Huiles alimentaires et industrielles

Transcription

Huiles alimentaires et industrielles
40 ans d’amélioration des plantes
"Le Sélectionneur Français" 2002 (53)
HUILES ALIMENTAIRES ET INDUSTRIELLES
Emile CHONÉ
Directeur d'AGROPOL
Résumé
Les huiles végétales ont connu une croissance modérée sur le marché français au cours des
40 dernières années. La part respective de consommation des huiles d'arachide, de tournesol,
de colza et de soja a été profondément bouleversée.
L'huile d'arachide dominait le marché en 1960, sa part est tombée à 4% du marché en 2000.
L'huile de tournesol était inexistante sur le marché en 1960, elle représente aujourd'hui 34%
de la consommation tous usages confondus. Son succès est le résultat d'une promotion
systématique menée par les huiliers.
L'agriculture française a pu participer à ce développement par le défi de la production que
l'amélioration des plantes française a largement contribué à relever en particulier par la mise
au point des hybrides.
L'huile de colza ne représentait que 5% du marché en 1960, elle en représente 34%
aujourd'hui.
Pour l'alimentation humaine l'amélioration des plantes a changé radicalement sa composition
en acides gras en éliminant l'acide érucique et, en conséquence, son statut nutritionnel.
Pour les usages non alimentaires, le développement du DIESTER a surgi depuis 1992 et
représente à lui seul 20% du marché total des huiles végétales, développement qui a pu se
produire grâce aux qualités physico-chimiques de l'huile de colza : fluidité et résistance à
l'oxydation.
Le marché des tourteaux a été multiplié par 10 au cours de ces 40 années.
Le tourteau de soja a vu sa consommation multipliée par 20, celle des tourteaux de colza et de
tournesol respectivement par 34 et 60.
L'amélioration des plantes
- a accompagné l'introduction en France de la culture du soja,
- a amélioré la qualité du tourteau de colza.
Sur ce dernier point l'auteur estime que cette amélioration a créé pour le seul marché français
160 à 260 MF par an de valeur, ce qui lui suggère qu'il reste une marge deux fois plus
importante à reconquérir par la qualité par rapport au tourteau de soja.
Il n'est pas inutile de rappeler que les huiles végétales sont des aliments essentiels de notre
alimentation. Outre l'aspect de qualité gustative de notre alimentation apporté par les corps
gras en général, les huiles végétales apportent, pour la plupart d'entre elles, deux acides gras
essentiels que l'homme doit trouver dans son alimentation car il ne peut les synthétiser :
- L'acide linoléique de la famille Oméga 6 ;
88
- L'acide alpha-linolénique de la famille Oméga 3, cette dernière famille très médiatisée ces
derniers temps dans la communication nutritionnelle et dont le caractère essentiel était ignoré
il y a quarante ans.
La consommation française des huiles a connu au cours de ces 40 dernières années des
bouleversements profonds :
Evolution de la consommation
des huiles en France
1 600
Ricin
1 400
P alm e
1 200
Olive
1 000
C olza
800
600
400
T o urneso l
200
Arachide
S oja
0
60
65
70
75
80
85
90
95
00
En terme de volume, le marché est passé de 600.000 t en 1960 à 1.400.000 t en 2000 soit un
peu plus que le doublement ce qui n'a rien d'exceptionnel sur 40 ans.
Plus remarquables sont, durant cette période, les bouleversements profonds des parts de
marché respectives des huiles végétales :
Parts de marché
des huiles en France
1960
lin
10%
ric in s o ja
5% 3%
palm e
8%
coprah
3%
p a lm e
5%
p a lm is te
7%
ricin soja
arachide
4%
4%
4%
olive
6%
tournesol
34%
a ra c h id e
52%
c o p ra h
9%
o liv e
c o lz a
4%
5%
colza
34%
2000
89
L'huile d'arachide dominait le marché en 1960 avec 53% de parts de marché, elle ne
représente plus que 4% aujourd'hui mais elle n'a pas disparu.
Sa richesse en acide oléique lui permettrait de jouer un rôle similaire à celui du tournesol
oléique dans les huiles composées.
L'huile de tournesol, inexistante sur le marché en 1960 (0,2%) est devenue l'huile leader du
marché avec 34% du total. Encore faut-il préciser que sa part de marché alimentaire et
notamment de la vente d'huile en bouteille aux ménages est nettement supérieure.
Le succès de l'huile de tournesol auprès des consommateurs est le résultat d'un véritable plan
d'Unilever et tout particulièrement de sa filiale française ASTRA CALVE, plan né vers le
début des années 60.
Ce projet avait une base scientifique : le caractère essentiel de l'acide linoléique et sa
bioconversion en prostaglandines venait d'être montré par Van Dorp et coll. d'Unilever et par
Bergstrom et coll. du Karolinskaia Institute (prix Nobel 1982) ainsi que l'implication des
acides gras saturés dans les maladies cardiovasculaires dans les pays développés.
Cette promotion du tournesol avait d'autre part une puissante motivation commerciale. Le
déclin des ventes d'huile d'arachide LESIEUR se reportait assez largement sur les ventes
d'huile de tournesol d'ASTRA. LESIEUR a bien sûr lancé sa propre huile de tournesol pour
enrayer le phénomène, ce qui n'a fait que renforcer le succès du tournesol.
Les publicités ont été accompagnées par une communication intense auprès des médecins et
des prescripteurs médicaux.
La consommation d'huile de tournesol décollait en 1969 bien avant la production française. Il
faut attendre 1982 pour que la production satisfasse la demande intérieure.
Les débuts du tournesol en France
(en 1000 t d'huile)
700
600
Production
en équiv huile
500
400
300
Introduction
sem ences
russes
1960
M irasol
résistance
au m ildiou
1er hybride
INRA 65 01
200
C onsom m ation
100
0
65
66
67
68
69
70
71
72
73
74
75
76
77
78
79
80
81
82
83
84
85
90
Dès 1960 la filière française cherchait à relancer la production de tournesol.
Au printemps 1960 l'organisation semencière USGOS (prédécesseur de l'AMSOL) introduisit
des semences de variétés russes très riches en huile. Il s'agissait de variétés sélectionnées à
Krasnodar par PUSTOVOIT.
La norme de teneur en huile des graines de tournesol françaises passait de 30% en 1959 à
40% en 1961 sous l'effet de ces introductions !
Mais beaucoup se souviennent encore des déconvenues liées aux attaques de maladies sur ces
premières cultures.
La sélection française se lançait alors pour relever ce véritable défi de la production de
tournesol en France.
André Cauderon récemment arrivé à Clermont-Ferrand entreprit de transférer au tournesol
toute l'expérience acquise sur maïs au tournant des années 60. Un programme similaire
démarrait à l'INRA à Montpellier.
Le résultat majeur fut la découverte de la stérilité mâle cytoplasmique (CMS) publiée en 1968
par Patrice LECLERCQ de l'équipe INRA de Clermont-Ferrand.
A la suite de la diffusion de cette CMS était lancée une formidable course de vitesse mondiale
pour la sélection d'hybrides dotés de bonnes qualités agronomiques.
L'analyse des essais variétés faits par le CETIOM révèle que le succès des hybrides en France
fut acquis lorsqu'ils furent dotés de la résistance au mildiou alors endémique dans tout le sudouest.
La sélection française s'est distinguée dans cette compétition stimulée sur notre territoire par
les filiales des grandes maisons américaines. Parmi ses contributions on doit citer les
résistances aux maladies qui affectent la culture : mildiou, sclerotinia, phomopsis.
En terme de qualité, l'huile de tournesol a été portée durant ces 40 dernières années par son
image remarquable.
Ce n'est que récemment qu'une demande nouvelle complémentaire est apparue avec l'huile de
tournesol riche en acide oléique.
Cette huile d'un type nouveau permet aux industriels d'allier l'image du tournesol à une
amélioration nutritionnelle dans les huiles composées.
Cette huile de tournesol oléique trouve également des applications dans le non-alimentaire.
Elle est un substrat de choix pour les lubrifiants. L'acide oléique étant un excellent compromis
entre la stabilité à l'oxydation d'une part et sa fluidité d'autre part. Pour cette même raison elle
est préférée au tournesol normal pour la fabrication de DIESTER.
91
Evolution de l'huile de colza :
L’huile de colza
1 600
Production
équiv huile
1 400
1 200
Variétés
double zéro
1 000
Variété
Prim or
0 érucique
800
Consom m ation
totale
C rise
érucique
600
Lancem e
nt
DIESTER
400
200
DIESTE
R
0
60
65
70
75
80
85
90
95
00
L'huile de colza n'a jamais bénéficié d'une bonne image en France contrairement à d'autres
régions du monde. Elle a, en outre, connu bien des vicissitudes sur cette période de 40 années.
En 1970 éclate l'affaire de l'acide érucique qui a entraîné l'effondrement de sa consommation
en France.
De 5% en 1960 sa part de marché atteignait 15% en 1971 avant de retomber à 5% après
l'affaire de l'acide érucique pour revenir à 34% aujourd'hui, 20% étant dus au DIESTER.
C'est l'INRA, Jacques Morice et son équipe, qui a très rapidement modifié la composition en
acides gras des variétés françaises à partir de sources canadiennes :
Composition des acides gras des huiles des variétés MAJOR et PRIMOR
(J. Morice INRA, 1974)
92
La sélection du colza 0 érucique
MAJOR
Gadoléïque
1%
Saturés
5%
Erucique
47%
Oléïque
14%
Linoléïque
14%
Gadoléïque
11%
Alpha-linolénique
9%
Alpha-linolénique
10%
Erucique
0%
PRIMOR
Saturés
7%
Linoléïque
22%
Oléïque
60%
Ce fut une avancée remarquable à la fois des méthodes de sélection et de leur portée pratique.
La conversion en un temps record des cultures françaises de colza en variétés sans acide
érucique reste un cas d'école de la mobilisation de toute une filière :
-
plan de multiplication des 2 kg de semences de base INRA disponibles en 1971,
inscription de la variété PRIMOR en juin 1973,
couverture de la moitié des besoins français de l'automne 1973,
rachat par l'USGOS des semences avec acide érucique,
Le statut nutritionnel de l'huile de colza a changé radicalement entre 1960 et 2000. De l'huile
suspectée de provoquer la lipidose et des lésions cardiaques en 1970 la nouvelle huile de colza
issue des variétés sans acide érucique est pratiquement devenue un standard nutritionnel :
-
apportant la plus faible quantité d'acides gras saturés parmi les huiles végétales,
apportant 60% d'acide oléique,
avec un bon équilibre entre les acides gras des familles oméga 3 et oméga 6.
Ceci est le fruit de deux décennies de travaux sur les propriétés nutritionnelles de cette huile,
travaux dont beaucoup ont été soutenus par le CETIOM et l'ONIDOL.
Pour ne citer qu'un seul point, c'est une margarine au colza qui a été utilisée dans l'expérience
de S. RENAUD (INSERM U63) de prévention de l'infarctus secondaire du myocarde avec
des résultats spectaculaires, abaissant de 60 % par rapport au régime généralement
recommandé par les médecins (post-infarct prudent diet), la mortalité due à l'infarctus
secondaire du myocarde, expérience qui a eu un large retentissement international à l'origine
de la mode du régime crétois.
93
Les tourteaux
La consommation de tourteaux en France a été multipliée exactement par 10 dans la période
1960-2000, de 672.000 t à 6.761.000 t soit 6% de croissance annuelle moyenne sur la période.
Evolution de la consommation
des tourteaux en France
8000
Lin
7000
T ou rnesol
6000
C olza
5000
4000
3000
Soja
2000
1000
0
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
Arachide
Cette évolution s'explique par l'essor des élevages hors-sol et leur alimentation à base
d'aliments composés équilibrés en protéines par les tourteaux.
Consommation des tourteaux entre 1960 et 2000
Tourteau
arachide
soja
colza
tournesol
lin
Consommation 2000/consommation 1960
0,48
20
34
60
0,91
94
Evolution des parts de marché
des tourteaux en France
Lin Arachide
2%
2%
1960
Lin
20%
Tournesol
3%
Arachide
38%
2000
Tournesol
15%
Colza
15%
Colza
5%
Soja
34%
Soja
66%
Le soja qui représentait 34% de la consommation en 1960 a vu sa consommation multipliée
par 20. Mais, fait moins connu, les tourteaux de colza et de tournesol ont évolué plus vite que
le marché et plus vite que le soja en France.
En 2000 le soja représente 66% de la consommation de tourteau, les tourteaux de colza et de
tournesol 15% chacun du marché. Les tourteaux de lin et d'arachide ont peu évolué en volume
et ne représentent plus que 2% chacun du marché français.
L'amélioration des plantes pour la qualité des tourteaux
Tout d'abord l'introduction du soja en France à partir de 1970 et les travaux d'amélioration
des plantes qui s'ensuivirent correspondaient à la demande en tourteaux de soja.
Cette demande de production de soja en France fut exprimée par les huiliers français au
milieu des années 60. Le Ministère de l'Agriculture demanda alors au CETIOM et à l'INRA
d'explorer cette voie.
Le soja en France avec une production actuelle d'environ 200.000 tonnes est limité au Sudouest et à la Bourgogne. Pourtant dès quelques établissements de sélection se lancèrent en
1974 avec l'ENSAT et l'INRA dans un programme d'amélioration du soja pour nos régions de
production qui aboutit aux premières inscriptions en 1981 puis à l'inscription de variétés
déterminées dans les groupes précoces.
Ces travaux français ont suscité l'intérêt de nos voisins italiens et sont probablement à
l'origine du développement du soja en Italie, aujourd'hui principal producteur européen.
95
La sélection des variétés de colza à basse teneur en glucosinolates.
Sur le terrain de l'adaptation qualitative à la demande en tourteaux la contribution la plus
remarquable de l'amélioration des plantes fut très certainement la sélection des variétés de
colza à basse teneur en glucosinolates. L'impact économique de ces travaux est illustré par
l'évolution comparée des prix des tourteaux sur les périodes 1984-1986 d'une part et 19982001 d'autre part.
Evolution des prix des différents tourteaux en France dans la période 1983-1986
Evolution des prix des différents tourteaux en France dans la période 1998-2001
Cotations Tourteaux 1998-2001(F/q)
200
COLZA (départ usine)
180
160
TOURNESOL (départ usine)
SOJA (Lo rient)
140
120
100
80
60
40
20
oc
t-9
8
ja
nv
-9
9
av
r-9
9
ju
il99
oc
t-9
9
ja
nv
-0
0
av
r-0
0
ju
il00
oc
t-0
0
ja
nv
-0
1
av
r-0
1
ju
il01
oc
t-0
1
ju
il-
98
0
96
Sur la période 1984-1986 il n'y a pas d'écart de prix systématique entre tourteaux de colza et
de tournesol. Par contre sur la période 1998-2001 le prix du tourteau de colza est
systématiquement plus élevé que celui de tournesol.
C'est entre ces deux périodes qu'ont été introduites massivement sur le marché les variétés de
colza à teneur réduite de 90% en glucosinolates (GLS) (de 140-180 micromoles par gramme
de matière sèche de tourteau à 10-15 micromoles).
Le facteur qualité a été décisif par la sélection et la diffusion de variétés à basse teneur en
GLS.
Cette amélioration de la qualité a été accompagnée de programmes très importants de
démonstrations avec les fabricants d'aliments du bétail.
L'amélioration des plantes a créé de la valeur que l'on peut calculer en affectant la différence
de prix aux volumes commercialisés.
Selon cette méthode et pour le seul marché français on peut estimer à 160 à 260 MF par an la
valeur ainsi créée. Mais la valeur restant à récupérer par rapport au tourteau de soja peut être
estimée au double.
Conclusion
L'amélioration des plantes a contribué puissamment au développement des huiles et des
tourteaux d'oléagineux sur notre marché national.
-
en relevant le défi de la production de tournesol dans notre pays
en éliminant l'acide érucique de l'huile de colza
en contribuant au lancement du soja en France
Il reste cependant un grand défi à relever c'est celui de la qualité des tourteaux.
Le succès du tourteau de soja repose principalement sur ses qualités nutritionnelles
intrinsèques. Le challenge à long terme est de reconquérir de la valeur par rapport à ce
standard de qualité. L'abaissement de la teneur en GLS du colza n'est qu'une étape, il en reste
d'autres que je ne fais que suggérer espérant que l'imagination de nos chercheurs s'attellera à
cette tâche remarquable :
- amélioration de la valeur énergétique des tourteaux,
- élimination plus complète des facteurs antinutritionnels,
- accessibilité des différentes fractions protéiques.
Journée de l’A.S.F. du 7 février 2002.

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