Le Monde

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Le Monde
VENDREDI 8 AVRIL 2016
72E ANNÉE – NO 22155
2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Panama papers
UNE ONDE DE CHOC MONDIALE
▶ En Chine, des proches
de hauts dirigeants du PCC,
dont le beau-frère du président Xi Jinping, ont dissimulé leur enrichissement
derrière des sociétés-écrans
▶ Au Congo, l’argent
du pétrole s’évapore
dans les paradis fiscaux,
au profit notamment
du fils du président,
Denis Sassou Nguesso
▶ En Ukraine, le président
▶ En Suisse, le ténor
Porochenko et la plupart
des oligarques ont
dissimulé leur fortune
dans des entités créées par
le cabinet Mossack Fonseca
du barreau Marc Bonnant
s’est reconverti dans
la lucrative fonction
d’intermédiaire financier
LIR E PAGE S 2 À 6
▶ « Chronique
des sentiments »,
le livre-océan
d’Alexander Kluge
MACRON ,
L’AMBITION
EN MOUVEMENT
▶ David Lodge,
témoin d’une époque
▶ Homme-femme :
inégales moitiés
▶ Le ministre
de l’économie
a lancé, mercredi
à Amiens, son mouvement politique,
En marche !
▶ Vincent Peillon,
auteur de thriller
SUPPLÉMENT
▶ Au-delà du
Pays-Bas
Un référendum
qui secoue
un peu plus
l’Europe
clivage gauchedroite, l’ex-banquier
d’affaires veut
mobiliser
la société civile
▶ Interrogé sur
ses intentions pour
la présidentielle,
il répond : « Ce n’est
pas ma priorité
aujourd’hui »
Malgré la très faible
participation, le non
à 60 % des Néerlandais
à un accord entre
l’Union et l’Ukraine
sonne comme
une victoire des
anti-européens
POLITIQUE – LIR E PAGE 1 1
A la préfecture
d’Amiens, le 6 avril.
INTERNATIONAL – LIRE PAGE 8
D. JACOVIDES/BESTIMAGE
sao paulo - correspondante
E
lle pourrait bientôt savourer sa revanche face à un
parti qui l’a fait naître politiquement avant de la démolir
médiatiquement. Mais Marina
Silva, un temps favorite de l’élection présidentielle de 2014, avant
d’être battue au premier tour lors
d’une campagne féroce contre
Dilma Rousseff, sait que la vie politique brésilienne est un coup de
théâtre permanent. Alors que la
procédure de destitution de
Mme Rousseff poursuit son cours,
l’ancienne sénatrice, une des rares
figures épargnées par les scandales de corruption, a prôné, mardi
5 avril, une « troisième voie », en
appelant à de nouvelles élections.
Culture
Wajdi Mouawad
à la tête du Théâtre
de la Colline
LIR E PAGE 1 8
Politique
Le mouvement
LE REGARD DE PLANTU Nuit debout
inquiète l’Elysée
claire gatinois
→ LIR E L A S U IT E PAGE 7
LIR E P. 1 4 E T DÉ B ATS P. 2 2
Imaginer
le confort
RCS Pau 351 150 859 - (1)Les innovateurs du confort
Brésil Marina Silva réclame des élections
RENCONTRE
LE MONDE
DES LIVRES
THE INNOVATORS OF COMFORT™ ( 1 )
Grèce
Les créanciers
d’Athènes prêts
à parler dette
LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 4
1
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VENDREDI 8 AVRIL 2016
Ce qu’il faut
savoir
Coordonnées par
le Consortium international
des journalistes d’investigation (ICIJ), la rédaction du
Monde et 106 autres dans
76 pays ont eu accès à une
masse d’informations inédites
qui mettent en lumière
le monde opaque de la finance
offshore et des paradis fiscaux.
Les 11,5 millions de fichiers
proviennent des archives du
cabinet panaméen Mossack
Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015.
Il s’agit de la plus grosse fuite
d’informations jamais exploitée par des médias.
Les « Panama papers »
révèlent que, outre des milliers d’anonymes, de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms
du sport, des célébrités ou
des personnalités sous le
coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.
Xi Jinping lors
du 18e congrès du Parti
communiste chinois,
en novembre 2012.
FENG LI/GETTY IMAGES/AFP
L
es « Panama papers »
permettent de plonger dans les eaux
troubles du capitalisme à la chinoise.
Comme pour les
« ChinaLeaks » en 2014 – une précédente enquête sur les paradis
fiscaux menée par le Consortium
international des journalistes
d’investigation (ICIJ) et de nombreux médias internationaux,
dont Le Monde –, on y trouve « fils
et filles de prince » (les descendants des révolutionnaires chinois) et chefs d’entreprises.
Pour la firme panaméenne
Mossack Fonseca, la Chine est devenue l’un des premiers marchés.
Près d’un tiers des entreprises
dont le cabinet s’occupe dans le
monde sont chinoises. Fin 2015, le
cabinet d’affaires gérait 16 300 sociétés offshore par l’intermédiaire de ses filiales de Hongkong
et de Chine. Après avoir ouvert
une représentation dans l’ancienne colonie britannique
en 1989, elle a essaimé sur le continent à partir de 2000 et possède
désormais des bureaux dans huit
villes. Le socialisme aux couleurs
chinoises est décidément une
bonne affaire pour les Panaméens. Grâce aux « Panama papers », certains arrangements tenus secrets permettent de comprendre comment des proches de
hauts dirigeants communistes
peuvent, fort avantageusement,
dissimuler leur richesse ou des
gains obtenus en contrepartie de
leur influence.
Ainsi, Deng Jiagui, beau-frère du
président chinois Xi Jinping, est
l’un des clients du cabinet. Il dispose de trois sociétés, la première
créée en 2004 et les deux autres
depuis 2009. Il n’a pas été possible de savoir ce qu’il en a fait,
d’autant que, si la première a été
dissoute en 2007, les autres sont
entrées en sommeil après l’arri-
En Chine, les « aristocrates
rouges » friands d’offshore
Le cabinet Mossack Fonseca a permis à des proches de hauts
dirigeants communistes de dissimuler leurs richesses
vée de M. Xi à la tête du Parti communiste chinois (PCC) en novembre 2012. Coïncidence ou volonté
de ne pas gêner le nouveau haut
dirigeant ? En juin 2014, le New
York Times avait révélé que Deng
Jiagui et sa femme, Qi Qiaoqiao,
sœur de Xi Jinping, avaient vendu
depuis 2012 leurs parts dans au
moins dix entreprises qu’ils possédaient. Ils l’avaient fait « pour la
famille », avait expliqué un des
acheteurs. Une demande de M. Xi,
dont l’une des priorités était la
lutte contre la corruption, avait
affirmé le quotidien américain.
BAL DES DÉBUTANTES
Un autre client de haut vol est la
fille de Li Peng, premier ministre
du pays au moment de la répression du mouvement démocratique en 1989 et surnommé « le
boucher de Tiananmen ». Sa fille,
elle, est connue en Chine comme
la « reine de l’électricité », car elle
n’a cessé d’occuper de hautes
fonctions dans des entreprises
publiques de l’énergie. Avec son
mari, elle possède une société, Cofic Investments, créée en 1994
aux îles Vierges britanniques et
gérée par Mossack Fonseca. Sa raison d’être ? Faciliter l’exportation
L’affaire Bo Xilai resurgit
Plus important scandale politique de ces dernières décennies en
Chine, l’affaire Bo Xilai – le grand rival du président Xi Jinping condamné en 2013 à la prison à vie pour corruption – se retrouve dans
les « Panama papers », avec un dossier-clé utilisé par l’accusation :
la résidence cannoise, acquise par Gu Kailai, la femme de Bo Xilai,
en 2011. La même année, Mossack Fonseca avait récupéré la
gestion de la société-écran propriétaire, Russel Properties SA.
Gu Kailai en avait confié la responsabilité à deux de ses proches,
le Français Patrick Devillers et le Britannique Neil Heywood. Mais
ce dernier avait menacé de révéler les secrets de la villa cannoise,
poussant Gu à l’empoisonner, selon les juges qui, en 2012, l’ont
condamnée à mort avec sursis, peine commuée en prison à vie.
d’équipements industriels de
l’Europe vers la Chine, avancent
les avocats de Mme Li dans des
courriels internes. Une « facilitation » bien rémunérée, en
somme. La structure juridique
consistait en des actions au porteur, donc anonymes.
Pour les « fils et filles de prince »,
le recours à une société offshore
peut arriver assez tôt. Jasmine Li,
petite-fille de Jia Qinglin, numéro
quatre du PCC entre 2002 et 2012,
avait fait sensation en 2009 parmi
les jeunes de bonnes familles françaises au bal des débutantes à Paris, à l’hôtel Crillon. Un an après,
elle devenait l’heureuse propriétaire d’une structure offshore
nommée Harvest Sun Trading.
Elle venait à peine d’entrer à l’université Stanford aux Etats-Unis.
Depuis, ses affaires n’ont cessé de
prospérer, mais à l’abri des regards : grâce à deux sociétés, elle
dirige, sans que son nom apparaisse, deux entreprises à Pékin
avec un capital de 300 000 dollars,
dans les secteurs du divertissement et de l’immobilier.
CAS À « HAUT RISQUE »
Les « aristocrates rouges » ne sont
pas seuls à utiliser les bienfaits de
l’offshore. Les hommes d’affaires,
petits et grands, suivent la même
voie. Kelly Zong Fuli, fille d’un des
Chinois les plus riches, l’homme
d’affaires Zong Qinghou, par
ailleurs ex-partenaire de Danone
dans le pays, a pu acquérir une
offshore en février 2015 grâce à
Mossack Fonseca. Son objet : « investissements en Chine ».
Si les employés du cabinet-conseil sont censés prêter une attention accrue aux clients ayant des
liens avec des responsables politiques, ce n’est pas toujours le cas
avec les Chinois. Mossack Fon-
A peine entrée
à Stanford,
la petite-fille
d’un cadre du
parti est devenue
propriétaire d’une
société offshore
seca n’a découvert qu’en 2014 que
Li Xiaolin – la fille de l’ex-premier
ministre Li Peng – et son mari
étaient à la tête d’une société offshore, à la suite d’une demande de
la commission de régulation des
îles Vierges. Les procédures de vérification d’identité ont présenté
quelques failles. Pourtant, dans
une lettre à l’ICIJ, Mossack Fonseca affirme respecter toutes les
règles en vigueur pour ces cas
considérés comme à « haut risque » : « Nous effectuons une vérification d’identité complète avec
tous les nouveaux et les futurs
clients qui dépasse souvent la rigueur des règles et normes existantes
auxquelles nous et les autres sommes astreints. »
D’autres proches de hauts dirigeants apparaissent dans les « Panama papers » : Lee Shing Put,
gendre de Zhang Gaoli, membre
du comité permanent du bureau
politique du PCC, le cœur du pouvoir ; Jia Liqing, bru d’un autre
membre du comité permanent,
Liu Yunshan ; Zeng Qinghuai, frère
de Zeng Qinghong, vice-président
de 2002 à 2007 ; et Hu Dehua, fils
de Hu Yaobang, secrétaire général
du PCC entre 1982 et 1987.
En Chine, la censure n’a pas
tardé à réagir en envoyant, lundi
4 avril, une note à tous les médias
leur enjoignant de supprimer
toute référence aux « Panama papers ». Le seul journal à avoir évoqué l’affaire, dans un éditorial publié lundi, est le Global Times.
Sans mentionner les accusations
portées contre les proches des dirigeants chinois, le quotidien connu
pour ses positions nationalistes et
dépendant du PCC en a profité
pour dénoncer une offensive de
l’Occident contre des pays comme
la Russie : « Les médias occidentaux
ont contrôlé l’interprétation à chaque fois qu’il y a eu un tel déversement de documents, et Washington a montré une certaine influence là-dedans. » p
alexa olesen et wen yu
(adaptation par « le monde »)
Joseph Lau, le milliardaire corrupteur qui aime les diamants
le milliardaire hongkongais Joseph Lau,
65e personne la plus riche du monde, raffole
de la belle vie et des sociétés offshore.
En 2015, il a dépensé près de 77 millions de
dollars (68 millions d’euros) en deux jours
pour offrir deux diamants à Josephine, sa
fille de 7 ans. Dont un de 12,03 carats, le
« Blue Moon », le diamant le plus cher au
monde (près de 50 millions de dollars) rebaptisé, tout simplement, « the Blue Moon
of Josephine ».
Fortune de l’immobilier, M. Lau, 64 ans,
apparaît aussi comme propriétaire et bénéficiaire ultime d’une centaine de sociétés
aux îles Vierges, selon les documents de
Mossack Fonseca. L’une de ses banques est
Morgan Stanley, à travers ses bureaux de
Londres et du Delaware (Etats-Unis).
Mais, en 2014, il est condamné en première instance à Macao à 5 ans et 3 mois de
prison pour « corruption et blanchiment
d’argent », peine confirmée en appel un an
plus tard. La justice de l’ancienne colonie
portugaise, située en face de Hongkong, lui
reproche d’avoir versé plus de 2 millions
d’euros à un fonctionnaire local pour obtenir des terrains à Cotai Strip, une bande de
terre gagnée sur la mer et très convoitée car
c’est là que se tiennent les casinos. M. Lau
échappe toutefois à la prison – Hongkong et
Macao, n’ont pas de traité d’extradition.
« Une leçon pour nous tous »
Deux mois après cette condamnation, le département de contrôle de conformité de
Mossack Fonseca s’inquiète, d’autant plus
que M. Lau souhaite transférer 55 autres sociétés au cabinet. En effet, Mossack Fonseca
ne s’est pas contenté d’enregistrer ses sociétés : dans une quinzaine de cas, la firme lui a
aussi fourni des prête-noms, des actionnaires fictifs. Près de la moitié des sociétés de
M. Lau sont gérées par Mossack Fonseca.
Le cabinet a finalement décidé de couper
les ponts avec M. Lau fin 2014. Dans un mail,
Jürgen Mossack, l’un de ses fondateurs,
avait recommandé de « se débarrasser de
toutes les autres sociétés liées à ce client », reprochant à la filiale de Hongkong de ne pas
avoir été assez vigilante et soupçonnant un
de ses concurrents de vouloir lui offrir un
cadeau empoisonné : « Si nous prenons une
seule de ces sociétés, nous aurons de gros problèmes. L’amende potentielle pourrait être de
plus de 4 millions de dollars. (…) Ce devrait
être une leçon pour nous tous. » En octobre 2015, la « belle histoire » entre le milliardaire hongkongais amateur de diamants et
le cabinet panaméen a pris fin. p
anne michel et françois bougon
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VENDREDI 8 AVRIL 2016
Le douteux mélange des genres de Porochenko
Le président ukrainien assure que sa société aux îles Vierges n’a jamais eu vocation à le soustraire au fisc
L
e 21 août 2014 figure parmi
les dates les plus sombres
de l’histoire récente de
l’Ukraine. Ce jour-là, dans
l’est du pays, la bataille d’Ilovaïsk
est en train de basculer. Entrées
quelques jours plus tôt dans cette
localité ferroviaire de l’est du pays,
les troupes ukrainiennes s’y retrouvent rapidement prises au
piège, encerclées par les forces séparatistes appuyées par l’armée
russe. La débâcle d’Ilovaïsk a scellé
le sort de l’offensive ukrainienne
de l’été 2014. Entre 366 et
1 000 soldats ukrainiens, selon les
sources, ont trouvé la mort durant
ces quelques jours.
Ce même 21 août, à plus de
10 000 kilomètres de là, la firme
panaméenne Mossack Fonseca
fait ce qu’elle sait faire de mieux :
créer des sociétés dans des paradis fiscaux. Elle enregistre,
d’après l’un des documents obtenus par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et la Süddeutsche
Zeitung, une nouvelle entité offshore aux îles Vierges britanniques, Prime Asset Partners Limited. Un seul actionnaire est mentionné : Petro Porochenko, président de l’Ukraine depuis deux
mois. Pas de confusion possible :
à Kiev, la holding du chef de l’Etat
s’appelle Prime Assets Capital.
La concomitance entre les dates
n’est pas le seul aspect gênant du
montage, réalisé par l’intermédiaire d’un avocat chypriote. C’est
aussi un cruel rappel : avant son
élection à la présidence, en
mai 2014, M. Porochenko avait
promis de vendre son empire
commercial,
principalement
composé d’une florissante entreprise de confiserie, Roshen, d’une
compagnie d’assurances et d’une
banque, l’International Investment Bank.
« Préalable à la vente »
Le futur président, dont la fortune
était alors estimée à un peu moins
de 1 milliard d’euros, avait assuré
qu’il ne conserverait qu’un avoir
particulièrement stratégique, sa
chaîne de télévision.
Plusieurs
députés
ukrainiens
ont réclamé
une enquête
parlementaire
Petro Porochenko à Kiev, le 24 juin 2014. THOMAS TRUTSCHEL/PHOTOTHEK VIA GETTY IMAGES
Non seulement le président n’a
pas tenu sa promesse, mais ses affaires ont moins souffert de la
crise économique que celles des
autres oligarques. Petro Porochenko a expliqué à plusieurs reprises que la vente de ses actifs,
confiée à la banque Rothschild,
s’avérait délicate, en raison du contexte de guerre avec la Russie. Sollicité avant la publication des « Panama papers », l’un de ses conseils
financiers a expliqué que Prime
Asset Partners Limited avait été
créé précisément « dans le cadre de
la restructuration du groupe
Roshen, comme préalable à sa mise
en vente ». En janvier 2016, le président avait annoncé son intention
de créer un « blind trust » (fiducie
sans droit de regard), une structure dans laquelle il ne peut plus
exercer de pouvoir de gestion.
De fait, contrairement à la plupart des dirigeants politiques qui
ont eu recours aux services de
Mossack Fonseca, le président
ukrainien ne semble pas se cacher. Son nom apparaît à plusieurs reprises dans les documents des « Panama papers ».
Lorsque la firme panaméenne en
fait la demande, c’est l’International Investment Bank qui envoie
une référence pour son client… et
propriétaire.
Toutefois, la nécessité de restructurer les biens de M. Porochenko n’explique pas le choix
des îles Vierges, ni ne certifie que
des impôts seraient payés en
Ukraine après une éventuelle
vente. Dans sa déclaration de revenus 2014, le président avait
d’ailleurs laissé vide la case « revenus provenant de l’étranger ».
Les liens de M. Porochenko avec
Mossack Fonseca remontent à
2002 et la création de la société
Intraco. Les documents analysés
par l’ICIJ confirment des informations parues dans la presse ukrainienne, et laissent apparaître un
étonnant mélange des genres.
En 2012, Intraco règle la note
(6 000 euros) d’un hôtel des Alpes suisses pour la fille de l’un de
ses partenaires de longue date,
Igor Kononenko, également député. En juin 2014, soit après
l’élection de M. Porochenko, Intraco est utilisée pour payer des
frais de vol de son avion. S’agit-il
déjà du président ou encore de
l’homme d’affaires ?
Acheter des loyautés
A l’époque, l’ancien chef des services secrets, Valentin Nalivaïtchenko, avait accusé le président
de blanchiment d’argent, en assurant qu’Intraco était alimentée
par la société ukrainienne UkrPromInvest, le groupe industriel
cofondé par MM. Kononenko et
Porochenko. M. Nalivaïtchenko,
qui s’exprimait après son limogeage, avait estimé qu’une partie
de cet argent servait à acheter des
loyautés politiques.
D’autres opérations opaques apparaissent dans les « Panama papers ». En décembre 2010, la banque autrichienne Raiffeisen accorde ainsi au confiseur Roshen
un prêt de 115 millions d’euros. La
garantie, du même montant, est
apportée par une société sise aux
îles Vierges, Linquist Services,
également liée à M. Porochenko.
Le président s’est justifié le
6 avril en affirmant que Prime Asset Partners Limited avait été
créée pour séparer ses intérêts
économiques et politiques après
son élection, et non pour soustraire une partie de ses revenus au
fisc. Il a ajouté que les conditions
de marché n’étaient pas réunies
pour une cession. Des députés
ukrainiens ont exigé l’ouverture
d’une enquête parlementaire.
En réalité, la liste des personnalités ukrainiennes présentes dans
les fichiers de Mossack Fonseca
est un « Who’s who » de la vie politico-financière de ces vingt dernières années. On y trouve la plupart des oligarques en vue du
pays : Igor Kolomoïski, l’éphémère gouverneur de la région de
Dnipropetrovsk ; Viktor Pintchouk, baron de la sidérurgie qui
cultive ses amitiés en Occident et
son image de mécène ; Igor Akhmetov, frère du plus riche oligarque ukrainien, Rinat Akhmetov…
Dans le milieu politique, les caciques de l’ancien régime côtoient
les dirigeants de l’après-Maïdan :
Ioulia Timochenko, ancienne première ministre et soutien de la
coalition au pouvoir ; Oleksi Azarov, fils du premier ministre de
l’ancien président Viktor Ianoukovitch ; ou encore Guennadi
Troukhanov, maire d’Odessa. p
benoît vitkine
La tante du roi d’Espagne
mise en cause
Le palais royal nie tout lien avec le compte
offshore de Pilar de Bourbon
«VERTIGINEUX»
TÉLÉRAMA
I
l lui aura fallu trois jours pour
sortir de son silence. Mercredi
6 avril, la tante du roi Felipe VI,
Pilar de Bourbon, a finalement reconnu, dans un communiqué,
avoir détenu une société au Panama, tout en assurant qu’elle
n’avait « jamais disposé de revenus
ayant échappé au contrôle des
autorités fiscales compétentes ».
Selon elle, cette société, propriété
d’un ami, avait été cédée en 1974 à
son mari, Luis Gomez-Acebo,
alors qu’il faisait l’objet de menaces de la part du groupe séparatiste basque ETA et souhaitait mener ses activités hors d’Espagne.
Les révélations du site d’information Elconfidencial.es et de la
chaîne de télévision La Sexta, sur
la base des archives du cabinet
Mossack Fonseca, ont obligé la
sœur de l’ancien monarque Juan
Carlos à donner des explications.
Mais celles-ci s’avèrent insuffisantes pour calmer la tempête et faire
taire les rumeurs en Espagne.
Trop de coïncidences entre les
dates-clés de la société panaméenne Delantera Financiera et
les grands moments du règne de
Juan Carlos ont fait mouche chez
les Espagnols. Pilar de Bourbon
prend la présidence de la compagnie en août 1974. A cette date,
Juan Carlos vient d’assumer temporairement le pouvoir, du fait de
problèmes de santé de Franco. Un
an plus tard, à la mort du dictateur, il devient roi.
En 1993, la structure de la société
est modifiée. Le nom de Pilar disparaît. Cette décision est-elle liée à
l’héritage qu’aurait laissé son père,
Don Juan, qui vient alors de décéder ? Selon une enquête du quotidien El Mundo en 2013, ce dernier
aurait transmis à ses trois enfants
1,1 milliard de pesetas (11,9 millions d’euros), dont 728 millions
(7,9 millions d’euros) en provenance de l’étranger.
Enfin, la décision de fermer la
société est prise le 2 juin 2014, jour
de l’annonce par Juan Carlos de
son abdication, et sa fermeture
prend effet le 24 juin, cinq jours
après la proclamation de Felipe VI.
La Casa Real s’est contentée d’expliquer que Doña Pilar ne faisait
pas partie de la famille royale, au
sens juridique du terme. Mais, sur
les réseaux sociaux, les Espagnols
se demandent si ce compte panaméen lui appartenait vraiment… p
sandrine morel
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VENDREDI 8 AVRIL 2016
Comment le pétrole congolais s’évapore
Le nom du fils du président Denis Sassou Nguesso figure dans une société basée aux îles Vierges britanniques
D
epuis les hôtels
luxueux du bord de
mer à Pointe-Noire,
capitale économique
du Congo-Brazzaville, le ballet pétrolier se livre à l’œil nu. Les tankers glissent au large dans la
brume, chargés de pétrole brut ou
raffiné qui assure 75 % des revenus d’un Etat parmi les plus corrompus d’Afrique. Mais l’essentiel
est ailleurs, et opaque. La richesse
de ce petit pays d’Afrique centrale,
dirigé depuis trente-deux ans par
Denis Sassou Nguesso, 72 ans
– réélu le 20 mars pour au moins
cinq ans supplémentaires – s’évapore dans de complexes circuits
offshore que seules maîtrisent la
famille au pouvoir et une poignée
de proches.
Lucien Ebata, 47 ans, est l’un de
ces intermédiaires liés aux Sassou
Nguesso. Domicilié de l’autre côté
du fleuve Congo, à Kinshasa, il est à
la tête d’Orion Group SA, au capital
de 10 millions de dollars (8,8 millions d’euros). Cette holding, qui
commercialise des produits pétroliers, est établie en Suisse et immatriculée aux Seychelles depuis
2009 par la firme panaméenne
Mossack Fonseca, à travers la société luxembourgeoise Figed.
Parmi ses clients se trouvent la
major anglo-néerlandaise Shell ou
la Société nationale des pétroles
du Congo (SNPC), dont Denis
Christel Sassou Nguesso est directeur général adjoint. Le fils cadet
du président congolais et ami de
Lucien Ebata est d’ailleurs surnommé « Kiki le pétrolier ».
« Biens mal acquis »
« Certains de mes clients pour
l’Afrique me règlent cash, car les virements prennent du temps »,
avait expliqué M. Ebata aux enquêteurs français le 18 octobre 2012, après avoir été interpellé
à Roissy avec 182 000 euros en espèces. Il touchait alors un salaire
annuel d’un million de dollars et
dépensait des centaines de milliers d’euros dans les palaces parisiens ou dans la location d’hélicoptères pour faire un saut à Monaco. En novembre 2012, les Sey-
« Je ne connais ni
Mossack Fonseca,
ni Phoenix, ni ces
traders soi-disant
proches de moi »
DENIS CHRISTEL
SASSOU NGUESSO
fils du président
Denis Sassou Nguesso, lors de l’élection présidentielle, dimanche 20 mars. MARC LONGARI/AFP
chelles durcissent leur législation
et Orion transfère sa comptabilité
vers Chypre. En parallèle, M. Ebata
fonde le magazine Forbes Afrique,
toujours élogieux pour le régime
congolais. Il n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Son associé, un Français établi
en Suisse, Philippe Chironi, 62 ans,
cofondateur d’Orion et administrateur de la société Forbes Afrique
Media Holding, est visé par un réquisitoire du parquet national financier français, daté du 17 décembre 2014. Chef d’orchestre
d’une myriade de sociétés et de
comptes à Saint-Marin – où il a
déjà été visé par une enquête –,
aux Seychelles, à l’île Maurice et
dans d’autres paradis fiscaux, il est
soupçonné par la justice française
« d’avoir participé à des opérations
de blanchiment de détournement
de fonds public au profit de la famille Sassou Nguesso ». Les juges
l’ont entendu en septembre 2015
dans l’enquête des « biens mal acquis » qui vise aussi le président.
« Denis Sassou Nguesso n’est pas
intéressé par l’argent et méprise les
activités pétrolières douteuses menées par son entourage », insiste
un intime du président. Pourtant,
ses proches ont créé des sociétés
comme la SNPC, lorsqu’il est revenu au pouvoir en 1998. Parmi
eux, Bruno Jean Richard Itoua,
conseiller du président et directeur général de la SNPC jusqu’en 2005. Il a été mêlé à d’importants détournements de fonds
par le biais de sociétés fictives, selon une enquête de la Cour fédérale américaine. Ce qui ne l’a pas
empêché de devenir ministre de
l’énergie jusqu’en 2011. Les « Panama papers » révèlent qu’il est
aussi « attorney » (fondé de pouvoir) depuis 2004 de deux sociétés, Denvest Capital Strategies et
Grafin Associated SA, enregistrées
par Mossack Fonseca au Panama
et aux îles Vierges britanniques.
Les titres de ces sociétés sont « au
porteur », et donc anonymes.
M. Itoua, actuellement ministre
de la recherche scientifique, n’a
pas souhaité répondre au Monde.
Le chef de l’Etat a des relations
régulières avec une nouvelle génération de négociants en pétrole
qui perçoivent des commissions
sur chaque transaction. Parce que
« l’affaire des biens mal acquis a
contraint la famille Sassou
Nguesso à prendre davantage de
précautions en s’appuyant sur des
personnes moins exposées politiquement », estime Marc Guéniat,
de l’ONG suisse La Déclaration de
Berne. Ces traders ont en commun une longue amitié avec Denis Christel Sassou Nguesso, qui
est aussi député, membre du bureau politique du parti au pouvoir
et administrateur général de l’unique raffinerie du pays, la Coraf.
« Aucune activité cachée »
Leur autre point commun est
d’être tous clients de Mossack
Fonseca, comme le fils du président. Denis Christel Sassou
Nguesso a un temps espéré succéder à son père, et a mandaté « MF »
dans les années 1990 pour créer
une société aux îles Vierges britanniques, Phoenix Best Finance
Ltd. Contacté par Le Monde, il nie
en bloc : « Je ne connais ni Mossack
Fonseca, ni Phoenix, ni ces traders
soi-disant proches de moi. Et je ne
sais pas de quoi vous parlez quand
vous dites “circuits financiers offshore” du pétrole congolais. »
Son nom figure pourtant à côté
de celui du négociant de pétrole
Jean-Philippe Amvame Ndong,
sur un document de la société de
conseil genevoise JC Consulting
Co. Sarl, adressé le 12 décembre 2002 à Mossack Fonseca. Il
s’agit alors de nommer Denis
Christel Sassou Nguesso « attorney » de Phoenix Best Finance Ltd.
M. Amvame Ndong, un économiste gabonais domicilié à Mougins, en France, et à Libreville, au
Gabon, a fondé en 2013 la société
de négoce Philia SA, à Genève.
Selon La Déclaration de Berne,
Philia SA aurait acheté aux sociétés publiques congolaises des produits pétroliers à des prix inférieurs au marché. Ce que dément
l’avocat suisse de la société : « Philia n’écoule que 2,5 % de la production congolaise de pétrole. Elle n’a
aucune activité cachée. » Pourquoi
alors recourir à l’offshore ?
M. Amvame Ndong possède plusieurs filiales aux îles Vierges britanniques, mais aussi des sociétés
d’investissement comme Gayam
Investment Corporation, qui déclarait un million de dollars
d’avoirs en 2014, et une société de
transport de produits pétroliers.
En 2015, le Congo a produit
290 000 barils de pétrole par jour.
Plus de la moitié des 4,4 millions
d’habitants vit toujours sous le
seuil de pauvreté. p
joan tilouine
L’homme d’affaires Dan Gertler, roi du diamant et pillard de la RDC
Cet Israélien de 42 ans, petit-fils d’un diamantaire, a bâti sa fortune à l’ombre des Kabila père et fils
D
an Gertler fait partie de
ces clients dont même la
sulfureuse société de domiciliation offshore Mossack Fonseca ne veut pas. L’homme d’affaires israélien de 42 ans, à la tête
d’un empire minier en République
démocratique du Congo (RDC), est
dans le viseur du Fonds monétaire
international depuis 2012. Des
ONG et le think tank de Kofi Annan, Africa Progress Panel, l’accusent de « pillage » et de corruption.
L’ire de la firme panaméenne remonte à 2010. Un de ses bons
clients, avocat à Gibraltar, lui a demandé de créer en urgence deux
sociétés aux îles Vierges britanniques (BVI). Elle s’y prête de bonne
grâce, sans effectuer le contrôle habituel. Ce n’est qu’un an plus tard,
après des dizaines de relances et à
la suite d’une enquête des autorités financières des BVI, que les Panamééns découvrent l’identité du
bénéficiaire effectif de Foxwhelp
Ltd et Caprikat Ltd : Dan Gertler.
Opacité bien ordonnée commence par soi-même. Les deux sociétés étaient dissimulées derrière
un trust sis à Gibraltar et avaient
pour actionnaire un fonds domicilié aux îles Caïmans, African Resources Investment Fund, luimême contrôlé par deux fondations au Liechtenstein. Seuls deux
noms y figurent : l’avocat suisse
Marc Bonnant et Khulubuse Clive
Zuma, neveu affairiste du président sud-africain Jacob Zuma, qui
n’ont pas souhaité commenter.
Furieuse, Jennifer Mossack, la
fille du fondateur de la société panaméenne, ordonne la fermeture
des entités liées à Dan Gertler
qu’elle qualifie en juin 2011 de
« marchand de diamants du
sang » dans un message interne,
consulté par Le Monde. Le 11 juillet
à 12 h 08, Marc Bonnant, impavide, transfère ces sociétés chez
Morgan & Morgan, le principal
concurrent de Mossack Fonseca.
Dan Gertler a bâti sa fortune, estimée en 2015 à 1,26 milliard de
dollars par Forbes, sur un coup de
poker. Petit-fils d’un diamantaire,
il débarque en 1997, à 23 ans, à
Kinshasa, capitale d’un pays alors
en guerre et dirigé pour quelques
mois encore par Mobutu Sese
Seko. Le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila a besoin d’armes et
d’argent pour lancer l’assaut sur la
capitale. Le jeune Israélien lorgne
les gisements de diamants. Les
deux hommes s’entendent.
« Dan » lui trouve 20 millions de
dollars et obtient en échange de M.
Kabila, devenu président, un quasi-monopole sur les diamants.
Permis miniers et pétroliers
Le « Vieux » meurt en 2001 et son
fils Joseph Kabila, 30 ans, prend le
pouvoir. Dan Gertler courtise ce
président taiseux et inexpérimenté qu’il a croisé lors de la seconde guerre du Congo (19982003). L’homme d’affaires devient son émissaire et lui négocie
le soutien des Etats-Unis. Il se rapproche surtout du plus proche
conseiller du président, Augustin
Katumba Mwanke, qui contrôle
les mines. Au début des années
2000, c’est lui qui remet à Dan
Gertler les clés du coffre de la RDC.
Selon l’ONU, le sous-sol recèle
18 000 à 24 000 milliards de dol-
lars de ressources naturelles inexploitées. Au-delà du diamant, l’Israélien va se lancer dans le cobalt,
le fer, l’or, la manganèse et surtout
le cuivre. Il profite du démembrement de la Gécamines, société publique d’exploitation minière et
vache à lait du régime.
A l’époque de la brouille avec
Mossack Fonseca, Gertler franchit
un cap en obtenant des permis pétroliers. Après l’éviction des Britanniques de Tullow Oil, le pouvoir lui octroie les blocs I et II de la
partie congolaise du lac Albert. Ses
sociétés Foxwhelp Ltd et Caprikat
Ltd sont intégrées dans Oil of DR
Congo, une filiale de son groupe
Fleurette constitué à Gibraltar et,
dit-il, imposable aux Pays-Bas.
Dan Gertler a la réputation d’acquérir les permis miniers et pétroliers mais de ne pas les exploiter. En 2014, il a revendu au gouvernement les droits pétroliers
détenus à travers une obscure société offshore, Nessergy, 300 fois
plus cher que leur prix d’achat.
« Nous avons investi 100 millions
de dollars dans les projets du lac
« La RDC est une
plate-forme de
fraude fiscale et
d’évasion illégale
de capitaux »
SAMY BADIBANGA
député congolais
Albert depuis 2010, et 1,8 milliard
de dollars pour exploiter des mines
de cuivre dans le Katanga avec [le
géant helvético-britannique du
négoce] Glencore », se défend un
représentant de Fleurette.
Les experts estiment pourtant
que l’homme d’affaires israélien,
membre d’une communauté juive
ultra-orthodoxe et naturalisé congolais en 2003, a fait perdre des
milliards de dollars de revenus à
l’Etat. « Les autorités congolaises
n’ont pas la capacité d’enquêter sur
les circuits offshore, déplore le député congolais Samy Badibanga.
La RDC est devenue une plateforme de blanchiment d’argent, de
fraude fiscale et d’évasion de capitaux ». Fleurette conteste. « Nous
employons 30 000 personnes [au
Congo], nous sommes la plus
grande source privée de recettes fiscales du gouvernement », martèle
Pieter Deboutte, bras-droit de Dan
Gertler à Kinshasa.
L’argent opaque commence
pourtant à inquiéter le pouvoir.
Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur du Katanga, est devenu le
30 mars le candidat de l’opposition à la présidentielle prévue à la
fin de l’année. Il apparaît comme
la menace la plus sérieuse pour Joseph Kabila, qui se méfie désormais de son « ami » Gertler. « Le
président n’a pas d’amis, tranche
un de ses conseillers. Dan [Gertler]
est beaucoup trop proche de Moïse
[Katumbi]. Le président sait qu’il
peut trahir et le tient à distance. »
En d’autres termes, Joseph Kabila,
qui a parrainé l’ascension de Dan
Gertler, craint que des circuits offshore ne financent la campagne
d’un adversaire. Lequel nie tout
lien financier avec Dan Gertler. p
j. t
|5
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Le gouvernement islandais
annonce des élections anticipées
Le premier ministre est remplacé par un proche jusqu’au vote, à l’automne
L
es deux partis au pouvoir
en Islande ont de nouveau tenté de calmer la colère de la rue, mercredi 6
avril au soir, en annonçant l’organisation d’élections législatives
anticipées cet automne. Le premier ministre, Sigmundur David
Gunnlaugsson, a bien confirmé
qu’il démissionnerait de son poste
pour être remplacé par son ministre de l’agriculture et de la pêche,
Sigurdur Ingi Johannsson.
Le gouvernement islandais est
contesté de toute part depuis que
les journaux associés à l’opération « Panama papers » ont révélé
dimanche 3 avril que trois de ses
membres, dont M. Gunnlaugsson, étaient liés à des compagnies
offshore. Après avoir longtemps
assuré que sa société sise aux îles
Vierges britanniques était parfaitement légale, le chef du gouvernement avait accepté mardi avec
grande difficulté d’être écarté de
son poste. Fuyant les médias, il
n’a, depuis, pas exprimé de remords ni donné d’explications.
Mercredi 6 avril au soir, sa démission n’avait d’ailleurs toujours
pas été techniquement déposée.
Au contraire, il avait passé la journée à négocier son avenir auprès
des membres de sa coalition. Il a
notamment réclamé – et obtenu –
que ce soit M. Johannsson, le viceprésident de son parti, qui le remplace. Très lié aux riches familles
de pêcheurs islandaises, ce ministre dénué de tout charisme est un
proche qui l’a défendu jusqu’au
bout. Surtout, M. Gunnlaugsson
devrait redevenir député et rester
président de sa formation, le Parti
du progrès (libéral). De quoi lui
préserver un rôle important dans
la coalition gouvernementale
qu’il forme avec le Parti de l’indépendance (conservateurs).
Sondages défavorables
Mis à part ce petit jeu de chaises
musicales, l’ensemble du gouvernement devrait rester en place
jusqu’aux nouvelles élections, y
compris les ministères des finances et de l’intérieur, pourtant eux
aussi épinglés dans les « Panama
papers ». « Il n’y aura pas de changement de politique », a dit le nouveau premier ministre. Pourquoi
n’avoir pas dissous le Parlement
comme le réclament la rue et l’opposition ? « Nous avons encore
beaucoup de travail à faire », a-t-il
répondu, se refusant à donner
une date précise pour le nouveau
scrutin. « Les manifestants auront
l’opportunité de voter cet automne,
nous avons une majorité très claire
au Parlement », a abondé, visiblement énervé, le ministre des finances et leader du Parti de l’indépendance, Bjarni Benediktsson.
Depuis la démission de M. Gunnlaugsson, il est devenu la principale cible des centaines d’Islandais qui manifestent tous les soirs
devant le Parlement.
Les partis d’opposition ont tous
accueilli très froidement cette annonce, promettant de déposer
une nouvelle motion de censure
contre ce gouvernement. Elle devrait être examinée dès vendredi
La Société générale
nie avoir menti
Fuyant
les médias,
M. Gunnlaugsson
n’a pas exprimé
de remords
ni donné
d’explications
8 avril. « Le premier ministre démissionne, ils reculent, mais ils
n’ont toujours pas condamné les
compagnies offshore ni l’évasion
fiscale », a fustigé Katrín Jakobsdottir, chef de file du mouvement Rouge-Vert. L’opposition
voudrait une dissolution immédiate et la convocation d’élections dans les quarante-cinq
jours. « Les gens dehors ne veulent
pas attendre jusqu’à cet automne
», a assuré la leader du Parti pirate, Birgitta Jonsdottir.
Les sondages sont déplorables
pour le gouvernement, deux tiers
des Islandais réclamant la démission de tous les ministres mis en
cause. En cas de nouvelles élections, les deux partis au pouvoir
seraient largement battus, avec
moins de 30 % à eux deux, alors
que certains sondages créditent
le Parti pirate de 43 % des voix. Un
contexte qui explique en grande
partie pourquoi les responsables
de la droite veulent à tout prix
éviter les urnes. Avec une large
majorité de 38 sièges sur 63, ils
sont normalement en mesure de
repousser sans difficulté la motion de censure. Mais il n’est pas
sûr que cela suffise à calmer la colère des Islandais. p
PAK I STAN
Pierre Moscovici veut une
liste noire européenne
des paradis fiscaux
Une commission
d’enquête sur les
« Panama papers »
Pierre Moscovici, commissaire européen à l’économie
et à la fiscalité a indiqué, mercredi 6 avril, qu’il souhaitait,
« dans les six mois », mettre en
chantier « une véritable liste
noire, européenne, commune,
des paradis fiscaux ». Il a
ajouté que si « la Commission
reçoit le message cinq sur cinq
(…) les Etats membres doivent
le recevoir aussi, dix sur dix ».
Le premier ministre, Nawaz
Sharif, a indiqué, mardi 5 avril,
qu’une commission indépendante, confiée à un ex-juge de
la Cour suprême du Pakistan,
examinerait les faits révélés
sur les sociétés offshore de ses
fils par les « Panama papers ».
L’un d’entre eux, Hussain
Nawaz, a admis posséder une
compagnie offshore, mais a
assuré que ses revenus
n’avaient aucun lien avec des
fonctions officielles. Il a rappelé que la loi permet de ne
pas être imposé si l’on réside
principalement à l’étranger.
S U I SS E
Perquisition
au siège de l’UEFA
La police suisse a perquisitionné, mercredi 6 avril, le
siège de l’UEFA, à Nyon, dans
une enquête sur la vente de
droits télévisés supervisée
par Gianni Infantino, ex-secrétaire général de l’UEFA
aujourd’hui à la tête de la Fédération internationale
(FIFA). Le nom de M. Infantino apparaît dans les « Panama papers » pour un contrat signé pour ces droits.
M. Infantino s’est dit « consterné » que son intégrité
puisse être mise en doute.
– (AFP.)
jean-baptiste chastand
AR GEN T I N E
Le président dément
toute irrégularité
en matière fiscale
Le président de l’Argentine,
Mauricio Macri, dont le nom
apparaît dans deux sociétés
offshore, une aux Bahamas,
l’autre au Panama, a affirmé,
mercredi 6 avril, n’avoir commis aucune irrégularité et
n’avoir détenu aucune participation dans ces entreprises du
groupe Macri, propriété de son
père, Franco Macri. – (Reuters.)
Photo © Bernard Matussière
reykjavik - envoyé spécial
BR UXELLES
DANS LES MEILLEURES VENTES
« Quelques dizaines » de sociétés offshore
créées par la banque seraient encore actives
A
près les révélations des
« Panama papers » sur les
activités offshore de la
Société générale, l’un des grands
clients de Mossack Fonseca pour
l’immatriculation de sociétésécrans, son directeur général, Frédéric Oudéa, s’est défendu dans
un entretien publié mercredi
6 avril par Le Figaro.
« Nous connaissons systématiquement les ayants droit de ces
structures. Cela fait partie du code
de conduite fiscale que nous avons
déployé à la Société générale
en 2010, assure M. Oudéa. (…) Je
n’ai pas les moyens de vérifier l’intégralité des faits sur trente ou
quarante ans. Je sais en revanche
qu’aujourd’hui, nous ne comptons
plus, à l’échelle du groupe (…) que
quelques dizaines de sociétés offshore actives structurées pour nos
clients avec ce cabinet. »
Convoqué en urgence à Bercy,
mardi, par le ministre des finances, Michel Sapin, M. Oudéa s’est
engagé à faire la transparence sur
les 979 sociétés immatriculées
pour les clients fortunés de la banque, à partir des années 2000, avec
Mossack Fonseca, au Panama, aux
îles Vierges britanniques et aux
Seychelles. Un peu moins d’une
centaine sont encore actives : entre 60 et 80, selon nos sources. Les
autres ont été fermées ou transférées à d’autres gestionnaires.
La pression monte sur la banque,
qui devra s’expliquer auprès de sa
tutelle, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Elle devra préciser si elle travaille
avec d’autres prestataires que
Mossack et si elle a ouvert d’autres
sociétés offshore non révélées.
La Société générale est dans le viseur de l’Autorité, qui a renforcé ses
contrôles anti-blanchiment. La
banque a déjà été sanctionnée, fin
2012, pour les carences du dispositif anti-blanchiment de sa filiale
aux Bahamas. Elle avait tenté
d’échapper à la sanction, en contestant la validité de la mission.
« Examiner le cas de M. Oudéa »
M. Oudéa est lui-même pointé du
doigt pour avoir affirmé sous serment, en 2012, devant une commission d’enquête du Sénat, que la
banque avait fermé ses implantations dans les paradis fiscaux
comme Panama. Ce qui supposait
qu’elle n’y avait plus d’activité.
Le sénateur Eric Bocquet, ex-rapporteur de la commission, a annoncé que son groupe (Communiste, républicain et citoyen) avait
écrit au président du Sénat, Gérard Larcher, mercredi, pour saisir
le bureau de la Chambre haute et
« examiner le cas de M. Oudéa », selon lui « manifestement coupable
d’un faux témoignage », ce qui
l’expose à des poursuites (jusqu’à
cinq ans d’emprisonnement et
75 000 euros d’amende). Le parti
Europe Ecologie-Les Verts (EELV) a
fait la même démarche.
De plus, M. Bocquet a, « à titre
personnel, mandé un avocat en la
personne de Me Koubbi, spécialiste
de ces sujets, pour agir sur le dossier ». David Koubbi est l’avocat de
Jérôme Kerviel, l’ex-trader de Société générale. « Il nous faut un châtiment. La Société générale doit être
mise sous tutelle », a de son côté déclaré Jean-Luc Mélenchon, jeudi
matin sur France Info. p
anne michel
« Formidable. » François Busnel, La Grande Librairie
« Rocambolesque, l’enthousiasme du conteur. »
Mohammed Aïssaoui, Le Figaro Littéraire
« Riche et foisonnant. » Julien Bisson, Lire
« Erik Orsenna sait ce qu’aimer veut dire. » Isabelle Girard, Madame Figaro
« De Bréhat à Cuba, les amours de deux hommes et leur solitude. »
Ouest France
« Erik Orsenna se dévoile. » Ludovic Perrin, Le JDD
« Un grand roman autobiographique. Puissant et envoûtant ! »
Catherine Lalanne, Le Pèlerin
« Un enchantement. » hierry Gandillot, Les Echos
« Un récit sans aucun style. » Éric Chevillard, Le Monde des livres
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0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Me Marc Bonnant, « Mozart de l’offshore »
Le grand pénaliste genevois de 71 ans est lié à 176 sociétés offshore enregistrées dans les paradis fiscaux
P
PORTRAIT
ar sa maîtrise exceptionnelle de la rhétorique, la
truculence de son verbe,
ses références littéraires
et historiques, Me Marc Bonnant
est unique. Aucun autre avocat à
Genève, ni sans doute ailleurs
dans le monde francophone, ne
sort vainqueur comme lui de joutes verbales avec Bernard-Henri
Lévy, Régis Debray ou Tariq Ramadan. Aucun n’a comme lui été décoré de la Légion d’honneur pour
sa défense de la langue française.
Il y a pourtant deux Marc Bonnant. Le premier est surnommé le
« Mozart du barreau », le « Bossuet
des tribunaux », même si la figure
à laquelle il a longtemps aspiré
était Paul Valéry. Le poète est mort
à 73 ans en juillet 1945, neuf mois
après la naissance de l’avocat
suisse, aujourd’hui âgé de 71 ans.
Le second Marc Bonnant est plus
prosaïque. Dans les « Panama papers », il apparaît comme étant ou
ayant été directeur d’au moins 176
sociétés offshore enregistrées par
le cabinet Mossack Fonseca dans
des
juridictions
exotiques.
Me Bonnant n’est pas, et de loin, le
seul avocat genevois à pratiquer
les paradis fiscaux, mais il s’y montre assidu, et pour des clients souvent en délicatesse avec la justice.
Car les ayants droit économiques
de ces sociétés, quand ils sont
identifiés, forment une escouade
peu recommandable. S’y côtoient
l’intermédiaire sur les ventes d’armes Ziad Takieddine, le diamantaire Mozes Victor König, recherché par Interpol, Gérald Gérin, le
majordome de Jean-Marie Le Pen,
Beny Steinmetz, le diamantaire
franco-israélien poursuivi par la
justice américaine, ou l’homme
d’affaires israélien Dan Gertler,
que Mossack Fonseca, pourtant
peu regardant, qualifie de « marchand de diamants du sang ».
Une question d’argent
Sur ses clients, Marc Bonnant ne
dira pas un mot. « En raison du secret professionnel, je ne veux ni ne
peux répondre à vos questions dans
la mesure où elles se rapportent à
mes mandats d’avocat. » Il se montre davantage prolixe en considérations générales, sans pour
autant éclaircir ce mystère : comment le Me Bonnant côté cour,
l’avocat brillant, passe-t-il côté jardin, celui de l’administrateur laborieux de sociétés offshore ? La
prose qu’il adresse à Mossack Fonseca, dans les milliers d’e-mails et
de courriers que Le Monde a pu
consulter, n’a rien de Valéry, ni de
Bossuet. Il s’agit en quelques lignes
de modifier la liste des administrateurs, de régler les frais de gestion
ou de changer la domiciliation
d’une société.
Bien qu’il s’en défende, il y a sans
doute une question d’argent. Marc
Bonnant mène grand train, avec
son manoir de Gy, dans la campagne genevoise, et ses collections de
manuscrits anciens, de bustes antiques, de toiles de maîtres. Dans
L’Obs, l’an dernier, l’avocat reconnaissait comme à regret que « l’on
tue peu à Genève ». Pas de quoi
nourrir un pénaliste, donc, qui
confirme au Monde que « la défense pénale n’est pas – et de loin –
son activité principale ». Pour
Marc
Bonnant
avec son
épouse,
Marianne,
et leurs
filles dans
leur
maison de
Gy (Suisse),
en mai
2011. FRED
MERZ/LUNDI 13
autant, et avec une coquetterie qui
lui est propre, l’ancien bâtonnier
de Genève précise qu’il « n’offre pas
de services [offshore], ce qui serait
une démarche commerçante. Je
suis consulté, ce qui n’est assurément pas la même chose ».
L’argent de Me Bonnant fait
d’ailleurs l’objet de bien des fantasmes à Genève. Lorsqu’il a obtenu,
en mai 2014, dans le « divorce du
siècle », que le milliardaire russe
Dmitri Rybolovlev, patron de l’AS
Monaco, verse 4 milliards de
francs suisses à son ex-femme
Elena, ses confrères jaloux ont évoqué une commission de plusieurs
dizaines de millions de francs. Qui
ne s’est sans doute pas matérialisée, le couple ayant conclu un accord à l’amiable. Autre cas, lorsque
l’avocat a obtenu pour la fille cadette de feu Gianni Agnelli, l’ancien patron de Fiat, 1,2 milliard
d’euros dans un pacte successoral,
il a perçu des honoraires de 10 millions de francs suisses (9,1 millions
d’euros). La justice lui a ordonné
en 2012 d’en rembourser 6. Personne ne sait, en revanche, combien il a touché lorsqu’il a décroché en 2003 un héritage estimé à
3,7 milliards d’euros pour Athina
Roussel, l’héritière Onassis.
Me Bonnant
pratique les
paradis fiscaux
pour des clients
souvent en
délicatesse avec
la justice
venant
de choc
Marc Bonnant n’hésite pas à se
mettre en scène dans des pièces de
théâtre et martèle sa détestation
de l’islam ou des campagnes antitabac dans la presse dominicale. Il
est devenu, entre Genève et Lausanne, un personnage public, un
ringard à la mode qui dénonce la
société du spectacle sur les plateaux de télévision, sans y voir de
contradiction, et affiche son amitié avec Oskar Freysinger, élu valaisan de l’UDC, parti xénophobe et
populiste. Aux journaux suisses, il
livre des confidences touchantes
sur une enfance « turbulente et
éruptive » – « je frappais tout le
monde », dit-il –, sur son père ambassadeur, sa mère tellement exigeante qu’elle lui renvoyait ses lettres d’amour annotées au stylo
rouge ou sur sa première étreinte,
avec une femme de vingt ans son
aînée – « j’aime les femmes initiatrices ». Mais quand les questions
portent sur ses revenus, il esquive,
parle plutôt de ses premiers gains,
obtenus en trichant au poker avec
ses camarades de lycée.
Dans les années 1990 et 2000,
Marc Bonnant fait partie de la
« bande des douze », ces ténors du
barreau genevois ayant délaissé les
assises, « qui ne rapportent rien », le
mot est de l’un d’eux, pour les « affaires financières internationales ».
Quelles affaires ? L’époque est aux
coups de boutoirs contre le secret
bancaire suisse, aujourd’hui cliniquement mort. Sous l’impulsion
du procureur Bernard Bertossa, la
justice genevoise bloque à tours de
bras les comptes de dirigeants,
comme ceux du Nigérian Sani
Abacha, de la Pakistanaise Benazir
Bhutto ou de milliardaires étrangers, souvent russes. Pour les avo-
cats, le pactole consiste à parvenir
à débloquer ces comptes, ou à empêcher la transmission d’informations. Des milliards sont en jeu.
L’un des clients de Marc Bonnant
est d’ailleurs Noursoultan Nazarbaïev, président du Kazakhstan,
dont plusieurs comptes ont été découverts en 2002 à Genève.
« Rapport de confiance »
Ce n’est pas, en soi, la gestion de sociétés offshore qui va remplir les
caisses de Marc Bonnant. Chacune
ne coûte que quelques centaines
de dollars par an et le marché est
très compétitif. La motivation de
l’avocat se cache sans doute davantage dans sa vocation à protéger
les riches, hier dans une Suisse dotée du secret bancaire, aujourd’hui
dans des juridictions plus exotiques. « La tolérance psychologique
aux ponctions étatiques a un seuil.
Au-delà de ce seuil, l’impôt c’est le
vol », aime à déclarer Me Bonnant.
Il aime aussi accompagner jusqu’au Panama ou aux îles Vierges
des clients qui lui ont rapporté
beaucoup d’argent. « Ces mandats
[offshore] sont souvent le prolongement et la consécration du rapport de confiance né de la défense
au plan pénal, civil ou administratif
de mes clients », écrit-il au Monde.
Me Bonnant s’est ainsi rendu en
personne au guichet de HSBC à Genève le 8 avril 2005 pour y retirer
35 000 francs suisses en cash sur le
compte de son client en fuite Mozes Victor König, pour lequel il
gère au moins six sociétés ayant
des comptes chez HSBC, dont l’un
affichait, en 2007, un solde de
80 millions de francs. Rapport de
confiance aussi avec Ziad Takieddine, pour lequel Me Bonnant con-
« La tolérance
psychologique
aux ponctions
étatiques
a un seuil »
MARC BONNANT
sent une exception. Depuis novembre 2007, il est le directeur de
l’une des sociétés du franco-libanais, Warwick Estate Ltd, qui abrite
une résidence à Londres.
Or, selon les documents consultés par Le Monde, Marc Bonnant
consent, le 18 octobre 2011, à devenir aussi l’actionnaire unique de
Warwick, sans doute pour protéger le patrimoine de M. Takieddine, mis en examen quelques semaines plus tôt, des séquestres de
la justice française, ou à le soustraire à son ex-femme, Nicola Johnson. Malgré ce geste rare (c’est la
seule société de Mossack Fonseca
dans laquelle Me Bonnant apparaît
comme actionnaire), les relations
entre les deux hommes se sont détériorées. Le 7 novembre 2013,
l’avocat transfère Warwick chez un
autre prestataire panaméen, Icaza,
Gonzalez-Ruiz & Aleman. Son
client s’en insurge et retourne chez
Mossack Fonseca.
Quand il disserte à la télévision
sur sa profession, Marc Bonnant
évoque sa génération d’avocats,
son érudition et son amour des
lettres. Il ne cache pas sa désapprobation pour la nouvelle génération de « techniciens du droit », –
« comme on dit technicien de surface », ironise-t-il en regrettant ce
« passage du sacré au profane ».
nicolas demorand
le 18/20
mond
15 un jour dans le monde
18:15
19:20 le téléphone sonne
« Je concède volontiers que l’activité d’intermédiaire financier [qui
est la mienne] relève du profane
(…). Mais pas de l’indignité ! », se défend Me Bonnant. Indigne ou pas,
Marc Bonnant semble payer de sa
personne. L’achat ou la création
des sociétés est délégué à la société
Figest Conseil SA à Genève, mais
elle demande ensuite aux Panaméens d’adresser directement au
cabinet de l’avocat les documents
courants. La plupart portent la signature de Me Bonnant lui-même,
dont la mécanique dans les paradis fiscaux semble bien rodée,
grâce à une société panaméenne,
Bigland Enterprises Inc., que l’avocat genevois utilise souvent
comme actionnaire prête-nom
pour dissimuler les ayants droit
véritables.
Les échanges entre l’étude Bonnant & Associés et Mossack Fonseca, au Panama ou via ses bureaux genevois, sont ainsi presque
quotidiens. Notamment en 2010,
lorsque la firme panaméenne s’inquiète de la mauvaise réputation
du milliardaire israélo-congolais
Dan Gertler. Pendant des mois,
l’avocat genevois ne livre les informations qu’au compte-gouttes
puis, le 11 juillet 2011 à 12 h 08,
transfère sans broncher les deux
sociétés de son client chez Morgan
& Morgan, un concurrent de Mossack Fonseca. Sur cette opération
non plus, Me Bonnant ne dira mot.
« Je suis très favorable au secret,
notamment fiscal. Je n’ai aucune dilection pour la société d’exhibition
et de transparence », déclame-t-il
sur des plateaux de télévision,
sans doute pour mieux cacher
d’autres secrets. p
serge michel
avec les chroniques
d’Arnaud Leparmentier
et d’Alain Frachon
dans un jour dans le monde
de 18 :15 à 19 :00
INTERNATIONAL
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
|7
Au Brésil,
la « troisième
voie » de
Marina Silva
La dirigeante du parti
écologiste Rede, épargnée
par les scandales de corruption,
demande des élections
anticipées et revient en force
sur la scène politique
suite de la première page
La dirigeante du parti écologiste
Rede, créé en septembre 2015, est
en tête du sondage Datafolha publié le 20 mars. Devant l’ancien
président Luiz Inacio Lula da
Silva, du Parti des travailleurs (PT,
gauche) et le candidat Aecio
Neves, du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, opposition). Son capital de 22 millions
d’électeurs semble intact.
Mais « les sondages appartiennent à l’instant et leur volatilité est
encore plus grande en ces temps
de crise, explique Marina Silva au
Monde. Nous vivons un moment
si grave de l’histoire de notre nation que la chose la plus importante n’est pas de savoir quel sera
le prochain candidat aux élections, mais de trouver une issue à
la profonde crise économique, à la
grave crise sociale et au grand discrédit des partis et des dirigeants
politiques. »
La rue gronde contre la présidente Dilma Rousseff. Les Brésiliens sont exaspérés par la corruption des élites. L’ancien président
Lula, inquiété par l’enquête « Lava
Jato » (lavage express), qui a mis
au jour le scandale tentaculaire lié
au groupe pétrolier Petrobras,
n’est pas épargné par la colère ravivée depuis qu’il a prétendu devenir ministre de Mme Rousseff.
On le soupçonne de chercher
ainsi à bénéficier d’une immunité
et fuir la justice.
Face à cette triple crise, économique, politique et morale,
Marina Silva interroge la pertinence d’un « impeachment », la
procédure de destitution lancée
contre la présidente. « L’impeachment est prévu dans notre Constitution, ce n’est pas un “coup
d’Etat”, prend-elle soin de préciser
d’emblée en réponse à l’argument
phare du PT. L’impeachment est légal, mais il n’atteint pas la finalité
recherchée : résoudre la crise économique et stabiliser la situation
politique sans compromettre la
lutte contre la corruption. »
Si la chef d’Etat est déchue, elle
sera remplacée par son vice-président, Michel Temer, du Parti du
mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre). « Un parti qui
a contribué à la crise politique, économique et morale. Un parti qui,
depuis douze ans, a gagné les élections avec le PT et fait l’objet des
mêmes accusations dans l’affaire
Petrobras », souligne Marina Silva.
« La société devra vivre avec une
partie des personnes qu’elle voulait
retirer du pouvoir », ajoute-t-elle.
A ses yeux, le scandale qui secoue le monde politique a mis en
évidence des détournements de
fonds visant à financer des partis
et des campagnes électorales. Le
Tribunal supérieur électoral,
chargé de juger de la légalité des
financements de la dernière campagne présidentielle, est donc
l’instance appropriée. En cas de
fraude, une nouvelle élection sera
organisée « qui permettra aux
200 millions de Brésiliens de réparer les erreurs commises ». « L’enquête “Lava Jato” prononcera la
sanction judiciaire envers des personnes coupables de crimes, ajoute-t-elle. Les électeurs rendront la
sanction politique. »
Née dans la misère
Originaire de l’Acre, en Amazonie,
née dans la misère, analphabète
jusqu’à 16 ans, ancienne domestique avant d’être diplômée d’histoire et de franchir les marches du
pouvoir, Marina Silva a de quoi séduire les électeurs. Mais sa foi
évangélique et ses positions conservatrices sur des sujets de société comme l’avortement effraient. Elle répond : « Le Brésil est
un pays pluriel, formé de catholiques, d’évangéliques, d’athées, de
traditions religieuses aux racines
africaines. Nous sommes un Etat
laïque qui doit garantir les droits
de celui qui croit et de celui qui ne
croit pas, assurer la liberté d’expression religieuse ; un Etat laïc
n’est pas un Etat athée. On n’élit pas
un pasteur, un prêtre ou un rabbin,
mais quelqu’un qui, indépendamment de ses propres convictions,
défendra les droits de tous. »
Marina Silva, à Sao
Paulo, le 21 mars. LUDOVIC
CAREME/MODDS POUR « LE MONDE »
Quand des voix s’élèvent contre les méthodes discutables du
juge Sergio Moro, chargé de cette
enquête tentaculaire, Marina
Silva tranche : « Les sages sont
ceux qui apprennent des erreurs
des autres. Les idiots, ceux qui
n’apprennent pas de leurs propres
erreurs. Nous avons la possibilité
d’apprendre de l’opération
“Mains propres” en Italie. Les juges italiens ont fait l’objet de pressions de la part des accusés dénigrant le travail de la justice. Cela
n’a pas permis de faire aboutir le
processus comme il aurait fallu et
a conduit à un recul politique.
Nous ne devons pas répéter les
mêmes erreurs. »
Une critique clairement dirigée
contre le PT, qui dénonce, à travers les attaques contre Dilma
Rousseff, tout à la fois une tentative de coup d’Etat, une atteinte à
la démocratie et la mise en place
d’un Etat policier. « Il est évident
que les institutions ne sont pas
parfaites, que les hommes ne sont
pas parfaits, nuance-t-elle. Il faut
« La politique
n’est plus
le monopole
des hommes
politiques »
MARINA SILVA
dirigeante du parti écologiste
Rede
chaque fois plus de vigilance pour
que cette enquête remplisse ses
objectifs : combattre la corruption
et en finir avec l’impunité. »
Et après ? Une fois le nettoyage
effectué, comment reconstruire
le paysage politique ? « Le Brésil
est un pays qui souffre du syndrome de polarisation, pense-telle. On a été polarisé entre démocratie et dictature, entre les deux
partis autorisés sous le régime militaire, Arena et PMDB, puis entre
le PT et le PSDB. Cela a conduit à
un grand retard pour le Brésil. Il
faut penser à une alternative. »
Celle qui avait, dès 2010, mis en
garde contre la perte d’avancées
sociales, ne prône pas une modification du régime présidentiel
comme certains, mais un changement d’attitude. Lassée du marchandage entre partis afin d’obtenir « le pouvoir pour le pouvoir »,
elle réclame des leaders qui assument leurs opinions et soient élus
sur un programme pour le système de santé, l’éducation, les infrastructures, « afin de reconstruire un modèle de développement sur une base durable avec
des réformes profondes, répondant aux défis du XXIe siècle ».
« Idéaux du PT compromis »
Définir ces grandes lignes permettra aux partis politiques de
refonder un pacte avec la société
dont ils se sont coupés en se
transformant en « machines électorales », qui ont pour seule préoccupation non plus d’échanger
des idées, mais de savoir combien
d’argent et combien de temps de
télévision sont nécessaires pour
gagner les élections. Les partis
vieillis doivent se réinventer.
« Avec les nouvelles technologies,
les citoyens sont capables de se
mobiliser seuls, la politique n’est
plus le monopole des hommes politiques », observe-t-elle. Le PT,
auquel elle a appartenu avant de
claquer la porte avec fracas
en 2008, lorsqu’elle était ministre
de l’environnement de Lula, à la
suite de divergences profondes
avec Dilma Rousseff, n’échappe
pas à ses critiques.
« Je suis très fière des racines du
PT, mais après les récents événements, ses idéaux sont compromis », juge-t-elle, refusant de
condamner ou de disculper avant
que la justice ne se prononce. « Assurément, l’invitation de Dilma
faite à Lula pour entrer à son gouvernement a aggravé la crise politique, convient-elle. Ce qui arrive
au Brésil est triste. Nous qui avions
l’espoir de vaincre la peur, voyons
la peur utilisée pour combattre
l’espoir. » p
claire gatinois
La destitution de Dilma Rousseff est loin d’être acquise
ses adversaires croyaient son sort
scellé, trépignant dans l’antichambre du
pouvoir. Mais Dilma Rousseff, présidente
du Brésil menacée par une procédure de
destitution (impeachment) et abandonnée
par son principal allié politique, le Parti du
mouvement démocratique brésilien
(PMDB, centre), peut encore surprendre.
Mercredi 6 avril, Jovair Arantes, rapporteur de la commission chargée d’analyser la
procédure d’impeachment, a donné son
aval à la destitution, jugeant que les faits reprochés – tel le « pédalage budgétaire » à
grande échelle, procédé visant à retarder
l’enregistrement de dépenses publiques
grâce au recours à des crédits auprès d’établissements publics – caractérisaient un
« crime de responsabilité ». Une majorité des
65 membres de la commission devrait suivre son avis, lors d’un vote lundi 11 avril.
La suite du processus est plus incertaine.
La Chambre des députés devra se prononcer lors d’une session de votes qui peut
s’étaler sur trois jours, les 15, 16 et 17 avril.
Mais la majorité des deux tiers requise pour
poursuivre l’impeachment n’est pas acquise. Après avoir crié « Fora Dilma »
(« Dilma dehors »), dénonçant la corruption
du Parti des travailleurs (PT, gauche), les
Brésiliens en colère prennent conscience
que l’alternative n’est guère enthousiasmante. En cas de destitution, Dilma Rousseff serait remplacée par son vice-président,
Michel Temer, du PMDB.
Doutes des députés
Un homme peu populaire, suspecté d’avoir
bénéficié, lors de la campagne avec
Mme Rousseff, de financements illégaux. Sa
crédibilité est d’autant plus entachée
qu’une demande d’impeachment a été lancée contre lui, mardi, pour des motifs en
partie similaires à ceux reprochés à la présidente. « Les doutes concernant Michel Temer
jettent le trouble sur sa capacité à apaiser le
pays », observe Marco Antonio Carvalho
Teixeira, politologue à la Fondation Getulio
Vargas de Sao Paulo. En coulisses, l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010)
serait à la manœuvre pour convaincre les
députés de s’abstenir de voter en faveur de
l’impeachment, quitte à leur promettre un
poste au gouvernement. Un marchandage
caricatural du système politique brésilien,
souffle le politologue Carlos Melo : « Les députés n’obéissent ni à un parti ni à une logique visant à défendre l’intérêt du parti, mais
agissent pour leur carrière. »
Habile négociateur, Lula pourrait porter
un secours encore plus actif à sa protégée
si la Cour suprême, qui pourrait se prononcer mardi, donnait un avis favorable à sa
nomination – pour l’instant en suspens –
de ministre de la Casa Civil, un poste équivalent à premier ministre.
Au gouvernement, l’ancien président deviendrait a priori justiciable uniquement
devant la Cour suprême et devrait ainsi voir
s’éloigner de lui le juge Sergio Moro, en
charge de l’enquête « Lava Jato » portant sur
le scandale de corruption Petrobras. De quoi
faire enrager le juge de Curitiba déjà dessaisi
temporairement du dossier concernant
Lula, qu’il soupçonne de corruption. p
c. g.
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VENDREDI 8 AVRIL 2016
Aux Pays-Bas, vote de défiance contre l’Europe
La victoire du non au référendum sur l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine embarrasse Bruxelles
bruxelles - bureau européen
Le premier
ministre a admis
que la ratification
du traité n’allait
plus de soi
P
ersonne ne s’y est
trompé à Bruxelles et à
La Haye : peu importe
que le quorum requis
(30 %) pour que le scrutin soit valide n’ait été atteint que de justesse, peu importe que le vote luimême ne soit que consultatif et
que la participation ne soit que de
32 % selon les dernières estimations : l’écrasante victoire du
« non » au référendum néerlandais sur l’accord d’association entre l’Union européenne et
l’Ukraine (plus de 60 %), mercredi
6 avril, est une mauvaise nouvelle
de plus pour l’Europe.
Il s’agit d’un test, franchement
négatif, à moins de cent jours
maintenant du référendum sur
le « Brexit », la sortie du Royaume-Uni de l’UE, dont l’issue tétanise tous les pro-Européens depuis des mois. Ce vote néerlandais risque aussi de fragiliser la
politique extérieure de l’Union
vis-à-vis de la Russie, opposée à
l’accord entre Kiev et Bruxelles,
beaucoup de commentateurs le
lisant comme une victoire symbolique pour Poutine.
Mark Rutte, le premier ministre
néerlandais, est resté très prudent, mercredi soir, mais le leader
du parti libéral démocrate, dont le
gouvernement avait fait campagne pour le « oui », a admis que la
ratification par son pays du traité
entre l’UE et l’Ukraine, suspendue
par le référendum, n’allait plus de
soi. « Si le résultat est non, nous devrons considérer cet avis avec précaution. Il signifie un fait politique,
à savoir que la ratification ne peut
pas simplement suivre son cours »,
a-t-il fait savoir. A Bruxelles, les dirigeants des institutions européennes n’ont pas réagi officiellement. Mais, en janvier dernier, le
président de la Commission, JeanClaude Juncker, avait prévenu
qu’un non pourrait conduire à
« une crise continentale »…
Un dessin de la campagne du oui représente le populiste Geert Wilders et Vladimir Poutine, à Amsterdam. CRIS TOALA OLIVARES/REUTERS
En revanche, l’extrême droite
s’est réjouie : sur Twitter, le leader
de l’extrême droite néerlandaise,
Geert Wilders, a salué un vote « de
défiance à l’égard des élites de
Bruxelles et de La Haye » qui est « le
début de la fin de l’UE ». Marine Le
Pen a félicité son allié au Parlement européen et salué « un pas
de plus vers l’Europe des Nations ».
Un signal dommageable
Ce référendum est issu d’une improbable coalition d’intellectuels
et de citoyens regroupés autour
du site web GeenStijl (« pas de
style »), qui affirment vouloir « tirer le signal d’alarme et canaliser le
mécontentement d’une population inquiète de la mégalomanie
des dirigeants européens ». L’été
dernier, ils ont saisi l’opportunité
d’une nouvelle loi néerlandaise
sur les initiatives populaires, entrée en vigueur en juin, et ont
réuni 480 000 signatures, bien
plus que les 300 000 requises. De
leur propre aveu, l’accord d’association avec l’Ukraine n’est qu’un
prétexte. La prochaine étape, c’est
un référendum sur le « Nexit », la
sortie des Pays-Bas de l’UE…
Un tel signal est d’autant plus
dommageable pour l’Europe qu’il
vient d’un des six pays fondateurs
de l’Union, connu pour ses valeurs libérales, résolument
tourné vers l’Ouest et le monde
anglo-saxon, qui avait déjà voté
« non » à la Constitution européenne en 2005. Un pays qui, jusqu’à fin juin prochain, assure la
présidence tournante de l’Union.
Sur Twitter, les commentateurs
en faveur du « oui » soulignaient
aussi le paradoxe d’un vote
négatif alors que les Pays-Bas ont
vécu le drame du vol MH17, abattu
Moscou impose un cessez-le-feu
très fragile au Haut-Karabakh
envoyé spécial
A
près quatre jours de combats intenses, les plus
durs qu’ait connus la région depuis la fin de la guerre
en 1994, un calme précaire semblait revenir sur le Haut-Karabakh, mercredi 6 avril. Des tirs
d’armes automatiques et de mitrailleuses ont certes retenti toute
la journée au nord et au sud-est de
la ligne de front, mais selon les
standards de la région, où les escarmouches sont depuis plusieurs années quasi quotidiennes, cela sonne presque comme
un retour à la normale.
Dans la soirée, les ministres de
la défense des deux camps –
l’Azerbaïdjan, à qui ce territoire
de peuplement arménien appartient au regard du droit international, et les autorités de la République autoproclamée du HautKarabakh, soutenue par l’Arménie – ont conclu d’une même
voix que le cessez-le-feu signé la
veille était « globalement respecté ». Ils se sont toutefois
mutuellement accusés de continuer à tirer au mortier sur les
positions adverses.
L’armée azérie a annoncé
31 morts dans ses rangs ; celle du
Haut-Karabakh, 32. Neuf civils
auraient également été tués,
dont deux semblent, selon des
L’Azerbaïdjan
a sans doute
voulu, par
son offensive,
rappeler que
ce conflit n’est
en rien gelé
photographies et des témoignages de plusieurs journalistes,
avoir été exécutés de sang-froid
par les forces azéries.
Le bilan de l’offensive azérie,
lancée dans la nuit de vendredi à
samedi avec l’aide d’hélicoptères
et de blindés, paraît faible. Dans le
nord du territoire, le village de Talish, brièvement occupé, a été repris par les forces karabakhtsies ;
dans le sud-est, Bakou assure
s’être emparé de trois collines. Un
porte-parole de l’armée du HautKarabakh évoquait dans la soirée
« une seule position n’ayant
aucune valeur stratégique ».
Intense activité diplomatique
Aussi minimes soient-ils, ces
gains territoriaux constituent la
première modification de la ligne de démarcation depuis l’armistice de 1994, conclu après la
victoire militaire de l’Arménie.
C’est ce qui explique l’intense ac-
tivité diplomatique dans la région ces derniers jours. Mercredi,
des diplomates russe, américain
et français – qui coprésident dans
le cadre de l’OSCE le Groupe de
Minsk sur le Karabakh – ont rencontré à Bakou le président azéri,
Ilham Aliev. Ils étaient attendus
jeudi à Stepanakert, la « capitale »
du Haut-Karabakh.
Mais c’est surtout l’intervention de la Russie qui semble avoir
été déterminante. Mardi, c’est à
Moscou que la trêve a été signée
entre les chefs d’état-major arménien et azerbaïdjanais. Dès
mercredi, le chef de la diplomatie
russe, Sergueï Lavrov, était à
Bakou, et le premier ministre
Dmitri Medvedev est attendu
dans les deux capitales.
Moscou, allié traditionnel de
l’Arménie, où il dispose de deux
bases militaires, entretient également de bonnes relations avec
l’Azerbaïdjan. Les deux pays se
fournissent en armements russes
– Bakou massivement, grâce à la
manne pétrolière, Erevan dans
une moindre mesure mais à des
prix cassés. Mardi, Vladimir Poutine a appelé les deux parties à
respecter la trêve. Il a également
souligné la nécessité pour les Arméniens et les Azerbaïdjanais de
relancer « le processus de négociations » pour permettre « un règlement pacifique » de ce conflit
vieux de vingt-huit ans.
cécile ducourtieux
Tensions entre Rome et
Le Caire sur le cas Regeni
Un nouveau témoin revient sur les derniers
jours de l’étudiant italien enlevé en Egypte
Les combats entre troupes azéries et karabakhtsies auraient fait plus de 60 morts
stepanakert (haut-karabakh) -
en juillet 2014 au-dessus de
l’Ukraine, par un missile venant
des zones prorusses. Le crash
avait causé la mort de plus de
190 passagers néerlandais.
En décembre 2015, les Danois
s’étaient prononcés par référendum contre une coopération policière avec le reste des Européens.
La question posée était quasi
incompréhensible, mais, déjà, ce
vote avait été interprété comme
un « non » à l’Union. « Ce nouveau
vote prouve à quel point le malaise
est grand, à quel point l’Union
n’inspire plus confiance », déplore
un diplomate européen. De fait,
avec les attentats, la crise migratoire qui a mis à jour ses profondes divisions, l’Union donne
l’image d’une construction politique en panne, incapable d’assurer
la sécurité et la prospérité économique à ses citoyens. Et beaucoup,
à Bruxelles, craignent que, dans
l’état de faiblesse dans laquelle
elle se trouve, elle ne résiste pas à
la déflagration d’un « Brexit ».
Le vote de mercredi pourrait
aussi fragiliser l’accord d’association avec l’Ukraine. Pas à court
terme : cet accord, qui a valeur de
traité et qui comporte un gros volet commercial mais aussi politique, a déjà été ratifié par le Parlement européen et les 27 autres
pays de l’Union. Et il est entré en
vigueur de manière « provisoire »
le 1er janvier 2016. Mais le « provisoire » ne pourra pas durer éternellement. Si La Haye ne ratifie
pas le traité à son tour, ce dernier
risque d’être dénoncé devant la
Cour de justice de l’Union européenne, craint-on à Bruxelles
Comment le gouvernement de
M. Rutte va-t-il s’en sortir ? Il pourrait négocier un protocole additionnel à l’accord, pour soustraire
le pays à certains de ses aspects. Ou
exiger l’ajout de déclarations répondant aux préoccupations des
partisans du « non » (la lutte contre la corruption, etc.), suggère
Aaron Matta, chercheur du think
tank The Hague Institute for Global Justice. « Ce qu’il faut retenir,
c’est qu’on a juste une crise de plus à
gérer », déplorait une source diplomatique bruxelloise, mercredi. p
Cette injonction a tout d’un vœu
pieux, tant les positions sont éloignées : revanchisme pour l’Azerbaïdjan, intransigeance absolue
du côté de l’Arménie. Les récentes
initiatives du Groupe de Minsk
pour assurer un contrôle par satellite ou par caméra de la ligne de
front se sont heurtées à un net refus de l’Azerbaïdjan, qui entend
conserver une marge d’action et a
sans doute voulu, par son offensive, rappeler que le conflit au
Haut-Karabakh n’est en rien gelé.
Les jeux géopolitiques régionaux n’incitent guère non plus à
l’optimisme. Moscou a tout intérêt à conserver son rôle d’arbitre
dans le Caucase du Sud, zone stratégique pour le transport des hydrocarbures et charnière entre
l’Iran, le Proche-Orient et la Turquie. Cette dernière, en froid avec
la Russie sur le dossier syrien, est
prête à bousculer les équilibres régionaux. Durant toute la crise, Ankara a multiplié les déclarations
incendiaires et promis de soutenir l’Azerbaïdjan « jusqu’au bout ».
Signe du climat de défiance extrême sur le terrain, des groupes
de volontaires venus d’Arménie
continuaient d’arriver dans la soirée à Stepanakert, et les civils vivant à proximité des zones de
combat profitaient de l’accalmie
pour emballer à la hâte quelques
affaires et rejoindre l’arrière. p
benoît vitkine
rome - correspondant
A
rrivée mercredi 6 avril à
Rome pour une visite de
quarante-huit
heures,
une délégation de magistrats
égyptiens doit présenter « les derniers éléments de l’enquête » à leurs
homologues italiens sur le décès
de cet étudiant de 28 ans disparu
au Caire, le 25 janvier, et retrouvé
mort, supplicié, dix jours plus tard.
Les derniers éléments ? Les autorités égyptiennes ont d’abord
présenté la mort du jeune étudiant de l’université de Cambridge
comme « un accident de la route »
puis comme « un crime à caractère
sexuel » et, enfin, comme « un rapt
crapuleux qui aurait mal tourné ».
Mercredi 6 avril, le quotidien italien La Repubblica a publié un témoignage anonyme mais présenté comme « fiable » sur les derniers jours de Giulio Regeni, qui
travaillait sur les mouvements
syndicaux en Egypte. Dans un
courriel en arabe, ce correspondant explique que l’ordre de son
enlèvement a été donné par le général Khaled Shalaby. Puis, il raconte en détail le calvaire du jeune
homme passé des mains de la police à celle de la sécurité nationale,
puis aux services secrets militaires : coups, brûlures de cigarettes,
tortures à l’électricité, privation de
nourriture et de sommeil et, pour
finir, un coup de baïonnette, rien
ne lui fut épargné. Une fois décédé
le corps de Giulio Regeni sera porté
dans la chambre froide d’un
hôpital militaire.
Ce témoignage ne devrait pas
être déposé dans le dossier d’instruction des magistrats italiens
qui y relèvent des « incohérences ». Selon le journal indépendant égyptien Mada Masr, un ancien officier du nom d’Omar Affifi, réfugié aux Etats-Unis, a publié en février un témoignage
similaire sur sa page Facebook.
Mais cet homme dément être
l’auteur du courriel envoyé à La
Repubblica « même s’il est proche
de la vérité » et invite « quiconque
ayant des informations sur Regeni
à se mettre en contact » avec lui.
Incrédule, mais patiente, l’Italie,
deuxième partenaire commercial
du Caire, a haussé progressivement le ton. Mardi, Paolo Gentiloni, le ministre des affaires étrangères, a rejeté par avance « toute
tentative pour accréditer une vérité
commode », sous peine « de mesures immédiates et proportionnées ». Le premier ministre,
Matteo Renzi, a prévenu : « Nous
nous arrêterons seulement à la vérité, la vraie vérité. » « Je ne vous dis
pas ce qu’ils lui ont fait. Sur son visage, j’ai vu tout le mal de ce
monde », a témoigné la mère de
Giulio. Elle n’a reconnu le visage de
son fils qu’à la pointe de son nez. p
philippe ridet
international | 9
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
« Si on n’aide pas le Burkina, c’est l’échec annoncé »
Elu en novembre 2015, le président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, était en visite à Paris
R
ENTRETIEN
och Marc Christian Kaboré, 58 ans, incarne le
paradoxe
burkinabé.
Vainqueur au premier
tour, en novembre 2015, d’une
élection qui consacrait le retour de
la démocratie au Burkina Faso, le
nouveau président est un ancien
baron du régime de Blaise Compaoré, chassé du pouvoir par une insurrection un an plus tôt. Premier
ministre puis président de l’Assemblée nationale, il avait rompu
avec son mentor puis contribué à
sa chute. Il faisait, du 5 au 7 avril, sa
première visite en France.
Aucun membre du gouvernement français n’est venu
vous accueillir à votre arrivée
à Paris. Que vous inspire
cet accueil ?
Je ne suis pas très protocolaire et
j’étais très content que des Burkinabés soient venus à l’aéroport.
L’accueil que nous avons eu à
l’Elysée, à Matignon, à l’Assemblée
nationale témoigne de nos bonnes relations.
Pensez-vous avoir été invité
en tant que symbole démocratique ?
Nous avons été invités au titre
de l’action que le peuple burkinabé a menée pour retrouver la liberté, la démocratie. Cela a été
une longue bataille, pleine de
péripéties, de turpitudes, mais,
malgré tout, ces élections se sont
déroulées dans la transparence et
ont été acceptées par tous.
Après l’attentat de GrandBassam le 13 mars en Côte
d’Ivoire, le ministre français
de l’intérieur a annoncé
qu’une équipe du GIGN serait
envoyée au Burkina Faso.
Avez-vous été prévenus ?
Il y a eu un problème de communication. Nous avons appris
sur France Inter qu’il allait y avoir
un déploiement du GIGN. Nous
avons protesté auprès de l’ambassadeur et nous avons eu l’occasion de dire au président et au ministre de l’intérieur que nous
n’acceptions pas de décision sans
être consultés. Ils s’en sont excusés, et il n’est pas question d’un
déploiement du GIGN, mais d’envoyer deux éléments pour assister nos forces de lutte contre le
terrorisme et du renseignement.
Nous verrons si nous avons besoin de cette assistance.
« Il est important
pour nous de
demander à nos
partenaires de
parachever notre
succès politique
par un appui
économique »
Certains disent que l’attentat de
Ouagadougou en janvier 2016
a été facilité par le démantèlement du système sécuritaire
de Blaise Compaoré…
C’est une erreur de vision.
Quand quelqu’un décide de mourir, il n’y a aucun système de sécurité qui pare à cela.
Des enquêtes se poursuivent,
mais nous n’avons pas d’élément
pour dire qu’il y a une complicité
de personnes proches de Blaise
Compaoré. Nous pouvons seulement dire qu’à son époque il avait
des contacts avec tout ce monde,
ce qui peut laisser penser à une
forme de collusion.
Quel regard portez-vous
sur vos homologues africains
réélus après avoir révisé
la Constitution à leur profit ?
Lorsque Compaoré a décidé de
réviser la Constitution, le peuple
burkinabé s’y est opposé. Des vies
ont été perdues, mais ce combat a
été remporté grâce à la détermination du peuple. Je ne peux pas
apprécier les révisions dans les
autres pays car je considère que
les peuples de ces pays ont des responsabilités à assumer.
Dans votre entourage, certains
considèrent que l’ex-président
ou ses proches seraient liés
à l’attentat. Vous confirmez ?
Souhaitez-vous son transfert
de Côte d’Ivoire en vue
d’un procès sur l’assassinat
de l’ex-président Sankara ?
Comment concilier la relance
de l’économie avec les exigences sécuritaires ?
Nous sommes obligés de tra-
Je pense que, quand on assume
la responsabilité de l’Etat pendant
vingt-sept ans, on a un devoir visà-vis de son peuple. C’est à son
peuple de lui pardonner ou de demander qu’il soit sanctionné. La
démocratie, c’est aussi un devoir
de redevabilité.
vailler sur les deux fronts, car sans
développement il n’y a pas de sécurité et, inversement, il n’y a pas
de développement sans sécurité.
C’est pourquoi (…) il est important
pour nous de demander à nos
partenaires de parachever notre
succès politique par un appui économique. Si on n’aide pas le Burkina Faso, ce sera la chronique
d’un échec annoncé.
Un mandat d’arrêt a été lancé
contre Guillaume Soro, le
président du Parlement ivoirien, après la tentative de coup
d’Etat au Burkina de septembre 2015. Cela va-t-il peser sur
les relations avec votre voisin ?
Ce mandat d’arrêt a été lancé
sans que j’en sois informé et cela
ne l’empêche pas de voyager du
tout. Au niveau des Etats, nous
avons décidé de nous mettre audessus de ce conflit, pas fictif,
mais inutile. p
propos recueillis
par cyril bensimon
APPEL D’OFFRES - AVIS D’ENQUETE
01.49.04.01.85 - [email protected]
Préfecture de l’Allier
Préfecture de Saône-et-Loire
Direction de la réglementation
des libertés publiques publiques
et des étrangers
Direction des libertés publiques
et de l’environnement
AVIS D’ENQUÊTE PUBLIQUE
MISE A 2 × 2 VOIES DE LA ROUTE CENTRE EUROPE ATLANTIQUE (RN79)
PAR RECOURS A UNE CONCESSION AUTOROUTIERE
ENTRE MONTMARAULT (03) ET DIGOIN (71)
Conformément aux dispositions de l’arrêté interpréfectoral n° 1011 bis / 2016 en date du 31 mars 2016, une enquête publique relative au projet de mise à 2 × 2 voies de la RN79 appelée également Route Centre Europe Atlantique (RCEA), par recours à
une concession autoroutière, entre le giratoire de l’Europe situé sur la RCEA à la sortie de la gare de péage de l’A71 (commune de Montmarault – 03) et le diffuseur RN79/RD982 (commune de Digoin – 71) est ouverte pour une durée de 54 jours consécutifs, du lundi 25 avril 2016 à 9 heures au vendredi 17 juin 2016 à 18 heures.
Cette opération concerne 23 communes situées dans deux départements :
Allier :
MONTMARAULT, SAZERET, SAINT MARCEL EN MURAT, DEUX CHAISES, LE MONTET, TRONGET, CRESSANGES, BRESNAY, BESSON, CHEMILLY, BESSAY SUR ALLIER, TOULON SUR ALLIER, NEUILLY LE REAL, MONTBEUGNY, THIEL SUR ACOLIN, DOMPIERRE SUR BESBRE, DIOU, PIERREFITTE SUR LOIRE, SALIGNY SUR ROUDON, COULANGES, MOLINET, CHASSENARD,
Saône-et-Loire : DIGOIN.
Cette enquête porte :
- sur l’utilité publique du projet, s’agissant de l’ensemble des travaux relatifs à l’aménagement à 2 × 2 voies de la RN79 (RCEA) et à ses aménagements connexes,
- sur la mise en compatibilité des documents d’urbanisme des communes de Besson, Chemilly, Dompierre sur Besbre, Molinet, Sazeret et Digoin,
- sur le classement de la RN79 (RCEA) dans la catégorie des autoroutes.
Cette enquête publique est conduite par une commission d’enquête ainsi constituée :
Président :
Monsieur Henri DUBREUIL, président honoraire du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel,
Membres titulaires :
Monsieur Claude DEVES, professeur émérite de droit public,
Madame Marie-Odile RIVENEZ, ingénieur en chef du génie rural des Eaux et des Forêts, retraitée de l’administration,
Membres suppléants :
Monsieur Yves HARCILLON, ingénieur divisionnaire des techniques des Eaux et Forêts, retraité,
Monsieur Bernard POUZERATE, colonel de gendarmerie, en retraite.
En cas d’empêchement de Monsieur Henri DUBREUIL, la présidence de la commission d’enquête est assurée par Monsieur Claude DEVES, membre titulaire de la commission.
En cas d’empêchement de l’un des membres titulaires, celui-ci est remplacé par le premier des membres suppléants.
Pendant toute la durée de l’enquête publique, un exemplaire du dossier d’enquête sera déposé et tenu à la disposition du public dans les 23 mairies susvisées, aux jours et heures d’ouverture habituelle au public. Ce dossier sera également consultable sur
le site internet des services de l’État dans l’Allier : www.allier.gouv.fr.
Ce dossier d’enquête comporte notamment les dossiers de mise en compatibilité des documents d’urbanisme et une étude d’impact ayant fait l’objet d’un avis de l’autorité administrative de l’État compétente en matière d’environnement. Cet avis est
annexé au dossier d’enquête.
Les observations et propositions éventuelles sur le projet pourront être :
- consignées sur les registres ouverts à cet effet dans les 23 mairies susvisées,
- adressées par écrit à l’attention du président de la commission d’enquête, à la mairie de Toulon sur Allier, désignée siège de l’enquête,
- adressées par courrier électronique à l’adresse suivante : [email protected]
Un ou plusieurs membres de la commission d’enquête se tiendront également à la disposition du public pour recevoir ses observations aux lieux, jours et heures suivants :
➢ à la mairie de MONTMARAULT :
➢ à la mairie de SAZERET :
➢ à la mairie de DEUX CHAISES :
➢ à la mairie de LE MONTET :
- le jeudi 12 mai 2016, de 9 h à 12 h,
- le mercredi 8 juin 2016, de 14 h à 17 h,
- le jeudi 12 mai 2016, de 14 h à 17 h,
- le jeudi 26 mai 2016, de 9 h à 12 h,
- le samedi 11 juin 2016, de 9 h à 12 h,
➢ à la mairie de CRESSANGES :
- le mardi 14 juin 2016, de 9 h à 12 h,
➢ à la mairie de BESSON :
- le mardi 14 juin 2016, de 14 h à 17 h,
➢ à la mairie de CHEMILLY :
- le vendredi 13 mai 2016, de 9 h à 12 h,
➢ à la mairie de TOULON SUR ALLIER :
- le mercredi 18 mai 2016, de 9 h à 12 h,
- le mercredi 8 juin 2016, de 9 h à 12 h,
- le mercredi 15 juin 2016, de 9h à 12 h,
➢ à la mairie de MONTBEUGNY :
➢ à la mairie de THIEL SUR ACOLIN :
➢ à la mairie de DOMPIERRE SUR BESBRE :
➢ à la mairie de DIOU :
➢ à la mairie de MOLINET :
➢ à la mairie de DIGOIN :
- le lundi 23 mai 2016, de 9h à 12 h,
- le lundi 6 juin 2016, de 9 h à 12 h,
- le jeudi 19 mai 2016, de 9 h à 12 h,
- le vendredi 17 juin 2016, de 14 h à 17 h,
- le mardi 24 mai 2016, de 9 h à 12 h,
- le samedi 28 mai 2016, de 9 h à 12 h,
- le mardi 10 mai 2016, de 13h30 à 16h30,
- le jeudi 9 juin 2016, de 9 h à 12 h.
À la demande de la commission d’enquête, en lien avec le maître d’ouvrage du projet, et sous réserves que les conditions d’accès, de disponibilité des lieux et de sécurité publique le permettent, deux réunions publiques sont envisagées :
le mercredi 18 mai 2016, à 20 heures, à Montmarault,
le mercredi 1er juin 2016, à 20 heures, à Toulon sur Allier.
Les lieux précis seront communiqués en temps utile.
A l’issue de l’enquête, la commission d’enquête établira un rapport relatant le déroulement de l’enquête et consignera dans un document séparé ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables, favorables sous réserves ou défavorables
au projet. Elle transmettra ensuite au préfet de l’Allier le dossier d’enquête, accompagné des registres et pièces annexées, ainsi que son rapport et ses conclusions motivées dans un délai d’un mois à compter de la clôture de l’enquête. Elle transmettra
simultanément une copie du rapport et des conclusions motivées au président du Tribunal Administratif de Clermont Ferrand.
Toute personne physique ou morale intéressée pourra prendre connaissance du rapport et des conclusions de la commission d’enquête, en préfectures de l’Allier et de Saône-et-Loire, ou dans les mairies des communes où s’est déroulée l’enquête,
pendant un an à compter de la date de clôture de l’enquête.
De même, ces documents seront consultables sur le site internet des services de l’État dans l’Allier : www.allier.gouv.fr.
Pendant la durée de l’enquête publique, toute information relative au dossier d’enquête peut être demandée à la Direction Régionale de l’Environnement, du l’Aménagement et du Logement Auvergne-Rhône-Alpes – 7 Rue Léo Lagrange – 63 033
CLERMONT-FERRAND CEDEX 1 (Service Mobilité Aménagement Paysages – Pôle Maîtrise d’Ouvrage de Clermont-Ferrand – Téléphone : 04.73.43.16.61).
L’acte emportant déclaration d’utilité publique du projet de mise à 2 × 2 voies de la RN79 (RCEA), par recours à une concession autoroutière, entre le giratoire de l’Europe situé sur la RCEA à la sortie de la gare de péage de l’A71 (commune de Montmarault – 03) et le diffuseur RN79/RD982 (commune de Digoin – 71), mise en compatibilité des documents d’urbanisme et classement de la RN79 (RCEA) dans la catégorie des autoroutes, interviendra le cas échéant par décret en Conseil d’État.
➢
➢
10 | planète
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Le diabète, nouveau fléau des pays pauvres
Le nombre d’adultes touchés dans le monde est passé, depuis 1980, de 180 millions à 422 millions, alerte l’OMS
C
0123
HORS-SÉRIE
e n’est pas pour rien
qu’on parle d’épidémie à
propos du diabète,
comme pour les maladies infectieuses. Entre 1980 et
2014, le nombre d’adultes vivant
avec cette maladie chronique est
passé de 180 millions à 422 millions. La proportion de la population mondiale touchée par cette
affection a presque doublé : de
4,7 % en 1980, elle a grimpé à 8,5 %.
En rappelant ces chiffres dans son
premier rapport mondial sur le
diabète, publié mercredi 6 avril,
l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) ne manque pas de
souligner qu’« au cours des dix dernières années, la prévalence du diabète a augmenté plus rapidement
dans les pays à revenu faible ou
intermédiaire que dans les pays à
revenu élevé ».
Dans le cadre de la Journée mondiale de la santé, qui se tient
annuellement le 7 avril, l’OMS a
choisi de mettre l’accent sur ce
problème. Directeur du départe-
ment de prévention des maladies
non transmissibles de l’institution internationale, Etienne Krug
explique que « le nombre de
diabétiques augmente non seulement du fait de l’accroissement de
la population mais aussi de celui
des facteurs en cause, à commencer par le surpoids : plus d’un
adulte sur trois est en surpoids et
plus d’un sur dix est obèse ».
deux formes de la maladie nécessite des examens de laboratoire
qui ne sont pas disponibles partout, ce qui explique que l’OMS ne
puisse
pas
avancer
des
estimations mondiales de la
prévalence respective des deux
types de diabète.
Dans les deux cas, la maladie
peut entraîner diverses complications comme l’infarctus du myocarde, l’accident vasculaire cérébral, l’insuffisance rénale, des
troubles vasculaires, nerveux et
Deux types de diabète
Le diabète est une maladie qui se
développe lorsque le pancréas ne
produit pas assez d’insuline – c’est
le diabète de type 1 qui requiert
des injections de cette hormone
régulant la concentration de glucose dans le sang (glycémie) – ou
bien lorsque l’organisme n’utilise
pas correctement l’insuline produite – on parle alors de diabète
de type 2, pour lequel le traitement fait appel à des médicaments mais peut aussi nécessiter
de l’insuline. Etablir l’appartenance à l’une ou l’autre de ces
cutanés entraînant l’amputation
des jambes, des pertes de vision,
des risques pour le fœtus lors
d’une grossesse… « Le diabète
multiplie par deux à trois le risque
de maladies cardiovasculaires et
par dix à vingt celui d’amputation.
Or, une détection précoce et une
prise en charge rapide peuvent largement contenir le développement de ces complications »,
affirme le Dr Krug. Globalement,
en 2012, le diabète a été considéré
comme directement responsable
1 MOIS
de traitement contre le diabète avec une insuline, même meilleur
marché, représente 3 jours de salaire moyen au Brésil, 5 jours au
Pakistan, 7 jours au Népal et 20 jours au Malawi, selon l’Organisation
mondiale de la santé. L’OMS cite un travail de 2012 selon lequel les
diabétiques et leur famille ont plus de risque d’être confrontés à des
obligations de « dépenses médicales catastrophiques » que les personnes non malades, en particulier dans les pays à plus faibles revenus.
Réussir son bac
PROGRAMME
2016
avec
0123
de 1,5 million de décès dans le
monde. De plus, une glycémie
trop élevée est impliquée comme
facteur de risque notamment des
maladies cardiovasculaires, qui
provoquent 2,2 millions de morts
supplémentaires. « Sur ces 3,7 millions de décès, 43 % surviennent
avant l’âge de 70 ans » à l’échelle
mondiale, remarque l’OMS, qui
ajoute que « le pourcentage de décès dus à l’hyperglycémie ou au
diabète survenant avant l’âge de
70 ans est plus élevé dans les pays à
revenu faible ou intermédiaire que
dans les pays à revenu élevé ».
Des différences majeures sont
en effet observées selon les régions. « Au début des années 1980,
explique le Dr Krug, la prévalence
du diabète la plus importante se
retrouvait dans les pays à revenu
élevé. A présent c’est l’inverse. Les
taux les plus élevés se rencontrent
dans les pays à revenu faible ou
intermédiaire, au Moyen-Orient,
qui dans cet intervalle est passé de
5,9 pour cent mille personnes à
13,7 ; en Asie du Sud-Est (s’élevant
de 4,1 pour cent mille à 8,6), et en
Afrique (3,1 pour cent mille en 1980
et 7,1 à présent). »
Impact économique
Ces disparités selon le niveau
économique du pays trouvent
leur source dans des inégalités
lors des différentes étapes allant
de la prévention de la maladie à
son traitement, en passant par le
diagnostic.
Cela commence par l’existence
ou non d’une promotion de l’hygiène de vie (habitudes alimentaires, exercice physique) afin de
prévenir le développement d’un
diabète de type 2 et de l’obésité
qui y concourt. Promotion qui
implique des approches globales
associant différents domaines et
non le seul secteur sanitaire.
La seconde étape est le diagnostic d’un diabète. Il suppose que le
test de glycémie et d’autres analyses sanguines soient disponibles
au niveau des structures de santé
primaires, au plus près de la population, et que les patients repérés
ainsi puissent être orientés vers
des structures spécialisées afin
d’assurer la surveillance des différents organes que la maladie peut
toucher. Une prise en charge qui
doit être combinée à celle d’autres
maladies qui, comme le diabète,
Les coûts directs
pour les
systèmes
de santé
et les économies
nationales
explosent
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« Plus d’un adulte
sur trois est
en surpoids
et plus d’un
sur dix
est obèse »
ÉTIENNE KRUG
directeur de département
à l’OMS
sont non transmissibles, à
commencer par les maladies
cardiovasculaires.
Or, « seul un pays à revenu faible
ou intermédiaire sur trois indique
que les établissements de soins de
santé primaires sont généralement
dotés des technologies les plus essentielles pour le diagnostic et la
prise en charge du diabète »,
constate l’OMS. Si la plupart des
pays déclarent avoir adopté une
politique nationale de lutte contre
le diabète, de réduction des facteurs de risques et d’amélioration
de la prise en charge de la maladie,
« dans certaines régions et certains
pays à revenu plus faible, ces politiques et lignes directrices manquent
de financement et ne sont pas
appliquées », déplore le rapport.
Une situation d’autant plus problématique que l’impact économique du diabète sera encore plus
marqué dans les pays en développement. Les coûts directs pour les
systèmes de santé et les économies nationales explosent : ils
sont évalués annuellement à
827 milliards de dollars (726 milliards d’euros) et la Fédération internationale du diabète a calculé
que le coût total des soins pour
cette maladie a plus que triplé
entre 2003 et 2013, à la fois du fait
de l’augmentation du nombre de
personnes touchées par la maladie mais aussi du coût des
dépenses de prise en charge d’un
diabétique.
A cela s’ajoutent les conséquences économiques pour les personnes atteintes et leur entourage, qui
doivent y consacrer des dépenses
de leur propre poche, en augmentation elles aussi, en particulier
dans les pays à plus faible revenu.
A l’échelle mondiale, les coûts
directs et indirects du diabète
vont entraîner, entre 2011 et 2030,
des pertes dans le PNB d’un total
de 1 700 milliards de dollars
(1 491 milliards d’euros), dont
900 milliards pour les pays à
revenu élevé et 800 milliards
pour ceux à revenu faible ou
intermédiaire, selon une étude
portant sur trente-cinq pays en
développement de l’école de
santé publique d’Harvard et du
Forum économique mondial,
publiée en 2011. p
paul benkimoun
S AN T É
C LI MAT
Cancer : une pétition
réclame la baisse des
prix des médicaments
Plus de 120 pays
signeront l’accord
de Paris
La Ligue contre le cancer a
lancé, jeudi 7 avril, une pétition exigeant une baisse des
prix des nouveaux médicaments contre le cancer et
réclamant que cette problématique soit au cœur de la
prochaine réunion du G7, fin
mai, au Japon. « Face à l’inflation des prix pratiqués par des
laboratoires pharmaceutiques
enclins à optimiser leurs
gains, des menaces réelles
pèsent sur l’équité d’accès des
patients aux traitements
innovants des cancers »,
dénonce la Ligue, qui cite le
cas du Keytruda, un traitement efficace contre le
mélanome (cancer de la
peau), dont le coût est estimé
à plus de 100 000 euros par
an et par patient. – (AFP.)
Plus de 120 pays ont annoncé
qu’ils signeraient, le 22 avril, à
New York, l’accord de Paris
sur le climat, a indiqué, mercredi 6 avril, Ségolène Royal,
présidente de la conférence
de l’ONU sur le climat (COP21).
Le 12 décembre 2015, 195 pays
se sont engagés à limiter le
réchauffement climatique en
deçà de 2 °C par rapport à l’ère
préindustrielle. Pour entrer
en vigueur, l’accord doit être
ratifié par au moins 55 parties
à la Convention cadre des Nations unies sur le climat, représentant au moins 55 % des
émissions mondiales de gaz à
effet de serre. En France, le
projet de loi de ratification
doit être inscrit à l’ordre du
jour de l’Assemblée nationale
le 17 mai. – (AFP.)
FRANCE
Emmanuel Macron monte une marche
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
| 11
Le ministre de l’économie a annoncé, mercredi 6 avril, la création d’un mouvement « ni à droite ni à gauche »
C’
est la plus forte
transgression du
quinquennat. Mercredi 6 avril, Emmanuel Macron a profité d’une rencontre citoyenne à Amiens, la
ville qui l’a vu naître, pour annoncer le lancement d’un nouveau
mouvement politique baptisé En
marche ! Construit à partir d’un
site Internet, présenté en direct
sur la plate-forme Dailymotion,
ce nouveau mouvement vise à fédérer le plus largement possible,
au-delà du clivage gauche-droite.
En pratique, il sera possible d’adhérer à En marche !, tout en restant membre d’un parti républicain comme le PS ou LR. Objectif
proclamé du ministre de l’économie, encore inconnu des Français
il y a deux ans et qui joue à fond la
carte de la rénovation : « Refonder
par le bas, avoir des idées neuves et
construire la majorité sur ces idées
neuves pour le pays. » En bref, bâtir
« quelque chose de nouveau ».
A aucun moment de son discours, le jeune patron de Bercy n’a
avancé son ambition présidentielle. « Ce n’est pas ma priorité
aujourd’hui », a-t-il assuré. Mais
l’ancien conseiller de François
Hollande n’a pas non plus déclaré
sa flamme au président de la République, préférant sans cesse
mettre en avant la nécessité de
« regarder le monde tel qu’il est »,
de mener dans le pays « un débat
transparent et responsable » sur
les enjeux de 2017, et de faire
émerger des réponses collectives.
« Il a beaucoup regardé du côté
des Etats-Unis, s’est intéressé à la
façon dont Obama avait réussi
en 2008 à susciter une adhésion
populaire hors partis », rapporte
l’un de ses proches. « Il a aussi
beaucoup médité sur ce qui se
passe en France : nous sommes à la
veille d’une recomposition politique historique, mais elle est bloquée par le système constitutionnel », ajoute un autre. D’où l’idée
de l’ancien banquier d’affaires de
jouer la base contre le sommet, la
société civile contre le système politique. « J’adhère assez (…) Il y a
quelque chose d’utile et de vertueux dans cette démarche », a
commenté la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, jeudi matin.
L’intervention
d’Emmanuel
Macron tombe à un moment particulièrement délicat pour François Hollande. Le chef de l’Etat n’a
toujours pas levé le doute sur sa
capacité à se représenter en 2017.
Mais, à l’Elysée comme à Matignon, tout est fait pour minimiser
l’affranchissement du ministre
de l’économie. « Tout ce qui participe à l’action collective et gouver-
Emmanuel
Macron et
Manuel Valls,
à Cernay
(Haut-Rhin),
le 22 février.
LAURENT VAN DER
STOCKT POUR
« LE MONDE »
nementale va dans le bon sens »,
ont commenté laconiquement
mercredi soir les deux maisons.
Emmanuel Macron avait, il est
vrai, pris soin de prévenir le weekend dernier François Hollande et
Manuel Valls de son projet. « Nous
ne doutons pas que le président de
la République pourra toujours
compter sur lui, aujourd’hui
comme demain », tenait cependant à ajouter un conseiller de
l’Elysée, en rappelant le patron de
Bercy à « son engagement formulé
à plusieurs reprises de n’être pas
candidat si le président l’est ».
François Hollande peut toujours
espérer, à terme, utiliser l’initiative de son ancien collaborateur
pour se régénérer en 2017. En revanche, la démarche d’Emmanuel
Macron gêne davantage le pre-
« Macron est
vu comme
quelqu’un
de différent, qui
casse les codes »
BRICE TEINTURIER
directeur d’Ipsos
mier ministre. Tout en répétant sa
loyauté au chef de l’Etat, Manuel
Valls, qui veut incarner depuis
2012 la rénovation de la gauche et
se rêve en dauphin si le chef de
l’Etat était empêché d’y aller, ne
perd pas une occasion de marquer,
lui aussi, sa singularité. Lundi soir,
il a réaffirmé avec force son « vallsisme » en tenant des propos offensifs contre le salafisme, et ses
proches annoncent un « événement » autour de lui en mai.
Cote d’avenir insolente
Emmanuel Macron a cependant
été le plus rapide. Porté par des
sondages flatteurs, ce même pas
élu est devenu à 38 ans un phénomène politico-médiatique. Dans
le livre L’Etat de l’opinion, publié
chaque année par l’Institut TNSSofres, il est classé parmi les « dix
faits de l’année 2015 qui feront
2017 », tant sa cote d’avenir est devenue insolente. En décembre, il
se classait juste derrière Alain
Juppé, avec « un profil équilibré »
de soutiens : 43 % chez les sympathisants du PS, 47 % chez ceux des
Républicains. « Macron est vu
comme quelqu’un de différent qui
casse les codes », renchérit Brice
Teinturier, directeur de l’Institut
Ipsos. Jeudi matin, l’ancien premier ministre de Jacques Chirac,
Jean-Pierre Raffarin, a jugé que sa
démarche « va plutôt dans la
bonne direction », estimant qu’il
n’y a « aucune incompatibilité entre Emmanuel Macron et Alain
Juppé ».
Tout cela, forcément, monte un
peu à la tête. D’autant que le jeune
ministre est un séducteur. Un député socialiste, pourtant peu
porté sur la ligne Macron, se souvient encore de son déplacement
dans une usine de sa circonscription. « Tous les salariés voulaient le
voir, le toucher, même ceux qui ne
sont pas d’accord avec lui », témoigne cet élu qui n’avait « rien vu de
tel depuis la campagne de Ségolène Royal » en 2007.
Depuis plusieurs mois, le ministre s’emploie à structurer un réseau. Dans les milieux d’affaires,
on ne jure que par lui – « J’aime
bien l’initiative d’Emmanuel Macron, c’est rafraîchissant », a réagi
le président du Medef, Pierre Gattaz, jeudi matin – à cause de son
positionnement social-libéral et
du mal qu’il s’est donné lorsqu’il
était en poste à l’Elysée pour défendre auprès de François Hollande la politique de l’offre. C’est
« [Il n’y a] aucune
incompatibilité
entre Emmanuel
Macron
et Alain Juppé »
JEAN-PIERRE RAFFARIN
sénateur (LR) de la Vienne
d’ailleurs pour cela que Manuel
Valls, avec l’aide de Jean-Pierre
Jouyet, le numéro deux du « Château », avait milité pour qu’il entre
au gouvernement à l’été 2014.
Au début, Emmanuel Macron et
Manuel Valls étaient objectivement alliés, et puis tout s’est
brouillé quand le premier a commencé à affirmer sa liberté de parole, à l’été 2015. Le second l’a alors
recadré publiquement à plusieurs
reprises. « Valls n’avait pas le
choix. Quand à l’école, l’élève surdoué commence à dire et à faire ce
qu’il veut, le prof est obligé de le remettre à sa place sinon la classe
devient ingérable », explique le député Malek Boutih, proche du premier ministre.
Mais c’était une faute, car en le
tançant, le chef du gouvernement
Une initiative qui relève à la fois du symptôme et du pari
ANALYSE
l’initiative tient à la fois du dévoilement, du symptôme et du pari. En annonçant, mercredi 6 avril, la création de
son propre mouvement politique, En
marche !, Emmanuel Macron a d’abord
tombé le masque : oui, le ministre de
l’économie se verrait bien, un jour, président de la République. C’était jusque-là
une intention qu’on lui prêtait. C’est désormais une ambition qu’il assume,
même s’il se contente pour l’instant de
l’exprimer sur le mode prudent de l’antiphrase, en assurant qu’être candidat à la
présidentielle « n’est pas [sa] priorité
aujourd’hui ». Chacun aura compris que
tout est dans ce « aujourd’hui », qui suggère qu’il en sera sans doute tout autrement demain. Voilà pour le dévoilement.
Le symptôme, maintenant. En d’autres
temps, M. Macron n’aurait probablement
pas procédé ainsi. Plutôt que de créer son
propre mouvement, sans doute aurait-il
cherché à prendre le contrôle d’un parti
déjà existant pour en faire une écurie au
service de ses ambitions. Le fait qu’il choisisse une autre voie en dit long sur l’idée
qu’il se fait de celui dont il est malgré tout
le plus proche, à savoir le Parti socialiste.
Et sans doute a-t-il quelque raison de penser ainsi : dévitalisé, vieilli et engourdi, le
PS n’apparaît plus - c’était encore le cas il y
a dix ou vingt ans -, comme un lieu incontournable où tout jeune ambitieux de
gauche, même d’une gauche très pâle, façon Manuel Valls, devait faire ses classes
pour y mûrir ses ambitions.
En signifiant que tout cela, à ses yeux,
appartient au passé, M. Macron acte, à sa
manière, la fin d’une époque. En creux,
son geste en dit aussi beaucoup sur ce
qu’est devenue la vie politique, marquée
par l’affaissement des structures partisanes et la consécration d’une façon d’agir
viscéralement individualiste. Comme si,
désormais, la meilleure façon de peser
était de s’émanciper d’un collectif. De ce
point de vue, la création par M. Macron de
sa propre structure s’inscrit dans une tendance plus générale. A l’instar de ce qui se
passe à droite où plus une semaine ne se
déroule sans une nouvelle annonce de
candidature à la primaire, l’échappée solitaire du ministre de l’économie est un des
symptômes de ce que le politiste Christian Le Bart, dans un essai paru en 2013,
définissait comme l’avènement d’une
nouvelle ère : celle de « l’égo-politique ».
Le libéralisme en étendard
Jusqu’où ira M. Macron ? C’est ici qu’il
faut parler de pari. Car sa démarche, au vu
de l’histoire politique française, n’a rien
d’évident. Jusqu’à présent, rares sont
ceux qui se sont risqués à porter le libéralisme en étendard. Un Alain Madelin, en
son temps, s’y était évertué, mais pour finalement comprendre que le créneau
n’était pas des plus porteurs. Car il en va
ainsi en France depuis la fin de la monarchie de Juillet (1830-1848) : si la liberté figure en tête de la devise nationale, dans
la vie politique, en revanche, elle se décline en mode mineur, reléguée au second plan derrière d’autres valeurs : à
gauche, on lui préfère l’égalité ; à droite,
on fait primer l’autorité.
C’est donc de cette règle d’airain de notre culture politique que M. Macron souhaite aujourd’hui s’affranchir. Certains
diront qu’il prend là un risque inconsi-
déré, et que sa façon de procéder va à l’encontre de tout ce qu’il convient de faire
pour devenir président de la République :
s’appuyer sur un grand parti, revendiquer son appartenance à l’un des deux
camps qui structurent la scène politique
nationale et rejeter les étiquettes stigmatisantes. En misant sur son propre mouvement, en proclamant haut et fort que
celui-ci n’est « ni à droite ni à gauche » et
en s’appropriant le qualificatif de « libéral », il déroge aux principaux commandements sur lesquels un Mitterrand, un
Chirac, un Sarkozy ou un Hollande ont jadis bâti leur stratégie de conquête du
pouvoir.
M. Macron, lui, veut croire que ce
temps-là est révolu. Et que les Français ne
sont pas, par nature, hostiles à l’idée de
porter à l’Elysée un jeune ministre de
l’économie aux idées libérales assumées,
au style résolument décrispé et dont l’ascension s’est faite en marge des principaux partis du pays. Ce fut le pari de Valéry Giscard d’Estaing en 1974. C’est celui
d’Emmanuel Macron aujourd’hui. p
thomas wieder
lui a transmis le sceptre de la
transgression et donc du renouveau. Depuis, Manuel Valls ne dit
que du bien du patron de Bercy,
mais comme pour mieux souligner son isolement. « Emmanuel
a une pensée originale, c’est un
atout pour le gouvernement, il ne
faut pas l’enfermer, mais il est différent, il n’est pas au PS, il n’a pas la
culture du collectif, il faut encore
qu’il apprenne », confie-t-il.
Atypique à gauche
L’entourage du premier ministre
tente de se rassurer en expliquant que la mode Macron ne durera pas, quand la construction
patiente de son destin par leur
patron repose, elle, sur des bases
solides. « Valls est dans un profil
politique plus classique mais plus
réel, il a trente ans de militantisme
derrière lui et s’est frotté au suffrage universel. Macron a-t-il la
patience d’une telle abnégation ? », s’interroge le sénateur
Luc Carvounas.
Macron comme Valls appartiennent à la deuxième gauche, celle
qui part du réel pour exercer le
pouvoir. Michel Rocard est leur
référence commune, mais lorsqu’il dit vouloir « s’attaquer à la
rente » ou « déplier les problèmes »
pour tout reconstruire, Emmanuel Macron ressemble aussi au
Jacques Delors des années 1960
qui tentait de faire émerger « la
nouvelle société » aux côtés de Jacques Chaban-Delmas. Le ministre
de l’économie n’a cependant ni la
formation syndicale d’un Delors
ni la formation politique d’un Rocard. Il est en réalité assez atypique à gauche. « Ce qui le caractérise, c’est qu’il entre dans tous les
sujets par le biais de la liberté. C’est
un libéral », constate Gilles Finchelstein, directeur général de la
Fondation Jean-Jaurès.
Existe-t-il un espace politique
pour cette nouvelle force ? Le
chercheur Luc Rouban en doute,
qui dans une récente note du Cevipof, évalue à peine 6 % la place
des sociaux-libéraux dans l’électorat. C’est peut-être ce qui rassure le plus les socialistes. « Tant
qu’Emmanuel Macron n’est pas
candidat à la présidentielle contre
un candidat soutenu par le Parti
socialiste, le PS n’a rien à dire », estime son premier secrétaire, JeanChristophe Cambadélis. p
bastien bonnefous
et françoise fressoz
14 | france
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
La police va recenser les cas de violences policières
L’IGPN a annoncé à ses directions centrales la création d’un outil statistique. Une première en France
L
a décision est suffisamment novatrice pour être
soulignée : la police nationale va mettre en place un
outil statistique afin de mesurer
les violences perpétrées par ses
fonctionnaires. Dans un courriel,
envoyé le 1er avril à toutes les directions centrales, dont Le Monde a
obtenu une copie, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN)
annonce que « la décision a été
prise de créer un outil recensant,
par convention, les blessures sérieuses, les blessures graves et les décès
de particuliers, survenus à l’occasion ou à la suite de l’exercice des
missions de la police nationale ».
Cet outil sera géré directement
par la « police des polices » et alimenté « en temps réel » par les services, « dès qu’ils seront en possession d’une incapacité totale de travail, supérieure ou égale à vingt
jours, soit à la suite d’une plainte (…)
soit à la suite de l’ouverture d’une
enquête de police ». Le message
s’accompagne d’un formulaire à
remplir, d’aspect très simple. Le
service concerné doit préciser,
outre le lieu et la date, le contexte –
maintien de l’ordre, droit commun, terrorisme –, l’arme utilisée
(ou pas) et les conséquences, de la
blessure au décès.
L’outil « vise à établir de la transparence » et des données communicables en externe. Celles-ci permettront, ajoute l’IGPN, « de combattre l’idée trop généralement reçue que les blessures sérieuses ou
graves, voire les décès, sont synonymes d’illégitimité de l’usage de la
force ou des armes ».
« Opacité criante »
Cette innovation intervient dans
un contexte particulier. Le 14 mars,
la publication du rapport « L’ordre
et la force » par l’ONG française de
défense des droits de l’homme Action des chrétiens pour l’abolition
de la torture (ACAT) a bénéficié
d’une importante couverture médiatique. Cette étude de cent pages,
centrée sur 89 cas de blessures graves survenues entre 2005 et 2015,
et ayant entraîné la mort pour 26
d’entre eux, dressait un constat sé-
« L’émergence des
armes non létales
a généré une
certaine facilité
d’utilisation
de la force »
CHRISTIAN MOUHANNA
sociologue
vère. Elle épinglait notamment
« l’opacité criante » des autorités
« qui ne communiquent absolument pas sur le nombre de personnes blessées ou tuées dans le cadre
d’opérations de police ou de gendarmerie ».
Les nombreux affrontements
entre manifestants et forces de
l’ordre, qui ont émaillé les mobilisations contre la loi sur le code du
travail, ont continué de mettre
sous tension le ministère de l’intérieur. Plusieurs vidéos faisant état
de violences policières, le jeudi
24 mars aux abords du lycée Henri-Bergson, dans le 19e arrondissement de Paris, ont été largement
relayées sur les réseaux sociaux. A
la demande du parquet et à la suite
du dépôt de trois plaintes et de
deux mains courantes par des lycéens, quatre enquêtes préliminaires ont été confiées à l’IGPN.
L’une d’elles concerne des violences policières qui auraient été
commises sur Steven (le prénom a
été modifié), lors de sa garde à vue
au commissariat du 19e. L’adolescent de 17 ans – lui-même mis en
examen pour outrage, rébellion et
violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique – explique avoir été insulté et frappé. A
tel point qu’il a perdu connaissance et que des sapeurs-pompiers ont dû être dépêchés pour le
ranimer. Selon nos informations,
leur rapport d’intervention a été
remis à l’IGPN.
Une première enquête de l’IGPN
a d’ores et déjà abouti au renvoi
d’un gardien de la paix devant le
tribunal correctionnel. Il sera jugé
en mai pour répondre des faits de
Lors d’une manifestation
contre la « loi travail » à
Paris, le 24 mars. FRANÇOIS MORI/AP
« violences par personne dépositaire de l’autorité publique ». Ce
membre d’une brigade de police
secours du 19e était apparu sur une
vidéo. Il y portait un coup brutal à
un lycéen de 15 ans pourtant déjà
immobilisé par deux autres policiers. Pour le lycéen, cela s’est soldé
par une fracture du nez et six jours
d’interruption totale de travail.
Rôle croissant de la vidéo
Dès la diffusion de la vidéo, le
24 mars, le ministre de l’intérieur
s’était dit « choqué » par ces images. Signe que les autorités souhaitent jouer la carte de l’apaisement :
samedi 2 avril, Bernard Cazeneuve
et le préfet de police de Paris, Michel Cadot, ont reçu, selon nos informations, en personne, place
Beauvau, le lycéen et son père.
Une volonté à interpréter à la lu-
mière d’une mobilisation sociale
qui continue d’être le théâtre d’affrontements entre manifestants et
forces de l’ordre. A la lumière,
aussi, du rôle croissant de la vidéo
dans la dénonciation et la prise de
conscience des violences policières. A l’aune, enfin, d’un quinquennat dont le bilan en la matière ne
reluit pas. « Il est dans la parfaite
continuité du précédent, estime
Aline Daillère, auteure du rapport
de l’ACAT. L’augmentation de
l’usage des armes dites “non létales” mais qui mutilent est continue.
Une partie de la population attendait certainement autre chose. »
Le sociologue Christian Mouhanna renchérit : « Le bilan est
mauvais, surtout si on regarde les
réflexions menées par le Parti socialiste avant d’accéder au pouvoir,
notamment sur le rétablissement
de la police de proximité. On peut
seulement dire qu’il y a un peu
moins d’hystérie sur les chiffres. »
Si l’on s’intéresse aux violences
policières sur le long terme, « on
assiste plutôt à une baisse, reconnaît Christian Mouhanna. Mais
l’émergence des armes non létales
a paradoxalement généré une certaine facilité d’utilisation de la
force. Et on peut s’interroger sur
l’évolution du maintien de l’ordre :
avant la mort de Rémi Fraisse [le
jeune militant écologiste contre le
projet de barrage de Sivens (Tarn),
décédé le 26 octobre 2014], le dernier décès au cours d’une manifestation était Malik Oussekine,
en 1986 ».
La volonté de publier des chiffres
peut s’avérer une opération gagnante. Cet effort de transparence
s’inscrit dans la nouvelle direction
prise par l’IGPN, depuis qu’elle a
été confiée, en septembre 2012, à
Marie-France Monéger.
La montée en puissance de l’institution, auparavant considérée
comme une sorte de placard, porte
sa signature. La gestion proactive
de plusieurs affaires de corruption, la possibilité pour les particuliers de saisir directement l’IGPN
ou encore la tenue, depuis 2013, de
conférences de presse annuelles
présentant le rapport d’activité
ont relancé l’Inspection.
« Il y a une évolution vers plus de
transparence, aussi lente et imparfaite soit elle », souligne le sociologue Cédric Moreau de Bellaing. « Si
des chiffres sont publiés, il faudra
être méfiant quant à la façon dont
la police les fait parler », prévient
toutefois M. Mouhanna. p
julia pascual
L’Elysée et Matignon préoccupés par
la persistance des manifestations de jeunes
Le gouvernement est perplexe face au mouvement Nuit debout
L’
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exécutif a-t-il pris l’exacte
mesure de la protestation de la jeunesse, sous
toutes ses formes ? Il n’est pas
certain que la voie choisie,
somme toute classique, et présentée comme celle de « l’écoute »
et du « dialogue », suffise à apaiser celle-ci.
Après que la mobilisation a
semblé quelque peu décroître,
mardi 5 avril, au regard des précédentes journées de manifestations, le gouvernement peut certes espérer une issue. Mais les tensions persistantes en marge des
cortèges, et surtout le développement du mouvement Nuit debout, à Paris comme en province,
sont vus comme de sérieuses menaces par le chef de l’Etat.
« On ne jauge la mobilisation pas
au sens quantitatif du terme, explique-t-on à l’Elysée. Mais quand
les jeunes se mobilisent et s’expriment, quel que soit leur nombre,
on y prête toujours une oreille attentive, car la jeunesse est au cœur
du quinquennat de François Hollande. On se dit qu’il faut toujours
respecter, écouter, dialoguer. »
Ce que se sont employés à faire
les ministres de l’éducation nationale, de la jeunesse et du travail,
Najat Vallaud-Belkacem, Patrick
Kanner et Myriam El Khomri, en
recevant tour à tour l’UNEF, la
FAGE et les organisations lycéennes (SGL, UNL, FIDL) et de jeunesse (MRJC, JOC).
M. Hollande l’a rappelé, mercredi, lors du conseil des ministres : « Il faut que le gouvernement
dialogue avec les jeunes et que les
manifestations se passent bien, ce
qui est le cas dans l’ensemble », a
rappelé le président, qui avait fait
passer au ministre de l’intérieur,
Bernard Cazeneuve, après la diffusion d’une vidéo montrant un
policier frappant un lycéen à côté
du lycée parisien Bergson (19e arrondissement), le message de la
nécessité d’une sanction exemplaire.
« Tout pour plaire »
M. Hollande a également exhorté
ses ministres à faire de la pédagogie : « C’est une loi qui est aussi
faite pour les droits des jeunes à
travers la création du compte personnel d’activité, des droits qui les
suivront toute leur vie », a-t-il estimé.
Le gouvernement demeure cependant quelque peu perplexe
face au mouvement Nuit debout,
installé depuis le 31 mars place de
la République, à Paris, et gagnant
peu à peu les grandes villes françaises. Cette mobilisation d’un
genre nouveau, inspirée des « indignés » espagnols et amplifié par
les réseaux sociaux, « a tout pour
plaire », diagnostique un haut dirigeant du PS.
« C’est un lieu de débats, c’est
nouveau et ça casse les politiques
traditionnels. Cela participe des
formes nouvelles de mobilisation.
Mais il est trop tôt pour savoir si
cela peut avoir un débouché politique. A chaque fois que ce type de
mouvement a cherché à s’organiser par le passé, il s’est autodétruit. » Un proche de Manuel Valls
ne dit pas autre chose : « Ça remplit un vide, c’est le signe de l’émiettement du débat politique et démocratique. Pas de leader, pas de
mot d’ordre : ça peut mobiliser,
mais sans débouché politique
identifié. »
Toujours est-il qu’après quatre
ans de calme sur ce front-là, à l’exception de la colère qu’avait suscitée chez les étudiants et lycéens
l’expulsion vers le Kosovo de Leonarda Dibrani, en octobre 2013,
cette grogne contredit fâcheusement le thème de la « priorité à la
jeunesse », dont M. Hollande avait
fait le cœur de sa campagne
en 2012.
Les organisations de jeunesse
continuent à exiger des mesures
concrètes contre la « précarité des
jeunes », l’UNEF appelant à maintenir la mobilisation. Mais l’Elysée nie en bloc : « Nous avons fait
énormément pour la jeunesse à
travers l’éducation, l’école primaire et maternelle, le collège, les
bourses, l’emploi des jeunes, la
COP21, la garantie jeunes, afin de
préparer avec eux le monde de demain. »
« On a fait beaucoup, avec
250 000 emplois d’avenir, la garantie jeune, le développement du
service civique, la garantie loyer…
C’est une liste à la Prévert », indique M. Kanner, qui évoque « de
nouveaux chantiers » sur les
« conditions de vie des jeunes, l’extension de la garantie logement,
l’accès aux soins sur les jeunes en
rupture, l’information sur les
droits, l’apprentissage ». p
Des mesures pourraient être
annoncées par M. Valls dans les
prochains jours. M. Hollande, lui,
« n’a pas prévu d’expression spécifique sur ce sujet », indique l’Elysée, mais la jeunesse devrait
constituer « l’un des thèmes principaux » de son émission sur
France 2, le 14 avril. p
david revault d’allonnes
france | 15
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Les écoles confessionnelles hors contrat
dans le viseur de l’éducation nationale
Le rétropédalage d’un
évêque sur la pédophilie
Vingt inspections surprises ont relevé principalement des faiblesses pédagogiques
A la radio, mardi 5avril, Mgr Lalanne avait évoqué
un «mal» plutôt qu’un «péché»
F
C’
aut-il se méfier des écoles
hors contrat ? « Il ne faut
plus en faire un angle
mort », répondait-on,
mercredi, au cabinet de la ministre de l’éducation. Ce 6 avril au
matin, Najat Vallaud-Belkacem a
braqué les projecteurs sur les
300 établissements confessionnels (sur 1 300 structures hors
contrat) recensés en France, et
parmi eux, sur la quarantaine
d’écoles se revendiquant comme
musulmanes, en déclarant sur
France 2 : « Je me demande s’il n’est
pas venu le temps, compte tenu
des risques de radicalisation auxquels nous sommes confrontés, de
passer peut-être d’un système de
déclaration [pour ouvrir ces écoles] à un système de contrôle a
priori, c’est-à-dire d’autorisation. »
Au lendemain de la tirade de Manuel Valls sur le salafisme, et alors
que plusieurs conceptions de la
laïcité s’affrontent dans le débat
public, faut-il voir là l’« alignement » d’une institution, l’éducation nationale, que la droite dénonce comme « laxiste », sur une
« ligne » plus dure défendue par
Matignon ? « On n’est pas dans la
suspicion, encore moins dans la
stigmatisation, mais on ne veut pas
non plus être les ravis de la classe »,
répond-on rue de Grenelle, en soulignant que ce projet de « cadrage
accru » a émergé à l’automne 2014.
Bien avant la série d’attentats, en
somme. « Cette vigilance, que le
contexte actuel rend plus légitime
encore, porte sur toutes les écoles
confessionnelles hors contrat, musulmanes, catholiques, évangéliques, protestantes, juives », martèle-t-on dans l’entourage de la ministre, en réponse sans doute à la
« une » du Figaro mercredi, titrée
« Les écoles musulmanes inquiètent le gouvernement ».
« On craint
la dérive sectaire,
mais ce sont
des problèmes
d’ordre
pédagogique
qui se posent »
PATRICK ROUMAGNAC
porte-parole du SIEN-UNSA
Pour justifier ce tour de vis – « à
inscrire dans la loi dès que les arbitrages interministériels seront
rendus » –, une série d’inspections
surprises ont été menées, entre
novembre 2015 et janvier 2016,
dans une vingtaine d’établissements signalés comme problématiques. Vingt structures – dont
une dizaine de musulmanes – ont
fait l’objet de « visites renforcées »
dans sept académies. Verdict :
huit d’entre elles (pas toutes musulmanes), si elles n’infléchissent
pas leur niveau, leurs pratiques,
pourraient être fermées après
une deuxième série d’inspections… qui vient de démarrer.
Quelles pratiques ? Les rapports
d’inspection, s’ils ne pointent pas
de risques de radicalisation, insistent sur les faiblesses pédagogiques et sur les limites posées à la
liberté de penser des élèves. « Les
apprentissages scolaires mais
aussi l’émancipation des enfants y
semblent très aléatoires, résume
un conseiller ministériel. Des enseignements – sciences, langues,
EPS… – peuvent être très lacunaires. Il ne faut ni le surinterpréter ni
le minorer. »
C’est telle école où, « malgré un
projet qui se veut ambitieux, l’enseignement est jugé inadapté ou
« Promotion El Khomri »
pour la CGT et FO
V
ue la concomitance de ces nominations avec la contestation que mènent la CGT et FO contre la « loi travail »,
on pourrait l’appeler « la promotion El Khomri ». Deux
dirigeants, actuel et ancien, de ces syndicats « contestataires »
vont être nommés par le gouvernement à des postes à responsabilité. Prévues depuis plusieurs mois, ces nominations vont
tomber à pic. Dans les prochains jours, Thierry Lepaon, ancien
secrétaire général de la CGT (2013-2015), devrait prendre la présidence d’une nouvelle structure destinée à se substituer à l’actuelle Agence nationale de lutte contre l’illettrisme. Stéphane
Lardy, secrétaire confédéral de FO, devrait être nommé, sans
doute au conseil des ministres du 13 avril, à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).
Le gouvernement a déjà traité la reconversion de syndicalistes. En janvier 2013, François Chérèque, ancien secrétaire général de la CFDT (2002-2012), avait été nommé à l’IGAS, où il avait
été chargé de suivre le plan de lutte
contre la pauvreté. « Cela ne donne
pas une image d’indépendance syndiTHIERRY LEPAON
cale », avait raillé Jean-Claude Mailly,
ET STÉPHANE LARDY le numéro un de FO.
Obligé de démissionner, le 7 janVONT ÊTRE NOMMÉS vier
2015, à la suite d’affaires le mettant en cause, comme des travaux
À DES POSTES À
dans son logement de fonction,
RESPONSABILITÉ PAR M. Lepaon restait salarié de la CGT et
occupait l’appartement incriminé à
LE GOUVERNEMENT
Vincennes (Val-de-Marne). Il avait fait
connaître très vite sa disponibilité
pour s’investir dans la lutte contre l’illettrisme, sujet sur lequel il
avait présenté un rapport, en 1996, au Conseil économique et social de Basse-Normandie. Son successeur, Philippe Martinez,
voulait que son « recasage », à un poste rémunéré intervienne
avant l’ouverture du congrès de la CGT, le 18 avril, à Marseille.
Entré au bureau confédéral de FO en 2007, M. Lardy, venu de
l’agroalimentaire, avait en charge l’emploi, l’assurance-chômage
et la formation professionnelle. Réputé pour ses talents et compétences de négociateur, il ne cachait ni son réformisme ni son
appartenance au PS. Son nom avait circulé pour succéder à M.
Mailly, en 2018, mais c’est Pascal Pavageau qui, aujourd’hui, tient
la corde. Le 13 avril, le « parlement » de FO désignera son remplaçant, qui devrait être Michel Beaugas, venu aussi de l’agroalimentaire. Et il validera une nouvelle « grève interprofessionnelle », déjà
fixée au 28 avril, contre la loi El Khomri… p
michel noblecourt
insuffisant ». Telle autre où en dépit d’« enfants souriants », les enseignements – notamment de
langue arabe – ont semblé de piètre qualité, voire obsolètes. « La
bonne volonté des personnels rencontrés relève de l’affichage », conclut les inspecteurs.
Des conclusions peu éloignées,
somme toute, de celles du SIENUNSA, principal syndicat d’inspecteurs. « On craint souvent la
dérive sectaire, mais ce sont des
problèmes d’ordre pédagogique
qui se posent, explique Patrick
Roumagnac, son porte-parole.
L’inspecteur revient tous les deux,
trois ans. Mais est-il à même
d’identifier des signes de radicalisation ? J’en doute. » Pour M. Roumagnac, ce risque est plutôt à rechercher dans l’« école à la maison » qui, de source ministérielle,
concernait 18 000 enfants
en 2011. « Une école musulmane
qui cherche à ouvrir ses portes doit
montrer patte blanche », dit-il.
« P as d’objection »
Makhlouf Mamèche, président de
la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman, n’accueille pas défavorablement le
projet de la ministre : « Dans la
mesure où les nouvelles dispositions concerneraient tout le
monde et pas seulement les établissements musulmans, je n’ai
pas d’objection. L’autorisation
préalable peut-être une démarche
plus claire. » Du côté des enseignants du public, le SE-UNSA s’en
réjouit. « Après avoir trop longtemps traité ce sujet comme quantité négligeable – et c’est vrai qu’il
ne concerne que très peu d’élèves –,
il n’est pas absurde, dans la société
qui est la nôtre, de poser un cadre », affirme son porte-parole
Christian Chevalier.
Quel cadre ? « La loi édicterait
des motifs pour lesquels l’Etat
peut refuser une ouverture
d’école, avance-t-on rue de Grenelle. L’hygiène, la salubrité, mais
aussi la qualité pédagogique, la
capacité à atteindre le socle commun, le respect des valeurs de la
République. » Rien à voir avec la
simple déclaration d’ouverture
qui, à ce jour, doit être faite en
mairie et auprès des services académiques.
Une petite révolution ? « Une régression historique », s’énerve
l’ancien recteur Bernard Toulemonde, rappelant que « la liberté
de l’enseignement est une longue
conquête du XIXe siècle. Aller plus
loin, précisément aujourd’hui,
n’est-ce pas pointer du doigt les
musulmans ? », interroge ce juriste. Réaction tout aussi critique,
mais sur un autre registre,
d’Anne Coffinier, de la Fondation
pour l’école qui défend le secteur
hors contrat et juge le projet « liberticide et irréaliste ». « Ce qui
compte, c’est la réalité du contrôle
sur le terrain. Pas de changer les
textes de lois », ajoute-t-elle.
Ce secteur fait-il seulement
école ? 56 000 élèves y sont recensés, 4 000 à 5 000 dans des
structures musulmanes. Une
goutte d’eau… rapportée aux
12 millions d’élèves en France.
« Globalement, on n’enregistre
pas de hausse, on a des ouvertures
comme des fermetures d’écoles,
commente-t-on au ministère.
Côté musulmans, une offre tend à
se développer sans qu’on sache si
elle parvient à se concrétiser ou si
les structures tiendront cinq ans
sans financement de l’Etat » – les
cinq années requises avant la
possibilité de passer « sous contrat ». p
mattea battaglia
est Jeanne, « une vieille
dame », qui, l’une des
premières, s’est indignée. Cette auditrice de la radio
catholique RCF venait d’entendre,
mardi 5 avril au matin, l’un des invités de l’antenne, Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise et responsable de la cellule de veille sur
la pédophilie de l’épiscopat français, affirmer que la pédophilie
est à n’en pas douter « un mal »,
mais refuser de dire que c’est « un
péché » .
« Il y a un clivage de personnalité
[chez les pédophiles], et souvent la
partie saine n’a pas la conscience
de ce que fait l’autre partie. (…)
Quand on parle de péché, il faut reconnaître le mal qui est accompli.
Et il faut être capable de le combattre. (…) Je ne sais pas si on peut parler de péché à proprement parler »,
a-t-il expliqué.
Jeanne n’a pas accepté ce distinguo et l’a dit à l’antenne : « Il y a des
décennies, on nous disait au catéchisme que la masturbation, c’était
l’enfer, un péché mortel, la luxure,
l’un des péchés capitaux. Moi je
vous dis : [la pédophilie], c’est un
péché grave car on met toute une
vie à s’en remettre. »
D’autres auditeurs ont abondé
dans son sens, obligeant Mgr Lalanne à s’expliquer à plusieurs reprises. « C’est un mal profond, a-t-il
reconnu. Est-ce pécher, je ne sais
pas, ça peut être différent selon chacun. (…) Culpabilité et péché, ce n’est
pas du même ordre. C’est un acte
objectivement très grave. La difficulté est : quelle conscience de ce
mal a la personne, comment elle
s’en sent responsable ? »
Mercredi, l’incompréhension
des auditeurs s’est muée en « très
vive émotion » chez les anciens
scouts sexuellement agressés
dans leur enfance par le Père Ber-
« Une monstruosité »
La réticence de Mgr Lalanne à appliquer la notion de péché à des actes
pédophiles était d’autant plus
étrange que le pape Jean Paul II,
en 2002, avait qualifié la pédophilie de « péché épouvantable », que
Benoît XVI avait évoqué les « péchés de l’Eglise » et que François a
parlé à plusieurs reprises de « péché grave » et de « monstruosité ».
Avec la pédophilie, reconnaît
Eric de Moulins-Beaufort, évêque
auxiliaire de Paris et président de
la commission doctrinale de
l’épiscopat, « on est de manière
évidente dans l’ordre du péché ». Dans la doctrine chrétienne,
souligne le prélat, le péché est
« une offense à Dieu » qui suppose
« une notion de liberté dans ce que
l’on fait ». En ce sens, « la gravité
d’un péché peut être variable selon
des critères que l’on retrouve
d’ailleurs dans le droit profane »,
comme la préméditation, la compulsion, l’altération du discernement… Mais, ajoute-t-il, comment un pédophile pourrait-il
n’avoir aucune part de volonté
personnelle dans ses actes ? p
cécile chambraud
nard P., aumônier du groupe SaintLuc, près de Lyon, et dont certains
accusent le diocèse de l’avoir laissé
au contact d’enfants.
L’association La Parole libérée,
fondée par certains d’entre eux, a
dénoncé « la maladresse et l’amateurisme » de « la communication
de l’Eglise de France » sur ce sujet.
Devant l’émoi déclenché, l’évêque a dû clarifier ses propos mercredi soir. « La pédophilie, dans
tous les cas, est un péché objectivement grave, un crime atroce qui offense Dieu et blesse la dignité de la
personne humaine créée à son
image », a-t-il souligné.
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que les garanties financières dont
bénéficiait:
SARL GODO
17 place Aimé Gassier
04400 BARCELONNETTE
SIREN : 450 246 715
depuis le 12 août 2004 pour ses activités
de : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLE
ET FONDS DE COMMERCE Et depuis
le 23 août 2004 pour ses activités de :
de GESTION IMMOBILIERE cesseront
de porter effet trois jours francs après
publication du présent avis. Les créances
éventuelles se rapportant à ces opérations
devront être produites dans les trois mois
de cette insertion à l’adresse de l’Etablissement garant sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
SARL GODO.
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que la garantie financière dont
bénéficiait:
J 2 M-REAL ESTATE SARL
23 Avenue Georges Brassens
59118 WAMBRECHIES
SIREN : 503 934 838
depuis le 14 mai 2008 pour ses activités de
: TRANSACTIONS SUR IMMEUBLE ET
FONDS DE COMMERCE cessera de porter effet trois jours francs après publication
du présent avis. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront
être produites dans les trois mois de cette
insertion à l’adresse de l’Etablissement
garant sis Cœur Défense – Tour A – 110
esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement
ou du non-paiement des sommes dues et
ne peut en aucune façon mettre en cause la
solvabilité ou l’honorabilité de la SARL J 2
M-REAL ESTATE.
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D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que la garantie financière dont
bénéficiait:
A.A.A. CABINET IRIS SARL
27 Ter Avenue de la République
37300 JOUÉ LES TOURS
SIREN : 387 570 179
depuis le 1er janvier 2004 pour ses activités
de : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLE
ET FONDS DE COMMERCE cessera
de porter effet trois jours francs après
publication du présent avis. Les créances
éventuelles se rapportant à ces opérations
devront être produites dans les trois mois
de cette insertion à l’adresse de l’Etablissement garant sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
SARL A.A.A. CABINET IRIS.
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D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
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A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que la garantie financière dont
bénéficiait:
ARAGO IMMOBILIER SARL
14 Bd Arago
66600 RIVESALTES
SIREN : 351 575 717
depuis le 1er janvier 2004 pour ses activités
de : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLE
ET FONDS DE COMMERCE cessera
de porter effet trois jours francs après
publication du présent avis. Les créances
éventuelles se rapportant à ces opérations
devront être produites dans les trois mois
de cette insertion à l’adresse de l’Etablissement garant sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
SARL ARAGO IMMOBILIER.
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D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
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de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que la garantie financière dont
bénéficiait:
CESSION & CONSEIL SAS
18 rue de Montreuil
75011 PARIS
SIREN : 524 117 678
depuis le 03 août 2010 pour ses activités de
: TRANSACTIONS SUR IMMEUBLE ET
FONDS DE COMMERCE cessera de porter effet trois jours francs après publication
du présent avis. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront
être produites dans les trois mois de cette
insertion à l’adresse de l’Etablissement
garant sis Cœur Défense – Tour A – 110
esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement
ou du non-paiement des sommes dues et
ne peut en aucune façon mettre en cause
la solvabilité ou l’honorabilité de la SAS
CESSION & CONSEIL.
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D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
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de QBE Insurance (Europe) Limited,
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30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
L’EURL DABADIE IMMOBILIER
3 rue Gassiot
64000 PAU
RCS : 443 057 047
depuis le 01 Janvier 2010 pour son activité
de : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES
ET FONDS DE COMMERCE cessera
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cause la solvabilité ou l’honorabilité de
L’EURL DABADIE IMMOBILIER
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
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de QBE Insurance (Europe) Limited,
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30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
SAS ACTION IMMOBILIER
25 quai de la République
89000 AUXERRE
RCS: 385 314 828
depuis le 01 Octobre 2009 pour ses activités de : GESTION IMMOBILIERE depuis
le 01 Janvier 2007 pour ses activités de :
TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES
ET FONDS DE COMMERCE AVEC
PERCEPTION DE FONDS cessera de porter effet trois jours francs après publication
du présent avis. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront
être produites dans les trois mois de cette
insertion à l’adresse de l’Etablissement
garant sis Cœur Défense – Tour A – 110
esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement
ou du non-paiement des sommes dues et
ne peut en aucune façon mettre en cause
la solvabilité ou l’honorabilité de la SAS
ACTION IMMOBILIER
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Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait :
Madame Danielle THIBAUD
Place de la Mairie
17450 FOURAS
RCS : 408 237 279
depuis le 01 Janvier 2004 pour son activité
de : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES
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cause la solvabilité ou l’honorabilité de
Madame Danielle THIBAUD
16 | enquête
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Ali Al-Rufaï,
27 ans, et sa sœur
Maryam, 19 ans,
dans la cour de la
maison familiale,
à Misrata.
SAMUEL GRATACAP
POUR « LE MONDE »
Les horizons
rétrécis de Misrata
frédéric bobin
misrata (libye) - envoyé spécial
I
l fait bon en ce soir de janvier, sous la
lune de Misrata. Dans la cour carrelée,
la famille Al-Rufaï a tiré une table et
des chaises en plastique. Un sarment
de vigne se tord sur la tonnelle.
Etrange quiétude. Au cœur de cette Libye démantibulée, la courette est comme
une niche irréelle, un havre inattendu, enclos
de résistance opiniâtre face au chaos. Ici, on
parle toujours de « paix » et de « démocratie »
– plus que jamais, même. On veut montrer au
visiteur que « le peuple libyen n’est pas
étrange », qu’il est « un peuple comme tout le
monde ». Sur la nappe en damier rouge et
blanc on a d’abord servi du café et des biscuits
au chocolat. Puis la pizza est arrivée. Au loin,
l’écho de détonations fait soudain sursauter :
« Ne vous inquiétez pas, ce ne sont que des pétards ! » Que craindre, en effet, dans la nuit de
Misrata embaumant le romarin ?
La famille Al-Rufaï est assez typique de cette
moyenne bourgeoisie de la grande métropole portuaire de la Libye de l’Ouest, à
200 km de la capitale Tripoli. Il y a le père Mohamed, juge ; la mère Fawzia, enseignante ; le
fils aîné, Ali, avocat ; son frère cadet, Farouk,
cameraman pour la télévision ; et la petite
sœur Maryam, fraîchement diplômée de littérature anglaise. La famille est unie comme
un roc, idées larges et patriotisme chevillé
aux cœurs. L’exil ? Il n’en est pas question,
malgré les frustrations, les espoirs trahis et
cette guerre qui n’en finit pas de sévir alentour. « On restera ici comme on est resté durant la répression de Kadhafi, assure Fawzia.
Ça ne peut pas être pire qu’à l’époque : quatre
mois de disette, privés de gaz et d’électricité.
Les gens se cachaient, se terraient. »
On a beau faire, dans ce Misrata post-Kadhafi, on peut difficilement éluder cette blessure originelle : le siège de la cité par les forces
du Guide, qui fut une véritable boucherie, de
février à mai 2011. La révolution libyenne,
l’un de ces « printemps » qui balayaient cette
année-là le monde arabe, donnait alors lieu à
de rageuses batailles. La rue de Tripoli, l’artère centrale qui traverse Misrata, en porte
toujours les stigmates – façades pulvérisées,
étoilées d’impacts –, laissée en l’état comme
pour entretenir le culte du martyre.
Cinq ans après la révolution,
dans une Libye en proie aux
milices et au déclin économique,
les Al-Rufaï, une famille ordinaire
de la grande ville portuaire, font le
compte de leurs illusions perdues
Singulier accident de l’Histoire. Rien n’avait
préparé cette ville de marchands prospères,
liés à Malte, à l’Italie et surtout à la Turquie
par des siècles d’échanges, à entrer dans la légende des révolutions. Et pourtant, face aux
canons de Kadhafi, les négociants se sont
faits miliciens. Avant de châtier avec une brutalité extrême, ivres de vengeance, leurs persécuteurs d’hier, kadhafistes pourchassés qui
n’auront guère droit à leur pitié.
L’INDISCIPLINE GAGNE DANS LES CLASSES
Cinq ans déjà. Cinq ans après le début du soulèvement, qui précipita une campagne de
raids aériens de l’OTAN à laquelle le régime de
Kadhafi ne survécut pas, on sent sourdre le
désenchantement. Les brigades « révolutionnaires » ont fragmenté le pays en fiefs rivaux,
ouvrant des brèches dans lesquelles l’organisation Etat islamique (EI) s’engouffre. A Misrata, le dépit est profond. La ferveur révolutionnaire a cédé la place à un puissant désir
de paix. La famille Al-Rufaï fait partie de ceux
qui appellent de leurs vœux une politique
d’« union nationale » sous supervision des
Nations unies. Celle, justement, que doit mettre en œuvre Faïez Sarraj, le nouveau premier
ministre, arrivé mercredi 30 mars à Tripoli à
bord d’un navire militaire.
L’accueil lui a été plutôt favorable, à Misrata
comme à Tripoli. « Ce gouvernement d’union
permettra de sauver la Libye, veut croire Mohamed Al-Rufaï. La démocratie, c’est pour
tout le monde, pas seulement pour l’Occident. » Les forces hostiles à cette paix onusienne n’ont toutefois pas désarmé et elles
conservent leur capacité de nuisance. En attendant l’installation effective et les premières réalisations de ce nouveau gouvernement, la vie suit son cours. Un quotidien à la
fois banal et tourmenté.
Mohamed Al-Rufaï est magistrat à la cour
d’appel de Misrata. Ici les institutions conti-
« JE REGARDE
MA SOCIÉTÉ
AVEC COLÈRE.
JE NE PEUX MÊME
PAS SORTIR
PRENDRE UN CAFÉ
AVEC DES AMIES,
VIVRE UNE VIE
D’ÊTRE HUMAIN
NORMAL »
MARYAM AL-RUFAÏ
19 ans
nuent de fonctionner cahin-caha. Si on se bat
à l’extérieur de la cité – Syrte, contrôlée par
l’EI, n’est qu’à 230 km à l’est –, le cœur de Misrata est à l’abri. Un privilège dû à une forte cohésion, qui puise dans la mémoire du martyre partagé. Ce soir, dans la courette, le père
de famille a enfilé une djellaba mauve. Sa
grande passion est l’astrologie, mais c’est le
code civil qui meuble ses journées.
La guerre n’est jamais loin des dossiers qu’il
traite. Ainsi du cas d’une médecin dont l’employeur, un hôpital, ne lui avait plus versé de
salaire durant trois ans en raison de son absence prolongée – elle avait dû quitter Misrata
au plus fort des combats pour se replier dans
son village. « La loi libyenne prévoit qu’une absence du travail peut être justifiée par une situation d’urgence », commente simplement
le juge. Et l’« urgence » n’a pas épargné la Libye
toutes ces années durant. La docteur a donc
obtenu gain de cause et récupéré ses arriérés
de salaires. « C’est la loi », tranche Mohamed
Al-Rufaï. Les salaires non versés sont désormais la règle partout en Libye, à l’heure du déclin économique. Mais ici, à Misrata, où l’on
s’enorgueillit d’être une exception, le tribunal
s’efforce de tenir bon dans la tourmente.
A l’école, c’est une tout autre affaire. Fawzia,
la mère, foulard noir serré autour de la tête,
est une enseignante assez accablée par le climat ambiant. L’indiscipline gagne dans les
classes, raconte-t-elle. Quand des élèves chahuteurs se font réprimander, il n’est pas rare
que l’un d’eux nargue l’autorité au cri de « Libye libre », slogan tant de fois entendu dans le
feu de l’insurrection. Et, lorsqu’un élève est
épinglé dans un bulletin, il arrive qu’un père
vexé fasse irruption à la sortie des cours et
menace : « Je vais détruire l’école avec ma milice ! » « Dans ces conditions, soupire Fawzia, le
niveau de l’enseignement chute… »
« COMME UNE MORTE »
Cet air toxique pèse encore plus sur Maryam,
la petite dernière de la famille, âgée de 19 ans.
Dans la courette, sous la lune, elle caresse le
chat lové sur ses genoux. Elle a choisi le violet
comme couleur de son foulard, cette teinte
de l’entre-deux, ni claire ni sombre, reflet
d’un appétit de vie qui se fait discret. Elle
parle l’anglais avec un accent américain,
qu’elle a appris sur Internet en visionnant des
séries. Et elle rêve tout haut de devenir interprète, d’explorer le grand large. Y parviendra-
t-elle un jour ? Dans l’immédiat, elle doit
composer avec un environnement social qui
l’asphyxie. Il y a de la révolte dans son timbre
quand elle clame : « Je reste à la maison
comme une morte. » Et dans cette complainte : « La société vous juge jusque dans l’air
que vous respirez. »
Oh, bien sûr, Maryam s’estime « chanceuse » avec sa « famille libérale ». Mais cela ne
lui suffit pas. Dès qu’elle se hasarde dans une
rue de Misrata, le culot de jeunes mâles à l’affût, sûrs de leur bon droit, conforté par la culture milicienne, l’exaspère. Au volant de la
voiture de la famille, même avec sa mère à ses
côtés, elle se sent en état de siège. « Des garçons nous dévisagent et nous interpellent aux
carrefours, peste-t-elle. Certains même provoquent un accrochage juste pour nous forcer à
lier connaissance ! » La jeune fille étouffe sous
ce « poids », cette injonction sociale à rester
confinée entre quatre murs. « Je regarde ma
société avec colère, grince-t-elle. Je ne peux
même pas sortir prendre un café avec des
amies, vivre une vie d’être humain normal. »
Elle n’en peut plus, dit-elle, d’être une
« morte ».
EFFONDREMENT DU DINAR
La Libye d’aujourd’hui, c’est bien cet horizon
qui se rétrécit, cet ordinaire désaccordé, ces
liens qui se disloquent. Le grand-frère Ali,
27 ans, nuance de blond dans les cheveux,
l’observe aux premières loges, cette fêlure de
la guerre. Avocat, il a à traiter des affaires de
compensations financières pour morts ou
blessés au combat, de divorces qui grimpent,
car de nombreux couples ne résistent pas
aux fractures politiques. « Les différences
d’opinion peuvent déchirer les familles », dit-il.
Lui aussi rêve de se frotter au monde. Il avait
entamé des études de droit en Grande-Bretagne, à Liverpool, mais elles ont été interrompues à cause du chaos libyen. Il veut les reprendre. Il sait les obstacles qui l’attendent.
Les ambassades étrangères en Libye s’étant
relocalisées dans la Tunisie voisine, il lui faudra aller quérir un visa à Tunis, où les visiteurs libyens, suspects d’être des « terroristes », ne sont pas toujours les bienvenus. Et la
note s’annonce salée avec l’effondrement du
cours du dinar libyen, le gros souci du moment. Autour d’Ali, on ne parle que de ça, de
cette dépréciation qui mine une économie
fondée sur l’import-export. Un ami entrepreneur, qui achetait en Turquie des vêtements
et des chaussures, a dû fermer boutique. Un
fait banal qui ajoute à la déchirure du quotidien. Société de classe moyenne aux revenus
garantis par la rente pétrolière sous Kadhafi,
la Libye renoue avec une précarité sociale qui
semblait appartenir au passé.
Farouk, 24 ans, aimerait bien s’exiler, le
temps d’apprendre des langues étrangères.
« Je suis comme dans une prison ici », grince le
frère cadet. Cameraman dans une chaîne de
télévision locale, il parvient à gagner sa vie.
Mais tout est si confiné, ici à Misrata. Durant
l’insurrection contre Kadhafi, le jeune
homme a vu des corps tomber autour de lui.
Il pensait que cela cesserait avec la liberté
conquise ; mais cela continue. Les causes sont
désormais plus obscures : il n’y a plus guère
d’idéaux, comme sous la mitraille kadhafiste,
juste une culture de l’arme au poing qui se
suffit à elle-même et se nourrit du dérèglement des choses.
Quelques mois plus tôt, un de ses meilleurs
amis est mort criblé de balles sur un parking,
une ténébreuse dispute qui a mal tourné.
Plus récemment, entre les dunes qui moutonnent le long de la plage, il a aperçu un cadavre qu’on extrayait du coffre d’un véhicule.
Farouk aime pourtant offrir son visage encore poupin au vent du littoral avec sa bande
de copains, respirer les rafales salées qui nettoient l’âme. Mais si la plage elle-même se
met à sentir la mort, où aller ? Il lui reste toujours le billard d’un bar du centre-ville, ce tapis rouge sous une grosse lampe blafarde suspendue au plafond. Ou alors la lecture de
Paulo Coelho, l’auteur de L’Alchimiste, qui
apaise les douleurs de son « rêve évanoui ».
Quand on quitte la famille Al-Rufaï et
l’écho de leur Libye exténuée mais résistante, l’espoir intact, le bouquet de romarin
dans la courette est comme doré par la lune
de Misrata. p
disparitions & carnet | 17
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Joe Medicine
Crow
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Dernier chef de guerre
des Indiens des plaines
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AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Anne-Marie,
sa femme,
Nassim et Malik,
ses enfants,
Alexandra et Aurélie,
ses belles-illes,
Tommy, Louis, Jules et Rémi,
ses petits-enfants,
Yamena et Ratiba,
ses sœurs
Ainsi que Mohammed et Miloud,
ses frères,
Ses belles-sœurs, beaux-frères,
Amis et proches parents,
ont la tristesse d’annoncer le décès du
docteur Abderrahmane
BELKAïD,
En 2009.
J. SCOTT
en son domicile à Lardy (France),
le vendredi 25 mars 2016.
APPLEWHITE/AP
R
encontrer Joe Medicine
Crow, selon l’historien
de l’Ouest américain
Herman Viola, revenait à
« serrer la main au XIXe siècle », celui d’une conquête douloureuse
marquée par de nombreuses tragédies indiennes. Cette figure de la
nation apsaalooke, baptisée
« Crow » par les colonisateurs, est
mort à l’âge de 102 ans, après avoir
été sa vie durant un passeur entre
deux cultures et trois siècles.
Joe Medicine Crow naît dans une
réserve en 1913, à Lodge Grass,
dans le Montana, Etat où cette
tribu, initialement installée à
proximité des Grands Lacs, a été
repoussée par étapes successives
par celle des Sioux et celle des
Cheyennes, elles-mêmes sous la
pression des colons venus d’Europe. La réserve se situe à quelques
kilomètres seulement du site de la
bataille de Little Bighorn, où le général George Armstrong Custer est
mort le 25 juin 1876 au terme de la
dernière grande victoire indienne.
Le jeune Apsaalooke est bercé
par les récits de son grand-oncle,
un éclaireur indien du général, Bison-Blanc-Qui-Tourne, qui a réchappé de la déroute. Nul doute
que cette mémoire nourrit une curiosité pour l’histoire qui incite le
jeune homme à se tourner vers le
savoir. Premier de sa tribu à faire
ce choix, ses études le conduisent
de l’Oklahoma à l’Oregon, puis en
Californie, où il s’oriente vers l’anthropologie. Il est l’un des tout premiers autochtones à être distingué par un master, en 1939.
Passeur entre deux cultures
C’est à cette époque que la bataille
de Little Bighorn le rattrape. Il se
joint en effet à l’équipe du tournage du film La Charge fantastique, de Raoul Walsh, dans lequel
Errol Flynn interprète l’officier
américain. L’expérience tourne
court, car il se heurte rapidement à
l’équipe de réalisation compte
tenu des libertés prises par les scénaristes avec l’histoire telle qu’elle
lui a été rapportée. Il reprend alors
ses études mais est détourné de sa
thèse par « un oncle », dira-t-il, l’Oncle Sam.
Mobilisé au sein de la 103e division d’infanterie, il est envoyé sur
le front européen lors de la seconde guerre mondiale. C’est à
l’occasion d’accrochages avec des
troupes allemandes qu’il accomplit à son corps défendant les
prouesses nécessaires selon les canons apsaalooke pour obtenir le titre de chef de guerre : gagner une
27 OCTOBRE 1913 Naissance
dans une réserve Crow
à Lodge Grass (Montana)
1939 Master d’anthropologie
2008 Reçoit la Bronze Star
américaine et est fait chevalier
de la Légion d’honneur française pour ses faits de guerre
2009 Reçoit la Presidential
Medal of Freedom
3 OCTOBRE 2016 Mort
à Billings (Montana)
bataille – en l’occurrence la prise
d’une position allemande sur la ligne Siegfried –, désarmer un ennemi, parvenir à en blesser un
autre sans le tuer, et enfin voler
des chevaux à l’adversaire – plusieurs dizaines de montures appartenant à des officiers de la
Wehrmacht.
Il conserve sous son uniforme,
pendant les combats, des peintures rituelles rouges, ainsi qu’une
plume d’aigle sacrée qui lui a été
confiée avant son départ.
De retour à la vie civile, Joe Medicine Crow intègre le Bureau des affaires indiennes et mène trente
années durant une parfaite double
vie, vêtu à l’occidentale pendant
les heures de bureau, puis à l’indienne dès la fin de sa journée de
travail. « Je vis dans deux mondes et
j’apprécie cela », confiait-il à la Billings Gazette, le journal local. Il devient alors le premier historien de
sa nation et rédige sa propre version de la bataille de Little Bighorn.
Au soir de sa vie, le chef apsaalooke croule littéralement sous les
hommages. Distingué en 2008
pour ses faits de guerre par la
Bronze Star américaine et fait chevalier de la Légion d’honneur française, il reçoit en 2009 des mains
de Barack Obama la Presidential
Medal of Freedom, la plus haute
distinction civile des Etats-Unis.
Ce passeur entre deux cultures
longtemps antagonistes ne s’est
cependant jamais bercé d’illusions
sur l’asymétrie de leur relation. Il
se souvenait ainsi avec désolation
de la décimation dans les années
1920 des poneys sauvages de la
tribu, accusés de détruire les cultures. Ce massacre de milliers de chevaux avait transformé brutalement le mode de vie de sa tribu.
« Le gouvernement [fédéral] a tout
fait pour nous faire adopter les coutumes de l’homme blanc, avait-il
déclaré à la Billings Gazette. Il a essayé, d’accord, mais nous avons
conservé une sorte d’obstination
culturelle. » p
gilles paris
« Nous sommes à Dieu
et c’est à Lui que nous revenons ».
Paris 7e.
Marie-Pierre Cournot et Didier Givert,
sa ille et son gendre,
Emilie, Axel et Valentine,
ses petits-enfants,
Pierre et Catherine Cournot, Christine
Larcher,
ses beaux-enfants,
Matthieu-David, Caroline, Laurence,
Romain
et leurs conjoints,
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Claude COURNOT,
née ENGELS,
survenu le 5 avril 2016.
Le service religieux sera célébré
au Temple de Pentemont, 106, rue de
Grenelle, à Paris 7e, le vendredi 8 avril,
à 16 heures.
Caen. Paris 4e.
Le docteur Françoise Courtheoux,
son épouse,
M. Nicolas Courtheoux,
son ils
et Mme Claire Maillard,
Paul Courtheoux,
son petit-ils,
Mme Monique Courtheoux,
sa mère,
Son frère, ses sœurs,
Ses belles-sœurs et ses beaux-frères,
Ses neveux et ses nièces
Et toute la famille,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès du
docteur
Patrick COURTHEOUX,
professeur des Universités,
membre de l’association française
de neurocardiologie,
survenu le 3 avril 2016,
à l’âge de soixante-quatre ans.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le vendredi 8 avril, à 14 heures, en l’église
Saint-Etienne de Caen, suivie de
l’inhumation au cimetière Saint-Gabriel,
à Caen.
Le docteur Courtheoux repose en
la chambre funéraire Adam, 168, rue
d’Authie, à Caen.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Rachel Debaig, née Perry,
Hugo, Thomas et Lucie,
Claire et Michel Debaig,
Anne et Guillaume Debaig,
Basile et Juliette,
Cécile et Jérôme Labarre,
Antoine, Camille, Clhoé,
Arthur et Clémence,
Isabelle et Martin Debaig,
Blanche, Sibylle, Mayeul, et Eloi,
ont l’immense douleur de faire part du
décès, survenu à l’âge de quarante-sept
ans, de
Nicolas DEBAIG,
HEC 92, MBA Harvard 98,
La cérémonie religieuse aura lieu
le 8 avril 2016, à 12 heures, en l’église
réformée anglaise, Begingn Hof,
à Amsterdam. Nicolas sera inhumé le
lendemain dans l’intimité familiale au
cimetière de Chaussy.
Marie-Odette Fichelson
et son ils, Laurent,
ont la tristesse de faire part du décès de
Maurice FICHELSON.
Ses obsèques seront célébrées
le vendredi 8 avril, à 11 heures,
au cimetière parisien de Bagneux,
45, avenue Marx-Dormoy, à Bagneux
(Hauts-de-Seine).
9, rue de Savoie,
75006 Paris.
Irancy (Yonne).
Christiane Fraisse-Coué,
son épouse,
Sa famille
Et tous ses amis,
ont la douleur de faire part de la disparition
de
José FRAISSE,
Paris. Zürich.
Hommage
Nicolas Schultze et Alessandra Pierani,
Harald Hess et Hans Werner Eggmann,
Poèmes inédits et chansons,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Juliette DARLE,
naissance d’un prix littéraire.
Esther HESS,
artiste,
survenu le dimanche 3 avril 2016.
Une cérémonie sera célébrée en l’église
Saint-Jean, le mardi 12 avril, à 14 h 30,
147, rue de Grenelle, Paris 7e.
Jean-Claude Gaborit,
Pierre Gaborit,
ses ils,
Francine et Agnès Gaborit,
ses belles-illes,
Laurent, Stéphane, Nicolas, Marina,
ses petits-enfants
et leurs conjoints,
Octave, Céleste et Yéva,
ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Olga MOROGE,
née AELION,
le samedi 2 avril 2016,
dans sa quatre-vingt-dix-septième année.
Ses ils souhaitent rappeler le souvenir
de leur père,
Le dimanche 10 avril 2016, à 16 h 30,
au Monfort-théâtre, 106, rue Brancion,
Paris 15e, des dessins de Pablo Picasso,
Ladislas Kijno, Fidélie Cardi et Sarah
Wiame accompagneront en exergue les
poèmes et chansons de Juliette Darle,
l’auteure du Manifeste pour un vibrato
majeur.
Créations originales de l’actrice
Paulette Frantz et du chanteur Alain Buci
avec des inédits de la poète récemment
disparue.
Evocations des différentes saisons
créatrices de Juliette Darle avec
le réalisateur Jean-Marc Lebeaupin,
Frédéric Brun, Monique Bertolissio,
Quentin Duchaussoy.
Après le prix Tristan Tzara, fondé non
sans une certaine audace par André Darle
en 1990, voici que s’annonce un nouveau
prix littéraire, le prix Juliette Darle.
Annonce dans un théâtre qui porte le
nom de Silvia Monfort, une actrice de
haute volée qui naguère disait les poèmes
de Juliette Darle à la télévision et au centre
culturel de Rueil-Malmaison.
Conférences
Gilbert GABORIT,
décédé en avril 1976.
Cet avis tient lieu de faire-part.
10, rue Blondeau,
92100 Boulogne-Billancourt.
Maïten de Bigault de Cazanove,
sa mère,
Diane Vernel-Olivier,
sa femme,
Mayeul, Anouk et Alix Olivier,
ses enfants,
Rémy et Marie-Cécile Olivier,
son frère et sa sœur,
Arthur, Grégoire et Marion Guillier,
ses neveux et nièce,
Conférences citoyennes
« Santé en questions »
organisées par l’Inserm, Universcience.
Allergies : le printemps est de retour !
Jeudi 14 avril 2016,
de 19 heures à 20 h 30,
Il sera inhumé à Irancy, ce village
qu’il aimait tant, le vendredi 8 avril 2016,
à 14 heures.
ont l’immense chagrin de faire part
du décès de
gratuit pour tout public,
en duplex de la Cité des sciences
et de l’industrie, à Paris
et de la Médiathèque du Bachut, à Lyon.
Aymeric OLIVIER,
Pour en savoir plus : www.inserm.fr
« Etre aimé, c’est plus qu’être riche,
car c’est être heureux. »
Mon oncle Benjamin.
survenu à Paris le vendredi 1 avril 2016,
à l’âge de quarante-neuf ans.
à l’âge de soixante-dix-huit ans.
Mme Christiane Fraisse-Coué,
39, rue Souflot,
89290 Irancy.
Marianne Hano-Monbeig,
son épouse,
Agnès et Redouane Hano-Kartobi,
Sylvie Hano et Thomas Gaudin,
ses enfants,
Anouk, Auguste, Elias et Abel,
ses petits-enfants,
Claudie Salber,
sa sœur,
ont la tristesse de faire part du décès de
Michel HANO,
agrégé de l’Université,
dans sa quatre-vingt-troisième année.
L’enterrement aura lieu vendredi
8 avril 2016, à 11 heures, au cimetière
du Montparnasse, Paris 14e.
1, rue Monticelli,
75014 Paris.
Muguette Mandel,
sa femme,
Philippe, Frédéric et Juliette,
ses enfants,
et leurs conjoints, Elena, Benjamin,
Sarah,
sa petite-ille
Ainsi que toute sa famille
Et ses proches,
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Paul Zoltan MANDEL,
survenu le mercredi 6 avril 2016,
à l’âge de soixante et onze ans.
er
La célébration des obsèques se
déroulera en l’église Notre-Dame du
Travail, 36 rue Guilleminot, Paris 14 e,
le vendredi 8 avril 2016, à 14 heures.
Nous sommes priés d’annoncer le
décès, le dimanche 3 avril 2016, de
Henri SMIETANA,
dont les obsèques se sont déroulées dans
l’intimité.
Les Vimois,
La chapelle blanche,
87420 Saint-Victurnien.
Claude Cohen Van Delft,
son épouse,
Laure et Estelle,
ses illes
et leurs conjoints,
Samuel, Maxime, Paul, Théophile,
ses petits-ils,
Carla et Bernardo Pena,
sa sœur et son beau-frère,
Michèle Djian,
sa belle-sœur
Et toute la famille,
ont la douleur de faire part du décès de
Louis VAN DELFT,
professeur émérite des Universités,
écrivain,
survenu le mardi 22 mars 2016,
dans sa soixante-dix-huitième année.
L’incinération a eu lieu dans l’intimité
le samedi 26 mars.
Cet avis tient lieu de faire-part.
[email protected]
Ses obsèques auront lieu au cimetière
de Pantin (Seine-Saint-Denis), vendredi
8 avril, à 11 heures. Nous nous
retrouverons à l’entrée du cimetière.
11e fête de la Médiation
Samedi 9 avril 2016,
de 11 heures à 18 heures,
IFOMENE,
Institut Catholique de Paris,
21, rue d’Assas, Paris 6e,
« Ce qui se joue en Médiation ».
Inscription obligatoire sur
www.eventbrite.fr/e/billets-11e-fete-dela-mediation
Communications diverses
Le site lulu.com
publie les ouvrages de spiritualité
et de poésie de Georges Boréal.
Institut universitaire Elie Wiesel cycles de cours : 2 mai 2016 à 15 heures,
« Réhumaniser l’histoire de la Shoah :
un acte de résistance ? », par Fabienne
Regard (4 séances) - 3 mai, à 15 h 30,
« Le monde de la Bible, l’aventure de la
chair », par Jérôme Bénarroch ( 6 séances)
- 3 mai, à 17 h 15, « Le monde du Talmud :
doctrine de la filiation », par Jérôme
Bénarrroch (6 séances) - 4 mai, à 17 heures
« L’intellectuel juif, figure ambigüe de
la culture occidentale ? », par Carlos Levy
(4 séances) - 10 mai, à 18 h 30, « Du
terrorisme aux terrorismes », par Alain
Bauer (3 séances) - Antenne Val-deMarne, 4 mai, à 19 h 30 « Rois et tyrans de
la Bible », par Franklin Rausky (5 séances),
- Antenne Ouest-parisien, 2 mai, à 18 h 30
« Histoire du peuple d’Israël - entre
mythes, idéologies et certitudes », par
Michel Abitbol (4 séances).
Inscriptions à l’avance :
119, rue La Fayette,
75010 Paris.
Tél. : 01 53 20 52 61.
www.instituteliewiesel.com
[email protected]
Le Carnet
Fleurs uniquement. Pas de couronnes.
Cet avis tient lieu de faire-part.
66, rue de la Glacière,
75013 Paris.
[email protected]
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Projections-débats
Lectures
Communications
diverses
CULTURE
18 |
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
A la BNF, une militante de la culture pour tous
Ex-directrice de cabinet d’Aurélie Filippetti, Laurence Engel succède à Bruno Racine à la tête de l’institution
PROFIL
S
incère et droite. » C’est
ainsi que Stéphane
Martin, le président du
Musée du quai Branly,
définit Laurence Engel, nommée
ce mercredi 6 avril en conseil des
ministres à la présidence de la Bibliothèque nationale de France
(BNF). « C’est quelqu’un de pas
tordu, qui a toujours essayé de
faire les choses bien. Jamais de
propos excessifs, brutaux ou à
l’emporte-pièce, ce qui est rare
dans un milieu où on a l’habitude
de balancer très fort. »
Les esprits chagrins se sont tus.
La nomination de Laurence Engel a rendu anonymes ceux qui
s’insurgeaient ces derniers jours
contre la désignation possible
« d’une technocrate à la tête d’une
institution qui nécessite une autorité intellectuelle telle qu’autrefois
celle d’un André Miquel ou d’un
Emmanuel Le Roy Ladurie ».
« On a cherché des universitaires, regrette timidement un
membre du conseil scientifique
de la BNF. Il faut croire qu’il n’y en
a plus de disponible sur le marché. » Stéphane Martin, lui, est
content. « Avec elle, confie ce collectionneur de livres, on peut
parler d’Emmanuel Carrère
comme de Huysmans. Elle a des
opinions politiques qui, pour ne
pas être les miennes, sont menées
avec une profonde conviction. »
Le livre fétiche de Laurence Engel, c’est Don Quichotte : « Un roman magique qui dit beaucoup
sur la liberté qu’apporte la lecture… même si cela ne se finit pas
très bien. » La lecture, la fille de
Charles Engel, petit tapissier du
faubourg Saint-Antoine passé à
l’ameublement, va la découvrir
au collège.
« Il n’y avait pas beaucoup de livres à la maison. Mon père jouait
du violon, il nous a fait faire de la
musique – mon frère au violon,
moi au piano – et poussés à étudier. » La méritocratie républicaine fera le reste. Henri-IV,
Sciences Po, Normale-Sup, ENA,
Cour des comptes. Le même parcours que celui de son prédécesseur à la BNF, Bruno Racine. Et la
culture comme sillon.
La voici donc en 1998 auprès de
Jérôme Clément, président de
La Cinquième, puis en 2000 au
« C’est quelqu’un
de pas tordu.
Jamais de propos
excessifs,
brutaux ou à
l’emporte-pièce »
STÉPHANE MARTIN
président du Musée du quai
Branly
cabinet de Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication de Lionel Jospin. Elle
entre aux affaires culturelles de
la Mairie de Paris en 2003, avant
de devenir, en 2012, la directrice
de cabinet d’Aurélie Filippetti.
« C’est une personne fédératrice,
témoigne Franck Chaumont, qui
y dirigeait la communication. Elle
avait réussi à réunir des gens qui
venaient d’univers très différents,
certains, comme moi, de la politique, d’autres de l’ENA… Elle était
d’accès facile, et très pare-feu pour
la ministre – ce qui était important
dans un temps qui n’était pas franchement à la joie budgétaire. »
La première femme à ce poste
« La vraie ministre, c’était elle,
ajoute perfidement un autre
haut cadre de la Rue de Valois.
Aurélie Filippetti pouvait disparaître des jours entiers, Laurence
Engel tenait la maison. »
D’aucuns voudront voir entre les
deux femmes une concurrence
en germe. Toutes deux s’en sont
toujours défendues. « Laurence a
de l’autorité, confie l’ancienne
ministre. Mais elle était dévouée.
Ce n’est pas seulement une haut
fonctionnaire, c’est une femme
engagée. »
Compagne d’Aquilino Morelle,
avec qui elle a trois enfants, elle
fera finalement les frais des faux
pas de son mari. Le conseiller politique tout-puissant de François
Hollande est en effet écarté
en 2014 après des révélations de
Mediapart. Inspecteur de l’IGAS,
ce corps chargé des affaires sanitaires et sociales, il conseillait
dans le même temps un laboratoire danois.
Quelques mois plus tard, à la faveur d’un remaniement, le chef
de l’Etat demandera à la ministre,
comme le raconte aujourd’hui
Aurélie Filippetti, « de changer de
directrice de cabinet », procédé
qui dit tout à la fois la tutelle de
plus en plus importante de Hollande et de Valls sur le ministère
de la culture, et la difficulté croissante à faire la part des choses entre ce qui relève de l’intime et ce
qui relève du politique, même du
point de vue de ceux qui s’en plaignent généralement.
Revenue à la Cour des comptes,
Laurence Engel est nommée médiatrice du livre. Or, ce poste a été
créé du temps où elle était au ministère. Certains y voient un abus
de pouvoir, un gant fait à sa mesure (« La fonction était réclamée
par les libraires depuis 2003 et
c’est la ministre qui l’a créée, pas
moi », dit-elle agacée).
A l’instar de l’hebdomadaire
Le Point du 15 janvier – son nom
circule depuis plusieurs semaines parmi les favoris, au côté
d’Olivier Poivre d’Arvor –, certains iront chercher dans sa nomination à la tête de la Bibliothèque nationale de France une
manœuvre de François Hollande
pour calmer les ardeurs de l’ancien conseiller, dont on annonce
un livre pour la rentrée.
Elle, qui a souffert d’être rappelée au statut de « femme de… »,
devrait, en prenant la tête de ce
mastodonte qu’est la BNF, s’affranchir de ce sexisme ambiant.
Première femme à ce poste,
Laurence Egel écrit dans la revue
Esprit de ce mois-ci : « Le discours
emphatique sur le pouvoir de la
culture, convoqué au moment de
la crise, détaché d’une action à
l’appui, est inutile : il n’est que le
symétrique d’un désintérêt pour
la culture (…). Il est moins utile de
créer de nouvelles institutions
culturelles que de remodeler,
quand c’est nécessaire, celles qui
existent, pour mieux les inscrire
dans une relation charnelle avec
les citoyens. »
La culture, un ciment social
« Elle est naturelle, pas blindée,
comme souvent. On sentait qu’elle
s’attachait à comprendre ce qu’on
disait. Elle apportait quelque
chose de frais. Quand elle disait
“service public’’, pour une fois,
cela ne sonnait pas comme une ritournelle », raconte Marie-Claude
Sémel.
Bibliothécaire à la Ville de Paris,
où elle est secrétaire générale du
syndicat Supap-FSU, elle a affronté Laurence Engel du temps
où celle-ci était à la direction des
« Bien que ce fût
dans un cadre
conflictuel, je l’ai
vite appréciée
parce qu’elle
s’intéressait
vraiment
à la lecture
publique »
MARIE-CLAUDE SÉMEL
bibliothécaire à la Ville
de Paris, syndicaliste
affaires culturelles de la capitale.
« Et puis, bien que ce fût dans un
cadre conflictuel, je l’ai vite appréciée parce que, comme moi, elle
s’intéressait vraiment à la lecture
publique. »
Tout au long de ces années, son
dada est resté le même : la culture pour tous. Non pas, ainsi
qu’elle l’explique dans la revue
Esprit, comme rempart contre la
barbarie – elle n’y suffirait pas –,
mais comme terreau « pour un
monde partagé ». Portrait d’énarque en Don Quichotte ? Laurence
Egel rit : « C’était un grand lecteur. Mais, non, je ne me bats pas
contre les moulins à vent, il y a
chez moi quelqu’un de terriblement rationnel. » p
laurent carpentier
NOUVELLE ÉDITION
Pour Wajdi Mouawad,
l’exil s’arrête à Paris
L’acteur, auteur et metteur en scène libano-québécois prend
la direction du Théâtre national de la Colline
L
PAUL KLEE
magicien
dessignes
Enventechezvotremarchanddejournaux
Pas un jour sans une ligne. La vie de Paul Klee traverse la première
moitié du xxe siècle. Celui qui se percevait comme un dessinateur
découvre la couleur en 1914 en Tunisie. Il élabore un dictionnaire
de formes avec Kandinsky, professeur comme lui au Bauhaus.
Intéressé par la poésie, par la biologie et l’architecture, mais
également musicien, Paul Klee était un artiste accompli.
A l’occasion de deux grandes expositions, au Centre Pompidou et
au Centrum Paul-Klee de Berne, Télérama réédite son hors-série
sur ce magicien des signes.
Enpartenariatavec
a nouvelle est enfin tombée : l’acteur, auteur et metteur en scène libano-québécois Wajdi Mouawad devient directeur du Théâtre national de la
Colline, à Paris. Sa nomination a
été annoncée, mercredi 6 avril, par
François Hollande, sur proposition d’Audrey Azoulay, ministre de
la culture et de la communication.
Wajdi Mouawad succédera à Stéphane Braunschweig, qui a pris en
janvier la direction de l’OdéonThéâtre de l’Europe, laissée vacante par le décès de Luc Bondy, en
novembre 2015.
Cette nomination intervient
après plusieurs semaines de suspense. Sur les candidats à la Colline, qui étaient très nombreux au
départ, trois sont finalement restés en lice : Arthur Nauzyciel, directeur du Centre dramatique national d’Orléans, Pascal Rambert, directeur du Théâtre de Gennevilliers, qui tous deux quitteront
leur poste fin 2016, et donc Wajdi
Mouawad, artiste associé au
Grand T, à Nantes. Au ministère de
la culture, on fait savoir que le
choix de ce dernier est « l’aboutissement des conversations entre
François Hollande et Audrey Azoulay ». Il faut sans doute prendre
aussi en compte l’influence de Matignon, à travers Nathalie Sultan, la
conseillère culture de Manuel
Valls, qui a été présidente de la
compagnie de Wajdi Mouawad
jusqu’à sa prise de fonction auprès
du premier ministre.
Quoi qu’il en soit, la France répare une blessure dans la vie d’un
artiste de renommée internationale, en lui accordant un théâtre
trente-trois ans après avoir refusé
à sa famille les papiers qui lui
auraient permis de rester à Paris,
Il y a 33 ans,
la France a refusé
à sa famille
les papiers qui lui
auraient permis
de rester à Paris
où celle-ci s’était exilée, en 1978, à
cause de la guerre du Liban. Wajdi
Mouawad avait 10 ans quand il a
quitté son pays natal, avec son
père, un marchand aisé, sa mère,
son frère et sa sœur aînés. Il en
avait 15 quand il est parti avec les
siens au Canada, beaucoup plus accueillant que la France.
C’est à Montréal qu’il commence
à faire du théâtre, en créant sa
compagnie, Théâtre O Parleur,
en 1991. Il écrit et met en scène ses
propres textes, qui lui valent bientôt une reconnaissance hors des
frontières du Québec. En 1999, il
est invité pour la première fois au
Festival d’Avignon, où il présente
Littoral. Soit l’histoire d’un fils qui
veut enterrer le corps de son père
dans son village et ne peut pas,
parce que les cimetières sont
pleins. Alors, le fils entreprend un
long voyage, à la recherche d’un
havre pour son père.
L’exil, la famille, la mort, le déchirement et la quête… ces thèmes se
retrouvent dans toute l’œuvre de
Wajdi Mouawad, foisonnante, lyrique et épique, placée sous le sceau
de la tragédie, portée par une foi
inébranlable en la narration, et un
insondable désir de rédemption. A
Avignon, toujours, où il est artiste
associé en 2009, Wajdi Mouawad
offre une traversée de la nuit dans
la Cour d’honneur du Palais des
papes, avec douze heures qui réunissent dans un même élan Littoral, Incendies et Forêts. A ce moment-là, le metteur en scène, toujours entre deux avions, jamais
rassasié de parler, encore et encore, de son histoire et de l’espérance qu’il met en le théâtre,
amorce peu à peu un retour vers la
vieille Europe. Tout en assurant la
direction artistique du Théâtre
français du Centre national des
arts, à Ottawa, de 2007 à 2012, il est
associé à l’Espace Malraux de
Chambéry, avec sa compagnie
française, Au carré de l’hypoténuse, qu’il a créée en 2005, en
même temps que sa nouvelle compagnie québécoise, Abé Carré Cé
Carré. Depuis quelques années,
Wajdi Mouawad vit à Nantes avec
sa famille.
Générosité et réconciliation
Il y a une indéniable générosité
chez cet artiste, qui peut être inégal dans ses productions, mais ne
cesse d’avancer sur les routes de
l’art et de la réconciliation – lui,
l’enfant chrétien maronite jeté
hors de son pays, s’en cherchant
un, et le trouvant sur les plateaux
du théâtre, dans les livres qu’il
écrit, les films qu’il tourne. Wajdi
Mouawad était dans le train, de retour de Suisse, quand il a été appelé par le ministère de la culture.
Sitôt arrivé à Paris, il a rejoint le
Théâtre national de la Colline pour
saluer les équipes, à qui il annoncera la primeur de son projet vendredi prochain. Fin mai, il présentera au Théâtre national de
Chaillot Le Dernier Jour de sa vie,
qui clôt son cycle de traduction et
de mise en scène des sept tragédies de Sophocle. p
brigitte salino
culture | 19
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Merle Haggard,
le mauvais garçon
légendaire de la country
Le chanteur, guitariste et auteur-compositeur américain
a succombé à une pneumonie le jour de ses 79 ans
DISPARITION
H
éros de la musique
country aux EtatsUnis, le chanteur, guitariste, violoniste et
auteur-compositeur Merle Haggard est mort, mercredi 6 avril,
jour anniversaire de ses 79 ans, à
son domicile de Palo Cedro (Californie) des suites d’une double
pneumonie. L’infection avait été
diagnostiquée en décembre 2015,
contraignant Haggard à annuler
une tournée et à être hospitalisé. Il
laisse à la postérité l’interprétation
d’une quarantaine de chansons
qui furent numéro 1 des ventes,
surtout dans les classements
country, une cinquantaine d’albums et de nombreuses récompenses professionnelles.
Une adolescence difficile
Né le 6 avril 1937 à Bakersfield (Californie), où ses parents, des fermiers originaires de l’Oklahoma,
s’étaient installés en 1934, Merle
Ronald Haggard a connu une adolescence difficile après la mort de
son père. Alors âgé de 9 ans, il commet des vols, fugue régulièrement,
est envoyé en maison de correction. Entre des séjours de plus en
plus longs dans des établissements de plus en plus rigoureux et
des petits boulots de manœuvre, il
apprend en autodidacte la guitare,
instrument qu’il complétera plus
tard par la pratique du violon. Il
commence à chanter, vers l’âge de
15 ans, des classiques du répertoire
country dans le circuit des bars.
En 1956, il se marie une première
fois – il se remariera à quatre reprises. Arrêté en 1957 après une tentative de vol dans un relais routier, il
est envoyé en février 1958 à la pri-
son de San Quentin, près de San
Francisco. Mis en liberté conditionnelle en 1960, trois ans avant
la fin de sa peine, et décidé à ne pas
retomber dans la délinquance, il
retourne dans sa ville natale. Grâce
à l’un de ses frères, Merle Haggard
y trouve un emploi régulier de terrassier. Il y rencontre plusieurs
musiciens attachés à présenter
une musique sans effets, proche
des sources. Parmi eux, Wynn
Stewart (1934-1985) et Buck Owens
(1929-2006), avec lesquels Hagard
fait ses débuts professionnels.
Il enregistre ensuite ses premiers
disques entre 1962 et début 1965
pour la petite compagnie Tally Records, la plus importante de la demi-douzaine installées à Bakersfield et ses environs. De cette période, on retiendra Skid Row (« les
bas-fonds »), Sing a Sad Song (une
reprise de Wynn Stewart), Just
Between The Two of Us (duo coécrit et interprété avec Bonnie
Owens, sa bientôt deuxième
femme) et (My Friends Are Gonna
Be) Strangers, de Liz Anderson
(1927-2011). C’est cette chanson qui
attire l’attention de Capitol Records, qui va accompagner l’essor
et le succès de Merle Haggard
(vingt-quatre albums en studio
jusqu’en 1976, plusieurs disques
en public et des compilations)
pour les dix ans à venir.
Le public apprécie sa voix expressive, ses textes qui résonnent
avec le quotidien, ses histoires
simples sur les faiblesses et les espoirs des hommes ordinaires,
dont certaines évoquent ses propres expériences (la prison, l’alcool, la drogue). Musicalement,
Haggard propose une country plutôt authentique, généralement
imperméable aux modes et aux
arrangements. Il enregistre des albums en hommage à des personnalités historiques de la country,
comme le chanteur Jimmie Rodgers (1897-1933) ou le violoniste
Bob Wills (1905-1975). Il s’intéressera aussi à plusieurs reprises au
répertoire traditionnel du gospel.
C’est fin 1966 que Haggard va
connaître son premier grand succès national, I’m a Lonesome Fugitive, de Liz Anderson et son mari
Casey. Il précède la sortie de l’album du même nom, en mars 1967,
auquel participent notamment les
guitaristes James Burton et Glen
Campbell (qui sera, lui, l’un des
passeurs les plus célèbres du rapprochement de la country avec la
variété pop), ainsi que le pianiste
Glen D. Hardin. En l’espace d’un an,
Merle Haggard place quatre compositions en tête des classements
country, Branded Man, Sing Me
Back Home, The Legend of Bonnie
& Clyde (écrite avec Bonnie Owens)
et Mama Tried – elle deviendra un
classique du répertoire de concert
du groupe Grateful Dead –, toutes
donnant leur titre à des albums à
grand succès.
Une réputation de conservateur
L’année 1969 est l’une de ses plus
actives avec quatre albums,
d’autres succès, tels Hungry Eyes et
Workin’Man Blues, toutes deux tirées de l’album A Portrait of Merle
Haggard, souvent considéré
comme l’un de ses sommets, et
surtout Okie From Muskogee, fantaisie publiée en septembre, qui
moque les hippies, leurs vêtements et les slogans pacifistes.
Cela participe, surtout vu d’Europe, à une réputation de musicien conservateur, amplifiée par
The Fightin’Side of Me (numéro 1
« Le Monde d’hier » pour aujourd’hui
Aux Mathurins, Jérôme Kircher adapte le livre testament de Zweig
U
THÉÂTRE
n homme traverse le minuscule espace d’un plateau de théâtre, vêtu d’un
pardessus et d’un chapeau gris, et
l’image amène avec elle toutes celles, en clairs-obscurs, d’une Mitteleuropa engloutie. Dans la petite
salle du Théâtre des Mathurins, à
Paris, le comédien Jérôme Kircher
joue/dit des extraits du Monde
d’hier, le livre testamentaire de
Stefan Zweig. C’est un spectacle
minimal, mais de grande portée, à
l’heure où une certaine idée de
l’Europe semble se défaire.
« La vraie patrie que mon cœur a
élue, l’Europe, est perdue pour moi
depuis que, pour la seconde fois,
prise de la fièvre du suicide, elle se
déchire dans une guerre fratricide.
Contre ma volonté, j’ai été le témoin
de la plus effroyable défaite de la
raison et du plus sauvage triomphe
de la brutalité ; jamais – je ne le dis
point avec orgueil, mais avec un
sentiment de honte –, une génération n’est tombée comme la nôtre
d’une telle puissance intellectuelle
dans une telle décadence morale »,
écrit Zweig dès la préface de ce livre
écrit en 1941, un an avant son suicide au Brésil.
Zweig, qui était l’écrivain le plus
lu de son temps, ami de Freud, de
Schnitzler, de Rilke, de Strauss,
avait été l’un des premiers à quitter
l’Autriche, en 1934, désespéré par la
catastrophe annoncée. Il était l’incarnation la plus achevée de ce que
le monde moderne a produit de
plus achevé en matière de civilisation, à savoir l’Europe bourgeoise
et intellectuelle de la fin du
XIXe siècle et du début du XXe siècle. Un Viennois, au moment où la
capitale autrichienne a été le centre brillant du monde, et un exemple sans égal de mélange entre les
cultures catholique et juive.
Un parcours fluide et sensible
Et puis, il ne fut plus rien, balayé,
impuissant, par tous les vents
mauvais de l’Histoire : un homme
dont les livres furent brûlés, errant
d’exil en exil, rejeté ici parce que
juif, et là parce qu’Autrichien. Dans
Le Monde d’hier, Zweig retrace,
avec une ampleur et une lucidité
sans pareilles, l’évolution de l’Europe de 1895 à 1941. Ses souvenirs
embrassent la période de l’âge d’or,
avant la guerre de 1914-1918, la
montée des nationalismes, le
monde en miettes qui sort de la
première guerre mondiale, puis
l’arrivée au pouvoir d’Hitler, l’horreur de l’antisémitisme d’Etat et,
pour finir, le « suicide de l’Europe ».
Il est bien sûr impossible, sur un
spectacle d’à peine plus d’une
heure, de représenter l’ensemble
des souvenirs et des réflexions de
Stefan Zweig dans ce livre. Mais
l’adaptation signée Laurent Seksik,
recentrée sur le parcours person-
nel de Zweig, en restitue la quintessence. Elle offre un parcours fluide
et sensible dans la complexité de
ce Monde d’hier.
Sensible, l’interprétation de Jérôme Kircher, remarquable acteur
vu dans les spectacles d’André Engel, d’Alain Françon ou de Luc
Bondy, l’est aussi, au point d’en devenir un peu fébrile, par moments.
Mais on peut préférer cela à une
démonstration de virtuosité qui,
ici , serait tout à fait déplacée. Dans
la salle de poche des Mathurins, le
comédien est tout près des spectateurs, et semble parler, intimement, à chacun d’entre eux.
Est-il besoin d’ajouter que ce
Monde d’hier, version scène, est un
de ces spectacles modestes qui
mènent bien plus loin dans la réflexion que nombre de grosses
machines spectaculaires ? Est-il
besoin de souligner que c’est bien
grâce à la littérature, si abandonnée par les « élites » politiques et
économiques actuelles, que cet esprit de la Mitteleuropa a malgré
tout survécu, et qu’il peut toujours
être fécond aujourd’hui ? p
fabienne darge
Le Monde d’hier, de Stefan Zweig.
Un spectacle de et avec Jérôme
Kircher et Patrick Pineau. Théâtre
des Mathurins, Paris 8e.
Du mardi au samedi à 19 heures,
dimanche à 15 heures, jusqu’en juin.
De 16 € à 32 €.
En janvier
2014, à Los
Angeles. MATT
SAYLES/INVISION/AP
en 1970), clairement dirigée contre
les manifestants opposés à l’engagement des Etats-Unis au Vietnam. Haggard s’en explique par
son patriotisme et son attachement aux valeurs fondatrices de la
Constitution américaine. Il enregistre alors son disque le plus marqué par des thèmes sociaux, Hag
(avril 1971), puis la chanson Irma
Jackson, à propos de la difficulté de
vivre une histoire d’amour entre
un Blanc et une Noire.
Après Capitol Records, c’est chez
MCA puis Epic que Merle Haggard
va poursuivre une carrière à succès jusqu’au milieu des années
1980 (le duo Bar Room Buddies
avec Clint Eastwood, I Think I’ll
Just Stay Here and Drink, Big City,
l’album Pancho and Lefty avec
Willie Nelson, That’s The Way Love
Goes, Natural High…). En 1994,
son entrée au Country Music Hall
of Fame and Museum, le panthéon du genre, avait octroyé à celui qui avait chanté la vie de horsla-loi, la galère et la prison, un statut d’institution. p
sylvain siclier
6 AVRIL 1937 Naissance
à Bakersfield (Californie)
FIN 1966 Premier grand
succès, « I’m a Lonesome
Fugitive »
1968-1969 Six chansons
en tête des classements
country
1980 Duo avec
Clint Eastwood
1994 Entrée au Country
Music Hall of Fame
and Museum
6 AVRIL 2016 Mort
à Palo Cedro (Californie),
à 79 ans
20 |
styles
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
la révolution plissée d’issey miyake
Une exposition à Tokyo et un ouvrage sont consacrés
aux 45 ans de création du styliste japonais. Ils éclairent
sur sa contribution exceptionnelle à l’histoire du vêtement
conception de vêtements comme les
plastiques renforcés par des fibres,
mais aussi le washi (papier artisanal
japonais), le crin, le raphia ; mise au
point d’une infusion de résine synthétique pour réaliser une série de
bustiers sculptés dès 1980 ; calculs savants entre mathématiques et origamis pour passer d’une forme géométrique en 2D à un vêtement en 3D,
dans une sorte de jeu assez réjouissant ; création d’une pièce d’habillement, voire d’une tenue complète
avec un seul morceau de tissu, etc.
Une fois l’idée plantée, Miyake la fait
germer lentement, puis grandir : il
améliore la beauté et la texture du
tissu, réduit au maximum les déchets, optimise le confort.
Manteau plissé de la collection printemps-été 1995. YURIKO TAKAGI
MODE
tokyo
S’
il avait fait comme tout le
monde, il aurait peut-être
intitulé son exposition
« The World of Issey
Miyake ». Or, elle s’appelle « The Work
of Miyake Issey ». Tout en réfutant le
terme de « rétrospective » – trop prétentieux, trop définitif, trop passéiste
–, elle donne à voir non pas le succès
d’une marque mais la quête d’une vie.
A savoir, le travail d’un homme né
en 1938 à Hiroshima et qui, pendant
quarante-cinq ans, a mis l’impétueux
besoin de ne pas se retourner, l’innovation et l’ingénierie au service de
l’habillement.
Le jour de l’inauguration, le 15 mars,
la foule était dense dans le hall du
Centre national des arts de Tokyo.
Une foule singulière pour un événement qui l’était aussi : quelques messieurs en costume Homme Plissé ravissant, des femmes en Pleats Please
(notamment ceux arborant dans le
dos les dessins du graphiste Ikko Tanaka, en vente à la sortie de l’expo) ou
portant un cabas Bao Bao (dans la
boutique d’Aoyama, une affichette in-
Corsage en rotin et bambou (K. Shochikudo et E. Fukuzawa), 1981. YURIKO TAKAGI
dique chaque jour en ce moment que
l’on ne peut pas acheter plus de trois
exemplaires de ce modèle par personne ni deux coloris similaires, car la
production n’arrive pas à suivre la demande)… Mais aussi Ron Arad, Jasper
Morrison, Harri Koskinen, Tadao
Ando, Ernst Gamperl, Andrew Bolton
ou encore Jack Lang, qui avait obtenu
une dérogation pour remettre ce
jour-là la distinction de Commandeur
de l’ordre national de la Légion d’honneur au créateur visiblement très
ému. Tous étaient venus voir la première grande exposition entièrement
consacrée à Issey Miyake que la dernière édition du dictionnaire illustré
du Musée de la Mode (Phaidon,
584 pages, 29,95 €) présente comme
« très influent et appartenant à l’élite
de la mode au Japon, de même que Rei
Kawakubo et Yohji Yamamoto ».
Le styliste francophile passé par
l’école de la chambre syndicale à Paris,
puis chez Hubert de Givenchy, est un
créateur au sens premier du terme, un
faiseur, un inventeur, un bâtisseur. Ce
qui n’est pas chose aisée quand on a
choisi pour matière première le coton
ou le polyester. Jack Lang, ami de longue date, parle de lui comme d’un « ar-
Pas d’injonction
de rentrer
dans un 36,
la pièce de tissu
savamment
coupée changera
en fonction de
celle qui la porte
chitecte de la pureté, un homme ouvert
au monde et humble, dont l’œuvre immense, millénaire et futuriste surprend, étonne, émeut. Elle est à la fois
sculpture et mouvement ».
Son travail singulier prend d’ailleurs
tout son sens dans le musée tokyoïte
de Roppongi, dessiné par Kisho Kurokawa ; construction magistrale de fer
et de verre dont la façade ondule et
dont la hauteur sous plafond et le gigantisme des 14 000 mètres carrés de
salles d’exposition ont fait penser à
Miyake que s’il devait exposer un jour,
ce serait là. Dans cette enveloppe
structurée et aérienne, suffisamment
large pour ne pas contraindre ses créa-
tions, laissant circuler l’air. Comme
ses vêtements.
Au-delà de la scénographie puissante des deux premières salles et du
plaisir hypnotique, dans la troisième,
de voir fonctionner la machine qui fabrique en quinze minutes une tunique Pleats Please, il est stimulant de
constater combien cette exposition
qui aura demandé sept ans de travail a
davantage été faite pour encourager
et inspirer que pour célébrer. Le moteur de Miyake pendant toutes ces années, le souffle, l’énergie, l’envie d’innover, c’est cela que le visiteur cherche
et peut trouver s’il est attentif. Et s’il
n’a pas la chance de passer par Tokyo,
il saura les voir dans le beau livre paru
chez Taschen. « Il n’a pas une seule seconde voulu faire une rétrospective, car
il déteste regarder en arrière, raconte
Midori Kitamura, présidente du
Miyake Design Studio, qui travaille depuis quarante ans avec Miyake.
D’ailleurs, si vous regardez dans le
même sens que lui, vous verrez son dos,
car il est toujours en train d’avancer. »
A force de chercher, Miyake a fait des
trouvailles. Autant sur la matière première que sur la forme finale. Utilisation de matériaux étrangers à la
A mille lieues des tendances
Il pense le vêtement comme personne
avant lui, en faisant exploser les repères du tailoring occidental : il ne coupe
ni ne monte une manche, il pense une
forme dans laquelle les bras passeront
évidemment. Et cette forme première
interroge celui qui la regarde : est-elle
rigide ou souple ? Composée de plusieurs morceaux ou d’un seul tenant…
« Making thing, making think », dit-il
souvent, imposant une vision du métier à mille lieues des tendances, des
saisons et des canons classiques de la
féminité, puisque le corps est pensé
non pas en termes de courbes ou de
taille, mais dans son besoin de liberté
(de mouvement) fondamentale.
Chez lui, pas d’injonction de rentrer
dans un 36, la pièce de tissu savamment coupée changera en fonction de
celle qui la porte, donnant plus d’importance à la personne qu’au vêtement. Même si celui-ci, souvent coloré
et amusant dans son allure, ne manquera pas de se faire remarquer.
Toutes ces recherches sont depuis
toujours sous-tendues par un but ultime et louable : créer des vêtements
aussi universels que le jean et le teeshirt. Si les Américains ont su imposer
ce vestiaire quotidien, que peut leur
répondre un Japonais ? Que serait véritablement un casualwear nippon ?
Le créateur trouve la solution grâce
aux plissés qu’il développe au début
des années 1990. Il met au point une
technique et un nouveau genre de vêtements utilitaires et beaux, à la fois
originaux, résistants et pratiques, car
ils ne froissent pas, se lavent facilement et ne se repassent pas. Une veste
de costume dans la ligne Homme
Plissé coûte au Japon environ
320 euros (le double en France), ignore
le pressing et, choisie en noir ou marine, passe du bureau au mariage d’un
ami sans aucun souci de dress code.
C’est une expérience étonnante. Qui
doit encore amuser son initiateur
même s’il est depuis longtemps passé
à autre chose. p
caroline rousseau
The Work of Miyake Issey, National
Art Center de Tokyo, jusqu’au 13 juin.
« Issey Miyake », Taschen, 512 pages,
49,99 euros
Une parenthèse chez Azzedine Alaïa
Hors calendrier, trois semaines après la fin des défilés parisiens, le créateur a présenté, en petit comité, sa collection automne-hiver 2016-2017
L’
invitation est arrivée par
courriel : le défilé automne-hiver 2016-2017 d’Azzedine Alaïa est prévu pour le dimanche 3 avril. Une sorte de
messe en tout petit comité organisée dans les locaux de la maison, rue de Moussy, à Paris.
Dans une industrie de la mode
en pleine crise existentielle (comment vendre, à quel rythme ? à
quoi sert un défilé aujourd’hui,
comment, quand et pour qui l’or-
ganiser ?…), la dissidence de ce petit homme au caractère bien
trempé n’est que plus évidente.
Au lieu de se jeter, de manière
systématique ou désespérée sur
la dernière tendance venue (celles
du moment oscillant entre la célébrité, par le biais des réseaux sociaux, et la mode « sans genre »),
Azzedine Alaïa fait tout en marge,
à son rythme. Ce mélange d’intégrité et d’assurance confère à la
maison et à son fondateur un sta-
tut « culte », au sens non galvaudé
du terme, même si la griffe – soutenue par le groupe Richemont –
garde un format modeste en comparaison de celui des géants du
luxe d’aujourd’hui.
Classique et désirable
Mais, au-delà des questions théoriques, la vraie force d’Azzedine
AIaïa reste son style, celui d’un
homme pour lequel l’anatomie
féminine n’est pas une question
secondaire. Cela a l’air évident,
mais cela fait tout. Son sens de la
coupe et de la construction a
donné naissance aux robes en
maille les plus intemporelles et
vertigineusement séduisantes,
mais la collection hiver montre
que tout cela n’est pas figé.
Les robes et les jupes en maille
fluide aux textures résille, brocart
ou velours, les plissés 3D aux
mouvements élastiques, les fourrures denses aux volumes corol-
les et les tailles ceinturées sont du
pur Alaïa, classique et désirable.
Et puis le couturier introduit
mille variations : ample trench de
cuir, robe trapèze aux proportions
impeccables, bottines plates et
cloutées, qui croisent des talons à
semelle de cuir chair, robes noires
dont la fausse austérité nimbe gracieusement le corps de mystère et
des robes du soir où la mousseline
et la dentelle effet cuir disputent
l’espace aux mailles velours.
Pour une fois, le public, gavé de
défilés et habitué à se cacher derrière l’écran du téléphone, prend
le temps d’applaudir avec chaleur
et sincérité, touché, sans doute,
par ce moment hors genre. Le
couturier, lui, refusera obstinément de sortir des coulisses. C’est
la dernière partie de la leçon
d’Alaïa : laisser les vêtements
écrire son histoire, le reste n’est
qu’écume. p
carine bizet
télévisions | 21
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Alejandro Gonzalez Iñarritu s’abandonne à la fantaisie
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Dans « Birdman », le réalisateur mexicain célèbre un personnage qui refuse de se résoudre à l’inévitable
CANAL + CINÉMA
VENDREDI 8 – 16 H 55
FILM
vieillesse, la perte, la gravité), Alejandro Gonzalez Iñarritu a choisi
un artifice saisissant : s’appuyant
sur un chef opérateur virtuose,
Emmanuel Lubezki, il fait semblant que ce semi-huis clos, le
Théâtre Saint-James et quelques
mètres de trottoirs autour de Times Square, soit filmé sans coupure, comme si la caméra ne s’arrêtait jamais de tourner. Le vertige
provoqué par les jeux de reflets du
scénario s’en trouve exacerbé, et
l’on sent bien que Birdman est
pensé comme un produit psychotrope (pour ne rien dire de la bande-son – un long solo de batterie).
P
eut-être parce qu’il a
commencé par réaliser
et produire des films publicitaires et des séries télévisées avant, à 37 ans, de se lancer
dans la réalisation d’un long-métrage (Amours chiennes, 2000),
Alejandro Gonzalez Iñarritu
donne l’impression d’être arrivé
au cinéma chargé d’un impressionnant sac à malices, un arsenal
d’idées de génie et de procédés
magiques. Dans ses quatre premiers films (Amours chiennes,
21 grammes, Babel, Biutiful), il avait
mis ce trésor au service d’un esprit
de sérieux qui avait fait ployer son
cinéma sous son poids.
Birdman est une comédie, une
fantaisie débridée, l’occasion rêvée
pour Iñarritu de briller dans la société des cinéastes. Et il en profite
sans vergogne, partageant généreusement son plaisir avec les
spectateurs. Cette transformation
comique lui a valu un succès sans
précédent, encombrant ses étagères d’une impressionnante collection de trophées, dont l’Oscar du
meilleur film et celui du meilleur
réalisateur.
Birdman est un personnage fictif. On veut dire par là que ce superhéros n’a jamais hanté les écrans
ou les pages des comics, seule-
Michael Keaton et Edward Norton. ALISON ROSA/FOX
ment celles du scénario de Gonzalez Iñarritu, Nicolas Giacobone,
Alexander Dinelaris Jr et Armando
Bo. Incarné par l’acteur Riggan
Thomson (Michael Keaton), il a
aujourd’hui pris sa retraite, laissant son interprète loin de la fortune et de la célébrité. Pour la reconquérir, Riggan a adapté une
nouvelle de Raymond Carver, tirée
du recueil Parlez-moi d’amour, et
loué un théâtre de Times Square.
L’état psychique de Riggan est
plus inquiétant encore que son
physique. On le voit léviter, il
écoute attentivement la voix de
Birdman (le personnage), qui lui
assène des lieux communs bien
sentis sur le métier du spectacle et
refuse de voir que son entreprise
est vouée à un échec presque certain. Autour de lui gravitent auxiliaire (Zach Galifianakis en manageur catastrophé), rival (Edward
Norton dans le rôle d’un comédien
mégalomane et probablement génial, engagé in extremis) et une
constellation féminine. On distingue nettement l’étoile d’Emma
Stone dans le rôle de la fille du superhéros déchu. Il lui revient d’incarner le principe de réalité, de la
jeunesse ; elle le fait avec une grâce
et une drôlerie éblouissantes.
Pour peindre cet homme qui a
déclaré la guerre à l’inévitable (la
Epuisant et euphorisant
Il y a comme une part de calcul
dans ce délire, qui empêche de le
prendre pour une communication
directe d’une âme à une autre.
Tout comme Riggan Thomson,
Iñarritu a quelque chose à prouver,
et la preuve relève de la logique
plus que de l’art. La démonstration
ici recherchée est celle du talent
même de l’auteur. Birdman est un
spectacle qui laisse pantois,
épuisé, euphorique, mais, au bout
du compte, indemne, au contraire
de son dérisoire héros. p
thomas sotinel
Birdman, d’Alejandro Gonzalez
Iñarritu. Avec Michael Keaton,
Edward Norton, Zach
Galifianakis (EU, 2014, 119 min).
Le maître de l’animation japonais retrace la vie du concepteur du bombardier « Zero Fighter »
C’
est en lisant Kaze Tachinu (Le vent se lève), la
nouvelle de Tatsuo Hori,
que Hayao Miyazaki entendit pour
la première fois parler du célèbre
vers de Paul Valéry : « Le vent se
lève !… Il faut tenter de vivre ! » tiré
du Cimetière marin.
Cette inspiration n’est pas la
seule originalité du film de Miyazaki. Même si l’on y retrouve quelques thèmes chers au cinéaste – la
nécessaire harmonie entre nature
et civilisation dont l’enfance serait
l’expression la plus pure –, c’est la
première fois que Miyazaki s’empare d’un chapitre douloureux
qu’a connu son pays. Le film raconte l’histoire d’un petit garçon,
Jiro Horikoshi, qui rêve de construire des avions. Sa seule idole est
Gianni Caproni, ingénieur en aéronautique italien. Comme lui, il
ne pilote pas ; il dessinera des appareils « aussi beaux que le vent ».
Le jeune homme se lance dans les
études. Un jour, alors qu’il effectue
un voyage en train, survient – on
TF1
20.55 Koh-Lanta
Télé-réalité animée par Denis Brogniart.
23.15 Action ou vérité
Divertissement animé
par Alessandra Sublet.
France 2
20.55 Caïn
Série créée par Alexis Le Sec et Bertrand
Arthuys. Avec Bruno Debrandt,
Julie Delarme, Frédéric Pellegeay
(Fr., S4, ép. 3 et 4/10 ; S3, ép. 2/8).
23.50 Ce soir (ou jamais !)
Magazine animé par Frédéric Taddeï.
France 3
20.55 Thalassa
« Océan Indien : la nouvelle vie
du Sri Lanka ». Magazine animé
par Georges Pernoud.
23.20 Johnny
Documentaire de Grégory Draï
(Fr., 2016, 122 min).
Canal+
21.00 Entre amis
Comédie d’Olivier Baroux.
Avec Daniel Auteuil, Gérard Jugnot,
François Berléand, Zabou Breitman
(Fr., 2015, 90 min).
22.25 Connasse,
princesse des cœurs
Comédie de Noémie Saglio et Eloïse
Lang. Avec Camille Cottin, Cécile
Boland (Fr., 2015, 85 min).
France 5
20.45 La Maison France 5
Magazine animé par Stéphane Thebaut.
21.45 Silence, ça pousse !
Présenté par Stéphane Marie
et Caroline Munoz.
Dans les airs de Miyazaki
CINÉ + CLUB
VENDREDI 8 – 20 H 45
FILM
VE N D R E D I 8 AVR IL
est le 1er septembre 1923 – le grand
tremblement de terre de Kanto.
C’est à cette occasion qu’il rencontre Nahoko, qu’il épousera quelques années plus tard.
La magie opère
Le talent de Jiro ayant été vite repéré par les ingénieurs de Mitsubishi, il est embauché. Il est chargé
de construire l’avion de combat
dont le Japon aura besoin pour
épauler l’Allemagne nazie. Ce sera
le Mitsubishi A6M1, plus connu
sous le nom de « Zero Fighter ».
Nous sommes loin de Mon voi-
sin Totoro ou encore de Princesse
Mononoké et, pourtant, une fois
encore, la magie opère. Paysages
de la campagne japonaise, scènes
de la vie quotidienne, ville ravagée
par un tremblement de terre, incendie, pluie diluvienne, tempête
de neige : sa virtuosité est sans
égale.
Le propos du film est assez explicite. On comprend qu’il vaudrait
mieux que les avions servent à
transporter des passagers au-dessus des océans plutôt qu’à bombarder des villes ennemies. Jiro admire Thomas Mann et Schubert,
mais ne semble guère éprouver de
sympathie pour les nazis qu’il rencontre. Il n’a, en réalité, que deux
véritables passions : Nahoko et ses
avions. Tout le reste, la crise, le chômage, la misère, il l’observe, s’attendrit même devant des enfants
affamés, mais pour revenir aussitôt à sa mission première : construire l’avion qui sera le fer de
lance de l’expansion guerrière du
Japon. p
franck nouchi
Le vent se lève, de Hayao Miyazaki
(Japon, 2013, 120 min).
Arte
20.55 Nous sommes jeunes,
nous sommes forts
Téléfilm de Burhan Qurbani.
Avec Jonas Nay, Trang Le Hong
(All, 2014, 116 min).
22.50 Les Drones,
un usage controversé
Documentaire de Peter Yost
(EU, 2013, 52 min).
M6
20.55 Bones
Série créée par Hart Hanson
d’après les romans de Kathy Reichs.
Avec Emily Deschanel, Patricia
Belcher, Caroline Julian
(EU, saison 11, ép. 4/22 ; S9, ép. 15
et 16/24 ; S5, ép. 5 et 6/22).
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 16 - 084
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
I. Même bien examinées, elles ne seront jamais sûres. II. A fait du propre
à la campagne. Homme du Grand
Nord. III. Dans l’ensemble. Choisit à
contresens. Cube chifré. IV. Sur la
portée. Pour bâtir en Afrique. Jeté à
l’eau avec le bâtiment. V. Fouillent
dans les fonds. Délivré du mal.
VI. Grand au Moulin-Rouge. Souvent
plaqué. VII. Fait tout à moitié. Bonne
pâte batave. Paresseux. VIII. Personnels ou publics, ils pèsent lourdement. IX. Pas très futé. Changera de
timbre. X. Même les adultes s’y
mettent pour les déplacements en
ville.
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
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SUDOKU
N°16-084
VERTICALEMENT
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 083
HORIZONTALEMENT I. Cordons-bleus. II. Hue. Secousse. III. Attrapât.
IV. Rire. El. Bêta. V. Olographe. Ar. VI. Glu. «Une». Cola. VII. Nesle. Laquât.
VIII. Sali. Rut. IX. Rhéologie. Nô. X. Dissertation.
VERTICALEMENT 1. Charognard. 2. Outillé. Hi. 3. Retrousses. 4. Reg. Laos.
5. Osa. Ruelle. 6. Nepean. Ior (roi). 7. Scalpel. Gt. 8. Bot. Aria. 9. Lu. Bec-
quet. 10. Esse. Out. 11. Us. Tala. No. 12. Séparation.
1. A réussi à faire des montagnes.
2. Couper les cheveux en quatre.
3. Décoration architecturale. Provocation puérile. Petit ensemble.
4. Risquent de faire de gros dégâts.
5. Auxiliaire. Belle adresse. Résiste au
labo. 6. Son et sciure. Protection rapprochée. 7. Bouts de tronc. Poème lyrique. 8. La Disparition ou autre exercice d’enlèvement.
9. Nourrice de Dionysos. Fait bouger.
10. Pour les proches. Protecteur égyptien des futures mamans. Impeccable. 11. Se fait plumer au passage.
Au cœur du foyer. 12. Mis à l’abri.
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n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
0123
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Les grands Edgar Morin
uieu à
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Les no
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LES GRANDS TEXTES
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22 |
DÉBATS & ANALYSES
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
La société civile entend reprendre la main sur la marche du pays.
Des Nuits debout aux collectifs citoyens, les initiatives se multiplient
pour que l’action publique ne soit plus confisquée par les partis
Un renouveau politique est-il possible ?
Le début d’une longue veillée
En rupture avec les modes
d’action classiques de la vie
politique, le mouvement
Nuit debout s’étend
dans une France rebelle
à la précarité et aux inégalités
Par FRANÇOIS CUSSET
I
l y a des signes qui ne trompent pas. Au fil
des défilés de ces dernières semaines
comme de ces premières Nuits debout passées par quelques milliers de veilleurs sur les
places d’une cinquantaine de nos villes (avant
l’évacuation rituelle à l’aube), il y a des signes
auxquels on reconnaît qu’il se passe quelque
chose de neuf, que ce qui a lieu n’est qu’un début ou encore, comme le philosophe Frédéric
Lordon le lançait à la foule de la place de la République, à Paris, le soir du 31 mars, que « nous
sommes en train de faire quelque chose ».
Signes épars, mais clairs. Comme ces manifestations sauvages, mobiles et masquées, rejointes par beaucoup plus que la poignée habituelle
d’anarchistes, et démarrant juste après l’arrivée
du cortège officiel. Ces assemblées citoyennes,
aussi, où la circulation de la parole et l’ambition
collective posément affirmée n’ont plus rien à
voir avec les assemblées générales de mars.
Quant à la volonté réfléchie de ne rien revendiquer, qui fut reprochée par les bons esprits au
mouvement Occupy Wall Street de 2011, elle
consomme la rupture avec un ordre politique
qui n’est plus reconnu comme légitime, avec lequel on refuse, pour de bon, de discuter. Sans
compter tags et slogans qui, comme en d’autres
temps, ouvrent sur de plus vastes horizons : « Le
monde ou rien ! », ou juste : « Ni loi ni travail »,
pour rappeler qu’avec ou sans projet de loi ce
dont on ne veut plus, c’est la vie de précaire modulable ou d’autoentrepreneur à perte qui est
tout ce que le vieux monde en crise peut proposer. Et, à République, on ne fait pas que danser :
on rédige une « Constitution de la République
sociale », on prépare une université populaire,
une vraie, une demi-douzaine de commissions
soumettent leurs propositions à l’assemblée
quotidienne.
UN MONDE INHABITABLE
Pour le moment, moins en phase avec le pays
que les occupants de la Puerta del Sol à Madrid
en 2012, moins nombreux que dans les campements d’Occupy Wall Street en 2011, moins
aguerris que les émeutiers des quartiers populaires à l’automne 2005, les protestataires français de ce printemps nouveau affichent une détermination, un désir de durer et un humour
guerrier qui n’ont plus de rapport avec le code
du travail détricoté, mais avec l’intensité des
nuits d’occupation et le renouvellement des formes de vie.
Chômeurs isolés, adhérents syndicaux plus
en rage que leurs dirigeants, lycéens découvrant
la violence d’Etat, étudiants dégoûtés par le
scandale des stages ou le mensonge des diplômes, mais aussi militants sexuels, travailleurs
culturels ou écologistes radicaux, et même les
sans-papiers ou les mal-logés avec lesquels, sur
ces mêmes places, la jonction parfois a lieu –
ceux qui convergent là ne sont réductibles ni à
MUSIQUE
INFO
BONNE HUMEUR
la démographie (la rébellion en erreur de jeunesse) ni à une logique de classe ou sectorielle. A
les entendre, c’est une certitude sereine qui les
rassemble, ni bravache ni simpliste, éprouvée
par tous et par tous argumentée : la certitude
qu’aucune élection ne changera l’ordre établi
dans le sens qu’ils souhaiteraient, que la politique classique est morte pour de bon après la
crise des subprimes de 2008 (quand elle n’a pas
modifié les règles qui avaient déclenché la catastrophe et a continué de faire le jeu du pire, et
des marchés financiers) et qu’à ces décideurs
devenus des ennemis on n’aurait plus d’autre
choix que de « faire peur » jusqu’à ce qu’ils lâchent prise.
Mais la certitude, aussi, que l’accueil des réfugiés et des migrants est la condition d’un
monde commun, et que face à la destruction industrielle il faut élaborer des modes d’existence
collective en sécession. Et ces mots-là, plus ou
moins naïfs, plus ou moins maîtrisés, sont prononcés par tant et tant qui ne sont ni les plus
érudits ni les plus militants. Quant aux tris du
pouvoir pour opposer casseurs et manifestants,
les bons scolarisés et les méchants cagoulés, ils
ne tiennent plus : le micro qui passe sur ces places n’en finit plus d’entonner la critique du « pacifisme festif » et, en plein état d’urgence, de la
criminalisation du mouvement social – « Nous
sommes tous des casseurs », dit un autre graffiti,
sous lequel est précisé qu’il faut « casser le capitalisme » au lieu d’en espérer l’indulgence ou la
réforme.
En fin de compte, bien au-delà de cette loi
El Khomri, dont tous disent qu’elle n’est pas le
problème, qui est tellement plus vaste, au-delà
même de cette Nuit debout qui ne veut pas se
coucher, quelque chose se lève, prend son élan,
quelque chose exprime une tranquille résolution, plus qu’à défier un gouvernement aux
abois ou à faire reculer les CRS, à simplement
continuer, se répandre, ne pas retomber. D’où
l’obsession de la convergence des luttes, en tenant des assemblées générales interluttes, en
faisant front commun avec les associations défendant locataires expulsables ou migrants illégaux, en peinant encore, derrière une alliance
de façade avec les syndicats, à faire la jonction
avec le monde du travail – cette fameuse jonction des travailleurs et des non-travailleurs (étudiants ou chômeurs) que les gouvernements
craignent tant.
Derrière la joie, le sens du combat : la conflictualité qui sous-tend le système économique, et
qui gronde sous nos distractions, ne peut plus
cette fois être étouffée. Cette violence qu’on
avait refoulée derrière l’obsession terroriste
(comme si elle en avait le monopole), dont on
ne voyait plus les dimensions systémiques, insidieuses, normalisées, et qu’on redécouvre sous
la matraque policière, cette fois elle est bien là –
violence sans précédent de ce monde inhabitable avec lequel les Nuits debout, si clairsemées
qu’elles soient encore, se déclarent en guerre, et
violence possible de cette guerre-là, si l’on n’a
rien à y perdre. p
¶
François Cusset est écrivain, professeur
à l’université de Paris-Ouest-Nanterre.
Il est notamment l’auteur
de « Les jours et les jours » (POL, 2015)
Les vieux partis ne doivent pas
verrouiller la vie démocratique
Le 5 avril, la loi dite
de « modernisation de l’élection
présidentielle » a été adoptée.
Elle abroge l’égalité du temps
de parole entre candidats
à l’élection suprême et prévoit
de rendre public le parrainage
de chaque maire. Bâillonner
ainsi le débat est indigne
Par ALEXANDRE JARDIN
L
e citoyen engagé que je suis le hurle. Les
petits partis − j’entends le Parti socialiste
et Les Républicains, qui, ensemble, réunissent moins de membres actifs que la Fédération française de pétanque ou celle de canoëkayak – n’en finissent pas de verrouiller un jeu
politique déconsidéré, que le pays rejette élection après élection. Soixante-dix-huit pour cent
des Français se disent prêts à voter pour un candidat qui ne serait ni issu d’un parti politique ni
soutenu par lui ? Le message a été reçu aussitôt
par les appareils nationaux attentifs.
Le 24 mars au soir, 11 députés ont été missionnés pour préserver les intérêts de leur caste. La
veille du week-end de Pâques, afin que cela
passe inaperçu, ils ont voté le changement des
règles d’accès à l’élection présidentielle. Pendant que vous pensiez à vos œufs en chocolat.
En France, 11 garants du système ont décidé
pour 44,6 millions d’électeurs. Onze sans conscience, le doigt sur la couture, se sont portés volontaires pour faire passer une loi dite de « modernisation de l’élection présidentielle » – l’appellation ne manque pas de cynisme –, qui est,
on va le voir, assez astucieuse pour empêcher
tout renouvellement en 2017.
UN ENNOBLISSEMENT DE LA BASSESSE
Elle prévoit deux choses, cette loi perfide. Tout
d’abord, d’éliminer l’égalité des temps de parole
entre candidats à la présidentielle, sauf quinze
jours avant l’élection. Date à laquelle chacun sait
que les jeux sont faits… Au moins, c’est franc : il
s’agit d’avantager à la télévision les formations
qui désespèrent les gens, d’assurer l’audience
des machines discréditées. La deuxième disposition est également admirable : elle prévoit de
rendre publics les parrainages de chaque maire.
L’idée est simple, cela permet aux petits partis
nommés ci-dessus, le PS en quenouille et
Les Républicains à peine moins en quenouille,
de laisser leur appareil national intimider les
maires qui auraient le malencontreux projet de
ne pas les parrainer ou, pis, de soutenir qui bon
leur semble avec sincérité. Par le jeu des intercommunalités, même les édiles sans parti seront surveillés de près et, bien entendu, punis
s’ils osaient parrainer mal, les vilains.
Elégant, non ? Conforme à une très grande
idée de la France, non ? A l’esprit même de notre
République, n’est-ce pas ? Toute l’astuce a été de
présenter cet efficace mécanisme de soumission des élus locaux, qui marchait déjà bien
– en 2012, seulement 14 790 d’entre eux ont
¶
Alexandre Jardin est écrivain.
Il est notamment l’auteur
de « Juste une fois » (Grasset, 2014)
CHRISTOPHE NICOLAS - STÉPHANIE RENOUVIN
LE GRAND MORNING
VENDREDI 8 AVRIL
Photo Julien Weber
donné un parrainage, sur les 42 000 parrains
potentiels ! –, comme une fierté de soutenir tel
ou tel candidat. L’art et la manière d’ennoblir la
bassesse et l’intimidation…
Le 5 avril, cette loi a été votée définitivement.
C’est indigne de la France. Alors, naturellement,
les mouvements citoyens se sont vite réunis et,
comme un seul homme, se sont unis pour signer un texte au titre limpide : « C’est aux Français de choisir leur président » (Lemonde.fr,
1er avril). Parce que c’est bien le minimum ! Un
document qui appelle bien sûr à conserver
l’égalité des temps de parole sur cinq semaines
de campagne officielle, mais qui réclame aussi
deux mesures de nature à réellement moderniser l’élection présidentielle. Pour mettre fin aux
astuces dans les coins et autres entourloupes
malsaines.
Tout d’abord, protégeons nos maires en assurant le strict anonymat de leur parrainage. Cela
doit être garanti par le Conseil constitutionnel.
Quand un citoyen français vote, il vote dans un
isoloir afin que l’on ne puisse pas l’intimider.
Nos maires ont droit à cette protection. Faibles
et dépendants par le jeu des subventions, ils ne
sont pas en mesure de résister aux pressions
des appareils nationaux.
Et, parce que nous n’avons pas peur du peuple,
nous exigeons que tout candidat soutenu par
500 000 citoyens puisse se présenter à l’élection
présidentielle. Notre peuple doit pouvoir désigner le meilleur représentant de la nation. Notre grand peuple doit être en mesure de se délivrer des petits partis s’il le désire, sans être pour
cela obligé de se jeter dans les bras des extrêmes. Faute d’issue.
Les signataires de cette proposition digne et
belle sont : Jean-Marie Cavada (président du
mouvement Génération citoyens), Nicolas Doucerain (président de Nous citoyens), Jean-Baptiste de Foucauld (coordinateur du Pacte civique), Pierre Larrouturou (coprésident de Nouvelle Donne), Corinne Lepage (présidente de
Cap 21-LRC), Claude Posternak (président du
mouvement La Transition), Rafik Smati (président d’Objectif France) et ma pomme, qui rassemble les « Faizeux » de ce pays dans le mouvement civique des Zèbres.
Nous savons que les petits partis feront tout
pour verrouiller la France jusqu’en 2017. Nous
ne le permettrons pas ! p
6H/9H
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débats & analyses | 23
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Une « République du vivant » au secours des animaux
Le livre
N
ous choyons nos chiens et nos
chats, mais nous mangeons les vaches, les moutons et les cochons.
Nous méprisons les pigeons et admirons les aigles. Nous exterminons les rats
tout en protégeant les pandas. Pourquoi ? Car
la plupart d’entre nous sommes spécistes.
C’est ce « dogme en vigueur » qu’entend pourfendre l’écrivain et journaliste Aymeric Caron,
dans son nouvel ouvrage, Antispéciste, un essai audacieux et documenté publié jeudi
7 avril.
Le premier intérêt du livre réside dans son titre même. Bien connus du petit monde des
végétariens et des défenseurs des animaux,
les termes de spécisme et d’antispécisme restent malgré tout ignorés en France. Popularisés par le philosophe australien Peter Singer
dans son best-seller La Libération animale
en 1975, ils trouvent récemment une résonnance avec les vidéos chocs de l’association
L214 sur les abattoirs.
Le spécisme, nommé par analogie avec le racisme et le sexisme, « désigne toute attitude de
discrimination envers un animal en raison de
son appartenance à une espèce donnée », écrit
l’auteur. Ce « préjugé » consacre à la fois la supériorité des humains sur les autres espèces et
légitime des différences de traitement, en
créant des catégories « injustifiées » (animaux
de boucherie, de compagnie, de loisirs, etc.).
Au contraire, l’antispécisme, dont se revendique Aymeric Caron, refuse de faire passer les
intérêts des humains avant ceux des « animaux non humains » – sans toutefois nier les
différences entre les espèces. Cette obligation
morale et éthique implique de ne plus tuer ni
de ne faire souffrir des animaux qui partagent
avec nous les mêmes caractéristiques (être capable de sensibilité, d’intelligence ou d’empathie), et dont la vie importe autant que la nôtre.
UN « NOUVEL HUMANISME »
Dans la lignée du Plaidoyer pour les animaux
(Allary Editions, 2014) du moine bouddhiste
Matthieu Ricard ou de Voir son steak comme
un animal mort (Lux, 2015) du philosophe
Martin Gibert, mais aussi de penseurs moins
lus dans l’Hexagone (Gary Francione, Tom Regan ou Arne Næss), Aymeric Caron, déjà
auteur de No Steak (Fayard, 2013), assène des
chiffres qui frappent la conscience des amateurs de viande, ceux-là mêmes qui cherchent
à l’apaiser.
Chaque année, les hommes tuent 70 milliards de mammifères et d’oiseaux et
1 000 milliards d’animaux marins pour leur
consommation, ainsi que 150 millions de bêtes pour la fourrure. En France, 95 % des porcs
sont élevés dans des bâtiments suroccupés,
sur des caillebotis au travers desquels se déversent leurs excréments. Les poulets ne vivent que six semaines en élevage intensif, au
lieu de six ans normalement. Les veaux sont
retirés à leur mère dans les heures ou les jours
qui suivent leur naissance.
ANTISPÉCISTE
d’Aymeric Caron,
Don Quichotte,
480 pages, 20,90 euros
Mais, loin de se cantonner à ressasser la littérature – de plus en plus vaste – sur le sujet, Aymeric Caron élargit la réflexion, en passant
par la cosmologie, la génétique, l’éthologie, le
droit et la philosophie, pour proposer un modèle de société qui bannirait toute exploitation animale. Un « nouvel humanisme » (un
« anumanisme ») qui ne serait plus anthropocentré. Il s’agirait donc de ne plus manger de
viande ni de poisson, bien évidemment, mais
également d’œufs, de lait et de fromage, de ne
plus utiliser de cuir ou de fourrure, de boycotter les zoos, les cirques et les corridas.
Surtout, l’« élargissement de notre sphère de
considération morale » devrait passer par l’octroi d’un nouveau statut juridique pour les
animaux (celui de « personnes non humaines ») assorti de nouveaux droits fondamentaux : ne pas être tué, emprisonné, torturé et
ne pas être une propriété. Il n’y aurait ainsi
plus d’élevage, seulement des animaux sauvages, et les propriétaires d’animaux de compagnie deviendraient des tuteurs, munis de
« certificats de capacité ».
On l’aura compris, des deux courants antispécistes, Aymeric Caron, végétarien depuis
vingt-cinq ans et vegan depuis deux ans, se
place du côté des abolitionnistes. Ceux qui estiment qu’un « élevage heureux » ne peut exister
et qui réclament la fin de toute forme d’exploitation animale, à l’inverse des welfaristes, qui
n’y sont pas opposés, mais luttent pour épargner toute souffrance inutile aux animaux.
Si le style est plaisant et didactique, le fervent défenseur des animaux va loin, très
(trop ?) loin. Non content d’appeler à des actes
de désobéissance civile contre « la mort imposée dans les assiettes », il propose de revoir
l’ensemble de nos institutions. Face à ce qu’il
considère comme un échec des partis et de
l’écologie politique pour contrer un « néolibéralisme à bout de souffle », l’auteur appelle à
l’établissement d’une « biodémocratie » et la
fondation d’une nouvelle République, baptisée « République du vivant ».
Aux côtés de l’Assemblée nationale, une Assemblée naturelle (qui remplacerait le Sénat)
représenterait les intérêts des animaux. Composée de membres désignés et non pas élus –
des hauts fonctionnaires formés à l’éthologie,
à la biologie et à la philosophie, des experts et
des représentants d’ONG –, elle pourrait proposer certaines lois et aurait un droit de veto
sur celles votées par l’Assemblée.
L’idée de créer de nouvelles instances antispécistes a déjà fait son chemin chez quelques
intellectuels (Dominique Bourg, Bruno Latour ou Corine Pelluchon). Mais, devant le
grand public, elle risque d’être perçue comme
utopique, dans le meilleur des cas, ou totalement fantaisiste et grotesque, dans le pire. Aymeric Caron ne risque-t-il pas de décrédibiliser l’éthique animale, en appellant à un changement trop radical, bien supérieur aux « sacrifices » que les humains sont prêts à
concéder ? « C’est une utopie, mais c’est une
question de temps avant qu’elle ne se réalise, répond l’intéressé. Les vraies idées révolutionnaires ont toujours paru loufoques. » p
audrey garric
Un homme sans
domicile fixe
Temps établi | par conc
JEAN GENET, UN ÉCRIVAIN
SOUS HAUTE SURVEILLANCE
Hors-Série « Le Monde, Une vie
une œuvre », 122 pages, 8,50 €.
En kiosques à partir du 7 avril
Hors-Série
C’
est d’abord, ici, l’histoire d’un enfant qui
brûle de quitter la France. Pour où ? A 13 ans,
il dit l’Egypte et l’Amérique – un peu plus
tard, en vrac : « les Algéries », la Tripolitaine,
le Niger, le Congo. Mais l’enfant rêve trop fort, fugue,
fraude, s’évade, s’engage dans l’armée, déserte, vole. On
l’arrête, on le ramène à Paris, on le place d’abord dans des
patronages, puis en colonie pénitentiaire, puis en prison.
A 30 ans, c’est un délinquant, un homme sans adresse,
sans famille ni patrie, sans feu ni lieu. Il risque la prison à
perpétuité pour ses vols, la police de Vichy songe à le déporter avec les vagabonds. Au début de 1942, on peut dire
qu’il n’est rien, qu’il est au plus bas de l’échelle sociale. Il
ne possède strictement rien – sauf une arme : la langue
française.
Où en a-t-il appris le maniement ? Personne ne sait.
Quand on lui demandera de citer le livre le plus important pour lui, il dira simplement : la grammaire d’Augé.
Cette année-là, dans sa cellule de la Santé, au milieu de
ses codétenus, il commence à écrire, un cahier sur les genoux. Il écrit Le Condamné à mort et, en même temps,
Notre-Dame-des-Fleurs.
POLITIQUE | CHRONIQUE DE FRANÇOISE FRESSOZ
Le casse du siècle
L
a démission du premier ministre islandais
sous la pression de la rue vient démontrer
l’impact démocratique que constituent les
« Panama papers ». La divulgation et l’exploitation par 107 médias du monde entier dont Le
Monde des fichiers internes du cabinet Mossack
Fonseca, l’un des champions mondiaux au Panama de la domiciliation de sociétés écrans, dépasse tout ce qui avait été tenté jusqu’à présent
pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale.
Ce qu’en France les députés socialistes Vincent
Peillon et Arnaud Montebourg avaient cherché en
vain à combattre lorsque, jeunes députés, ils
étaient partis fleur au fusil à l’assaut des paradis
fiscaux, ce que l’ancienne juge d’instruction Eva
Joly avait voulu en vain circonscrire au cours de sa
double activité judiciaire et parlementaire se
trouve ébranlé par l’action combinée d’un lanceur d’alerte et de l’investigation journalistique.
L’efficacité de cette opération mains propres
menée tient d’abord à la qualité de l’information
produite, venue du cœur du réacteur. Pour faire
sauter le coffre-fort de la fraude fiscale, il fallait
pratiquer le casse du siècle, c’est chose faite. Elle
résulte aussi de l’effet bulldozer de la diffusion de
l’information dû au caractère planétaire de l’enquête et à l’aspect programmé des révélations,
chaque jour déroulant son tapis de découvertes.
« MAINS PROPRES ET TÊTE HAUTE »
En France, le principal parti à être atteint dans son
image est le Front national, qui, pour se différencier des partis « du système », aimait brandir le slogan « Mains propres et tête haute ». Or, il apparaît
que deux proches de Marine Le Pen ont imaginé
un système offshore très sophistiqué pour faire
sortir 316 000 euros de la société Riwal, principal
prestataire pour la communication du parti. Le
père, Jean-Marie, lui, est soupçonné de s’être servi
de son homme de confiance pour dissimuler une
partie de sa fortune. Comme toujours, les Le Pen
démentent et se posent en victimes, mais la posture devient de moins en moins tenable. Le poison des affaires colle désormais aux basques de
l’extrême droite, sans pour autant blanchir les
partis de gouvernement, car les révélations qui af-
IRRÉCONCILIÉ
fluent viennent bousculer un système qui, depuis
la crise de 2008, multiplie les déclarations contre
l’évasion fiscale mais peine à faire le ménage.
Dans la foulée de l’affaire Cahuzac, François Hollande s’était érigé en roi de la transparence, mais
les « Panama papers » prennent à revers Michel
Sapin, obligé de convoquer d’urgence le patron de
la Société générale pour lui demander des explications sur ses comptes offshore. Le ministre des finances annonce que la France va réinscrire le Panama sur la liste des pays non coopératifs en matière fiscale, alors que Nicolas Sarkozy avait décidé
de le faire sortir de cette liste en 2012.
Dans la foulée, François Bayrou s’étonne sur LCP
qu’on laisse fleurir, en marge des règles de financement de la vie politique supposées strictes, une
foultitude de micropartis. Le patron du MoDem
demande que ce soit un comptable public et non
un responsable politique qui signe les chèques.
Les « Panama papers » ont frappé juste : le débat
sur la transparence ne fait que (re) commencer. p
[email protected]
On connaît la suite : par miracle, l’année suivante, le
poème tombe entre les mains de Cocteau. Un an plus
tard, ce sera Sartre. Six ans plus tard, Jean Genet signe un
contrat chez Gallimard pour l’édition de ses œuvres
complètes.
L’histoire est extraordinaire mais, le plus extraordinaire, c’est l’auteur. Il ne supporte pas sa réussite, elle le
fait carrément vomir. Il en veut à Cocteau, à Sartre, surtout il s’en veut. Il s’est sauvé, il est sorti de prison, mais il
est passé de l’autre côté. Il est maintenant dans le camp
de ceux contre qui il écrivait. Il a trahi – et, de cette prison-là, il n’y a pas d’issue.
Malgré sa tristesse qui ne finira jamais, Genet va pourtant tenter l’impossible, qui n’est possible qu’en littérature. Il va tâcher, en mettant à leur service la plus fastueuse des fêtes du langage, de rester fidèle à ceux qu’il a
trahis : les enfants criminels, les voleurs minables, les
bandits foireux, les bonnes assassines… Plus tard, il dira
aussi la rage des « nègres », l’humiliation des colonisés.
Et plus tard encore, nouant son histoire à la leur, les
Blacks Panthers et les Palestiniens. Il meurt à l’hôtel,
sans avoir jamais habité nulle part, irréconcilié. p
albert dichy
A l’occasion du 30e anniversaire de la mort de l’écrivain
et de l’exposition « Jean Genet, l’échappée belle », que lui
consacre le MuCEM à Marseille, du 16 avril au 18 juillet.
24 | 0123
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
INTERNATIONAL | CHRONIQUE
p a r a l a in fr a cho n
Démocratie,
nostalgie
A
la bourse des modèles
politiques, la démocratie libérale est en
baisse. Le monde est
moins démocratique qu’il ne
l’était il y a dix ou vingt ans. Dans
les démocraties elles-mêmes, la
marée reflue aussi : certains pays
deviennent moins libres. Vent
mauvais, un vieux tropisme autoritaire rôde, de-ci de-là, au Sud et
au Nord. En un petit quart de siècle, le baromètre de l’Histoire
semble avoir changé de cap.
Il y a vingt-cinq ans, on célébrait
la chute du mur de Berlin. Nelson
Mandela sortait de prison. Le Chilien Augusto Pinochet commençait à passer la main. A Moscou,
Mikhaïl Gorbatchev levait le couvercle : les satellites de l’URSS prenaient leur liberté. A Washington,
vieux combattant de la guerre
froide, le président George H.
W. Bush saluait « des changements de proportions bibliques ».
Un jeune homme de 43 ans, « baby-boomer » jouisseur, Bill Clinton, allait lui succéder.
Horizon politique indépassable
« On avait l’impression que c’était
la fin d’une époque de répression
et d’autocratie », confie, nostalgique, un des plus prometteurs jeunes historiens britanniques, Peter
Frankopan, chercheur à l’université d’Oxford. « Partout dans le
monde, des dictatures étaient balayées », écrit-il dans le Financial
Times. Tout était lié, le modèle démocratique comme horizon politique indépassable et la croissance économique en bonus.
L’ensemble était porté par la révolution technologique et l’ouverture des frontières. Les conseillers
économiques de Clinton pensaient même avoir trouvé la martingale pour abolir les cycles en
économie : il n’y aurait plus que
des « hauts ».
Dans la presse, on y croyait, on
gobait volontiers : faites sauter les
bouchons ! On traversa nombre
de guerres et d’aventures guerrières – des Balkans aux attentats de
2001 en passant par l’Afghanistan
et l’Irak – sans pour autant douter,
comme l’écrit Frankopan, que « la
démocratie libérale allait triompher, s’imposer comme le système
politique idéal par excellence ».
L’histoire était à sens unique, risquait un essayiste.
Il faut déchanter. Elections libres, séparation des pouvoirs, indépendance de la presse et de la
justice, libertés publiques, ce qui
compose la mécanique compliquée d’une démocratie libérale,
tout cela est à la baisse. L’attractivité du modèle est contestée, rapporte Freedom House. Cette ONG
surveille les évolutions de la pratique démocratique dans 195
pays. « 2015 a marqué la chute de
la liberté en général pour la
dixième année d’affilée », note-telle dans son dernier rapport, fin
janvier. Seuls 43 pays ont avancé ;
dans 105 autres, les libertés reculent. C’est vrai dans les économies
émergentes, où le modèle autocratique domine et progresse.
C’est vrai aussi dans le monde occidental, où le modèle libéral régresse.
La « tentation autoritaire », que
pointait récemment Jean-Claude
Guillebaud dans L’Obs, reprenant
LE MODÈLE
DÉMOCRATIQUE
ARRIVERAIT EN
BOUT DE CYCLE,
FAUTE D’AMBITION
COLLECTIVE
LA « TENTATION
AUTORITAIRE »
N’ÉPARGNE
NI LES ÉTATS-UNIS
NI L’EUROPE
une formule du politologue Yves
Sintomer, n’épargne ni les EtatsUnis ni l’Europe. Elle sort sa vilaine tête de gorgone sous les
traits d’un Donald Trump outreAtlantique. Elle affleure chez les
démagogues ultranationalistes
anti-européens, au pouvoir ou aspirant à y accéder. Les uns et les
autres sont les exploitants en
chef de ce qu’un freudien appellerait volontiers aujourd’hui : « malaise dans la mondialisation ».
Le Donald vante les mérites de
la torture, stigmatise les minorités, méprise les corps intermédiaires et promet l’organisation
d’une rafle policière monstrueuse pour chasser du pays
11 millions de travailleurs illégaux. En Europe, les Viktor Orban
à Budapest, Jaroslaw Kaczynski
– le chef de la formation au pouvoir, le parti Droit et justice – à
Varsovie, instaurent une forme
de « démocratie illibérale » à la
mécanique assez simple. Il y a
bien des élections et elles sont libres, assurément. Mais le scrutin
passé, le gagnant prend tout :
mainmise sur la justice, fonction
publique à la botte, radio et télévision publiques aux ordres.
Ce qui est rejeté, c’est l’horlogerie compliquée des pouvoirs et
contre-pouvoirs, cette manière de
faire coexister plusieurs vérités
pour accoucher de ce miracle
éminemment démocratique : le
compromis. La Turquie de Recep
Tayyip Erdogan est en bonne voie
sur ce chemin. Mais le produit le
plus accompli, le mieux fini, reste
la version moscovite. Tout naturellement, Vladimir Poutine est
l’idole des partis protestataires de
l’ultradroite européenne, notamment du Front national, et Trump
révère le président russe.
Précieuse conquête
Limitons la question : pourquoi
cette délégitimation du modèle libéral dans le monde occidental ?
Elle prend la forme d’une contestation générale des élites. Commentateurs et essayistes anglosaxons privilégient une piste :
l’économie. Associé, confondu à
la mondialisation économique, le
modèle n’a pas tenu ses promesses. Flux migratoires incontrôlés,
croissance anémique, destructions d’emplois et de statut, crise
de 2008, échelle sociale bloquée
etc. Le modèle politique démocratique libéral suppose des classes
moyennes dynamiques – pas
traumatisées par la globalisation.
Peut-être quelque chose de plus
profond est-il à l’œuvre. Tel qu’il
est incarné par le centre gauche
– la social-démocratie –, le modèle est l’aboutissement d’un approfondissement constant des libertés individuelles. Il est le stade
le plus avancé d’un mouvement
d’affranchissement libertaire, qui
explose dans la contestation des
années 1960, de Berkeley à Londres, en passant par Paris et Berlin, et arriverait en bout de cycle,
faute d’ambition collective. Peutêtre. Il n’en serait pas moins irresponsable de céder à l’illusion
autocratique ou de rester sans
réaction face à cette érosion continue du modèle démocratique libéral. Cette vieille, lente et précieuse conquête est moins garantie que jamais. p
[email protected]
Tirage du Monde daté jeudi 7 avril : 272 462 exemplaires
DIABÈTE : MALADIE
DE RICHES,
ÉPIDÉMIE
DE PAUVRES
L
a progression est régulière mais
spectaculaire : depuis 1980, le nombre de personnes vivant avec un diabète a quadruplé, s’approchant lentement
mais sûrement du demi-milliard d’adultes
dans le monde. Pendant longtemps, cette
maladie chronique a surtout touché les
pays riches, en tout cas pour ses formes les
plus fréquentes, liées au mode de vie et aux
habitudes alimentaires. Elle frappe dorénavant, en majorité, dans les pays à revenu
faible ou intermédiaire : le nombre de diabétiques, comme celui de décès liés au diabète et à ses complications, est désormais
plus élevé dans les pays en développement
que dans les plus développés.
Avec un peu plus de 5 % de sa population
adulte concernée, l’Europe de l’Ouest et du
Nord connaît le taux le plus bas de diabétiques, alors que, en Polynésie et en Micronésie, il frise les 25 %. Le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Asie du Sud-Est caracolent
en tête des régions les plus atteintes, et l’Algérie, la Chine ou le Mexique dépassent à
présent, en termes de prévalence du diabète, le Royaume-Uni, la France et même
les Etats-Unis, où, pourtant, l’obésité, l’un
des principaux facteurs de la maladie, atteint des records.
Consacrant la Journée mondiale de la
santé du 7 avril à la lutte contre le diabète,
maladie responsable directement ou indirectement de près de 4 millions de morts
par an, l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) sonne l’alerte. Certes, l’évolution démographique, combinant augmentation
de la population et de l’espérance de vie, est
la toile de fond de la progression du diabète. Mais l’OMS souligne que ce sont bien
les causes spécifiques de la maladie qu’il
faut combattre, c’est-à-dire, dans la plupart
des cas, les évolutions du mode de vie – urbanisation, sédentarité, activité physique
réduite, alimentation trop riche en graisses
et en sucres… –, des pays en développement.
Des politiques publiques ont été mises en
œuvre pour combattre ces mauvaises habitudes dans les pays à haut revenu et prévenir efficacement diabète et surpoids. Pas
encore de manière satisfaisante dans les
pays moins avancés. Par ailleurs, les outils
de diagnostic, de suivi et les traitements
antidiabétiques, s’ils freinent l’évolution de
la maladie et la survenue de graves complications, restent peu accessibles aux habitants des pays en développement. Un tiers
seulement des pays à revenu faible ou intermédiaire indique que leurs structures de
soins primaires sont « dotées des technologies les plus essentielles pour le diagnostic et
la prise en charge du diabète », s’inquiète
l’OMS.
L’institution pointe également le manque de financement et la mauvaise application des politiques nationales de lutte contre le diabète. Le prix des médicaments est
excessif, en particulier pour les insulines
humaines modifiées, de plus en plus prescrites et dont l’OMS doute « qu’elles présentent des avantages significatifs par rapport
à l’insuline humaine dont le coût est moindre ». Et représente souvent pour les patients diabétiques des pays en développement un fardeau à peine soutenable.
Parmi les objectifs de prévention et de
contrôle des maladies non transmissibles
qu’elle a fixés pour 2025, l’OMS a retenu celui de stopper la montée du diabète et de
l’obésité. Cela suppose une volonté politique tenace, des moyens et des équipements renforcés et la levée des obstacles,
notamment financiers, dans l’accès aux
médicaments. p
2
LA « UNE », SUITE
v ENTRETIEN
avec Alexander Kluge,
sur sa conception
de l’art, ses modèles…
3
MOTS DE PASSE
L’écrivain britannique
David Lodge
en cinq entrées
Alexander Kluge, l’œil ouvert
Le grand réalisateur allemand signe une magnifique « Chronique des sentiments »
4
LITTÉRATURE
FRANÇAISE
Malika Wagner,
Frédéric Ciriez,
Eric Laurrent
georges didi-huberman
philosophe, historien de l’art
5
LITTÉRATURE
ÉTRANGÈRE
Kate O’Riordan,
Alessandro Baricco
C
hronique des sentiments réunit le grand œuvre littéraire
d’Alexander Kluge. C’est un
livre extraordinaire, un livre-océan, dont le premier
volume (d’une série qui en
comportera cinq, peut-être six) ne fait pas
moins de 1 134 pages. Né en 1932, Alexander Kluge est connu comme un homme
d’images : on peut rappeler qu’il fut l’assistant de Fritz Lang et qu’il a, depuis, réalisé un nombre incalculable de films aux
durées elles-mêmes incalculables. Il est
tout autant un homme de pensées : il a
travaillé avec le philosophe Theodor
W. Adorno et n’a jamais cessé de réfléchir
– discutant inlassablement avec écrivains,
philosophes, artistes, sociologues ou historiens – sur le monde qui nous précède,
nous entoure et nous arrive.
C’est donc à partir de ces deux conditions – que Walter Benjamin (1892-1940)
avait aimé réunir dans le seul mot Denkbilder, « images de pensée » – qu’il est
homme de lettres au sens le plus radical,
le plus original du terme : un écrivain
sans limites. Rien de fortuit si les éditions
6
HISTOIRE
D’UN LIVRE
« La Bataille
du Vercors »,
de Paddy Ashdown
7
ESSAIS
Geneviève Fraisse
poursuit sa réflexion
sur l’histoire
de la différence
des sexes
C’est un livre
extraordinaire, un livreocéan, dont le seul
premier volume ne fait
pas moins de 1 134 pages
POL, qui accueillent le plus vaste éventail
des formes littéraires contemporaines,
ont décidé de publier ce grand œuvre
sous la responsabilité sans faille de Vincent Pauval.
Alexander Kluge écrit beaucoup, car il
observe beaucoup, apprend beaucoup,
pense beaucoup, aime beaucoup, critique
beaucoup, s’amuse beaucoup, s’émeut
beaucoup, invente beaucoup. C’est qu’il a
beaucoup, beaucoup d’imagination. En
ce sens, il est un grand romantique posant son regard sur notre rhizomatique
condition contemporaine. Ne vous précipitez pas à rabattre sur ce mot « romantique » quelque chose qui serait de l’ordre
du « romanesque » : cela n’a rien à voir. Et
c’est d’ailleurs ce qui paraîtra le moins familier – mais aussi le plus captivant, le
plus nouveau – au lecteur français qui se
veut, avant tout, lecteur de romans.
Chronique des sentiments, en effet, ne
ressemble pas du tout à notre Education
sentimentale. On ne suit pas le destin
d’un personnage à travers les péripéties
orientées de son histoire singulière : on a
plutôt l’impression de suivre cent mille
milliards de destins connectés entre eux
par une règle immanente et mystérieuse.
Là où les Cent mille milliards de poèmes
de Raymond Queneau avaient été créés
par l’opération d’une pure combinatoire,
les cent mille milliards d’images
d’Alexander Kluge surgissent de ses montages, encyclopédiques ou extravagants,
8
CHRONIQUES
v LE FEUILLETON
Eric Chevillard
dévore avec appétit
« L’Hippo d’Amérique »,
de Jon Mooallem
ALINE BUREAU
véridiques quoique invraisemblables,
d’événements ou de choses immenses ou
minuscules.
L’imagination mise en œuvre par
Alexander Kluge me semble très « romantique », mais dans le sens où Goethe
et Baudelaire en parlaient très précisément. L’imagination : c’est l’art de faire
surgir, disait Baudelaire, « les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies »… Elle est donc
une « faculté de connaissance », et non
pas cette « fantaisie personnelle » que le
poète récusait sévèrement. Elle est aux
antipodes de ce qui se pratique si souvent, en littérature, sous la forme de selfies autosatisfaits de leur inquiétude
même. Elle appréhende le monde et l’espace public à travers la mise en relation
inventive d’innombrables corps, gestes,
situations, pensées, choses ou événe-
Cahier du « Monde » No 22155 daté Vendredi 8 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément
ments partout glanés de par le monde ou
de par l’histoire… Sous ce point de vue, la
Chronique des sentiments tient à la fois
des Fusées baudelairiennes et des mille
petites collections accumulées par
Goethe dans sa maison de Weimar (fragments d’urnes funéraires, pierres semiprécieuses, échantillons de tissus, nids de
guêpes, oiseaux artificiels, jouets d’enfants, œufs monstrueux et j’en passe).
Comme Goethe, Alexander Kluge va sur
le terrain en archéologue, parle aux gens,
prend des échantillons, fouille les archives aussi patiemment qu’un philologue.
De tout cela, il compose un immense et
labyrinthique livre de contes. Il fait avec
notre réalité historique ce que les frères
Grimm ont pu faire avec nos fables enfantines. Il n’a certes pas, comme Goethe,
son carnet de dessins et sa boîte d’aquarelles. Mais une caméra : il fait image de
tout ce qu’il lit et il fait littérature de tout
ce qu’il voit ou entrevoit.
Il ne faut pas s’étonner qu’au fil des pages de Chronique des sentiments apparaissent des images – photographies, cartes, extraits de magazines populaires… –
dont les légendes sont elles-mêmes, souvent, comme de nouveaux récits inclus
dans le récit, comme lorsque, à côté d’une
carte du champ de bataille de Waterloo,
on peut lire que « de nombreux blessés ou
morts, une fois déshabillés, étaient des jeunes femmes », histoire de faire sortir l’histoire d’elle-même et de laisser nos imaginations en tirer quelques conséquences
troublantes. Il semble marcher sur les traces d’un Tolstoï revisité par Le Brouillon
général de Novalis ou Le Livre des passages de Walter Benjamin, tout cela dans
lire la suite page 2
10
RENCONTRE
Vincent Peillon,
l’homme politique
qui s’engage
en littérature
2 | .. à la « une » | Entretien
0123
Vendredi 8 avril 2016
suite de la page 1
une fraternité évidente avec des
auteurs tels que Thomas Mann,
Heiner Müller, W. G. Sebald ou
H. M. Enzensberger.
Alexander Kluge, en véritable
romantique, pense que ses plus
folles associations d’idées documentent un certain état objectif
du monde. Non seulement il imagine des histoires stupéfiantes,
mais encore il parvient à documenter les éléments objectifs de
cette imagination : par exemple,
en racontant l’histoire du sperme
de Nietzsche (mal) congelé, la mission de Heidegger en Crimée, ou
en faisant des gros plans narratifs
sur un clitoris de tigresse dans le
compte rendu d’un fait divers…
Non seulement il croit à la force
théorique des faits, dont parlait
déjà Goethe, mais encore il démontre la force poétique des
théories. C’est pourquoi, suivant
une intuition non réalisée du cinéaste Sergueï Eisenstein (18981948), il a pu construire avec Le Capital de Marx tout un univers de
récits et de séquences d’images
(textes et photogrammes magnifiquement édités par le Théâtre
typographique en 2014).
L’un des principes fondamentaux de cet art littéraire tient sans
doute à quelque chose que la modernité d’un Joyce, d’un Benjamin ou d’un Eisenstein tenait encore de Goethe : à savoir la certitude émerveillée que chaque cas
singulier, à condition qu’il soit fécond, se comporte comme un
« phénomène originaire » engageant, d’une certaine façon, la totalité du monde et de l’histoire
humaine.
C’est ainsi que Chronique des sentiments commence à peu près avec
la description d’une mouche
noyée dans un verre de Pernod
– mais non ! elle réussira à se sauver ! –, quand, une cinquantaine de
pages plus loin, c’est le lecteur luimême qui se sentira presque noyé
dans la description de la catastrophe de Fukushima. Kluge n’omet
pas de remarquer que, pour se sauver, la mouche a dû mettre un
temps qui équivalait pour elle à
plusieurs années de lutte. Il remarque aussi que les mouches existent depuis bien plus longtemps
que nous (18 millions d’années) et
que leur « lignée » survivra peutêtre bien à la nôtre.
De fait, l’art du récit semble,
chez Kluge, constamment tenu à
quelque chose comme un étonnement d’enfant (un enfant très
curieux, qui voudrait tout voir et
tout savoir, percer tous les secrets
du monde) : c’est un étonnement
devant le temps ou, plutôt, devant
les temps innombrables dont
chaque événement est tissé.
« Plus on scrute un mot de près,
plus il nous regarde de loin », disait l’écrivain Karl Kraus, que
Kluge se plaît à citer. Eh bien, il en
est des actes humains comme des
mots : chacun, si passager ou durable soit-il, porte en lui la rencontre de l’occasion la plus ténue
(le kairos des Grecs) et du destin le
plus profond, le plus immémorial
(l’aiôn des Grecs). Entre les deux,
le chronos de la « chronique » se
devait d’inventer de nouvelles façons de raconter l’Histoire dans
chacune de nos innombrables
histoires, petites et grandes, mais
toujours pétries de nos émotions
ou « sentiments ». p
Georges Didi-Huberman
chronique des
sentiments, livre i.
histoires de base
(Chronik der Gefühle),
d’Alexander Kluge,
édition et traduction
de l’allemand dirigées
par Vincent Pauval, POL,
1 034 p., 30 €.
Signalons, du même auteur,
Idéologies : des nouvelles
de l’Antiquité (Nachrichten aus
der ideologischen Antike.
Marx, Eisenstein, Das Kapital),
traduit de l’allemand
par Bénédicte Vilgrain, Théâtre
typographique, 128 p., 24 €.
propos recueillis par
marianne dautrey
L
e cinéaste et écrivain allemand
Alexander Kluge, qui publie Chronique des sentiments, a été un
proche du philosophe Theodor
W. Adorno (1903-1969). De passage à Paris, il a accepté de répondre aux questions du « Monde des livres ».
En France, on vous connaît comme
cinéaste et on vous découvre comme
homme de lettres…
J’ai toujours écrit. Adorno estimait que
c’était folie qu’un juriste comme moi
veuille faire de la littérature. Il pensait, en
outre, qu’il était impossible d’écrire après
Proust. Il m’a envoyé chez Fritz Lang,
pensant que le cinéma me passerait mon
envie de littérature. Sûr qu’il était, par
ailleurs, que le cinéma ne m’intéresserait
pas. Résultat : j’ai fait du cinéma comme
on écrirait des livres avec des images
mouvantes… De même qu’au fond j’ai
écrit des livres avec les moyens du cinéma, comme l’écrivain Peter Weiss.
En tant que cinéaste, votre action fut
politique et artistique : en marge
de vos films, vous avez réformé
le cinéma allemand et inventé
des outils de production…
Lorsque j’ai travaillé avec Fritz Lang, j’ai
été effaré de voir comment une industrie
stupide traitait ce grand maître des années 1920. C’était en 1959. J’étais son assistant sur Le Tombeau hindou. Il fallait
se battre pour tout : pour que l’architecte
construise en perspective et crée de la
profondeur, pour que la lumière ne soit
pas trop forte, pour que madame Debra
Paget, l’actrice, fasse un peu moins l’actrice. J’ai appris ce qu’est un génie et comment on détruit son travail. Nous nous
sommes organisés pour réagir contre
cette destruction. Nous avons imité la
Nouvelle Vague française. Après quoi,
nous avons produit notre propre cinéma
pendant vingt ans.
Vous parlez de « cinéma d’auteur »,
mais qu’est-ce qu’un auteur ?
Une personne capable de travailler en
équipe, en laissant la réalité s’immiscer à
l’intérieur, en rendant son équipe poreuse, perméable à la réalité. Quand je
suis complètement perméable, transparent comme du verre, alors je suis un bon
auteur. Dans Anita G. [1966], le gérant de
l’hôtel, un rescapé d’un camp de concentration, nous a raconté que, lorsque l’Armée rouge est entrée dans le camp, les
soldats ont distribué des armes aux prisonniers, mais que ceux-ci n’ont pas tué
les gardiens. On l’a filmé. C’était bien
plus important que l’action du film.
En cela, vous étiez proche de l’école
de Francfort, pour qui la tâche de
la philosophie était, entre autres,
de produire une critique de la réalité
sociale. Quel rapport avez-vous
avec cette « théorie critique » ?
En 1932, année de ma naissance, la
théorie critique était en train d’étudier la
GRAZIANO ARICI/LEEMAGE
L’auteur de « Chronique des sentiments », ancien assistant
de Fritz Lang, évoque sa vision de l’art et ses modèles
A. Kluge : «J’écris des livres
avec les moyens du cinéma»
montée du fascisme. Aujourd’hui, si
nous ne sommes pas exactement en régime fasciste, tous les éléments qui le
composent sont réunis. Ils sont simplement agencés autrement. C’est pourquoi, en 2016, la position de la théorie critique de 1932 est encore la mienne. Mon
travail consiste à essayer de faire le lien
entre les philosophes Theodor Adorno,
Gilles Deleuze, Félix Guattari, à faire que
ces contraires théoriques coopèrent. Raconter sert à réunir des microstructures
présentes dans la réalité, à les faire
coexister physiquement et à les rendre
poreuses. Le poète est celui qui collecte.
Montaigne, les frères Grimm, Goethe, Diderot sont d’immenses collectionneurs.
Je suis le poète de la théorie critique, qui
n’a guère accordé de crédit à la poésie.
Vous écrivez une « Chronique des
sentiments ». En allemand, « sentiment » (Gefühl) possède deux sens,
EXTRAIT
« L’élégante silhouette d’une femme
encore mineure, en provenance de
Chicago avec escale à Paris, arrive
par les airs pour se poser sur l’ancien
champ d’aviation de Weimar-Est, accompagnée de son avocat et d’un
commercial. Une cavalcade de véhicules conduit la jeune beauté à l’hôpital d’arrondissement. Un pathologiste la reçoit, lui aussi flanqué
d’avocats (venus de Halle). La nymphette se voit remettre un récipient
isotherme en échange d’un reçu et
regagne Paris dans la foulée. A l’Institut Pasteur, on mit à l’air libre ce
qu’elle avait apporté, avant de répartir le contenu dans plusieurs récipients pour analyse. Il s’agissait d’un
échantillon de sperme du philosophe
F. Nietzsche.
Il s’avéra que l’échantillon n’avait pas
forcément été congelé dans les règles
de l’art ; et la sœur du philosophe en
avait longtemps caché l’existence.
On l’avait prélevé un an avant la
mort du savant, c’est-à-dire à l’époque où l’on tenait son esprit pour
obscur. Le transport était assuré à
hauteur de 6 millions de dollars.
– Peut-on encore faire quoi que ce
soit de cette solution comprimée ?
– Rien qui ne soit aléatoire. Il manque l’historique de la congélation.
– Mais l’échantillon a bien été prélevé
après une masturbation attestée
historiquement ?
– Comme cela a été relaté. Un médecin était présent. »
chronique des sentiments,
« heidegger en crimée »,
p. 473-474
ce que l’on sent et ce que l’on ressent.
Comment s’articulent-ils ?
Le « sentiment » est un centaure, et l’intelligence qui le dirige ne se situe pas forcément dans la partie supérieure de
l’être, mais dans le corps du cheval.
Comme sous le chapiteau d’un cirque :
ceux qui ne peuvent réagir au réel sont
en haut, les trapézistes ne peuvent pas
réagir à Auschwitz, alors que le clown, les
ouvriers qui changent les décors le peuvent. Il faut avoir le contact avec le sol et
tendre la pensée… Il faut toujours confronter les deux sens. Par exemple,
l’oreille décide si un texte sonne juste ou
faux. Pour comprendre Hegel, il faut entendre qu’il écrit dans une langue primitive, un dialecte, le souabe, comme le
poète Friedrich Hölderlin [1770-1843].
L’émotion, elle, décide si je l’aime ou
non. Nous sommes nous-mêmes fragmentés et polyphoniques, quelque part
entre Bach et John Cage.
Votre « Chronique des sentiments »
ressemble à un inventaire infini,
avez-vous au départ, ou après coup,
une idée, un plan qui l’organise ?
Ce sont les choses qui ont un plan, il
faut savoir le lire. L’énigme réside dans
leurs relations entre elles. Il faut savoir
les lire telles qu’elles existent. Je suis un
archéologue, comme le philosophe Walter Benjamin. Je fais des fouilles. La poétique n’a rien à voir avec l’idée romantique, selon laquelle un poète crée un
monde. La poésie ne fait que révéler. Elle
donne à voir, à entendre le choral, la polyphonie de tous les événements. Le lieu
de mon écriture est une maison d’opéra,
la nuit, lorsque tous les opéras du
monde se mettent à chuchoter entre
eux, en secret.
Vous faites penser au « conteur »
que décrit Walter Benjamin : il parle
depuis la mort pour transmettre
à la postérité…
Parcours
1932 Alexander Kluge
naît à Halberstadt, dans
le centre de l’Allemagne.
1968 Lion d’or à la Mostra
de Venise pour Les Artistes sous les chapiteaux :
perplexes.
2009 Prix Theodor
W. Adorno pour
l’ensemble de son œuvre.
Banni sur les bords de la mer Noire, le
poète russe Ossip Mandelstam [18911938] écrit sur les traces d’Ovide. Moi, je
prolonge les textes anciens jusqu’à
l’amère réalité de la modernité. Ou je
prends un objet, un texte, j’en fais une
histoire et m’imagine la présenter au
dramaturge Heiner Müller. Ainsi, je continue à écrire avec ses yeux à lui. Les
morts ne sont pas morts. Ils vivent en
nous. Ma méthode est proche de celle
d’un Montaigne qui repêche un souvenir
de l’Antiquité, le met en relation avec un
dicton populaire et mêle tout cela en un
essai contre la guerre civile qui gronde.
Il faut aujourd’hui garder la trace de ces
personnes qui débarquent de la mer Egée
et traversent l’Europe, comme le fait Hölderlin dans Le Coin de Hardt, poème qui
décrit le buisson où s’est reposé le duc de
Wurtemberg en fuite. Elles traversent les
mêmes frontières que les habitants de la
RDA en 1989, les Hongrois en 1958, les
huguenots, comme la grand-mère de ma
grand-mère qui a dû quitter Paris pour
l’Allemagne et sans qui nous ne serions
pas là… Le conte est né avec le feu. C’est
en se rassemblant, la nuit, pour raconter,
qu’est née la communauté, la société. p
Mots de passe | 3
0123
Vendredi 8 avril 2016
La fabrique de David Lodge
Dans « Né au bon moment », l’écrivain britannique passe en revue les quarante
premières années de sa vie, et raconte ce que ses romans leur empruntent
raphaëlle leyris
A
81 ans, David Lodge passe à
l’autobiographie. Premier tome
d’une entreprise de récit de soi
appelée à en compter deux, Né
au bon moment couvre les quarante premières années de sa vie, depuis sa naissance, en 1935, à Londres, dans une famille
de « la classe moyenne la plus modeste »,
jusqu’à la publication, en 1975, de son cinquième roman, Changement de décor (Rivages, 1990). Education catholique, carrière universitaire, mariage, voyages…
L’écrivain anglais évoque ces étapes de son
existence et (c’est le plus intéressant) leurs
liens avec son œuvre romanesque. Au fil
du texte, il s’attarde également sur ses influences littéraires, à commencer par James Joyce, dont il fait sienne cette phrase à
un ami : « J’ai déjà les mots. Ce que je cherche, c’est l’ordre parfait de la phrase. » Voici,
dans le désordre, quelques termes qui racontent David Lodge.
Catholicisme Même si son père n’était
pas catholique, David Lodge a été élevé
dans cette foi et au sein de cette communauté, grandissant entre l’école confessionnelle et la paroisse en charge des loisirs. En terminale, la lecture d’écrivains
catholiques tels que James Joyce, Graham
Greene ou Evelyn Waugh a « affirmé » sa
foi et lui a apporté « un prestige littéraire
compensatoire », analyse celui qui, par la
suite, leur consacrera sa thèse. La morale
catholique et les questions soulevées, notamment, par le refus de la contraception, seront au cœur de plusieurs de ses
romans, à commencer par La Chute du
British Museum (1965, Rivages, 1991). Si,
après la naissance de leur troisième enfant, David et Mary Lodge décideront de
recourir à la pilule, plutôt que de faire
confiance à la méthode de contrôle des
naissances tolérée par l’Eglise et rebaptisée « la roulette du Vatican », le rapport au
catholicisme restera central dans nombre des romans de l’écrivain, tels Jeux de
maux ou Thérapie (1980, 1995 ; Rivages,
1993 et 1996).
Influences C’est à Portrait de l’artiste en
jeune homme (1916), de James Joyce, que
David Lodge doit d’avoir éprouvé « pour
la première fois le désir de [se] lancer dans
l’écriture ». Il a rendu de nombreux hommages à l’écrivain irlandais, dont le décalque du monologue de Molly Bloom,
d’Ulysse (1922), dans La Chute du British
Museum. Autre figure tutélaire : Kingsley
Amis, chef de file des Angry Young Men,
ÉRIC GARAULT/PASCO
les jeunes hommes en colère, « cette génération d’écrivains anglais qui ont
adopté, chacun à sa façon, une approche
critique et satirique de la société britannique d’après-guerre ». Lucky Jim (1954), fameux roman d’Amis, a eu, note-t-il, « une
influence aussi importante sur [son] travail qu’Ulysse, bien qu’il soit très différent
dans ses ambitions littéraires ». « Un paradoxe, confie-t-il, avec lequel je me débattrais plus tard. »
En matière d’humour, David Lodge affirme qu’il doit beaucoup aux émissions
de divertissement de la BBC, omnipré-
Témoin d’une époque
S’IL SOULIGNE à plusieurs reprises son sens de l’économie,
on ne saurait dire que David
Lodge l’applique à son autobiographie. Né au bon moment est
un livre qui fourmille de détails et d’anecdotes sur les quarante premières années de
l’écrivain : les différences sociales entre les familles de ses parents, ses souvenirs de la seconde guerre mondiale et des
bombardements de Londres, à
cause desquels l’enfant et sa
mère se déplacèrent beaucoup
(« une expérience intéressante,
c’est de l’argent en banque pour
un romancier, et il n’est jamais
trop tôt pour ouvrir un
compte », note-t-il) ; puis l’enseignement reçu à l’institut
Saint-Joseph, l’entrée à l’université, l’armée, le mariage
avec Mary après sept années de
cour chaste, les premières publications, la course d’obstacles
qu’est le début d’une carrière
universitaire, la naissance de
ses trois enfants, les relations
avec ses éditeurs…
On pourrait s’étonner d’une
dissonance entre le ton très
humble employé par l’auteur et
cette profusion d’informations
sur son existence, mais ils n’ont
rien de contradictoire : David
Lodge se considère simplement
comme un témoin d’une époque qui lui a donné « beaucoup
de choses à écrire », et où l’Angleterre a vécu nombre de bouleversements profonds.
D’où la simplicité exhaustive
avec laquelle il rapporte ce qu’il
a vécu. S’il distille un humour
discret tout au long de ces pages, il serait faux d’affirmer
qu’elles font autant rire qu’un
roman de David Lodge. Cependant, on sort de ce texte, qui offre nombre de clés de son
œuvre, avec l’envie irrésistible
de la (re)lire en entier. p r.l.
né au bon moment
(Quite a Good Time to Be Born.
A Memoir, 1935-1975),
de David Lodge,
traduit de l’anglais par Maurice
Couturier, Rivages, 576 p., 24 €.
sentes après-guerre, ainsi qu’à Jerome
K. Jerome et à son Trois hommes dans un
bateau (1889), lu à de nombreuses reprises – une thésarde travaillant sur son
œuvre lui fit remarquer cette proximité.
Université Si David Lodge estime être Né
au bon moment, c’est d’abord parce qu’il a
appartenu à la première génération de
Britanniques qui bénéficièrent d’un enseignement secondaire gratuit et de bourses pour les étudiants calculées sur les revenus familiaux. A 14 ans, il proclamait
qu’il deviendrait plus tard « journaliste
sportif », mais c’était avant que son premier mentor, un professeur nommé
Malachy Carroll, donne à sa classe un devoir sur « les techniques de la poésie » – il
attribue sa spécialisation dans le domaine
de l’analyse stylistique et linguistique à
cette première occasion de réfléchir sur
« la métrique, l’organisation des rimes ».
Sa carrière universitaire, entièrement
effectuée, de 1960 à 1987, à l’université de
Birmingham, ne lui a pas seulement permis de disposer de temps pour écrire, ni
fourni la toile de fond de ses « romans de
campus ». Il juge que ces deux activités se
sont complétées : « On me demande souvent comment je suis parvenu à allier écriture romanesque et critique analytique,
laissant entendre que celle-ci inhibe la
créativité. Bien au contraire, j’ai jugé
qu’elle me rendait plus sensible aux potentialités expressives de diverses techniques
et me permettait de résoudre les problèmes de composition que je rencontrais, de
même que le fait d’être romancier m’aidait
indubitablement à analyser des romans
écrits par d’autres écrivains. »
Amitiés La carrière universitaire de
David Lodge a également été l’occasion,
pour lui, de tisser de profondes amitiés
avec d’autres auteurs, auxquels il consacre de nombreuses et belles pages. Ainsi
du critique Park Honan, dont il s’est senti
immédiatement proche, dès leurs premiers échanges durant sa thèse. Ainsi du
EXTRAIT
« Evidemment, il n’était pas question d’utiliser des moyens contraceptifs interdits par l’Eglise. Notre conviction qu’il s’agissait d’un
péché mortel était aussi forte que notre croyance en la divinité
du Christ ou en la doctrine de la transsubstantiation – plus forte,
peut-être. Elle reposait sur ce que l’on appelle la Loi naturelle (…),
à savoir que la finalité de l’acte sexuel (et la raison pour laquelle
celui-ci est réservé aux couples mariés) est la procréation, et
contrevenir à cette finalité revient à placer la volonté humaine
au-dessus de celle de Dieu. Notre soumission à cet enseignement
était facilitée par le fait que (…) la contraception nous semblait
une laide intrusion dans l’acte amoureux (…). Pour preuve, il n’y
avait pas de poème d’amour célébrant le préservatif. »
né au bon moment, page 321
romancier Malcolm Bradbury, dont
l’œuvre, qui n’est pas traduite en français,
affiche plusieurs points communs avec
celle de Lodge, parmi lesquels le tropisme
pour le milieu universitaire – il est souvent arrivé, raconte l’auteur, que l’un soit
félicité pour des romans écrits par l’autre.
A Birmingham, « Davido », ainsi qu’il y
était surnommé, a également côtoyé le
grand sociologue Richard Hoggart,
l’auteur de La Culture du pauvre (1957, Minuit, 1970), une lecture fondatrice ; il a
consacré à cet ami précieux un texte
dans Des vies à écrire (Rivages, 2014).
Parmi les rencontres importantes que lui
a permises sa carrière, il revient également sur celle, durant une année
d’échange universitaire aux Etats-Unis,
avec l’écrivain américain Leonard Michaels – auteur du magnifique Sylvia
(1992, Christian Bourgois, 2010).
Comédie Si la notion de comédie est devenue indissociable du nom de David
Lodge, ce n’est pas la première veine que
l’écrivain a creusée – même si ses premiers textes, comme The Picturegoers
(1960, non traduit), n’étaient pas dépour-
vus d’humour. Mais, pour qu’il adopte ce
registre, il aura fallu les encouragements
de son ami Malcolm Bradbury. Le même
lui avait donné l’idée, au tout début de sa
carrière académique, de gagner un peu
d’argent en écrivant des pièces humoristiques pour des journaux – à cette occasion, Lodge a « pris l’habitude de noter certains aspects de la vie quotidienne qui se
prêtaient à la parodie ou à la satire ».
En 1964, il entame l’écriture d’« un roman à propos du dilemme moral que posait la contraception aux couples catholiques » – qu’il envisage d’emblée comme
un roman comique. La Chute du British
Museum sera son premier grand succès.
Après un détour par l’assez linéaire Hors
de l’abri (1970, Rivages 1994), le plus autobiographique de ses romans, il continuera d’explorer ce sillon drolatique pour
Changement de décor – inspiré de son expérience d’un an dans une université
américaine. Suivront Jeu de société, Un
tout petit monde, Nouvelles du paradis,
Jeux de maux (Rivages, 1989, 1991, 1992,
1993)… Mais de cela, il devrait être amplement question dans le deuxième tome
des Mémoires de David Lodge. p
4 | Littérature | Critiques
0123
Vendredi 8 avril 2016
Malika Wagner met à nu les sentiments complexes d’une jeune femme
marquée par la honte de ses origines. C’est le délicat « Effacer sa trace »
APARTÉ
Taches de naissance
Lecture
à risques
VOILÀ UNE LECTURE fortifiante, puisque
vous le valez bien. Oubliez que lire « est
un acte dangereux », laissez-vous tenter
par les délices du bovarysme contemporain grâce au troisième livre de Frédéric
Ciriez, Je suis capable de tout : promis,
l’ivresse n’aura pas ce goût moisi du romantisme à l’eau de rose qu’on lui trouve
chez Flaubert, mais celui terriblement
exaltant du coaching mental et des boissons énergisantes. Julie veut y croire, en
tout cas, à la méthode de développement
mental dans laquelle elle s’est plongée le
premier matin des vacances, sur une
plage naturiste de l’île du Levant, proche
du fort de Brégançon où, dit-on, la présidente de la République passe le week-end
en compagnie d’un acteur réputé.
Divorcée depuis peu, spécialiste du
vent et des éoliennes, Julie en oublie sa
fille adolescente, elle-même embarquée
dans un manga érotico-sentimental à
hauts risques. « En transat », mais en
transit vers une vérité enfin accomplie
d’elle-même, Julie s’enivre de ses futures
conquêtes, et c’est elle qui souligne le
best-seller que nous lisons par-dessus
son épaule : « Oui, vous allez vous reprendre. Agir. Vous projeter de nouveau. Désormais, vous et moi, nous allons partager
quelque chose de durable : le succès. »
Coach de stars, l’auteur de la méthode est
un ancien champion olympique qui prétend partager des leçons d’un cynisme
accompli – c’est d’ailleurs un chien qui
lui a appris à se dépasser, un lévrier
afghan avec lequel il s’entraînait, adolescent. Il ne croit en rien sinon en luimême : suivez l’exemple et le monde deviendra le fruit juteux qu’il promettait
d’être dans la bouche qui le croque.
gladys marivat
D
isons-le tout de suite,
l’héroïne d’Effacer sa
trace n’est pas sympathique. Une Parisienne
qui rentre du travail à 20 heures,
avec pour seule envie de purger
son esprit en admirant sa bibliothèque, une bière achetée « chez
l’Arabe » collée aux lèvres. Matérialiste, glaciale, elle se félicite
d’avoir acquis son appartement
dans l’Ouest parisien au bon moment, « suite au décès d’un aristocrate fauché », et refuse de prendre l’ascenseur avec les voisins :
« La politesse exige de bavarder.
Or, quand je rentrais du travail,
c’était la dernière chose dont
j’avais envie. Je bavardais beaucoup dans mon métier et les paroles inutiles me résonnaient chaque
soir à travers le corps. »
Qu’allons-nous lire ? Le portrait
de l’être humain contemporain,
individualiste, indifférent, vampirisé par son entreprise de communication ? Malika Wagner affectionne ce thème qu’elle a
creusé dans Le Château d’eau (Actes Sud, 2001). Mais ce n’est pas
tant le monde du travail qui intéresse ici l’auteure que ce qu’il permet de fuir : la famille. Car, quand
la vie professionnelle offre l’illusion de se réaliser, de se réinventer, la famille, au contraire, renvoie chacun, inéluctablement, à
un milieu et à des gens que l’on
n’a pas choisis et qui, malgré
nous, nous obligent. En découle
ce sentiment que la littérature n’a
pas fini de sonder : la honte.
Ainsi, la tour d’ivoire de la narratrice s’effondre-t-elle à cause d’un
simple coup de fil de sa sœur. « J’ai
décroché et ma sœur m’a annoncé
que notre père venait de mourir.
J’étais indécise : il fallait que je me
JESSE MARLOW/AGENCE VU
repose, le lendemain je travaillais.
D’autre part, quand un père meurt,
on se rend à son chevet. » Impassible et soucieuse de respecter les
usages, telle le Meursault de
L’Etranger, elle va paradoxalement déployer une énergie folle
pour se détourner de ce qu’elle
peut ressentir.
« Vrai tabou »
Lentement, la silhouette d’un parent honteux se dessine. Un
ouvrier qui a régné en tyran sur sa
famille, dépensant tout son argent
au jeu. Mais aussi un personnage
loufoque, qui n’a jamais réussi à
EXTRAIT
« L’imam s’avança vers la fosse. Le silence planait sur la colline où l’on
n’entendait plus le chant des oiseaux ; la nature avait cessé de respirer,
son cœur de battre. Il entonna une lente récitation que la foule ponctuait
d’Allahou Akbar sobres et puissants comme des salves de fusil. Nous avons
esquissé un signe de prière chrétien, tandis qu’autour de la tombe les paumes
n’étaient pas jointes mais tournées vers le ciel. En corrigeant notre erreur,
nous espérâmes que personne ne l’avait remarquée. A cet instant, j’eus la
certitude que nous étions de vrais étrangers, des cailloux lancés au hasard.
Non seulement sur la terre de notre père, mais aussi partout ailleurs. Nos
bonnes manières et nos diplômes ne pouvaient remplacer le lien essentiel,
susceptible d’orchestrer, à partir de mélodies disparates, une symphonie
harmonieuse. »
effacer sa trace, pages 147-148
aimer les siens comme il l’aurait
voulu. « Venir du bas et s’élever
dans la société : beaucoup de gens
l’ont fait, beaucoup de gens y pensent, personne n’en parle, confie
Malika Wagner au “Monde des livres”. Dire que son père a été le dernier sur l’échelle sociale et que vous
avez dû cacher qui il était pour gagner votre place, car c’était ça ou
mourir, c’est transgressif, c’est le
vrai tabou de notre société contemporaine. » La force de son roman
réside dans une tension, habilement dosée, une écriture précise
qui aborde les sentiments les plus
complexes avec une rare fluidité.
Et toujours ce rapport affectueux
et délicat à ses personnages.
Dans un jeu de poupées russes,
on apprend, au milieu du roman,
que le père est né en Algérie et a
épousé une Française, la mère de
l’héroïne, à Paris. « J’estimais qu’on
était arrivés à maturité pour montrer un personnage de père d’origine maghrébine qui ne soit pas le
stéréotype du brave type sur lequel
on va pleurer, explique la romancière. Il y a eu ce besoin de dire :
“Nos parents ont été tellement humiliés, mais ils ont du mérite.”
C’était normal. Maintenant que
cette pierre a été posée, on peut
montrer un personnage plus com-
plexe, un être humain déroutant,
attachant, qui cherche sa liberté. »
Malika Wagner a attendu dix ans
après la mort de son père pour
écrire ce livre. Comme Terminus
nord, son premier roman (prix
Walser, Actes Sud, 1992), il est librement inspiré de sa vie : elle a
grandi à La Courneuve, en SeineSaint-Denis, son père était algérien, sa mère, française.
Cette fois encore, ce
n’est ni dans la sociolo- effacer
gie ni dans l’intime que sa trace,
l’écrivaine va chercher, de Malika
mais dans l’évocation Wagner,
symbolique. Dans la Albin Michel,
dernière partie d’Effacer 192 p., 16,50 €.
sa trace, l’héroïne accepte des funérailles traditionnelles en Algérie, après avoir aperçu
un perroquet – la réincarnation du
père ? – dans sa bibliothèque. Loin
d’offrir la possibilité d’une réconciliation, le voyage prendra des airs
de vaudeville tragi-comique, laissant à la narratrice le sentiment
d’être une « aberration ». La mort
du père a ravivé sa trace.
De cela, l’héroïne ne sait encore
que faire. Son confort est bousculé.
Mais cette liberté semble bien plus
grande que la forteresse petitebourgeoise qu’elle s’était bâtie
dans l’Ouest parisien. p
Plus fort que la mort
Sauf que c’est Julie, évidemment, que le
premier Giacomo venu va croquer, à l’issue d’une course aveugle au plaisir érotique que l’auteur de Mélo (Verticales,
2013) décrit avec fantaisie et brio. Au
grand jeu de la parodie du coaching, c’est
bien lui qui nous entraîne aux risibles
transgressions, et de fait la question s’impose bientôt : qui dit « je », à la vérité, sur
la couverture du livre ? Qui se veut « capable de tout », et même d’accoupler ses
personnages sur une tombe anonyme
dont l’inscription entamée par le temps
laisse deviner quelques lettres : « F.E.ERIC
C.RIEZ » ? Qui est plus fort que la mort, le
coach qui l’aurait affrontée et vaincue en
haut d’une tour de Dubaï, ou l’auteur féerique qui la peint en pauvre séductrice
inflammable, kitsch à souhait ?
On est toujours (un peu, beaucoup, passionnément) ce qu’on dénonce : en avoir
conscience ouvre Frédéric Ciriez à une
empathie qui est sa force. Parce que, oui,
évidemment, Julie, c’est lui, comme
aurait dit Flaubert. Au point de faire
preuve à son égard d’une tendresse véritable : celle du cannibale récemment
converti, à l’instant de ficeler l’agneau
pascal. p bertrand leclair
a Je suis capable de tout, de Frédéric Ciriez,
Verticales, 288 p., 20 €. Signalons, du même
auteur, la parution en poche de Mélo, Folio,
336 p., 7,70 €.
Une sainte pin-up
Dans « Un beau début », Eric Laurrent brouille les pistes autour de son héroïne à la Zola, tour à tour sublimée ou méprisée
florence bouchy
D
e la phénomanie. Essai sur le désir d’être vu à l’ère des mass media est un livre qui n’existe pas,
ce qui n’empêche nullement
Eric Laurrent de l’invoquer comme source
au bas de la page 120 d’Un beau début. Prétendument publié en 2005 aux éditions
Gallimard dans la collection « Connaissance de l’inconscient », l’ouvrage pourrait en effet constituer le versant théorique d’un diptyque qu’il formerait avec ce
nouveau roman. Car Un beau début peut
se lire comme une étude de cas, et comme
la généalogie passablement ironique
d’une pathologie. Comment et pourquoi
Nicole Sauxilange qui, à 8 ans, fréquentait
la même classe et les mêmes cours de catéchisme que le narrateur, se rêvant
même un destin de sainte, a-t-elle pu tirer
satisfaction de sa trajectoire de pin-up, posant nue dans les magazines de charme
que des hommes esseulés épinglent au
mur de leur chambre ?
Sexualité et maternité précoces, viol et
inceste, personnages vivant de vols et de
trafics en tous genres, misère sociale et
culturelle : la lignée dont est issue Nicole
Sauxilange paraît tirée d’un roman de
Zola, transposé dans les années 19601980. Mais l’esthétique d’Eric Laurrent,
son goût du mot précis ou rare, sa syntaxe
parfois précieuse, les morceaux de bravoure que constituent volontiers ses
phrases, où il n’hésite pas à enchâsser
trois parenthèses, font d’Un beau début
tout autre chose qu’un roman naturaliste.
Ce qu’il est précisément s’avère, en revanche, difficile à affirmer, tant le roman
brouille les pistes et rend toute hypothèse
aussi juste que son opposée.
Ambiguïté du réel
Dans un récit que l’on lit d’abord
comme une pure fiction, l’auteur n’hésite pas, en effet, à glisser des éléments
tendant à témoigner d’une forme d’inspiration autobiographique. Né en 1966 à
Clermont-Ferrand, Eric Laurrent a sommairement les traits de son narrateur, lequel intervient de manière inattendue à
la première personne, comme pour attester le récit qui nous a été jusqu’ici
donné à lire. Pourtant, il suffit d’une ra-
pide recherche sur Internet pour vérifier
que la plupart des effets de réel (titres de
livres et de revues, noms des personnages) ne sont que des leurres.
Roman de l’ambiguïté du réel, de l’ambivalence sexuelle et sentimentale, Un beau
début est aussi celui de la réversibilité des
jugements de valeur. En
accordant à Nicole et à sa
un beau
famille peu reluisante les
début,
atours d’une écriture exd’Eric
trêmement recherchée,
Laurrent,
Eric Laurrent élève son
Minuit,
sujet à la dignité d’un ob208 p., 15 €.
jet littéraire de premier
plan. Avec Nicole Sauxilange, ce qui
aurait pu n’être que la trajectoire d’une
nouvelle Nana zolienne se transforme
presque en un conte de fées rondement
mené. L’enfant, qui avait « jusque-là souf-
fert de se sentir transparente aux yeux de
ses semblables », goûte enfin « au plaisir
d’être au centre de l’attention, c’est-à-dire
d’avoir un public et, plus que cela même,
des admirateurs ».
A l’inverse, le savoir-faire de l’écrivain,
son dandysme, ou tout du moins sa posture quelque peu aristocratique, creusent
parfois violemment l’écart entre son sujet
et le regard qu’il porte sur celui-ci, souvent proche de la moquerie et où se devine même une forme de mépris social,
similaire à celui qu’éprouve le premier
amant de Nicole lorsqu’elle lui propose
d’écouter Reality, la musique du film
La Boum (1980), choix qui semble « avoir
élargi la distance qui les séparait, au lieu
que de la réduire ». Récit indécidable, Un
beau début ménage efficacement cette
ambiguïté jusqu’à la fin. p
Critiques | Littérature | 5
0123
Vendredi 8 avril 2016
Dans « La Fin d’une imposture »,
drame familial puis angoissant
huis clos, Kate O’Riordan se joue
des registres avec virtuosité
SANS OUBLIER
Héros d’ado
Cousin littéraire de l’Antoine
Doinel de François Truffaut, le
narrateur de L’Anticorps promène
son adolescence canaille dans les
rues de son village d’Aragon. Plus
enclin à errer avec ses amis qu’à
tenir en place sur les bancs de
l’école, le garçon se bagarre,
rapine, philosophe, et regarde les
oiseaux depuis les toits. Sa mère
est partie ; son père boit et décline,
tandis que sa tante entretient
comme elle peut la maison.
Le film de cette jeunesse, qui se
déroule pendant la transition démocratique espagnole, Julio José
Ordovas le projette comme une
succession de diapositives. Ces
courtes scènes, aux notes mélancoliques et tendres, suggèrent
l’éveil à l’âge adulte dans un
monde rural et bourru, qui s’ouvre
progressivement à la modernisation. Chapelet de souvenirs épars,
ce premier roman évoque avec
finesse les rencontres qui forgent
à jamais une personnalité : ici, un
jeune curé iconoclaste, là, un marginal malade, ou encore des jumelles peu farouches… Un hommage
poétique aux
héros anonymes
d’une jeunesse des
années 1980. p
Les eaux troubles
du deuil
christine rousseau
A
vec quelques nouvelles
– pour affûter sa plume
et être remarquée par
l’écrivain irlandais Dermot Bolger – et cinq romans, Kate
O’Riordan s’est s’affirmée comme
l’une des plus fines entomologistes des passions humaines. Aussi
douée pour scruter les mouvements de l’âme que pour jouer
avec les ruptures de ton et les
changements de registre, l’auteure
irlandaise a démontré qu’elle pouvait passer dans un même récit de
la comédie conjugale la plus grinçante au drame ténébreux, à
l’image du Garçon dans la lune ou
de Pierres de mémoire (Joëlle Losfeld, 2008 et 2009), deux de ses
plus beaux livres. La Fin d’une imposture s’inscrit dans cette lignée.
A ceci près que, cette fois-ci,
O’Riordan n’opère aucun détour
satirique pour nous introduire
dans la maison cossue des Douglas, à Londres.
A quelques jours de Noël, ces derniers s’apprêtent à accueillir leur
fils Rob, de retour d’un voyage en
Thaïlande. Non qu’il soit attendu
comme le fils prodigue par Rosalie, sa mère ; cependant, celle-ci espère bien puiser dans ces retrouvailles la force de pardonner une
aventure extraconjugale à Luke,
son époux. Mais Rob est mort
dans un accident, comme vient le
leur annoncer la police.
« Quelques coups à la porte et
une obscurité insondable avait pénétré chez eux. En observant son
mari sous le choc et sa fille hébétée,
Rosalie sut avec une clarté limpide
qu’ils étaient désormais tous trois
en équilibre au bord d’un trou noir :
ils en connaissaient le cœur avant
que la noirceur en ait fini avec
eux. » Et cette béance ne se refermera qu’aux ultimes pages d’un
récit qui va prendre les allures
d’un huis clos angoissant que rien
ne laissait présager.
En effet, à l’issue d’un premier
chapitre où elle dépeint avec jus-
tesse cette fraction de seconde où
tout s’effondre, Kate O’Riordan
donne le sentiment qu’elle va accompagner avec douceur ses personnages sur le chemin du deuil.
Montrer, à travers leur souffrance
et leur vulnérabilité, la manière
dont la douleur fragilise les liens et
isole les êtres. Malgré son titre qui
intrigue, La Fin d’une imposture
conserve, au moins dans ce premier quart, l’apparence d’un récit
sur lequel serait tombé un voile de
crêpe noir, nimbant décor et personnages au bord de la rupture.
Du reste, six mois après le
drame, le fossé s’est creusé entre
Luke, toujours entre deux tournages de documentaires, et Rosalie.
Ils ont choisi de se séparer, provisoirement ; et, surtout, leur fille,
Maddie, est devenue ingérable. Un
soir, ils ne sont pas trop de deux
pour la conduire de force à l’hôpital après qu’elle a été agressée par
un gang de filles.
Incapable d’endiguer la culpabilité qui ronge Maddie et d’en connaître le fondela fin d’une
ment, Rosalie,
imposture,
épaulée par le
(Penance),
père Haynes
de Kate
– ami et confesO’Riordan,
seur de la fatraduit
mille –, l’inscrit
de l’anglais
dans un groupe
(Irlande)
de paroles où
par Laetitia
toutes
deux
Devaux, Joëlle font la connaisLosfeld, 384 p., sance de Jed. Sa
22,50 €.
beauté saisissante, sa douceur, sa simplicité quand il évoque
son parcours d’orphelin, élevé par
une grand-mère qu’il a négligée,
ses origines modestes : tout attire
chez ce jeune homme, sensible,
drôle et touchant.
Ange noir
Observant l’heureuse métamorphose qu’il provoque chez Maddie, Rosalie laisse Jed entrer peu à
peu dans leur vie et s’installer
sous leur toit. Et ce, malgré les mises en garde du père Haynes, gêné
par ce garçon mystérieux qui lui
rappelle ceux qu’il côtoie dans les
barres de HLM gangrenées de
violence ; malgré Luke, qui craint
que l’on ne découvre que sa fille
ariane singer
a L’Anticorps
(El Anticuerpo), de Julio
José Ordovas, traduit
de l’espagnol par
Isabelle Gugnon,
L’Olivier, 144 p., 16,90 €.
Ballotté par les flots
Kate O’Riordan. OLIVIER ROLLER
de 16 ans entretient une liaison
avec un garçon de 22 ans ; et surtout malgré le désir – quasi incestueux – qu’il suscite chez Rosalie.
Avec l’irruption de cet ange noir
au sein de ce trio meurtri, Kate
O’Riordan, instillant par petites
touches une atmosphère de
doute – quant à la mort accidentelle de Rob –, de trouble et de
malaise, change subrepticement
de registre. Sur le motif du deuil,
elle élargit sa toile, ouvre des pistes, entremêle les fils d’un récit
arachnéen où chacun se débat
pour surmonter le poids de la
culpabilité et du péché. Et se sauver du pire.
Si, sur ce troublant chemin de
pénitence (« Penance » est le titre
original du livre), la romancière irlandaise perd quelque peu de la
grâce mélancolique qui auréolait
Pierres de mémoire, elle montre
cependant d’autres talents : ceux
d’une redoutable conteuse qui ne
craint pas de jouer avec plusieurs
tabous. p
« Rosalie hocha la tête.
Elle avait tout à coup l’air
très déterminé. Le père Tom
se sentit presque soulagé.
La situation était encore
récupérable. Une semaine
plus tard, cela aurait été
différent. Trois personnes
dans un huis clos où les
limites intimes s’effaçaient et
la notion d’individu disparaissait… Tom connaissait trop
bien les familles en deuil pour
savoir qu’elles traversaient
souvent une période de flou
où les individus cherchaient
par n’importe quel moyen
à combler le vide laissé
par le défunt. Il était sûr que
la présence de Jed perturbait
ce processus. »
Les mots se bousculent. L’homme
semble affolé. « Nous avons un problème ici. Très forte gîte. Vingt à
trente degrés sur tribord. Pouvezvous venir ? » Il y a des grésillements sur la ligne. La situation est
critique. « Quelques minutes plus
tard, le bateau disparaît des radars
de surveillance côtière. » Septembre 1994, le navire Estonia a quitté
Tallinn pour effectuer sa traversée
quotidienne vers Stockholm.
A bord, plus de 900 personnes,
essentiellement des Suédois. Mais
le ferry n’atteindra jamais la
Suède… C’est le mystère de ce naufrage – dans une période particulièrement trouble de l’après-guerre
froide – que l’Allemande Anne
von Canal, née en 1973, a choisi
de mettre en scène à travers le personnage de Laurits Simonsen et
ses tentatives désespérées pour
réinventer sa vie. Un premier
roman virtuose où l’impossible
deuil s’exprime de façon subtile
et captivante. p florence noiville
la fin d’une imposture,
page 176
a Ni terre ni mer (Der Grund), d’Anne
von Canal, traduit de l’allemand par
Isabelle Liber, Slatkine & Cie, 250 p., 18 €.
EXTRAIT
Alessandro Baricco à la noce
Une femme est accueillie par la famille de son fiancé. Commencent alors d’étranges rituels initiatiques. Un roman envoûtant
fabio gambaro
L
a distance et l’attente
constituent toujours une
formidable matière littéraire, ouvrant la possibilité
de nombreuses surprises. Alessandro Baricco en fait la démonstration dans La Jeune Epouse, son
très beau nouveau roman, où la
perspective d’un événement espéré et redouté à la fois entraîne
les personnages vers des directions imprévisibles, en les obligeant à mettre à nu leurs sentiments et leurs secrets.
L’histoire se déroule quelque
part en Italie du Nord, au début du
XXe siècle. Une jeune femme de
18 ans, à peine débarquée d’Argentine, se présente dans une grande
maison familiale, où son fiancé
doit l’accueillir pour l’épouser.
Mais le futur mari est en voyage
en Angleterre, et personne ne
semble en mesure d’indiquer la
date de son retour. Pour la « jeune
épouse » commence alors une longue attente, durant laquelle elle
observe les règles et rituels de
cette étrange famille où l’on craint
la nuit, où « l’infélicité n’est pas la
bienvenue » et où les livres sont interdits. « Tout est déjà dans la vie, si
l’on prend la peine de l’écouter, et
les livres nous distraient inutilement de cette tâche », explique
Modesto, le vieux et prévoyant
majordome, qui est le gardien et la
mémoire de cet univers.
Grâce à ses conseils, la jeune
femme se fait vite une place dans
cette communauté habitée par
« une folie commune » et qui, à travers les bizarreries et un ordre
presque maniaque, croit pouvoir
dominer la réalité. Plus elle se rap-
proche des autres membres de la
famille – le père, la mère, la sœur,
l’oncle –, et plus elle découvre que
personne n’est vraiment ce qu’il
semble à première vue. Elle réussira ainsi à casser un vieux sortilège qui pèse sur le clan depuis
des générations. En retour, ils
l’initieront à la vie et à la sexualité, comme si la longue attente
n’était pour elle qu’une épreuve à
surmonter afin de gagner sa liberté et le droit de retrouver
l’homme à qui elle était destinée.
« Effet de dérive »
Comme souvent, Baricco adopte
l’atmosphère et les contours
fuyants d’un conte de fées réaliste,
se laissant de temps en temps aller
à des trouvailles presque surréelles. Pour « éclairer la géométrie des
faits », il se sert d’une langue apparemment simple mais très riche,
élaborée et même parfois solennelle. Toutefois, il surprend sou-
vent le lecteur : à plusieurs reprises et sans préavis, le narrateur
cède la parole aux personnages,
qui, chacun à sa façon, racontent
ce qu’ils sont en train de vivre,
leurs émotions, leurs souvenirs.
la jeune épouse
(La Sposa Giovane),
d’Alessandro Baricco,
traduit de l’italien par
Vincent Raynaud, Gallimard,
« Du monde entier », 224 p., 19,50 €.
Signalons, du même auteur,
la parution en poche de Trois fois
dès l’aube (Tre volte all’alba),
traduit de l’italien par Lise Caillat,
Folio, 128 p., 5,90 €.
Du reste, l’auteur explique au
« Monde des livres » ne plus
croire au « solide appui d’un narrateur clair et distinct », une fiction pour laquelle il a « perdu l’innocence nécessaire ». Avec ses
confessions, ses doutes et ses
soucis, le narrateur devient un
véritable personnage du roman.
Ayant perdu toute certitude, il
écrit « comme on pourrait faire
l’amour avec une femme, par une
nuit sans lune et dans les ténèbres
les plus profondes, et donc sans jamais la voir ». Il renonce à poursuivre la « mécanique parfaite »
du récit, en le laissant glisser loin
de sa trajectoire, dans « un apparent effet de dérive ».
Ainsi, ce roman de l’attente à
l’atmosphère envoûtante donne
lieu à une belle réflexion sur les
conditions de l’écriture, ses ambitions et ses limites. Par ce biais,
l’auteur de Soie (Albin Michel,
1996) et de Mr Gwyn (2011, Gallimard, 2014) se dévoile comme jamais. Auparavant, il avait toujours essayé de mettre « une distance magnifique » entre sa vie et
ses écrits. Avec La Jeune Epouse,
celle-ci commence peut-être à
s’estomper. p
▶Alessandro Barrico
est l’invité d’honneur du
premier festival Italissimo,
à la Maison de la poésie,
à Paris, jusqu’au 10 avril.
Il y échangera, entre autres,
avec son traducteur Vincent
Raynaud ou avec l’écrivaine
Maylis de Kerangal.
Maisondelapoesieparis.com
DAVID FOENKINOS
dédicacera son roman
Le Mystère Henri Pick
(Ed. Gallimard)
le samedi 9 avril à partir de 16h
à la librairie
L E D I VA N
203, rue de la Convention, Paris 15e
Métro Convention
01 53 68 90 68
6 | Histoire d’un livre
0123
Vendredi 8 avril 2016
Au service secret du maquis
Paddy Ashdown, ancien espion britannique, éclaire le rôle méconnu
joué en 1944 par ses aînés dans « La Bataille du Vercors »
COLLECTION
voltaire. de
l’importance
du dialogue.
tolérance
et liberté
de pensée,
« Apprendre
à philosopher » (une
collection « Le Monde »),
vol. 5, 146 p., 9,99 €,
en kiosques depuis le 6 avril.
antoine flandrin
C
omment un Britannique peut-il oser écrire
un livre sur le maquis du
Vercors, symbole de la
résistance française ? Lord Paddy
Ashdown jure que cette question
l’a souvent terrifié. Ses amis
avaient pourtant tenté de le dissuader. « Mais lorsque l’on me met
en garde, la tentation n’est que plus
grande ! », avoue l’intéressé, non
sans humour.
A lire sa superbe description du
plateau du Vercors, on comprend
que cet homme de 75 ans est venu
chercher l’évasion plus d’une fois
dans le massif qui surplombe Grenoble. Ces contrées réputées inhospitalières, il les a en effet découvertes au milieu des années 1970, lorsqu’il était diplomate à la mission britannique
auprès des Nations unies à Genève. « Je faisais beaucoup de randonnées dans les Alpes », soufflet-il avec une innocence feinte.
En réalité, Paddy Ashdown était,
à cette époque, un agent des services secrets britanniques, chose
qu’il n’avouera jamais – « Il faudrait que je vous mange vivant
avant de le confirmer ! », plaisantet-il. Il revenait alors sur les traces
de ses aînés, les valeureux espions
du Special Operations Executive
mis sur pied par Churchill, qui firent plus qu’épauler, pendant la
seconde guerre mondiale, les divers mouvements de résistance
des pays d’Europe occupés par l’Allemagne.
« Mon expérience
dans les forces spéciales
me donne une bonne
idée de ce qu’on peut
faire avec peu d’hommes
dans un lieu aussi réduit »
Paddy Ashdown
L’ouvrage de Lord Ashdown
met l’accent sur la contribution,
peu connue, des espions britanniques et américains à la libération de la France. Ce furent eux
qui établirent la liaison entre le
maquis du Vercors, les quartiers
généraux des Alliés et ceux de la
France libre. Grâce à leurs informations, les avions alliés réussirent à parachuter des armes audessus du massif du Vercors à
partir de novembre 1943.
Ashdown montre qu’au moment du Débarquement en Normandie, les Alliés furent incapables de se mettre d’accord sur ce
qu’ils attendaient exactement des
Français de l’intérieur, tandis qu’à
Alger, où était basé le gouvernement provisoire de la République
Voltaire, rire
sans frontières
Jeunes résistants dans le Vercors, en 1944. RUE DES ARCHIVES/RDA
française, on avait déjà promis
aux maquisards du Vercors un
renfort de quatre mille parachutistes. Abandonnés par les étatsmajors, ils furent massacrés par
des troupes allemandes quatre
fois plus nombreuses, fin
juillet 1944.
Ces histoires de trahison, de lâcheté, mais aussi de courage et
d’abnégation, Paddy Ashdown
les connaît bien. Son père, John
Ashdown, officier de l’armée des
Indes britanniques, vint défendre la France en mai 1940. Lors de
l’évacuation de Dunkerque, Londres rappela en urgence tous ses
officiers. John Ashdown reçut
l’ordre d’abandonner ses soldats
du 14e régiment du Pendjab. Non
seulement il refusa, mais encore
il les ramena en Grande-Bretagne. Traduit devant une cour
martiale, il fut acquitté. La légende familiale dit que son supérieur fut condamné à sa place.
Né peu après, en février 1941, à
New Delhi, Paddy Ashdown a
grandi en Irlande du Nord, d’où
ses ancêtres étaient originaires.
Officier dans la Royal Navy, il a ensuite servi dans les forces spéciales à Bornéo, dans le golfe Persique et à Hongkong. Sur son chemin, il fait la rencontre de son
modèle, Herbert « Blondie » Hasler, l’un des rares survivants du
commando britannique chargé,
en 1942, de descendre la Garonne
en canoë pour couler des navires
allemands dans le port de Bordeaux. Un raid épique auquel
Paddy Ashdown a consacré l’un
EXTRAIT
« Le 30 juillet, il (Geyer) voulut prendre sa revanche en tendant à son
tour une embuscade à un commando allemand parti incendier une
ferme. Il lui infligea des pertes importantes, même si le succès n’était
pas complet, plusieurs de ses Sénégalais ayant ouvert le feu trop tôt.
Mais l’affaire lui coûta cher, car il avait ce faisant trahi le lieu de sa retraite. Les Allemands encerclèrent la hauteur où se trouvait son campement et entreprirent un ratissage en règle. Geyer était piégé. Il prit la
seule issue restée libre : une paroi pratiquement verticale par laquelle
il fit descendre ses hommes (sans corde), laissant les chevaux dans un
bois à la garde de deux cavaliers et Tournissa caché dans sa grotte.
Heureusement, les Allemands trouvèrent ni l’un ni les autres. Sitôt
achevée l’opération de nettoyage, Geyer remonta avec sa troupe et se
réinstalla au même endroit. »
la bataille du vercors, page 450
de ses neuf livres (A Brilliant Little
Operation, 2012, non traduit).
Assurément, l’homme compte
au moins sept vies, aussi trépidantes les unes que les autres.
Lorsqu’il quitte la Suisse en 1976,
il devient éducateur social dans
le sud-ouest de l’Angleterre, une
expérience qui l’encourage à entrer en politique. Député à la
Chambre des communes, il est
élu à la tête du Parti libéral-démocrate en 1989. Figure importante
de la vie politique britannique
pendant vingt ans, il occupe le
poste de haut représentant des
Nations unies en Bosnie-Herzégovine, de 2002 à 2006.
Paddy Ashdown assure que son
parcours lui a été utile pour raconter la bataille du Vercors : « Tant
Une Résistance héroïque
LORD ASHDOWN
donne parfois l’impression d’avoir côtoyé de près ces militaires, ces hommes
politiques et ces intellectuels qui firent du
Vercors l’une des bases les plus importantes de la Résistance française. Pour ne rien perdre de
l’esprit qui les animait, il a sollicité les
conseils des historiens Jean-Louis Crémieux-Brilhac, décédé en 2015, et
Gilles Vergnon.
Les premiers chapitres restituent
bien l’idéalisme de ces jeunes patriotes
inexpérimentés. Après que des armes
anglaises furent parachutées, la Milice
française mena des opérations de répression sur le plateau du Vercors, en
avril 1944. Galvanisés par l’appel aux armes lancé par de Gaulle le jour du Débarquement, de nouveaux volontaires rejoignirent le maquis. A Saint-Nizier, près de
Grenoble, les troupes allemandes prirent
la mesure de la résistance opposée par
les maquisards, au nombre de 3 000.
Mais le plan « Montagnards », qui prévoyait d’importants renforts, ne fut jamais appliqué. « S’il faut parler de promesses non tenues, elles n’ont pas été que
le fait des Français ; les Alliés y ont leur
part », écrit Ashdown.
Les troupes allemandes leur infligèrent
une écrasante défaite. Les survivants,
mal dirigés, sous-armés, se réfugièrent
dans la forêt. Au-delà de leurs erreurs de
jugement, l’auteur insiste sur le parcours
héroïque de ces maquisards. Traqués, ils
trouvèrent les ressources pour contre-attaquer au moment de l’avancée alliée sur
Grenoble. Selon lui, ils ont ainsi transformé leur terrible revers en victoire. Car,
malgré leur supériorité, les Allemands
n’atteignirent pas leur objectif d’annihiler la résistance dans le Vercors. p a. fl.
la bataille du vercors.
une amère victoire
(The Cruel Victory),
de Paddy Ashdown,
traduit de l’anglais par
Rachel Bouyssou, Gallimard,
486 p., 27,50 €.
que vous n’avez pas été au cœur de
l’action, vous ne pouvez pas comprendre le type de pression auquel
sont soumis les combattants, certifie-t-il. Mon expérience en tant que
commandant dans les forces spéciales me donne une bonne idée de
ce qu’on peut faire avec peu d’hommes dans un lieu aussi réduit. »
Au-delà du rappel des objectifs
militaires mal définis et des plans
téméraires, le livre convainc par sa
manière de replacer la bataille du
Vercors dans la stratégie des Alliés
et de la France libre. Selon Ashdown, aucun des trente livres
d’histoire ou récits publiés sur le
sujet n’y était parvenu. « Pas un
seul ne souligne le rôle crucial qu’a
joué l’opération Caïman », insiste
Paddy Ashdown. Pour de Gaulle,
ce projet de débarquement aéroporté dans le Massif central sous
commandement français devait
permettre à ses forces de jouer un
rôle majeur dans la libération du
pays. En optant pour ce scénario, il
faisait une croix sur le Vercors. Or,
n’ayant aucune chance d’être exécutée, l’opération fut définitivement rejetée par les Alliés, le
1er août 1944.
Ainsi, outre un récit fondé sur
l’exploitation des archives françaises, britanniques et allemandes, Ashdown livre ici une glaçante leçon d’histoire. « De Gaulle
a sacrifié le Vercors pour Caïman,
mais on ne saurait lui donner tort,
dans la mesure où il poursuivait
ses objectifs de redorer le blason de
la France et de lui redonner sa
place parmi les grandes puissances
mondiales. » p
AUJOURD’HUI, avec Internet et
les réseaux sociaux, la colère,
l’indignation d’une seule personne peut faire le tour de la planète à la vitesse de la lumière. On
connaît désormais la puissance
virale de l’esprit critique, et de
l’ironie en particulier ; on sait
que tout internaute qui souhaite
réveiller les consciences est susceptible d’embraser le monde
entier, pourvu qu’il ait le talent
de toucher les sensibilités et surtout de faire rire.
De ce point de vue, on peut dire
que les réseaux sociaux font
triompher un certain esprit des
Lumières tel que l’a incarné Voltaire (1694-1778), ce philosophe
sans frontières dont les textes vibrent au diapason du vaste
monde, ce penseur qui fit de
l’ironie un outil pour dénoncer
les préjugés, les injustices et l’arbitraire avec force mais aussi
avec générosité. Dans l’article
« Rire » de son célèbre Dictionnaire philosophique (1764), en effet, Voltaire distingue le rire vrai,
le rire combatif et gai, du rire
malin, méchant, qui ne vise pas à
libérer mais à rabaisser, à blesser : « Le ris malin, le perfidum ridens, écrit le philosophe, c’est la
joie de l’humiliation d’autrui. »
Un rire de liberté
Et de fait, si l’ironie de Voltaire
est si communicative, si elle se
répand promptement d’esprit en
esprit, c’est que chez lui le rire est
une arme d’émancipation massive, c’est un rire de liberté qui
n’a rien à voir avec le rire jaune
des lyncheurs, avec le spasme
des bourreaux, avec la convulsion des prêcheurs de haine. Du
reste, ses contes philosophiques
les plus célèbres, Candide (1759)
ou L’Ingénu (1767), retentissent
de mille éclats de rire, de ces
grands éclats de rire non seulement solidaires mais aussi participatifs, puisque Voltaire aimait à
dire que ses textes devaient être
écrits à moitié par leurs lecteurs
eux-mêmes, et qu’en ouvrant ses
livres on sent d’emblée à quel
point il fait confiance à ceux qui
le lisent, combien il mise sur leur
intelligence.
Ainsi Voltaire incarne-t-il une
tradition qui fait du rire instantanément partagé un moyen de briser « l’indifférence inhumaine », un
instrument pour rassembler une
communauté d’indignation. Avec
cette idée simple, à la fois modeste
et très ambitieuse, dont nous
avons hérité : si les textes, qu’il
s’agisse d’un livre ou d’un tweet,
ne peuvent pas toujours changer
le monde, un rire éclairé peut
néanmoins nous permettre de
maintenir une espérance, autrement dit de faire face au désespoir
et de le subvertir ensemble. p
Jean Birnbaum
Critiques | Essais | 7
0123
Vendredi 8 avril 2016
SANS OUBLIER
Trinité andalouse
Dans cet ouvrage, Antoinette
Molinié, anthropologue, étudie
le cycle de la semaine sainte
sévillane qui permet à la ville de
se régénérer une fois l’an. On y
croise des chars dorés, des pénitents cagoulés, un Christ-Roi
supplicié et une Vierge à l’armure
scintillante. Identifié à Dieu le
père, Jésus est mis à mort, puis
il fusionne avec Marie, source de
jouissance. Le cycle s’achève par
la « corrida de la Résurrection »,
qui inaugure la saison tauromachique, fête sexuelle aux allures
de virilité meurtrière. Ainsi se
déploie, selon l’auteure, un triangle œdipien composé d’un Christ
sacrifié, d’une mère sensuelle à
laquelle il faut renoncer afin que
s’accomplisse le retour du refoulé
paternel sous les traits du toro
bravo (taureau de combat) lâché
dans l’arène et livré à la mort.
Chaque année, le cycle se reproduit à la façon d’un accouchement : telle est la « passion selon
Séville », si caractéristique du catholicisme andalou.
Fascinant. p
julie clarini
N
ous avons donc
en France, depuis
deux mois, un
« ministère de la
famille, de l’enfance et des
droits des femmes ». Occupé, cela
va de soi, par une femme.
Aurait-on imaginé un homme à
ce poste ? Rousseau avait mis les
choses au clair dès Du contrat social (1762), texte qui fonde sous
bien des aspects notre conception contemporaine de la société
démocratique : séparation du civil et du domestique, et la femme
se contentera d’être, écrit-il
ailleurs, « la précieuse moitié de la
République ». « La précieuse moitié de la chose publique se tient à
l’écart, inutile de faire un dessin,
elle agit dans la famille, elle forme
les citoyens », souligne Geneviève
Fraisse dans « Rousseau, et les
deux “moitiés” de la République », l’un des articles qui constituent La Sexuation du monde. Réflexions sur l’émancipation, son
nouvel ouvrage.
Reprenant là une réflexion
qu’elle mène depuis longtemps
sur les deux gouvernements, celui de la famille et celui de la cité
(Les Deux Gouvernements, Gallimard, 2000), la philosophe souligne que la différence des sexes a,
en France, depuis la Révolution,
le « statut d’obstacle ». D’où ce
« travail de Sisyphe » auquel sont
contraintes les féministes : toujours recommencer, sans cesse
pointer l’obstacle. Le « déconstruire », en démonter les fausses
évidences. Et le surmonter.
La question stratégique n’est
pas seconde chez Geneviève
Fraisse, pour qui la réflexion
théorique se trouve profondément liée à l’engagement dans la
cité. La préoccupation renaît,
vive, de la répétition des préjugés. Mais comment ne pas s’enliser, ne pas tomber à son tour
dans une parole critique devenue
« ritournelle », s’interroge-t-elle
dans l’article « Voir et savoir la
contradiction des égalités » ?
Comment ne pas s’enferrer dans
une critique des stéréotypes parfois stérile ou dans la quête du
bon sujet politique (toutes les
femmes ? Ou les bourgeoises
contre les prolétaires ? Les Blanches ou les Noires ? etc.). Mais
aussi, comment avancer sans jamais lâcher aucun de ces axes ?
« Colère » (1972),
de Luis Peñalver Collazo.
AKG-IMAGES
Aux femmes la famille, aux hommes la cité… Geneviève
Fraisse montre avec brio la persistance de cette répartition
des rôles validée par la Révolution française
Inégales moitiés
L’actuelle directrice de recherche du CNRS, qui fut, elle, déléguée interministérielle chargée
exclusivement des droits des femmes (1997-1998), députée européenne (1999-2004) élue sur une
liste menée par Robert Hue (PCF),
explore depuis les années 1970 un
Lorsqu’on
en termine avec
le « de tout temps,
les hommes…,
les femmes… »,
surgit la liberté,
celle de changer
le monde
chemin qui lui est propre, signant
plusieurs ouvrages dont l’un fit
date, paru au moment du bicentenaire de la Révolution : Muse de la
raison. Démocratie et exclusion
des femmes en France (Alinéa,
1989). Elle y théorisait – cela bien
avant l’importation des « études
de genre » du monde anglo-
saxon – la « démocratie exclusive », exhumant la logique politique qui permit, de manière détournée, aux révolutionnaires de
laisser les femmes aux portes de
la citoyenneté.
Dans La Sexuation du monde,
elle insiste sur l’importance, à ses
yeux, de ce travail historique :
« Ma seule ambition philosophique est de convaincre de l’historicité des sexes. » Lorsqu’on en termine avec le « de tout temps, les
hommes…, les femmes… » surgit
la liberté, celle de changer le
monde : « Appartenir à l’histoire,
c’est imaginer sa possible transformation, un demain différent
d’aujourd’hui. » C’est se situer du
côté de l’émancipation.
« Deux pistes sont essentielles,
écrit-elle dans des lignes qui nous
semblent refléter son travail. La
généalogie de la pensée de l’égalité
des sexes depuis le XVIIe siècle et la
Révolution française, d’une part,
l’analyse des contradictions inévitables (internes et externes) avec
l’ensemble des politiques et des luttes, d’autre part. » Plutôt que de
refuser la contradiction, Geneviève Fraisse invite à l’« habiter ».
elisabeth
roudinesco
a La Passion
selon Séville,
d’Antoinette Molinié,
CNRS Editions,
370 p., 27 €.
Etre hors de soi
La force et l’originalité de sa pensée tiennent sans doute à cette faculté de supporter les tensions, à
sa volonté de les rendre visibles,
voire de les exacerber. La solution
ne réside pas dans l’illusoire résolution, mais dans la dynamique historique que la sexuation
génère la contradiction.
du monde.
Elle en donne l’exem- réflexions sur
ple dans les articles de l’émancipation,
l’ouvrage consacrés aux de Geneviève Fraisse,
statut et situation des Presses de Sciences Po,
femmes artistes. Si cel- 158 p., 19 €.
les-ci furent tolérées, c’était à condition qu’elles fussent singulières.
Ce qui advenait à l’une, isolée, ne
devait pas s’offrir à toutes. Erreur
de jugement : la femme artiste
porte en elle « le dérèglement à venir ». De la peintre, sculptrice ou
écrivaine peut jaillir la subversion,
précisément le passage du « pour
chacune » au « pour toutes ».
En explorant la généalogie des
querelles qu’elles font naître, Geneviève Fraisse montre l’impertinence de ces femmes qui, s’affirmant artistes, ajustent la question de la liberté à celle de
l’égalité. Et brisent le cercle de la
« précieuse moitié ». p
François Jullien poursuit un
des parcours philosophiques
les plus originaux d’aujourd’hui.
Après avoir exploré les interactions
entre pensée grecque et pensée
chinoise, sa réflexion se prolonge,
ces dernières années, vers une
« philosophie du vivre » singulière
et féconde. Vivre en existant
entame l’élaboration d’une éthique
centrée sur la prise en compte de
tout ce que peut apporter l’analyse
du verbe « exister ». Le terme suppose en effet de sortir de soi,
d’émerger du monde. Il évoque
l’exigence de défaire routines,
contraintes, adhérences pour dessiner de nouveaux possibles. Ainsi
répète-t-on tristement « c’est la
vie… » quand on se résigne à accepter ses pesanteurs et répétitions.
Exister suppose exactement le
mouvement inverse. Certains développements philosophiques de ce
nouvel opus réclament des lecteurs
aguerris et endurants. Mais l’enjeu
est d’importance,
et vaut qu’on s’y
attarde. p
roger-pol droit
a Vivre en
existant. Une
nouvelle éthique,
de François Jullien,
Gallimard,
« Bibliothèque des
idées », 286 p., 19,50 €.
Liberté, nom pourtant féminin
Contre le discours réactionnaire d’essayistes en vogue, Martine Storti réaffirme avec force l’universalité de la lutte pour l’égalité des sexes
serge audier
A
ncienne journaliste à Libération, militante féministe, Martine Storti se souvient des discussions dont le courrier des
lecteurs se faisait l’écho quand, en 1977,
elle soutenait ces femmes noires dénonçant les mutilations génitales féminines, l’excision et l’infibulation. Au
nom de quoi osait-elle juger d’autres
cultures, objectait-on, au risque de céder à une forme d’impérialisme occidental et néocolonial ?
Sa réponse, elle la redonne dans Sortir
du manichéisme, son nouvel essai : « Au
nom de quoi ? Mais au nom de la maî-
trise de leur corps par les femmes, maîtrise qui n’est pas inhérente à l’Occident
et qu’il a fallu conquérir. Et qui peut être
conquise par d’autres femmes, par-delà
les origines et les cultures. »
En un sens, tout le propos de ce livre
vif tient dans ces mots qui éclairent son
combat sur deux fronts : d’un côté, contre ceux qui, au prisme d’une certaine
vision « post-coloniale », fustigent un
Occident supposé par essence raciste et
colonialiste pour mieux justifier des formes d’assujettissement subies par tant
de femmes au nom de la religion ; de
l’autre côté, contre ceux qui, au nom de
la défense de l’identité française, font
comme si l’Occident était par nature le
merveilleux foyer de la liberté féminine.
Or, qui ne voit pas que ces deux positions caricaturales, secrètement solidaires dans leur opposition, s’ingénient à
monopoliser le débat public ?
Quand, en 2009, Nicolas Sarkozy voulut inclure l’égalité hommes-femmes
dans l’« identité nationale » française, les
féministes n’avaient pas de quoi se réjouir. Car, au lieu de voir l’émancipation
des femmes comme un long et difficile
combat inachevé, cette approche revenait à en faire un « donné » national, explique Martine Storti. De même, quand
des intellectuels influents, comme Alain
Finkielkraut et ses proches, exaltent une
civilisation française de la « galanterie »
qui aurait fait toute leur place aux femmes, ils entretiennent, montre justement Storti, de multiples confusions.
Tout d’abord, faut-il rappeler que la
France, qui conféra si tard le droit de
vote aux femmes (1944), a été moins favorable à l’émancipation féminine que
d’autres pays ? Ensuite, la faute philosophique consiste à figer dans une « identité » française – dont on précise en
outre, de plus en plus, qu’elle est catholique – un combat devant être mené partout, car universellement valide : celui
de la liberté des femmes. Or, si l’égalité
hommes-femmes est l’essence de « notre » civilisation française, que répondra-t-on à ceux qui voudront assujettir
les femmes chez eux au nom de « leur »
civilisation ?
Propension au relativisme
Ainsi, bien des intellectuels français
conservateurs, qui s’auto-érigent en piliers de la République laïque, manifestent-ils une étrange propension au communautarisme et au relativisme. On
peut même se demander si la cause qui
leur importe le plus est celle de la liberté
de toutes les femmes ou plutôt celle
d’une nation française qu’ils jugent assaillie par l’immigration. Pour autant,
Martine Storti ne montre pas davantage
de complaisance envers ceux qui, tels les
Indigènes de la République, tendent à
faire du féminisme « un produit importé,
occidental, colonialiste ».
Partout, le démon de l’identité ronge
notre démocratie, sur fond de nostalgie
du bon vieux temps, patriarcal et traditionnel. Ainsi, déplore Storti, des essayistes conservateurs en vogue – Jean-Claude
Michéa, Eric Zemmour et tant d’autres –
ne cessent de dénigrer, au nom du vrai
« peuple » qu’ils prétendent connaître, les
revendications féministes comme « sociétales » et « libérales ». Ces offensives
réactionnaires occultent là encore l’essentiel : le caractère universel de la bataille pour l’émancipation des femmes. p
sortir du manichéisme.
des roses et du chocolat,
de Martine Storti,
Michel de Maule, 146 p., 17 €.
8 | Chroniques
0123
Vendredi 8 avril 2016
Hippopotame dream
CHRISTOPHE HONORÉ
écrivain et cinéaste
qui ne ménagera pas ses efforts pour
faire aboutir le projet.
Broussard a faim lui aussi d’hippopotame. Mais s’il redoute la pénurie de
viande, il a une autre bonne raison de le
vouloir chez lui : la jacinthe, on aurait dû
s’en douter. L’invasive jacinthe d’eau,
« introduite à La Nouvelle-Orléans en 1884
par une délégation japonaise, à l’occasion
d’une exposition internationale », et qui,
depuis, colonise les rivières, paralyse la
navigation fluviale, asphyxie les poissons. Broussard aimerait voir le massif
pachyderme piétiner ces plates-bandes.
Un autre personnage pittoresque de
l’histoire, W. N. Irwin, agronome qui milite par ailleurs avec fougue en faveur de
la substitution de l’œuf de dinde, plus
nutritif, à l’œuf de poule dans le coque-
LE FEUILLETON
D’ÉRIC CHEVILLARD
écrivain
D’ABORD, TU TE DIS que
ce doit être coriace, et
même caoutchouteux. Il
va falloir mâcher longtemps. Mais surtout, tu
n’en viendras jamais à
bout. Il t’en restera pour demain et pour
après-demain sans doute encore. Alors
tu l’entames sans appétit, sans enthousiasme, un petit morceau pour commencer, du bout des lèvres. Et là, il se passe
quelque chose. Tes papilles papillonnent.
C’est délicieux ! Succulent ! Et soudain,
on ne chipote plus, tu mords à belles
dents dans cette viande savoureuse. Tu
veux l’échine, les gigots, les rognons ! Tu
veux tout ; à peine laisseras-tu à ton
chien un os à ronger. Maintenant, tu te
sens un peu lourd, sans doute, mais ravi.
S’il en restait, tu en reprendrais. Car c’est
exquis, l’hippopotame.
En 1729, affligé par la famine qui régnait sur l’île, Jonathan Swift suggéra
aux Irlandais de rôtir et de manger leurs
enfants et de vendre les meilleurs morceaux à l’affameur anglais. Pour des raisons d’organisation, sans doute, sa Modeste proposition pleine de bon sens ne
fut pas adoptée. La satire était féroce.
C’est sans une once d’ironie, en revanche, au début du XXe siècle, que quelques Américains audacieux proposèrent d’introduire dans les bayous de Floride, du Mississippi et de la Louisiane
des hippopotames importés d’Afrique
afin de résoudre la « question de la
viande » qui commençait à turlupiner
les esprits et les estomacs.
Dans L’Hippo d’Amérique, Jon Mooallem
raconte cet incroyable projet qui, certes,
ne pouvait naître qu’aux Etats-Unis, à
une époque où l’histoire ressemblait encore à une aventure. Pas d’aventure sans
aventuriers, voici donc, dressés l’un contre l’autre, deux personnages taillés
comme des héros de western. A ma
droite, Frederick Russell Burnham, éclaireur hors pair, patriote franc du collier,
engagé comme mercenaire dans les
guerres indiennes et coloniales. A ma
gauche, Fritz Duquesne, dit « la Panthère
noire », fils d’une famille de Boers, animé
en conséquence d’une haine vengeresse
envers les Anglais, plein de ressources et
de sournoiserie. Deux hommes de terrain, capables de vivre dans les conditions les plus rudes, de se nourrir de rien,
de boire le reste. Le premier, par exemple,
« se cacha deux jours et deux nuits dans le
terrier d’un oryctérope » ; le second se
considérait comme « une créature africaine au même titre que l’hippopotame ».
JEUNESSE OBLIGE
Jon Mooallem raconte
un incroyable projet
qui ne pouvait naître
qu’aux Etats-Unis,
à une époque
où l’histoire
ressemblait encore
à une aventure
FRANCESCA CAPELLINI
Or, écrit Jon Mooallem, « chacun rêvait
de tuer l’autre et s’attendait à en tirer de
grandes satisfactions ». Ennemis à l’ancienne, cependant, plus proches l’un de
l’autre certainement, par leur amour de
l’Afrique, leur goût des périls, leur nature
sauvage trop comprimée dans des uniformes de soldats et des obligations protocolaires, que de leurs alliés objectifs.
Adversaires acharnés durant la guerre
des Boers (1899-1902), ils caresseront dix
ans plus tard, pour des raisons différentes – humanitaires chez l’un, vénales
chez l’autre –, ce même rêve d’acclimater
l’hippopotame dans les marais des Etats
du Sud. Associés au représentant démocrate de la Louisiane Robert Broussard,
ils créeront la New Food Supply Society,
l’hippo d’amérique
(American Hippopotamus),
de Jon Mooallem,
traduit de l’anglais
(Etats-Unis) par Hervé Juste
et Marc-André Sabourin,
Le Sous-sol, 112 p., 12 €.
tier de l’Américain matinal, le lui a assuré : « Plongez les hippos dans un cours
d’eau étouffé par ces fleurs et ils le nettoieront en un rien de temps. »
Peu nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour faire remarquer le côté bien
aléatoire et saugrenu de l’entreprise, laquelle capotera surtout en raison du déclenchement de la première guerre mondiale. Les trajectoires de ces hommes les
éloignent alors. Aveuglé par sa haine des
Anglais, Duquesne voudrait voir les EtatsUnis du côté de l’Allemagne. Il devient une
sorte d’escroc doublé d’un espion, s’évade
plusieurs fois de prison – notamment en
simulant sept mois durant une paralysie
des jambes avant de scier les barreaux de
sa chambre d’hôpital – et finira par diriger
un réseau de conspirateurs nazis en 1941,
ce qui lui vaudra d’être arrêté par le FBI.
Il avait écrit à Burnham : « J’ai ardemment désiré avoir l’honneur de vous tuer,
mais, n’ayant pas réussi, je vous accorde
toute mon admiration. » Admiration que
partageait le Britannique Robert BadenPowell, qui fit de l’habile éclaireur le modèle de son boy-scout. Ces hommes
s’étaient épris d’une idée ridicule, écrit Jon
Mooallem, « mais elle était aussi totalement raisonnable » et l’élevage bovin intensif a aujourd’hui de terribles conséquences sur l’environnement. Moins néfaste pour la couche d’ozone, le pet de
l’hippopotame eût au contraire diffusé
dans tous les Etats-Unis un agréable parfum de jacinthe d’eau. p
Comment repenser le collectif ?
FIGURES LIBRES
ROGER-POL DROIT
ECONOMIQUES,
sociales, politiques, existentielles, religieuses,
toutes nos crises
ont sans doute un
commun dénominateur, rarement mis au centre des réflexions. Malaisé à dénommer, il
semble évident dès qu’on commence à le thématiser. « Panne du
collectif » est un de ses noms possibles. Certes, nous savons toujours vivre à plusieurs, mais juxtaposés, côte à côte et connectés –
ce qui ne constitue pas un
« nous » vivant, tant s’en faut.
Beaucoup se replient sur des
identités locales – tribus, communautés, cercles fermés.
Ces survivances et résurgences
de collectifs en voie de disparition
confirment que quelque chose
est effectivement grippé. Le collectif paraît atone – sans saveur ni
représentation. Donc sans désir
ni ressource. S’efforcer de le penser devient donc une tâche urgente – difficile, cela va de soi,
mais indispensable.
C’est pourquoi on lira avec intérêt la tentative du philosophe
Gilles Hanus pour
éclairer ce qu’il apl’epreuve du collectif,
pelle « l’épreuve du
de Gilles Hanus,
collectif ». A quel
Verdier, « Philosophie »,
prix un individu
96 p., 14 €.
s’inscrit-il dans un
ensemble qui le dépasse ? Quelles
conditions la construction d’un
« nous » doit-elle remplir pour
n’être pas illusoire, donc décevante ? Telles sont les interrogations de départ de ce bref essai, qui
se distingue par un style incisif et
tranchant, dense, presque abrupt.
Gilles Hanus inscrit sa réflexion
dans le sillage des philosophes
Emmanuel Levinas (1906-1995) et
Benny Lévy (1945-2003) et de ses
dialogues avec Sartre, auxquels
ses précédents livres ont été con-
sacrés. Cette fois, c’est en son nom
propre qu’il avance avec eux. Et ce
qu’il dit sonne juste.
Car il tente de penser à la fois la
solitude indépassable inhérente à
toute existence humaine et la
rencontre avec l’autre dans le dialogue, indispensable à la constitution de toute pensée authentique.
La philosophie se tient dans cette
tension entre solitude et face-àface, qui traverse aussi, différemment, économie et politique.
Singularité des individus
Si le collectif constitue réellement une épreuve, c’est qu’il est
possible – et même de plus en plus
fréquent – d’« être ensemble sans
constituer un véritable nous ». Et, si
le « nous » se durcit, se construit
contre les autres, instaure l’étranger en ennemi, alors la guerre se
profile et bientôt s’installe. Pour
Gilles Hanus, une issue réside
dans la construction de collectifs
restreints, fondés sur la singularité des individus. Ces paradoxales
« communautés d’étrangers » se-
raient « des configurations d’uniques » : on n’y mettrait en commun rien d’impersonnel ou d’abstrait, chacun partagerait ce qu’il a
de singulier.
On imagine aisément un collectif de ce genre comme un groupe
d’études, un cercle d’amis animés
par un respect réciproque. Les
membres sont capables de faire
servir leur intelligence à la croissance d’un « nous » qui n’annule
personne et incarne chacun. En
revanche, il est beaucoup plus difficile de concevoir comment ce
modèle s’appliquerait à grande
échelle, dans les Etats-nations ou
les entreprises.
A partir de ce constat, des conclusions opposées s’envisagent.
Soit on décrète que pareilles analyses sont des fables : les philosophes se les racontent, mais elles
sont sans rapport avec le réel. Soit
on se dit que les points de départ
sont judicieux, mais qu’il reste
une longue route à faire dans
cette direction. Je choisis sans hésiter cette dernière option. p
Un livre
à l’enfant
« LIVRE POUR ENFANT »
est une belle expression, mais elle porte en
son mitan un cœur
sournois, corrompu, critique. Le « pour » pourri
du « livre pour enfant » devrait être la
beauté inédite et capitale de la littérature jeunesse. Malheureusement, il est
la plupart du temps la légitimité de sa
limite, de sa médiocrité. Dès qu’un
adulte se penche sur un livre pour enfant et constate qu’il a une valeur particulière, une alarme se déclenche : est-ce
bien pour enfant ?
Question stérile qui fait de l’enfant un
lecteur qu’on prétend à la fois satisfaire
et priver. Le livre se perd alors dans la
mesure. L’âge s’impose comme une
douane. Et disparaissent l’origine et la
raison de sa présence : un adulte, un
jour, choisit comme destinataire de sa
lettre un enfant, et tente d’être à sa portée. Au « livre pour enfant », je préfère
l’idée du « livre à l’enfant », du livre
adressé plutôt que bon pour.
Buffalo Belle, d’Olivier Douzou, est un
merveilleux livre à l’enfant. Il se présente comme le récit à la première personne d’Annabelle, une fille, femme qui
se comprend être comme un garçon. La
narratrice nous invite à inverser les
« il » et les « elle » dans les phrases
qu’elle éparpille sur les pages entre des
dessins au fusain qui, s’ils sont de la
main d’un adulte, possèdent une manière enfantine.
Au pas de course, on passe de « la
cour de maternil, où c’était bac à sable
et tractopil, pas de maril pour Annabil »,
à « l’état civelle, où il n’existe pas de méthode assimelle, pour ce type de sellehouette et de profelle ». C’est bientôt
« l’exelle pour l’ex-il ». La vitesse ne cache rien de la violence, de l’incompréhension, de la peine inquiète du récit.
Et, bientôt, une double page où est simplement imprimé le mot « je » provoque brutalement des sentiments contraires de détresse et d’espoir.
Recommencer la lecture
Ce « je » nu, seul, perdu, nous invite à
recommencer notre lecture. Avec une
autre règle du jeu, où cette fois c’est le
« je » qu’on s’amuse à transposer en
« tu ». Débute alors un nouveau livre :
« Petite, tu avais un vrai penchant pour
les lassos, les colts et les fuselles. » Ce
n’est plus le récit d’un personnage qui
s’affranchit de son genre, mais une mémoire qui tente de retrouver quand et
comment le « elle » est devenu « il ».
Quand et comment celui qu’on a connu
petit, l’enfant proche, l’enfant tout contre nous, s’est mis à vivre sans nous,
s’est mis à vivre pour lui. Ce nouveau livre, comme l’original, se termine par la
dédicace : « Pour Zélie ». Sa place terminale la rend encore plus bouleversante.
Il est impossible qu’Olivier Douzou
écrivant son Buffalo Belle n’ait pas
songé à cet autre grand livre qui a déjà
40 ans, Histoire de Julie qui avait une
ombre de garçon, de Christian Bruel et
Anne Galland. Il avait été publié au
Sourire qui mord. Quand elle aboie,
couine ou qu’elle remue la queue pour
obtenir des caresses, la littérature pour
enfants est non seulement sans valeur,
mais elle n’existe pas. La morsure est
son mode de révélation. Olivier
Douzou possède des dents affûtées et
une mâchoire délicate. Ecrire, pour lui,
c’est nous mordre à peine. Le mal qu’il
fait est délicieux. p
buffalo belle,
d’Olivier Douzou,
Rouergue, 56 p., 12 €. Dès 6 ans.
Signalons, du même auteur,
la parution de Pipeau, Rouergue,
32 p., 13 €. Dès 3 ans.
Les écrivains Sabri Louatah, Pierre Michon,
Véronique Ovaldé et l’écrivain et cinéaste
Christophe Honoré tiennent ici
à tour de rôle une chronique.
16 et 17 avril 2016
Palais des congrès et
de la culture du Mans
Entrée libre et gratuite
OÙ EST LE POUVOIR ?
Samedi 16 avril
Dimanche 17 avril
Le pouvoir, un lieu vide ?
09h30 : Raphaëlle Bacqué, journaliste au Monde
10h00 : Jean-Claude Monod, philosophe
10h30 : Michaël Foessel, philosophe
11h15 : Echange avec le public
Pouvoirs ictifs, puissance de la iction
14h30 : Mathieu Potte-Bonneville, philosophe
15h00 : Yann Moix, écrivain
15h30 : Alice Zeniter, écrivaine
16h00 : Emilie de Turckheim, écrivaine
16h45 : Echange avec le public
Rencontre
Soirée avec le dessinateur Jul, rencontre animée
par Frédéric Potet, journaliste au Monde
Rien à cacher ? Un soupçon de pouvoir
10h00 : Myriam Revault d’Allonnes, philosophe
10h30 : Monique Canto-Sperber, philosophe
11h00 : Jean-François Kahn, journaliste et écrivain
11h30 : Delphine Dulong, politologue
12h15 : Echange avec le public
Séance conclusive : Exercice et limites du pouvoir
15h00 : Grand entretien avec Christiane Taubira
16h15 : Echange avec le public
Forum coordonné et animé par Jean Birnbaum, responsable du Monde des livres
Tél : 02 43 47 38 60 - [email protected] - http://forumlemondelemans.univ-lemans.fr
Conception : Agnès Stienne - Illustration : Sergueï
10 | Rencontre
0123
Vendredi 8 avril 2016
Vincent Peillon
Engagé
littéraire
A 20 ans, il rêvait de devenir écrivain.
L’homme politique et philosophe a attendu
d’avoir « accumulé suffisamment de rencontres »
avant de publier, aujourd’hui, le thriller « Aurora »
bastien bonnefous
Parcours
I
l a choisi de surprendre. On aurait
pu attendre de Vincent Peillon un
nouvel essai philosophique ou
un livre politique, témoignage de
son passage compliqué au ministère de l’éducation nationale.
Mais l’homme n’aime pas la facilité.
Deux ans après son départ de la rue de
Grenelle, il revient en librairie avec un
roman policier plein de fureur et d’hémoglobine, de fausses pistes et d’inquiétudes pour le monde tel qu’il est.
Vincent Peillon étonne depuis longtemps. Il est difficile à ranger dans une
case : intellectuel égaré en politique ou
politicien traversé par les idées ? De
fait, il apparaît aussi à l’aise pour écrire
des livres érudits sur le philosophe
Maurice Merleau-Ponty ou sur l’histoire
du républicanisme que pour naviguer
entre les courants du Parti socialiste.
D’un côté intellectuel intransigeant, de
l’autre apparatchik pur jus, compagnon
de route de Lionel Jospin, François Hollande ou Ségolène Royal. Homme de
concepts le matin, homme d’appareil le
soir. Et, désormais, homme de lettres.
« Dire que je suis paradoxal, c’est débile,
nous explique-t-il d’emblée, attablé
« Les contraintes
du polar m’intéressent.
C’est une littérature
qui n’est pas nombriliste,
qui a le souci du lecteur
et de son plaisir »
dans un café parisien. On m’a souvent
dépeint comme un gars schizophrène, un
type pathologique sous prétexte que je
m’intéresse aussi bien aux idées qu’à l’action politique. Mais j’ai toujours été
comme ça : à la fois philosophe, politique
et homme de lettres. Je n’aime pas que
l’on m’enferme. »
1960 Vincent Peillon naît
à Suresnes (Hauts-de-Seine).
1992 Doctorat en philosophie.
Adhère au PS.
1997-2002 Député de la Somme.
2012 Nommé, en mai, ministre
de l’éducation nationale
(jusqu’au 31 mars 2014).
JUIN 2014 Elu député européen
dans la circonscription Sud-Est.
NOVEMBRE 2014 Devient
professeur associé
de philosophie à l’université
de Neuchâtel, en Suisse.
A 55 ans, le néoromancier Peillon n’a
pas voulu livrer une fiction vraie sur les
coulisses de la politique hexagonale, un
de ces livres à clés, entre règlements de
comptes dans les palais ministériels et
luttes à mort symboliques pour le
pouvoir suprême. Trop banal. L’ancien ministre, à la coiffure et au
menton d’un « JFK » français, a préféré se confronter au genre, plus excitant, du thriller façon John le Carré
ou Tom Clancy. « Les contraintes du
polar m’intéressent. C’est une littérature qui n’est pas nombriliste, qui a le
souci du lecteur et de son plaisir, et
qui permet de grandes libertés dans le
style », détaille-t-il.
Aurora nous transporte ainsi, sur près
de 400 pages, de Copenhague à Tel-Aviv,
en passant par Hambourg, Bruxelles et
les rives du Groenland. Roman gigogne,
aux personnages multiples, il nous
plonge dans une intrigue géopolitique
complexe sur fond de guerres secrètes
Espions aux mains très sales
DANS LES DERNIÈRES PAGES
d’Aurora, Roland Kuntz, son
protagoniste, s’assoit sur un
banc et regarde ses mains. « Elles sont rouges de sang. Mais
qui d’autre que lui le voit ? Il
vient d’avoir cinquante-sept ans.
Il n’est plus tout à fait un jeune
homme. Il a payé sa dette et
porté son deuil. Il n’a pas baissé
la tête. Maintenant, il lui faut
apprendre à faire une place aux
vivants », écrit Vincent Peillon.
Auparavant, Kuntz, ancien
membre du « kidon », le « service action » du Mossad, aura
surtout collectionné les morts.
Avec quelques amis complices,
sortis comme lui de leur retraite discrète, il aura mis l’Europe à feu et à sang en réglant
leurs comptes à des agents de
services secrets étrangers, à des
néonazis reconvertis dans la finance internationale, mais toujours portés par leur folie idéologique, ainsi qu’à quelques
hauts dignitaires de l’OTAN.
A l’origine de cette horde sauvage, un consortium danois,
Aurora, qui a choisi de s’approprier la production totale de pétrole et de gaz dans le Groenland.
Dans un premier temps, l’OTAN
et les Etats-Unis, inquiets, chargent secrètement les services israéliens d’y mettre le holà. Mais,
rapidement, les ordres s’inversent et les tueurs deviennent les
cibles… Pendant près de 400 pages, l’ancien ministre français entraîne le lecteur de l’autre côté du
miroir de la géopolitique occidentale et de la mondialisation
financière. Celui des guerres de
l’ombre où chaque acteur est un
Janus et où les différends se règlent à coups de silencieux.
S’il peine à démarrer, ce premier
thriller, une fois lancé, séduit par
sa force de conviction et son goût
de l’action. p b. bo.
aurora,
de Vincent Peillon,
Stock, 380 p., 21 €.
BRUNO LÉVY POUR « LE MONDE »
entre Etats pour le contrôle des réserves
de pétrole et de gaz dans le Grand Nord.
Consortium danois qui a fait main basse
sur ces marchés, Aurora a été fondé par
un ancien nazi protégé d’un peu trop
près par des faucons américains et quelques hauts dirigeants de l’OTAN. Quand
des agents du Mossad rangés des affaires
décident de reprendre du service pour
rétablir la justice, leur équipée va provoquer une avalanche de cadavres et une
crise politique de haute intensité entre
les Etats-Unis, l’Europe et Israël. L’opération a pour nom de code « Pinocchio »,
car tous les protagonistes vont être, à un
moment ou à un autre, les créatures de
marionnettistes (presque toujours) plus
puissants qu’eux.
Autant dire que le lecteur se trouve embarqué très loin du quinquennat de François Hollande ou des problèmes qu’a connus Vincent Peillon avec les syndicats
d’enseignants lors de sa réforme contestée des rythmes scolaires. « Je n’avais ni
l’envie ni la distance pour écrire sur le pouvoir politique français. Au contraire, j’ai
voulu écrire un roman de violences et de
manipulations internationales pour faire
entrer dans le ronron français le bruit du
monde et montrer comment celui-ci a
changé », explique-t-il.
A l’écouter, on a même le sentiment
– peut-être un peu exagéré – que l’ancien ministre, qui est toujours député
européen et membre de la commission
des affaires étrangères du Parlement de
Strasbourg, a décidé de mettre sa carrière politique à distance. Son attachée
de presse, chez Stock, ne cache d’ailleurs
pas son inquiétude quand « Le Monde
des livres » exprime son désir de le rencontrer. « Que ce soit clair, il ne veut plus
du tout parler de politique ! », nous prévient-elle aimablement. « J’ai fait vingtdeux ans de congrès et de bureaux nationaux du PS, d’élections, de campagnes,
de petites phrases… Ce n’est plus mon envie ni mon agenda », confirme l’intéressé, également professeur de philosophie, depuis novembre 2014, à l’université de Neuchâtel, en Suisse. A chaque
fois qu’il évoque la politique, il conjugue
ses verbes au passé.
Avec sa barbe de trois jours, sa chemise blanche (sans cravate) au col
ouvert et son pull-over, le quinquagénaire reposé de ses ambitions électora-
EXTRAIT
« Bien entendu, ces hommes
se croient forts parce qu’ils
ont de l’expérience, la science
du maniement des armes et
une grande détermination
liée à la conscience du
bien-fondé de leur action.
Il en a toujours été ainsi.
Les hommes s’agitent à la
surface des événements et
ils finissent par se persuader
qu’ils ont une influence sur
le cours des choses. Ils pensent jouer un rôle, sans comprendre ni mesurer que tout
se joue en vérité sur un autre
plan, dans un autre monde,
à leurs yeux invisible et
auquel ils n’ont pas accès.
Leurs armes, leurs idéaux,
leur expérience, tout ça
ne compte pour rien et
ne peut rien contre les forces
beaucoup plus puissantes,
radicales et primitives
auxquelles ils s’affrontent
sans même le savoir. »
aurora, pages 309-310
les semble avoir retrouvé une nouvelle
jeunesse. L’énergie qui, à 20 ans, lui
avait fait écrire une première version
d’Aurora. Le roman s’intitulait alors La
Petite Sirène de Copenhague, et le jeune
Peillon, pour payer ses études de philosophie, travaillait comme employé à la
Compagnie internationale des wagonslits, entre la France et le Danemark.
Il s’était même lancé, pour arrondir
son salaire, dans une affaire plus ou
moins légale d’import-export de saumon fumé, activité qu’il a prêtée à un
des personnages de son livre. « J’étais un
gamin qui rêvait d’être écrivain, mais qui
n’avait rien vécu. Aujourd’hui, je me sens
prêt à raconter des histoires, j’ai accumulé suffisamment de rencontres, de
lieux et de personnages pour être capable d’inventer en utilisant parfois des
lambeaux de vérité. »
Aurora est moins éloigné qu’on ne pourrait le penser de l’homme Peillon. Ce
thriller tourmenté témoigne des doutes
d’une génération qui, ayant renoncé au
grand soir, doit désormais faire face à une
mondialisation sauvage, où les intérêts
industriels et financiers priment sur l’humain. Une réalité violente qu’il avait déjà
tenté d’approcher à la fin des années 1990
lorsque, jeune député à l’Assemblée nationale, il avait, avec son collègue d’alors
Arnaud Montebourg, présidé une commission d’enquête parlementaire sur le
blanchiment d’argent et la délinquance
financière en Europe. « A l’époque, on
avait essayé d’aborder les questions de la
souveraineté et de la fiscalité par le biais
de la criminalité transnationale. Mais,
quand on écrit un roman, on regarde
l’homme avec d’autres yeux que lorsqu’on
écrit un rapport parlementaire ou un projet de loi », explique-t-il aujourd’hui.
Fils d’un banquier communiste et
d’une chercheuse à l’Institut national de
la santé et de la recherche médicale, Vincent Peillon a choisi les codes du polar
pour aborder, à travers les grands thèmes du genre (l’innocence, la trahison,
la justice, la rédemption), la question,
très intime chez ce descendant d’un rabbin, du tikkun, cette « réparation du
monde » évoquée par la mystique juive.
« C’est l’idée pivot du livre : comment, à la
fin, laisser un monde possible à ses enfants et petits-enfants ? », précise le
jeune grand-père.
Lecteur des écrivains classiques américains Raymond Chandler et Dashiell
Hammett, ainsi que des Français Albert
Simonin et Jean-Patrick Manchette,
l’auteur Peillon a découvert sur le tard les
stars scandinaves du « noir », tels Henning Mankell et Jo Nesbo. Un temps, il a
hésité à publier Aurora sous un pseudonyme, pour n’être jugé que sur sa seule
valeur littéraire, mais il a finalement décidé d’assumer. « Je suis arrivé à un âge de
ma vie où je fais ce que je veux, tant pis si
les gens se disent “ce mec est dingue”, je
m’en fous », dit-il en souriant.
Un deuxième roman est déjà en cours
d’écriture. Un polar, de nouveau. L’action, cette fois, prendra racine à Paris,
dans le quartier de Belleville et de sa
communauté chinoise. Encore plus engagé dans la fiction, toujours plus loin
des ministères. p
Pour les Européens, l’allégement
de la dette grecque n’est plus tabou
▶ En marge de la réunion
▶ Ces discussions
▶ Le FMI juge que la dette
▶ Ce dossier, au menu de
de printemps du FMI,
mi-avril à Washington, les
créanciers de la Grèce devraient discuter d’une réduction de la dette hellène
pourraient conduire le
Fonds, jusque-là réticent,
à accepter de participer
au troisième plan d’aide à
la Grèce signé en août 2015
publique grecque doit être
réduite. La crise des réfugiés, qui pèse sur Athènes,
semble avoir fait évoluer
les esprits en Europe
la réunion préparatoire de
l’Eurogroupe, jeudi 7 avril,
dépend de la mise en place
des réformes en Grèce
→ LIR E PAGE 4
Vaste restructuration chez Nokia
▶ Le finlandais
va supprimer
des milliers
d’emplois, dont
4 300 en Europe
▶ En France,
411 postes
vont disparaître,
mais 500 autres
devraient
par ailleurs
être créés
→ LIR E
PAGE 6
Après le fiasco
de Numéro 23,
les pouvoirs du
CSA font débat
L
e camouflet infligé par le
Conseil d’Etat au Conseil supérieur de l’audiovisuel
(CSA), dans le dossier Numéro 23
affaiblit-il durablement l’institution, pierre angulaire de la politique audiovisuelle de François Hollande ?
Auditionné par les députés, mercredi 6 avril, dans le cadre de son
rapport annuel, son président, Olivier Schrameck, n’a pas caché « les
sentiments de stupeur et de consternation » que la décision de la
haute juridiction a suscités au sein
du collège. Le 30 mars, le Conseil
d’Etat a annulé la décision du CSA
de retirer à la chaîne de Pascal
Houzelot son autorisation d’émettre, estimant que « l’existence de la
fraude à la loi invoquée pour justifier le retrait de l’autorisation n’est
pas démontrée ». « En conscience,
notre intime conviction demeure »,
a rétorqué devant les députés
M. Schrameck, tandis que le président (PS) de la commission des affaires culturelles, Patrick Bloche,
lui apportait son soutien sur ce
point, en évoquant une décision
« incompréhensible ».
M. Schrameck, ancien président
de section au Conseil d’Etat, est-il
« schizophrène », déchiré entre sa
fidélité supposée à son corps d’origine et l’intérêt de l’institution
qu’il préside depuis janvier 2013 ?
alexis delcambre
et alexandre piquard
→ LIR E L A S U IT E PAGE 8
300
Des employés de Nokia,
en 2009, à Barcelone.
C’EST LE NOMBRE
DE COLLABORATEURS DU CSA
DENIS ALLARD/REA
PLEIN CADRE
À KANO, LES AFFAIRES
CONTINUENT MALGRÉ
BOKO HARAM
LIR E PAGE 2
PÉTROLE
L’ANGOLA CONTRAINT
D’APPELER LE FMI
À L’AIDE
LIR E PAGE 6
j CAC 40 | 4 298 + 0,31 %
j DOW JONES | 17 716 + 0,69 %
j EURO-DOLLAR | 1,1414
j PÉTROLE | 39,90 $ LE BARIL
K TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,44 %
VALEURS AU 07 !04 - 9 H 30
PERTES & PROFITS | VALLOUREC - NOKIA - STX
La part de chance
L’
industrie est un sport de combat.
Pour réussir, il faut du talent, de l’entraînement et… de la chance. Si la
bonne gestion évite bien des erreurs,
rien ne remplace une bonne conjoncture. Philippe Crouzet, le PDG de Vallourec, y pense souvent, en ce moment, à la chance. « Nous vivons
des moments très très difficiles », a-t-il reconnu,
mercredi 6 avril, devant ses actionnaires réunis
en assemblée générale. La société a vu s’évaporer le tiers de son chiffre d’affaires en 2015 sous
l’effet de l’effondrement des prix du pétrole. A
court de trésorerie, le sidérurgiste, spécialisé
dans la fabrication de tubes sans soudure, doit
augmenter son capital et réduire ses effectifs.
Ce n’est pas la première fois que la conjoncture
lui joue des tours. En 2006, la société, au sommet de sa forme, fait une entrée fracassante au
CAC40 des plus belles entreprises françaises.
En 2009, les surcapacités replongent l’entreprise dans les difficultés. Pour s’en sortir, la société multiplie les investissements dans les poches de croissance qui se dessinent : le Brésil,
royaume de l’offshore pétrolier, et les EtatsUnis, qui découvrent les charmes des gaz et pétroles de schiste. La chute des cours en 2015
cueille une entreprise aux poches bien vides.
Pouvait-il en être autrement ? Peut-être la société aurait-elle pu être plus prudente dans ses
investissements, ne pas placer tous ses œufs
dans le panier pétrolier. Mais la compétition industrielle mondiale pousse les acteurs au risque
et à la spécialisation. Nokia est bien placé pour le
savoir. L’arrivée d’Apple sur son marché des télé-
Cahier du « Monde » No 22155 daté Vendredi 8 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément
HORS-SÉRIE
UNE VIE, UNE ŒUVRE
phones mobiles a détruit en quatre ans plus de
vingt ans d’effort pour devenir le leader mondial du secteur. Le finlandais s’est débarrassé de
cette activité, qui représentait pourtant l’essentiel de ses ventes et de ses bénéfices et s’est reconstruit autour du métier d’équipementier,
avec l’acquisition successive des deux ex-gloires du secteur, l’allemand Siemens et le français
Alcatel. Aujourd’hui, elle laisse entendre qu’elle
pourrait supprimer près de 15 000 emplois.
Activité à haut risque
Les pessimistes verront la marque de la double
malédiction de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie qui pousse les entreprises à privilégier la performance et l’actionnaire au détriment de l’emploi et de l’investissement. Les optimistes souligneront l’aspect positif de cette destruction créatrice qui recrée
ailleurs des emplois et de l’expansion à la faveur
de cette sélection darwinienne. La forme éclatante des chantiers navals de Saint-Nazaire,
dont le carnet de commandes est plein jusqu’en 2020, rappelle que la chance peut tourner
même dans des secteurs que l’on croyait démolis par les coups de boutoir des constructeurs
asiatiques.
Ce qui est certain, c’est que l’industrie est devenue une activité à haut risque, pour les actionnaires et les salariés. D’où l’obsession des
acteurs pour leur trésorerie et leur timidité à investir. C’est pourtant à cette seule condition
qu’ils pourront imposer leur chance. p
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0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Un marché
à Kano,
au Nigeria,
en 2014.
PASCAL MAITRE /COSMOS
A Kano, le business pour
oublier Boko Haram
kano (nigeria) - envoyé spécial
K
ano, la deuxième ville la plus
peuplée du Nigeria, recèle des
angles morts. A l’écart des
rues sablonneuses et des avenues rectilignes de la
bouillonnante
métropole
commerciale du nord du pays, ses zones industrielles décharnées alignent les usines à
l’abandon. Près de 400 unités ont fermé depuis les années 1990, minées par les pénuries d’électricité, la hausse du prix de l’essence et des matériaux, abandonnées par
l’Etat et livrées à la concurrence asiatique. Il
en reste une petite centaine, dont celle d’Ali
Safiyanu Madugu, 49 ans.
De retour ce matin de février d’Abuja, la capitale fédérale, où il s’est entretenu avec Yemi
Osinbajo, le vice-président en charge de l’économie, l’industriel fonce vers sa petite usine
d’agroalimentaire, Dala Foods. Il fait partie
des résistants persuadés que le Nord du Nigeria, musulman et plus pauvre que le Sud en
majorité chrétien, peut se relever grâce à l’industrie. Lui veut croire que Kano peut continuer de rayonner dans tout le Sahel et rester
le hub commercial si vital pour les pays voisins, dont certains sont exposés aux risques
de sécheresse et de crise alimentaire.
Loin de la flamboyante Lagos, capitale économique portée par le pétrole dont les revenus assurent 75 % du budget de l’Etat, Kano
doit surmonter de nombreux défis : la dépréciation du naira, la monnaie nationale, face
au dollar, et une inflation de 10 % en rythme
annuel au moment où la croissance ralentit,
minée par l’effondrement des cours du pétrole. A ces défis propres à la première économie d’Afrique s’ajoutent un chômage plus
élevé au nord et un taux de pauvreté de près
de 50 %, contre 16 % au sud-ouest du pays, selon la Banque mondiale.
Enfin, il y a la menace, lourde, de Boko Haram, qui a multiplié les attaques contre Kano
depuis 2012. « Nous sommes une cible de
Boko Haram, qui n’a pourtant pas réussi à
nous déstabiliser. Certes, l’économie a été réduite de moitié mais nos commerçants sont
plus forts que les terroristes », estime Sanusi
Lamido Sanusi, ancien gouverneur de la banque centrale devenu, en juin 2014 l’émir de
Kano, capitale d’un Etat de près de 12 millions
d’habitants.
La deuxième ville du Nigeria
tente de maintenir son rang
de « hub commercial » du Sahel,
en dépit du contexte sécuritaire
Car les affaires reprennent. « Grâce à l’élection du président Muhammadu Buhari, Kano
revit », se réjouit Ali Safiyanu Madugu. Elu en
mars 2015, le président nigérian a entrepris
de relancer l’économie, ouvert le chantier de
la lutte contre la corruption et renforcé le
combat contre Boko Haram. Même s’il regrette, ces quatre dernières années, d’avoir
dû licencier la moitié de ses 150 salariés en
raison d’une chute de 70 % de ses ventes, Ali
Safiyanu Madugu est optimiste. « Boko Haram, c’est du passé ! Kano est le hub économique du Sahel. Les Occidentaux ne le mesurent
pas car 80 % de l’activité est informelle. Mais
c’est ce qui a permis de résister aux crises économiques mondiales », se vante le capitaine
d’industrie, dans son bureau orné du portrait de l’émir et de celui du président.
RELANCER L’INDUSTRIE D’ICI À CINQ ANS
Selon le think tank britannique Chatham
House, l’activité informelle représente, dans
l’ensemble du Nigeria, près de 64 % du PIB.
Umar Farouk Rabi’u, président de la chambre de commerce de Kano, va plus loin : « Le
business informel est notre force, pas une faiblesse », explique ce riche commerçant, qui
espère relancer l’industrie d’ici à cinq ans.
De retour des Emirats arabes unis, M. Rabi’u
s’est mis en tête de transformer cette mégapole dépourvue de pétrole mais au potentiel
agricole et industriel certain, en un Dubaï
du Sahel.
« Eko [surnom de Lagos] for show, Kano for
real. Ici, on n’est pas dans le paraître mais on
fait de vraies grosses affaires, du Soudan jusqu’au Maroc », clame-t-il. Exemple de cette
volonté : le gouverneur de Kano a annoncé
en février le lancement d’un projet de
70 millions de dollars (61 millions d’euros)
pour bâtir une centrale solaire d’une capacité de production de 100 MW. Et ce, en partenariat avec l’homme le plus riche d’Afrique,
Aliko Dangote, originaire de la ville, où il a
ouvert cette année une usine de transformation de tomates.
Pour le moment, à défaut d’usines et d’infrastructures modernes, les nababs de Kano
font commerce d’arachides, de fleurs d’hibiscus, de céréales et de textiles qu’ils exportent
dans toute la région. Contrebande et mondialisation sauvage se côtoient sur le marché
au textile « Kantin Kwari », en plein centreville. Dans ce labyrinthe d’échoppes en bois
débordant de tissus aux couleurs vives, les
transactions se règlent aussi bien en naira
qu’en dollars ou en francs CFA. Les acheteurs
viennent du Mali, du Burkina Faso, du Niger,
du Tchad ou du Cameroun.
Aziz Saleh est un commerçant yéménite
originaire d’Aden, installé à Kano depuis les
années 1980. Il a été témoin, et même acteur,
de la désindustrialisation. « Il ne reste qu’une
usine de textile à Kano et ses prix sont bien
plus élevés qu’en Chine », glisse-t-il en montrant son stock de tissus d’importation. Associé à M. Li, qui fait régulièrement des allersretours entre Kano et Shenzhen, Aziz Saleh
écoule ses « marchandises dans tout le Sahel
et au-delà ».
INCESSANT BALLET
« LE BUSINESS
INFORMEL EST NOTRE
FORCE, PAS UNE
FAIBLESSE »
UMAR FAROUK RABI’U
président de la chambre
de commerce de Kano
Ces tissus africains made in China entrent
sur le continent par le port de Cotonou, au
Bénin, où 50 % des conteneurs réceptionnés
au terminal géré par le groupe Bolloré sont
en fait destinés au Nigeria. Ancien diplomate
nigérian et homme d’affaires de Kano, Bachir
Barrado déplore la banalisation de ce « trafic ». Il cite la Banque mondiale, laquelle estime à 2 milliards de dollars par an le textile
illégalement importé du Bénin. « Les Chinois
se sont imposés et ont trusté l’économie de
Kano avec la complicité de bandits locaux »,
s’indigne M. Barrado.
Dans ce trafic, un nom est sur toutes les lèvres : Alhaji Dahiru Mangal, proclamé « roi
de la contrebande ». A la tête d’une compagnie aérienne, Max Air, Mangal a notamment fait fortune avec ses milliers de camions chargés de textiles chinois, qui arpentent depuis une décennie les routes entre
Cotonou et Kano via Maradi, au Niger, sans
être arrêtés ni contrôlés aux frontières. L’un
des points de passage de ses camions se
trouve à 215 kilomètres plus au nord, à Jibiya,
dans l’Etat voisin de Katsina. Ce jour-là, un
douanier vêtu d’une robe de chambre observe ce cortège, la mine renfrognée. Peutêtre est-il agacé par l’incessant ballet de voitures, camions et motos qui traversent illégalement cette frontière à travers des pistes
qui serpentent dans les sables, à quelques
centaines de mètres de lui.
« Kano n’est plus qu’un immense lieu de transit dans un monde globalisé où tout est illégal,
informel, et où 80 % des produits viennent de
Chine », soupire Garba Ibrahim Sheka, profes-
seur d’économie à l’université Bayero, à
Kano. Selon lui, la ville devrait, en plus de développer l’industrie, continuer à soutenir
l’agriculture. « Mais ce secteur est une activité
de pauvres, et les politiques ne veulent pas
vraiment les aider », regrette l’enseignant. La
route qui relie Kano au Niger est bordée de
champs asséchés et vides de cultures.
A ces difficultés que connaissent, ou ont
connues, d’autres économies africaines dans
leur développement s’ajoute le danger Boko
Haram. Quand Ibrahim Diarra, 33 ans, quitte
Jibiya et la frontière au volant de son camion
bleu, il le fait la peur au ventre. Direction
Kano à 50 km/h pour ce jeune chauffeur de
poids lourds ivoirien parti d’Abidjan chargé
de grumes de bois qu’il a livrés dans une capitale sahélienne, avant de prendre la route
de Kano chargé d’arachides du Niger. « Ici,
tout s’achète et tout se vend, mais les routes
sont encore dangereuses et Boko Haram est
dans tous les esprits », dit-il, enfin soulagé
lorsqu’il approche du marché aux céréales de
« Dawanau », à une dizaine de kilomètres au
nord de Kano.
Avec ses 9 200 grossistes, et près du double
de travailleurs qui préparent et portent les
sacs de graines de sésame, haricots, millet,
fleurs d’hibiscus, ce marché est l’un des plus
grands d’Afrique de l’Ouest… Un hub régional, là encore informel, resté hermétique à
l’influence occidentale et que les Chinois
n’ont pu pénétrer. « Dawanau, c’est la mamelle d’Afrique de l’Ouest. Si son activité s’arrête, alors les marchés de toute la bande sahélienne se vident et c’est la crise alimentaire »,
estime Mohammed Agouna, commerçant
tchadien établi à Kano depuis deux ans et
d’où il exporte sésame, sorgho, et autres céréales vers le Tchad et le Cameroun.
Dans les venelles agitées du marché, 80 %
des produits proviennent des champs des
13 provinces du nord du Nigeria, illustrant
malgré les menaces terroristes la vigueur de
Kano. Le poumon de l’économie sahélienne
n’a pas subi le sort de Maiduguri, la capitale
de l’Etat de Borno, dévastée par Boko Haram. Un traumatisme qu’a vécu intimement Abubakar Shaibu. Cet agriculteur de
Maiduguri venait autrefois écouler sa production à Dawanau. Aujourd’hui il erre dans
les allées du marché à la recherche d’un emploi. Il a dû abandonner ses terres, fuyant
Boko Haram qui retient toujours une de ses
trois filles.
« A Kano, les gens se méfient des réfugiés et
nous assimilent à Boko Haram, dit-il, abattu,
le ventre vide. Avant, je gagnais bien ma vie
et j’étais considéré, à Dawanau. Maintenant,
les gens m’évitent car je suis inutile. » Les
espoirs de ce modeste agriculteur,
désormais sans champ ni maison, résident
dans une renaissance de l’industrielle et
agricole Kano. p
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4 | économie & entreprise
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Grèce : les créanciers prêts à discuter de la dette
Le débat devrait s’ouvrir mi-avril, alors que le déblocage du troisième plan d’aide est toujours en cours
bruxelles - bureau européen
C
ela fait des mois, voire
plus d’un an, que le gouvernement d’Alexis Tsipras l’espère. Selon nos
informations, les créanciers de la
Grèce se disent prêts à discuter
d’un allégement de la dette dans
les jours qui viennent, en marge
des rencontres de printemps du
Fonds monétaire international
(FMI), prévues du 15 au 17 avril à
Washington. « Tous les protagonistes du dossier seront là : Christine Lagarde, la directrice générale
du Fonds, les représentants de la
Banque centrale européenne, du
Mécanisme européen de stabilité
[MES], de la Commission européenne », précise une source proche du dossier.
« Oui, il y aura des premiers contacts, cela aidera peut-être le FMI à
prendre position », confirme une
source européenne de haut rang.
Depuis des mois, le Fonds estime
que la dette publique grecque
(180 % de son produit intérieur
brut) est trop importante et
qu’elle doit être réduite. C’est pour
cette raison, officiellement, qu’il
hésite à participer au troisième
plan d’aide à la Grèce (86 milliards
d’euros), signé en août 2015 pour
éviter au pays la faillite.
Ces discussions préliminaires
entre Athènes et la « troïka » des
créanciers, devraient se poursuivre à Amsterdam, lors d’un conseil des ministres de la zone euro
(Eurogroupe), les 22 et 23 avril.
Sans attendre que la « première
revue » du troisième plan d’aide
soit conclue, contrairement à ce
que réclamait pourtant le minis-
tre allemand des finances, l’intransigeant Wolfgang Schäuble.
Mais à condition que les pourparlers sur cet audit des réformes
qu’Athènes doit encore adopter
avancent bien. Un point d’étape
devrait être fait lors d’un
« Euroworking group », une réunion préparatoire à l’Eurogroupe,
jeudi 7 avril, à Bruxelles.
Cette « première revue » patine
depuis trois mois. Athènes avait
proposé, en janvier, une réforme
ambitieuse des retraites (pour réduire de 1 % de PIB par an les dépenses publiques), des coupes
budgétaires et des taxes supplémentaires, mais ses créanciers
contestent encore certaines mesures (dont une taxe sur les transactions bancaires, qu’ils estiment dangereuse pour l’économie grecque). Cependant, lundi
4 avril, les chefs de mission des
créanciers sont retournés à Athènes, et « les discussions avancent,
elles sont constructives », selon un
proche du dossier.
Présence symbolique
Il semble que la fuite, samedi
2 avril sur WikiLeaks, d’une conversation téléphonique interne
au FMI suggérant que le Fonds
pourrait menacer de ne pas participer au troisième plan d’aide, n’a
pas trop pesé sur les négociations.
Il faut dire que depuis qu’Euclides
Tsakalotos a remplacé Yanis Varoufakis au ministère des finances grec, mi-2015, les créanciers ne
tarissent pas d’éloges sur ce politique, réputé calme et à l’écoute.
Pourquoi les créanciers d’Athènes semblent-ils enfin prêts à
aborder le sujet de la dette grec-
Manifestation
contre
les créanciers
de la Grèce,
à Athènes,
le 4 avril. ALKIS
KONSTANTINIDIS/
REUTERS
que, qu’ils ont si longtemps fait
mine de juger tabou ? On l’a vu, ils
espèrent convaincre le FMI de
participer lui aussi au troisième
plan d’aide. En réalité, selon plusieurs sources proches du dossier,
Athènes n’aurait pas besoin de
l’argent du FMI, les 86 milliards
(provenant essentiellement du
MES) sont jugés suffisants, pour
l’heure, afin de sortir, d’ici à 2018,
le pays du marasme.
Mais, comme lors des deux précédents plans d’aide à la Grèce
(2010 et 2011), la présence du FMI,
même symbolique, est souhaitée
par la BCE, le MES, mais surtout
par Berlin, qui ne fait toujours pas
assez confiance à la Commission
européenne pour la laisser sur-
Controverses sur la soutenabilité de l’endettement
comme un air de « déjà-vu ». Alors que
les négociations entre Athènes et ses créanciers (FMI, BCE, Commission européenne,
Mécanisme européen de stabilité) ont repris lundi 4 avril, la dette publique hellène
est de nouveau au cœur des débats. « Elle est
soutenable jusqu’en 2022 mais de nouvelles
discussions s’imposeront pour la suite », a déclaré mardi George Stathakis, le ministre
grec de l’économie.
Un point de vue que partage le FMI. Il refuse de participer au troisième plan d’aide
au pays (86 milliards d’euros) tant que la
dette grecque n’est pas restructurée. Une option dont les Européens, surtout les Allemands, ne veulent pas entendre parler, la jugeant inutile… Alors, soutenable ou pas, la
dette grecque ?
La réponse est plus délicate qu’il n’y paraît.
« En vérité, il n’existe aucune définition unanime permettant d’établir avec certitude si
une dette est insoutenable », résume
Maxime Sbaihi, chez Bloomberg. « Croissance, inflation, déficit… Cela dépend d’un
grand nombre de critères qu’il est facile de
manipuler en fonction du dessein politique »,
ajoute Wolfango Piccoli, chez Teneo Intelligence. Par exemple, en surestimant les rentrées fiscales à venir…
En 2015, la dette grecque a atteint 180 % du
PIB. En 2012, une première restructuration
l’avait réduite de 175 % à 157 % du PIB. Depuis, elle s’est stabilisée en valeur absolue
tout en réaugmentant en pourcentage du
PIB pour cause de récession.
Pas d’attaque spéculative à craindre
Les conditions sont aujourd’hui très favorables. « La dette grecque appartient pour l’essentiel à des créanciers publics, qui lui réclament des taux d’intérêt très bas », résume
Diego Iscaro, économiste chez IHS Global
Insight. Pas d’attaque spéculative à craindre ! En outre, la maturité moyenne de sa
dette est de vingt-cinq ans, ce qui est plutôt
confortable. « Enfin, le gouvernement ne
commencera à rembourser l’essentiel des
prêts européens qu’à partir de 2022 », ajoute
Platon Monokroussos, chef économiste
d’Eurobank, à Athènes. Même si quelques
remboursements ponctuels au FMI ou à la
BCE interviendront plus tôt.
Le problème ? Le plan d’aide signé entre
Athènes et les ministres des finances de la
zone euro en août 2015 exige de la Grèce un
excédent primaire (hors remboursement de
la dette) de 3,5 % du PIB en 2018. Une cible irréaliste selon la plupart des économistes.
« Tant que le pays devra dégager de tels excédents primaires, l’économie restera étranglée », juge Jesus Castillo (Natixis).
Or le PIB hellène a reculé de 25 % depuis
2007 et la récession s’éternise. En dehors du
tourisme, toute l’économie s’est effondrée.
Voilà pourquoi le FMI estime qu’une nouvelle restructuration de la dette s’impose. La
bonne nouvelle, c’est qu’elle pourrait se
faire sans coupe nette : « Allonger la maturité des prêts tout en baissant leur taux permettrait de rendre le fardeau soutenable,
sans heurter l’Allemagne », note M. Sbaihi. p
marie charrel
veiller seule la mise en œuvre des
réformes grecques.
Le contexte politique en Grèce
joue aussi beaucoup. Le premier
ministre Alexis Tsipras est soumis à une énorme pression. Il doit
d’un côté dérouler un programme d’austérité, avec une majorité de plus en plus étroite au
Parlement grec. Et de l’autre, faire
face à une crise des réfugiés qui ne
cesse d’empirer, le pays devant à la
fois organiser un accueil décent
pour les 50 000 migrants coincés
sur son territoire, et mettre en
place l’accord très controversé signé par l’Union européenne et
Ankara, consistant à renvoyer en
Turquie tous les Syriens parvenus
dans ses îles au-delà du 20 mars. A
Bruxelles et à Berlin, on a donc
conscience qu’il faut « donner de
l’air » au leader de la gauche radicale hellène.
Pour autant, la discussion sur la
dette sera très cadrée. Il ne devrait
pas être question d’« haircut »,
une réduction du montant nominal de la dette grecque. La chancelière Angela Merkel l’a de nouveau rappelé mardi 5 avril, lors de
sa rencontre à Berlin avec Mme Lagarde. Même les Grecs ont fini par
l’admettre : un haircut serait politiquement très difficile à vendre
chez ses partenaires et créanciers
européens, car il signifierait, pour
eux, des coupes budgétaires.
Il sera en revanche question de
A Bruxelles
et à Berlin,
on a conscience
qu’il faut
« donner de l’air »
à Alexis Tsipras
réduction supplémentaire des
taux d’intérêt, de création de nouvelles « périodes de grâce », durant lesquelles le remboursement
des intérêts et/ou du principal serait suspendu, ou d’allongement
des « maturités » des dettes. A la
BCE, au MES, au FMI, les scénarios
« tournent » déjà depuis des mois.
Les périodes de grâce pourraient,
pour les nouvelles tranches de
dette accordées en 2015, aller jusqu’à dix ans ; des allongements
des maturités iraient jusqu’à
vingt ans, ce qui prolongerait le
remboursement pour Athènes
jusque dans les années 2060.
« En jouant sur ces paramètres, il
est possible d’alléger substantiellement la charge de la dette, ce qui
équivaudrait au final à un haircut », suggère une source proche
du dossier. Attention cependant :
les créanciers sont prêts à discuter, mais pas à faire de cadeaux à
Athènes. La négociation promet
de durer des mois. p
cécile ducourtieux
Comment la Caisse des dépôts s’adapte aux taux négatifs
La politique monétaire de la Banque centrale européenne fragilise le modèle de fonctionnement de la CDC
L
a Caisse des dépôts et consignations (CDC) n’est pas
une banque, mais comme
ses lointaines cousines, elle souffre de l’environnement de taux
négatifs. Même si cela pèse peu, à
ce stade, sur ses profits.
L’institution de la rue de Lille a
en effet publié jeudi 7 avril un bénéfice récurrent de 1,5 milliard
d’euros au titre de 2015, en hausse
de 4 %. Un montant qui s’entend
hors des variations enregistrées
par la CDC d’une année à l’autre
sur la valeur de ses actifs, que ce
soit Icade, sa filiale immobilière,
ou sa participation dans Orange.
En 2015, cet effet a joué dans le
mauvais sens, avec un profit net
part du groupe de 1,3 milliard, en
baisse de 24 %.
De son côté, la section des fonds
d’épargne – chargée de transfor-
mer l’épargne populaire en prêts
à long terme finançant le logement social – a dégagé un résultat
courant de 1,8 milliard d’euros,
soit 532 millions de plus
qu’en 2014. Cette activité, logée
dans un bilan séparé de celui de la
CDC, a pu verser une contribution
de 764 millions d’euros à l’Etat : à
peine plus qu’en 2014, le reste renforçant ses fonds propres en prévision de millésimes qui s’annoncent plus difficiles, de l’avis
même de Pierre-René Lemas, le
directeur général.
La fin d’une rente
Car pour la Caisse, le contexte des
taux négatifs implique la fin de sa
rente. En plaçant sur les marchés
financiers une partie des ressources collectées au travers du Livret A
et du Livret de développement du-
rable (LDD), côté fonds d’épargne,
et celles remontées par les professions juridiques, côté section générale de l’établissement public,
elle a longtemps très bien gagné sa
vie. Ce qui lui permettait de financer ses missions d’intérêt général.
Problème, la ressource commence à coûter plus cher qu’elle
ne rapporte. D’où la décision historique qu’a prise Pierre-René Lemas d’abaisser à 0,75 % la rémunération des dépôts des notaires –
les fonds bloqués durant une
transaction immobilière, centralisés à la CDC – au 1er octobre 2015.
« Ce taux était fixé à 1 % depuis
1872 », précise le directeur général.
Le taux du Livret A, fixé par le
ministre des finances sur proposition du gouverneur de la Banque de France, avait été réduit à
0,75 % au 1er août 2015.
Autre décision significative, un
décret paru le 18 février incite les
réseaux bancaires à conserver
dans leurs livres davantage d’argent collecté sur les livrets réglementés. Des règles de partage entre les sommes conservées par les
Crédit agricole et autres et celles
centralisées à la CDC avaient, en
effet, été établies en 2011, à un moment où la liquidité était une denrée rare pour les banques.
L’assouplissement quantitatif
mené par la Banque centrale
européenne a changé la donne et
les réseaux risquaient d’inonder
les fonds d’épargne de leurs excès
de liquidités (même si les ménages ont prélevé en net 11 milliards
d’euros en 2015 sur les 357 milliards du Livret A et du LDD).
Au 1er janvier 2016, la commission perçue par les banques pour
collecter cette épargne a également été réduite de 10 centimes,
pour atteindre 0,4 %. Objectif,
permettre à la CDC de proposer
des prêts compétitifs aux organismes HLM quand, aux taux actuels, les bailleurs sociaux trouvent des conditions plus favorables sur les marchés. Certains ne
se sont pas privés de renégocier
leurs prêts, comme les particuliers l’ont fait sur le crédit immobilier.
Doper les revenus
Mais même fragilisé, le modèle
fonctionne encore. « Le financement par le Livret A reste une
bonne solution, notamment pour
obtenir des durées très longues,
jusqu’à soixante ans, que les banques ne proposent pas », tempère
le dirigeant d’un organisme HLM
qui déplore tout de même que :
« sur les dernières générations de
prêts, la CDC a introduit des clauses pour éviter les renégociations ».
En 2015, le fonds d’épargne a
consenti un record de 17,2 milliards d’euros de prêts en faveur
du logement social et de la politique de la ville, avec le souci de
trouver un bon équilibre entre
des crédits bien margés et ceux à
taux zéro.
Pour doper les revenus, enfin,
aussi bien le fonds d’épargne que
la section générale, réduisent les
portefeuilles de taux au profit des
actions. « Il y a une logique de prise
de risque mais dans un cadre très
protégé », précise Pierre-René Lemas. Touche par touche, la dame
bicentenaire s’adapte. p
isabelle chaperon
.
La Poste – SA au capital de 3 800 000 000 € – 356 000 000 RCS Paris – Siège social : 44, boulevard de Vaugirard – 75757 Paris Cedex 15 – Crédit photo : Céline Clanet
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6 | économie & entreprise
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Nokia va supprimer plusieurs
milliers d’emplois en Europe
La chute des prix du
pétrole conduit l’Angola
à faire appel au FMI
Le siège d’Alcatel-Lucent sera fermé et 411 emplois seront supprimés
en France, soit 10 % des effectifs. Mais 500 emplois y seront aussi créés
Luanda a déjà été sous assistance financière
de l’institution entre 2009 et 2012
I
l fallait s’y attendre. Quelques mois après la reprise
définitive d’Alcatel-Lucent,
Nokia a donné le coup d’envoi à un plan de restructuration
des coûts. « Quand nous avons annoncé l’acquisition d’Alcatel-Lucent, nous avons pris l’engagement de dégager 900 millions
d’euros de synergies, et cet engagement n’a pas changé », a expliqué
Rajeev Suri, le patron du groupe,
dans un communiqué. Les dirigeants de Nokia ont donné le détail de ces réductions pays par
pays en Europe, à l’occasion d’un
comité central d’entreprise européen qui s’est tenu mercredi
6 avril au siège du nouveau
groupe, à Helsinki.
Nokia, qui emploie 104 000 salariés dans le monde, dont environ
20 000 en Chine et 23 000 aux
Etats-Unis, a, en revanche, refusé
de communiquer un chiffre global de suppression des postes. Selon Bloomberg, les réductions
porteraient sur 10 000 à 15 000
postes au niveau mondial. Une
fourchette qui confirmerait les
études menées en amont du rachat par les syndicats français, qui
estimaient que les 900 millions
d’euros d’économies se traduiraient par environ 11 000 suppressions de postes.
En Europe, 4 300 postes devraient disparaître. En Allemagne, un quart des effectifs sera
supprimé, soit 1 200 des 4 800 salariés du groupe. Nokia et AlcatelLucent employaient chacun
2 400 salariés outre-Rhin, souvent sur des technologies en concurrence frontale. En Finlande, le
berceau de Nokia, c’est la douche
froide. L’ancien joyau local, qui
employait au faîte de sa gloire
20 000 personnes au milieu des
années 2000 et représentait 20 %
du PIB du pays, va supprimer
1 300 des 7 000 postes que compte
Les salariés
français
s’attendaient
à des mesures
de réduction
des coûts mais
ils ont été surpris
par leur ampleur
le groupe, soit 18 % des effectifs. Le
plan touchera des fonctions supports mais n’épargnera pas les ingénieurs, notamment dans les réseaux mobiles.
« Certains
ingénieurs
travaillaient sur les technologies 3G,
qui sont désormais vieillissantes. Il
y a des chances qu’elles soient relocalisées ailleurs », dit un syndicaliste. De fait, Alcatel mais surtout
Nokia se sont implantés dans les
pays de l’Est, qui emploient des ingénieurs de haute volée à des tarifs
moins onéreux que dans le reste
de l’Europe. Ainsi, la Pologne et la
Hongrie où Nokia emploie respectivement 4 500 et 2 000 personnes, et la Roumanie, ancienne antenne d’Alcatel avec 1 400 personnes, sont largement épargnées.
Tenir les promesses
En France, 411 postes seront supprimés, soit environ 10 % des effectifs. Les fonctions support et
administratives vont disparaître.
L’ancien siège d’Alcatel situé à
Boulogne et qui compte encore
250 personnes ainsi que les bureaux de Nokia en France, employant 220 personnes et situé à
Asnières seront fermés. L’ensemble des salariés qui restent rejoindront Nozay (à Villarceaux dans
l’Essonne), le plus grand site d’Alcatel, fort de 3 000 personnes. Le
site de Lannion, qui emploie
800 personnes, est également
amené à perdurer.
Pour couper court à la critique,
Nokia a annoncé qu’il recruterait
ces trois prochaines années
500 personnes, dont 300 jeunes
diplômés, pour se développer
dans « les technologies d’avenir,
comme la 5G, l’Internet des objets et
la cybersécurité », dont le groupe
est aujourd’hui absent. En France,
Nokia compte faire financer une
partie des postes d’ingénieurs par
le crédit d’impôt recherche, véritable outil de compétitivité très
utilisé par l’ex-Alcatel pour maintenir des entités de recherche sur
le territoire. L’ancien fleuron français percevait ainsi 80 millions
d’euros par an.
Un soutien de taille pour aider
Nokia à tenir les promesses faites
au gouvernement français en
amont de la cession d’Alcatel. L’ancien patron d’Alcatel, Michel Combes, propulsé depuis à la tête de
SFR, et M. Suri s’étaient engagés à
maintenir en France 4 200 postes
pendant au moins deux ans, et à
créer 500 postes en recherche et
développement dans les quatre
ans. Ils avaient aussi promis de
créer un fonds d’investissement de
100 millions d’euros. Pour l’heure,
Bercy, qui se dit attaché à l’intégration « des sites français dans le développement des technologies
d’avenir », estime « que les engagements sont bien tenus à ce stade ».
Pourtant, selon l’intersyndicale,
le compte n’y est pas. « A l’issue du
dernier plan de sauvegarde de
l’emploi, l’effectif est d’ores et déjà
sous la barre des 4 200 et le plan
annoncé creuse le déficit », affirment les syndicats dans un communiqué. S’ils s’attendaient à de
nouvelles mesures de réduction
des coûts, les salariés français ont
été surpris par leur ampleur. Il
faut dire que les ex-employés d’Alcatel sont à peine remis d’un plan
LES CHIFFRES
26,8 MILLIARDS
C’est, en euros, le chiffre
d’affaires combiné d’AlcatelLucent et de Nokia en 2015.
L’équipementier est devenu
aussi gros qu’Ericsson.
15,6 MILLIARDS
C’est le prix offert par Nokia,
en euros, pour se payer AlcatelLucent. L’opération a été réalisée
totalement en titres.
91 %
C’est la part d’Alcatel-Lucent
obtenue par Nokia à l’issue de
l’offre publique d’échange lancée
le 18 novembre et qui s’est
terminée le 3 février dernier.
104 000
C’est le nombre de salariés
du nouvel ensemble avant
restructuration.
de restructuration qui a divisé les
effectifs français par deux et a
conduit à la cession ou à la fermeture de huit sites sur treize ces
deux dernières années.
Outre les suppressions de postes, 1 300 des 2 000 ingénieurs
français de l’ex-Alcatel-Lucent seront redéployés sur les produits
de Nokia. Ils travailleront donc
sur les antennes radio 4G ou les
bases de données d’abonnés pour
les réseaux 3G et 4G de la marque
finlandaise. « Un peu partout, ce
sont les produits Nokia qui ont pris
le pas sur les technologies Alcatel »,
dit un syndicaliste. p
La pertinence de cet investissement de 24 milliards d’euros dans deux EPR divise les équipes
L
s’agit pas de remettre en cause le
projet comme ça, de façon péremptoire », a poursuivi la ministre,
mais « les syndicats ont raison de
demander une mise à plat des enjeux », affirmant que « [sa] priorité,
c’est l’investissement sur les énergies renouvelables ».
Début mars, lors du sommet
franco-britannique d’Amiens, Paris et Londres avaient réaffirmé
leur détermination à voir ce projet
aboutir. Le PDG d’EDF est évidemment sur cette ligne. Auditionné
par la commission des affaires
économiques de l’Assemblée nationale, mardi 5 avril, Jean-Bernard
Lévy a répondu par une fin de nonrecevoir à ceux qui lui demandent
de reporter le projet de trois à cinq
ans en jugeant que EDF sera alors
mieux armé pour affronter un tel
défi financier et industriel.
« Démarche culpabilisatrice »
Même s’il a reconnu que « bien évidemment, il y a des risques sur un
projet d’une telle ampleur et d’une
telle durée », ils sont « « bien identifiés et surmontables », à condition
qu’EDF suive les recommandations qu’il a demandées à Yannick
d’Escatha, ex-patron du Commissariat à l’énergie atomique. « Le
projet est mûr, il est rentable et tout
est prêt pour le lancer », a insisté
M. Lévy. Il a estimé qu’un report
pousserait Londres « à se tourner
vers des solutions alternatives », re-
mettrait en cause le partenariat
avec China General Nuclear (CGN),
obligerait à renégocier les contrats
avec les principaux fournisseurs et
entraînerait la perte d’une grande
partie des sommes déjà investies.
Le syndicat FO critique un PDG
« droit dans ses bottes ». Pour Marie-Hélène Meyling, administratrice (CFDT) d’EDF, qui plaide pour
un report de l’investissement, « il y
a une démarche culpabilisatrice en
direction de ceux qui ne sont pas favorables au projet en l’état » et
« cela nous empêche de travailler
sereinement ». Sauf imprévu, les
six administrateurs salariés (CGT,
FO, CFDT, CFE-CGC), qui pèsent un
tiers du conseil d’administration,
ne donneront pas mandat à
M. Lévy pour signer avec CGN.
La direction aurait invité les syndicats anglais à venir à Paris pour
dire à leurs homologues français
que de nombreux emplois étaient
Le doute s’est
insinué, jusqu’au
sein du
gouvernement,
sur la pertinence
d’un projet qui
engage l’avenir
de l’électricien
lions de dollars, mais les autorités
n’ont toujours pas autorisé l’opération de change. Pendant ce temps,
la monnaie poursuit sa dégringolade, et je perds chaque jour de l’argent », explique-t-il. La monnaie
angolaise, le kwanza, a chuté de
30 % en un an face au dollar.
Multiplication des pénuries
Dans ce contexte, la plupart des
entreprises ont réduit la voilure.
« Nous limitons nos livraisons aux
magasins qui sont en mesure de
payer comptant », explique JeanBaptiste Mouton, qui dirige la filiale de Pernod Ricard en Angola.
Implanté depuis quatre ans dans le
pays, le groupe de spiritueux français se livre depuis quelques mois
à un « exercice d’équilibriste ». « Nos
ventes diminuent mais nous parions sur le futur : c’est un marché
plein de potentiel. »
En janvier et février, la banque
centrale a réservé la totalité des
dollars mis à disposition des entreprises à l’achat de médicaments et
de denrées alimentaires. Ce qui
n’empêche pas les pénuries de se
multiplier. L’une des plus grandes
chaînes de supermarchés angolaises, Kero, a ainsi rationné les bouteilles d’eau et il est devenu impossible de trouver un tube de dentifrice dans les rayons.
La situation sanitaire, surtout,
est devenue catastrophique, car
plusieurs médicaments essentiels
sont désormais introuvables.
« Plusieurs de mes employés ont
ainsi perdu un proche qui n’a pas pu
être soigné en raison de cette pénurie », témoigne un autre chef d’entreprise sous couvert d’anonymat.
« L’hygiène est aussi devenue déplorable : à Luanda, la municipalité n’a
même plus les moyens de ramasser
les poubelles ! » p
chloé hecketsweiler
sandrine cassini
Chez EDF, pro et anti-Hinkley Point s’affrontent
a tension monte à l’approche de la décision d’investissement dans les deux réacteurs EPR d’Hinkley Point (Royaume-Uni), que le conseil d’administration d’EDF doit voter avant
l’assemblée générale des actionnaires du groupe le 12 mai. Fort
dans l’entreprise, le doute s’est insinué jusqu’au sein du gouvernement sur la pertinence d’un projet
à 24 milliards d’euros (dont 16 milliards pour l’électricien) qui engage l’avenir de l’opérateur historique et, au-delà, de toute la filière
nucléaire française.
Alors que le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, soutient
sans réserve l’idée d’une décision
rapide, sa collègue de l’énergie a
émis des réserves, mercredi 6 avril,
au micro de RMC-BFMTV. « Ce projet doit apporter des preuves supplémentaires d’une part de son
bien-fondé, et d’autre part doit donner des assurances sur le fait que les
investissements dans ce projet ne
vont pas détourner ou assécher les
investissements qui doivent être
faits dans les énergies renouvelables », a déclaré Ségolène Royal.
Ce projet doit-il être reporté ?
« C’est encore en discussion », a-telle répondu, contredisant une
fois de plus M. Macron. Pour ajouter aussitôt que « normalement, il y
a un accord entre la France et le
Royaume-Uni » et que « donc les
choses doivent se faire ». « Il ne
F
rappé de plein fouet par l’effondrement du prix du pétrole, l’Angola s’est résolu
mercredi 6 avril à demander de
l’aide au Fonds monétaire international (FMI). Il y a un mois, le ministre des finances du pays avait
pourtant déclaré qu’une demande
de prêt à cette institution n’était
pas à l’ordre du jour. Il n’a désormais guère le choix : avec un baril à
40 dollars (35 euros) – contre plus
de 100 dollars il y a deux ans –, les
caisses de l’Etat sont vides. L’or
noir représente 40 % du produit
intérieur brut (PIB) du pays,
deuxième producteur africain,
mais près de 70 % de ses recettes
fiscales et plus de 95 % de ses entrées en devises.
Le plan d’aide, qui sera conditionné à des mesures d’économie,
pourrait s’étaler sur trois ans. Les
discussions avec le Fonds commenceront la semaine prochaine,
lors de l’assemblée de printemps
du FMI. L’Angola, qui a émergé de
plusieurs décennies de guerre civile, avait déjà été sous assistance
financière du FMI entre 2009 et
2012, années pendant lesquelles il
avait reçu 1,4 milliard de dollars de
prêts de l’institution.
Les entreprises implantées en
Angola voient plutôt d’un bon œil
cet appel à l’aide. « Les dirigeants
angolais ont tenté de masquer la
gravité de la situation car ils n’ont
aucune envie de voir le FMI mettre
son nez dans leurs affaires. Mais
c’était inévitable », juge le dirigeant
d’une entreprise française implantée en Angola, qui préfère rester
anonyme. Faute de devises, son
business tourne au ralenti depuis
plusieurs mois : « Depuis le mois de
septembre, la banque centrale d’Angola ne délivre les dollars qu’au
compte-gouttes. Je dois régler depuis des mois une facture de 15 mil-
en jeu outre-Manche. Et le 22 avril,
trois membres du comité exécutif
(DRH, production et nouveaux
projets nucléaires) ont convié les
fédérations syndicales de l’énergie
(CGT, CFDT, FO, CFE-CGC), extérieures au groupe, à un séminaire.
Objectif : les convaincre du bienfondé d’une décision rapide.
De leur côté, les « barons » d’EDF
responsables de la production et
de l’ingénierie, mais aussi des ingénieurs de rangs inférieurs, ont
publié un plaidoyer pro-Hinkley
Point, mercredi, sur l’intranet de
l’entreprise. Ils répondent à la note
d’ingénieurs, citée par le Financial
Times et publiée par Mediapart,
qui mettait en doute la capacité du
groupe à maîtriser ce projet. Les
103 signataires y affirment leur
« conviction » qu’avec les retours
d’expérience des quatre EPR en
construction (France, Finlande,
Chine) et une ingénierie toujours
plus performante, ils sauront mener à bien ce chantier titanesque.
Pour les adversaires d’une décision imminente, c’est tout juste si
l’on n’a pas mis le pistolet sur la
tempe de certains signataires.
« Vous croyez vraiment que dans
notre maison, où c’est un peu l’armée, un ingénieur peut refuser de
signer un tel texte sans compromettre sa carrière », ironise un cadre dirigeant. La direction dément
formellement toute pression. p
jean-michel bezat
– 5,2
C’est en milliards d’euros le déficit commercial de la France en février,
soit son niveau le plus élevé depuis août 2014, selon les statistiques publiées jeudi 7 avril par les douanes. Le déficit s’est creusé de 1,3 milliard
d’euros par rapport à celui de janvier. Le déficit cumulé des douze derniers mois atteint 47,5 milliards d’euros, contre 45,6 milliards en 2015.
En février, les importations ont atteint 43,3 milliards d’euros (+ 2,8 %),
du fait de la « fermeté des approvisionnements en produits des industries
automobile et aéronautique, en équipements industriels et en pétrole
raffiné ». Les exportations ont fléchi de 0,2 %, à 38,1 milliards. – (Reuters.)
T RAN S PORTS
Le trafic aérien passager
mondial en hausse
Le trafic aérien passager a
augmenté de 6,8 % en 2015
dans le monde, le MoyenOrient étant la région la plus
dynamique, selon les données préliminaires publiées
mercredi 6 avril par l’agence
des Nations unies chargée de
l’aviation civile. L’aéroport
international Hartsfield-Jackson d’Atlanta, aux Etats-Unis,
a été le plus fréquenté au
monde en termes de passagers, suivi par celui de Pékin.
I N D UST R I E
Feu vert à la
recapitalisation
de Vallourec
Le fabricant de tubes sans
soudure Vallourec a obtenu,
mercredi 6 avril, le feu vert de
ses actionnaires à une augmentation de capital d’1 milliard d’euros, élément clé
pour lui permettre de surmonter la crise des marchés
pétrole et gaz. Au premier trimestre, le chiffre d’affaires du
groupe a chuté de 36 %, à
671 millions d’euros.
Un repreneur
pour Le Lit national
L’enseigne de literie Mon lit
et moi a annoncé, mercredi
6 avril, la reprise de la société
Le Lit national, qui fournit
notamment l’Elysée et Matignon. Fondée en 1909 et labellisée « Entreprise du patrimoine vivant » en 2012, la
PME du Pré-Saint-Gervais
(Seine-Saint-Denis) avait été
placée en redressement judiciaire fin 2014.
F I N AN C E
JPMorgan pourrait
perdre 2 milliards
de dollars au Brésil
La première banque américaine en termes d’actifs, JPMorgan Chase, pourrait perdre 2 milliards de dollars
(1,7 milliard d’euros) sur son
exposition au Brésil en cas
d’accentuation de la crise politique et des difficultés économiques que connaît le
pays, a indiqué, mercredi
6 avril, son PDG, Jamie Dimon. Le groupe a plus de
2 000 clients au Brésil, dont
des centaines de multinationales. – (AFP.)
idées | 7
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
TENDANCE FRANCE | CHRONIQUE
par cl air e gué l aud
Quand l’économie dissimule le retour en force du politique
A
vec Danser sur un volcan
(Albin Michel, 256 pages,
18 euros), dont le titre
dit bien les « signes de craquement et
de rupture nombreux et inquiétants »
qui sont notre lot, Nicolas Baverez
revient à un genre littéraire qu’il affectionne. L’essai est dans la même
veine que Les Trente Piteuses
(Flammarion, 1998) ou La France qui
tombe (Editions Perrin, 2004), ses
deux livres les plus éclairants sur les
blocages français. Mais son spectre,
cette fois, est plus large, puisque
l’ouvrage ne propose rien de moins
qu’une analyse des Espoirs et risques
du XXIe siècle.
L’ancien « décliniste » ne se renie
pas. Il écrit des pages d’une lucidité
navrante sur cette France « en risque »,
qui est aussi « un risque pour ses partenaires ». « La France est en passe de
devenir le porte-étendard des pays qui
décrochent en dépit d’atouts considérables », déplore l’auteur. N’est-elle pas
« le seul grand pays développé à n’avoir
pas fait évoluer son modèle économique et social » ? « A n’avoir jamais renoué avec le plein-emploi ? » « A n’avoir
jamais restauré ses comptes publics ? »
Quelques chiffres donnent la mesure de l’impasse. La France repré-
sente 1 % de la population mondiale,
3,7 % de sa production et 15 % de
l’ensemble des transferts sociaux. Le
pire, toutefois, n’est pas là, mais dans
notre difficulté à évoluer dans un
monde où « la ligne de partage » entre
les gagnants et les perdants réside
dans « la capacité à s’adapter ». A cette
aune, la France de 2016 pourrait bien
être, comme l’Afrique des années
1960, « mal partie ». Au point d’être
reléguée entre la 15e et la 20e place
dans le classement des économies
mondiales à l’horizon 2030,
tandis que l’Allemagne resterait
le seul pays européen dans le Top 10…
Dans son essai, Nicolas Baverez
convoque ses deux disciplines de
prédilection – l’économie et l’histoire – pour éclairer les défis contemporains. Il replace les difficultés
économiques de la planète dans le
temps long des historiens, le seul qui
permette de comprendre « le retour
en force de la géopolitique ». « Les
avancées et les drames qui jalonnent
notre histoire déjouent nos schémas
explicatifs, les institutions et les règles
héritées du XXe siècle, observe-t-il. La
mondialisation est l’esprit-principe du
XXIe siècle. Elle marque une rupture
historique majeure. Elle met un terme
POLITIQUES PUBLIQUES
Les conflits d’intérêts
peuvent-ils être « transparents » ?
par thibault gajdos
I
l est des coïncidences qui semblent voulues, tant elles sont significatives. Début mars, la Cour
des comptes dressait un bilan
pour le moins mitigé de la « loi Bertrand » de 2011, qui visait à prévenir les
conflits d’intérêts des médecins (« La
prévention des conflits d’intérêts en
matière
d’expertise
sanitaire »,
mars 2016). On découvrait peu après
qu’un pneumologue réputé avait témoigné devant une commission d’enquête sénatoriale sur le coût de la pollution de l’air. Cet expert était optimiste : le diesel serait moins polluant
qu’on le croyait. Il était également modeste : il avait omis de signaler qu’il
était rémunéré depuis de nombreuses années par une grande entreprise
pétrolière.
On peut donc s’interroger sur l’efficacité de la loi Bertrand, qui a pour
pierre angulaire la déclaration des
conflits d’intérêts. L’idée de cette loi
était la suivante. Supposons que les
médecins soient tenus de rendre publics leurs liens avec l’industrie pharmaceutique. Leurs patients et les autorités sanitaires qu’ils conseillent seront alors capables d’apprécier leurs
prescriptions et conseils à la lumière
de leurs éventuels conflits d’intérêts.
Afin d’éviter de perdre des patients ou
de voir leurs avis ignorés par les autorités, les médecins éviteront donc
spontanément les conflits d’intérêts.
« L’ANXIÉTÉ DE L’INSINUATION »
Les choses ne sont toutefois pas si
simples. D’abord, il faudrait que l’information sur les liens entre médecins et laboratoires soit fiable, exhaustive et facilement accessible. Comme
le souligne la Cour des comptes, cela
est loin d’être le cas. Mais, surtout, une
telle mesure ne suffit pas à éliminer
les conflits d’intérêts ; isolée, elle peut
¶
Thibault Gajdos
est chercheur au CNRS
même en aggraver les effets.
Georges Loewenstein (université
Carnegie Mellon) et ses collègues ont
mené une série d’expériences sur
cette question, dont ils proposent une
synthèse dans un article paru dans
l’American Economic Review (« The Limits of Transparency », 2011). Ces expériences placent des sujets dans des
contextes assez artificiels, mais qui reproduisent de nombreuses caractéristiques des interactions entre les médecins et leurs patients.
Les chercheurs observent ainsi qu’il
ne faut pas trop compter sur les patients pour tenir compte des conflits
d’intérêts des médecins. D’une manière générale, ils ne s’avèrent pas capables de pondérer les recommandations de leurs médecins en fonction
des conflits d’intérêts qu’ils déclarent.
Pis, ils peuvent être victimes de ce
que les chercheurs appellent « l’anxiété de l’insinuation ». Craignant que
le refus de suivre les recommandations d’un médecin qui vient de leur
révéler un conflit d’intérêts ne soit interprété comme un signe de défiance,
ils ont tendance à s’y conformer davantage, tout en leur accordant
moins de confiance.
Quant aux médecins, la déclaration
des conflits d’intérêts peut les rendre
encore plus enclins à favoriser les intérêts auxquels ils sont liés, en vertu
d’un principe de « permission morale » : ayant accompli leur devoir en
signalant un conflit d’intérêts, ils estiment qu’ils peuvent légitimement s’y
adonner.
Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à améliorer les déclarations de
conflits d’intérêts. Mais cela prouve
qu’il ne suffit pas de rendre visibles les
conflits d’intérêts pour les prévenir.
Compte tenu des moyens que consacrent les laboratoires pharmaceutiques à influencer les médecins (leurs
dépenses de promotion sont environ
deux fois plus importantes que celles
de recherche et développement), de
simples déclarations d’intention ne
suffiront pas.
L’application stricte du droit existant (notamment sur les cumuls de rémunérations) et une réglementation
plus exigeante des relations entre médecins et laboratoires sont nécessaires. La mise en place de structures
neutres servant d’interfaces entre l’industrie pharmaceutique et les médecins, envisagée par l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, pourrait être
une première étape intéressante. p
à la domination sans partage de l’Occident depuis les grandes découvertes
qui ont inversé le rapport de force
avec l’Orient et la Chine. »
C’est dans le deuxième chapitre de
son livre, consacré à « La revanche de
l’histoire », que Nicolas Baverez
énonce simplement sa thèse principale : l’économie a occulté la politique, qui reste première. Les chocs de
ces dernières années – dont la faillite
de Lehman Brothers, en 2008,
qui a été « au capitalisme universel
ce qu’[avait été] le 24 octobre 1929
au capitalisme libéral » – ont masqué
la résurgence des passions collectives
que sont la religion et le nationalisme ainsi que le retour de la guerre.
DOUBLE DÉSARROI
Le réveil de la géopolitique, illustré
par la révolution iranienne de 1979
– la première à ne pas avoir été inspirée par l’Occident –, a été occulté par
la disparition du soviétisme, puis par
les turbulences économiques. « Le
passage de l’euphorie au krach financier a fait oublier la politique. » Et la
proclamation, le 29 juin 2014, à Mossoul, d’un « califat islamique » entre
l’Irak et la Syrie par les djihadistes de
l’organisation Etat islamique a fait
éclater la carte du Proche-Orient issue des accords Sykes-Picot de 1916.
L’auteur analyse le double désarroi
des démocraties confrontées, d’un
côté, à la mondialisation de la terreur,
de l’autre, aux métamorphoses d’un
capitalisme dont elles ont perdu le
monopole. « La mondialisation a conjuré le risque d’une nouvelle déflation
mondiale, mais elle sort profondément
transformée du choc de 2008. » Le Sud
tient sa revanche. Le Vieux Continent,
lui, est « dévasté » par le chômage, « au
moment où la révolution technologique s’apprête à remettre en [question]
la moitié des emplois existants, dans
les quinze prochaines années ». La stabilisation ou le vieillissement de la
population européenne vont limiter
les marchés et ralentir encore davantage les gains de productivité. L’explosion des inégalités à l’intérieur des
nations – 1 % de la population planétaire détient 48 % des richesses mondiales – nuit, partout, à la croissance
et bloque la mobilité sociale.
Il y a plus : Nicolas Baverez fait partie des économistes, de plus en plus
nombreux, qui redoutent l’irruption
d’une nouvelle crise financière. Et ce,
« alors même qu’il n’existe plus de réponse possible de la politique écono-
LA FRANCE POURRAIT BIEN
ÊTRE « MAL PARTIE ».
AU POINT D’ÊTRE RELÉGUÉE
ENTRE LA 15E ET LA 20E
PLACE DANS LE CLASSEMENT
DES ÉCONOMIES MONDIALES
À L’HORIZON 2030
mique, compte tenu du surendettement des Etats, de la baisse historique
des taux d’intérêt et de la surexposition du bilan des banques centrales ».
Alors même, aussi, « que les banques ne disposent d’aucune marge de
manœuvre ». « La situation est caractéristique d’une veille de krach », pronostique l’auteur. Pour le prévenir,
il ne voit pas d’autres solutions que
de faire des réformes de structures,
d’harmoniser la régulation financière et d’instaurer une coordination
économique. Reste une question :
l’Europe est-elle encore prête
à s’inventer un futur ? p
[email protected]
La République numérique
ne doit exclure personne
Allocations-chômage, RSA, impôts… L’administration
impose des services 100 % en ligne, aux dépens des plus
démunis. La démocratisation du numérique est essentielle
collectif
I
nscription à Pôle emploi depuis
mars, prime d’activité lancée par
la Caisse nationale d’allocation
familiale depuis janvier, déclaration de revenus au mois de mai… Avec
la dématérialisation totale de nombreux services publics essentiels, la
République numérique se modernise.
Mais elle prend le risque de se construire sur un terrain inégalitaire. Car
ces services 100 % en ligne, qui s’installent sans vraiment s’annoncer, font
vaciller le pacte républicain pour tous
ceux qui sont éloignés d’Internet.
Nous, acteurs de la solidarité, entreprises privées, entrepreneurs du Web,
réunis pour la première fois, faisons
un seul et même constat : plus que jamais, l’autonomie numérique (ou littératie numérique) de tous devient
une condition nécessaire de notre cohésion sociale. Chacun le devine, sans
en mesurer l’importance.
Nous en sommes convaincus, le numérique offre des perspectives uniques de modernisation de l’Etat. Cependant, si pour nombre d’entre nous
la dématérialisation des services les
plus essentiels facilite le quotidien,
tous les Français ne sont pas encore
armés pour affronter ces nouveaux
usages. Pour les plus de cinq millions
de citoyens qui cumulent précarité sociale et numérique, la numérisation
représente un facteur d’exclusion supplémentaire : une double peine pour
des mères célibataires devenues subitement dépendantes des compétences
numériques de leurs enfants, pour des
personnes âgées isolées, pour des travailleurs peu qualifiés et des jeunes en
recherche d’emploi.
Certains citoyens, en situation d’illettrisme par exemple, auront
d’ailleurs toujours recours au guichet. Soulignons que la précarité nu-
NOUS PLAÇONS UNE PARTIE
DE NOS ESPOIRS DANS
LE DÉVELOPPEMENT DE
RESSOURCES PÉDAGOGIQUES
mérique est protéiforme : difficultés
d’accès liées à la bancarisation des
personnes et au coût des équipements, méconnaissance des opportunités qu’Internet peut offrir, démotivation ou défiance face à un clavier…
sont autant de freins à l’inclusion numérique – et donc sociale – des plus
fragiles.
AGRÉGER NOS FORCES
Parce que, en 2016, la dématérialisation des services publics fait d’Internet
un passage obligé pour accéder à ses
droits et à sa citoyenneté, ces publics
en difficulté affluent déjà vers les guichets d’aide sociale. Ils viennent chercher de l’aide pour s’inscrire aux services de la protection sociale ou pour
actualiser leurs droits. Les effectifs
étant insuffisants pour traiter ces demandes croissantes d’accompagnement, ils sont redirigés vers les associations de solidarité et auprès des
professionnels de l’accompagnement
social.
Une étude conduite en 2015 par Emmaüs Connect montre que l’action sociale subit de plein fouet la dématérialisation totale de services de première
nécessité : 75 % des professionnels interrogés par l’association sont contraints de faire les démarches « à la
place de » la personne qu’ils accompagnent. Pourtant, seuls 10 % d’entre
eux déclarent être formés pour accomplir cette tâche. Les acteurs de la
solidarité signalent que les équipes de
bénévoles sont confrontées aux mêmes demandes, et au même manque
de cadre et de solutions pour y répondre sereinement.
Pourtant, pour accompagner ces publics fragilisés par la dématérialisation, il existe de nombreuses initiatives publiques et associatives, portées
par les acteurs de la solidarité ou de la
médiation numérique. Ils sont, malgré
leur engagement indéfectible, atomisés sur les territoires et dépendants de
financements insuffisants. Au final,
leurs réponses sont sans commune
mesure avec la masse des personnes
concernées par la précarité numérique
et donc potentiellement en rupture de
droits.
Convaincus que le numérique peut
être à la fois vecteur d’égalité des
chances et source de développement
économique, les signataires de cette
tribune, saisis par l’urgence, souhaitent s’unir autour d’une grande initiative citoyenne qui vise à mettre l’action sociale, les médiateurs
numériques, les acteurs publics, les
opérateurs de la protection sociale, le
secteur privé et même chaque citoyen
en capacité d’accompagner les plus
fragiles vers l’autonomie numérique.
Pour moderniser, sans exclure. Partout où l’enjeu est soulevé, chacun
perçoit la profondeur du sujet : comment expliquer alors l’absence d’un
plan national qui prendrait la mesure
de l’urgence, et l’absence de ligne budgétaire associée ? Un plan « Usages »
qui viendrait compléter le plan France
Très Haut Débit – 20 milliards d’euros
d’ici à 2022 – et qui, au même titre que
ce dernier, représenterait un véritable
investissement, à la fois réaliste et salutaire, pour l’avenir.
Conscients de nos responsabilités,
nous, signataires, nous engageons à
nous organiser en formant des réseaux d’accompagnement au numérique sur le territoire. Ces réseaux sont
déjà en partie existants : ce sont les
nôtres, il faut les outiller, les démultiplier et les animer. C’est pour cette raison que nous plaçons une partie de
nos espoirs dans le développement de
ressources pédagogiques et de parcours de formation en ligne, gratuits
et collaboratifs, autour desquels nous
pourrons agréger nos forces et nos
ressources.
Cette plate-forme Web pour le développement de la littératie numérique
permettrait également à une communauté de citoyens, moins formelle,
mais néanmoins massive et solidaire,
d’aider un ami, un parent, un voisin.
Nous n’inventons rien, nous nous inspirons directement du succès de pays
qui, de l’Australie à la Scandinavie en
passant par le Royaume-Uni, ont investi dans cet outil indispensable
d’éducation au numérique pour accompagner les publics fragiles à
grande échelle. Un défi que nous relèverons collectivement, car nous avons
tout et tous à y gagner. p
¶
Ce texte est signé par un regroupement
inédit d’une vingtaine de structures et
personnalités : associations de solidarité,
entreprises et entrepreneurs du Web.
La liste complète est disponible
sur Lemonde.fr.
8 | MÉDIAS&PIXELS
0123
VENDREDI 8 AVRIL 2016
Le CSA face aux limites de son pouvoir
L’échec du Conseil supérieur de l’audiovisuel dans le dossier Numéro 23 relance le débat sur ses attributions
suite de la première page
Certains s’amusent de la situation, comme le député (LR) Christian Kert, qui n’a pas manqué d’en
pointer l’ironie : « On va vous chercher au Conseil d’Etat, vous devenez président du CSA et c’est le Conseil d’Etat qui vous désavoue ! » En
juin 2015, la cour administrative
s’était déjà opposée, pour une raison de forme, au choix du CSA de
refuser les passages en gratuit des
chaînes LCI et Paris Première.
Mais le débat est avant tout de
fond : le CSA estime, comme il l’a
écrit le 30 mars, qu’« en l’état de la
législation, il ne lui est pas possible
de remplir pleinement sa mission ». Il constate en effet qu’il n’a
pas réussi à emporter la conviction du Conseil d’Etat quant à l’aspect frauduleux – à ses yeux – de
la revente de Numéro 23 par son
propriétaire. Il y voit la preuve de
l’insuffisance de ses moyens : il
lui faudrait pouvoir « enquêter sur
pièces et sur place », comme l’a
suggéré M. Schrameck mercredi.
Cela reviendrait à permettre au
Conseil d’obtenir des entreprises
les éléments qu’il requiert sans
dépendre de leur bon vouloir,
comme le peuvent déjà certaines
autorités de régulation, dont l’Arcep et l’Autorité de la concurrence.
Cette « mise à niveau » des
moyens d’action du CSA suppose
une évolution de la loi. Celle-ci
pourrait être rapide : la proposition de loi sur l’indépendance des
médias, actuellement examinée
par le Sénat, pourrait constituer
un « excellent véhicule législatif »,
affirme M. Bloche, qui en est le
rapporteur à l’Assemblée nationale.
Toutefois, le Conseil n’entend
pas apparaître comme demandeur, conscient de la petite musique qui lui prête souvent l’intention d’accroître ses pouvoirs. Une
image qui s’est fixée lors de son
rapport annuel 2014, quand le
CSA était allé jusqu’à soumettre
au législateur des amendements
déjà rédigés, qu’il lui proposait
d’adopter. Depuis cette maladresse, il entend souvent dire
qu’il a « trop de pouvoir ».
« Ni moi, ni aucun des membres
du collège ne pratiquons un patriotisme institutionnel, s’est défendu M. Schrameck. Nous ne
sommes pas là pour faire croître
l’institution. » Autre élément de
défense pour le président du CSA :
ses pouvoirs grandissants lui ont
été confiés par le Parlement.
Situation imparfaite
La dernière illustration de cette
tendance n’est autre que la proposition de loi sur l’indépendance
des médias, qui prévoit de renforcer le rôle du CSA. « Nous ne sommes pas des déontologues », a
plaidé mercredi M. Schrameck,
pour expliquer que le Conseil
n’entend pas s’ingérer dans la vie
des rédactions ou les pratiques
journalistiques.
Depuis la loi de 1986, les missions du CSA n’ont cessé de s’additionner : attribution de fréquences, contrôle des engagements
pris lors de ces attributions, nomination des dirigeants de
l’audiovisuel public, contrôle de
la conformité à la loi des contenus
diffusés par les télévisions et radios, actions en faveur de la diversité, de la parité, de la langue française, suivi des temps de parole
politiques… et, depuis 2013,
l’ébauche d’un rôle de régulation
économique du secteur audiovisuel.
Mais sur ce dernier volet, le CSA
agit dans un cadre inadapté. Centrée sur la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public, la
loi du 15 novembre 2013 se contente d’évoquer la régulation économique, sans guère de détails.
Ce texte devait être suivi d’une
Olivier Schrameck, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le 7 avril 2015, à l’Assemblée nationale. STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP
« grande loi audiovisuelle » qui n’a
jamais vu le jour.
Chacun sent bien que la situation actuelle est imparfaite. « La loi
de 2013 n’est pas satisfaisante, a attaqué la présidente (UDI) de la
Commission des affaires culturelles du Sénat, Catherine Morin-Desailly, lors d’un point presse, mardi
5 avril. Il conviendra de s’interroger
sur ces questions dans les mois qui
viennent. » Même son de cloche du
côté de M. Bloche : « Le sujet n’est
pas le volume de pouvoir du CSA,
mais comment il a des pouvoirs
mieux adaptés à un paysage audiovisuel en mutation. »
Une piste ouverte par l’exécutif
est celle d’une fusion avec l’Arcep,
l’autorité qui veille sur les télécoms. En 2014, devant le CSA, François Hollande avait expliqué qu’il
était temps « de faire évoluer notre
régulation dans le sens de l’intégration comme cela s’est fait dans
d’autres pays européens ». Ecartée
en 2015, l’idée resurgit mais sa
perspective n’est pas pour demain,
a prévenu la ministre de la culture,
Audrey Azoulay, dans Le Figaro,
mercredi 6 avril : « Le rapprochement entre le CSA et l’Arcep me semble inéluctable à terme. (…) Mais
nous parlons d’un mouvement de
très long terme, qui prendra certainement entre quinze et vingt ans ! »
« Le débat sur les missions du CSA
ne sera jamais achevé, c’est une
question permanente », philosophe M. Bloche. Celui-ci pourrait
même redevenir un sujet de controverse politique durant la campagne présidentielle. Certains à
droite envisagent déjà de poser à
nouveau la question du mode de
désignation des présidents de
l’audiovisuel public. Dans son livre La France pour la vie publié en
janvier (Plon, 264 pages,
18,90 euros) Nicolas Sarkozy prenait ainsi date, en évoquant la désignation de Delphine Ernotte à
France Télévisions : « Le CSA n’en
est pas sorti grandi, c’est le moins
que l’on puisse dire. (…) Tout naturellement cela m’amène à évoquer
la question de la prolifération des
autorités indépendantes. » p
alexis delcambre
et alexandre piquard
Huawei décidé à doubler Apple et Samsung Radio France s’ouvre à
Déjà numéro trois mondial du secteur, le fabricant chinois de téléphones mobiles mise
sur l’innovation pour rattraper ses rivaux. En France, sa notoriété reste encore limitée
londres
I
nvité surprise, décoration léchée et musique d’ambiance.
Pour la présentation mondiale, mercredi 6 avril à Londres,
de son nouveau smartphone P9, et
de sa version grand format
P9 Plus, le chinois Huawei a mis les
petits plats dans les grands. Et ne
LES CHIFFRES
5%
C’est la part de marché du
constructeur chinois en France.
Le groupe ambitionne de la
multiplier par deux en 2016,
pour dépasser les 10 %.
108 MILLIONS
C’est le nombre de smartphones
vendus par la marque en 2015
à travers le monde.
Un record pour un fabricant de
téléphones d’origine chinoise.
3
C’est le rang qu’occupe
aujourd’hui le groupe chinois
sur le marché des smartphones.
Avec une part de marché de
7,4 %, selon une étude du cabinet
IDC, Huawei est le numéro trois
mondial, derrière Samsung
(22,2 %) et Apple (16,1 %).
cache plus ses ambitions : le déjà
numéro trois mondial du secteur
veut coiffer au poteau ses deux
grands rivaux, Samsung et Apple,
d’ici cinq ans. « Nous avons pour
objectif de nous hisser à la place de
numéro deux dans les trois prochaines années et de devenir le numéro
un mondial d’ici cinq ans », a affirmé Richard Yu, l’un des responsables de la marque.
Si Apple a lancé le mois dernier
l’iPhone SE, un smartphone milieu de gamme, afin de dynamiser
des ventes déclinantes, Huawei
opte pour la stratégie inverse, faisant avec ce nouveau modèle un
pas de plus vers le haut de gamme.
« Avec le P9, dont le design et les
fonctionnalités photo ont notamment été nettement améliorés,
Huawei accélère la cadence pour
devenir un acteur plus compétitif
sur le marché des smartphones premium », estime Roberta Cozza,
analyste chez Gartner.
Un succès fulgurant
Doté d’un écran de 5,2 pouces (5,5
pouces pour la version P9 Plus), le
dernier-né du constructeur chinois, qui sera vendu en France à
partir du 29 avril au prix de
549 euros, mise surtout sur la
photo, avec l’intégration de deux
capteurs optiques de 12 mégapixels sur la face arrière du téléphone. Pour l’occasion, la marque
a conclu un partenariat exclusif
avec Leica, le célèbre fabricant allemand d’appareils photo. « Le
smartphone est de nos jours de plus
Le bénéfice net
de l’entreprise
a bondi de 33 %,
à 5 milliards
d’euros
en plus utilisé pour faire des photos », a justifié M. Yu. Le géant de
Shenzhen, s’il reste discret sur ses
objectifs de vente, entend bien,
avec le P9, surpasser son grand
frère, le P8, commercialisé il y a
moins d’un an et qui a enregistré
de belles performances, selon la
société.
Depuis 2013, date à laquelle
Huawei a commencé à vendre des
smartphones grand public sous sa
marque, le fabricant chinois s’est
imposé comme un géant incontournable de la téléphonie mobile.
« Il y a encore trois ans, nous
n’étions rien et personne ne nous
connaissait », s’amuse M. Yu.
En 2015, Huawei a écoulé plus de
108 millions de téléphones à travers le monde. Son bénéfice net a
bondi de 33 %, à 36,9 milliards de
yuans (5 milliards d’euros), tandis
que son chiffre d’affaires, qui intègre également ses activités historiques d’équipementier télécoms, a
atteint le montant record de
395 milliards de yuans (53,4 milliards d’euros), en hausse de 37 %.
La raison de ce succès foudroyant ? « Nous proposons des
produits de meilleure qualité que
nos concurrents », assure M. Yu.
Lors de sa présentation à Londres,
le patron de la division des produits grand public de Huawei n’a
eu de cesse d’évoquer ses rivaux,
l’iPhone 6S et le Galaxy S7, pour les
comparer aux performances de
son nouveau téléphone. Pour Denis Morel, vice-président terminaux de Huawei France, c’est l’innovation qui tire la marque vers le
haut : « La moitié de nos plus de
175 000 salariés travaillent dans la
recherche et le développement et
nous y investissons 15 % de notre
chiffre d’affaires », note-t-il.
Autre point fort du chinois : le
marketing. Pour accélérer sa croissance et renforcer la notoriété de la
marque, Huawei fait appel à des célébrités. Après le footballeur Lionel
Messi, le constructeur a dévoilé les
noms des deux stars de sa prochaine campagne publicitaire : les
acteurs Scarlett Johansson et
Henry Cavill, qui incarne Superman. Ce dernier a d’ailleurs fait
une apparition surprise mercredi
au lancement du P9.
Dans l’Hexagone, le fabricant a
néanmoins encore du chemin à
faire avant de rivaliser avec Samsung ou Apple. Moins d’un Français sur deux (44 %) connaissait la
marque en 2015. « Notre objectif est
d’être rapidement dans le top 3 du
marché en valeur et de doubler dès
cette année notre part de marché »,
précise M. Morel. Le groupe chinois représente aujourd’hui environ 5 % du marché tricolore. p
zeliha chaffin
la publicité commerciale
Le groupe, qui table sur 16 millions d’euros de
déficit en 2016, cherche de nouvelles recettes
C’
est un verrou symbolique qui saute. Le Journal officiel a publié,
mercredi 6 avril, un décret du premier ministre autorisant la diffusion de publicités commerciales
sur certaines antennes de Radio
France qui, depuis 1987, ne pouvait diffuser que de la publicité
collective ou d’intérêt général.
Cette évolution, préparée depuis
plusieurs mois, défendue par l’actuelle direction de Radio France et
validée par le gouvernement, a été
encadrée. Le Conseil supérieur de
l’audiovisuel (CSA) a d’ailleurs expressément demandé que soit préservé « le confort d’écoute du public », ce qui revient à vouloir faire
respecter la spécificité des antennes du service public.
France Culture pas concernée
Le texte autorise Radio France à accueillir tous les annonceurs, sauf
les messages pour les boissons alcoolisées de plus de 1,20 degré et
ceux relatifs aux opérations commerciales de promotion de la
grande distribution. La publicité
sera formellement exclue des antennes de France Culture, France
Musique, FIP et Mouv’. Le volume
maximum autorisé par jour sur
France Inter, France Info et France
Bleu sera fixé à dix-sept minutes
en moyenne annuelle par station,
au lieu du plafond actuel de trente
minutes. Les radios commerciales
(comme Europe 1 ou RTL) peuvent,
quant à elles, diffuser environ
douze minutes par heure.
En outre, durant la matinale, période d’écoute la plus forte pour
France Inter, France Info et France
Bleu, ces trois stations ne pourront
pas diffuser plus de trois minutes
de publicité en moyenne entre
7 heures et 9 heures. Sur cette tranche horaire, le spot ne pourra pas
dépasser 1 minute 30, soit un niveau inférieur au maximum autorisé actuellement. En revanche,
aucun plafonnement des recettes
publicitaires de Radio France n’a
été inscrit dans le décret, ce que
souhaitaient les radios privées.
C’est bien pour des raisons économiques que le régime publicitaire de Radio France a été modifié. Ces mesures visent, d’une
part, à sécuriser des recettes publicitaires (autour de 40 millions
par an) déséquilibrées par le mouvement social sans précédent qui
a touché la Maison ronde au printemps 2015. De l’autre, le groupe
table sur 16 millions d’euros de déficit en 2016 et cherche de nouvelles rentrées d’argent. Par ailleurs,
la différence entre annonceurs selon leur origine – publique ou privée – n’était plus jugée pertinente.
Un suivi et un contrôle de la réforme sont prévus. Un rapport
sur les volumes horaires diffusés
sera rendu public chaque année.
Le premier devra être remis avant
le 31 mars 2017. p
alain beuve-méry

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