Territoire de la liberté » : l`utopie dans la taïga

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Territoire de la liberté » : l`utopie dans la taïga
« Territoire de la liberté » : l’utopie dans la taïga
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Par Isabelle Regnier
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Tourné au cœur de la taïga sibérienne, au pied des monts Stolbys, ce documentaire se présente
comme une magnifique échappée, libertaire et hédoniste, à l’intérieur de la Russie poutinienne.
Autant dire qu’il s’agit d’un spectacle que l’on ne s’attend pas à voir, dont la surprise est d’autant
plus agréable qu’il a visiblement été réalisé avec beaucoup de cœur.
Chef opérateur de formation, Alexander Kouznetsov s’est invité au cœur d’une communauté qui
perpétue une tradition vieille de plus de 150 ans, par laquelle des hommes et des femmes se
retrouvent dans des isbas pour vivre, pendant quelques jours, quelques semaines, en harmonie avec
cette nature majestueuse, loin du tumulte des villes, de la violence sociale et de la répression
politique.
Des fondus d’escalade qui gravissent à mains nues, au péril de leur vie, les sommets escarpés des
Stolbys, qui forment leurs enfants, dès le plus jeune âge, à ce sport de l’extrême, sont à la fois le
ciment et le symbole de cette tradition. Le plus beau se passe toutefois dans les isbas, autour de la
cheminée, où tout le monde se retrouve pour les repas, pour passer des nuits à s’enivrer, chanter,
s’aimer, philosopher jusqu’au petit matin. La liberté rime ici avec chaleur, amitié, solidarité, et avec
un sentiment romantique de la fugacité et de la fragilité de l’existence.
Le film est construit comme un chant d’amour dionysiaque, un poème déstructuré et harmonieux où
la liberté de la parole fait écho à celle de l’escalade, et des bains de minuit dans les sources d’eau
chaudes nichées dans la neige. Comme des réminiscences lointaines de la vie qu’on a voulu fuir, des
images de manifestations encadrées par des hordes de militaires armés jusqu’aux dents, des transes
en boîtes de nuit sur de la musique techno, viennent s’y insérer sous forme de flashs fugaces.
Dans les périodes réactionnaires (en 1905, en 1919, en 1937), apprend-on, les isbas ont
systématiquement été détruites par le pouvoir politique. Aujourd’hui, elles seraient à nouveau
menacées. Farouchement attachés à la liberté, à la joie et au plaisir qu’elle leur procure, radicalement
opposés au régime de Poutine, critiques, avant toute chose, de la politique qu’il mène dans le
Caucase, en Tchétchénie, les gens des isbas apparaissent comme de lumineuses figures de résistance,
offrant une image de la Russie contemporaine très éloignée de celle véhiculée par le cinéma de
fiction national.

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