Dossier DEMARCHES DE SOINS comprenant De la
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Dossier DEMARCHES DE SOINS comprenant De la
Dossier DEMARCHES DE SOINS comprenant De la démarche de soins au dossier de soins infirmier & Enseigner la démarche de soin ou soigner la démarche d’enseignement & Les transmissions ciblées : stratégies d'implantation et résultats De la démarche de soins au dossier de soins infirmier La réflexion du personnel soignant de l’hôpital Saint-Joseph a débouché en 1993 sur la volonté d’utiliser la démarche de soins comme support d’organisation. Sous la conduite de l’infirmière générale, et avec le soutien de la direction de l’établissement, une méthodologie a été définie. Par Noble & Gavalda. In Objectif Soins, mai 1995, n° 33. En France et en Europe, force est de constater que l’impact réel de la démarche de soins est faible et que sa mise en place est globalement rejetée par les infirmiers sur le terrain. Les raisons de ce rejet en France sont de quatre ordres : Les premiers travaux relatifs à la démarche de soins ont été contemporains d’une prise de conscience collective teintée de revendications les infirmiers ont fait valoir les évolutions de leur profession et fait reconnaître leur compétence de techniciens de santé. Ce mouvement a parfois débouché sur des travaux d’approche difficile, contradictoires et globalement inacceptables sur le terrain, qui ont contribué au rejet massif de la démarche de soins. La démarche de soins bouleverse l’organisation des soins centrée sur les tâches telle qu’elle est encore majoritairement utilisée dans les hôpitaux. Sa mise en place dans un service hospitalier peut s’accompagner d’une surcharge de travail. La volonté de prendre en charge un patient de façon globale suppose une forte interaction des actions médicales et infirmières. La démarche est difficile à appréhender et est parfois ressentie comme l’enfermement de l’infirmier dans un cadre méthodologique rigide. L’INTERET DE LA DÉMARCHE DE SOINS Pourtant, de nombreux facteurs ont amené les soignants à repenser l’organisation des soins. En contribuant à la formalisation des processus de soins (médicaux et paramédicaux), en définissant les outils supports et leur contenu, en intégrant dès l’origine un ensemble d’outils de mesure de la qualité des soins, la démarche de soins et le dossier de soins infirmiers constituent des éléments déterminants dans la mise en place de «procédures qualité » exhaustives et fiables. Procédures nécessaires face à la réduction de la durée moyenne des séjours, à l’augmentation significative de la rotation des patients, à la multiplication des techniques et explorations fonctionnelles. De plus, l’infirmier qui assume un rôle croissant dans la prise en charge globale des patients atteints de pathologies lourdes, devient le coordinateur naturel d’une équipe pluridisciplinaire, responsable de la continuité des soins. Dans ce contexte, la démarche de soins, et surtout le dossier de soins infirmier, interviennent comme des éléments déterminants pour structurer et accéder rapidement à toute l’information disponible sur le patient, qu’elle soit administrative, médicale ou psycho-socio-relationnelle. Dernier élément essentiel dans la volonté des infirmiers de mettre en place une démarche de soins : la reconnaissance légale de leur rôle propre et de leur autonomie d’organisation. Le législateur a cherché, par sa décision, à obtenir : - La reconnaissance officielle de la spécificité et de la complémentarité du travail des infirmiers et des médecins ; - L’encouragement des soignants à formaliser et à structurer leur démarche diagnostique afin qu’elle puisse être reproduite, enseignée, et évaluée en termes de qualité et de coût ; - L’encouragement des soignants à étendre leurs actions dans le temps et l’espace autour du patient. Les documents de travail déjà présents à l’hôpital fournissent des renseignements précis sur l’identité du patient et son environnement médical ou social, le motif de l’hospitalisation, les actions médicales et soignantes requises par le patient et le suivi des soins et événements survenus durant son séjour. La démarche de soins intervient donc comme un modèle permettant de mieux situer les principales actions à mener pour identifier et réintégrer les problèmes du patient relevant d’une action infirmière, de façon à ce qu’ils soient pris en charge et évalués. Elle s’apparente à une méthode classique de résolution de problème en quatre étapes : - Recueil de données, examen initial ; - Diagnostic et choix d’un objectif ; - Mise en œuvre et suivi du plan d’action ; - Evaluation et réactualisation du plan. La recherche d’un diagnostic infirmier suppose une relation et un temps privilégiés avec le patient, et doit s’accompagner d’une organisation adaptée, centrée sur le patient. Dans une organisation par tâches, l’infirmier accomplit un certain nombre d’actes techniques, indépendants les uns des autres, mais suivant une logique (préparation de l’acte, réalisation, surveillance, transmission). Chaque acte peut être individualisé au contexte du malade, et réalisé de façon indépendante à toute considération relative à son séjour dans le service, dans l’hôpital, et à sa vie. Le but de la démarche de soins est triple : - Concevoir un outil de recueil des données unique, exhaustif et fiable, adapté à la prise en charge du rôle propre et du rôle collaborant de l’infirmier; - Recentrer et organiser le travail des infirmiers autour du patient - Aider à la mise en place d’une organisation moderne des soins, et élargir le champ d’application de la profession d’infirmier sans alourdir la charge de travail. MÉTHODOLOGIE Pour atteindre son objectif, l’hôpital Saint-Joseph a mis en place une structure complète. Un groupe de travail a été crée, et l’animation de ses réunions a été confiée à un consultant extérieur. Ce dernier, infirmier et informaticien de formation, avait pour mission de définir l’organisation du projet et ses différents points de contrôle, d’apporter un point de vue d’expert extérieur, et de garantir la compatibilité des processus ou documents élaborés avec une phase postérieure d’informatisation. ACTION DU GROUPE DE TRAVAIL Le groupe de travail a été constitué en veillant à obtenir une bonne représentativité des différentes problématiques de soins rencontrées dans l’établissement. Il comprenait cinq surveillantes, deux infirmières, l’infirmière générale et une monitrice de l’école d’infirmiers. Le groupe s’est réuni deux fois par mois sur une durée de dix mois. Les réunions ne devaient pas dépasser quatre heures. Au total, plus de 1 600 heures de travail ont été consacrées à la conception et à la synthèse du travail réalisé, auxquelles il faut ajouter le temps de préparation (non évalué) consacré tant par les personnes extérieures que par le groupe. L’ordre du jour des réunions suivait toujours le même plan : - Reprise ou synthèse des travaux de la semaine précédente, afin de prendre en considération le résultat des enquêtes menées auprès des infirmiers dans les services ou d’effectuer, en interne, une première relecture ; - Prise en compte des éléments théoriques par une moitié du groupe de travail, à partir des données scientifiques et de leur exploitation pratique ; - Prise en compte des éléments pratiques par l’autre moitié du groupe, en recherchant l’adaptation des concepts à l’hôpital; - Mise en commun des travaux débouchant sur une phase de décision (élaboration d’un document du dossier de soins ou plan d’action) ; - Phase de synthèse, afin de régler les problèmes de logistique et de temps associés au plan d’action retenu à l’étape précédente. Cette organisation a permis au groupe d’avoir une progression régulière et quantifiable, de maintenir un délai acceptable pour remettre ses conclusions, et de réaliser un travail opérationnel respectueux de la prise en compte des éléments théoriques et pratiques. UNE OUVERTURE SUR L'EXTÉRIEUR Différentes instances ont été mises en place pour porter un jugement sur la qualité du travail du groupe, sur le respect des objectifs de départ et sur l’adéquation des solutions proposées. Le comité consultatif, première entité de ce dispositif, permet de prendre en compte les avis de la direction, des médecins et de la responsable de l’organisation des soins infirmiers. Ce comité est constitué notamment de trois médecins, du directeur du système d’information et d’organisation, du chef du personnel, de l’infirmière générale et d’un consultant. Deuxième entité : l’école d’infirmiers, qui vérifie le niveau d’intégration du travail au contenu pédagogique de l’école et intervient pour situer la mission et le rôle de chacun. Cette coopération favorise la préparation des élèves aux outils créés et permet d’évaluer la complémentarité de la méthode élaborée à la pédagogie mise en place par l’équipe enseignante. L’association de l’IFSI s’est faite par : - La présence d’une monitrice dans le groupe de travail ; - L’intégration des monitrices à l’évaluation des documents créés ; - La présentation de l’ensemble de la démarche à l’équipe enseignante au cours de réunions pédagogiques ; - La constitution d’équipes mixtes infirmiers/monitrices pour réaliser certaines fiches de diagnostics infirmiers. De nombreux hôpitaux ont été sollicités pour fournir leur support de travail et recueillir leur expérience dans la mise en place de la démarche de soins. Le groupe s’est ainsi constitué une bibliothèque de plus de vingt dossiers de soins. De plus, une personne s’est attachée à recueillir tous les éléments bibliographiques connus sur le sujet et en a fait régulièrement la synthèse aux autres membres du groupe. Chaque élément du dossier de soins réalisé par le groupe a fait l’objet d’une validation systématique dans tous les services de soins, au moyen de différentes actions : - Utilisation des documents à fin de test dans les services ; - Questionnaire et étude systématique des remarques de chacun, les documents étant corrigés en conséquence. Chaque élément du dossier a ainsi été testé, soit plus de 250 questionnaires ; - Test du dossier par un groupe d’élèves infirmiers ; - Participation d’infirmiers volontaires à une partie des travaux, notamment à l’élaboration des diagnostics infirmiers. Le comité de suivi a été sollicité à la fin de chacune des quatre grandes étapes de travail, constituées de l’accueil du patient, de la prise en charge du rôle propre, du rôle collaborant infirmier et de la clôture du séjour. Chaque présentation était faite à l’issue de la phase de test des outils dans les services et d’analyse des questionnaires. Les travaux étaient présentés par le consultant, l’infirmière générale intervenant comme médiateur. Le comité avait la double responsabilité de se prononcer sur la recevabilité du travail et sur les méthodes et le planning proposés. La communication des travaux, dernier volet de la méthodologie, était réalisée par : - La présence systématique d’un état d’avancement dans la revue interne de l’hôpital - Des communications orales lors des réunions de surveillants - La diffusion de la liste des membres du groupe et de leur lieu de travail pour favoriser les échanges directs - Des visites et informations dans tous les services, à chaque étape de la démarche. LE DOSSIER DE SOINS INFIRMIER Notre étude s’est faite de façon pragmatique, en analysant d’une part le poste de travail « infirmier » et d’autre part les principaux « moments » de l’hospitalisation d’un patient. L’étape « avant l’hospitalisation » concerne le vécu du patient avant son arrivée à l’hôpital, et comprend sa relation avec son ou ses médecins voire avec l’hôpital en cas de préadmission. L’étape d’accueil du patient permet sa prise de connaissance sous l’angle administratif et social, et d’évaluer son potentiel ou son autonomie. Cette phase comporte le recueil de données à visée diagnostique et la validation des données recueillies. L’exercice du rôle propre infirmier concerne la phase de raisonnement diagnostique, avec ou sans l’aide d’un protocole établi, et l’exercice du rôle collaborant permet la prise en charge par l’infirmier des actions de soins qui lui sont déléguées par les médecins. La mise en commun des actions, des actes prescrits par les infirmiers dans l’exercice de leur rôle propre et des soins qui leur sont délégués par les médecins, permet de planifier les soins et d’organiser leur délégation. L’évaluation sert à vérifier l’efficacité de ce qui a été mis en œuvre. En fonction du bilan opéré à cette étape, on retourne au processus initial d’examen jusqu’à l’obtention d’un état stabilisé du patient. La synthèse du séjour est à envisager suivant deux axes. Vis à vis du patient, le dossier de soins infirmier évalue son nouvel état physique et psychique en corollaire au bilan initial fait à son arrivée, établit les moyens à mettre en œuvre pour maintenir un niveau de vie optimal, et permet la planification d’autres séjours ou de nouvelles étapes de soins. Vis à vis du séjour, le dossier évalue la qualité et la charge en soins pour ce patient et ce séjour. Chacune de ces étapes a donné lieu à la création d’un document d’information servant de base au raisonnement diagnostique ou de planification des soins. Les documents ont été élaborés sur des critères d’efficacité : - Limiter les zones de saisie d’informations sous forme de texte libre ; - Suggérer au maximum les réponses possibles, afin d’apporter un gain de temps substantiel et de participer de façon non contraignante à la formation continue ; - Créer un document agréable à utiliser en retenant des formes ou des typographies harmonieuses et faciles à lire ; - Rechercher la fiabilité maximum par le visa des actes prescrits et effectués ou la mention systématique de l’identifiant du patient et du séjour sur les feuilles libres du dossier ; - Adapter les documents à une position de travail inconfortable et à leur utilisation par un nombre varié d’utilisateurs. Le groupe de travail a réussi dans un temps limité et acceptable à concevoir l’ensemble des outils associés à la démarche de soins. La diversité des études menées a permis d’atteindre un taux de satisfaction et d’adéquation aux besoins des utilisateurs proche de 80 %. Trois étapes, en cours de réalisation, sont nécessaires avant la mise en place effective de la démarche de soins dans l’établissement : - Intégrer le dossier de soins infirmier dans le dossier médical du patient ; - Favoriser la mise en place de la démarche de soins tout d’abord au niveau des services pilotes puis à l’ensemble des services, en privilégiant la phase de formation et d’assistance par l’intermédiaire d’un comité de suivi ; - Améliorer la diffusion des informations connues sur le patient. Pour cela, des outils informatiques sont nécessaires. CONCLUSION L’ensemble de notre travail a permis de mettre en place la démarche de soins et de concevoir son corollaire, le dossier de soins infirmier. Élément d’information unique sur le patient, il ramène naturellement son utilisateur vers une prise en charge globale du malade. Chaque soignant venant l’enrichir ou y rechercher une information dispose de tous les renseignements pertinents connus sur le patient. Par conséquent, le dossier de soins infirmier contribue à : - Une meilleure prise en charge des problèmes de santé du patient, dès lors que l’objectif ou la stratégie de soin sont communs et connus - Une plus grande sécurité dans l’exécution des soins - La prise en charge de nouveaux problèmes de santé non traités car non médicalisée. Tel qu’il a été conçu, le dossier de soins infirmier nous permet de disposer d’un outil moderne, conforme à la démarche de soins et à l’utilisation des diagnostics infirmiers, sans alourdir la charge de travail. De plus, étant destiné à être transmis au service d’accueil à chaque transfert, il réduit d’autant le travail à l’arrivée du patient et le travail de collecte de l’information. Enseigner la démarche de soin ou soigner la démarche d’enseignement Les IFSI présentent en général la qualité d’être d’extraordinaires théâtres d’innovations pédagogiques. Bon nombre de ces lieux de formation ont pris une véritable dimension de “laboratoire” où le regard sur les pratiques permet à la réflexion de progresser. In Objectif Soins n° 88, août-septembre 2000. C’est la volonté de partager une expérience concernant la démarche de soin dans la formation infirmière, qui a présidé à la rédaction de cet article. Expérience, voire expérimentation pédagogique que nous avons voulu “support” d’analyse et de recherche. Il s’agit là d’une recherche empirique réalisée à partir d’un constat sur lequel la réflexion a pu s’opérer et se matérialiser par une pédagogie concrète. La démarche de soins: enjeu social et expression d’une légitimité La démarche de soins est assez récente puisque le concept n’émerge en France qu’ « au lendemain des événements de mai 68 » (Chaboissier, 1996) (1). Elle n’est intégrée dans l’enseignement français des soins infirmiers qu’à la fin des années 1970. Elle représente une capacité pour les infirmières d’affirmer leur rôle, de le légitimer, d’assurer une spécificité au travers du “rôle propre” qui reste une socio-construction utile à la délimitation du champ professionnel infirmier. Disons que la démarche de soins reste une pierre angulaire du travail infirmier, en même temps qu’elle demeure le vecteur principal d’une « historicité » (2) professionnelle, qui relève de la sociologie des professions. Ajoutons qu’il est souvent fait usage d’un amalgame entre démarche de soins et démarche de soins infirmiers. Or il nous semble important de cibler d’emblée cette démarche de soins (infirmiers) dans une entité plus large, la démarche soignante qui, elle, échapperait ipso facto à toute tentative de monopole. Les soins infirmiers ont en effet cette caractéristique de reposer sur une “mentalisation” et d’être très concrets. Le soin en général, et particulièrement le soin infirmier, se compose d’une réflexion et d’une action en même temps qu’il est une réflexion sur l’action. La démarche de soins pose la légitimité du travail infirmier. Elle reste donc un enjeu important du milieu professionnel. Il n’est donc pas étonnant qu’elle s’inscrive, naturellement, comme une ligne de force de la formation des infirmières. Or, quelques écueils peuvent apparaître et venir gêner considérablement les étudiants. Ces écueils relèvent souvent du fait que l’outil démarche de soin peut être “dévitalisé” si, au-delà de son aspect pratique, il venait à servir presque exclusivement l’expression d’une légitimité, en particulier celle des formateurs. Un constat très évocateur « La démarche de soins : c’est virtuel, ça n’existe pas ! » (3). La démarche de soins amène effectivement à poser le questionnement sous plusieurs aspects, et avant tout celui de la dichotomie théorie/pratique. La tendance est grande d’opérer cette séparation de manière criante. Existerait-il plusieurs démarches de soins : celle qui est théorique, celle qui est pratique, celle qu’on fait à l’écrit, celle qu’on produit en MESP (4), ou encore celle de tel ou tel formateur. Or il nous semble qu’il ne peut en exister qu’une seule, celle du patient. Signalons que cette dichotomie théorie/pratique est en réalité une fausse dichotomie, comme le précise Bertrand Schwartz. « Tout praticien, même celui qui s’en défend, est un impénitent consommateur de théories, dans la mesure où théorie signifie organisation et mise en ordre des concepts (...) Toute pratique est une intelligence des choses. » (cité par P. Bachelard, 1994, p. 55) Etudiants en rupture Notre réflexion est issue d’un constat à partir de l’enseignement que nous avons mis en place en début de formation et surtout à partir d’une analyse des difficultés liées à la démarche de soins, basée sur le vécu des étudiants et alimentée de leurs expériences (5). Le problème de l’adaptation au cursus modulaire et au processus alternant dévolus à la formation infirmière, se manifestant par un décalage et des difficultés à produire des soins dans une optique professionnalisée, est souvent flagrant (6) et (7). C’est d’ailleurs là un premier souci. Trop souvent les étudiants sont dans la reproduction et tentent de faire ce qu’on leur demande. L’analyse reste souvent impossible à réaliser, tant leur souvenir reste accroché à l’analyse de texte qu’ils viennent tout juste de digérer. Ils arrivent donc sans aucune notion d’analyse de situation. L’habitude aux contenus disciplinaires et à ses modalités d’évaluation ne les autorise qu’à un écartèlement entre la théorie et la pratique. Les étudiants continuent d’analyser un cas (qu’on crée?) à partir de sa forme littérale et non d’après sa valeur clinique. Le cursus antérieur, la nécessité d’un professionnalisme, même à construire, marquent cette rupture. L’analyse produite est une somme d’informations au même titre que le soin est l’application d’une technique. Le patient est alors relégué au rang de détenteur d’informations et d’objet de soin. La prise en charge globale, tant désirée et si porteuse, en principe, risque de se résumer en une série d’actes. La rupture théorie/pratique est réelle. L’étudiant reste dans l’application de méthodes apprise à l’IFSI et ne parvient pas à s’inscrire dans le processus clinique, même s’il a conscience de son intérêt en terme de pertinence. Des déviations pédagogiques Nous l’avons évoqué : positionner exclusivement la démarche de soins selon les deux pôles théorie et pratique est une erreur, car elle aboutit à une démarche de soins école et une démarche de soins stage. Certains étudiants font état de ce décalage école/stage en termes de non faisabilité : cela aboutit à une impossibilité de transférer les savoirs. En réponse à ce décalage, ils tentent en fait de répondre aux “consignes école” en optimisant en premier lieu la technique. Certains regrettent d’avoir attendu le stage pour comprendre le raisonnement clinique, d’abord initié en théorie, encours. D’autres, en grand nombre, adoptent un procédé inverse : ils déclinent les problèmes de santé à partir des soins planifiés. Dans la mesure où démarche de soins et soins se résument pour eux en l’application de méthodes apprises en deux pôles distincts, peut-on s’étonner d’une aussi difficile mise en lien, et d’une aussi facile inversion dans le processus ? Il est donc primordial de ne pas opérer de dichotomie au niveau de la démarche de soins ; de ne pas alimenter une « schizophrénie culturelle » (8). Or la tendance reste grande. Déjà l’arrêté du 30 mars 1992 lui-même précise que pour les évaluations cliniques dix points sont attribués pour la réalisation des soins et dix autres pour la démarche de soins. Nulle surprise donc de voir cette séparation reprise et intégrée dans les grilles d’évaluation. N’a-t-on jamais vu d’étudiants paralysés par le fameux “syndrome d’immobilité” censé concerné le patient dont il est question ? Ne voit-on pas, n’entend-on pas dire que « la démarche de soins c’est un truc de formateur ! » Qu’elle est davantage outil d’évaluation qu’outil professionnel de soins ? Bref, il existe une fâcheuse tendance à dénaturer l’objet démarche de soins. « On voit bien aussi aujourd’hui cette exaltation de l’outil qui n’est interrogé ni sur ses finalités, ni sur ses étayages scientifiques et qui est ainsi réduit, le plus souvent, à ne fonctionner que comme placebo. à servir de totem à un groupe de fidèles pendant que d’autres 1’utilisent comme tabou » (Ph Meirieu & M. Dévelay, 1991). Trop souvent, en effet, les dispositifs de formation proposent aux étudiants l’idée d’un décalage béant. Classiquement, les enseignements sont réalisés sans lien entre la théorie et la pratique. Or cette mise en lien, l’idée qu’il faille “faire des liens” est justement la pierre d’achoppement en matière de démarche de soins (9). Nous avons aussi constaté que le fait de poser les enseignements en soins infirmiers sur le plan théorique d’une part, et d’autre part, ceux des actes de soins sur le plan pratique, alimentait la difficulté des étudiants. L’hypothèse selon laquelle « les étudiants reproduisent un schéma d’apprentissage selon une logique de restitution et non dans un but de transférabilité des savoirs » a été vérifiée (10). « La technique n ‘est sensée que si elle est pensée » avons-nous même osé porter sur une feuille d’évaluation clinique. L’idée d’une déviation pédagogique se retrouve encore dans les moments d’évaluation. En utilisant la démarche de soins comme outil d’évaluation celle- ci reste assimilée de façon réductrice à ce rôle dévolu et perd de son sens originel. L’évaluation, nous le regrettons, est souvent axée sur le résultat de travail de l’étudiant et peu sur les dispositifs intellectuels mis en œuvre pour y parvenir. Finalement, tout le monde s’y retrouve : le formateur et l’encadrant de stage trouvent que l’étudiant a ou n’a pas bien utilisé l’outil et pratiqué efficacement le soin... Sauf le patient, qui aurait peut-être souhaité qu’on “prenne soin” de lui plutôt que de “soigner” sa prise en charge. Les capacités évaluées lors d’une MESP effleurent peu la notion de mise en œuvre et ne focalisent que sur le résultat obtenu. Selon nous, cette démarche intellectuelle ne peut être réduite qu’au seul regard comportemental. Les difficultés des étudiants, obligés à repérer les attentes de tel ou tel formateur, les amènent à fonctionner avec des standards où finalement la réflexion s’amenuise. L’ensemble devient enfermant et on note encore aisément un raisonnement inversé, les étudiants passent par les traitements pour identifier les problèmes de santé, ne reviennent qu’en seconde intention sur la production d’une analyse de situation qui est souvent assimilable à une synthèse rédigée. La réalité des MESP offre aussi à l’étude son lot de surprises, d’effets de dénaturation. Ainsi, beaucoup d’étudiants proposent des démarches de soins de 8 à 10 pages et plus, censées rendre compte d’un travail de compréhension où finalement l’analyse en tant que telle reste difficilement repérable. La difficulté à faire des liens reste donc prégnante et les controverses fortement alimentées à chacune des étapes de la démarche de soins. Les formateurs ayant souvent tendance à s’approprier Cet outil et la validité de ce qui est à produire. Il est aussi fréquent d’achopper sur l’identification des problèmes, leur formulation, leurs priorités, tant les choses sont difficiles à cerner dans les situations des patients, qui restent complexes par moments. La tendance est reconnue souvent au travers des discours des étudiants et des professionnels de terrain qui considèrent la démarche de soins comme quelque chose d’inscrit dans une (pseudo) scientificité et une intellectualisation trop poussées. Ainsi, le recours à un modèle conceptuel, tel que celui de Virginia Henderson, ne se conçoit qu’à partir de l’intégration effective des concepts sous-jacents dans la démarche de mobilisation. A défaut, l’ensemble devient générateur de difficultés. Ruptures et conflits cognitifs L’idée de la rupture des étudiants (modèle scolaire) et celle de déviation de l’outil, des erreurs repérées, comme le fait de devoir (ou vouloir) poser la démarche de soins à l’écrit se trouvent potentialisées par d’autres paradoxes pédagogiques. Pourquoi les étudiants ne font-ils pas comme on leur demande de faire ? Pourquoi n’apprennent- ils pas comme il serait souhaitable qu’ils le fassent? Autant de questions qui sollicitent, elles, véritablement, le souci de l’analyse. Il est indispensable de cerner les processus cognitifs mis en œuvre par les étudiants pour comprendre ce que finalement ils ne comprennent pas. Car à l’image de la citation suivante, le risque est grand de sombrer dans le paradoxe. « J’ai toujours été frappé du fait que les professeurs de sciences encore plus que les autres, si c ‘est possible, ne comprennent pas qu ‘on ne comprenne pas» (Bachelard G, 1938). Se restreindre au comportement professionnel ne peut prétendre assurer la compréhension de ce “professionnel en construction”. Or, l’acte pédagogique contient cette exigence implicite. Par ailleurs, il nous a paru intéressant de présenter d’autres incidences que nous avons nommées ruptures de temporalité. Nous avions posé l’enseignement au départ de formation, à partir d’un descriptif de chacune des étapes de la démarche de soins. Ainsi, le recueil de données, l’analyse de situation, l’identification des problèmes de santé ont eu droit au chapitre. Or, il s’agit d’une même et seule opération globale qui intègre les données et les lie dans des unités de temps différentes. De plus, en matière de démarche de soins l’analyse est permanente. Ce cloisonnement des étapes de la démarche, opéré pour des raisons purement didactiques, se retrouve clairement lorsque les étudiants ont l’impression de faire ou de refaire trois fois la même chose. Une infirmière (IDE depuis 1994 et ancienne aide-soignante) nous confiait récemment : « Le fait de devoir écrire ce qui est évident, d’écrire ce qu’on fait (... ) était très difficile. C’est cela qui nous bloquait, la démarche de soins on la faisait automatiquement dans notre tête ! ». Ensuite, il existe d’autres hiatus comme le fait de solliciter une analyse de situation, justement située “à ce jour”. Outre l’idée importante de la nécessaire actualisation des informations et celle de la permanence de la compréhension de l’état du malade, l’analyse demandée revient à figer du “non-figé”. Ce paradoxe est aussi une source de difficulté pour de nombreux étudiants en soins infirmiers. L’analyse pose aussi la question de ce qu’on doit y mettre. Là, c’est encore un dédale. Or, la réponse est simple : il s’agit de l’essentiel. Le reste n’est que pur style rédactionnel. La pertinence des éléments sélectionnés n’est subordonnée qu’à une éventuelle vérification empirique, possible par le recours à la situation réelle du malade mais certainement pas liée à un simple avis des évaluateurs. « Ce qui me gêne dans l’analyse de situation c’est qu ‘il ne faut pas mettre les actions ! Or, moi je les mets, donc, ça ne va pas ». Cette phrase d’une étudiante de 3ème année montre bien que le raisonnement est produit à partir de ce qu’il ne faut pas y mettre plutôt qu’à partir des éléments à sélectionner. Enfin, il existe un autre souci. On demande aux étudiants de produire des actions de soins visant les objectifs posés et dans l’optique de résoudre les problèmes de santé des patients et, dans le même temps, de proposer une évaluation observable. Il s’agit en fait de penser et prévoir l’évaluation des actions de soins proposées. En somme, en toute logique, l’étudiant qui proposerait une action de soins prévoyant justement l’évaluation des actions serait davantage dans une actualité de la démarche de soins. Pour une véritable pédagogie de l’alternance Nous avons tenté de démontrer que l’enseignement de la démarche de soins reste délicat et demande certaines clarifications dont la première est de considérer l’acte pédagogique à partir d’une simplification de la recherche de sens. Pour favoriser une gestion de l’alternance efficiente et proposer une alternance « intégrative » (Malglaive, 1990) nous avons choisi de fixer des bases conceptuelles préalables à l’avancée d’aménagements pédagogiques. La démarche de soins vue comme matière première à l’enseignement du métier doit reposer sur le travail infirmier. Les récents travaux des ergonomes de langue française, dont ceux de Christophe Dejours sur la psycho-dynamique du travail, ouvrent des pistes intéressantes à ce niveau. Les notions de travail prescrit et de travail réel sont incontournables pour se référer à un véritable travail autour du travail (infirmier). Considérer l’objet travail comme la ressource de base amène à saisir les opportunités de mener à l’exploitation les situations. Il s’agit de proposer une analyse des pratiques permettant une analyse de la situation (de soin). Considérant « le fait fondamental que toute connaissance est liée à une action » (Teigger, 1993). Il s’agit alors de pouvoir apprendre des situations, c’est-à-dire à partir d’elle. « Ce que le formateur doit faciliter est clair et en même temps extrêmement difficile à réaliser : Dire l’activité » (Jobert, 1993, p. 16). L’analyse des pratiques Offrir l’analyse des pratiques comme mode d’entrée d’une pédagogie de l’alternance permet de repenser le dispositif à partir de l’action. Pour exemple, citons les « rapports de la pratique et de la théorie dans une pédagogie où l’observation du concret sert de point de départ dans la démarche de construction du savoir » (Bachelard P, 1994, p. 51). Cette pédagogie de l’alternance basée sur l’action (soignante) autorise l’émergence du jugement clinique inclus dans la démarche de soins. Finalement pour faciliter cette intégration d’une démarche de soins sensée favoriser l’émergence des compétences, qui restent « des inférences à partir du donné de l’action » ou encore « des attitudes de responsabilité et d’engagement dans l’action » (Carré, 1998, p. 13), nous nous sommes attachés à travailler autour du “raisonnement clinique” plutôt que de rechercher exclusivement le jugement clinique ou encore le raisonnement diagnostic. «Le raisonnement clinique est, selon nous, la capacité à opérer des liens objectifs dans et à partir d’une situation de soins, autorisant alors une mise en évidence du sens de l’action soignante. » L’analyse de pratique s’intègre encore parfaitement dans ce qu’on nomme le processus de professionnalisation et inclut l’idée de réinterroger les pratiques pédagogiques des formateurs encore appelés, il y a peu, moniteurs. Notons encore que cette obligation de l’interrogation des pratiques sollicite fatalement une rupture épistémologique situant le paradigme de la formation infirmière, non plus dans une logique de contenus, mais davantage dans une recherche de sens du travail. Il est « une difficulté centrale à toute entreprise éducative : permettre à l’autre d’être interrogé par le savoir qui lui est enseigné, et pour cela, réexaminer obstinément la manière dont on le lui enseigne » (Ph Meirieu, 1996, p. 146). Forts de l’ensemble de ces considérations, nous avons gardé à l’esprit l’idée de « construire des situations de formations à partir de la logique d’utilisation en situation professionnelle » (D. Colardyn citée par P Bachelard, 1994, p. 67). Les aménagements pédagogiques proposés Les orientations posées restent basées sur la progressivité dans la construction des savoirs et la volonté d’opérer un enseignement coordonné démarche de soins/soins, à partir du postulat suivant : « Dénonçons avec insistance cette illusion pédagogique selon laquelle la stimulation passe par la mise en difficulté de l’apprenant » (G. Chappaz, 1998, p. 64). Nous l’avons évoqué, l’idée principale est de tendre vers une véritable pédagogie de 1’ alternance centrée sur l’exploitation des situations de travail « impliquant réellement 1 ‘apprenant dans une tâche de production enliant l’action et la réflexion sur le pourquoi et le comment » (Bachelard P, 1994, p. 50) et ainsi favoriser ce que Roland Fonteneau appelle des « rencontres intelligemment organisées ». Il convient donc de garder à l’esprit l’idée d’une différenciation des modalités pédagogiques autorisant une véritable pédagogie différenciée, respectant les styles cognitifs des apprenants. « Il faut verser cette évidence incontestable qu’il n ‘est de savoir que par le chemin qui y mène, et de connaissance que dans l’appropriation qui en est faite par le sujet » (Ph Meirieu, 1987, p. 37). Il est donc inutile de chercher à contester une « évidence incontestable ». Opérer des liens Cela revient par exemple à soumettre à l’étude des cas de patients, autorisant la discussion et l’argumentation cliniques des uns et des autres; de pouvoir arrêter les éléments objectivables et essentiels ; de construire une démarche soignante; d’intégrer les éléments de l’expertise du travail infirmier; d’aller jusque la planification et la réalisation des soins. Ainsi donc, la partie relative à l’exécution des soins (réalisation) se trouve inscrite dans la continuité de la pensée de l’action. Nombre de séquences pédagogiques proposant des techniques de soins peuvent ainsi être mises en mouvement (soins de base, injections, pansements, sondages...). Ce postulat de travail présente l’avantage d’être applicable à l’IFSI et en stage. Les modules transversaux ou globaux en général, et les modules de soins infirmiers, en particulier deviennent “l’épine dorsale” du cursus. Les intentions pédagogiques et l’ensemble des documents pédagogiques utilisés reprennent et concrétisent cette légitimation. Durant la 2ème année d’études, il a été proposé aux étudiants de ramener à l’étude des démarches de soins, ayant servi lors des MESP. Soumise au volontariat, cette modalité a permis de proposer à la discussion au sein du groupe d’étudiants, après exposés, quelques démarches de soins réalisées en harmonie avec une réalité clinique de stage. A noter qu’un temps de préparation avec les formateurs précédait les exposés, et que naturellement, les étudiants investissent cet espace et proposent d’eux-mêmes des démarches de soins des différentes disciplines (chirurgie, médecine, psychiatrie..). Proposer des temps de perfectionnement en soins infirmiers Réalisés en petit groupe (1/3 de promotion) en 3ème année, destinés à intégrer le stage de chirurgie comme support de perfectionnement, à partir de projets d’apprentissages individuels, personnalisés et mutualisés au retour du stage. Cela permet d’inscrire validement la prestation de soin dans un processus global, et dans une dimension réelle. C’est encore naturellement que la démarche de soins apparaît comme une source de travail concret. Là encore, la progression dans l’acquisition de compétences repose sur l’animation du dispositif. Inscrire les intentions dans la gestion La transversalité évoquée et considérée comme le primat de la formation autorise une exégèse des savoirs formels utiles à une situation (pharmacologie, législation, hygiène, déontologie, organisation du travail...) et permet d’inclure le sens de cette utilité repérée. Ainsi l’exploitation des situations de travail reste le support idéal des « moments pédagogiques » (Meirieu, 1996) propices aux apprentissages fondamentaux dont ceux relatifs à la démarche de soins. Le fait d’inclure la démarche de soins dans l’étude de cas concrets proches du terrain, délivrés de leur dimension purement livresque, permet encore la visite du processus de soins dans son ensemble, et la production d’éléments significatifs comme une planification de soins, des transmissions orales... Cette proximité du terrain peut être le vecteur d’élaboration de cas concret servant l’évaluation théorique. Cela permet de «concrétiser »le soin, d’intégrer la démarche soignante dans son ensemble opératoire, de discerner les éléments fondamentaux utiles à une compréhension fine des situations de patients. Donc d’intégrer en un tout cohérent la législation, l’éthique, la pharmacie, la paraclinique, les dimensions du soin, la physiopathologie dans le processus d’évaluation. Par exemple, lors de l’évaluation du module de soins infirmiers aux personnes atteintes d’affections digestives, nous avons retenu une modalité orale, basée sur la discussion et l’argumentation clinique (épreuve d’ailleurs intitulée comme cela) afin d’avoir cette prise sur le réel, porteuse d’apprentissages. Les étudiants, en majorité, se sont révélés surpris d’avoir de vrais cas tant l’habitude à être trompés sur la marchandise pouvait être installée. Les MESP sont à considérer autour d’une recherche de moments formatifs pour servir de matériau pédagogique en amont et en aval du temps d’évaluation. Cela permet de focaliser les aspects positifs et ceux qui le sont moins, de situer la démarche soignante et les actions de soins dans leur dimension opératoire. Cela se prête volontiers à la matérialisation des liens à faire à propos des patients. C’est aussi et surtout un moment réel de l’intégration des professionnels de terrains au processus de formation. Conclusions et perspectives Sur le plan des apprentissages, les modalités concrètes s’élaborent chaque jour et sont l’expression réelle d’intentions et d’options pédagogiques claires. Inscrites dans le quotidien, elles se veulent participantes d’une alternance réelle, où l’interface théorie/pratique contient en son cœur un « centre de gravité: l’apprenant » (Fonteneau, 1993). L’ensemble du dispositif autorise encore 1’ inscription de la démarche de soins dans sa validité clinique, et propose de réinterroger les pratiques de soins, pédagogiques et celles de la pédagogie du soin, en même temps qu’il présuppose de revisiter la légitimité des acteurs en présence. En guise de perspectives, la garantie et l’assise en matière de résultats dépend de la capacité du groupe d’étudiants formé à être majoritairement « apte à répondre aux besoins de santé d’un individu ou d’un groupe... » en intégrant les données des situations dans un “raisonnement clinique”. « La technique n’est sensée que si elle est pensée » avancions-nous en début de rédaction. Ajoutons qu’à n’en pas douter, notre expérience aura été riche d’enseignements, tout comme nous avons tenu à rendre riche d’expériences nos enseignements. Notes : (1) Chaboissier Mercedes, De l’acte pédagogique au changement social ? L’exemple de la démarche de soins. Comprendre pour réussir le changement, Accord Editions, Paris, 1996. Livre support d’une recherche de troisième cycle effectuée dans le cadre du CNAM, qui pose remarquablement les vertus “sociales” de l’objet “démarche de soins”. (2) Ce concept d’historicité est décrit par Vincent de Gaulejac, dans La névrose de classe, Paris, Edition H&G, 1987, p. 26 à 63. (3) Expression d’un étudiant de 3ème année datant de 1996. (4) Mise En Situation Professionnelle (MESP ou Evaluation clinique) (5) Ce constat émane d’une étude portant sur plusieurs centaines d’appréciations portées sur les feuilles d’évaluations des MESF, et d’un étayage argumenté des étudiants. Il débouche sur une recherche menée lors de la formation cadre. Brigitte Vanderstée, Etudiant en soins infirmiers. « D’acteur-penseur à penseur-acteur » Construction des compétences et alternance”, Mémoire IFCS Amiens 1999. (6) Déjà en 1996, nous évoquions cette influence de l’école sur le dispositif de formation, à l’occasion d’un article ourla règle de trois. Pascal Martin, “La règle de trois : un cheval de bataille dans la formation infirmière”, Objectif soins n° 77 avril 1996, p 24 à 26. (7) Le lecteur averti aura remarqué la formulation équivoque de cette phrase. Cela correspond à notre volonté de marquer qu’il s’agit là d’un problème réel. (8) Cette formule est empruntée à André Geay, dans Education Permanente, n° 115 : l’alternance, 1993. (9) Ce constat repose sur l’objectivation de cette difficulté à faire des liens observés et largement indiqués sur les feuilles d’évaluations, et particulièrement lorsqu’il s’agit d’apprécier la démarche de soins. (10) Brigitte Vanderstée, op. cit. BIBLIOGRAPHIE : Bachelard Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1938. Bachelard PauI, Apprentissages et pratiques d’alternance, Paris, L’harmattan, 1994. Chaboissier Mercedes, De l’acte pédagogique au changement social ? L’exemple de la démarche de soins - Comprendre pour réussir le changement, Af Corrd Editions, Paris, 1996. Chappaz Georges, La motivation: les raisons de la dissolution, in Education Permanente n° 136 (1998), p. 57 à 67. De Gaulejac Vincent, La névrose de classe, Paris Edition H&G, 1987. Dejours Christophe, Le facteur humain, Paris PUF, Collection Que sais- je, n’ 2996 Geay André, n L’Alternance, Education Permanente, N’ 115, 1993. Fonteneau Roland, n L’Alternance, Education Permanente, N0 115 (1993). Malglaive Gérard, Enseigner à des adultes, PUF, Paris, 1990. Martin Pascal, L’alternance en formation infirmière : du lien entre le Sociologique et le Pédagogique ou les stratégies d’acteurs et l’intelligence au travail au service des apprentissages, Université Paris Dauphine, 1998. Mémoire de maîtrise. Meirieu Philippe, Apprendre... oui mais comment, Paris ESF, 1987 et La pédagogie entre le dire et le faire, Paris, ESF, 1996 Meirieu Philippe et Dévelay Michel, Reviens, Emile... lis sont devenus fous, Paris ESF, 1991. Les transmissions ciblées : stratégies d'implantation et résultats L'implantation du dossier de soins dans les hôpitaux de l’AP-HP est un objectif de la direction centrale du service de soins infirmiers depuis 1990. Dès 1991, le dossier de soins a constitué l’un des axes de la politique des soins infirmiers de l’hôpital Armand-Trousseau. Par Binel G, Flamand V. et Patriarche A. In Objectif Soins, avril 1996, n° 42. L'hôpital d’enfants Armand-Trousseau est un établissement spécifiquement pédiatrique, de court séjour, comprenant quatre cent quarante-quatre lits dont vingt-neuf de jour et cinquante-quatre chambres mère-enfant. Stratégie d’implantation pour l’hôpital Le dossier de soins est implanté dans tous les services, soit vingt et une unités de soins de l’hôpital. Le projet institutionnel concernant l’implantation du dossier de soins sur l’hôpital a été initié en 1991 suite à la formation de cinq « facilitateurs » (quatre cadres soignants et un cadre enseignant) et après une étude de faisabilité dans deux sites d’expérimentation. Un groupe de pilotage constitué initialement de sept personnes en 1991 s’est agrandi à douze puis vingt et un membres en 1993, il compte aujourd’hui un à deux référents par service. Depuis 1992, tous les cadres et plus de la moitié des infirmiers de l’hôpital ont participé à une formation-action de neuf jours au début, puis de cinq jours sur la démarche de soins, le raisonnement diagnostique, les diagnostics infirmiers et les enregistrements écrits. Parallèlement, des réflexions sur l’enfant, soigner, les concepts de soins, etc., ont été menées, ce qui a permis aux infirmiers de faire le choix de recueillir les données avec les modes fonctionnels de Marjory Gordon. Suite aux formations, le groupe de pilotage a construit des outils communs pour tous les soignants de l’établissement : - fiche d’identification de l’enfant ; - fiche de recueil de données ; - fiche de liaison autocarbonnée ; - fiche de coordination avec l’administration ; - fiche de transmissions ciblées et diagrammes. Des travaux en intersessions ont permis de mettre en évidence les diagnostics infirmiers prévalant dans chaque service et pour l’hôpital ; des plans de soins guides ont été élaborés et sont actuellement testés. Le groupe de pilotage a également réalisé un guide d’utilisation du dossier de soins et une grille d’évaluation spécifique. Actuellement, en plus des plans de soins guides, il est construit une fiche de synthèse d’hospitalisation. Afin de rendre encore plus opérationnelle la formation, un travail de suivi est effectué dans chaque unité avec la formatrice. L’ensemble de l’équipe, y compris de nuit, y participe. Dans chaque service, un cadre infirmier coordonne les travaux, il fait le lien avec le groupe de pilotage. De 1992 à 1995, cinq audits ont été réalisés sur le contenu du dossier de soins. On peut noter une très nette amélioration de la prise en charge de l’enfant et de sa famille. Définitions et qualités des enregistrements écrits Le dossier de soins est un outil de transmission de l’information pour toute l’équipe soignante. Il constitue l’un des axes de la politique de soins infirmiers. À l’arrivée de l’enfant, un recueil des données est réalisé par l’infirmier. Selon les informations analysées, le raisonnement diagnostique permet d’orienter soit vers une macro-cible, une cible ou un diagnostic infirmier. En termes d’enregistrements écrits quotidiens, le dossier de soins se compose de plusieurs parties complémentaires. On note entre autres : - un diagramme, pour noter les actes de soins réalisés par toute l’équipe sous forme d’information codée - un plan de soins guide, pour individualiser le projet de soins de l’enfant après identification d’un diagnostic infirmier; - une fiche de transmission ciblée. La transmission ciblée La transmission ciblée est une méthode pour organiser et structurer l’information. Elle doit recenser toutes les observations de l’équipe soignante, les soins réalisés ainsi que les réponses du patient aux soins médicaux et infirmiers, et permettre une communication utile entre les différentes disciplines. Parmi les critères, la transmission doit refléter le processus de soins, donner une description actuelle, complète, concise de la situation, avec un minimum d’informations reproduites, elle doit être légalement juste. Toute transmission est écrite, datée, horodatée et signée. Le but de la transmission ciblée est : - d’inscrire des détails qui ne peuvent figurer sur le diagramme (atteinte de l’intégrité de la peau par exemple) ; - de noter les réactions de la personne soignée aux soins et aux traitements (diarrhée) ; - de noter un événement inhabituel, inattendu (chute) ou significatif (premier biberon) ; - de décrire la personne, son comportement, ses préoccupations ainsi que celles de sa famille ; - de décrire l’état de la personne à des moments significatifs de l’hospitalisation, au moment du transfert dans une autre unité ou à sa sortie (bilan d’arrivée, retour de bloc, bilan de sortie) ; - de documenter le plan de sortie (prévision de sortie). La cible La cible est un énoncé très précis qui attire l’attention sur ce qui se passe chez la personne soignée et qui ne peut être consigné sur le diagramme. La cible peut être: un diagnostic infirmier, une observation significative, un symptôme, un événement du jour significatif, une préoccupation de la personne et/ou de sa famille, un comportement ciblé, une évolution positive ou négative, un fait nouveau, une information nécessaire à la surveillance, un événement important dans la surveillance du patient, une réaction physique ou psychologique du patient aux soins, aux traitements, une intervention des membres de l’équipe soignante pluridisciplinaire, une étape de l’hospitalisation, etc. La cible n’est jamais un diagnostic médical. Le contenu de la cible est structuré en données (D), actions (A) et résultats (R), la transmission est enregistrée avec les lettres DAR. Les données sont les informations objectives et/ou subjectives, des signes qui décrivent la cible et relatent la situation. Les actions sont les interventions infirmières passées, présentes ou futures, entreprises en rapport avec l’information recueillie et en vue d’un résultat relevant du rôle propre de l’infirmier et de l’application des prescriptions en cas de problèmes conjoints. Les résultats sont les effets observés des actions entreprises. Tout résultat doit être évalué par rapport aux données, un réajustement peut être apporté dans les actions. La macro-cible La macro-cible est un élément général, utile pour comprendre la situation. Elle présente la personne soignée de façon organisée et synthétique à une phase précise de sa prise en charge; elle permet d’assurer un relais rapide et pertinent. Son contenu doit être clair, le classement DAR n’est pas utile (bilan d’entrée). Le plan de soins guide Une liste des diagnostics infirmiers « prévalents » a été établie dans chaque unité. Lorsqu’un diagnostic infirmier est mis en évidence, il peut faire l’objet d’un plan de soins guide individualisé pour l’enfant. Les plans de soins guides ont été élaborés par les soignants, en les adaptant à la spécificité pédiatrique. Un travail d’ajustement est en cours. Ainsi l’équipe soignante assure le suivi de l’enfant avec ce projet de soins concerté. L’évaluation des soins intermédiaires peut être notée sur la fiche de transmissions ciblées. Le diagramme Les diagrammes ont été construits par chaque équipe de soins selon sa discipline et sa spécificité. Ils sont adaptés aux actions de soins de chaque unité. Les enregistrements portés sur chaque diagramme sont essentiels car ils permettent de rester vigilant pour repérer une difficulté. Un code défini par l’équipe renvoie à la fiche de transmissions ciblées. Cas concret d’implantation des transmissions ciblées Les transmissions ciblées font partie du dossier de soins infirmiers, elles sont un élément de la démarche de soins. Nous avons choisi d’utiliser les transmissions ciblées pour amener progressivement les infirmiers à utiliser les diagnostics infirmiers.L’ensemble des cadres de l’hôpital et quelques infirmiers du service de néonatalogie ont suivi une formation de neuf jours à la démarche de soins, aux diagnostics infirmiers et aux transmissions ciblées. Nous avons ensuite retransmis l’information à l’ensemble de l’équipe en petits groupes de trois à cinq personnes (infirmiers et aides-soignants) des trois équipes. Au cours de réunions du personnel soignant des trois équipes, nous avons établi une liste des cibles les plus fréquentes dans l’unité de soins. Pour chaque cible, nous avons déterminé le type d’informations qui pouvaient y figurer. Par exemple, la cible « relations parents-enfant » permet de noter les personnes qui viennent voir l’enfant, la durée des visites, le comportement de l’enfant et des parents pendant la visite, etc. Au cours de ces réunions, nous avons aussi repris nos transmissions traditionnelles et cherché des cibles pour chaque sujet abordé. Ces deux « exercices » ont permis de constater qu’un certain nombre de cibles revenaient régulièrement, ce qui a facilité le travail d’implantation. B a été décidé de « tester» les transmissions ciblées sur un groupe de cinq enfants sur les trois équipes. Mise en route et généralisation de l’expérience Après avoir choisi les cinq enfants sur lesquels le test serait fait, nous avons décidé de travailler de la façon suivante : les transmissions ciblées se font au moment de la transmission orale à chaque changement d’équipe ; chaque infirmier dit oralement ce qu’il souhaite transmettre ; le choix de la cible se fait en groupe, à partir de la liste type. Le surveillant, les infirmiers et les aides-soignants participent à la rédaction des transmissions. Après deux semaines de test, les infirmiers se sentaient prêts à réaliser les transmissions pour l’ensemble des enfants. Dans un premier temps, les transmissions ont continué à se faire en petits groupes, afin de faciliter l’identification des cibles, et également pour aider les infirmiers qui avaient des difficultés. Petit à petit, chaque infirmier est devenu autonome dans la rédaction de ses transmissions. Cependant, nous avons continué à travailler en groupe chaque fois qu’une difficulté survenait pour trouver une cible. Au bout d’un mois, les transmissions ciblées étaient faites pour tous les enfants de l’unité. Difficultés rencontrées La principale difficulté a été d’obtenir les transmissions de la part des trois équipes. Souvent, seule l’équipe de jour les rédigeait, les deux autres se contentant de noter les problèmes, et pas toujours sous forme de cible avec des DAR. La mobilité de certains infirmiers entre les trois équipes a permis de résoudre ce problème. Aujourd’hui toutes les transmissions sont ciblées et rédigées sous forme de DAR mais il arrive encore qu’une équipe ne les rédige pas pour tous les enfants. Une autre difficulté est que la notification des résultats n’apparaît pas toujours. On a des données et des actions pour toutes les cibles, mais si les résultats sont différés, ils sont parfois oubliés. De même, on ne retrouve jamais les résultats négatifs. Enfin, on observe encore parfois des répétitions entre les cahiers de surveillance des enfants et les transmissions ciblées. Des réunions de suivi du dossier de soins sont organisées par la formatrice qui a assuré la formation initiale, elles permettent les réajustements ponctuels nécessaires. Des cibles aux diagnostics infirmiers Une liste des diagnostics infirmiers prévalant dans l’unité a été établie. Certains sont utilisés dès le recueil de données initial ou après un recueil complémentaire, par exemple constipation, hyperthermie, douleur, anxiété des parents, etc. Parfois, ce sont les cibles qui deviennent des diagnostics infirmiers. Ainsi, « relation parents-enfant » peut devenir « anxiété », « difficultés à téter » peut être « atteinte à l’intégrité de la muqueuse buccale » ou encore « troubles du transit » devient « constipation ». Les transmissions ciblées ont permis de valoriser le travail infirmier et plus particulièrement le rôle propre. De plus, les équipes ont ainsi pu se familiariser avec la pratique des diagnostics infirmiers. Enfin, on remarque que les transmissions ciblées favorisent l’émergence d’un langage commun qui facilite la compréhension et diminue les risques d’erreur. Des résultats encourageants Les transmissions ciblées apparaissaient en 1993 dans 29% des cas et en 1994 dans 44,85% des cas. Les diagrammes étaient remplis dans 74% des cas en 1993 et dans 87,85 % en 1994. Le travail de suivi démontre que les transmissions ciblées et les diagrammes sont actuellement utilisés à 100 % dans toutes les unités. Leur contenu est encore à améliorer en termes de qualité. Les équipes soignantes ont construit leurs outils, elles ne souhaitent pas revenir à la transmission traditionnelle. Les médecins quant à eux n’ont jamais entravé le processus de changement, certains ont même participé au développement de la réflexion. Les transmissions ciblées et l’utilisation des diagnostics infirmiers permettent la concrétisation d’un projet de soins individualisé pour l’enfant, et adapté si nécessaire à la famille. Tout ce programme a pu être mis en place grâce à une politique de soins clairement définie, à la volonté des cadres, à la détermination du groupe de pilotage et à l’engagement des soignants à faire reconnaître leur travail en valorisant leur savoir spécifique.