Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives

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Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
1
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
www.rac-f.org
Publié le 22 novembre 2012
Rédaction
Célia Gautier, RAC-F, Chargée des Politiques européennes,
Chargée du volet « atténuation des émissions » dans le suivi des négociations
internationales sur le climat
[email protected]
+33 1 48 58 89 76
+33 6 72 34 00 27
Mise en page
Célia Gautier, Marc Mossalgue, RAC-F
2
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Sommaire
Abréviations et acronymes
Partie 1 Enjeux et contexte
La planète parle aux gouvernements
Le climat en mal d’ambition
Définition du régime climatique international
2012, année charnière
Un accord mondial à partir de 2020 ?
Présentation de la publication
4
5
5
6
7
8
10
11
Partie 2. Le protocole de Kyoto : Charpente du régime climatique actuel 13
Le protocole de Kyoto : Quèsaco ?
13
Les grands acquis du protocole de Kyoto
14
L’approche réglementaire descendante et les objectifs quantifiés pour 2012
14
Le caractère juridiquement contraignant
16
La différentiation claire entre pays développés et pays en développement
17
Les mécanismes de flexibilité du Protocole
18
Un système de transparence
18
Des objectifs chiffrés pour 2012, et ensuite ?
20
La 2e période du protocole de Kyoto : une transition entre deux régimes climatiques (2012-2020) 21
Les pays ont-ils respecté leurs engagements de réduction d’émissions sous Kyoto ?
22
Le Protocole à l’origine de politiques publiques climat-énergie
25
Partie 3. Vers un nouveau régime climatique
Un bilan GES mitigé…
Le problème de l’excédent de quotas d’émission
Un défaut de niveau de participation
La réalité de la contrainte juridique sous Kyoto
Un partage des émissions pas si « top down » que ça
Un mode de différenciation des pays devenu anachronique
Transparence : une comptabilisation partielle des émissions mondiales
Les éléments du futur régime climatique international
La question cruciale de la contrainte juridique dans le futur régime climatique - Revue
bibliographique
Les discussions entre pays sur la forme juridique de l’accord 2020
Une participation large des pays
Une différenciation plus subtile et plus équitable entre les pays
Privilégier une approche réglementaire (vraiment) descendante
Se questionner sur le caractère dynamique du futur régime climatique
Comptabiliser nos émissions liées à la consommation
31
31
33
33
34
35
36
37
41
Conclusion
51
41
44
46
46
48
49
50
3
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Abréviations et acronymes
AME
AWG-KP
AWG-LCA
CCNUCC
CO2
COP
EU ETS
GES
Giec
LULUCF
MDP
Moc
OMC
ONG
Onu
PIB
Pnue
UE
Accords multilatéraux sur l’environnement
Groupe de travail spécial sur les engagements des pays sous le protocole
de Kyoto
Groupe de travail spécial sur l’action concertée à long terme sous la
Convention
Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques
Dioxyde de carbone
Conférence des Parties (« Conference of the Parties »)
Système européen d’échange de quotas d’émissions de CO2
Gaz à effet de serre
Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat
Usage des sols, changement d’usage des sols et foresterie (« Land Use, Land
Use Change and Forestry »)
Mécanisme de développement propre
Mise en œuvre conjointe
Organisation mondiale du commerce
Organisations non gouvernementales
Organisation des Nations unies
Produit intérieur brut
Programme des Nations unies sur l’environnement
Union européenne
4
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Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Partie 1.
Enjeux et contexte
Cette partie introductive effectue un panorama des enjeux alors que l’année 2012 se termine et
que la Conférence annuelle des Nations unies sur le climat s’ouvre au Qatar (26 novembre-8
décembre 2012).
La planète parle
aux gouvernements
La Conférence de Doha sur le changement
climatique, ou 18e Conférence des Parties
(COP) à la Convention cadre des Nations
unies sur le climat (CCNUCC, également
appelée « Convention Climat »), intervient au
terme
d’une
année
particulièrement
chaotique pour le climat. Une année émaillée
de désastres climatiques et de catastrophes
naturelles.
Les pays développés ne sont pas épargnés.
Entre 1980 et 2011, les dégâts causés en
Amérique du Nord par des aléas climatiques
extrêmes et des catastrophes naturelles ont
été évalués à 1600 milliards de dollars entre
1980 et 20111. Ils se sont multipliés par cinq
sur la période.
Les Etats-Unis, deuxième plus gros émetteur
de gaz à effet de serre (GES) et acteur très
Munich Re, « Severe Weather in North America »,
17 octobre 2012 :
http://www.munichre.com/en/media_relations/pres
s_releases/2012/2012_10_17_press_release.aspx
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bloquant des négociations internationales sur
le climat, ont particulièrement souffert. A
l’été 2012, la plus grave sécheresse depuis
plus d’un demi-siècle a frappé près de 40% de
la zone continentale du pays, détruisant 88%
de la récolte nationale de maïs. Des incendies
de forêt, liés à cette sécheresse, ont ravagé le
Colorado. Les conséquences de cet
événement climatique extrême intervenu aux
Etats-Unis ont été mondiales : les cours
internationaux des denrées alimentaires ont
flambé, notamment pour les produits de
première nécessité comme le blé, le maïs ou
le manioc, menaçant la sécurité alimentaire
de centaines de milliers de personnes.
Toujours à l’été 2012, la calotte glaciaire a
connu sa plus forte fonte depuis le début des
relevés exacts, soit 1958. Et en fin d’année,
tel un symbole, c’est la côte Est des EtatsUnis et New York qui ont été frappées par
l’ouragan Sandy. Cette méga-tempête a causé
des centaines de morts dans plusieurs pays
(notamment en Haïti) et plusieurs milliards de
5
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dollars de dégâts. Les scientifiques estiment
que la force de l’ouragan a été amplifiée de 5
à 10% par les effets du changement
climatique.
De fait, la planète ne cesse de nous alerter
depuis plusieurs années sur le dérèglement du
climat qui s’accélère. En juin 2010, la Russie a
été frappée par une vague de chaleur torride,
qui a causé d’immenses incendies de forêt,
tué des dizaines de milliers de personnes et
détruit 40% de la récolte de blé nationale.
Cela a contribué à une augmentation prix
alimentaires mondiaux. La même année, des
inondations record au Pakistan ont causé le
décès de près de 2 000 personnes, 9,5
milliards de dollars de pertes, avec des
conséquences sanitaires, économiques et
sociales pour 20 millions d’habitants. Ces
inondations constituent la catastrophe
naturelle la plus coûteuse de l’histoire du
pays. En 2010 et 2011, de très fortes pluies
ont également provoqué des inondations et
des glissements de terrain en Colombie, tuant
plus de 600 personnes et causant près de 7
milliards de dollars de dégâts. C’est aussi la
plus grande catastrophe naturelle de l'histoire
du pays. L’Australie aussi a été frappée par de
graves inondations en 2010 et 2011 qui ont
coûté 30 milliards de dollars au pays, soit
également la catastrophe naturelle la plus
coûteuse de l’histoire du pays. Dernier
exemple alarmant, qui montre le risque des
effets de seuils lorsque le climat se dérègle :
en 2010, la forêt amazonienne, principal puits
de carbone de la planète, a subi la deuxième
« sécheresse du siècle » en cinq ans. Cette
sécheresse a provoqué le rejet de 5 milliards
de tonnes d’équivalent CO2 (nettes) dans
l’atmosphère, ce qui représente environ un
cinquième des émissions mondiales de CO2
produites cette année-là par la combustion
des énergies fossiles !
On ne sait pas avec certitude si tel ouragan
ou telle tempête a un rapport direct avec le
changement climatique. Mais les scientifiques
sont formels : les évènements climatiques
extrêmes deviendront de plus en plus
violents, de plus en plus variables et de plus
en plus fréquents sous l’effet du changement
climatique. Nous ne pouvons attendre pour
agir, au risque de provoquer des
conséquences désastreuses. Un monde avec
un climat réchauffé de +6°C en moyenne
serait radicalement différent de celui que
nous connaissons aujourd’hui.
Le climat en mal
d ambition
Malgré cette réalité de plus en plus concrète
du changement climatique, la communauté
internationale ne semble pas acter l’urgence
d’agir. Trop nombreux sont les pays qui
ralentissent les négociations internationales
sous l’égide de l’Organisation des Nations
unies (Onu) ou au sein de l’Union
européenne (UE). En l’état actuel des
négociations et des engagements volontaires
ou contraignant des pays, notre climat a
emprunté une trajectoire de réchauffement
de 3 à 6°C. A ce rythme, les besoins
financiers liés à l’adaptation aux impacts du
changement climatique, mais aussi à transition
énergétique, augmenteront rapidement. Ils se
compteront en millions de milliards à
l’horizon 2050.
Les gouvernements réunis à Doha pour la
conférence internationale annuelle sur le
climat ne peuvent plus échapper à leurs
responsabilités. L’espace atmosphérique n’est
plus suffisamment extensible pour que les
gouvernements
s’autorisent
encore
à
repousser éternellement l’action.
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Figure 1 - Trajectoire des températures en fonction des émissions mondiales
de GES (hausse de température « probablement » évitée). La barre en 2020 indique les niveaux
d’émissions prévus en fonction des hypothèses et conditions associées aux engagements actuels. Les
pointillés représentent la trajectoire médiane pour chaque niveau de température.
Source : Pnue, 2011, 2012.
Définition du
régime climatique
international
La réalité de la répartition des émissions au
niveau mondial appelle à une coopération
internationale afin de lutter contre le
changement climatique. Même si 15 à 20
pays sont responsables d’environ 75% des
émissions mondiales, il n’y a pas un seul pays
qui représente à lui seul plus d’un quart des
émissions totales du globe. Les efforts visant
à réduire nos émissions de GES doivent
donc être mondiaux. Sans coopération ni
coordination internationales, certains Etats
pourraient se conduire en « passagers
clandestins » et réduire l’impact des efforts
menés par d’autres pays. De même tous les
pays devront s’adapter aux impacts du
changement climatique. Le fait que cette
concertation ait lieu sous l’égide de l’Onu
garantit que tous les Etats aient une voix,
même les plus vulnérable.
Par « régime climatique », nous entendons,
au sens large, l’ensemble des institutions et
des acteurs internationaux, régionaux,
nationaux et infranationaux impliqués dans la
lutte contre le changement climatique. Au
sens strict, il s’agit des institutions créées
dans le cadre des Nations unies, et de leurs
articulations avec d’autres instances :
§
§
§
La Convention Climat, adoptée à
Rio de Janeiro en 1992 ;
Le protocole de Kyoto, adopté en
1997 et entré en vigueur huit ans plus
tard ;
Les décisions prises chaque
année par les pays sous l’égide de
ces deux instruments de l’Onu.
7
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Encadré 1 – Les principales dates des négociations internationales sur le
changement climatique
1992
1997
1997-2005
2005
2005
2007
2008
2009
2010
2011
Signature de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique au
Sommet de la Terre de Rio de Janeiro
Adoption du protocole de Kyoto
Processus de ratification par les signataires du Protocole
Entrée en vigueur du protocole de Kyoto
Conférence de Montréal lançant les négociations sur une deuxième période
d’engagement sous le protocole de Kyoto (après 2012)
Plan d’action de Bali pour aboutir en 2009 à un accord mondial qui prendrait la suite
du Protocole (après 2012)
Entrée en vigueur de la première période d’engagement sous le protocole de Kyoto,
d’une durée de cinq ans (2008-2012)
Echec de la Conférence de Copenhague, signature d’une déclaration politique en
dehors du système des Nations unies (l’Accord de Copenhague)
Conférence de Cancun qui inscrit les acquis de l’Accord de Copenhague dans le
système onusien
Conférence de Durban qui lance un nouveau processus de négociation, d’ici 2015 et
dans le cadre de la « Plateforme de Durban », d’un nouvel accord mondial qui doit
entrer en vigueur au plus tard en 2020
ère
2012
Fin de la 1
2013
2013
2015
2015-2020
2020
Année présumée du début de la 2 période d’engagement sous le protocole de Kyoto
COP19 en Pologne ?
Année présumée de la signature de l’accord mondial (COP21 en France ?)
Période de ratification de l’accord mondial par les Etats
Echéance pour l’entrée en vigueur de l’accord mondial
période d’engagement sous le protocole de Kyoto
e
2012, année
charnière
2012 est une année importante pour l’action
internationale
contre
le
changement
climatique. Elle marque la fin de la première
période de mise en œuvre du protocole de
Kyoto (2005-2012), seul accord international
sur le climat qui soit juridiquement
contraignant.
Les pays Parties à la Convention et
Protocole se réunissent depuis
nombreuses années pour négocier sur
suite du protocole de Kyoto, après le
décembre 2012 :
§
soit un nouvel accord qui
regrouperait tous les pays, y compris
au
de
la
31
les Etats-Unis, et remplacerait le
protocole de Kyoto ;
§
soit une suite pour le protocole
de Kyoto, à travers une nouvelle
période d’engagement et de nouveaux
objectifs chiffrés pour chaque pays.
Gros bémol : les Etats-Unis, qui ont
annoncé clairement qu’ils ne
ratifieraient jamais le Protocole, n’en
feront pas partie. Le Protocole prévoit
l’éventualité d’autres périodes
d’engagement après la première (20082012). La Conférence de Montréal, en
2005, a lancé le début des négociations
sur une deuxième période
8
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d’engagement après 2012.
L’instauration d’une nouvelle période
du protocole de Kyoto suppose
l’adoption d’un amendement au
protocole, notamment à son Annexe B
qui contient les objectifs de réduction
d’émissions de chaque pays. Sans
ratification d’un amendement, le
protocole de Kyoto continuera
d’exister mais n’imposera plus aucune
obligation aux Etats. Ce sera une
coquille vide, en somme ;
§
soit un nouvel accord qui serait
mis en œuvre en parallèle d’une
nouvelle période d’engagement sous le
protocole de Kyoto.
Depuis 2007, la négociation internationale
s’est entièrement organisée sur la
préparation d’un nouveau régime climatique
à partir de 2013. Lors de la COP de Bali, en
2007, les pays se sont mis d’accord sur un
Plan d’action instaurant deux groupes de
négociation opérant en parallèle :
§
un groupe de travail sous
l’égide du protocole de Kyoto
(AWG-KP), qui continue de négocier
sur la mise en œuvre du protocole de
Kyoto et de futurs objectifs chiffrés et
règles sous le Protocole, laissant ainsi
ouverte la possibilité d’une deuxième
période d’engagement ;
§
un groupe de travail sur l’action
concertée à long terme (AWGLCA), qui devait négocier un accord
mondial regroupant tous les pays, y
compris les Etats-Unis, dans un effort
concerté de lutte contre le changement
climatique.
La Conférence de Copenhague de 2009
devait être l’aboutissement de ces
négociations internationales empruntant
deux processus parallèles. Cependant, elle
n’a débouché sur aucun accord ambitieux,
contraignant et équitable pour lutter
collectivement contre le changement
climatique.
A la suite de l’échec de Copenhague, les
années 2010 et 2011 ont été consacrées à
reconstruire la confiance fortement ébranlée
dans les négociations internationales, et à
marquer quelques avancées techniques, dont
la création d’un Fonds vert pour aider les
pays en développement à mettre en place
des actions de lutte contre le changement
climatique. Pendant ces deux années, les
approches flexibles et volontaires ont pris de
l’ampleur, remettant en cause l’action
internationale contre le réchauffement de la
planète.
Si les pays parviennent à se mettre d’accord,
à Doha, sur les modalités d’application d’une
deuxième
période
d’engagement
du
protocole de Kyoto, alors celle-ci
constituera la base d’un régime climatique
transitoire, avant l’entrée en vigueur d’un
accord mondial en 2020. Le protocole de
Kyoto ne suffit plus à lutter efficacement
contre le changement climatique puisqu’il
n’impose aucune réduction aux principaux
pays émetteurs de GES (Etats-Unis, Chine,
Inde etc.). C’est néanmoins un élément
essentiel pour préserver un cadre
juridiquement contraignant et des règles
communes au niveau international.
2012, c’est aussi l’année où l’on évalue les
efforts de réduction d’émissions réalisés
entre 2008 et 2012 par les pays développés
dans le cadre du protocole de Kyoto. Vontils respecter ces engagements, alors que la
première période de mise en œuvre du
Protocole se termine ?
9
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Conférence de Durban, décembre 2011
© UNFCCC, Flickr
Un accord mondial
à partir de 2020 ?
Fin 2011, les Accords de Durban ont mis fin
à l’éventualité d’un accord mondial en 2012.
Ils repoussent l’entrée en vigueur d’un tel
accord à 2020 et lancent pour cela un
nouveau processus de négociation L’objectif
est de réussir avant 2015 là où les pays ont
échoué en 2009, à Copenhague. En
attendant ce nouvel accord, une poignée de
pays, Union européenne en tête, a décidé à
Durban de poursuivre leur engagement dans
le cadre du protocole de Kyoto. Le régime
climatique actuel continuera donc de
s’appliquer de manière transitoire.
Les Accords de Durban comportent
néanmoins un élément nouveau par rapport
au processus de négociations qui a précédé
l’échec de Copenhague. Ils décident qu’à
partir de 2020, tous les pays, quel que
soit leur niveau de développement,
participeront à l’effort mondial de lutte
contre le changement climatique et
prendront des engagements de réduction
d’émissions « ayant force légale » (un terme
flou qui reste à définir), dans le cadre d’un
accord mondial.
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Les Accords de Durban créent aussi un
espace de négociations internationales dédié
à l’accélération des efforts des pays avant
2020. En effet, les pays, particulièrement
développés, ne peuvent attendre l’entrée en
vigueur d’un nouvel accord mondial en 2020
pour accroître leurs efforts de lutte contre
le changement climatique. D’après les
organisations non gouvernementales (ONG),
qui se basent sur les travaux scientifiques du
Groupe intergouvernemental d’experts sur
l’évolution du climat (Giec) et du
Programme des Nations unies sur
l’environnement (Pnue), il faudrait que le
niveau des émissions mondiales culminent en
2015 pour avoir une chance de maintenir le
réchauffement climatique bien en deçà de
2°C. Si les Etats n’accélèrent pas leurs efforts
dès aujourd’hui, il sera trop tard en 2020
pour éviter un emballement climatique
catastrophique.
En résumé, les gouvernements de la planète
auront une triple responsabilité à Doha :
§
mener à bien les négociations
sur l’application immédiate
d’une seconde période
d’engagement du protocole de
Kyoto ;
§
enclencher les discussions sur
un accord mondial équitable,
ambitieux et juridiquement
contraignant en 2015, en
établissant pour cela un calendrier clair
avec des échéances chaque année et
jusqu’en 2015 ;
§
montrer par des décisions
concrètes et applicables avant
2020 qu’ils on véritablement
l’intention d’accroître leur
niveau d’efforts à court terme,
sans attendre le nouvel accord
international.
Ces
décisions
internationales
sont
essentielles pour l’avenir de notre planète.
Doha n’est certainement pas une
« conférence pour rien », détachée
de tout enjeu réel.
Présentation de la
publication
L’analyse proposée par le Réseau Action
Climat-France (RAC-F) dans la présente
publication s’inscrit dans ce contexte de
transition du régime climatique de
« l’avant
2012 »,
au
régime
climatique de « l’après 2020 ». Nous
dessinons des voies, parfois existantes,
parfois à construire, pour élaborer un
régime climatique à la hauteur du défi
climatique. Toutefois, ce document ne se
veut pas exhaustif.
L’efficacité et l’équité sont deux aspects
essentiels du futur régime international, qu’il
faudra à tout prix améliorer et garantir. Elles
reposent sur un certain nombre de critères
auxquels le futur régime climatique devra
répondre :
1. le niveau de contrainte
juridique, notamment les
mécanismes de respect des
engagements ;
2. l’approche règlementaire
(descendante ou ascendante)
11
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
3. la répartition de l’effort entre
les pays (en lien avec l’approche
règlementaire) ;
4. le niveau de participation des
pays ;
5. le niveau d’ambition des pays ;
6. la transparence, c’est-à-dire le
suivi et la vérification des
actions réalisées par les Etats
7. l’articulation et la coordination
avec d’autres instances de
gouvernance internationale.
Dans un premier temps, ce document
s’efforce de retracer l’historique et les acquis
du protocole de Kyoto, fondation du régime
climatique actuel. Le rapport effectue un
bilan des actions réalisées par les pays
pendant la première période du Protocole.
Il détaille les éléments du régime climatique
actuel qu’il s’agit de préserver.
Puis le document analyse les faiblesses du
régime actuel, ancré dans le système Kyoto.
Il s’attache à proposer des améliorations
possibles pour le futur régime climatique de
l’après 2020, en partant de l’existant.
12
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Partie 2.
Le protocole de Kyoto :
Charpente du régime
climatique actuel
Le protocole de Kyoto a posé le cadre de la coopération internationale contre le changement
climatique de 2005 à 2012, date à laquelle la première période d’engagement des pays au titre
de ce protocole prend fin.
Cette deuxième partie explique ce qu’est protocole de Kyoto, notamment son rôle par rapport
à la Convention Climat. Elle détaille en quoi le Protocole a été considéré comme un traité
international innovant et dresse un bilan des réductions d’émissions réalisées par les pays qui
avaient souscrit, entre 2008 et 2012, à des engagements « Kyoto ». Ont-ils respecté leurs
objectifs, alors que l’échéance est imminente ?
Le protocole de
Kyoto : Quèsaco ?
Le protocole de Kyoto est un accord
international qui vise à approfondir et à
mettre en œuvre la Convention Climat.
La Convention a été adoptée à Rio de
Janeiro en 1992. Elle constitue le socle de la
coopération internationale sur le climat. A
ce jour, 194 pays l’ont ratifiée (dont les
Etats-Unis). Elle reconnaît la responsabilité
des pays industrialisés dans l’augmentation
des émissions de GES, à l’origine du
changement climatique. Elle reconnaît
également le droit des pays les plus pauvres,
qui ont peu émis de GES, à se développer.
Elle exige des pays industrialisés qu’ils
adoptent des politiques de réduction
drastique de leurs émissions et appelle aussi
les pays du Sud à limiter les leurs.
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Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
La Convention Climat fixe un objectif très
général de stabilisation des émissions au
niveau mondial, afin d’éviter toute
perturbation dangereuse du système
climatique de la planète. Mais elle ne donne
pas plus de détail ou de précisions sur
comment atteindre cet objectif. C’est pour
cela que c’est une convention dite « cadre ».
Le protocole de Kyoto a été adopté par les
pays de la planète pour préciser les
modalités de mise en œuvre de la
Convention climat, renforcer les règles et le
cadre d’action des pays contre le
changement climatique. Il a été adopté par
consensus en 1997 mais n’est entré en
vigueur que huit ans plus tard, le 16 février
2005, à l’issue de longues années de
négociations et après ratification par la
Russie. En effet, les conditions de son entrée
en vigueur étaient sévères. Comme tout
traité international, il devait être ratifié par
les parlements nationaux :
§
§
Au moins 55 pays devaient le ratifier ;
Ces pays devaient représenter au moins
55% des émissions mondiales de gaz à
effet de serre de 1990.
Le Protocole a été ratifié par 191 pays à ce
jour. Son rôle a été très affaibli par le refus
du Congrès des Etats-Unis de ratifier ce
traité, malgré la signature initiale de ce pays.
Les Etats-Unis représentent un quart des
émissions mondiales.
Le protocole couvre six GES émis par
l’homme (le dioxyde de carbone, le méthane,
le protoxyde d’azote, les gaz HFC, les PFC
et le SF6). Ils sont tous comptabilisés en
tonnes d’équivalent CO2 (téqCO2), afin de
pouvoir les comparer. Le Protocole couvre
également les secteurs suivants : énergie,
processus industriels, solvants et autres
utilisations de produits, agricultures et
déchets. Pour les autres secteurs (le
transport international, par exemple) ou
pour les autres gaz (le tri-fluorure d’azote –
NF3), aucune contrainte internationale ne
s’impose. Les gaz et les secteurs couverts
par le protocole de Kyoto sont précisés
dans l’Annexe A du traité.
Les grands acquis
du protocole de
Kyoto
En précisant les modalités de mise en œuvre
de la Convention de l’ONU sur le climat, le
protocole de Kyoto a posé les bases de
l’action internationale en matière de lutte
contre le changement climatique.
L approche réglementaire
descendante et les objectifs
quantifiés pour 2012
Le protocole de Kyoto correspond, du
moins en théorie, à une approche
règlementaire descendante : d’abord un
objectif mondial, qui est décliné en objectifs
nationaux, dont le respect est contrôlé au
niveau international.
Alors que la Convention Climat ne fixe
aucun objectif quantifié de réduction des
émissions de GES au niveau mondial, le
Protocole a établi un objectif précis et
collectif pour les 35 pays industrialisés y
ayant souscrit dans sa première période
d’application (2008-2012) : une réduction de
5,2% des émissions de ces pays, à
réaliser entre 2008 et 2012, par
14
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
rapport au niveau d’émissions de
1990.
Cet objectif a ensuite été décliné en objectif
chiffré pour chaque État ou groupe de pays
(voir Encadré 2).
Pour respecter leurs engagements, les pays
de l’Annexe I doivent mettre en place des
plans nationaux de réduction de leurs
émissions de GES dans les secteurs
principalement responsables du changement
climatique : bâtiment, transports, agriculture,
foresterie, énergie et déchets.
Encadré 2 – Les engagements quantifiés souscrits par les pays
industrialisés au titre de la première période du protocole de Kyoto (20082012)
- Une réduction de 8% pour l’Union européenne des 15 par rapport à 1990
Autriche : -13% (réduction)
Belgique : -7,5 % (réduction
Danemark : -21%(réduction)
Finlande : 0% (stabilisation)
France : 0% (stabilisation)
Allemagne : -21%
Grèce : +25% (limitation de l’augmentation
des émissions)
Irlande : +13% (limitation de l’augmentation
des émissions)
Italie : -6,5% (réduction)
- Une
- Une
- Une
- Une
- Une
- Une
Luxembourg : -28% (réduction)
Pays-Bas : -6% (réduction)
Portugal : +27% (limitation de
l’augmentation des émissions)
Espagne : +15% (limitation de l’augmentation
des émissions)
Suède : +4% (limitation de l’augmentation
des émissions)
Suisse : -8% (réduction)
Royaume-Uni : -12,5%
réduction de 7% pour les Etats-Unis (qui n’ont jamais ratifié et appliqué le protocole) ;
réduction de 6% pour le Canada, le Japon, la Pologne, la Hongrie ;
stabilisation des émissions de la Russie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Ukraine ;
augmentation de 8% des émissions de l’Australie ;
augmentation de 1% des émissions de la Norvège ;
augmentation de 10% des émissions de l’Islande.
15
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Figure 2 – Objectifs souscrits par les Etats européens et leurs partenaires dans
le cadre du protocole de Kyoto (2008-2012)
Source : Agence européenne de l’environnement, 2012
UE-15
Allemagne
Royaume-Uni
Italie
Danemark
Pays-Bas
Belgique
Autriche
Luxembourg
Finlande
France
Suède
Irlande
Portugal
Grèce
Espagne
UE-12
Pologne
Roumanie
Rép. Tchèque
Bulgarie
Hongrie
Slovaquie
Lituanie
Estonie
Lettonie
Slovénie
Chypre (N/A)
Malte (N/A)
Autres pays
Suisse
Croatie
Liechtenstein
Islande
Norvège
Turquie (N/A)
`
Le caractère juridiquement
contraignant
applicable aux pays qui l’ont ratifié et qui ne
respectent pas leurs obligations.
Le protocole de Kyoto est le seul accord
international sur le climat dit « juridiquement
contraignant ». Cela signifie qu’il comporte
un mécanisme d’incitation puis de sanction
Ce mécanisme, appelé « Comité d’observance », a été mis en place en novembre
2005 et a été présenté comme étant le plus
solide jamais adopté dans le cadre d’un
16
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
accord multilatéral sur l’environnement. Il
fonctionne sur le principe de la « carotte et
du bâton », avec deux branches distinctes :
§
§
un organe de facilitation, qui
fournit avis et assistance aux pays afin de
les aider à respecter leurs obligations et
de prévenir les défauts de conformité. Il
sonne l’alerte lorsqu’un pays commence
met en danger le respect de ses
engagements.
un organe d’exécution, plus
coercitif, qui peut prendre des mesures
de rétorsion contre les pays. Il décide
de la nature des enfreintes aux
obligations et aux règles établies sous le
Protocole : elles peuvent être en lien
avec les objectifs de réduction
d’émissions, ou bien avec les exigences
méthodologiques et de reporting, ou
encore avec la participation des pays
aux mécanismes de flexibilité du
protocole de Kyoto. En fonction du type
d’enfreinte, l’organe d’exécution peut
exiger des pays qu’ils mettent en place
certaines actions.
Dans le cas d’un non-respect des objectifs de
réduction d’émissions sur son territoire, un
pays de l’Annexe 1 aurait cent jours après la
revue de ses inventaires d’émissions
nationaux pour acheter des crédits
internationaux. S’il n’achète pas ces crédits, il
devra alors rattraper, pendant la période
suivante, l’écart entre son objectif initial et
les réductions d’émissions effectivement
réalisées majoré de 30%. En d’autres termes,
pour chaque tonne de CO2 qu’un pays ne
parvient pas à réduire, il lui faudra réduire
1,3 tonne pendant la période suivante. Le
comité
d’exécution
peut
également
suspendre le droit d’un pays de vendre des
permis d’émissions ou bien l’obliger à mettre
en place un plan lui permettant de respecter
son engagement.
La différentiation claire entre
pays développés et pays en
développement
La Convention Climat et le protocole de
Kyoto ont établi une différenciation
nette entre pays développés (pays
dit « de l’Annexe I ») et pays en
développement (dits « non Annexe
I »), conformément au principe de
Responsabilités communes mais différenciées
et capacités respectives (RCDCR) de la
Convention Climat.
Dans le régime actuel, seuls les pays
développés ont souscrit (et souscriront,
dans le cadre d’une éventuelle deuxième
période d’engagement) à des engagements
de réduction de leurs émissions. Le
Protocole établit des objectifs quantifiés
pour les pays industrialisés qui l’ont ratifié
(inscrits à l’Annexe B).
Par
cette
différenciation,
les
pays
industrialisés ont reconnu leur responsabilité
première dans le réchauffement du climat.
Dans
le
jargon
des
négociations
internationales, on dit que la Convention
Climat et le protocole de Kyoto établissent
un « pare-feu » entre pays développés et
pays en développement.
Mais quid des pays développés qui n’ont
jamais ratifiés le protocole de Kyoto, c’est-àdire les Etats-Unis, le plus gros pollueur de la
planète (par habitant) ? Ce sont des
décisions postérieures à l’adoption du
protocole de Kyoto, prises par la
Conférence des Parties à la Convention
Climat, qui s’appliquent. Ces pays aussi
17
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
doivent
soumettre
des
engagements
internationaux de réduction de leurs
émissions, qui d’après le Plan d’Action de
Bali (2007), doivent être comparables à ceux
des pays agissant sous Kyoto. Cependant, les
décisions sous la Convention Climat n’ont
pas une valeur juridique contraignante, alors
ces engagements s’imposent moins aux Etats
que ceux pris sous protocole de Kyoto.
Les pays en développement ne sont soumis à
aucun engagement chiffré et contraignant au
titre du Protocole. Ce dernier entend, au
contraire, favoriser leur développement et
prévoit des ressources spécifiques pour leur
permettre de s’adapter aux impacts du
changement climatique. En particulier, un
Fonds pour l’adaptation, rattaché au
protocole de Kyoto, a été lancé en 2007. Il
est
alimenté
par
un
prélèvement
automatique sur les transactions de crédits
d’émissions internationaux (MDP).
En dehors du Protocole, la Convention
demandent aux pays en développement de
soumettre des actions volontaires de
réduction de leurs émissions. Certaines sont
entièrement volontaires et non contrôlées
au niveau international : ce sont celles que
les pays en développement financent euxmêmes. Celles qui sont ou seront rendues
possibles grâce à un soutien technique et
financier des pays développés devront être
rapportées à la Convention Climat.
Dans un monde qui a beaucoup changé
depuis l’adoption la Convention Climat et du
Protocole, le devenir de ce pare-feu est l’un
des points d’achoppement dans les
discussions internationales depuis Durban.
Les mécanismes de
flexibilité du Protocole
Le protocole de Kyoto instaure trois
mécanismes de flexibilité pour aider les Etats
qui s’engagent à réduire le coût de leurs
actions de lutte contre le changement
climatique :
§
Un marché international de
permis d’émissions que les Etats
peuvent se vendre. Il est opérationnel
depuis 2008 ;
§
Le Mécanisme de
développement propre (MDP) :
ce mécanisme permet à un pays
industrialisé de financer des projets de
réduction d’émissions dans un pays en
développement et de recevoir en
contrepartie des permis d’émissions
qu’il pourra utiliser pour respecter son
engagement ;
§
La Mise en œuvre conjointe
(Moc) : c’est un mécanisme dont le
fonctionnement est similaire au MDP,
mais qui s’applique aux pays en
transition (pays de l’ancien bloc
soviétique).
Un système de transparence
L’efficacité du protocole de Kyoto en termes
d’émissions de GES – du moins dans les pays
qui y ont souscrit – réside à la fois dans le
respect des engagements nationaux, des
règles du Protocole et dans la fiabilité des
données fournies par les pays sur leurs
émissions et leurs transactions de crédits
« Kyoto ».
18
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Les Accords de Marrakech, adoptés en
décembre 2005, ont reconnu cet enjeu
essentiel pour l’efficacité du Protocole. Ils
ont fixé un ensemble de procédures de suivi
et de reporting visant au bon respect des
règles du protocole de Kyoto, à la
transparence internationale, et à la bonne
comptabilisation des émissions des pays.
Cette transparence est particulièrement
importante pour garantir une certaine
cohérence dans le cadre des mécanismes de
flexibilité du Protocole, et pour effectuer un
suivi des émissions liées à l’usage des sols qui
sont complexes à mesurer.
Le suivi des émissions sous le Protocole
repose sur des procédures communes de
suivi établies initialement sous la Convention
climat. Néanmoins, le Protocole améliore
ces règles, grâce à l’expérience accumulée
entre 1992 (date d’adoption de la
Convention) et 2005 (date d’entrée en
vigueur du Protocole). Il crée aussi des
procédures spécifiques visant à effectuer un
suivi transparent des transactions de quotas
d’émissions effectuées grâce aux mécanismes
de flexibilité : entre les Etats membres, et les
transactions de crédits internationaux issus
du MDP et de la MOC. Le Protocole prévoit
aussi des procédures pour le suivi des
crédits issus des activités de séquestration
d’émissions dans le secteur de l’usage des
sols.
Le Protocole établit en outre des règles
précises de reporting que les pays de
l’Annexe I doivent respecter, ainsi que des
règles pour la revue des informations que les
pays fournissent. Il établit des méthodologies
pour la construction des inventaires
nationaux d’émissions de GES. Ces
inventaires nationaux ainsi que des
communications nationales doivent être
soumis par les pays à intervalles réguliers
(article 7). Le Protocole exige des pays
développés qu’ils aient mis en place un
système national d’évaluation des émissions
de GES par source et des GES séquestrés
(article 5). Enfin, il prévoit que les inventaires
nationaux de GES et les communications
nationales soient revues par des équipes
d’experts.
Concernant les mécanismes de flexibilité, le
Secrétariat de la Convention Climat est en
charge de gérer le Registre du MDP sous le
contrôle du Comité exécutif du MDP. Ce
dernier émet des crédits MDP et les
distribue aux registres nationaux. Le
Secrétariat de la Convention vérifie en
temps réel que chaque transaction de crédits
effectuée dans le cadre du MDP est
conforme aux règles du protocole de Kyoto.
Le système de transparence établi sous le
Protocole de Kyoto a contribué à la
définition de mécanismes de transparence
aux niveaux national ou régional. Par
exemple, dans la législation européenne, les
quotas d’émissions échangés dans le cadre
du Système européen de permis négociables
(EU ETS) sont conçus comme des unités
Kyoto spécifiques, qui sont éligibles à des
échanges sur l’EU ETS. Toutes les
transactions enregistrées sur l’EU ETS le
sont aussi dans le cadre du protocole de
Kyoto. Toutefois, l’UE possède aussi son
propre système de traçage et de vérification
des transactions de quotas, car certaines
règles européennes diffèrent de celles du
Protocole (plus strictes). Le système de
vérification européen et le système Kyoto
opèrent un dialogue pour assurer une
cohérence.
19
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Des objectifs
chiffrés pour 2012,
et ensuite ?
L’existence
d’une
deuxième
période
d’engagement du protocole de Kyoto au 1er
janvier 2013 n’est pas tout à fait acquise.
Des règles et des modalités restent à
préciser à Doha, notamment :
§
Les Parties au Protocole qui, à Durban, ont
accepté de s’engager dans le cadre d’une
deuxième période du protocole de Kyoto
sont essentiellement les Etats membres de
l’Union européenne, avec leurs partenaires
traditionnels que sont la Suisse, la Norvège,
etc. A quelques jours de la Conférence de
Doha, l’Australie a également annoncé sa
participation à la deuxième période
d’engagement, cependant elle fixe des
conditions : un objectif chiffré peu ambitieux
(5% de réduction d’ici 2020 comme objectif
minimum), une durée de 8 ans, un report de
l’excédent de quotas accumulés par les pays
et non utilisés pendant la première période
d’engagement sous le Protocole.
D’autres pays ont annoncé d’emblée qu’ils
ne participeraient pas à cette deuxième
période d’engagement, en particulier le
Japon. Quant au Canada, il a pris la décision
radicale de quitter le navire Kyoto à la fin de
l’année 2011 (voir Encadré 2), fragilisant
davantage le régime climatique. Il n’est plus
membre du Protocole.
Enfin, certains pays n’ont pas encore pris de
décision définitive et doivent le faire d’ici la
fin de la COP18 à Doha (notamment
la Nouvelle-Zélande, la Russie et l’Ukraine).
Il est cependant peu probable qu’ils
rejoignent la deuxième période du
Protocole2.
Ce qui, dans le cas de la Russie et de l’Ukraine,
n’est pas nécessairement une mauvaise chose,
compte tenu de « l’air chaud » (quotas en surplus,
accordés pour des réductions d’émissions
La durée de la deuxième
période d’engagement du
protocole de Kyoto (5 ou 8 ans).
L’Union
européenne
ou
l’Australie
demandent une durée de 8 ans, notamment
compte tenu de leur législation. Les pays en
développement,
notamment
les
plus
vulnérables (pays africains, petits Etats
insulaires) demandent quant à eux une
période d’une durée de 5 ans afin d’obliger
les pays industrialisés à rehausser leurs
objectifs avant 2020, si leurs actions
s’avèrent être insuffisantes pour avoir une
chance d’éviter un changement climatique
dangereux. Une revue mondiale des efforts
des pays est prévue en 2013-2014, qui
pourrait renseigner ce débat. L’Union
européenne propose d’adopter à Doha un
amendement permettant la mise en place
d’une procédure simplifiée de rehaussement
des objectifs des pays développés en cours
de période. Avec cette procédure, les pays
n’auraient pas besoin de passer par un
processus long et complexe de ratification
de nouveaux objectifs. Cette procédure
pourrait
être
automatique,
voire
contraignante si les efforts s’avéraient être
vraiment insuffisants.
§
Les règles encadrant le report
du surplus de quotas
d’émissions (Unités quantitatives
attribuées – UQA) détenu par les pays à
l’issue de la première période du
protocole de Kyoto.
2
factices), que ces pays possèdent et pourraient
réintroduire dans le système Kyoto.
20
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Les pays en développement veulent
supprimer, ou fortement restreindre ce
surplus pour qu’il ne vienne pas ajouter de
l’ « air chaud » en deuxième période
d’engagement. On appelle « air chaud » les
quotas d’émissions qui ont été accordé à des
pays pour de réductions d’émissions factices.
Il concerne essentiellement les pays de l’ex
bloc soviétique, qui se sont fortement
désindustrialisés depuis 1988 mais dont les
engagements n’ont pas pris en compte
l’évolution économique et politique. L’Union
européenne ne parvient pas à se mettre
d’accord en interne sur une position unifiée.
Certains Etats membres souhaitent une
suppression totale, d’autre la suppression
d’une partie et une restriction de l’utilisation
de ce surplus en deuxième période, et
d’autres enfin souhaitent pouvoir pleinement
jouir de leur surplus de quotas, auquel ils
estiment avoir droit.
§
Le processus de ratification des
amendements au protocole de
Kyoto
Cette ratification semble difficile à réaliser
en temps et en heure pour permettre à la
deuxième période de s’appliquer dès le 1er
janvier 2013. Les échéances sont très
courtes. Afin d’assurer la continuité du
régime climatique international d’ici la
ratification par les Etats, les amendements
décidés à Doha devraient contenir des
dispositions sur l’application immédiate et
provisoire de la deuxième période.
En parallèle de la mise en œuvre éventuelle
d’une deuxième période d’engagement du
Protocole, un processus de négociation d’un
nouvel accord mondial sur le climat est lancé
dans le cadre d’un nouveau groupe de
négociation, appelé la « Plateforme de
Durban ». Il doit déboucher sur la
signature d’un accord mondial en 2015, qui
permette la ratification de l’accord et son
entrée en vigueur au plus tard en 2020.
La 2e période du
protocole de
Kyoto : une
transition entre
deux régimes
climatiques
(2012-2020)
La deuxième période d’engagement sous le
protocole de Kyoto constitue donc une
transition entre le régime pré-2012 et le
régime post-2020. Pendant cette période
transitoire, il faudra préserver les acquis du
Protocole de Kyoto issus de la première
période d’engagement, construire sur ces
acquis et les renforcer en vue du futur
accord mondial.
Pendant cette période
transitoire, on trouvera, comme dans le
régime actuel :
§
D’un côté, les pays acceptant de
s’engager pour une deuxième
période d’engagement sous le
protocole de Kyoto, avec pour les
pays de l’Annexe I, adoptent des
objectifs chiffrés de réduction de leurs
émissions pour 2017 ou 2020.
§
De l’autre, les pays n’ayant pas
ratifié le protocole. Les pays de
l’Annexe I doivent adopter des
engagements comparables et les pays en
développement doivent limiter leurs
émissions en soumettant des objectifs
21
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
ou actions volontaires de lutte contre le
changement climatique.
Après 2020, un nouveau régime climatique
international, qui reposera sur les acquis du
précédent et les approfondira, devra être
mis en œuvre.
Dans cette transition d’un régime climatique
à un autre se pose la question de la nature
du futur régime climatique international.
Depuis la signature de la Convention Climat
et du protocole de Kyoto dans les années
1990, le monde a évolué. Les équilibres
géopolitiques, économiques et énergétiques
se sont modifiés. Le régime actuel a aussi
montré ses limites. La limite plus évidente
réside
dans
l’absence
d’engagements
souscrits par les Etats-Unis, deuxième plus
gros émetteur mondial de GES, et longtemps
le premier. Le futur régime climatique devra
acter la nouvelle réalité dans lequel il s’insère
et combler les failles du régime actuel.
Pendant ces négociations sur l’accord
mondial sur le climat, les pays partageront
leurs visions du futur régime international
sur le climat. A l’heure actuelle, ces visions
divergent encore très fortement.
Les pays ont-ils
respecté leurs
engagements de
réduction
d émissions sous
Kyoto ?
Les graphiques (voir Figures 3, 4 et 5) et
le tableau ci-après (voir Tableau 1)
compare les objectifs que les pays
développés (dits de l’Annexe B) ont pris
pour la première période du protocole de
Kyoto (2008-2012), et leurs trajectoires
effectives d’émissions.
Le Tableau I ne se réfère qu’aux
engagements souscrits au titre du protocole
de Kyoto, bien que certains pays ou groupes
de pays aient adopté, par la suite, des
objectifs plus ambitieux dans le cadre de leur
législation nationale ou régionale.
L’Union européenne des 27 n’a pas d’objectif
unique sous Kyoto (mais elle en a un pour
2020 dans le cadre du Paquet énergie-climat,
voir Figure 4).
Ouverture du Groupe de travail de la Plateforme de Durban pour une action renforcée, Bonn,
2012.
© UNFCCC, Flickr, Licence Creative Commons
22
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Les 15 premiers Etats membres ont pris un
engagement collectif (voir Figure 3), en
1997 lorsque le protocole de Kyoto a été
adopté : réduire leurs émissions de 8% à
l’horizon 2012 par rapport à 1990. Ils ont
ensuite effectué une distribution de cet
objectif entre eux, en le déclinant en
objectifs nationaux. A travers ce mécanisme
dit de « bulle », le protocole de Kyoto
permet d’effectuer une agrégation d’objectifs
nationaux pour fixer un objectif régional
collectif
contraignant.
D’autres
pays
européens, qui n’étaient pas encore
membres de l’UE à l’époque, ont pris des
engagements individuels au niveau national,
qu’ils gardent aujourd’hui. C’est le cas de la
Pologne, par exemple (-6% en 2012 par
rapport à 1988).
notamment le Japon, la Suisse, la Norvège, le
Luxembourg, ou l’Espagne. Aujourd’hui,
compte tenu l’atteinte quasi-certaine des
objectifs Kyoto pour 2012, ces unités Kyoto
ne trouvent plus preneur.
En 2010, les émissions de GES de l’Union
européenne des 15 étaient de 10,6%
inférieures aux niveaux de 19903, au lieu de
8%. En octobre 2012, l’Agence européenne
de l’environnement (AEE) a même indiqué
que l’Union européenne (UE) avait réduit ses
émissions GES de 17,5% entre 1990 et 2011
dans le cadre de la législation européenne4.
En tenant compte de l’utilisation de crédits
internationaux grâce aux mécanismes établis
sous le protocole de Kyoto, l’UE aurait
même déjà dépassé son objectif de réduction
d’émissions de -20% pour 2020.
On peut constater à la lecture de ce tableau
que la plupart des pays développés membres
du protocole de Kyoto vont respecter leur
objectif pour 2012. Ceci, à l’exclusion de
l’exemple le plus emblématique qui est le
Canada, qui a quitté le navire Kyoto (voir
Encadré 3). Mais malgré cette mauvaise
performance du Canada et la non
participation des Etats-Unis, les émissions
des pays industrialisés membres du
Protocole se sont effectivement stabilisés à
leur niveaux de 1990. Pour certains pays ou
groupes de pays, les objectifs « Kyoto » pour
2012 pourraient même être dépassés.
Les pays industrialisés sont en passe de
respecter leurs objectifs contraignants grâce
à une réduction ou une limitation de leurs
émissions sur leur territoire et⁄ou à un usage
des mécanismes de flexibilité du protocole
de Kyoto, notamment l’achat ou la vente
d’unités d’émissions attribuées aux Etats. Les
principaux vendeurs d’unités « Kyoto » sont
les pays d’Europe de l’Est et centrale en
transition (notamment l’Ukraine, la Hongrie,
etc.), tandis que les plus gros acheteurs sont
Les
inventaires
nationaux
d’émissions
communiqués aux Nations unies ne sont
disponibles que jusqu’à 2010 Etats les publient 15
mois après la date effective, afin d’avoir le temps
de réunir les informations nécessaires.
3
Agence européenne de l’environnement,
« Greenhouse gas emission trends and projections in
Europe 2012. Tracking progress towards Kyoto and
2020 targets », octobre 2012 :
http://www.eea.europa.eu/publications/ghgtrends-and-projections-2012/at_download/file
4
23
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Figure 3 – Tendances et projections pour le total des émissions de GES de
l’UE-15 entre 1990 et 2020 (en millions de tonnes d’équivalent CO2)
Emissions totales dont soutes maritimes et
aériennes
Emissions totales à l’exclusion des soutes
maritimes et aériennes (comptabilisation
Kyoto)
Emissions de l’EU ETS
Emissions de CO2 et séquestration de CO2
Année de référence Kyoto
Objectif Kyoto
La France aura baissé ses émissions de GES
(total des 6 gaz du « panier Kyoto ») de 6%
entre 1990 et 2010, voire de 8% si l’on
prend en compte l’usage des sols. Et ces
réductions d’émissions ont été encore plus
rapides entre 2010 et 2011 : la France a
annoncé avoir réduit ses émissions
de 12% en 2011 par rapport à 1990 ;
voire de 16% si l’on prend en
compte le secteur de l’usage des
sols ! La baisse est valable pour tous les
GES, sauf pour les HFC, en nette
augmentation.
Figure 4 – Tendances et projections pour le total des émissions de GES de
l’UE-27 entre 1990 et 2020 (en millions de tonnes d’équivalent CO2)
Projections (avec mesures existantes)
Projections (avec mesures additionnelles)
Emissions totales (dont soutes maritimes et
aériennes)
Emissions totales (à l’exclusion des soutes
maritimes et aériennes)
Emissions couvertes par l’EU ETS
Emissions de CO2 et séquestration du CO2
24
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Figure 5 – France - variation des émissions du potentiel de réchauffement
global, hors secteur usage des sols, au cours de la période 1990-2010
(métropole et Outre-mer) en % par rapport à 1990
A l’inverse, les émissions des pays en
développement (non-Annexe 1) ont doublé
sur la période. Selon la méthode officielle
de comptabilisation des émissions5, les
pays en développement ont émis, en
2010, 40% de plus que les pays
industrialisés !
Par conséquent, la mise en œuvre de la 1ère
période d’engagement du protocole de Kyoto
correspond à une période de ralentissement
des émissions de GES dans les pays
industrialisés qui en sont membres. La mise
en œuvre du Protocole n’est pas indifférente
à ce ralentissement, notamment parce qu’elle
a permis l’élaboration et l’application de
politiques publiques et de mesures de
réductions climat-énergie dans les pays qui
ont souscrit des engagements Kyoto.
L’exemple phare d’une telle législation dans
les pays est le Paquet Energie-climat de l’UE.
Le Protocole à
l origine de
politiques
publiques climaténergie
L’adoption du Paquet énergieclimat, en 2008, par l’Union européenne
découle du cadre établi par le protocole de
Kyoto. C’est l’exemple par excellence des
orientations que peuvent donner les
politiques internationales aux actions des pays
ou groupes de pays.
Le Paquet énergie-climat instaure un cadre
législatif pour une politique climatique et
énergétique ambitieuse en Europe. Il inclut
des mesures politiques qui visent à :
§
§
§
réduire les émissions de GES ;
développer les énergies renouvelables ;
améliorer l’efficacité énergétique.
La méthode officielle pour la réalisation des
inventaires nationaux comptabilise les émissions
produites sur le territoire d’un pays.
5
25
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Les objectifs pour 2020 concernant ces trois
dimensions sont :
§
§
§
une réduction de 20% des
émissions de CO2 ;
une part de 20% d’énergies
renouvelables ;
une diminution de 20% des
consommations d’énergie par
rapport au développement
tendanciel. Ce dernier objectif
n’est pas contraignant dans le
Paquet Energie climat.
La mise en œuvre, au niveau européen, d’un
marché de quotas d’émission négociables,
appelé « système d’échange des quotas
d’émission » (EU-ETS en anglais), découle des
mécanismes de flexibilité instauré par le
protocole de Kyoto.
L’Australie est en train de mettre en place un
système d’échange de quotas similaire à celui
de l’UE. Il sera opérationnel à partir de 2015.
L’UE et l’Australie ont annoncé que leurs
deux systèmes d’échange de quotas seraient
connectés en 2018. Ce lien se fera d’abord en
sens unique (des entreprises australiennes
peuvent acheter des quotas à des entreprises
européennes), puis dans les deux sens. Les
modalités concrètes de cette connexion
entre deux marchés domestiques découlant
en partie du protocole de Kyoto doivent
encore être précisées.
26
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Tableau 1. Objectifs initiaux sous Kyoto et réductions réalisées6
Pays
Objectif de
réduction
d’émissions
(réf. 19907)
Réductions effectivement réalisées sur la période 20082012
§ UE-27 n’a pas d’objectif unique sous Kyoto pour 20082012. Les estimations récentes de l’Agence européenne de
l’environnement indiquent une baisse de 2,5% des émissions
UE-27 en 2011 par rapport à 2010.
UE-15
Bulgarie*
République
Tchèque
Estonie
Lettonie
Liechtenstein,
Lituanie
Monaco
Romanie*
Slovaquie*
Slovénie*
Suisse
6
-8%
§ UE-15 va probablement dépasser son objectif Kyoto pour
2008-2012, l’ayant atteint fin 2011 : -10,6% entre 1990 et
20108. Les émissions moyennes de l’UE-15 entre 2008 et
2011 étaient de 11% inférieures aux niveaux de 1990, soit endeçà de l’objectif Kyoto de -8% sur la période 2008-2012.
Dans les secteurs non couverts par le marché européen des
quotas d’émissions (EU-ETS), les émissions ont été
inférieures aux objectifs fixés pour ces secteurs, avec un écart
de 1,7% des émissions de 1990. La prise en compte des
activités liées à l’usage des sols (LULUCF) devrait réduire
davantage les émissions nettes de l’UE-15 à hauteur de 1,4%
du niveau de 1990.
L’UE-15 a l’intention d’utiliser les mécanismes de flexibilité du
protocole de Kyoto au niveau des Etats, en acquérant une
quantité d’unités Kyoto équivalente à 2% des émissions de
1990 par an9.
Ces chiffres ne sont pas définitifs. Les données disponibles ne vont pas jusqu’à novembre 2012.
Pour l’Union européenne, les estimations pour l’ensemble des 27 Etats membres sont disponibles dans le
rapport de l’Agence européenne de l’environnement (AEE) paru en octobre 2012 : European Environmental
Agency, « Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2012 - Tracking progress towards Kyoto and
2020 targets », EEA Report n°6-2012, 24 octobre 2012. http://www.eea.europa.eu/publications/ghg-trendsand-projections-2012
* Certains pays n’ont pas la même année de référence que les autres membres du protocole de Kyoto : au
lieu de 1990, les pays d’Europe de l’Est et centrale en transition ont pu choisir une année antérieure Bulgarie (1988), Hongrie (moyenne 1985-1987), Pologne (1988) et Slovénie (1986).
7
Source : Rapport d’inventaire national d’émissions, 2012 et estimations des émissions de GES pour 2012.
Egalement, European Environmental Agency, « Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2012 Tracking progress towards Kyoto and 2020 targets », EEA Report n°6-2012, 24 octobre 2012, Profile GES de
l’UE-15 :
http://www.eea.europa.eu/publications/ghg-trends-and-projections-2012/eu-15.pdf
8
Source : Rapport d’inventaire national d’émissions, 2012 et estimations des émissions de GES pour 2012.
Egalement, European Environmental Agency, « Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2012 Tracking progress towards Kyoto and 2020 targets », EEA Report n°6-2012, 24 octobre 2012, Profile GES de
l’UE-15 :
http://www.eea.europa.eu/publications/ghg-trends-and-projections-2012/eu-15.pdf
9
27
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
o La France va probablement dépasser son objectif
Kyoto pour 2008-2012. Les émissions moyennes de la
France entre 2008 et 2009 étaient 8,2% inférieures aux
niveaux de 1990, donc en-deçà de l’objectif Kyoto de
stabilisation des émissions par rapport à 199010.
-8%
§ La Suisse a des émissions pour l’instant supérieures à
son objectif Kyoto, mais elle affirme qu’elle l’atteindra en
faisant usage des mécanismes de flexibilité. Fin 2011, les
émissions territoriales moyennes de la Suisse entre 2008 et
2012 étaient de 0,3% inférieures à l’année de référence
(1990), mais bien supérieures à l’objectif Kyoto pour 20082012 qui est de -8%. Les activités liées à l’usage des sols
(LULUCF) viendront probablement soustraire des émissions
nettes équivalentes à 3% des émissions de l’année de
référence, pas suffisamment pour atteindre l’objectif Kyoto
pour 2012. La Suisse a donc l’intention d’utiliser les
mécanismes de flexibilité du Protocole au niveau national
(UQA), en faisant l’acquisition d’une quantité d’unités Kyoto
équivalente à 5,7% des émissions de 1990, par an11.
§ Les Etats-Unis n’ont jamais ratifié le protocole de Kyoto.
Etats-Unis
-7%
Canada
-6%
§ Les Etats-Unis ont adopté un objectif volontaire de -17%
entre 2005 et 2020 (hors Protocole). Affirment être sur la
bonne trajectoire pour l’atteindre grâce à des mesures
d’efficacité énergétique, notamment dans le secteur
automobile, et à la substitution du charbon par les gaz non
conventionnels (de schiste).
§ Le Canada est l’un des rares pays à avoir très largement
dépassé son objectif Kyoto pour 2008-2012 : + 30% en
2010 par rapport à 1990.
§ La Hongrie devrait largement dépasser son objectif Kyoto
pour 2008-2012, car elle a bénéficié du phénomène d’AIR
CHAUD : ses émissions étaient de 40,8% inférieures en 2011
par rapport à une moyenne des niveaux d’émissions entre
1985 et1987, donc bien inférieures à sa limite Kyoto pour
2012. Même dans les secteurs non couverts par l’EU-ETS, les
Source : Rapport d’inventaire national d’émissions, 2012 et estimations des émissions de GES pour 2012.
Egalement, European Environmental Agency, « Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2012 Tracking progress towards Kyoto and 2020 targets », EEA Report n°6-2012, 24 octobre 2012, Profile GES de la
France :
http://www.eea.europa.eu/publications/ghg-trends-and-projections-2012/france.pdf
10
Source : Rapport d’inventaire national d’émissions, 2012 et estimations des émissions de GES pour 2012.
Egalement, European Environmental Agency, « Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2012 Tracking progress towards Kyoto and 2020 targets », EEA Report n°6-2012, 24 octobre 2012, Profile GES de la
Suisse :
http://www.eea.europa.eu/publications/ghg-trends-and-projections-2012/switzerland.pdf
11
28
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
émissions étaient bien inférieures à la limite fixée (une marge
de 33,6% des émissions de l’année de référence). La prise en
compte des activités dans le secteur de l’usage des sols
(LULUCF) devrait réduire davantage les émissions hongroises.
La Hongrie a l’intention de faire usage des mécanismes de
flexibilité du protocole de Kyoto au niveau étatique, non pas
pour acheter, mais pour vendre une quantité annuelle d’unités
Kyoto équivalente à 3,5% des émissions de l’année de
référence12.
Hongrie,
Japon,
Pologne*
Croatie
§ Le Japon a vu ses émissions territoriales en 2010
augmenter de 4,4% par rapport à 1990 (inventaire publié en
2012). Il a l’intention d’acquérir des unités d’émissions sur
le marché Kyoto pour respecter ses engagements 2012 (à
l’Ukraine notamment).
-6%
-5%
§ La Pologne devrait largement dépasser son objectif Kyoto
pour 2008-2012, car elle a bénéficié du phénomène d’AIR
CHAUD : les émissions polonaises étaient de 29,3%
inférieures en 2011 par rapport à 1988, donc bien inférieures à
l’objectif Kyoto de -6%. Dans les secteurs non couverts par le
marché européen des quotas d’émissions (EU ETS), les
émissions ont été également inférieures à leurs objectifs
respectifs, avec un écart équivalent à 22,6% des niveaux de
1988. La comptabilisation des activités liées à l’usage des sols
(LULUCF) devraient réduire davantage les émissions
polonaises sur la période, à hauteur de 2,2% du niveau de
198813.
§ La Croatie devrait atteindre son objectif Kyoto : Fin 2010,
les émissions moyennes de la Croatie entre 2008 et 2010
étaient 5,6% inférieure à l’année de référence, soit en-deçà de
l’objectif Kyoto. En prenant en compte les activités liées à
l’usage des sols (LULUCF), les émissions croates
représentaient 4,2% de l’année de référence. Fin 2010, la
Croatie semblaient donc en passe d’atteindre son objectif
Kyoto pour 2008-201214.
Source : Rapport d’inventaire national d’émissions, 2012 et estimations des émissions de GES pour 2012.
Egalement, European Environmental Agency, « Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2012 Tracking progress towards Kyoto and 2020 targets », EEA Report n°6-2012, 24 octobre 2012, Profile GES de la
Hongrie :
http://www.eea.europa.eu/publications/ghg-trends-and-projections-2012/hungary.pdf
12
Source : Rapport d’inventaire national d’émissions, 2012 et estimations des émissions de GES pour 2012.
Egalement, European Environmental Agency, « Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2012 Tracking progress towards Kyoto and 2020 targets », EEA Report n°6-2012, 24 octobre 2012, Profile GES de la
Pologne :
http://www.eea.europa.eu/publications/ghg-trends-and-projections-2012/poland.pdf
13
Source : Rapport d’inventaire national d’émissions, 2012 et estimations des émissions de GES pour 2012.
Egalement, European Environmental Agency, « Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2012 Tracking progress towards Kyoto and 2020 targets », EEA Report n°6-2012, 24 octobre 2012, Profile GES de la
Croatie :
http://www.eea.europa.eu/publications/ghg-trends-and-projections-2012/croatia.pdf
14
29
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
§ La Nouvelle-Zélande a annoncé qu’elle atteindrait son
objectif Kyoto pour 2008-2012 et prévoit d’avoir un surplus
d’unités Kyoto de plus de 23 millions de tonnes d’équivalent
CO2.
NouvelleZélande,
Russie,
Ukraine
0%
§ La Russie a largement bénéficié du phénomène d’AIR
CHAUD : -34% en 2010 par rapport à 1990. La Russie est le
plus gros détenteur de surplus de quotas issu de la première
période d’engagement sous le protocole de Kyoto.
§ L’Ukraine a bénéficié du phénomène d’AIR CHAUD : son
objectif Kyoto pour 2008-2012 devrait être largement dépassé.
Le scénario « business as usual » en Ukraine correspondrait à
une réduction de -57% entre 1990 et 2020 !
Norvège
Australie
Islande
+1%
+8%
+10%
§ Les émissions moyennes de la Norvège sur la période
2008-2011 étaient 6,8% supérieure aux émissions de 1990,
soit bien au-delà de l’objectif Kyoto pour 2012 d’une
limitation à 1%. Pour respecter son engagement Kyoto pour
2008-2012, la Norvège a l’intention d’utiliser les mécanismes
de flexibilité du protocole de Kyoto au niveau national (UQA),
en faisant l’achat d’une quantité d’unités Kyoto équivalente à
9,1% des émissions de 199015.
§ L’Australie devrait atteindre son objectif Kyoto pour 20082012. En avril 2012, les émissions avaient augmenté de +4%
depuis 2008 par rapport à 1990.
§ L’Islande devrait atteindre son objectif Kyoto pour 20082012. Les émissions moyennes du pays entre 2008 et 2010
étaient de 1,5% inférieure aux émissions pendant l’année de
référence. Soit inférieures à l’objectif Kyoto pour 2012 de
+10%. La comptabilisation des activités liées à l’usage des
sols devraient réduire davantage les émissions nationales
annuelles, à hauteur de 13% du niveau de l’année de
référence16.
Source : Rapport d’inventaire national d’émissions, 2012 et estimations des émissions de GES pour 2012.
Egalement, European Environmental Agency, « Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2012 Tracking progress towards Kyoto and 2020 targets », EEA Report n°6-2012, 24 octobre 2012, Profile GES de la
Norvège :
http://www.eea.europa.eu/publications/ghg-trends-and-projections-2012/norway.pdf
16 Source : Rapport d’inventaire national d’émissions, 2012 et estimations des émissions de GES pour 2012.
Egalement, European Environmental Agency, « Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2012 Tracking progress towards Kyoto and 2020 targets », EEA Report n°6-2012, 24 octobre 2012, Profile GES de
l’Islande :
http://www.eea.europa.eu/publications/ghg-trends-and-projections-2012/iceland.pdf
15
30
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Partie 3.
Vers un nouveau régime
climatique
Nous avons effectué, dans la deuxième partie de cette publication, un bilan des forces et des
acquis du protocole de Kyoto, ainsi qu’un constat des réductions d’émissions réalisées par les
pays. Il a donc notamment posé les fondations suivantes :
§ La contrainte juridique internationale,
§ Un mécanisme de sanction,
§ Une différenciation claire entre pays développés et pays en développement pour mettre en
œuvre le principe de « Responsabilités communes mais différenciées »,
§ Des mécanismes de soutien aux pays en développement,
§ Des mécanismes de flexibilité, et
§ Un système de transparence.
Cette troisième partie analyse les faiblesses du Protocole tel qu’il existe actuellement. Elle fait
une analyse critique du bilan des réductions d’émissions réalisées par les pays industrialisés
pendant la phase 1 du Protocole. Elle propose des pistes d’amélioration de l’architecture
existante et des compléments pour le futur régime climatique mondial. L’objectif de cette partie
n’est pas de discréditer le protocole de Kyoto car elle en souligne aussi les forces et les éléments
à conserver pour le futur régime climatique mondial.
Un bilan GES
mitigé
En y regardant de près, les réductions
d’émissions
réalisées
dans
les
pays
industrialisés sous contrainte Kyoto sont en
grande partie liées à deux éléments clés,
indépendants de la mise en œuvre de
politiques volontaristes de limitation des
émissions de GES et indépendantes du
protocole de Kyoto :
31
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
§
L’effondrement des émissions
des pays de l’ex-bloc soviétique,
liée à une désindustrialisation massive
depuis 1990. Or ces pays ont réussi à
obtenir une année de référence (souvent
1988 ou une moyenne 1985-1987) située
dans la période qui a précédé leur
désindustrialisation massive. Les
réductions d’émissions qui ont découlé
du ralentissement de leur production
industrielle pendant la décennie 1990 ne
provenaient pas de mesures politiques
énergie-climat. Pourtant, elles
apparaissent comme des baisses
d’émissions réelles, par rapport à l’année
de référence, dans le système Kyoto ;
Le bilan de Kyoto en termes de réductions
d’émissions de GES est donc plutôt mitigé.
Encadré 3 – Le rôle de la crise :
Exemple de l’Australie
L’Australie, dont les émissions n’ont jamais connu
de tendance baissière, a traversé un court épisode
de baisse de ses émissions en 2009 à cause de la
crise économique. Si, comme elle l’a annoncé,
l’Australie parvient effectivement à atteindre son
objectif Kyoto – non pas un objectif de baisse mais
de limitation de hausse des émissions à +8%, alors
la crise y sera certainement pour quelque chose.
§
Le ralentissement économique
mondial, intervenu dans la plupart des
nations industrialisées. Depuis 2008, nos
trajectoires d’émissions et de
développement n’ont pas été
structurellement et fondamentalement
bouleversées par les politiques climaténergie en place. Il est à craindre que,
dès la relance de la production
industrielle en Europe et dans les autres
pays développés, les émissions
retrouvent une tendance haussière17. La
transition énergétique et économique
doit encore être enclenchée dans tous
les pays.
L’Australie a adopté un objectif de décarbonisation
de son économie à l’horizon 2050. Cela suppose
une transition énergétique et une révolution
économique et industrielle qui n’a pas eu lieu pour
l’instant.
dépendant
Le
du
pays
est
charbon
encore
pour
extrêmement
sa
production
énergétique, à hauteur de 76%. C’est cette
dépendance même qui lui a permis d’obtenir, à
l’issue de la négociation, un objectif de +8%, plutôt
que de baisse de ses émissions.
Les réductions d’émissions réalisées en Australie –
à l’exclusion de celles imputables au ralentissement
économique et à l’usage des sols – sont surtout le
fait du secteur du transport : une baisse de 3,6%
On
s’aperçoit
en
outre
que
la
comptabilisation des émissions liées à l’usage
des sols sous Kyoto est globalement
favorable à tous les pays et réduit quasisystématiquement leurs émissions nettes de
GES.
dans la consommation d’essence au cours des 5
dernières années, et une augmentation de 35,7%
de la consommation de diesel.
Le secteur de l’usage des sols (« Land Use, Land
Use Change and Forestry – LULUCF), dont les
émissions sont effectivement comptabilisées par le
protocole de Kyoto, aurait connu en Australie une
baisse de ses émissions de quasiment 60% en 2010
L’analyse des réductions structurelles des
émissions montre que la réduction entre 2008 et
2010 est majoritairement attribuable au secteur
industriel. Source : CGDD (2011), « Bilan
énergétique de la France pour 2010 ».
17
par rapport à 199018.
Australie, inventaire de gaz à effet de serre
national, avril 2012 :
18
32
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Le problème de
l excédent de
quotas d émission
Un défaut de
niveau de
participation
Un excédent de quotas est apparu sur le
marché du carbone international. La plupart
des pays de l’Annexe I ont constitué un stock
de quotas en surplus, soit à cause de la crise,
soit parce qu’ils ont effectivement réduit leurs
émissions de manière significative, soit (le plus
souvent) parce qu’ils ont bénéficié d’une surallocation initiale de quotas (ce qu’on appelle
l’« air chaud »). Ce surplus pourrait
représenter l’équivalent de 9 à 13 gigatonnes
éqCO2 19 . Pour mémoire, les objectifs non
conditionnels de réduction d’émissions de
l’ensemble des pays développés pour 2020
correspondent à 18 GtéquCO2 ! L’excédent
de quotas a eu pour conséquence une baisse
considérable de la valeur du crédit carbone
(ou UQA – Unité quantitative attribuée).
Aujourd’hui, les UQA ne trouvent plus
preneur et leur valeur est quasiment nulle.
Dans notre bilan du protocole de Kyoto, il ne
faudrait pas omettre l’autre échec majeur de
ce traité : la non participation des Etats-Unis.
Si le Protocole a contribué à impulser la mise
en œuvre de politiques de maîtrise des
émissions, notamment à l’échelle de l’UE, la
défection des Etats-Unis montre que le
Protocole n’a pas réussi à étendre cette
maîtrise à l’ensemble des pays industrialisés.
Le devenir de ce surplus pendant une
éventuelle deuxième période d’engagement
est
débattu
dans
les
négociations
internationales. En théorie, le protocole
permet en effet le report des quotas en
excédent sur les périodes d’engagement
suivantes, afin de récompenser les pays qui
agissent dès aujourd’hui et vont au-delà de
leurs objectifs chiffrés.
http://unfccc.int/files/national_reports/annex_i_ghg
_inventories/national_inventories_submissions/app
lication/zip/aus-2012-nir-14apr.zip
19 Source : CDM Watch, 2012.
La sortie en grandes pompes du Canada est
également très problématique, pour un pays
qui investit autant dans les hydrocarbures non
conventionnels. Cette sortie d’un gros
émetteur – la première de l’histoire du
Protocole – affaiblit le poids de la contrainte
juridique qui est censée peser sur les Etats
ayant souscrit à des engagements sous Kyoto.
Or, l’objectif initial d’un traité international de
ce type est de faire face collectivement à une
problématique mondiale (puisque le climat est
un bien public mondial). Il doit donc
encourager la participation la plus large
possible des Etats, pour éviter que certains ne
se comportent en passagers clandestins et
n’augmentent leurs émissions de GES pendant
que d’autres font des efforts.
Aujourd’hui, le Protocole ne couvre plus que
15 à 20% des émissions mondiales. Son
véritable rôle pour la réduction des émissions
mondiales de GES est devenu modeste.
Néanmoins, c’est un accord qu’il faut à tout
prix préserver jusqu’à la conclusion d’un
nouveau traité mondial afin de maintenir le
« symbole Kyoto », essentiels aux yeux des
33
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
pays en développement et afin de conserver
le cadre juridique international qu’il a
contribué à faire émerger.
La réalité de la
contrainte juridique
sous Kyoto
Malgré le caractère innovant du protocole de
Kyoto, notamment à travers son mécanisme
de mise en conformité et de sanction,
l’efficacité de la contrainte juridique sous le
protocole est discutable car elle s’applique
dans le futur, pendant les périodes
d’engagement suivantes.
On constate que les pays qui n’ont pas
respecté leurs obligations de réduction
d’émissions pendant la première période
d’engagement (2005-2012) sont sortis du
protocole de Kyoto (Canada), ou bien ont
annoncé qu’ils ne participeraient pas à la
deuxième période (Japon, Russie).
suivante, qui comprendrait la majoration de
30%. Cela annulerait l’effet de la sanction.
Enfin, l’article 18 du Protocole de Kyoto
stipule que tout mécanisme de conformité qui
aurait « des conséquences en matière de
contrainte » imposée aux pays doit être
approuvé dans le cadre d’un amendement
ratifié par au moins deux tiers des Parties. Un
tel amendement n’a jamais été adopté par les
pays membres du protocole.
La contrainte « juridique » imposée par le
Protocole de Kyoto est donc plutôt faible.
C’est pourquoi ses détracteurs affirment qu’il
se résume à une déclaration politique.
Toutefois, le Protocole de Kyoto établit une
contrainte au niveau international qui
n’existait pas auparavant.
Encadré 4 - Le Canada
protocole de Kyoto
et
le
Le ministre canadien de l'environnement Peter
Kent a annoncé, le 12 décembre 2011, le retrait de
son pays du protocole de Kyoto. Le Canada est
ainsi le premier Etat à quitter le navire Kyoto. Le
ministre a expliqué que cet accord "ne fonctionnait
pas", notamment parce que « les deux plus grands
Un pays peut aussi repousser éternellement
son action en « empruntant » d’une période à
l’autre. Si la communauté internationale ne
parvient à l’obliger à respecter ses
engagements pendant une période « t »,
comment le pourrait-elle pendant la période
« t+1 », alors que des pénalités conséquentes
s’appliquent en sus (un tiers d’obligations de
réductions en plus) ?
pays émetteurs, les Etats-Unis et la Chine » n’en
font pas partie. Pour le ministre, la "plateforme de
Durban" représentait le chemin de l'avenir. « Nous
croyons qu'un nouvel accord avec des contraintes
juridiques pour tous les grands émetteurs qui nous
permet, en tant que pays, de créer des emplois et
d'avoir une croissance économique est la voie
permettant d'avancer ». Il a également justifié ce
retrait par le fait que le Canada risquait d'encourir
des pénalités de quatorze milliards de dollars et un
De plus, chaque pays négocie son propre
objectif de réduction ou limitation de ses
émissions pour chaque période. Ainsi, un pays
qui ne respecte pas son engagement pourrait
négocier un objectif plus élevé sur la période
coût insupportable pour son économie s'il en
restait signataire, une estimation qui a été
vivement critiquée par l’opposition.
34
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
(Suite encadré 4, p.36)
Arrivé au pouvoir en 2006, le gouvernement
conservateur
de
Stephen
Harper
avait
ouvertement rejeté ses obligations internationales
dans le cadre du protocole et dénoncé "l'erreur" du
gouvernement libéral qui l'avait signé. Aux termes
de cet accord, le Canada s'engageait à réduire en
2012 ses émissions de GES de 6 % par rapport aux
niveaux de 1990. Cependant, ces émissions n’ont
cessé d’augmenter depuis 1990, atteignant un tiers
de plus qu’en 1990. Ces augmentations sont
d’autant plus problématiques que le pays bénéficie
de règles de comptabilisation favorables (pour les
émissions liées à l’usage des sols, notamment).
Kyoto actuel, de facilités. L’objectif était de
favoriser la signature puis la ratification du
Protocole par ces pays. C’est le cas des
anciens pays du bloc soviétique, qui ont
obtenu
des
années
de
références
avantageuses car antérieures à l’effondrement
du bloc et à leur désindustrialisation. Le cas
de la Russie en est un exemple flagrant.
L’Australie en est aussi un exemple, car elle a
réussi à négocier un objectif Kyoto au rabais
pour 2008-2012, en utilisant le prétexte que
son économie était alors extrêmement
dépendante du charbon pour la production
d’énergie, notamment. C’est toujours le cas,
donc l’objectif Kyoto, qui sera atteint par le
pays, n’a pas permis de changer la trajectoire
climatique et énergétique.
Depuis lors, le gouvernement canadien soutien un
système
d’engagements
volontaires
revus
périodiquement. En 2009, il s’est ainsi engagé à
réduire les émissions du pays de 17 % à l'horizon
de 2020 par rapport à 2005. Cet effort est bien
moindre que les obligations du pays dans le cadre
du protocole de Kyoto.
Un partage des
émissions pas si
« top down » que
ça
Ce marchandage a eu pour conséquences que
les réductions d’émissions de GES dans les
pays de l’Annexe I se situent essentiellement
dans les pays en désindustrialisation de
l’ancien bloc soviétique. Ce sont des
réductions d’émissions factices, qui ne se
traduisent pas par des changements profonds
dans les modes de développement et de
production énergétique.
Encadré 5 - La Russie dans le protocole
de Kyoto
L’année de référence retenue, 1990, représente
pour ce pays une année d’émissions maximales.
L’effondrement de l’activité industrielle dans le
Dans le cadre de la première période
d’engagement sous le protocole de Kyoto, la
distribution des quotas de réduction entre
pays de l’Annexe I a été davantage le résultat
d’un rapport de force dans la négociation que
d’un calcul objectif. Elle a été bien plus
motivée par des considérations géopolitiques
et énergétiques que par un souci d’équité et
d’efficacité environnementale. Un grand
nombre de pays ont bénéficié, dans le régime
pays à la suite de la chute du mur de Berlin a eu
pour effet de réduire de plus de 38% ses émissions
de gaz à effet de serre, par rapport à celles de
1990. Pour des motivations liées aux pourparlers
internationaux, les négociateurs ont ignoré cette
réalité et ont accepté d’attribuer à la Russie un
objectif de stabilisation. Cette décision a été
motivée par le fait que le pays aurait, d’ici 2008 à
2012, rattrapé son retard et que ses émissions
seraient de nouveau importantes.
35
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
(Suite encadré 5 p.37)
Ce cadeau fait à la Russie réduit l’effort demandé
aux pays car la Russie a la possibilité de vendre ses
quotas d’émissions à d’autres pays qui ne peuvent
satisfaire à leurs obligations sous le protocole de
Kyoto. C’est ce qu’on appelle « l’air chaud ».
Malgré ce traitement favorable, la Russie a
annoncé à Cancun, en 2010, qu’elle ne prendrait
pas part à une éventuelle deuxième période
d’engagement.
Figure 6 – Représentation graphique des objectifs initiaux des pays industrialisés
par rapport à leurs niveaux d’émissions en 1990
Un mode de différenciation
des pays devenu
anachronique
La différenciation entre pays de l’Annexe 1
(développés) et pays non Annexe I (en
développement) en vigueur dans le cadre de
la Convention Climat et du protocole de
Kyoto repose sur une vision très
dichotomique de la réalité du monde, qui se
justifiait au moment de la signature du
Protocole, mais semble de moins en moins
valable aujourd’hui. La croissance rapide du
PIB et des émissions des pays émergents
exige une différentiation plus fine des
engagements.
36
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Cela ne signifient pas que les pays développés
doivent moins agir. Au contraire, tout montre
aujourd’hui qu’ils ne font pas assez pour
éviter
un
changement
climatique
cataclysmique. Mais il est raisonnable de
penser que pays le futur régime climatique ne
pourra pas donner les mêmes obligations à la
Chine et au Costa Rica.
Transparence :
une comptabilisation partielle
des émissions mondiales
§
L’absence d’une comptabilisation
dans tous les pays
D’une part, la comptabilisation actuelle des
émissions de GES sous le protocole de Kyoto
se heurte aux limites de suivi et des mesures
d’émissions dans les pays en développement.
De nombreux pays n’ont pas les capacités
techniques et financières au niveau national
pour mettre en place de type d’inventaires.
Lorsque les pays en ont les capacités, ils
s’opposent parfois à ce que s’opère un droit
de regard international sur leurs émissions,
soit de peur de se voir demander de fournir
des efforts supplémentaires, soit (comme la
Chine) parce qu’ils estiment que ces systèmes
internationaux sont une enfreinte à leur
souveraineté nationale, et que les pays non
Annexe I devraient avoir le droit d’accéder au
développement au même titre que les pays
industrialisés. Dans le cas de la Chine, elle
estime aussi que les pays développés
devraient faire preuve de davantage de
leadership et accroître leurs efforts, avant de
pouvoir avoir un regard sur les émissions
chinoises.
§
Les émissions importées et
exportées. Le passager
clandestin du commerce
international
Les chiffres publiés dans les inventaires
officiels ignorent une part croissante des
émissions de GES mondiales et européennes
les émissions de GES « cachées » dans les
biens que nous importons pour notre
consommation (intermédiaire ou finale)
n’apparaissent nulle part dans nos inventaires
nationaux d’émissions. Et pour cause :
l’approche comptable qui prévaut au niveau
international, notamment dans les bilans
officiels fournis à l’UE et à la Convention
cadre des Nations unies sur le changement
climatique, n’inventorie que les émissions
directes liées aux activités de production sur
le territoire 20 . Selon cette approche, les
émissions s’arrêtent aux frontières et les
transferts d’émissions entre pays n’existent
pas. Les flux d’émissions transférées via les
importations-exportations ne sont pas
représentés.
Or, les émissions incorporées dans les
importations des pays industrialisés sont en
augmentation constante. En Europe, elles se
sont accrues de 37% entre 1990 et 2008.
Leur part dans le total des émissions
européennes a augmenté de 6% sur cette
même période, atteignant 21% des émissions
de l’UE ! Il s’agit d’un phénomène mondial, en
partie lié à l’expansion du commerce
international. Aujourd’hui, 28% des émissions
de CO2 produites par l’activité humaine à
l’échelle du globe sont transférées entre les
pays via le commerce international21.
Ces activités concernent la production
industrielle et agricole de biens de consommation,
mais aussi les émissions induites par des
consommations
énergétiques
sectorielles
(chauffage des bâtiments, transport de passager,
etc.).
21 Peters, Glen, Minx Jan C., Weber, Christopher
L., Edenhofer, Ottmar (2011) « Growth in
20
37
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Une comptabilisation des émissions
qui sont transférées à l’échelle du
globe a des implications en termes
de partage de la responsabilité des
émissions mondiales. Entre 1990 et
2008, les émissions territoriales (qu’on
trouve dans les inventaires officiels) des pays
développés se sont collectivement ralenties.
A l’inverse, les émissions des pays en
développement (non-Annexe 1) ont doublé.
Selon la méthode de comptabilisation des
émissions liées aux activités du territoire, les
pays en développement ont émis 40% de plus
que les pays industrialisés en 2010. La
situation est cependant bien différente si l’on
regarde les flux internationaux d’émissions et
les émissions par habitant. En appliquant une
comptabilisation des émissions selon le
principe de consommation, les pays en
développement et émergents n’ont émis en
2010 que 7% de plus que les pays
industrialisés.
à 2 tonnes d’équivalent CO2 par habitant et
par an (en moyenne nationale) !
Sans
surprise,
les
pays
émergents
« exportent » des émissions de GES, tandis
que les pays industrialisés en importent. En
moyenne, 19% des émissions territoriales
liées à la production des pays émergents sont
exportées. En particulier, la Chine est
devenue un exportateur net d’émissions et un
acteur essentiel des flux d’émissions au niveau
international. En 2004, 22,5% des émissions
produites sur le territoire chinois ont ensuite
été exportées22 ! Les émissions incorporées
dans les exportations représentent pour la
Chine, la Russie et le Moyen-Orient entre 0,9
En 2007, les GES émis sur le territoire français
Encadré 7 - Un exemple national : la
France
La France s’est engagée, au titre du protocole de
Kyoto, à stabiliser ses émissions nationales en
2012 par rapport à 1990. Dans le cadre du Paquet
Energie-climat adopté en 2008 par l’UE, la France
s’est ensuite engagée à réduire ses émissions de
17% à l’horizon 2020.
Or, entre 1990 et 2011, les émissions françaises
ont baissé de 16% (ou de 12% hors usage des sols).
L’objectif français pour 2020 est donc à portée de
main. La France est quasiment certaine de
dépasser d’ici 2020, sans faire plus d’efforts. Cela
est largement dû à la crise économique qui a sévit
en Europe à partir de 2008, qui a accéléré les
réductions d’émissions européennes et françaises
par une baisse de la production industrielle.
équivalaient à 8 tonnes d’équivalent CO2 par
habitant et par an. L’empreinte carbone d’un
français était, toujours en 2007, de l’ordre de 12
tonnes. Cette différence s’explique par le fait que
l’empreinte carbone comptabiliser les émissions de
GES incorporée dans la consommation des
ménage français, et donc dans leurs importations.
De 1990 à 2007, l’empreinte carbone d’un français
a augmenté de 5 %, alors que le niveau moyen des
émissions territoriales par habitant a diminué de
15 % ! Au cours de cette période, les émissions
associées aux importations se sont accrues de 64
% pour atteindre près de la moitié de l’empreinte
emission transfers via international trade from
1990 to 2008 », PNAS :
http://www.pnas.org/content/early/2011/04/19/100
6388108
22 Les émissions chinoises représentaient à elles
seules 55% de la croissance des émissions
mondiales de CO2 entre 1990 et 2008, et 18% de
la totalité des émissions exportées au niveau
mondial.
carbone de la consommation en France en 200723.
Commissariat général au Développement
durable (CGDD), « L’empreinte carbone de la
consommation des Français : évolution de 1990 à
2007, collection Le Point sur, n°114, mars 2012
(calculs SoeS à partir de données Insee, Citepa,
Agence internationale de l’énergie, Douanes).
23
38
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Figure 7 – Flux internationaux d’émissions à travers le commerce
international
Source : RAC-F, à partir de Davis, Caldeira, 2010
Du côté des pays industrialisés, ce sont 35%
de leurs émissions liées à la consommation,
en moyenne, qui sont importées. Les 15
premiers Etats membres de l’UE importent,
par exemple, entre 20 et 50% de leurs
émissions comptabilisées selon le principe de
consommation. Les Etats-Unis sont le
premier importateur net d’émissions au
niveau mondial. Les flux d’émissions qu’ils
importent
depuis
la
Chine
sont
particulièrement denses compte tenu de
l’importance des flux commerciaux. Au
niveau de la consommation des ménages, les
consommateurs aux Etats-Unis, au Japon et
en Europe importent en moyenne de 2,4 à
10,3 tCO2 par an !
Lorsque les pays développés importent des
biens en provenance des pays émergents, ils
ont généralement une double responsabilité
du point de vue des émissions de GES. D’une
part, ils ne tentent pas de réduire ces
émissions sur leur territoire, et ces émissions
échappent à une régulation internationale.
D’autre part, les produits qu’ils importent
sont souvent fabriqués à partir de systèmes
énergétiques et de procédés industriels bien
plus intensifs en énergie et en CO2 que s’ils
ne les avaient produits sur leur territoire.
Quand la France importe des biens produits
en Chine, elle importe indirectement
l’électricité issue des centrales à charbon
chinoises. Le facteur « émissions de CO2 » du
secteur de la production d’énergie en Chine
est 7,6 fois plus élevé qu’en France. Les
indicateurs du système énergétique de la
France, tels que l’intensité carbone, ont donc
tendance à se dégrader à cause des
importations, notamment en provenance de
la Chine. En outre, les exportations des pays
émergents se caractérisent par une valeur
39
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
monétaire faible, malgré leur contenu
énergétique élevé. La différence entre les
émissions d’un pays liées à la consommation
et les émissions liées à la production s’accroît
lorsque :
§
Les pays présentent une balance
commerciale fortement déficitaire ou
fortement excédentaire ;
§
L’intensité carbone des produits
exportés n’est pas équivalente à
l’intensité carbone des biens importés.
En parallèle des réductions d’émissions
territoriales réalisées dans les pays
industrialisés, les transferts d’émissions depuis
les pays émergents vers les pays industrialisés
ont donc augmenté.
Deux conclusions s’imposent :
§
l’augmentation des émissions
des pays émergents est en
grande partie imputables aux
importations de biens et services
des industrialisés24. Les pays
émergents ne sont donc pas les seuls
responsables dans l’augmentation de
leurs émissions de GES.
§
D’autre part, c’est en partie
parce qu’ils ont augmenté leurs
« importations » d’émissions en
provenance des pays en
développement que les pays
industrialisés ont pu réduire
leurs émissions aux yeux du
protocole de Kyoto, tout en
augmentant leur consommation.
Les pays industrialisés peuvent satisfaire leurs
engagements internationaux de réduction
d’émissions, notamment au titre du protocole
de Kyoto, tout en continuant à consommer
comme avant, voire davantage.
Les pays en développement, notamment
émergents, peuvent profiter des avantages
économiques que constituent le marché des
pays industrialisés pour eux, et peuvent
accroître leurs émissions en l’absence
d’engagements internationaux contraignants
de leur côté.
Cet équilibre fragile ne peut perdurer. Tout
d’abord, les pays développés ne devraient pas
sous-estimer les conséquences néfastes pour
leur économie nationale de cette situation. Ils
sont nombreux à traverser un processus de
désindustrialisation, avec des répercussions
lourdes en termes d’emploi et de prospérité.
En outre, les pays émergents se sont engagés,
lors de la COP17 à Durban (2011), à adopter
des engagements de réduction de leurs
émissions dans le cadre d’un accord mondial
« ayant force juridique ». L’ensemble de leurs
émissions territoriales pourrait donc faire
l’objet d’une comptabilisation et d’une
réglementation, au même titre que celles des
pays développés. Enfin, l’explosion de la
production industrielle dans les pays
émergents se traduits aussi par des risques et
des conséquences environnementales et
sociales lourdes, que les populations
contesteront probablement dans un futur
plus ou moins proche.
Peters, Glen, Minx Jan C., Weber, Christopher
L., Edenhofer, Ottmar (2011) « Growth in
emission transfers via international trade from
1990 to 2008 », PNAS :
http://www.pnas.org/content/early/2011/04/19/100
6388108
24
40
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Les éléments du
futur régime
climatique
international
Cette section pose un certain nombre de
questions essentielles pour la négociation
du futur accord, plus qu’elle n’y répond.
Elle souligne les éléments du régime
actuel, ancré dans le Protocole de Kyoto,
qu’il faut à tout prix conserver et
améliorer. Mais elle ne donne pas de
solution prescriptive ou clé-en-main.
L’évolution
des
discussions
internationales, notamment sur la
question de l’équité et du partage de
l’effort entre pays ayant différents
niveaux de développement, sera cruciale
à cet égard.
La question cruciale de la
contrainte juridique dans le
futur régime climatique Revue bibliographique
Dans les discussions sur le futur régime
climatique se pose la question du type de
mécanisme de sanction et de respect des
engagements qui sera choisi par la communauté
internationale. Le protocole de Kyoto comporte
un tel mécanisme, qui s’est révélé efficace à
certains égards, notamment concernant les
exigences de reporting élevées imposées aux
pays. Cependant, ce mécanisme de mise en
œuvre a également pêché par son incapacité à
imposer des sanctions ex post.
Le futur régime climatique ce basera-t-il sur ces
acquis et saura-t-il les améliorer ?
La communauté internationale a besoin de
hiérarchie et de contraintes pour répondre
aux défis mondiaux. Mais apporter de telles
améliorations
au
régime
climatique
international n’est pas sans soulever des
enjeux complexes. La question de l’imposition
de la contrainte dans le régime climatique
post-2020, en lien avec la forme juridique du
futur accord, est cruciale.
Le droit international se heurte à un
paradoxe de taille : ce sont les États
eux-mêmes qui sont à l’origine de la
formation du droit international et
ils se soumettent à leurs propres
obligations.
En d’autres termes, les Etats s’autolimitent.
C’est pourquoi le consensus reste la règle de
décision la plus fréquente. L’autopunition est
vouée engendrer une contrainte faible. A
l’inverse, un cadre d’engagement trop
contraignant décourage généralement les
pays, qui refusent de signer. Dans la pratique,
l’exécution des conventions internationales
sur l’environnement se heurte aussi à de
nombreuses difficultés : lenteur, consensus
minimaliste se traduisant par des ambitions
réduites, faiblesse des systèmes de contrôle
et de sanction, etc.
Il n’existe pas d’organe international
d’imposition de la contrainte en matière
environnementale. L’Organisation mondiale
du commerce (OMC) est souvent citée
comme un exemple de cadre juridique qui
fonctionne bien car la punition est infligée par
un tiers (autre État ou organisme
international) et que la réduction des
barrières au commerce apparaît comme une
incitation importante.
Plusieurs modèles de contrainte et
de respect des engagements sont
étudiés dans la littérature sur le futur régime
41
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
climatique. Ils donnent des pistes sur le type
de forme juridique que pourrait endosser le
nouvel accord mondial sur le climat. Petit
tour de la littérature existante…
§
Option 1 - L’impossible autoapplication de la contrainte
juridique
Selon la théorie des jeux, le respect des
engagements dans le cadre des accords
multilatéraux sur l’environnement (AME)
repose sur le principe suivant : si un pays ne
respecte ses engagements, les autres pays
seront tentés de faire de même, punissant par
là le pays qui n’entre pas en conformité avec
ses engagements, puisque le climat est un bien
public mondial25. Ce postulat pose plusieurs
problèmes26 :
§
§
Il présume que le monde peut prendre le
risque de retarder l’action mondiale
contre le changement climatique. Or, les
réductions d’émissions ne peuvent
attendre et deviennent chaque année
plus urgentes et plus coûteuses à réaliser.
L’annulation ou le report des
investissements dans la transition vers
une société faiblement émettrice de GES
n’est pas concevable, et le risque ne peut
être pris en ce sens.
Les investissements dans des mesures et
technologies de réduction des émissions
de GES s’étalent généralement sur des
temps longs. Les pays qui respectent
leurs engagements et investissent dans
des énergies renouvelables et dans
l’efficacité énergétique ne pourront pas
changer de sources d’énergie et de
modes de production et de
Voir par exemple à ce sujet : Barrett 2003 ;
Asheim et al. 2006 ; Asheim et Holtsmack 2009).
25
26
consommation en un claquement de
doigts. Et vice-versa.
De fait, le risque de « passager clandestin »
que fait peser un tel postulat n’est pas
envisageable pour le futur régime climatique
après 2020. Ce dernier devra donc
reposer sur un mécanisme spécialement dédié au respect des engagements.
§
Option 2 - Un système d’accès
restreint à des biens « de club »
Une autre partie de la littérature sur les AME
analyse les conditions à réunir pour
construire des coalitions stables entre pays27.
Une coalition de pays est dite « stable » si
aucun pays membre n’accroît ses avantages
en la quittant, ni aucun pays non-membre en
la rejoignant. Cela sous-entend donc que les
coalitions sont généralement de petite taille.
Dans le cas du climat, où les coalitions
doivent être le plus large possible, les
chercheurs ont proposé à ce que la
coopération internationale sur le changement
climatique soit rattachée à une coopération
vis-à-vis d’un « bien de club » afin de
créer des incitations pour que les pays
participent à la coalition. C’est le cas par
exemple du partage et du transfert de
technologies ou bien de la participation au
commerce international, qui donnent un
avantage compétitif à ceux qui participent.
Une telle proposition est confrontée à ses
propres limites. La diffusion de la technologie
est difficile à empêcher. De plus, il est de
l’intérêt des entreprises qui ont généré ces
technologies dans les pays qui respectent
leurs engagements de les diffuser et de les
vendre dans d’autres pays. Mais il est surtout
dans l’intérêt général et du climat que ces
technologies soient diffusées le plus
largement possible, et non pas réservées à
Hovi et al. 2012.
27
Voir par exemple Finus (2008b).
42
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
une poignée de pays, afin de réduire les
émissions de GES à l’échelle du globe !
L’unique modèle du « bien de club » n’est
donc pas concevable non plus pour le régime
climatique post 2020.
§
Option 3 - Des restrictions au
commerce international
Le protocole de Montréal relatif aux
substances qui appauvrissent la couche
d’ozone est souvent cité comme un exemple
d’AME qui fonctionne bien.
Certains affirment qu’il est efficace grâce aux
restrictions commerciales qu’il impose aux
Etats qui ne respectent pas les engagements
auxquels ils ont souscrit28. Ce lien opéré avec
les échanges commerciaux a été décrit
comme étant à la fois un moyen d’éviter les
défauts de conformité, mais aussi d’inciter les
pays à participer 29 . Cela suppose que les
restrictions au commerce international ne
pénalisent pas les pays qui respectent leurs
engagements. Cela suppose également que le
lien avec le régime commercial permette de
réduire les « fuites de carbone » 30 et
n’améliorent pas la compétitivité des pays qui
ne respectent pas leurs engagements.
28
Benedick (1998) ; Barrett (2020).
29
Stiglitz (2006) ; Karp et Zhao (2009).
Les fuites de carbone sont les déplacements
d’émissions de GES dus à des délocalisations
d’entreprises fuyant les pertes de compétitivité
dans les pays où la contrainte politique et
réglementaire sur la réduction des émissions de
GES est trop forte. Le plus souvent, les
délocalisations industrielles ne sont pas causées
par la contrainte climatique, mais plutôt par des
différences de coûts du travail ou de dynamisme
des marchés locaux. En outre, le niveau de
contrainte dans les pays développés est
actuellement trop faible pour mener à des pertes
de compétitivité (environ 7-8 euros la tonne de
CO2 sur le marché carbone européen, au lieu de
30 euros prévus initialement !).
30
Dans le cas du climat, toutefois, un tel régime
semble complexe à mettre en œuvre.
Certains auteurs expliquent qu’il ne
permettra pas de réduire suffisamment les
fuites de carbone, ne constituant pas une
incitation crédible.
§
Option
4
d’amendes
-
Un
système
Certains auteurs ont proposé que les
mécanismes de mise en œuvre du futur
régime climatique comporte un système
d’amendes. La détermination des amendes
serait propre à une situation nationale
particulière (système modulable). Ces
amendes seraient payées par les pays une fois
le défaut de conformité constaté. Les sommes
ainsi collectées seraient partagées entre pays
ayant respecté leurs obligations31.
La difficulté évidente avec ce type
de système, c’est que les pays
refusent tout simplement de payer
leurs amendes, voire que le système
empêche une participation large des
pays.
Les auteurs affirment que les pays seront
incités à payer leur amende car ils font
rarement défaut à leur dette souveraine. Mais
dans le contexte actuel d’endettement des
Etats, on constate qu’il peut arriver que les
Etats fassent défaut à leur dette souveraine.
De plus, une amende n’est pas synonyme de
dette souveraine. On peut très bien imaginer
qu’un Etat refuse de payer sa dette
« climatique » mais continue de pouvoir
emprunter sur les marchés financiers.
§
Option 5
cautions
-
Un
système
de
Certains auteurs proposent de mettre en
place un système de cautions annuelles
payées
en
avance
par
les
pays,
31
Voir la proposition de Karp et Zhao (2009).
43
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
proportionnelles à leurs engagements chiffrés
de réduction d’émissions et du coût des
actions requises pour respecter ces
engagements 32 . Les Etats perdraient ces
cautions en cas de non respect de leurs
engagements, et les récupéreraient si ces
engagements sont atteints.
Le futur régime post-2020 devra
préserver les acquis du protocole de
Kyoto en matière de contrainte
juridique, tout en renforçant et en
élargissant ces acquis à l’ensemble
des pays émetteurs. Il devra allier
une contrainte plus forte imposée
aux Etats à une participation
ambitieuse de tous les pays.
Les discussions entre pays
sur la forme juridique de
l accord 2020
Le régime post-2020 sera-t-il établi à partir d’un
ou plusieurs accord(s) juridiquement
contraignant(s), tel(s) qu’un amendement au
protocole de Kyoto ? Un nouvel accord juridique
définissant des engagements de réduction des
émissions de gaz à effet de serre pour les pays
qui ne sont pas soumis à des objectifs chiffrés
sous le protocole de Kyoto ? Un nouvel accord
mondial incluant tous les pays et remplaçant le
protocole ? Ou bien le régime post-2020 sera-t-il
défini par un accord politique ou une décision de
la Conférence des Parties (COP) à la Convention
Climat ?
développement. Des nuances sont apparues,
notamment au sein du groupe des pays en
développement.
A Durban, lors de la COP17, les pays se sont
mis d’accord pour adopter un « résultat
partagé », qui pourra prendre la forme
d’un « protocole ou un accord avec force
juridique », un terme encore vague. Cette
contrainte s’appliquerait à l’ensemble des
pays, y compris aux pays en développement, à
des degrés divers.
L’Union européenne, qui pousse depuis
plusieurs années pour la signature d’un nouvel
accord juridiquement contraignant, est partie
du principe que l’accord trouvé à Durban est
synonyme
d’un
accord
juridiquement
contraignant.
D’autres pays, comme la Chine et l’Inde, qui
pour la première fois ont accepté de manière
officielle de négocier un cadre juridiquement
contraignant pour l’ensemble des pays, y
compris pour eux, risquent de vouloir revenir
sur la forme juridique de l’accord, comme ils
l’ont fait lors de la session de négociations
internationales de Bonn en mai 2012.
Dans la période qui a précédé la Conférence
de Durban (2011), les positions des pays sur
la question de la forme juridique ont évolué.
Elles ne se divisaient plus selon les catégories
habituelles : pays développés / pays en
32
Hovi et al. (2012).
44
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Groupe de pays
Voie de la
Convention Climat
Voie du protocole de
Kyoto
AOSIS
En faveur d’un
nouvel accord
juridiquement
contraignant
En faveur d’une 2e période
d’engagement sous le
protocole
§ Un nouvel accord inspiré du protocole
de Kyoto
§ Urgence
Union
européenne
En faveur d’un
nouvel accord
juridiquement
contraignant adopté
en 2015.
En faveur d’une 2e période
d’engagement sous le
protocole, conditionnelle
à:
2e période d’engagement comme transition
vers le nouvel accord.
Norvège
Suisse
Commentaires
§ L’adoption d’un
mandat de négociation
d’un accord
juridiquement
contraignant sous la
Convention climat.
§ Un accord qui couvre
l’ensemble des
émissions mondiales.
Pas de position
commune sur la
forme juridique
En faveur d’une 2e période
d’engagement
Le protocole de Kyoto comme symbole
En faveur d’un
nouvel accord
juridiquement
contraignant
En faveur d’une 2e période
d’engagement sous le
protocole, conditionnelle
Différentiation et flexibilité pour tous
Brésil
Chine
Inde
Philippines
Corée du Sud
Arabie Saoudite
Des décisions de la
COP pour compléter
le Plan d’action de
Bali sont suffisantes
En faveur d’une 2e période
d’engagement sous le
protocole
§ « Le fond précède la forme ».
§ Discussions après la revue mondiale
et le 5e rapport du Giec : si un accord
juridiquement contraignant est
nécessaire, alors il devrait être basé
sur le « pare-feu » de Bali entre pays
développés et pays en
développement.
Japon
En faveur d’un
nouvel accord
juridiquement
contraignant
Le protocole de Kyoto doit
être remplacé par le
nouvel accord.
§ Nouvel accord similaire au protocole
de Kyoto.
§ La symétrie juridique entre pays
développés et pays en développement
est indispensable.
§ Doit maintenir l’accès aux mécanismes
de flexibilité du protocole de Kyoto.
G-77
Chine
Australie
NouvelleZélande
45
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Etats-Unis
Un nouvel accord
juridiquement
contraignant
pourrait être
nécessaire après
2020.
Mais la forme
juridique du résultat
de la négociation ne
doit pas être
déterminée lors de
la conférence de
Durban.
Les Etats-Unis ignorent le
protocole de Kyoto.
Une participation large des
pays
L’accord mondial devra trouver un équilibre
délicat entre équité et efficacité, large
participation et forte ambition. C’est là tout
l’enjeu des négociations internationales sur le
climat depuis le début des négociations sur le
protocole de Kyoto. Jusqu’à présent, le
régime climatique n’a réussi à mobiliser ni une
participation large des pays développés à
l’effort (Etats-Unis en-dehors du protocole de
Kyoto, Canada en est sorti, Russie, Japon,
Nouvelle-Zélande désengagés du cadre
international), ni un niveau d’ambition
suffisant. Cette situation ne peut perdurer.
Toutefois, l’absence d’engagement de même
nature entre la Chine et les Etats-Unis, par
exemple, même si de niveau différent, ne doit
pas être une excuse pour bloquer le
processus et ne rien faire. De même, les pays
ne peuvent attendre que les Etats-Unis se
mobilisent enfin pour agir.
§ Un accord de type accord
d’application.
§ La symétrie juridique entre pays
développés et pays en développement
est indispensable. L’architecture du
nouvel accord juridiquement
contraignant ne peut être basée sur le
« pare-feu » de Bali entre pays en
développement et pays développés.
Une différenciation plus
subtile et plus équitable
entre pays
Le futur régime climatique continuera-t-il de
tracer une ligne aussi définie entre pays
industrialisés et pays en développement ? Ou
créera-t-il plus de parallélisme et de symétrie
entre les deux groupes de pays, par
exemple, en imposant des obligations
contraignantes aux deux groupes de pays ?
Ou bien en adoptant des règles communes
de comptabilisation, de suivi et de reporting
et de respect des obligations ?
L’adoption de la Plateforme de Durban lors
de la COP18 montre que les pays acceptent
de
repenser
l’architecture
climatique
internationale. Elle montre en outre que la
ligne
de
fracture
entre
pays
développés
et
pays
en
développement est en train de
s’estomper. A Durban, le leadership des
pays émergents, Chine en tête, s’est
confirmé. Les pays émergents sont désormais
ouverts à la possibilité de négocier un accord
mondial
contraignant,
même
si
ce
changement radical est difficile et qu’ils font
parfois des déclarations contradictoires.
46
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Dans le futur régime climatique, une
différentiation plus fine des groupes
de pays, notamment à l’intérieur du
groupe des pays en développement
(G77+Chine), sera nécessaire.
Cette différenciation devra
absolument reposer sur le principe clé
de la Convention de « Responsabilités
communes mais différenciées et
capacités respectives » des pays. Elle
devra respecter, mais aussi renforcer
ce principe.
La question qui se pose désormais, c’est
comment différencier ces pays de manière
formelle en vue d’un partage équitable et
efficace de l’effort international de lutte
contre le changement climatique.
Une séparation entre pays développés, pays
émergents et le reste des pays en
développement n’est pas satisfaisante. Si la
Chine et l’Inde jouent toutes deux un rôle de
plus en plus important dans la politique
climatique internationale, à travers des
positions qui se recoupent souvent, ces deux
pays demeurent néanmoins très différents. Ils
n’utilisent pas toujours les mêmes arguments,
ne défendent pas nécessairement les mêmes
principes. Et dans la réalité, les deux pays
présentent des niveaux de développement
tout à fait différents. La population de l’Inde
est encore majoritairement pauvre et les
émissions de CO2 par habitant sont encore
faibles (1,5 tonne en 2008, soit 12 fois moins
que les Etats-Unis et 3,5 fois moins que la
Chine la même année). Aujourd’hui, un
chinois émet désormais la même quantité de
CO2 par habitant qu’un européen. A terme,
une différentiation devra s’opérer
entre l’Inde et la Chine.
Certains affirment que désormais, le principe
organisateur du futur régime climatique ne
sera non pas la différentiation mais la
symétrie
des
engagements
nationaux 33 . Cela ne signifie pas que la
différentiation entre pays industrialisés et
pays en développement aura disparu. L’équité
continuera d’être un sujet central des
négociations internationales au cours des
années de négociation de l’accord mondial.
L’UE propose dans les négociations
internationales l’idée d’un « spectre
d’engagements », qui montre la diversité
des niveaux et des formes d’engagements que
les différents pays et groupes de pays
pourraient être amenés à prendre dans le
cadre de ce nouvel accord.
Une différenciation à l’intérieur des
pays en développement ne pourra
faire l’économie d’une finesse dans la
définition des engagements
différenciés et d’une grande équité.
A ce titre, l’intransigeance actuelle des
Etats-Unis, qui n’agissent quasiment
pas chez eux et demandent beaucoup
aux pays en développement, est
toxique pour la négociation
internationale. La différenciation
passera donc par un changement de
positionnement des Etats-Unis et des
efforts accrus de leur part. Ils
devraient également accepter d’avoir
une discussion constructive avec les
pays en développement sur le principe
de Responsabilités communes mais
différenciées.
33
Rajamani (2012).
47
Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Privilégier une approche
réglementaire (vraiment)
descendante
Le protocole de Kyoto se caractérise par une
approche réglementaire a priori descendante, à
savoir la définition d’objectifs chiffrés et adoptés
au niveau international, puis une déclinaison au
niveau national (ou régionale dans le cas de
l’Union
européenne).
Le
futur
régime
international sur le climat correspondra-t-il à la
même logique ? Ou fonctionnera-t-il à partir
d’une approche ascendante, avec des Etats qui
définissent leurs propres approche et objectifs
climatiques ? Ou bien une approche hybride ? En
termes de processus, les engagements des pays
seront-ils définis dans le cadre d’un accord
mondial ou bien par les Etats eux-mêmes via des
décisions unilatérales ?
Le nouvel accord mondial sur le changement
climatique devra définir une véritable
« vision partagée », qui fixera un
objectif de réduction d’émissions de
long terme et une date à laquelle
devront culminer les émissions de
GES au niveau mondial.
En se basant sur la science, les ONG
demandent à ce que ce pic des émissions ait
lieu en 2015. Par conséquent, il ne faut pas
atteindre l’aboutissement du futur régime
(2020) pour marquer des avancées claires sur
cette question.
Les objectifs définis au niveau international
seront ensuite déclinés au niveau des pays. Il
faudra à tout prix éviter que les pays
n’utilisent les années de référence comme
levier de négociation. L’expérience de
l’air chaud ne doit plus se
reproduire : elle met à mal la confiance
dans le système et empêche les pays qui
agissent vraiment de valoriser leurs efforts à
l’échelle internationale.
Seule une approche descendante permettra
de garantir que les engagements des pays
soient cohérents avec une trajectoire
d’émissions permettant de limiter le
réchauffement de la température moyenne du
globe bien en-deçà de 2°C, un objectif déjà
acté par tous les pays sous l’égide de l’Onu.
On connaît bien les conclusions du dernier
rapport du Giec, datant de 2007 (qui
pourraient évoluer dans le prochain rapport à
paraître en 201434) : un tel objectif suppose
que les émissions mondiales en 2050 arrivent
à la moitié de leur niveau de 1990. En
particulier, une réduction des émissions à
hauteur de -80 à -95% est nécessaire pour
l’ensemble des pays développés, et une
déviation substantielle des émissions des pays
en développement, par rapport à un scénario
de référence.
Malgré
les
bouleversements
économiques rapides, le principe
fondamental ne changera pas dans le
futur régime climatique : puisque les
nations en développement doivent
pouvoir se développer, les pays
industrialisés doivent réaliser la
majeure partie des réductions
d’émissions.
Jusqu’à présent, les pays ne sont pas
parvenus, dans la négociation internationale, à
un accord sur une « vision partagée »
ambitieuse et traçant une trajectoire claire
pour tous les pays. L’objectif Kyoto pour
2012 existait bien, mais désormais il ne
couvre que 15 à 20 % des émissions
mondiales de GES. En outre, la deuxième
Avec la publication des résultats préliminaires en
2013 (hors résumé politique à destination des
gouvernements).
34
48
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Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
période du protocole de Kyoto – si elle a
bien lieu – ne respectera pas l’approche
descendante qui avait été esquissé à Kyoto.
Chaque pays a mis sur la table l’objectif
national qu’il envisageait de faire de toute
façon ; un objectif souvent déjà acté dans sa
législation nationale. Les pays développés
proposent des objectifs « conditionnels » : si
les autres pays font plus, alors ils
rehausseront leur objectif de réduction
d’émissions. Mais tous (ou quasiment)
refusent aujourd’hui de le faire, que ce soit
dans le cadre du protocole de Kyoto ou endehors
(Etats-Unis,
Canada).
Tous
maintiennent leur niveau d’ambition très
faible. Collectivement, les objectifs de
réduction d’émissions des pays développés
pour 2020 ne sont pas en accord avec les
fourchettes d’objectifs qu’il faudrait respecter
pour limiter un changement climatique
cataclysmique.
Les discussions sur la « vision partagée » vont
probablement trouver leur place au sein de la
« Plateforme de Durban » et s’insérer dans la
négociation de l’accord mondial. Si les pays
continuent de refuser de voir l’urgence de
l’action et le coût de l’inaction, révélé dans
tant de rapports récents, alors ces
discussions risquent d’échouer à nouveau.
Le nouvel accord mondial sur le
changement climatique devra
adopter une approche objective
pour la définition des objectifs
nationaux. Il devra limiter au
maximum l’utilisation des objectifs
chiffrés comme leviers dans la
négociation. Cela risquerait de
compromettre l’atteinte de
l’objectif final acté par les Etats :
limiter le réchauffement de la
planète bien en deçà de 2°C.
Cela pose une nouvelle fois la
question complexe, mais centrale,
du partage de l’effort entre les pays
et de l’équité.
Se questionner sur le
caractère dynamique du futur
régime climatique
Le protocole de Kyoto repose sur une évaluation
assez figée et dichotomique de la responsabilité
des pays en termes d’émissions mondiales de
GES, ainsi que des connaissances scientifiques.
Cela instaure une dépendance vis-à-vis des choix
initiaux. Le régime climatique post-2020 saura-t-il
adopter une approche plus dynamique ?
Le nouveau régime climatique devra pouvoir
intégrer de manière flexible et proactive les
éléments tirés des derniers rapports
scientifiques (Giec notamment), les évolutions
géopolitiques et macro-économiques, etc. Ce
doit donc être un régime dynamique et non
pas figé, comme l’est le régime actuel.
En 2013-2014 doit avoir lieu une revue
mondiale des efforts réalisés par l’ensemble
des pays, en lien avec les dernières
conclusions des scientifiques. Les pays font-ils
assez pour éviter un changement climatique
catastrophique ? Ou bien faut-il qu’ils
augmentent leur niveau d’ambition et
d’efforts ? La limite, fixée par les pays, d’un
réchauffement maximal de 2°C en fin de
siècle, est-elle vraiment la bonne ? Un passage
en revue des efforts des pays sous le
protocole de Kyoto doit également avoir lieu
au cours de la deuxième période
d’engagement.
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Réseau Action Climat France
Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
La procédure simplifiée d’ajustement des
engagements des pays dans le cadre de la
deuxième
période
d’engagement
du
Protocole, telle que proposée par l’UE,
pourrait établir un précédent intéressant
pour l’avenir du régime climatique mondial.
Cette procédure de rehaussement des
objectifs doit être étroitement liée, par un
mandat fort, à la Revue des efforts mis en
œuvre par les Etats.
Comptabiliser nos
émissions liées à la
consommation
Le constat de l’importance croissante des
émissions liées à la consommation des pays
industrialisés appelle à un changement de
mode de comptabilisation des émissions de
GES. En appliquant une comptabilisation
fondée sur le principe de consommation,
l’ensemble des émissions générées pendant la
fabrication et/ou le transfert des produits que
nous consommons (soit pour notre
production, soit pour notre consommation)
serait pris en compte dans nos inventaires
nationaux.
Cependant, la comptabilisation des émissions
de CO2 non territoriales repose sur des
méthodologies relativement récentes, dont
aucune n’est suffisamment reconnue et
partagée. En particulier, ces approches se
heurtent à des limites scientifiques et
méthodologiques qui ne permettent pas,
aujourd’hui, de comptabiliser ces émissions
avec certitude, et donc de définir des
politiques publiques et des mesures afin de les
réduire.
devraient les inciter à commencer à effectuer
un suivi. Les Etats, notamment industrialisés,
doivent s’engager, dans un premier temps au
niveau national, à publier des données sur les
émissions de GES incorporées dans leurs
importations de biens et services. Ces
données pourront être précisées au fur et à
mesure que les méthodologies sont affinées.
Les Etats devraient également s’interroger sur
l’efficacité des politiques climatiques en place,
qui sont aveugles face à une majeure partie
des émissions mondiales de GES. Les chiffres
officiels font croire à une performance
exceptionnelle des politiques climatiques
existantes, notamment au sein de l’UE, tandis
qu’il faudrait réévaluer leur efficacité à l’aune
des chiffres des émissions réelles des pays,
c’est-à-dire avec les émissions incorporées
dans les importations. D’autre part, l’absence
de comptabilisation des émissions transférées
entre pays pose la question de l’adoption de
politiques publiques complémentaires, qui
n’existent pas aujourd’hui et seraient
nécessaires pour réduire véritablement et
durablement nos émissions de GES. Les
politiques de réduction de la consommation
d’énergie et de biens et services (réduction
de la publicité, lutte contre l’obsolescence
programmée etc.), les politiques de
relocalisation de la production, etc. font
partie des mesures à explorer.
Malgré ces incertitudes, les Etats ne peuvent
continuer à ignorer une part si importante –
et croissante – de leurs émissions de GES.
Les ordres de grandeur sont clairs et
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Protocole de Kyoto : Bilan et perspectives
Conclusion
Alors que s’ouvre la conférence de Doha sur
le climat, le régime climatique mondial entre
dans une phase de transition. Il devrait être
remplacé d’ici 2020 par un nouveau régime
international encadrant la lutte contre le
changement climatique au niveau mondial.
D’ici la conclusion d’un accord mondial
impliquant tous les pays – même les pays
émergents, le protocole de Kyoto va jouer un
rôle de relais. Si la poursuite du Protocole,
avec une deuxième période d’engagement des
pays, est bien confirmée à Doha, il assurera la
transition jusqu’au prochain accord mondial.
La survie à Doha du protocole de Kyoto est
essentielle. Pendant cette transition, il
maintiendra un cadre juridique, avec des
règles communes et des mécanismes
internationaux.
Néanmoins, le Protocole a aussi conduit à la
mise en place de politiques publiques
nationales Climat-énergie visant à le mettre
en œuvre.
Son « squelette » devra également aider à
structurer le prochain accord mondial :
§
§
§
Les acquis de ce traité international doivent
être préservés à tout prix en vue de l’accord
mondial qui entrera en vigueur en 2020.
Plutôt que de repartir de zéro, le futur
régime climatique peut exploiter les
fondations solides du protocole de Kyoto. Il
doit les étayer et bâtir à partir d’elles.
Le bilan du protocole de Kyoto en termes de
réductions d’émissions de GES est certes
mitigé. L’absence de participation des EtatsUnis a été un coup dur porté au Protocole.
De même, la stabilisation annoncée des
émissions des pays agissant sous le Protocole,
en partie réelle, ne découle pas uniquement
du traité international. Elles sont aussi le fait
d’un phénomène de désindustrialisation
massive dans les pays d’Europe de l’Est et
Centrale en transition, et de la crise
économique qui sévit dans les pays
développés depuis 2008.
§
§
La nécessité d’un mécanisme de
mise en conformité et de sanction,
dont l’efficacité et la contrainte devront être
renforcées,
L’importance de l’approche
règlementaire descendante (« top
down »), avec un objectif collectif,
fixé pour l’ensemble des pays, puis
décliné de manière la plus objective possible
en objectifs et budgets carbone nationaux. Le
futur régime climatique ne devra en aucun
cas reposer sur l’approche flexible et
volontaire qui a suivi la Conférence de
Copenhague,
Le renforcement du système de
transparence, qui devra être amélioré
(disponibilité et qualité des données) et
rendu plus fidèle à la réalité. En particulier, le
futur régime climatique ne devra plus
comptabiliser les réductions d’émissions
« factices » (air chaud). Il devra également
prendre en compte les transferts
internationaux d’émissions, notamment liés
aux importations, et chercher à les réguler,
Le maintien d’une différenciation
des pays, mais plus fine que sous Protocole
de Kyoto. Elle pourra différencier à
l’intérieur des pays en développement. Elle
prendra en compte la réalité du monde
actuel et respectera et renforcera le principe
de « Responsabilités communes mais
différenciées », clé de voute du régime
climatique mondial,
Un régime plus dynamique, qui doit
intégrer les dernières évolutions
scientifiques, techniques, macroéconomiques et géopolitiques.
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