Monarchies arabes
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Monarchies arabes
Chez le meme editeur LOrient ancien : mythes et histoire >,, VCronique Grandpierre, La Documentation phologrtrphique. no 8026. 2002 a La deuxibrne intifada n, Franvois-Xavier TrCgan. PmblPmes politiques el souiaur, no 879, 2002 G Du Meghreb au Moyen-Orient. un arc de crises *, Georges Mutin, Ln Docrrmentation photographiqtte. n" 8027,2002 u L'Arabie saoudite et la p6ninsule apres le I I septembre : delis et enjeux d'une r6gion en crise. Islam et mondialisation *. Monde arabe. Maghreb-Machrek, no 174, 2002 n Sud-Liban : scknarios de crise r. May Chartouni-Dubany, Notes de I'Ifri, no 36. lnstitut franqais des relations internationales (Ifri), 2002 << 1 2 s reformes dans le sillage dcs successions politiques ? AlgCrie : la soci6tC h travers la prcsse et I'tconomie n, Monde arahe. Maghwb-Machrek, no 173, 2001 u La guerre d'AlgCrie n, RaphaiSlle Branche. Sylvie ~h6not. La Documentation photographique, n" 8022, 200 1 << I 3. . $1.... . Monarchies arabes * Jeunesse du monde arabe : dCfis et opportunitCs r, Mortde arabe. Mnghreb-Machrek, no 17 1.200 1 cc La Libye apr5s I'embargo. Retour sur les accords isratlopalestiniens m, Monde arahe. Maghreb-Machrek. no 170, 2001 L'islnm en Asie, drc Caucase 13 la Chine, Andrte Feillard, pdface de Marc Gaborieau, coll. Lcs etudes, 2001 L'islam ert France et en AtIemagne. ldentitfs el citoyennetfs, Rtrny Leveau, Khadija Mohsen-Finan, Catherine Wihtol de Wenden (dir.), 2001 Transitions et derives dynastiq sous la direction de Remy Leveau et Abdellah Hammoudi avant-propos de Philippe Ardant ouvrage coordonne ., par Khadija Mohsen-Finan L'islam dans la Rhpuhlique. Haut Conseil B I'intCgration, coll. Rapports officiels. 2001 institut des ktudes transrtgionales, institut fransais 'des relations UniversitC.de Princeton internationales L'lnstitut fmngais des relations internationales (Ifri) est un centre de recherche et un lieu de d6bats sur les grands enjeux politiques et Bconomiques internationaux. Dirige par Thierry de Montbrial depuis sa fondation en 1979, I'lfri est n6 de la transformation du Centre dlBtudes de politique 6trangere crBB en 1935. 11 b6n6ficie du statut d'association reconnue d'utilite publique (loi de 1901). L'lfri dispose d'une equipe de specialistes qui mene des programmes de recherche sur des sujets politiques, stratBgiques. econorniques et regionaux, et assure un suivi des grandes questions internationales. L'lnstitut des dtudes transr6gionales (Institute for the Transregional Study of lhe Contemporary Middle Easf, North Africa and Cenfral Asia) de I'Universile de Princeton (Ctats-~nis)a 616 fond6 en 1994 grace ZI une genereuse donation du prince Moulay Hicham Ben Abdellah El Alaoui du Maroc. I1 est dirig6 depuis 1995 par le professeur Abdellah Harnmoudi. IntegrB au Centre des etudes internationales, sa mission consiste A encourager et devolopper les dtudes comparatives entre les pays du Moyen-Orient, de I'Afrique du Nord et de I'Asie centrale, ainsi qu'entre ces zones et \'Europe ou les $tats-~nis,sur des sujets tant Bconomiques, sociaux que politiques, mais Bgalement sur les questions des droits de I'homme ou du developpement. . Avant-propos :vers une thborie des monarchies arabes ? Ph~l~ppe Ardant Introduction : Ie be1 avenir des monarchies ? R6my Leveau et Abdellah Hammoudi Les specificites des monarchies arabes 1. La theorie politique dans I'islam sunnite Yadh Ben Achour 2. Le pacte monarchique Moulay Hicham Ben Abdellah El Alaoui 3. ~16rnents d9anthropologiedes monarchies a partir de I'exemple marocain Abdellah Hammoudi 4. S'eloigner, se rapprocher :la gestion et le contr6le de I'islam dans la republique de Bourguiba et la monarchie de Hassan II Malika Zeghal 59 5. Quelle place pour les monarchies arabes dans les relations internationales ? Fr6d6ric Charillon Ce texte parait sirnultanement dans le periodique Notes el dtudes documenfaires no55158-59 el dans la collection Les dtudes de La documentation Fran~aise Les monarchies disparues 6. ~ g y p t e : un tr6ne sans defenseur (1922-1952) ou comment le colonisateur ne peut remplacer le fellah Jean-Noel Ferrie - - Collection dirigee par Isabelle Crucifix Conception graghiuue : Integral Concept - Piopo Lionni O La dacumewtrtion Fran~aise,Paris, 2002. En application de IR loi du 1 1 mars 1957 (article 41) et du Code de la propriel6 intellectuelledu lrjuillet 1992, toute reproduction partielie ou totale A usage collectif de la prbsente publication est strictement inlerdite sans autoriselion exnresse de 1'8dileur. 11 eSt rappel6 A cet dgard que I'usage abus~fet collectif de la photocopie met en danger 1'6quilibre. 4conornique des circuits du livre. * 91 es .. . 7. Tunisie : la c h t e de la monarchie beylicale Mohamed-H4di Cherif IMonarchiesarabes 101 S'eloigner, s e rapprocher : la gestion et le contr6le de I'islam I dans la republique de Bourguiba et la monarchie de Hassan II Malika Zeghal Pendant le mois de Ramadan, Hassan 11, roi du Maroc de 1961 i~ 1999, recevait, dans le cadre des leqons hassaniennes (durris hassaniyya), les leqons religieuses d'oulCmas maro$;ins et ttrangers, que le Palais avitit pris le sotn de sblectionner. Assi en tailleur au niveau du sol, entour6 de ses fils, le roi Ccoutait les textes prononcts par des oulCmas marocains ou itrangers installis face B lui sur une chaire. Habillt du costume traditionnel, il entrait dans une relation << inversCe >> avec les hommes de religion : le roi n'Ctait plus - le temps de cette savante mise en sckne - le maitre, mais prenait la posture du disciple. S'entourant des homrnes qui portaient en eux et transmettaient le savoir religieux, il montrait publiquement son adherence aux principes de l'islam et sa proximitd avec les Clites religieuses rnarocaines. I1 construisait ainsi une sphtre religieuse dont il tlchait d'occuper le centre, mais ou il n'Ctait pas l'unique acteur : il faisait mtdiation avec les oulkmas, entre les textes sacrCs et les Marocains. Habib Bourguiba, President de la Rtpublique tunisienne entre 1957 et 1987, ne s'embarfassait. pas de telles leqons, du rnoins de manikre aussi sj;stbmatique. En reltguant les Clites religieyses traditionnelles dans un espace minimal inclus d; as les institutions de I'Etat, il les contr6lait. recevait leur discours, mais les ~enaitit distance, sans jamais mettre en scbne une proximitC semblable A celle qu'entretenait symboliquement Hassan 11. Le Ramadan du ra'ts tunisien Ctait bien diffbrent de celui du malik marocain. Bourguiba rCduisait les rituels B leur minimum, et n'Ctait pas lui-mCme un pratiquant assidu. 11 tdchait de reinterpreter les textes dans une perspective modernisante et laicisante qui dbplaisait it nombre d'Clites religieuses. Le discours sur I'islam Ctait ainsi donnt de mani6re immidiate, sans s'indrer dans un espace habit6 par des mtdiateurs religieux. Alors que l'inlervention de Hassan 11 dans la sphkre religieuse au cours du mois de Ramadan emerge sous forme d'inversion, celle de Bourguiba relkve en revanche de la transgression. 1S'Bloigner, se raoorocher . la nnstinn at 10r n n c r r i l n A, I,:-I-- Est-ce lh I'illustration de la difference essentielle entre rois et presidents. entre monarchies et republiques arabes quant au rapport que ces deux types de regimes entretiennent avec l'islam ? Sommes-nous face B des (c monarchies religieuses n d'une part, tles (c republiques lai'ques >> d'autre part ? Faut-il y voir deux interpretations. deux types de.lectufe politique del'islaifl qui . . seraient indissolublement likes B la nature du r6gime politique : une version c( stculariste , ,chez un Bourguiba qui desirait Cvacuer le religieux de la sphEre du politique, et plug e religieuse n chez Hassan 11 qui voulait au contraire les connecter I'un h l'autre ? S'en tenir B ces deux interprttations et B ces deux images contrasteec scrait une erreur. La difference reside bien plus dans la forme. clue dans le contenu. Elle tient en effet dans la place qu'occupe le rcligieux dans 1c travail de sacralisation du pouvoir politique. travail h l'ccuvre tout autant cianc les monarchies que les rtpubliques. Dans le. deux cas que nous examinerons ici. le Maroc de Hassan 11 et la Tunisie de Habib Bourguiba. le religieux est crucial comme facteur ,de sacralisation du pouyoir politique : I'islarn a CtC Ctroitement connect6 h 1'Etat marocain comme h 1'Etat tunisien. 11 a servi - et sert encore - de ressource politique dans les dcux pays. La difference . se perqoit dans les nlodes d'expres~ionde I'islam. qui eux. semblent.comme naturellement >) dCcouler du type de pouvoir en place. Le roi incorpore jusque dans sa personne, comme par definition mCme de sa nature >, de roi. le religieux. Pour qu'elle apparaicse comme tr naturelle n, elle est travaillee trhs tiit, jusque dans I'Cducation religieuse reque par les htritiers potentiels du tr6ne. Si I'on veut comprendre comment les rois et les presidents travaillent la matitre offerte par le religieux, il faut dans un premier temps revenir aux modes de cnntrele des institutions religieuses par le pouvoir. Une chose est commune 2 l'ensemble des regimes arabes. qu'ils soient des monarchies ou des rtpubliques : en tant que regimes autoritaires. ils ont toujours, sur des modes divers, oeuvre pour contr6ler les institutions religieuses et ceux qui les rcprksentent. Dans ce contexte de rtgime autoritaire - le Maroc de Hassan I1 comme la Tunisie de Bourguiba -. contr6ler ceux qui parlent de religion fait partie de la mise en forrne ct de I'appropriation par 1'Etat du discours qui se dCploie dans 1'et;pace public. A travers la comparaison entre la Tunisie et le Maroc. on peut tenter de retrouver ce qui fait la sp6cificitC d'une monarchie quant B son rapport avec I'iqlam. converger les alltgeances des groupes nationaux et locaux) ne foment pas les seules bases de prkservation et de continuit6 de la monarchie marocaine. I1 faut aussi prendre en compte I'exercice de la violence 3 travers la machinerie d'un appareil de coercition puissant. form4 par 1'armCe et la police, ainsi que les strategies clientClistes travaillCes par I'ensemble des acteurs (2). Par ailleurs, le rapport entre le pouvoir politique et la religion n'est pas un seul rapport d'instrumentalisation de celle-ci par celui-la. La notion d ' usage ~ ou d'utilisation du religieux par le pouvoir politique reprksente les Clites etatiques comme ayant tout pouvoir sur une variable qu'ils ont 3 leur disposition. qu'ils maitrisent, et qu'ils peuvent utiliser telle quelle, comme une donnee exoghe. Pourtant, cette relation est bien plus complexe : le religieux est effectivement utilise comme cr outil ,? de la politique, mais il s'impose aussi comme unc contrainte avec laquelle les CIites politiques doivent composer. De plus, la manipulation de cette <c variable ,)ne laisse pas celle-ci intacte, bien au contraire. Monarques et presidents travaillent la matiere religieuse dans sa forme ideologique (interpretation des textes). sociale (rapport avec les oultmas et avec les fidkles) et institutionnelle (rkformes des institutions religieuses), la restructurent profonddment. et lui donnent l'occasion d'Ctre une matitre changeante et agissante qui les transforme aussi en retour. >) (( (( Le religieux et le sacre Le religieux n'est pas le seul mode de sacralisation du pouvoir politique. D'une part les rCgimes monarchiques et rCpublicains ont des donnees communes dans lcur rapport au religieux, d'autre part, ce rapport au religieux ne d6finit en aucun cas I'entitrett! de ces rbgimes. Ce constat semble evident dans le cas de la republique bourguibienne. mais doit aussi Ctre soulign6 dans le cas de la monarchie marocaine. En particulier, la sacralit6 de la monarchie, si elle doit beaucoup au religieux, n'est pas entikrement fondte sur celui-ci. Le rapport avec la religion n'est qu'un dispositif parmi d'autres de construction du. politique ( 1 j. Ce qile l'on appelle gdnkralement les sources de la ICgitimitC (< traditionnelle ,r (droit divin et ascendance prophbtique qui confErent au systtme politique sun caractkc M religieux m, cCrCmonie de la bay'a qui fait (Monarchies arabes Religion et parente ! I La difference gCnerale,entre monarchie et rtpublique tient dans le rapport B la genealogie familiale q?l; ltgitime le pouvoir d'une famille ou d'un clan dans une continuit6 passke et f t -;re. Alors que le souverain dans une monarchie se d6finit par l'appartenance 3 une famille, ou i une branche spCcifique de cette famille, la rtpublique - en regime autoritaire - donne theoriquetnent pouvoir B un homme dont la gtndalogie n'est gCnCralement pas mise en avant comme fondement de son pouvoir. mCme si le cercle familial, et les relations de parent& construites ou rielles, peuvent jouer un rdle important. Malgre cette difference. les deux types de rtgime ont en commun, dans le cadre du monde arabe contemporain. de se ramener 3 I'exercice d'un pouvoir personnel. Dans les deux cas. c'est autour de la penonne du roi ou du president que les decisions politiques se font et se dCfont. C'est pourquoi, dans les deux situations, on note des phenomenes de cc. cour bb oh le souverain et ceux qui I'entourent f o m e n t les ClCments primordiaux du N pouvoir r : on a ainsi 6voqud le r< rkgne x de Bourguiba - o t ~ I'on introduit la connotation monarchique pour insister sur le pouvoir personnel et durable -, ou du << @ite de la personnalit6 >> - oh l'on introduit la dimension sacrCe. Hassan I1 est uBkoi qui gouseme. Bourguiba un president qui r5gne. (1) bbdellah Harnmoudi, M a s t ~ r and Disciple. rhe C~tltrrrnl Fo~rndarions o f Moroccan Aurhorirarianism. The University of Chicago Press, 1997. Mohamed To7y. Mnnarclrie et i.ilam poliriqcte au Mamc. Presses de Sciences-Po. Paris, 1999. Malika Zeghal, a Recompositions de la variable religieuse au Maroc. 3 propos de Tozy, Monarchie et islam polirique au Maroc n. Pm1ogcce.r. L'avenir de la dPmocratie dans les pays du Strd. no 22-23. 616-automne 2ml. Mouria Bennani. w Le ramadan au Maroc, socialisation el inversion in Farida Abdeikhah et Franpis Georgeon, Ramadan et politique. CNRS editions. Paris. 2000, Dazes 4 1-54. (2) RCmy Levcau. LP fellah r&rocain. dflnseur dcr Tr6ne. Presses de la Fondation nationale des sciences politiques. Paris. 1974. John Waterbury. The Commander of the Faithful. Columbia University Press, New York. 1970. Ahdellah Hammoudi, op. cit. IS'Bloigner, Se danc la - raporocher : \a gestion el le contrble de I'islam rbnt 1hIi~8 t e o-.,.-, ,:he -I I- --- ---L.. .s 61 Le roi est issu d'une gentalogie - qui, dans le cas de Hassan 11remonte au Pmphtte - et d'un ensemble constitue par des liens de parent6. Mais il doit aussi s'assurer de I'unitt de la nation. 11joue donc 3 la fois, sur le plan politique, de ces deex axes qui dt5finissenl I'appattenance. Dans ce rapport avec la religion. ces deux axes ont des rales concomitants : ils permettent de dessiner pour I'imagination une donnde verticale. celle de In gtndalogie royale dtroulCe dans une temporalit6 qui remonte i une origine prophetique - qui constitue une memoire et projette dans le futur l'avenir de la dynanie - et un axe horizontal, celui de la communautt musulmane, qui delimite son extension dans l'espace national et transnational. Ces deux axes - qui a connectent potentiellement B la religion (mais pas seulement I celle-ci) - permettent ainsi de mettre en avant le tmvi:! sur i'identite de la comrnunautk ct de lier indissolublement cette identite B la personne du roi qui d b lors se met en s c h e commc un individu pieux cn suivant publiquement les rituels. Le president, en revanche. n'a de disponible - a priori - qu'un seul rle ces deux axes, qui peut - en I'absence de I'autre - se retourner contre son pouvoir personnel : celui de la communautt musulmane, puisqu'il n'a pas de p6nealogie sur laquelle asseoir son pouvoir L'axe vertical dtfini par la parent6 est originellement absent, mais il peut aussi lui servir de repoussoir quand il s'agit de faire opposition B une dissension fondte sur I'appartenance 6 tribale D ou d'autres particularismes. 11 lui est possible aussi - dans certains cas - de le construlrc, et d'en faire une source de ltgitimitt politique. Mais Bourguiba ne s'essaya pas B ce travail de construction : n t B Monastir, mtprist 5 ses dtbuts par les elites traditionnelles et la bourgeoisie de Tunis du vieux Parti du Destour. il n'avait pas d'appartenance gtnealogique qui puisse fortement l'ancrer dans une mtmoire de type dynastique : r< Nous sornmes tous les enfants d'une meme mke, la Tunisie. et chacun doit contribuer B son bonheur n dit-il en 1956, a u mornent oil i l n'a pas encore affirm6 totalement son pouvoir sur I'Etat tunisien : cr 11 ne faut plus que les luttes de clan et de tribus se poursuivent. 11 n'y a plus de Beni X ou de Beni Y ; il n'y aura plus que des Tunisiens. * ( 3 ) Sa gCn&alogieest alors celle de la nation. Bourguiba ne travaille pas non plus h se comporter publiquement ct ostensiblement comrne un pcrsonnage pieux. Le president a plus de ma1 & cultiver I'identitE par le religieux, car la ressource de la parentt qui remonte a la personne du Prophtte ne lui est pas offerte. La parent6 est mobiliske et projette non pas sur une apparlenance religieuse qui peut dtfinir ensuite la nation, mais directement sur I'ensemble national : si la Tunisie est la mtre de tous les Tunipiens, Bourguiba en est Ic phe, car son pouvoir se dCfinit autour de la maxirne I'Etat c'est rnoi. Pouvoir personnel, tradition et reforme Ces relations de presence ou d'absence de la religion dans le fappoft avec. !a. parentt expliquent que la difference la plus visible entre monarchie et rdpublique semble au premier abord resider dans des n styles individuels d'exercice du pouvoir, qui peuvent se reflCter par I'habit, l'organisation spatiale des cdrtmonies politiques etlou religieuses. qui sont particulitrement contrastts )> (31 Discours d.llahib Rourguiha B Sidi Bouzid le 12 novembrc 1956. Habib Bourguiha, Viscortrs. volume 2. annCcs 1956-1957. publications du sccrttariat d'gtat I'lnformation,Tunis, 1975, p. 242-243. 62 I Monarchies arabes !.:I' ' . I entre les deux types de rtgime. Le prCsident Bourguiba n'a jamais eu ( fonction religieuse B proprement parler. I1 a d2s le dtbut de son pouvc politique, institutionnalisC le religieux dans une organisation politiql << sCparte N de sa personne par sa fonction mais fortement contr81Ce par l'fitz J I a ainsi instaure une division du travail claire entre le chef de I'Etat et I( oultmas, n'dtant pas lui-mCme, par sa fonction et sa formation, spCcialis6 dar le religieux. Le roi. dote d'une gCnCalogie qu'il met en avant. peut se rattache par le biais de la lign&e, mais aussl par 1'Cducation religieuse qu'il a r e p ( I'accumulation du savoir et des rituels r6pCtCs de mani2re privte ou publique, une nature >, et par la-m2me h une fonction religieuse qui lui permettront d retenir a posreriori et officiellement le titre de r< Commandeur des croyants Y La fonction de conservation du patrimoine religicux tourne, dans la monarchi marocaine, autour de la personne du roi, ce qui donne une fonne tout particul~kreB I'institution religieuse, qui reste tr&s proche du monarque qui sl considkre lui-meme comme faisant partie des oulemas, et leur chef. Cett~ proximitd n'est donc pas simplement due au contr8le politique par la monarchir de la sph2rc religieuse, mais elle se definit aussi par << ressernblance n, une sortc de cc mimdtisme de la fonction n, qui se nuance cependant 5 wavers un partagc de tlches religieuses entre lc roi et Ies oulemas. De cette manibe, il peu sembler que pouvoir politique ct religion se confondent, alors qu'il st connectent en rCalitf.dans une relation d'intersection. Le pr6s;ent. en revanche, ne represente pas la fonction de sauvegarde du rclipleux. I1 la dkl2gue entibement mais la contrijle aussi puissamrnent. organisant - sous son auto~itCsuprEme - une division du travail. qui peut faire croire. subtilement. quc i'Etat,est stculier. que le religieux et le politique sont stpards. alors qu'en realit6 1'Etat contrOle ttroitement la parole religieuse dans une relation de confusion. Si la difference entre ces deux types de regimes est importante, elle n'est pas absolue : des contradictions nuancent la dichotomie. Dans certaines stratfgies de ICgitimation, Bourguiba a tent6 de s'instituer interpr&tede la parole rcligieuse de mani&requasi individuelle. Mais cette rkappropriation individuelle dc la religion par le prGsident, apparait alors incongrue, et pour le moins Ctrange : le 8 dtcembre 1958, il montra son mCcontentement face 2 I'absence de mosquCe dans un village qu'il visitait : rc J'ai demand6 tout B I'heure au gouvemcur oh se tr;~gvaitla mosqude de Ghomrassen. Quelle ne fut pas ma surprise en apprena t qu'il n'y en avait pas dans votre village. Pour une cornmunautt musulrr 3ne. c'est une honte qu'elle soit dCpourvue d'un temple oh le nom de Dieu est g grifie et d'ou panent les appels du muezzin B la prihe.. . Quoi qu'il en soit, j'ai donnC des ordres pour la construction d'une mosquCe o i ~ vous pourrez remplir vos obligations liturgiques dans les meilleures conditions. (4) Bourguiba se dira parfois irr~rinldes musulmans, et pourra Cdicter sa propre fatwii sur un sujet donne : le cc Combattant supreme n, pourtant sans formation religieuse traditionnelle. s'improvise - rarement - interpr8te des textes sacris. Plus gtnCralement, dans une division des fonctions religieuse et politique - la parole religieuse n'ayant que tr2s peu d'autonomie -, il demandc (( >) (4) Charles Debbash. La RP'puhliqrie rrtnisienn~,Librairic GCn6rale dc Droit ct dc Jurisprudence, Paris. 1962. p. 146. ) S'Bloigner,, se. rapprocher .. . - : la gestion e l le controle d e I'islam -I--. 8 - du travail de formulation et de la participation au nationalisnlc qui re fornle contre le protectoral fran~ais. . Au Marw, c6nlrne en Tunisie, deux types d'ac~eurssont B l'originr du mouvement nationaliste: d'une part, des Clites urhilines d i ~ e s u traditionnelles r. qui font rtfkrence i la salqfi.~.\o(7), qui rnrttent en rappun liberation nationale et retour a l.authenticit6 des sources religieuses pour dCfinil. I'identiti nationale, d'aufre part des tliles urbainrs d r fc~rn~ution et de profession rnodernes. Au Maroc. I'alliance entre une panie des oulitnas el Ir nalionalisme modeme tiendra politiqurme~~t plus longtemps qu'en 'funisie, ei pourra Otre recupdr6e - dans celte double idetltite - par la monarchie. En revanche, dits la creation du NCo-Destour en 1934, Bourguiba nlontre la distance qu'il entretient avec les elites religieuses, qu'rlles soient salafistes ou non. Une telle rupture ne verra pas explicitement el ofticiellrmnt le jour au Maroc. La rnonarchie marocainr, qui a pris fail et cause pour IC Pani de I'lstiqlal d t s 1947, recupkre I'islam en le connectant a son appartenance gen6alogique et devient elle-meme un paradigme aulour duquel re detinit I'identitC de la nation. En revanche, en Tunisie, le mouvement natiosaliste, lui aussi partage entre Clites triiditionnelles u el N modrrnes M est en grande panie rnonopolise ideoiggiquement et politiquement par ces dernieres. La sal(fliyya, moins .mplantee en Tunisie qu'au Maroc, a du ma1 s'imposer uomrne facteur de dtfinition de la nation tunisienne, parce qu'elle construit un rapport benucoup moins conflictuel qu'au Maroc avec les confreries. La personne du rnonarque. comme les elites religieuses. sont rapidenlent et asser aidment mises a I'ecart apr2s 1956 par Bourguiba, qui fut A l'dpoque, le seul, dans 1e monde arabe. B renverser une monarchie sans coup dVEtatmilitaire. au mufti de la Ripublique. charge officiellement par le rkgime de produire des /urw&s ou avis jitridiques. d'acquiescer aux interprktations bourguibiennes. . Mais il lui arrive aussi de prendre en charge directemqnt te discours religieux : De par mes fonctions et responsnbilitCs de chef dlEtat, je suis qualifie pour interpreter la loi religieuse. * (5) Dans ces declarations ponctuelles - rares, ce qui fair leur interet -, la rkappropriation du religieex apparait comme r construite r et n'allnnt pas de soi. car lc prbident - q1:i.a instaurd une division du travail eiplicite mtre sa penonne et les oulttnas y'est dans une position exterieure B I'espace institutionnel de lfgitimation rcligieuse, ce qui rend son usage de I'islani vicible, en tant q u ' r a w r , ail public. L'instrumentalisation apparait comme plus grossiere, plus evidente, el. paradoxalement, la personnalisation du pouvoir, sur le plan religieux, plus forte qu'en monarchie. Car le roi Hassan 11, dans son travail sur la religion, met en avant une sorte de proximite. et de communaut6 - m2me factice - avec les oulkrnas, qui se traduit au sein d'un espace de religiositk oii le charisme religieux se partage, et circule, depassant par 13-meme le roi comme M personne D. Le president. qui occupe un espace d6sencbantk. se fait en revanche ponctuellement gardien de la religion. qui lui reste exoghne, et met en avant dans ce cadre sa seule personne dans sa relation au religieux. Le travail politique exerce par Hassan 11 sur les institutions religieuses - et notarnment la construction d'un espace ob peut circuler la parole religieuse sous son contr6le a joui de ce point de vue un rdle crucial. Comme Bourguiba a dbsenchante 1'Etat tunisien en rCfoorn~antet en contr8lant de prks les institutions religieuses, Hassan I1 a solidement re-enchant6 I'espace du Dar al-Makhzen en utilisant - parmi d'autres moyens - les outils institutionnels qu'il avait i sa disposition. Sans entrer dans un expose trks detail16 dc ces rCformes institutionnelles (6). nous en donnerons ici quelques-uns des traits essentiels qui permettent de poursuivre la comparaison. . . Le Maroc : la monarchie perdure ; les oulemas gardent une grande partie de leur espace fonctionnel Continuite de la monarchie au Maroc. Passage a la republique en Tunisie b Avant la mise en [:T?ce du protectorat fringais en 1912, le Maroc n'etant pas, comrne la Tunisi;, une province de I'Empire ottoman, la hierarchic musulnlane n'est -.as nommke par Istanbul. Vestahlish~~zet~r religieux reslr bien plus fluide el sujet a des redefinilions locales (8) et sa base institutionnelle est fiaihle. Les oulemas ne sont pas forcemen1 conlrdl6s par lr sultan, qui peut se les attacher, mais aussi subir leurs assaufs. Eux-mCmes ne representent pas une profession unie par une apparienance h une hierarchic contrSlde par le haut. Ce n'est que lors d'unc signature de h ~ ~ y ' rou r d'une farw6 6dictCe par une partir d'entre eux qu'on peut piirfois les voir reunir. Roger Le Tourneau souligne (9) l'imponance du qddhi a/-yrrdI16t.l'unique cadi de Fes, qui nomme les cadis du bled rrrokhze~~ jusqu'au milieu du x l x r La construction d'ktats K nouveaux ,, presente une certaine continuit6 avec la periode du protectorat rnais consisle aussi dans un moment de rupture symbolique qui se rCalise de maniere contrastee entre le Maroc et la Tunisie. Dans chaque rtgime en cours de constitution, la relation entre savoir religieux et ses porteurs d'une part, pouvoir politique d'autre part, se construit sur des modes nouveaux mais radicalement opposts entre eux. Au Maroc, le sultanat alaouite est en place B partir du xvrre sibcle, et n'est pas lie a une puissance Ctrangtre. Dans la regence de Tunis, en revanche, le beylicat est aussi musulman, mais n'est pas vtritablement cc tunisien >>, puisqu'il est originellement ottoman. Ces deux dynasties sont au depart quasiment absentes (7) Un type dc dfonnisme ~slnnuquequi travailla h rkgLn6rer l'islun par un retuur i I'rrlm, dcs p c u x (5) Citt dans I'Annrcuire rle I'Afriqrtr du Nord. 1961, p. 138. ( 6 ) Celles-ci ne son1 pas les seules variables h prendre en compte dans la comparaison des modes d'expression religieuses entre les deux rtgirnes envisagts. Les rapports aux oppositions islarnistes, la gestion de la sph&rereligieuse dans son ensemble son1 rout aussi imponants. ancetres (al-~ulajul-srilrh). (8) Edmund Burke III. The Momccan Uterna. 1860- I912 an Inlroduct~tmM, Schobrs. Sainrs attd Su/is. Unlverslty of Caltforn~aPress, 1972 ,: :< +A- i :. , ,>; i . I t,, Nikhr K Kcddtdle. siecle, date 5 laquelle cctte nomination deviendra le fait du prince. Les timides tentatives de rCformes menCes par certains sultans B la tin du xrxe siecle (10) pour mettre sous leur coupe les oulkmas durent faire face i I'opposition de ceux-ci. De nombreux Cpisodes qui ont lieu entre le demier quart du xrxe sibcle jusqu'i la fin du protectorat montrent que les relations entre le sultan et les oultmas de tous bords peuvent &[rechaotiques ( 1 :I! Mais c'est surtout le protectorat qui rend une partie d'entre eux plus presents sur le plan politique : certains d'entre eux expriment leur opposition au muklrzen qu'ils critiquent comme incapable de resister aux asaauts de l'dtranper. Cependant, les hommes de religion restent divists et versatiles face au pouvoir politique dCclinant des sultans. Leurs actions politiques - alors qu'ils reprksentent un proupe tr6s diversifik - se dkfinissent au cours de cet episode, non pas en fonction des actions politiques du sultan ou du protectorat en tant que tels, mais de I'intCgritC d t la religion musulmane. Progressivement une minorit6 d'entre eux, dans le parti qui va devenir celui de I'lstiqlal, redkfinissent la defense de cette integrite religieuse en la connectant a celle de la nation marocaine, comme le dahir (dkcret) herbEre leur en donne l'occasion B partir de 1930. Une nouvelle generation d'ouldrnas, telle que reprdsentke par Allal al-Fassi, inspirke par la salafiyyn, voit alors !e jour, qui joue un rBle crucial dans la dkfinition du nationalisme marocain. A partir de la seconde moitie des annCes 1940, Mohamed V s'allie B cette avant-garde des oulCmas rCformistes. Dks lors, &tre nationaliste c'est aussi &re monarchiste, QU du moins montrer . son soutien 1la personne du monarque (1 2), car les significations octroyCes i cette ins~itution politique peuvent @tre trEs diverses. Mais ce groupe d'oulkmas ne reprCsente pas I'ensemble des hommes de religion marocains, en particulier les chefs de zh\c~iyns.Ainsi. en 1953. lorsque Mohamed V est exilk, ayant pris fait et cause pour les nationalistes, Allal al-Fassi appelle sur les antennes de la voix des Arabes au Caire au retour du roi, mais la deposition du monarque est <( acceptCe >> par la plupart des grands oulCmas, qui signent la hay'a li Arafa. Pourtant, h son retour, le roi Mohamed V leur a pardonnera n : il a besoin des homrnes de religion pour asseoir sa ICgitimitt, et ne peut encore remettre en question les soutiens naturels du Parti de l'lstiqlal (13). Jusqu'B I'independance du Maroc en 1956, le roi n'a donc pas le contr6le entier de la sphere religieuse. I1 doit faire face B la critique Cventuelle qui peut venir des oulCmas comme des chefs de confreries. Si le sultan detient une LCgitimitC religieuse, le pouvoir religieux de la rnonarchie - qui passe en grande panie par un contr6le institutionnel - est, lui, loin d'ttre Ctabli. En revanche, n'ttant pas face il une corporation professionnelle unie et organisbe, le pouvoir lnonarchique aura cette chance, aprtts I'indipendance, de pouvoir domestiquer les hornmes de religion par la manipulation des rCseaux de clientble - parfois lies aux partis politiques - mais aussi par une politique originale vis-a-vis des institutions religieuses. La Tunisie : la monarchie meurt. Les oulemas n'ont pas eu de r61e tres notable dans le combat pour I'independance I F . . . )> . . En Tunisie, la famille des Husaynites instaure officiellement une n~onarchie hereditsire a partir du XVIII' sikcle. Pourtant, les Tunisiens n'ont pas pour le beylicat un attachement sans bomes, et il rst reprCsente comme uo pouvoir, qui m&me s'il est musulrnan, reste d'oripine ftrangbre et thdnriquement un appendice du pouvoir ottoman. Cette distance entre les Tunisiens et leur monarchie crke une partie des conditions qui rendcnt possible la disparition de la monarchie aprks 1956. La societe tunisienne, plus homogene que la sociktk marocaine, plus ,urhanisCe et presque entierenlent arabide, formera une population plus M i l e B s'attacher pour 1e Destour. alors que l'lstiqlal aura plus de ma1 i gagner ;LA populations rurales. A la veille de l'independance, le bey de Tunis est beaucoup moins populaire en Tunisie que ne I'est Mohamed V au Maroc. Le seul bey qui a alors droit 2 l'appui drs masses est Moncef Bey, << ce s~uverainpeu ordinaire (14), qui monte sur lc tr6ne en 1442. 11 il cbtoyk les nationalistes et a requ une tducation rnoderne. En 1942, en I'absence de Bourguiba du tetritoire tunisien, il rCunit autour de lui nili it ants du vieux et du nouveau Destour, et devient << le chef du nationalisme tunisien n : c si Rourguiba avait Ct6 11, il se serait efface devant lui, colnme tout le monde u (15). Colnme Mohamed V aprks le d i r o u r s de finger se range du cAte de l'lstiqlal, il appuie les revendications du NCo-Destour et, sunout, sait rCunir autour de lui les Clites modemes comme traditionnelles, ce que Bourguiba, en revanche, n'avait pas rdussi B accomplir. Mais, dCposC par le MarCchal Juin en 1943, et exile conlnie Mohamed V (16). il meun en exil ii Pau en sepambre 1948. Sa mort - alors que sur le trdne rkgne'lamine Bey, sans personnalitk - permettra alors a Bourguiba d'avoir 8 nouveali It champ libre et de revenir en hCros sans subir la concurrence d'un roi c11arism:lique. Lorsqu'en 19.57, Bourguiba dipuse le bey. le sultan Mohrilned Ben Youssef parle d'un saut dans une aventure inconnue ,, et rappelle I'anibassadeur du Maroc a Tunis (17). La disparirion de la monarchie lunisienne semble alors plus s choquante >> au hlaroc qu'en 1-unisie. La structure de l'e.s~rtbli.sltnle~trreligieux en Tunisie la veille du protectorat suit le modtle ottoman. Les IettrCs tunisiens se sont constituts, a la fin du x l x e sikcle, une identit6 institutionnelle (18). Les grands cadis des villra principales, le .slrq\lkh al-islcirn hanCfite et les muftis des rites malekite ct ilankfite sont encore dotes d'un pouvoir juridi ue imponant. Ces pcands magistrats ant un pouvoir institutionnel lie Ctroite ent ii celui du hey. Ils sont (( 1 (9) Rogcr 1 2 Tourneau, FPs avant le pmtecrorat, editions Arlantides. Casablanca. 1949, p. 2 14. (10) Voir Nourredine Sraieb, u UniversitC et sociftd au Maghreb : la Qarawiyin de F&set la ZaytGna de Tunis n, Revue de /'Occident musulrnan er de la MkdirerrunPe, 38, 1984, p. 63-74. !I I ) Edrnund Burke Ill, op, cit. 112) palilique de I'AJrique dl4 hford ntusulma,te, 1920-196 1 , Armand ,--, Roeer LC Tourncau, ~,~oltition Colin. Paris. 1962, p. 180. (13) Entretien avec I'un des fondateurs de I'Associarion dcs OulCmas rnarocains, Rabat. printemps 1999. Voir aussi Abd al-Hadi 'Tazi. Jhmi' (11-Qnrarili!ybt. Dar al-Kitab al-Lubnani. Beyrouth, 1972. (14) R. LC Toulneau, 017. cir.. p. 96. lbi[lenr, p. 97. (16) Pierre-Albin Martel. Hahib Rortr~~tihu Un ~ O I I I Iu~t I Isii.c.le, ~. tditions du Jaguar. Paris. 1999. ( 17) Re'alirCs, 13 septernhrc 1957 (journal marocain). (18) A. Green. The Tiinisiutt 0lur11rr.IX7.f-IYIS. E. J . Brill, I-eydc. 1978, p. 51. ( IS) - )I; 66 1Monarchies arabes F,. S'elolgner. se raoprocher la aestinn G I IP ronlrhla dfi t 9 , ~ ~ - . - . . les representants du souverain et sont nommes et r6voquCs par lui. Mais en venu de leur fonction d'interpr&tes de la sltari'a, ils ont une certaine autonomic dans leur profession, meme s'ils ne s'opposent que rarement au souverain. En general, les oulemas tunisiens font preuve de loya'~'5 et de passivite face au bey (19). Ils jouent essentiellement les rdles de m6oiateurs entre les Tunisiens et le beylicat. S'il leur arrive de faire preuve d'une certaine independance, ils ne le font qu'individuellement, et restent, en tan1 que corps professionnel, dans le giron du pouvoir monarchique. Rien de tel que la dkposition d'un bey par les oulkmas tunisiens (20). De plus, les oulCmas tunisiens vivent dans une certaine symbiose avec les confrkt-ies, et l'on ne trouve pas, comme nu Maroc, d'opposition forte entre les oul6mi~ssalafistes et ceux qui appaniennent aux confrkries, cat les oulkmas rtformistes appartiennent aux confrkries sans que cela setnble s'opposer h 1'idCe d'une reforme de I'islan~(21). Le mouvement anti-soufi de style salafiste n'a pas pu se declarer agressivement ou de manitre forte en Tunisie (22) jusqu'aux annCes 1920, b part de rares exceptions, qui confirment la regle. Le r61e des oulCmas tilnisiens dans le combat pour I'indCpendance a CtC mineur si on le compare B celui qu'ont jouC les Clites modernes. Ce << retrait M de la sphkre politiclue dirralit le protectoral, Ies prive d'une certaine ldgitimitk qui profite au NCo-Destour de Bourguiba. Celui-ci n'est pas veritablement encombre par un Allal al-Fassi. Le cl~eikhThalr?libf, un '8lirn de la Zitouna ( 2 3 ) , auteur de L.n n o ~ i s i e mnrgre, malgre son attitude rkformiste et nationaliste, ne representera pas pour la jeune gCnCration de professions modernes un concurrent politique de taille I1 sera d&slors aise pour Bourguiba de representer - injustement - une partie des oulkmas comme des traitres (24). mCnie s'il leur aura fait concurrence sur l'utilisation des symboles religieux. Dans les faits, les oulCmas dans leur cnsenlble avaient operd un retrait dc la scene politique, sans vouloir prendre position face h I'occupation etrangkre ou au nationalisme laique qu'ils voyaient comme deux maux egaux. Jusqu'au moment de la prise de pouvoir par Bourguiba, la majorit6 des elites politiques pense A la mise en place d'un regime de type monarchie constitutionnelle. Le 8 avril 1956, les deputes Clisent Bourguiba president de I'AssemblCe nationale et l'appellent a former le premier gouvernement de la Tunisie indipendante. Bourguiba fait alors figure de veritable chef d'ELat face h un Laminc Bey qui ne parvient pas h s'imposer politiquement. Le 30 mai 1956, 1' AssemblCe constituante vote l'abolition des privilkges de la farnille husaynite. c< Bourguiba ne manque pas une occasion de lancer des piques contre I'attitude peureuse des beys au cours des dicennies passCes - Moncei Bey exceptd. r (25) (19) Mohamed-H6di ChCrif. u Hommes de religion el pouvoir dans la Tunisie dc I'6poque modemc n, Attnales ESC. mai-ao0t 1980, 35' annee, no 3-4, p. 580-597. (20) A. Green, op. cir.. p. 57. ( 2 1 ) lhidettem. p. 58. . j La reformulation du religieux i : Au lendemain des independances, les rkgin~esmabes. qu'ils soienl monarchique ou r6publicains. accordent une attention souteour P la variable religieuse, qu entre dans la definition de I'idenlite nationale * et devient l'ob,je( de debat! entre acteurs pq!$iques. Tour travaillent h contrtiler celle-ci en lui assignant unt place sp6cifique,.~msla definition de la culture nationale. Cette << assignation ,, qui delimite l'espace occupk par l'islam, permet au pouvoir politique, d'uoe pan de definir ses relations avec le religieux, d'autre part de le contr6ler. Deux lyper d'acteurs ont C t t pris en compte : les oulemas, porteurs du savoir traditionl~elet en corollaire leurs institutions de transmission du savoir et d'interpretation des textes - et les opposants potentiels qui pou\~aientutiliser I'islam a ties tins politiques. Ces K nouveaux u regimes domestiquet$ plus ou moins si~btilement les hommes de religion, les'mettant au service de I'Etat. Cette domestication doit se comprendre comme un asservissement, qui s'est opCr6 tout autant en monarchie marocaine qu'en republique tunisienne. Elle revirnt aussi au sens Ctymologique du mot : rendre <. domrstique w , en rarnenant dans l'espace ilr la << maison r. Mais les modes de contr6le de ces acteurs ne sont pas les r i ~ t ~ n e s dans la monarcllie marocaine el dans la republique tunisienne, et le sens que I'on donne ici au t e r ~ g d ea maison s doit Etre sp4cifiC dans chacun des cas obsemts. Au Maroc, c'es!,.le rnakhzen avec en son cyntre I'espace privk qui entoure la personne du solii'erain. En Tunisie. c'est I'Etat represent6 par ses institutions. toutes asservies &'parti et h son chef Bourguiba. Cotte sphkre de domestication . du religieux tourne donc autour de la prsonne du roi au Maroc. de I'espace qui sppartient en propre ?I la monarchie inotnlnment celui des Palais, comnle le rnontre la tenue des duris hnssrrr~i~yu dans le sanctuaire du Palais de Rabat). Ellr est directement contrdlde par I'Etat - et le parti unique - en Tunisie tlrs cC$monies religieuses re faisaient au sein de l'espnce d r 1'adminis(ratioll de I'Etat ou des mosqudes, e l l e s - m h e s sous grstion ktatique, et plus rurement au Palais de Carthage). L'asservissement des porteurs du savoir religieux est dks lors bien plus radical drns le cas de la Tunisie, ob les reformes w centrent sur I'institutio~elel oP la circulation de la parole religieuse est rkduite h son minimumpar le pouvoir en place. En revanche, au Maroc, si les institu~ions religieuses sont touchbes, comrne nous le verrons pll~sloin, par les dkisions politiques de la rnonarchie, c ' e a sur un mode plus subtil, qui va laisser perdurer cenains espaces traditionnellement occupks par les hommes de religion tout en , (22) I-eon Carl Brown. a The Religious Establishment in Husseinid Tunisia r,. Nikki R. Keddie. op. rir., p. 47-94. (23) La Zirouna fut eripte cn 737 B Tunis. EIle y fut jusqu'au xlxC siPcle lc lieu le plus important de formation des IetuCs religieux. ' ;', (24) H. Bourguiba, Discours, tome 11. 1956-1957, p. 126. I Monarchies arabes Le 25 juillet 1957, Rourguiba prend la parole dcvant I'Assemblt constituante, et fait le proces de la dynastie husaynite, en cita~ltscs N hassessc et trahisons x (26). Puis il annonce la naissance de la rfpublique dunt il isccp; de devenir le chef. La dCcision est votCe a I'unimimitd. Lamine Bey est destitu, puis assign6 en residence surveillee. L e i prockdures utilisees durant I constitution de la rdpublique annoncent deji la mise en place d'un p o l ~ m personnel. (25) Pierre-Alhin Martel. op. cir., p. 69. (26) Sophie Bessis, Souhryr Belhassen. Bortr~lciha.Iu Afrique Livres p. 174. co,cyc,Cte d'rot rlestit, /YO/-jyj'7. rome 1. Jeunl: Un univers religieux fragmente et pleinement << habite ,>, sous contr6le du roi les rapprochant autant que faire se peut de la <. maison du roi r. centre du Palais. En Tunisie, les institutions traditionnelles, dit-on, doivl..:r devenir modernes D. Leur identitt doit se conformer h celle d'un Etat cc n~uiiernist,>,diparti .de ses . aspects traditionnels H et don1 la tlche est de mener.les Tunisiens vers le a dtveloppemeat D, le a progrks >), en accord avec la r raison x. La religion est directement CtatisCe. nlals inserke dans un cadre institutionnel et administratif, q u i semhle, B l'oil nu. n'entrelenir que peu de rapports avec la personne meme du president. (( Le monarque marocain est un slrarij: c'est-A-dire un descendant du Prophkte. Cstte qualit6 lui donne une dimension religieuse, mris pas nkcessairemellt divine. S'il n'a pas de nature s divine r en soi (le roi n'est pas lui-meme un saint >, par exemplo, et exerce des fonclions politiques profanes accomplies quntidiennemmt. qui lui prennent plus de temps que ses obligations religieuses), sa fonction religieuse lui conRre en revanche un stamt specifique. Celte fonction e religieuse 0 est dans les faits d'ordre politique, car il s'sgir, pour le N Commandeur des croyants D, de protCger et conserver le r61e de I'islam dans la difinition de la nation et des normes sur lesquelles la communauti repose pour son fonctionnement. C'est en ce sens que le mi contr6le et preside rheoriquement le ~liondedrs oulknlas et qu'il se reprCsent?iui-meme cornme un 'd16n. Contrairemmt B In fonction de protecteur de la religion, la fonction royale de 'rilb~ne s'afinne pas - dans les faits - sur le ~tlodede la continuit6. l a mi n'intervient en tunt que to1 que de maniere ponctuelle. S'il dirige la communautC des savants dr: I'islanl. le travail d'interpretation de la religion est pris en charge par les oulkmas eur-nlerncs, niilis sour son contrdle. S'il a theoriquement la capucite d'interpreter ies sources religieuses, et s'il n'y a pas de division fonctionnellc entre le chef dr ~ * B tel~ les t hommes de religion. la monarchie laisse aux ooalkn~asleur fonction d'interpretes den sources et s'en retire le plus souvent, pour y revenir aux gnnds nlonlenls de cnse. La fonction religieuse re partage ninsi entre le roi rtles llomn~esde religion, ce qui perrnet 8 la parole religieuse de circuler, et de construire un espace religieur bien plus ample qu'en Tunisis, ce qui lc rend plus .c habitable N par les poneurs du savoir religieux. Pour laisser perdurer la raison d'etre des oulen~asel leur permeure de p6nOtrer cet espzc!:, il e a necessaire de leur donner des fonctions qui les rendent identifiable. en tad! qu'oulemas, mais de s'en approprier cenaines, qui murquent la prCsence et le cc)-~r6le royaux. Le fonctionnernent de cet espace religieux hit appel 5 plusieurs f i teurs, ~ dont Ir stnlut religieux du souverain. ou les strategies likes sun relations de clienteles. Mais i l ne pourrait se faire sans le travail politiqt~e que la mvnarchie a optre sur les institutions religieuses, donnant naissance i des nlecanisnles de fonctionnement qui on1 donne une forme hien paniculihre h l'instrumentalisation de I'islam au Maroc. . Au Maroc. l'identitt traditionnelle >, des institutions religieuses et des oulCmas est en grande partie respectee, car elle reproduit lit tradition de la nlonarchie. Elle la mime, lui offre une IOgitimitC par resseinblance el par fusion : celle de I'ordre G ancien >>, qui se dCroule darls la rnCtnoire gCnCalogique. En un sens, elle dCcoule d'un double mouvement : une privatisation de la religion dans la personne et i'espacr prive du roi, mais qui ent aussilbt a puhlicisee n, donnee a voir, cornme definissant une partie du paradigme national au sein d'un espace que les oulernas definissent en partie. Par la-rneme, le roi est bien le lieu mime de l'intermkdiation. Le mouvement de privatisation permet d'incorporer un charisme religieux dans la personne royale, et sa publicisation permet d'en faire un symbole national. de dessiner I'Cquation enlre nation marocaine et monarchie. En revanche, Bourguiba ne prend ce r6le d'intermcdiaire que trks rarement, refuse de se placer au centre de la sphkre religieuse, ce qui bien sClr tie I'empCche pas de dessiner I'Cquation Bourguiba-parti unique-Tunisie. La sacralisation du c. p&re>, den Tunisiens ne passe pas - ou t r b peu - par I'islarn. La comparaison perrnet ainsi de mettre en avant que personnalisation et autoritarisme politique ne dicoulent pas forcCment de I'incorporation dc I'islam dans la personne du M chef m, mais d'une relation de domination qui tient dans le contrble de I'espace public - contr6le qui se fait sur des modes divers, et oh la religion peut jouer un r61e crucial, cornme le montrent nos deux exemples. <( Cette diff6rence ne signifie donc pas quc ] ' h a t tunisien n'aie pas aussi dans son discours misC sur les aspects traditionnels pour construire son identitC, ou que la monarchie marocaine ne se soit pas dbfinie comnle moderne >, et portcuse de << progrks n (27). De plus, I'islam est rest6 trks prCsent dans la construction de l'ideologie nationale (28) tunisiennc. La diffbrence tient plutat dans la symbiose possible entre institution religieuse et forrne du rCgime politique. Elle est plus forte dans le cas de la monarchie. Cette symbiose ne signifie pas non plus que la monarchie est entieremcnt et solidement fondCe sur le facteur religieux, ou encore que I'islam dtfinit enti2rement la rnonarchie marocaine (29). Les modes de construction d'une proxinlirC entre pouvoir politique et religion perrnenent en revanche de distinguer entre la monarchie de Hassan I1 el la rtpublique de Bourguiba. (( [27) Par exemple. I'opkration msid.~(bcoles coraniques) IancCe par Hassan I1 en octabre 1968 sewait, ?i partir de la renaissance de I'enseipement coranique traditionnel, ?i combatte le sous-dtveloppernent ?i travers un effort suppltmentaire d'alphabttisation. Voir Maghreb, no 35, seotembre-oclobre 1969, p. 35. (28) Voir Yadh Bcn Achour, * Islam perdu, islum retrouvC n, ~ n n r r a i n ; ( $ elI'A/riyue du Nord, 1979, 65-75. ~ lan ~ ~ ~ ~ ~ (29) En ce scns, ,tidee dkvelopp& par Moharned Tozy de I'islam c0mm.e ~ o i n t d ' dc po\idquedominanle m. peul arc nuancee. La reforme institutionnelle de I'islam Sous Moharned V, les premieres transformations de la sphelr de I'cnseignement religieux sont inspirees par les u modemiaes >> et directenlent dicties par unc politique d'unification de I'enseignement gin6ral marwain. Lid& rcsse~~lble fort B celle qui est mise en application en 'l'unisie : moderniser I'enseignement cn le lalcisant, marginalisant ainsi la Qarawiyyin (30) et ses oulCrnas. Au monlenl oil I'universile modeme de Kabnt est crCee, en 1957, i'enseignoment primaire et secondaire de la Qarawiyyin est nCligC. Celle-ci ne subsisle que cullllle spkialisation universitaire. La riforme est ainsi irks senlblablc P celle qui a lieu a peu prks au msme moment en Tunisie. Au lendemain de l ' i n d e ~ n d w c c ,le roi du Maroc n'a pas encore beaucoup de marge de maneuvre. I1 laisse prohablement p. 70 1Monarchies arabes .' (30) La mosqute Qara~giyyin,construitc a F$svers 859, deviendw sous le.\ Almora,,ider une univerrith qui formera jusqu'b I'ind6pendtlncc une partic des d~teurs de la lei islarniquc au faire les Cldments modernistes du mouvement i-tationaliste dans leur affaiblissernent des oulCmas. D'une part, face 2 un champ politique diversifii, il n'a pas la marge de rnanauvre d'un Bourguiba a la m&mekpoque. D'autre part, il voit le danger que signifient pour la monarchie le Parti de I'Istiqlal et I'un de ses chefs historiques Allal al-Fassi, '8lirn salafiste de la Qarawiyyin, qui represente une source de perturbation potentielle pour Mohamed V. Lui aussi a kt6 exilk, et est represent6 cornme un i c l ' f m . Les oulimas vont ttre ainsi dans leur ensemble relativement affaiblis par la transformation de la Qarawiyyin, qui n'est pas engagie par un texte de loi qui la conceme directement (cornme en Tunisie en 1958) rnais par la creation d'un systkme d'enseignement public modeme et de l'univenit6 marocaine en 1957. Cette transformation de I'universitC religieuse est perque par les oulkmas eux-m@mescomme un affaiblissernent et une mise I'Ccart radicale, et ils s'opposent farouchement h une potentiejle dispdrition de la Qarawiyyin. Cependant, ces preniikres interventions de I'Etat marocain i~dCpendantsur la sphere religieuse selrtblent hire noi ins de bruit que celles de 1'Etat tunisien sur la Zitouna. Cette nuance s'explique par deux facteurs. D'une part, dans le domaine du droit, les oulemas gardent une graride partie de leurs prkrogatives. En effet, en 1957, Mohanled V crCe une commission pour examiner et Cventuellement rkviser le code du statut personnel. Allal al-Fassi en est le rapporteur. 11 en resulte le texte de la Moudawana, codification maldkite du droit musulman concernant le code du statut personnel. d'inspiration tr&straditionaliste, qui permet aux oulCmas de rester gardiens de la loi islamique. C'est la seule (4 institution N religieuse qui reste theoriquement - sCpar6e ,)de la monarchie dans le travail de definition de la n o n e . C'est pourquoi c'est sur la rCfonne de la Moudawana et des droits de la femme. demikre chasse gardke des oulirnas rnarocains, que s'exprimeront bien plus tard, et a\.ec vigueur. les oulCmas, mais aussi le roi, qui face au debnt houleux sur la question se rkappropriera le discours religieux sur la femme. D'autre part, si le sort de la Qarawiyyin ne parait plus aujourd'hui cornme ayant kt6 celui d'un moment traumatique (31), c'est aussi parce que le successeur de Mohameti V, Hassan 11. adopte une politique plus conciliatrice avec les oulemas au dkbut de son rkgne. Son travail de domestication commence avec une approche bienveillante, qui lui sen a les placer H dans le champ religieux, pour ~nieuxles contr6ler. I1 nomrne Allal al-Fassi aux Habous (32), alors que son pkre I'avait ignore dans le champ politique, et il offre j. la Qarawiyyin, dont la question du devenir traine jusqu'au clnhir (dCcret)de 1963, de revenir comnle institutiqn B pan entikre dans le . champ tducatif. Alors que Mohamed V avait jusqu'alors IaissC les oulemas aux prises avec le ministere de ]'Education nationale, et n'avait pas rkpondu ii leur refus d'ttre inttgres dans I'enseignement niodeme, la rnonarchie de Hassan 11, qui veut affaiblir la gauche politique. renforce la position des oulCmas. Ainsi, aprks 1962, quand la Constitution offre h Hassa~lI1 le statut officiel de Conlmandeur des croyants n, la monarchie agit directernent sur le son de la Qarawiyyin et le statut des oulCmas : le dCcret de 1963 traduit une volte-face politique vis-a-vis des oulCmas et leur redonne un r61e institutionnel. L'existence de l'uni\rersiti de la Qarawiyyin est rCaffinnCe, avec ses dtpartements, mais reste depourvue d'un II troisibme cycle. Un an plus tard, en 1964, la crCation de drir al-l~udirh'11ltassaniyyo vient remddier h cette absence. Pour pallier I'inexistence d'enseignernent prirnaire et secondaire religieux, on crke I'enseignement u originel * (aslf)d&sque ceux-ci sont supprimkr, au sein du systkme genCral de l'dducation nationale, dans une filikre spkcialiske qui mtnr ?I la Quawiyyine el qui sera revaloriske B partir de 1972 sous le nom de m'lbrt mil. Cette r e f o n e de I'enseignement montre ainsi comment la nlonmhie de Hassan 11. tout en r sauvant r le personnel religieux de la quasi-disparition, I'a place dans le temps sous sa coupe, en fragmentant entre trois sphbres d'appanenance I'espsue iducatif qu'il occupait : Qarawiyyin (avec ses divers dtpaneolel~ts gdographiquernent skpxks en annexes provincialss). enxignernent o~iginelfqui fa@partie de I'Cdyf..ation nationale), et dur ul-lruriirh (detach6 du ministkre de 1'Education natior7le). Plus tard, la creation des dkpanements des d~udes islamiques au sein de I'universitk modeme A panir de 1979. comme la mise en place a pmir du milieu des anndrs 1980 des chaires d'enseignement religirux (hr6si ' i l m i p ) au sein des mosquies tenseignement qui est par la-nleme sous la coupe des Habous), ne feront qu'augmenter cette fragmentation de I'institution religieuse qui n'est pas ensemee d m s un cadre unique et homogene, mais fragment6 et concurrentiel. Cette situation de concurrence entro les instit~~tions est alors produite par le jeu du rapprochement et dc la proximil6 au Dlrr al-Mok/~;e/l et perrnet au roi d'utiliser Ies riseaux de clientkle de rnaniere efficace el sCIe~li\~e en favorisant cette competition entre filikres dc fornlation dont auoune ne peut ' parvenir occuper un monopole. Progressivement, sous le rkgne de Hassan 11, les filitres d r formation religieuse,se sont donc multipliCes et on1 fragment6 le groupe dejd diversifii des prodi;y~eursdu sens religieux. Elles empschent aussi les hommcs de religion de se;~:pnoevoir conlme corps professionnel unifik face a un rnonarque qui s'ap\;roprie et dirige le discours religieux. Dbs lors, la seule institution dans laquelle ils se reconnaissent reste celle de la monarchie ellememe ou de l'opposition celle-ci. Par ailleurs. alors qu'en Tunisie les Habous sont nationalis6s, leur situation reste inchangee au Maroc. La Moudawana de 1957-1958 ne fail pas mention du devenir de biens de main-mone. D&s le deuxierne gouvernement Bekkai, le 28 octobre 1956, le ministere des Habous n'est plus mentionnd dans ,la lisle des minisrkres girds par le gouvemement. I1 passe directement sous le conti6le de la monarchie, devenant ainsi un ministdre rattachd au Palais (33). Pourtant, les Habous ne jouent pas le mime r6le qu'en Tunisie : rkformks au tout debut du protectoral par Lyautey qui desirait sauvegarder cette part de la c~ personnalitd r marocaine, ils servenl niCme parfois 2 t financer I'Elat ~narocain. plut6t que I'inverse, comme cela se passe en Tunisie (34) .- ,- .,. La monarchie marocaine n'attaque donc pas, aprks I9ind6pendance, Ics oulemas de front, comnle ce fut le cas en Tunisie. Elle crCe un monopole religieux qui part de la personne du roi. tout en permettint I'existence de r petites entreprises D religieuses qui restent assez faibles politiquement et qui i I 1 I 1 (( II [ (( (( (31) Dans unc sCrie d'cntretiens conduits avec des oulCmas qui ont appanenu A la Qarawiyyin B celte kpoque. au printernps 1999, la rCforrne de 1963 apparait cornmc anodinc, n'ayant que rcdonne ses a droits P A I'instilulion. (32) Le minisrere dcs tlabous ghre ies biens de main-mane el les affaires du cultc. (33) Lea Habous furen1 mis sous contr6le du protectordr parllr & 19 15 cc,mmc ~ , d d i le~ dallrr ~ ~ i du ~ 2juin1915. (34) Joseph Luccioni. fondurions ptelrses r Hubvus Y ulc h i ~ r ~ cIlnprimcrle , royale, ~ ~ b ~ , . date. A -, 72 IMonarch~esarabes .- > 3 .! 1S'BIolqner se raoororhpr In nocttnn A* I.- ---a =* ont pour fonction de produire un discours religieux sous son contrble. La monarchie les met ainsi i son service tout en leur permeltant de se faire concurrence entre elles de manikre IimitCe. Elle se donne de la sorte les moyens d'empecher les c< lai'cs n de parler de religion - puisque des institutions religieuses existent qui donnent avant tout la parole B ceux qui sont institutionnellement dCfinis comme oulemas - rnais aussi les oulCmas d'aller trop loin dans une possible critique religieuse du rdgime, pilisque cette institution religieuse est sous contrble de la monarchie. Ce contrble par la (c fragmentation ,, du groupe des oulCmas en divers canaux institutionnels a fr-lcilitt le travail d'affaiblissement des hommes de religion, mais a produit, h plus long terme, certains effets pervers. Les carrikres des oulCmas ntes de ccs rtformes passent aujourd'hui par une mosaique d'affiliations possibles et de combinaisons entre ces affiliations. La sph&re religieuse, originellement fi-agmentie par le pouvoir. devient alors, en tenjps de crise. trks difficilc 3 maitriser autrement que par l'usage de la violence d'Etat. Le discours religieux peut y circuler avec une cel-taine aisance, car la fragmentation de la sphkre religieuse a aussi pcrmis la criation de rdseaux diversifits d'appartenance, qui ne sont pas facilenient contrblables par le pouvoir. Ainsi, cette stratkgie n'a pas pu empecher I'Cmergence de I'islamisn~eau Maroc, qui esl cependant intervenue plus tardivement qu'en Tunisie, vers la fin des annees 1970. C'est pourquoi Hassan I1 a dQ, au d6but des annCes 1980, construire une institution nouvelle : les conseils des oulCrnas, rtpartis sur l'ensemble du territoire marocain. Le but de cette loi fut de contr6ler au plus prks et d'unifier la sphEre rcligieuse face B I'Crnergence de I'islamisme. M@mcsi le ministkre des t.labous et dcs Affaires religieuses Ctait d6j8 modele par le pouvoir monarchique pour jouer ceite fonction dc contrhle, celle-ci se trouvait redoublke, mais ironiquement, fragmentair encore la sphere relil'Tleuse. LC caractere fragment6 de. la sphEre religieuse contr8lCe par la monarchie renvoie conime dans un effet de miroir ii la diversite et i la fragmentation de 'l'ensemhle des oppositions islamistes marocaines. Alors qu'en Tunisie, le rnouvement islamiste qui nail A la fin des annees 19(i0 tvolue sous la forme d'un rnouvement de masse, au hlaroc, il se dkcline en plusieurs versions difSCrenciCes (35). Mais s'il y a un espace de la sphere religieuse que la monarchie n'a pas balist el travail16 institutionnellement. c'est cclui des confreries. Elle les a clientClis6es A trirvers ses relations avec les Clites rurales C36), rnais elle ne Ics a pas institutionnalisies dans une structure qui les contrble directement en leur offrant des rkgles de Sonctionnement. C'est pourquoi c'est au niveau de la sphere tic I'islam rnystirjue que l'opposition la plus tenace mais aussi la plus singulikre s'est exprimte contre la monarchie avec la dissidence de Abd al-Salam Yassine puis de son groupe d'al-Ad1 wallhsan (37). Le mouvement islamiste tunisien al-Nahda, en revanche, n'aura pas de rCfkrences B I'islam mystique et se rtclamera au contraire d'un islam rCfor~nC et rkformateur. Le contrdle par I'institutionnalisation et la marginalisation des oulemas en Tunisie i 1 1! f i I ' (36) RClny 1-evcau,op. cir. (37) Voir Moharncd Clrckro\rn, u lhlnrnisme. mc~sinnisrne ct u~opicau Maghreh m. /\rrhives drs p. 127- 152. Mohamcd El Ayadi, scieilces sociolrs des religintls. 199 1 , 75 (juillct-bcp~cmhre). cc Abdessalam Yassine ou le poids dcs paradigrncs dans Ic parcours d'un nouvcau clcrc >, in Ai'ssa Qadri (dir.).Purcolrrs d'i,lrellrcr~r~ls r,loghribir~s.Karthala. Paris, 1999. ) t~lonarchtesarabes 1: Alors que la monarchie rnarocaine travaille A incorporer les oult?mas dans son espace r n h e et P les absorber dans son syst&me, I'bistoire des relations entre Bourguiba et les cuilJ6mas est celle d'un affrontement direct et presque constant. Point de fusion, n ime factice eptre Bourguiba et les hornmes de religion. Dks lors, I'instrumentalisation par I'Etat tunisien de la variable religieuse sera na~ins subtile et bien plus contradictoire que,celle opCrCe par la monarchie marocaine. L'appropriation par le chef de 1'Evat tunisien d'une fonction religieuse (notamment celle de I'interprktation des texles rCvCles) apparalt d'ernblke comme scandaleuse pour les hommes de religion, comme ce fut le cas lorsque Bourguiba donna sa propre interpretation de la loi musul~naneen interdisant la polygamie. Rourguiba, s'il contrble les oulemas, agit en tan1 que chef politique, mais p'est pas leur chef religieux au sens de Hassan 11. Dks lors, le monopole de 1'Etat sur I'institution religieuse reformtie est un monopole politique, qui n'est pas issu de la fonction 011 du statut religieux d'un chef ou d'une sphkre de pouvoir. Ce monopole se rCalise dans la distance, qui se marque aussi dans les expressions qui furent utiliskes pour introduire I'islam dans la Constitution. Lors des dCbats B 4'XssemblCe nationale constituante en avril 1956, Rourguiba. alors Premier mi!.istre, s'oppose au cheikh Zitounien Chadli al-Nayfar q u ~ propose de quali r,r la Tunisie de (c pays musulman et arabe B alors que Bourguiba opte sur un mode autoritaire el sur un ton agact pour une Tunisie c dont la religion est I'islarn et In langue I'arabe r (38). La r15publique tunisienne a incorpore la fonction religieuse dans son administration, de rnanikre radicale, au sein de structures de nature profane, mais d5s lors, se les rapprochant sur ce mode contradictoire, elle se les a alients de manikre plus durable. Si les oulkmas y'ont pas la possibilite de faire preuve de distance politique par rapport A 1'Etat tunisien, leur distance cc affective n par rapport ii celui-ci n'en est que d'autant plus grande. Habib Bourguiba Ctait un admirateur de Mustapha Ken~al,mais considerait sa politique sCculariste comme trop radicale. If avait pourtant, dans 1e monde arabe et musulman, la rbputation d'Ctre un anticldrical dans la droite ligne de la laicit6 rkpublicaine frdnqaise qui I'influen~atrks certainement, mais qu'il ne mena jamais & son terme, reconnaissant qu'il fallait prendre en compte et respecter l'islam comme donnee fondamentale. Lors d'une visite en Turquie, le 25 mars 1962, il dtclarait d'ailleqrs : <c Pour 1 ~Arabes, s la religion a prtcCdC ~'Btat.Avant I'Etat. elle a ltgifdrC. A c616 de I'Etat et avec lui, elle doit guider, inspirer, harmoniser. Nous tenons ces deux entitis pour complCmentaires, non pour contradictoires, et il nous parait plus lCgitime de les ,unir que de les skparer P (39). S'il travaille h leur union, c'est pour offrir B cc 1'Etat , les moyens de contraler la c< religion s. (38) Enttetien de 1'6t6 1997 avec un obsewaieur plitiquc ?t Tunis ayam assist6 Aces dthats (39) Citt par Nohsen Toumi, la T~rtztsiede Bourgurba d Ben Alr, PUF, Paris. 1991. p. 34. / S'Bloignh~serapprocher : la gestlon et le conlrble de I'islam . . . lb Form6 au droit friinqais, issu d'un milieu ~nodesteet provincial, il a ocuvr6 contre le natio~ialismetrop timide dc la bourgeoisie traditionnelle tunisoise liee aux grands marcliands et artisans do la mkdina. ainsi qu'aux grandes farnilles d'oulCrnas de la Zitouna. La vision bourguibienne d'un avenir national se construit h i'encon~redu conservatisme de la majoritt dc I'insritution religieuse. Mais il ne faut pas oublier que Bourguiba cst un grand nianipulateur des symboles religieux : i I connail hie11 le texte du Coran, qu'il utilise dans ses discours et ses Ccrirs. En 1929, il signe un article dans I'A(.tion en filveur du voile ferninin. dCcrit colnrne un symbole de I'identitC nationalc. En 1932, i l soutient le mufti tunisien dans l'affaire des tiaturalisations : ceux qui parrni les Tunisiens se font naturaliser franqais perdent leur qualit6 de musulmans, et ne pourront Stre enterrks en cirnetikre nlusulman. Pourtant. dbs qu'il accldr au pouvoir, Bourguiba signe la fin des hommcs de religion. en rktrecissant l'espace O C C U ~ Cpar l'institi~tionreligieuse. i\u lieu d'insirer le religierlx dans le cercle du pouvoir politique cornme le fait l-lassan 11, i l e n r6trCcit la portke, et I'inscrit dnns un espace profkne, sous contr6le de I'Etat el cle ce qui va devenir rapidement le parti unique. II fern~e1'univer)ite religieuse crkCe plus de dix siecles plus t6t et rnet au pas ses oultmas. L'Etat bourgulbien impose ulors un. monopole total sur la production de I'interpretation religieuse. Si Boi~rguiba, des le debut de sa carriere politiclue, fait usage du religieux pour construire une panie de sa ICgitimitC politique, les acteurs religieux, quant B eux, sont kcartes du centre de I'arene politique, et de son entourage direct. Aprks I'indCpendance en 1956, de I'institution religieuse, il ne reste plus en Tunicie qu'un mufti de la RCpublique, une administration des cultes - directement relike au premier ministere - (le culte musulman Ctant alors subventionnC par 1'Etat) et une facultC de theologie. La destruction de I'institution religieuse se fait en meme temps que la prise dc pouvoir extremernent rapide de Bourguiba. Deux annCes lui suffisent pour dimanteler l'ancienne structure religieuse. En effet. Bourguiba met fin h l'existence des biens de main-morte, les Habous, entre 1956 et 1957 (40), privant ainsi les oulCnias d'une de leurs sources de revenus les plus importantes et les mettant sous la coupe du ministkre des Affaires religieuses qui contrale I'administration des mosquCes, les zaou'ias, les prCcheurs, et route question like au culte. 11 exclut aussi les oul6mas du domaine du droit en publiant le code du statut personnel ( J l ) , qui Cvacue plusieurs des dispositions dictCes par la shori'o, en particulier la polygamie, lout en conservant celles liees B lYhCritage,h I'adoption et B la filiation. La justice tunisienne est unifiee. Les cours de justice religieuses (tribunal de la charan) disparaissent (42). Les membres des t~ibunaux du charcra sont int6grCs dans les cadres de la magistrature d'Etat. En 1958, la reforme de I'kducation porte le coup de grlce A l'influence des oult5mas. L'enseignement est unifiC wtour de l'enseignement sc;..: fermCes, et l'universitd rnoderne, les Ccoles primaires religieuses (k~rtrbb) de la Zitouna supprim6e et rdduite h une simple facult6 de theologie au sein de la facultd des lettres de Tunis (43). Bourguiha mtne aussi plusieurs campagnes mettant en cause la pratique religieuse des Tunisiens et pousse a la s6cularisation de la soci6t6, tout en Faisant fi des reactions ndpatives des oulemas : au debut de I'annie 1960. il incite lrs travailleurs B rompre leur jedne pour. gagner (( la bataille pour le ddveloppement fi. Pour les oulimas, la nigatioll d'un des cinq piliers de la religion est scandaleuse. Ils refusent de le soutenir et Bourguiba m&nealors une campagne de denigrement contre les rrprdsentanta du systkme religieux,i.!nisien. Ainsi. l'interprktation du Ramadan par Bourguiha se situe B I'opposi 6.: celle de Hassan 11. Le 19 avril 1964, a Sfax, le president tunisien regrette publiquement de voir les Tunisiens si profondelnent attaches h la fete du sacrifice du mouton, et veut leur fiiire abandonner la pratique du pllerinage 5 La Mecque pour des raisons economiques. Au Marou, en revanche, 11ann6esuivante, il sera interdit de rompre le jeDne en public. Cette interdiction a dans les faits une motivation d'ordre politique. La Ramadan de l'annee 1965 coincide avec la comrnCrnoration de la niort du roi Mohamed V. Allal al-Fab5i prksente lvrs drs dkbats parlementaires ses exigences en matiere religieuse. rt les ddbats sont passionnds. Au meme moment. la police, sur instruction expresw d y roi, a arretd un cenain.nombre de Marocains pour rupture publique du jeQne (44). Pourtant, la Tunisie ne rejette pas officiellement son identitt rnusulmane. La Constitution de 1959 maintient I'islam comme religion de I'Etat et du Prdsjdsr de la rdpublique n, el nulle part il n'est mentionnk que la Tunisie est un Eti'.laique (45). Le processus de sCcul;lrisation de la socikte tunisienne re rbali!(r:'dans une arnbiguiti certaine, et si Bourguiba veut modeler son pays B l'aune ue la rationalit6 et de la modernitd, il lui h u t aussi compter avec les secteurs traditionnels et religieux qui peuvent s'opposer h lui. On le voit alors du milieu des ann6es 1950 B la fin d r s annees 1960, garder une ligne antioul6rnas. tout en acceptant la rifkrence minimale au religieux. Les rdformes religieuses aprks I'independance sont ainsi plus radicales et appliquees plus rapidement qu'au Maroc. Bien plus que Hassan 11, Bourguiba construit une politique de rkformes qui font systkme. Elles sont dans leur tolalit6 conpues pour aftaiblir les oulemas dans l'ensemhle drs institutions et des lieux qu'ils occupent : fondations pieuses. droit et enseignement. L'ipke gkndrale est de mettre A 1'ecaI-t les ouldmas, de les affdiblir, et pour I'Etat tunisien, de s'approprier les fonctions qui ktrient jusqu'alors prises en charge par les ouldmas et leun institutions traditionnelles, en paniculier dans le dornaine de l'enseignement et du droit (46). Les oulkmas marocains, quant a eux, gardent leurs fonctions de magistrats interprdtant le droit maltkite, et ditiennent une proximite symbolique par rapport au monarque, alon que les oulemas tunisiens perdent la plupan de leurs prerogatives. Ceux-ci sont integrbs dans un espace homogbne et ritreci, contr6ld directement par I'Etat, qui a travail16 A en diminuer la validitk el I'Ctendue en aaaquant de front les oulkmas. q< Code penal puhlik en 1 x 2 . Voir ,%ghreb, ne 8, tique au bfwoc *, p, 24-27. (40) DCcrets du 21 mai 1956 el du 18 juillel 1957. (41) Decret du 13 aoQt 1956. (42) Dkcrets du 75 septcmbrc ct du 25 octobrc 1956. 1Monarchies arabes dh Ben Achour, o p . tif.. p. 65-75. hlalika Zeghal, E~~~ct plienne el tunisienne *, Critique Irtrcmario,~ale.trutotnlle desenchantant leur sphere d'appanenance et les dkplaqant dans la sphEre du droit positif et de I'enseignenient rnoderne. Au Maroc,' la monarchie les a affaiblis mais soutenus dans le m&me temps en leur offrant une proximite par rapport h elle, proximitt qui lui est nCcessaire par la dimension religieuse dans laquelle elle investit continuellement. L'islamisnie tunisien Cnierge dhs la fin des annCes 1960, bien plus t6t qu'au Maroc, et dans un riiouvelnent qui naTt explicitement contre les entreprises de ~Ccularisation mentcs par Bourguiba. Parce que,la sphere religieuse (et son centre : l'institution religieuse contr8lCe par I'Etat) a CtC rttrCcie et affaiblie, parce que les oulemas ne connaissent alors pas de proximitC reelle avec I'Etat, I'islamisrne se c~nstruit progressivement contre cette institution << contrblke 0 et contre I'Etat bourguibien lui-mCme. La sphere religieuse est loin dS@trea~issidiversifiee et fragmentie qu'au Maroc : les tenants du discours islamisle en Tunisie forment un groupe de reconnaissance assez homogene qui donne alors au mouvement islamiste une forme massive et assez homog?ne et se reconnait dans une ideologic rtformiste dont certaines modalitks pourraient aussi Ctre recoilnues comme heritage des constructions bourguibiennes B propos de I'islarn. 1 I ! i , i 1 ! ; / ; 1 iI . . . ?u rein m2me de ce lieu de I'intersection que le travail d'blversion - tel qu'il est mis en s c h e par le pouvoir ou par les oppositions islarnistes - reste possible. Le religieux et le politique se confondent nloins dans la monarchie dkfinie par Hassan I1 que dans la ripublique dessinie par Bourguiba. Paradoxalement, les lieux de production du discours religieux sont contrdlCs par la monarchie cornfile par la rtpublique, mais r reappropries n moi~ls direcrement par la p.:rsonne du roi que celle du prisidznt. Pour un prdsidea cornme Bourguiba, meme si sa personne reste << distante f i par rapport 1 I'islam, il n'est pas question de laisser kchapper le !ieu de parole religieuse de son contrdle. Vappropriation du religieux par I'Etat doit Ctre continue. Tant q l ~ e cette condition est appliquge, la circulation du discours religieux reste alors minimale. Mais si le roi peut se permettre de <q laisser parler >> d'autres sur I'islam, c'est aussi qu'il peut, au moment des crises. se reapproprier cette parole personnellement et trks rapidement, du fait d r son lignage et des constructions ' institutionnelles qui le renforcent. 1 i L'exemple marocain - Cclairt par le contre-exemple tunisien - suggkre ainsi que si la monarchie - parmi I'ensemble des rCgimes arabes - n'a certainement pas le monopole de I'usage du religieux. I'accEs B la variable de la parent6 lui permet de relier religion et politique de maniere plus riche et plus profonde que ne peut le faire une rkpublique. Mais la parent6 n'est pas le seul media qui permet au pouvoir politique de se relier Ctroitement au religieux. 1.a piCtC, par exemple, en est une autre. Mais elle reste plus fragile, elle est toujours susceptible d'Ctre contredite. Renforcee par le lignage, qui explicite le rapport au religieux dans la durCe passte et future, elle donne au lien religion-politique une force suppl6mentaire. La monarchie marocaine offre ainsi au religieux un espace habitable par d'autres qu'elle-niCme, espace qui ne se confond pas exactelnent avec les lieux de son existence propre, mais qu'elle peut partagcr, dans cenaines liniites avec des acteurs religieux diversifiks qui opkrent dans des ensembles fragment6s et - espere-t-elle - contr6lables. Ce jeu sur les lieux de la religion revient B << placer D, c'est-8-dire investir u (d'oh I'idCe d'une fonction << instrumentale >> du religieux, qui sert B le pouvoir en place), mais aussi choisir des lieux B partir desquels et ail sein ciesquels le religieux peut circuler et s'exprimer non pas seulement comnle outil ,,du pouvoir mais aussi comme politique et devenir mode d'expression qui se dCfinit en dehors de ce po~<.<~'!r une veritable contrainte pour la monarchie. Ainsi, la religion consiste dans un mode parmi d'autres de sacralisation du pouvoir monarchique. Mais dans le mCme temps, parcc que celui-ci est 'c sacrC >> et << domine u pour d'autres raisons que celles que la variable religieuse offre, il peut dkfinir lui-meme la place qu'il donne au religieux, en particulier j. travers la transformation et la mise en place des lieux qui institutionnalisent I'islam. Ces lieux oh le religieux circule sont tous plus ou moins relies, sur un mode ou sur un autre, au Dar alMclkhzen, mais, - et c'est lj. que la monarchie marocaine rCvkle sa difference avec la rCpublique tunisienne - il n'y a pas corlfrlsion entre cet espace de circulation et celui de la monarchie. On peut parler plut6t d'irrre~rection.C'est (( (< 78 IMonarch~esarabes 1S'6loi~lner,Ss ra~Drocher: fa aestion et In CnntrAle do I ' i c r ~ r n