur un point de vue esthétique. Il n’y a pas deux strates de lecture. 25 Y a-t-il une volonté d’information voire d’éducation sous-tendue à votre projet qui serait destinée autant au personnel qui travaille quotidiennement dans cet office qu’au public qui emprunte occasionellement l’escalier ? La commande était précise sur la forme souhaitée (plutôt figurative avec une dimension narrative) : était-ce là des éléments contraignants ou au contraire sources de défi ? G. Z. : ce qui apparaît dans les quatre textes donne matière à réfléchir. Personnellement, j’ai beaucoup appris sur les causes de l’immigration en Suisse par ce projet. Par exemple, si je devais aller me faire faire des papiers dans cet office, je prendrais conscience qu’il y a d’autres causes que les miennes. Ces données prennent une résonnance particulière dans ce lieu. B. G. : à la base comme c’était un concours, il y avait l’idée de se faire plaisir dans l’esthétisme, dans le concept. Nous sommes partis dans l’optique de faire quelque chose qui nous plaise, sans nécessairement faire plaisir au commanditaire. Nous avons été très vite dans le thème (population, mouvements et migration) et l’idée de narration, de figuration, voire de progression etc. représentaient pour nous plutôt des paramètres de travail. Et c’est à chaque fois intéressant de répondre à des paramètres. C’est ce que l’on a fait tout au long du projet. C’était très prenant de se plonger dans un projet réel. Nous avons appris de nouvelles spécificités de la sérigraphie. Ce sont de belles découvertes. B.G. : éducation me semble un peu fort, parlons plutôt d’information. Par exemple, dans la frise, on rencontre ici et là des oiseaux morts. Ils ne sont pas intégrés à l’ensemble, ils ne participent plus à l’envolée générale. Ils sont différenciés. Ce détail n’est pas anodin, il indique une certaine réalité. Le projet comprend donc une certaine honnêteté. La présence de ces oiseaux morts peut faire réagir, faire prendre conscience des risques et des dangers encourus par les migrants au cours de leur voyage. — Dans ce projet, qu’est-ce qui vous a d’emblée séduit, pourquoi avez-vous concouru ? — G. Z. : c’était l’idée d’avoir un projet particulier, qui s’inscrive dans un contexte complètement nouveau. C’était une opportunité à saisir et qui ne se présentera peut-être plus dans notre formation. Votre frise présente une progression (densité, allègement, etc.) dans sa composition et une narration, que raconte-t-elle ? B. G. : la composition est très dense au bas de l’escalier puis s’allège pour revenir dans la densité et finalement s’alléger au fur et à mesure que l’on atteint le sommet de la cage d’escalier baignée dans une lumière naturelle provenant des vitres situées au sommet de la cage. Les premiers étages sont davantage plongés dans une (semi-) obscurité, car les lumières artificielles sont relativement faibles. G. Z. : par transposition, la composition parle également des obstacles et des difficultés que doivent traverser les migrants pour arriver jusqu’à leur destination, et leur long parcours peut se terminer dans la lumière lorsque le but (pays) est atteint. En outre, le dernier étage du bâtiment est celui des naturalisations ; il représente l’étape finale du parcours d’un migrant au sein de l’OCP, en ce sens qu’après différents permis, il peut espérer obtenir la naturalisation. Il y a donc comme une progression et la composition est assez symbolique. La lumière au sommet de l’escalier représente un peu la liberté et les fenêtres permettent de sortir de la cage. — Déplacement Carolina Guillermet La cage d’escalier que tu as investie est celle utilisée par les membres de la direction. Tu as utilisé quatre couleurs pour peindre les murs de la cage d’escalier ; s’agit-il d’une composition, comporte-t-elle une progression ? G.Z. : nous avons travaillé sur plusieurs paramètres. Tout d’abord, au niveau de la conservation de l’oeuvre, les sérigraphes ont tenu compte de cette donnée temporelle. Il pourrait y avoir du vandalisme, mais à petite échelle. Nous avons vu du reste quelques petites inscriptions faites ici et là dans les couloirs. Mais le vandalisme est aussi un témoin du temps, et en ce sens il devient intéressant. Les textes présents à chaque étage permettent de se souvenir à travers le temps des causes de l’immigration en Suisse. Ces textes deviennent des jalons temporels, historiques. Carolina Guillermet : une couleur est attribuée à chaque mur composant la cage d’escalier. Deux nuances de rose pour deux murs et deux teintes de bleu vert pour les deux autres murs. La couleur est appliquée de façon très fluide sur les murs, laissant apparaître la porosité du béton. Je ne voulais pas une couche opaque qui étouffe le mur, mais davantage une couleur qui pénètre dans ses aspérités. La pose de la couleur évolue dans la cage, allant d’une régularité à une forme plus hasardeuse, qui présente des coulures, notamment dans le haut de la cage, sous la lucarne. La lumière, artificielle dans les étages, puis naturelle sur les hauts de la cage, vient aussi moduler la couleur, la faisant évoluer. Ainsi, un même mur coloré apparaît différemment à chaque étage, brouillant légèrement les repères ou la systématique qui pourrait apparaître en parcourant l’ensemble de la cage. Cette modulation évolue au fil de la journée et des saisons avec la progression de la lumière naturelle. — — Les œuvres resteront en principe visibles dix ans. Comment avez-vous tenu compte de cette donnée temporelle, était-elle influente dans la conception de votre projet ? 26 B. G. : deux critères m’ont paru très intéressants : la liberté que laissait la commande mais aussi sa dimension, la taille conséquente du projet. Et puis l’idée de réaliser quelque chose dans une architecture, de développer une proposition in situ s’est révélée très motivante. 27 La commande émise pour le concours listait un ensemble de paramètres relativement précis quant à la forme souhaitée de l’intervention (narration, progression, figuration plutôt qu’abstraction). Ton intervention basée sur la couleur contourne ces données et je me demande sur quels paramètres s’appuie ton projet ? C. G. : très honnêtement, je trouvais quelque peu ironique de réaliser des interventions artistiques dans les cages d’escalier d’une institution dédiée à la politique d’accueil en Suisse et traitant des affaires délicates. En effet, le public qui se rend dans ce lieu a beaucoup d’attentes et d’espoir ; sa situation est fragile. Il vient ici pour des demandes de papier pour pouvoir (continuer à) résider en Suisse, pour obtenir des autorisations de travail. A chaque moment du processus, ses demandes peuvent être déboutées. En réfléchissant à la commande, en pensant à la situation du public, j’ai trouvé que c’était quelque peu cynique de faire des interventions artistiques dans ce lieu, pour l’embellir ou le rendre plus accueillant. Je ne suis pas sûre que les interventions artistiques contribueront à ce que les gens se sentent mieux dans ce lieu, qu’elles permettront de chasser les tensions. Aussi, j’ai décidé de ne pas adopter une position politique de façon figurative et j’ai cherché une solution de contournement en choisissant de travailler avec la couleur. La couleur peut rappeler la diversité, elle crée des ambiances, elle crée des architectures émotionnelles qui peuvent influencer notre mental. A un moment, tu as parlé de « pacifier l’espace », est-ce que cela nous renvoie à la fonction de l’œuvre dans le lieu ? Endosse-t-elle (malgré elle) un rôle de « médiateur », en venant adoucir les tensions ou les conflits du lieu ? C. G. : oui, peut-être. Mais je ne crois pas que « pacifier » soit le bon mot, car si je vois le contexte sous cet angle-là, j’ai bien peur de partir avec le présupposé qu’il y aurait des conflits, des tensions, des luttes ; et de confirmer ces éléments, ce serait comme de les normaliser. J’aurais très peur que l’œuvre tombe dans une espèce d’illustration un peu simpliste ou une sorte de propagande. — Avec ta composition de couleur, de facto abstraite, as-tu opté pour une position plus silencieuse ou muette ? C. G. : plutôt silencieuse que muette. Ce silence est volontaire, il traduit une position. En choisissant de ne pas parler directement de la migration, des mouvements de population, de ne pas traiter frontalement les thématiques politiques inhérentes à ce lieu, j’ai cherché à parler d’une autre façon de ce sujet, de pointer des choses différentes, d’éviter les clichés. Lorsque l’on travaille dans le cadre d’une commande et qu’il y a des demandes précises sur telle ou telle thématique, il est parfois facile de tomber dans des clichés ou alors de prendre en charge des revendications qui ne sont pas les nôtres. En quelque sorte, l’institution nous canalise, nous dirige dans sa demande. — Peux-tu parler de cette architecture émotionnelle, de l’influence possible de la couleur sur la disposition mentale des gens ? C. G. : en fait, je pense que la couleur peut induire ou influencer des états psychiques. J’ai beaucoup étudié le travail de Luis Barragán, l’architecte mexicain. J’avais aussi en tête l’intervention que Peter Roesch, qui enseigne à la HEAD – Genève, a réalisée dans une école à Zurich, basée complètement sur la couleur. En étudiant ces deux artistes, j’ai compris comment fonctionnait la couleur dans les espaces. La couleur est une matière tridimensionnelle qui construit véritablement l’espace ; elle crée l’architecture. Donc, j’ai trouvé très intéressant de me concentrer sur l’aspect de la circulation dans la cage d’escalier, sur le déplacement des usagers. Il s’agissait d’envisager la globalité de la cage d’escalier, de voir comment la circulation intervenait dans ce lieu. Il y avait aussi l’idée de la balade architecturale : à chaque moment au cours de sa déambulation dans la cage d’escalier, l’usager peut voir des perspectives de couleurs qui génèrent des ambiances, des espaces, un peu à la manière des peintures de Mark Rothko. Ces éléments ont constitué les références de ce projet. — 28 — A priori, la forme de ton projet ne répond en rien à ce qui a été demandé… C. G. : oui, c’est intéressant et je ne sais pas vraiment comment il a été interprété et pour quelles raisons il a été retenu. Peut-être que la couleur donne une idée de mixité, de pluralité. Et les couleurs offrent des points de repère dans l’escalier, elles orientent l’usager, le situent dans l’espace. — Peut-être que le dossier a été retenu sur un malentendu qui serait une sorte de grand écart d’interprétation entre l’émetteur et le récepteur… Par rapport à la pratique de l’atelier, qui offre beaucoup de liberté, estce que les demandes du commanditaire deviennent des contraintes ou au contraire peuvent-elles être envisagées comme des défis qui te permettent de transgresser ton cadre de réflexion ? C. G. : personnellement, je sens plus de liberté lorsque je travaille dans l’atelier que dans le cadre d’une commande publique, évidemment, car il n’y a pas ou peu de contraintes extérieures. Même si c’est paradoxal, je pense qu’il ne faut pas trop penser à l’usager lorsqu’on travaille dans l’espace public. Il faut prendre en compte les spécificités du lieu, comme son architecture par exemple. Et en prenant en compte ce paramètre, c’est comme prendre tacitement en compte ses usage(r)s. Mais je ne pense pas qu’il faille positionner les usagers, le public au premier plan lorsqu’on réfléchit à une commande publique. En fait, il faudrait se soustraire des 29 attentes du public, car elles sont souvent présupposées. Je ne crois pas qu’il soit possible de faire un projet qui détermine précisément comment se comportera le public. Par exemple, dans l’urbanisme, même lorsqu’un lieu est planifié, comme une grande place, il n’est pas gagné d’avance que le lieu sera plus dense et plus riche au niveau de son public. Je pense qu’un lieu fonctionne davantage d’une façon spontanée. Et cela est difficilement prévisible. — Est-il difficile de rester intègre avec sa démarche, ses idées dans le cadre d’une commande publique ? Y a-t-il beaucoup de négociations dans un tel projet ? C. G. : oui, je pense que c’est un équilibre délicat. En fait, les contraintes sont souvent d’ordre techniques ; elles peuvent fortement limiter le développement d’un projet. Il y a aussi des petits éléments techniques qui peuvent s’avérer très contrariants sans pour autant être insurmontables. On parle parfois des langages très différents entre le commanditaire et l’artiste et il est difficile de se comprendre sur certains points. La présence d’un interlocuteur artistique, connaissant autant le terrain artistique que le contexte du commanditaire, optimiserait certainement la communication. Il pourrait faire le relais entre le commanditaire et l’artiste. Cet acteur m’apparaît très important dans le cadre de la commande publique. — Le projet restera visible dix ans. C’est une longue durée mais il y a toutefois une échéance donnée d’emblée. Est-ce que cette durée déterminée a influencé ton projet, t’aurait-elle poussée vers l’abstraction ? C. G. : non, que ce soit pour dix ans ou pour une année, mon projet serait abstrait et il ne changerait pas. Par contre, le fait que la peinture soit une sorte d’aquarelle qui recouvre le béton et pénètre dans sa structure est un paramètre réfléchi en fonction de cette donnée temporelle. Elle s’intègre au béton et peut-être que, petit à petit, cette couleur va s’estomper, voire disparaître. Et je trouverais cela très bien : ce serait l’idée d’un geste, presque organique, qui disparaîtrait de lui-même, une sorte de respiration. — Qu’est-ce qui t’a séduite dans ce projet au départ et qui t’a motivée à concourir ? C. G. : peut-être l’idée du défi, celui d’introduire une pièce artistique dans un lieu si difficile, si dense politiquement, très institutionnalisé et qui d’une certaine façon représente la situation fragile de certaines personnes qui résident ici (à Genève). L’enjeu pour moi était de réfléchir à ce qu’il était possible de mettre en place dans un tel lieu. Quel angle d’approche pouvait être possible ? Surtout, je ne voulais pas donner une réponse illustrative ou adopter une forme visuelle politique ; je ne souhaitais pas donner un retour sur la thématique. Cela a été dès le départ ma position dans ce projet et elle m’apparaissait comme la seule issue possible. Aussi, c’est là peut-être ma position politique et artistique. 30 Terre inconnue Sophie Ros et Aurélia Calo A partir du thème, nous nous sommes concentrées sur l’idée de mouvement et de migration. Les principes de flux et de déplacement nous ont amené à traiter le thème du voyage. Nous ne souhaitons pas prendre une position autoritaire, mais au contraire aborder le sujet de manière forte par une approche poétique, en vue d’apporter une dimension plus sensible et accueillante à ces lieux. Nous voulons faire voyager le visiteur. Pour cela, nous avons décidé de ne pas montrer des paysages réalistes, qui pourraient devenir des clichés, ou cibler trop précisément certains lieux, mais au contraire de rester dans l’abstrait, pour que tout un chacun puisse (re)trouver quelque chose de plaisant qui lui serait propre dans ces paysages imaginaires. 31 LA LIGNE GRISE Séverin Guelpa Les courants migratoires répondent à des réalités économiques ou politiques fluctuantes, implacablement dictées par la dureté de conditions de vie, la misère ou des situations de conflit. La ligne grise, du terme technique désignant la ligne de démarcation entre la partie éclairée de la terre et celle plongée dans l’obscurité, parle de cette frontière mouvante entre le sud et le nord, l’est et l’ouest, marquant symboliquement les inégalités sociales et économiques du globe dans une répartition sans cesse changeante. Ce projet s’intéresse à cet entre-deux, cette zone sombre, jamais entièrement éclairée, état incertain dans lequel vivent quotidiennement des millions de personnes à travers le monde. Immigrés, réfugiés ou clandestins, autant d’individus qui ont un jour été déracinés, qui ont dû prendre la route sans autre bagage que leur expérience et leur savoir-faire. Ce projet parle de trajectoires, d’efforts et de reconnaissance en évoquant à travers la confection de voiles les conditions de vie des migrantes souvent obligées de renoncer au métier qu’elles ont appris pour accepter dans leur pays d’accueil les tâches les plus précaires, les plus dévalorisées. LA LIGNE GRISE est ainsi un projet collectif imaginé avec trois femmes migrantes et sans-papier domiciliées à Genève. Originaires du Brésil et de Bolivie, elles ont toutes étudié ou pratiqué le stylisme dans leur pays d’origine pour aujourd’hui à Genève gagner leur vie de petits travaux de retouches. En leur demandant d’élaborer et de réaliser une série de voiles qui seront tendues dans les escaliers des 4 étages du bâtiment de l’Office cantonal de la population, c’est symboliquement l’histoire de leur propre exil, de leur propre parcours qui est ici abordée. 32 Flag Océane Izard Un drapeau représente l’identité collective d’une population, d’un pays, d’un monde. Il permet, grâce à ses couleurs et à son emblème, de se distinguer. Ainsi la notion de drapeau à l’OCP aura valeur de signal et de marque. L’idée principale du projet est de créer un effet de mixité et de mouvement entre toutes les populations représentées par ces différents drapeaux. L’intérêt n’est pas de les reconnaître tous. Ces drapeaux forment ensemble une identité, celle de l’OCP. L’anamorphose est utilisée pour créer visuellement l’idée de mixité et donner ainsi une dynamique à cet espace. L’utilisation de superposition permet d’effacer les limites des territoires. Un drapeau c’est un pays, une identité à laquelle on se réfère ; on peut être aussi « nationaliste », chauvin... C’est le propre d’un pays parfois peu enclin à accepter d’intégrer ceux qui demain peut-être seront Suisses. D’où l’envie de montrer que le drapeau est avant tout un jeu formel qu’on éclate et qu’on mélange comme la population, et ainsi d’en faire un artifice joyeux, une tapisserie ethnique et de couleurs. 33 Tapisserie tropicale Guillaume Fuchs et Nelly Haliti Migration, population et mouvement sont autant de concepts qui constituent le champ d’un rêve d’ailleurs aussi galvaudé qu’actuel. Notre travail pictural, qui puise son inspiration dans la figuration narrative et les icônes pop, lesquelles sont fréquemment invoquées aujourd’hui dans une réflexion sur les relations entre art et industrie, et qui d’autre part rejoignent l’imagerie exotique véhiculée par les médias occidentaux. Au-delà de l’aspect léger et coloré de l’ensemble, nous questionnons, de manière implicite, les enjeux d’une société postmoderne qui déjoue toutes velléités de découvrir des territoires encore inexplorés. Nous avons réuni une série d’images stéréotypées mais séduisantes qui se confondent les unes avec les autres pour produire une composition qui tende vers l’abstraction. Notre projet consiste à réaliser huit motifs sérigraphiés à même le mur. Des images exportées viennent se confronter à une imagerie contemporaine : plante et fruits exotiques, avions, animaux. Ces motifs imbriqués les uns aux autres arborent des couleurs irisées, dans des tons variés. Les patterns qui en résultent renvoient à la tradition du papier-peint qui donne, pour les visiteurs et les employés de l’OCP, comme une invitation à se sentir chez soi. Ce procédé offre la possibilité de jouer avec l’architecture ; la couleur du béton est préservée entre les patterns et leur agencement nous permet de jouer avec les lignes du bâtiment. La permutabilité des motifs sert d’une part la flexibilité du projet et, d’autre part, à créer des effets de gradation d’un étage à l’autre. Plus on monte dans les étages plus les patterns superposés et juxtaposés s’accumulent jusqu’à rendre illisible l’élément figuratif. La notion de migration est alors explicitée par le fait que cet ensemble iconographique ne s’apparente pas à la réalité mais à une stylisation graphique qui gravite autour d’un rêve insaisissable. Aux Iris Suzanne Perrin 44 photographies réparties sur les paliers de la cage d’escalier réservée au personnel de l’OCP, comme des cartes postales. Promenade Osiris. Regarder le chez-soi comme un ailleurs. Mi-chalets, mi-cabanes, village de pêcheurs, résidences de vacances, ces habitations sont réservées aux résidents de la ville d’Yverdon, habitables cinq mois par année selon le règlement. Avoir un endroit autre que celui du quotidien dans sa propre ville. Posséder une petite maison individuelle, un extérieur proche, en lien avec la nature. Portails, haies, séparations, propriété privée en même temps que lieu communautaire, cette promenade montre une situation de l’habiter faite de compromis, un espace de liberté et d’illusion de liberté peut-être, à utiliser lorsque le règlement le permet. Une recherche sur l’origine du nom de la rue me parle également de l’ailleurs, de l’étranger. Initialement la rue fut baptisée « Promenade Osiris », en l’honneur d’un riche mécène égyptien qui résidait à Lausanne, Osiris Iffla. Avec le temps une méprise se produisit et c’est pourquoi aujourd’hui l’endroit est appelé « Aux Iris ». Je vois là un rappel des relations de la Suisse avec les ressortissants d’autres pays et, à l’OCP en particulier, avec des gens plus ordinaires peut-être qu’Osiris Iffla, vivant des situations souvent plus précaires. 35 Yes, but not to all ! Boutheyna Bouslama Je trouve que l’œuvre de Sylvie Fleury – le très rose et accueillant YES TO ALL (Néons à Plainpalais) – propose une réflexion sur l’accueil de la ville, en plaçant l’art dans une position chaleureuse vis à vis des flux migratoires. La situation administrative des jeunes artistes est plus complexe et difficile que ce que véhicule chaleureusement un YES TO ALL. Ils doivent quitter le territoire dès la fin de leurs études, ils n’ont pas la possibilité de faire partie de la vie active de la ville qui les a formés, qui les a adoptés artistiquement mais qui les expulse administrativement. Le mouvement des populations est désormais lié aux catégories de pays (européens/extra-européens). Débora Alcaine Vos papiers s’il-vous-plaît ! Qui n’a jamais entendu cette phrase dans sa vie ? Elle fait partie de notre quotidien, de nos déplacements et de nos démarches. De nombreuses situations nous amènent à devoir prouver notre identité. Les papiers témoignent pour nous. Attestations, certificats, formulaires, papiers d’identité et j’en passe. Nos vies, nos parcours, tiennent en une pile de feuilles. Ils sont le moyen qu’a l’institution de nous suivre depuis notre naissance et jusqu’à notre mort. Au sein de l’OCP il existe une salle d’archivage où des classeurs retracent les vies des citoyens du canton de Genève. Je propose donc de mettre en lumière et en néon rose la phrase phare de ce livre : Le projet Papiers à fleur de peau cherche pour ces raisons à réintroduire le corps dans l’institution. J’ai ainsi décidé d’utiliser les traces laissées par le coffrage lors de la construction : 144 petites cuvettes le long de la cage d’escalier. Dans ces réservations viennent s’insérer des disques en terre imprimés de photographies de peau. La peau : enveloppe protectrice du corps, premier organe en contact avec le monde extérieur, caractéristique à chacun. ALL ANIMALS ARE EQUAL BUT SOME OF THEM ARE MORE EQUAL THAN THE OTHERS La peau en tant que surface aussi mais cette fois-ci vivante. Le mur dévoilerait cette peau par endroits, rappelant le vrai enjeu : la personne en soi. L’écrivain britannique Georges Orwell (1903-1950) s’est attardé sur les liens entre les rouages de l’administration et les parcours humains, sur leurs flux de migrations et leurs mouvements, dans son livre Animal Farm (1945) qui s’avère d’une actualité étonnante dans notre société contemporaine. 36 Papiers à fleur de peau 37 FLUX Gustave Didelot Ce projet a pour but de permettre à l’usager, comme à l’employé, de perdre son regard dans la multitude d’objets dessinés, mais aussi de s’attacher à l’un d’entre eux plus particulièrement au moment où il utilise l’escalier. A chaque passage, on peut voir de nouveaux objets et ainsi penser à de nouvelles histoires. Les objets représentent deux choses : premièrement, c’est tout ce qu’une personne ou famille peut déplacer avec elle lors de n’importe quel changement, autant pour des raisons affectives que par nécessité, voire obligation ; ces objets sont en suspens, juste posés, exposés à tous les aléas de la vie ; deuxièmement, ces objets sont aussi le reflet d’une personne, de son sexe, de son âge, de son niveau social, de sa culture. Alors, même si certains objets ne donnent que peu d’informations (comme un frigo), d’autres vont en donner beaucoup plus (comme une paire de basket ou une belle gourmette). Ces objets sont ceux des personnes qui viennent à l’OCP, mais aussi du personnel qui y travaille ; ils représentent les points communs et les différences entre chacun. Narration abstraite Christoffer Ellegaard Le thème majeur abordé est la motivation des migrations, forcées ou choisies, causées par la guerre, une envie de changement ou de salaire. Qu’est-ce qui change quand on est ailleurs ? Des dessins de paysages, de plantes, véhicules et portraits sont accrochés les uns à côté des autres. Chaque dessin est basé non sur un pays existant mais sur un climat, une manière de vivre. La mise en place de ces panneaux les uns à côté des autres crée une narration abstraite, chacun peut ainsi faire ses propres liens, inventer ses propres histoires par rapport aux images mises en place. Les panneaux sont disposés sur le mur à diverses hauteurs comme une bande dessinée géante. 39 A very serious individual surival form Seda Yildiz The OCP’s call for projects focused on critical issues of culture identity and migration in Geneva, through the request to « design » the perception of its public spaces. For a relatively political space, for such an « international » office, and for a city which is considered as one of the most international cities in Europe, with up to 45% of population consisting of « étrangers » as they call, all the information forms are only in french, which immigrants are asked to fill on their arrival, even for those who are not able to speak French. L’Autre et l’Ailleurs Camille Silvain et Laurie Vannaz Nous nous sommes rendu compte de notre méconnaissance des situations complexes qui se jouent dans un bâtiment tel que l’OCP, car étant suissesses, nous n’y avons jamais été confrontées. Notre projet est alors volontairement fondé sur la grande distance que nous avons avec cette réalité. En réfléchissant à la fonction de l’OCP, nous pensons à la notion de l’Etranger. L’étranger comme personne, mais aussi comme fruit de la notion d’ailleurs, d’inconnu ou de presque inconnu. Que connaissons-nous réellement du reste du monde, des autres cultures, des autres modes de vie ? Nous croyons connaître chaque endroit de la planète car nous avons accès à une certaine information véhiculée par les médias. Mais notre perception de l’Ailleurs n’est-elle pas majoritairement influencée et faussée par des informations subjectives et lacunaires se basant souvent sur des clichés ? Clichés qui se sont glissés dans notre perception de l’Ailleurs et dont l’imaginaire collectif est imprégné sans que nous nous en rendions compte. En réponse à ces questions, nous avons décidé de (re-)raconter l’Ailleurs, à notre manière et avec humour, en fonction de notre subjectivité et en jouant avec les stéréotypes. Notre idée tient également compte du besoin d’évasion, de rêve, entrevu dans l’accrochage d’images « paradisiaques » dans certains bureaux de l’OCP. Notre volonté est alors de produire non seulement un espace de réflexion sur notre vision de l’ailleurs et de l’étranger, mais aussi une image amenant quelque chose d’agréable pour la vie 40 dans l’établissement, de la couleur, et une possibilité de projection dans un autre endroit, comme cela fonctionne avec un papier peint par exemple. 4 à 5 photos de très grand format font office de trompel’œil ou d’ouverture de la cage d’escalier sur un autre monde. Ces photos sont des tableaux, des mises en scène, reprenant, avec distance toutefois, certains « codes » des photographies d’expositions coloniales. Pour ce faire, nous avons cherché des lieux, en Suisse même, mettant en scène l’« exotisme ». The project points out this « non-communication » language problem in offering a free guide for all immigrants. This guide is prepared by the answers I got while talking to officials working there, and over my 8 months experiences living in Geneva, trying to survive. So I propose a free survival guide for all immigrants, installed at the « information desk », in the main waiting room ; printed as the same official format and outline of the (French) forms, which are available in the immigration center currently. So during their wait, printed guides can be picked up, hopefully « helping » them to survive. Comment reproduit-on l’ailleurs en Suisse ? Il existe par exemple le Jardin Zen à Aigle, recréant minutieusement l’ambiance d’un jardin japonais. Mais au loin, les montagnes suisses sont clairement reconnaissables. Le décalage est déjà présent. Il y a également le Palais Oriental à Montreux, qui propose de se retrouver dans le décor d’un pays maghrébin et boire une tasse de thé à la menthe. 41 Portraits Mosaïque Elise Viladent et Ainhoa Cayuso Notre réflexion s’est axée sur la question d’identité liée au thème. Il nous est donc paru comme une évidence de se servir de l’esthétique de la photographie d’identité. Passage inévitable à toutes démarches administratives, ce portrait doit rester le plus neutre et lisse possible, effaçant toute trace de personnalité de l’individu. Notre idée est d’inverser le côté froid et strict du lieu et de celui de la photographie par une série de portraits aux visages sympathiques et aux couleurs vives, de les immortaliser en les agrandissant et en les reproduisant avec un matériel solide et inaltérable, la mosaïque. Les gens viennent et repartent, alors que nos mosaïques perdurent et laissent l’individu au centre de l’attention en transformant ainsi ces démarches administratives en tableaux pop. 42 CRéDITS Equipe de suivi de projet Chef de projet OCP : Jean-Jaques Herren ; HEAD – Genève : Yann Chateigné ; Jean Stern (Laboratoire ALPes) — Professeurs associés Jérôme Baratelli, Albertine Zullo, Christian Robert-Tissot — Assistants Baptiste Gaillard et Aurélie Menaldo — Pré-jury de sélection formé de membres du personnel de l’OCP, sous la présidence de M. Jean-Jaques Herren, chef de projet, secrétariat assuré par Mme Deborah Bolognino : Sylvie Bargetto, Isabelle Piard Ameli, Zulal Mützenberg-Yildiz, Catherine Narvaez, Valérie Nese, Fernand Simeth, Philippe Kursner, Jonathan Siegrist, Melvin Bertagna, Alan Shalizi — Jury final sous la présidence de M. Bernard Gut, Directeur général de l’OCP, secrétariat assuré par M. Jean-Jaques Herren. Représentants de l’OCP : Sylvie Bargetto, Philippe Kursner, Isabelle Piard Ameli, Alan Shalizi. Représentant du Département de l’urbanisme (ex-DCTI) : Jean Bozonet. Joëlle Flumet, alumni de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts, aujourd’hui HEAD – Genève. Jean-Pierre Greff, Directeur de la HEAD – Genève Entreprises Atelier Fabien Pont, Atelier JECA Enseignes, Fanac et Robas SA. impressum Directeur de la publication Jean-Pierre Greff — Coordination éditoriale Jean Stern — Interviews des auteurs des projets retenus Maryline Billod Conception graphique Anaïs Coulon, bold atelier — Crédits photographiques @ Sandra Pointet et Baptiste Coulon — Relecture Valérie Muller — Photolitho Claudio Cicchini — Achevé d’imprimé le 26 octobre 2012 sur les presses d’ATAR Roto Presse SA — Avec nos remerciements à la Fondation Hans Wilsdorf pour l’appui donné à ce projet. @ Haute école d’art et de design – Genève, 2012.