Penser l`icône en Inde ancienne - Académie des Inscriptions et

Transcription

Penser l`icône en Inde ancienne - Académie des Inscriptions et
Sélection d’ouvrages présentés en hommage
lors des séances 2013 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
J’ai l’honneur de déposer sur le bureau de l’Académie,
de la part de son auteur, Gérard Colas, un ouvrage
intitulé Penser l’icône en Inde ancienne, volume 158 dans la
Bibliothèque de l’École des hautes études Sciences religieuses,
Brepols, 2012, 215 pages. Ce livre n’est pas une étude
d’iconographie, ni une histoire de l’art religieux en Inde. C’est
une approche de l’icône beaucoup plus rare, celle de l’histoire
des conceptions que l’Inde s’en est formées. Dès l’introduction
l’auteur prend le soin de distinguer clairement l’objet matériel
représentant une divinité et destiné à un culte, de l’objet
mental destiné à une méditation. La chose est importante dans
les religions de l’Inde. L’icône matérielle a un double rôle. Elle
sert de support à des offrandes de lumière, parfum, nourriture, etc. Elle sert de support à
une représentation mentale qui peut comporter des traits non représentés ou non
représentables sur elle. Elle joue les deux rôles simultanément dans le rituel. Le fidèle, par
exemple, formule une invitation à la divinité, en se tenant devant son image, mais en
imaginant sa forme la plus haute, voire abstraite, exercice de concentration mentale
pratiqué avec une régulation du souffle, telle que l’enseigne le yoga. Il présente un plateau
de repas devant la statue d’un dieu en imaginant que la déesse, parèdre du dieu, vient servir
son divin époux. Il y a dans tout rite un amalgame du matériel et du mental, constamment
présent dans la littérature de rituel des Tantra-s. Mais cette même littérature atteste une
conscience aigüe de la pratique rituelle et note souvent les deux faces, matérielle et
mentale, du rite.
Ce fait a immanquablement suscité chez les concepteurs une réflexion sur le statut
de l’image matérielle par rapport à l’image mentale. C’est à l’étude de ces réflexions que
Gérard Colas s’est consacré. Il a procédé historiquement depuis la civilisation de l’Indus
jusqu’au XIIe siècle approximativement. Les grands sites archéologiques de la Vallée de
l’Indus, du troisième millénaire avant notre ère, ont livré des images matérielles et des
sceaux inscrits dont l’écriture reste indéchiffrée. L’on a donc des images, mais pas de textes
en rapport avec elles. Deux tendances d’interprétation s’affrontent, cherchant des
représentations soit du divin, soit du profane. Suit l’époque védique qui dans sa période
ancienne est particulièrement riche en textes présentant « des dieux de mots », mais
aniconique, avec cette réserve que l’hymnologie comporte une profusion de descriptions
figuratives qui s’offrent naturellement à l’imagination. Les premières représentations
matérielles apparaissent un peu avant notre ère et connaissent un accroissement rapide aux
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Sélection d’ouvrages présentés en hommage
lors des séances 2013 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
premiers siècles après. Dès lors littérature, inscriptions viennent seconder l’archéologie pour
révéler une variété illimitée de figures divines et à l’occasion les expliquent.
Un chapitre central du livre traite de la notion d’icône. Gérard Colas dégage des sources trois
conceptions, « celle de l’icône propriétaire, celle de l’icône comme être sensible et celle qui
les conteste. Nombre d’inscriptions relatent des donations de terres ou autres dont le
donataire est mentionné sous le nom d’une divinité installée dans un lieu bien défini,
généralement un temple. L’icône dans laquelle la divinité est présente est alors la personne
juridique propriétaire. Cette personne s’identifie évidemment à la personne divine, Buddha,
Śiva, Viṣṇu etc. Il y a interdépendance de cette conception avec celle d’une icône vivante, un
objet matériel identifié à une personne divine. Gérard Colas s’attarde sur la notion
d’arcāvatāra, littéralement « descente [du dieu] dans l’objet de culte ». Cette conception
s’est développée notamment dans l’école du viśiṣṭādvaita fondée par Rāmānuja au XIIe
siècle. Rāmānuja est un théologien qui acceptait l’idée d’un principe suprême, Viṣṇu, porteur
de qualités infinies, notamment les emblèmes de la conque, du disque et autres traits
figuratifs. Ceci facilitait l’identification avec l’icône matérielle porteuse de ces emblèmes.
Une troisième source révèle une contestation de cette identification. C’est l’école de la
Mīmāṃsā des exégètes du sacrifice védique qui consiste en offrandes directes dans le feu,
messager les portant dans le ciel, procès qui ne requiert pas l’intermédiaire d’une figure
matérielle.
Cependant dans les diverses écoles śivaïtes, viṣṇuites etc. il y a un rite crucial qui fait
de l’objet matériel une divinité douée de conscience. C’est le procès élaboré de la cérémonie
d’installation, appelé pratiṣṭhā. Généralement il mime pour le dieu une incarnation,
naissance et accomplissement des saṃskāra, rites qui marquent les étapes du
développement de la personne humaine. Un rite notable est l’ouverture des yeux d’une
statue. Une procédure fréquente consiste à exécuter les rites, à déposer la cicchakti « la
puissance de conscience » dans l’eau d’un pot qui est finalement versée sur la statue. Un rite
additionnel d’invitation individuelle exécuté par le fidèle est aussi conçu comme nécessaire
pour assurer la communication de personne vivante à personne vivante entre l’individu et le
dieu.
Le dernier chapitre du livre est consécré à deux conceptions qui replacent l’icône
dans deux systèmes épistémiques, la non-dualité de Śaṅkara et la dualité du logicien
Udayana. Dans sa conception d’un principe suprême seule réalité sur laquelle le monde
phénoménal n’est qu’une fausse attribution, Śaṅkara n’identifie pas l’icône au dieu ; l’icône
n’a pas le même degré de réalité que le dieu, la réalité supérieure de dieu est surimposée
sur l’icône. Udayana en revanche considère le dieu et l’icône comme deux réalités et se
propose de clarifier leur relation. Le rite exécuté réalise la présence de la divinité dans
l’icône, en ce qu’il occasionne de la part de la divinité une prise de conscience de sa
présence dans l’icône.
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Sélection d’ouvrages présentés en hommage
lors des séances 2013 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Gérard Colas a ainsi réalisé un utile inventaire d’idées sur la nature de l’image
religieuse, émises dans les écoles la plus diverses de la pensée indienne. Chaque point a ses
références dans la vaste littérature religieuse et philosophique sanscrite. On regrette que les
textes sanscrits traduits ou évoqués ne soient pas directement donné. Une bibliographie et
index soignés remédie à cela et fait de l’ouvrage un premier texte de référence sur su sujet
peu abordé de front.
Pierre-Sylvain FILLIOZAT
Le 5 avril 2013
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