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Guillaume Neboit-Guilhot Master 2 Pro EIDI Mémoire de fin d’études Master 2 pro EIDI 2012 2013 Problématique : Les réseaux sociaux numériques alliés aux nouvelles technologies ne créer-t-ils pas un déplacement de la performance chez le sportif « alternatif » ? Sont-ils le vecteur d’une nouvelle forme de compétitions qui se d éroule dorénavant sur le web plus que le véritable terrain de performance ? Sommaire Introduction I) Evolution du sport II) Réseaux sociaux numériques III) Les marques IV) Etude de casRed Bull - GoPro - Youtube 2 3 7 9 11 4.1 Red Bull 11 4.2 GoPro 13 4.3 Youtube 13 4.4 La synergie des trois ? 14 4.4.1 Youtube/GoPro 14 4.4.2 Red Bull/GoPro 15 4.2 Le cas Red Bull Stratos 16 V) Analyse d’un événement BMX Worlds de Cologne VI) Compétitions réelle mais aussi virtuelle VII) Résultats de l’enquête VIII) Conclusion Bibliographie Annexes 18 22 24 25 27 28 1 Introduction Aujourd’hui en France 80% des internautes sont membres d’au moins un réseau social1 et 60% des jeunes de 15 à 24 ans utilisent un smartphone. La technologie actuelle nous permet d’être connecté quasiment 24h/24 7j/7 à n’importe quel endroit du globe. Pour preuve, le réseau 4G a été déployé jusqu’à 5200m sur l’Everest et au sommet du Mont Fuji. Même si en France nous n’en sommes pas encore là, la 4G se développe et la 3G/3G+ couvre la majeure partie du territoire (98% de la population couverte par Orange et SFR fin 20122). Parallèlement à cette omni-connectivité, les moyens de captation d’images se développent, que ce soit à travers les smartphones, sur des produits spécifiques type caméra embarquée (GoPro, Contour) ou encore grâce au développement des appareils photos. Il devient aujourd’hui très facile de devenir à la fois créateur/producteur et diffuseur de contenu. L’ensemble de ces technologies et leur présence systématique peut nous amener à nous demander l’influence qu’elles ont dans notre vie, dans notre travail, nos loisirs. Pour étudier leur impact, nous allons ici nous intéresser aux domaines du loisir et notamment du sport en abordant le sujet du point de vue des sports dit « alternatifs » en essayant de répondre à différentes questions : Les réseaux sociaux numériques alliés aux nouvelles technologies ne créent-ils pas un déplacement de la performance chez le sportif « alternatif »? Sont-ils le vecteur d’une nouvelle forme de compétitions qui se déroule dorénavant sur le web plus que le véritable terrain de performance ? Pour tenter de répondre à ces questions nous allons dans un premier temps faire un état des lieux de l’évolution du sport, ensuite nous nous intéresserons aux réseaux sociaux puis à la dimension marketing que ces changements ont amenés. Dans un deuxième temps nous analyserons les sports alternatifs sur le web et notamment sur le réseau social préféré des français, Facebook. 1 Médiamétrie ; « Baromètre annuel des Réseaux Sociaux – 3eme vague » ; 24 juin 2013 2 Clubic utilisant les données de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes 2 I Evolution du sport Les années 80 signent la fin de l’essor de l’ère industrielle en France, au profit du secteur tertiaire qui va se développer et permettre une hausse du temps libre avec en corrélation une hausse de la pratique sportive qui ne va cesser d’augmenter jusqu’à aujourd’hui. La consommation d’articles de sport passe de 6 millions d’euros en 1990 à 9 milliards d’euros en 20093. Aujourd’hui ce développement est accompagné par les médias qui diffusent en masse le sport. Aux chaines traditionnelles s’ajoutent les chaines thématiques (Sport +, ESPN Sport, L’Equipe 21, etc.) mais surtout Internet et les réseaux sociaux numériques. Ces nouveaux moyens de communication mais aussi de diffusion changent les relations que le spectateur entretien avec le sport. Il devient plus que jamais acteur de ce qu’il regarde. Le modèle descendant des médias traditionnels (radio, télévisions) ne s’applique plus sur Internet, le spectateur peut et veut désormais réagir à ce qu’il voit. Mieux, dorénavant il peut se mettre en avant et diffuser ses propres performances via de nombreuses plateformes telles que Facebook, Youtube, Dailymotion ou encore Vimeo. Cette exposition permet de découvrir de nouveaux sports méconnus jusqu’à aujourd’hui. En effet alors que les médias traditionnels se concentrent sur les activités traditionnelles (football, cyclisme, athlétisme, rugby) les réseaux sociaux numériques et les plateformes vidéos mettent en avant des sportifs adeptes de sports inédits. Il est intéressant de noter le fait que bon nombre de ces sports alternatifs sont des sports de nature et que 2 français sur 3 déclarent avoir une activité sportive en lien avec la nature4. Ce fort engouement se retrouve lors de l’analyse des familles des sports les plus pratiqués par les français : en premier se trouve la marche avec 68% des pratiquants. Le football qui est la fédération comptant le plus de licenciés ne se trouvent qu’en 8eme position avec 10% de pratiquants 5 . Entre les deux se trouvent la nage, les courses hors stades (jogging, marathon) ou encore le ski, le snowboard, etc. Ce qui ressort de cette tendance c’est l’engouement des français pour les sports se pratiquant hors fédérations, s’affranchissant ainsi des contraintes liées à la pratique en club (horaires, calendrier, etc.). Ici, la pratique est orientée vers le loisir mais surtout la liberté de pratique et l’absence d’impératif de performance. Paradoxalement, certains sports créés autour de cette liberté tendent à se standardiser et à épouser les codes des sports plus classiques. C’est le cas notamment du snowboard qui était à la base un sport « rebelle » et qui est aujourd’hui complétement entré dans les normes jusqu’à être enseigné par l’Ecole du Ski Français. 3 Thèse de M. Eric Biard sur le thème : Facteurs de diffusion des pratiques sportives hors cadre et stratégie des acteurs : étude de cas comparatives dans la délocalisation des sports de nature aux milieux urbains citant Desbordes, M., Ohl, F. et Tribou, G. (2001). Marketing du Sport. Paris: Economica. pp. 57-58 4 RAPPORT DU COMITÉ NATIONAL DES ESPACES, SITES ET ITINÉRAIRES RELATIFS AUX SPORTS DE NATURE [CNESI] – Président : Jean-Luc GAYRAUD REMIS AU MINISTRE DE LA SANTÉ, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS DECEMBRE 2007 5 Bulletin de statistiques et d’études du ministère des sports - Novembre 2011 3 Néanmoins, certains sportifs refusent cette standardisation et repoussent sans cesse les limites de leur sport allant jusqu’à le rendre extrême, dépassant complètement les normes établies. Pour imager ces nouveaux sports émergeant nous pouvons citer : le speedriding, une discipline alliant le parapente et le ski ; le wingsuit, véritable combinaison volante qui se pratique souvent en sautant depuis une falaise (basejump). Ces nouvelles pratiques s’affranchissent des règles préétablies tout comme l’ont fait le skate, le bmx ou le hip-hop dans les années 90 puis le parkour dans les années 2000. Ces nouveaux sports d’hier et d’aujourd’hui sont construits sur un même modèle : une pratique fun, extrême et créative. Ce sont ces ensemble de sports que nous appellerons dans la suite les sports alternatifs. A l’inverse des pratiques comme le cyclisme ou le football la performance pure n’est pas le seul objectif. Le style, la créativité et l’originalité sont bien souvent prises en compte lors des compétitions. Alors que pour un athlète courant le 400m l’objectif est d’aller plus vite que les autres, un skieur extrême qui participe à une compétition comme le Swatch Xtreme Verbier devra non seulement aller plus vite que les autres mais il devra le faire avec le plus d’aisance, de technique(s) et de créativité possible. Le sport qui servira de base d’étude dans ce travail fait partie de ces sports pratiqués hors fédération, il s’agit du bmx flatland, souvent abrégé en bmx flat. Il consite à réaliser des enchainements de figures sur la roue avant et/ou la roue arrière sur un terrain le plus plat possible. A l’inverse de la race (course) le flat n’est pas affiliée à la Fédération française de cyclisme. Le bmx flat sollicite : • Un mélange de force et d’adresse • Une excellente coordination • De la créativité • Une résistance aux nombreuses chutes desquelles peuvent découler des blessures plus ou moins graves qui attestent du courage et du dépassement de soi de l’individu. Le rapport à la chute dans le bmx peut être défini de la même manière que le rapport à la chute dans le skate-board par Pascal Ducret : 4 « [..] le skate-board est le sport de glisse urbaine qui intègre paradoxalement la notion de douleur liée à la chute. Les blessures dont partie d’une pratique plus uniquement vouée à la recherche de bonne sensations. La douleur occupe une place à part entière dans le vécu corporel de ces pratiquants « fun » […] contrairement aux skieurs qui considèrent les chutes comme des accidents à proscrire, pour les skateurs la chute est vécue, non comme une étape dans l’apprentissage mais en somme comme nécessaire à la découverte de soi. Il n’y a plus de honte à dire qu’on tombe, qu’on se cabosse. […] La nécessité de la chute est reconnue jusque dans les spots publicitaires des marques de skate où elle ne représente plus aujourd’hui l’erreur transitoire du débutant, mais est associée à l’exploit. « Se payer une gaufre » suppose de « ne pas avoir froid aux yeux (virilité), « ne pas être douillet » (mise à l’épreuve de soi par la mise à l’épreuve du corps).6» Sur les réseaux sociaux ces chutes sont mise en avant par des photos montrant les jambes ensanglantées, la plupart des pratiquants ne se protégeant pas. La notion de prise de risque se retrouve dans la plupart des sports alternatifs, ce qui est paradoxale avec la société actuelle qui tente de les minimiser: prévention routières, lutte contre le tabagisme, etc. Néanmoins il est important de différencier la prise de risque sportive et la prise de risque dans la vie de tous les jours, c’est ce qu’explique Pascal Duret : « Rapprocher hâtivement les conduites ordaliques de jeunes (qui par exemple, ne freinent pas au carrefour pour voir s’ils vont s’en sortir) et celles de parachutistes (qui s’entrainent à retarder le déclenchement de leurs parachutes) conduit à faire un contresens.7» La prise de risques sportive est mise en avant sur internet et le pratiquant est parfois élevé au rang de héros. La marque de caméra embarqué GoPro joue sur ce point et va même jusqu’à l’utiliser comme slogan « Be a HERO » et en nom de produit « HERO ». Les plateformes d’échange de vidéos, Youtube en tête sont le meilleurs endroit pour prendre conscience du phénomène. Les séries de vidéos « People are awesome », littéralement « Les gens sont géniaux/impressionnants » ainsi que des compilations de différentes vidéos trouvées sur le web sont vues des millions de fois. Une simple recherche sur Youtube avec les mots clés «People are awesome» donne 35 900 000 résultats et le cumul du nombre de vues des trois vidéos les plus regardées est de 226 017 752. Toutes ces performances misent en avant à travers les photos et vidéos ne sont que la partie visible de l’iceberg, le côté immergé représente les heures de préparation et de souffrance que subissent ces sportifs pour accéder à l’exploit. 6 7 Pascal DURET. SOCIOLOGIE DU SPORT. 2008 5 Mais pour eux, ce sacrifice, ces douleurs et ces blessures sont un mal nécessaire. « Le sportif de l’extrême ou sim¬plement le sportif en compétition ou à l’entraînement est un homme ou une femme qui accepte la douleur comme matière première de ses performances, il cherche à l’apprivoiser, à la contenir, il sait que s’il ne se « rentre pas dedans » il fera piètre figure.»8. La douleur est vue ici non pas comme une limite mais comme la composante principale de la performance. Patrick Bauche défini le corps comme « « objet d’amour » surinvesti par l’athlète qui vient renforcer ses assises narcissiques. Le corps mis à l’épreuve impose une attitude quasi ascétique et la gloire ravive le sentiment de toute-puissance.9» Pour lui quel que soit le sportif et qu’importe son niveau, il n’a d’autre choix que d’engager son corps pour parvenir à une performance. « […] les mécanismes identificatoires s’opèrent en miroir. Aussi, le sportif devant maintenir son « niveau » pour répondre aux attentes du public, cherchera-t-il autrement dit, à « coller » à l’image qu’il se fait de lui et pour laquelle il est reconnu du public. » Toujours selon lui, la pratique sportive peut induire une véritable agression au corps, le sportif dépassant alors les limites de son propre corps. « Le sportif doit aller jusqu’au bout de son acte, c’est à dire gagner, vaincre, se préparer à assumer une place de premier ou perdre, quelles que soient les conditions de la situation compétitive à laquelle il est confronté. » Bauche soulève le narcissisme du sportif, alimenté par le culte de la performance mais aussi par le culte du corps, narcissisme mis en valeur et exacerbé aujourd’hui par les réseaux sociaux qui le relaient. Ils entrainent le sportif dans un cercle sans fin : il doit adhérer à l’image que le public se fait de lui et améliorer sans cesse cette image véhiculée. Avec la mutualisation des pratiques, la publication des exploits va susciter une recherche de la performance, non plus la performance pour la performance comme traditionnellement mais le dépassement de soi, la prise de risque, la recherche de l’exploit sans oublier l’esthétique, tout ce qui va permettre de diffuser de soi une image valorisante et hors norme. Malheureusement, aller jusqu’au bout de son acte peut avoir des conséquences désastreuse, comme le prouve les cas de mort subite du sportif qui touchent entre 800 et 1000 personnes par an, en France10. 8 Expériences de la douleur - David LE BRETON 9 Clinique psychanalytique de la pratique sportive 10 http://www.lemonde.fr 6 II Réseaux sociaux numériques Nous n’allons pas ici refaire l’historique complet des réseaux sociaux mais il apparait nécessaire de les introduire. Les réseaux sociaux n’ont pas attendu l’arrivé de Web (1990) pour exister, ils étaient là bien avant. Le terme de « réseau sociale » ou de « social network » a été utilisé pour la première fois en 1954 par l’anthropologue britannique John A. Banes pour désigner les relations entre des personnes et/ou des groupes. Le premier réseau social numérique est né en 1997. Il s’agissait de SixDegrees.com qui posait les bases d’un futur Facebook : possibilité de créer des profils, des listes d’amis et dès 1998 de sufer sur cette liste d’amis. Mais ce réseau ne vécut pas longtemps et disparut 3 ans après sa création, soit en 2000. Son créateur dira alors qu’il était trop en avance sur son temps. En 2004 apparait le terme de « Web 2.0 » lors d’une conférence de la société O’Reilly Media, il s’imposera en 2007. Il désigne une nouvelle version du Web tourné vers la création, la collaboration, le partage et l’échange. Les réseaux sociaux numériques tels que l’on connait aujourd’hui sont une pleine illustration de ce web 2.0 sur lequel on ajoute une nouvelle couche, notre identité numérique. Cette identité représente la représentation que l’on fait de soi-même qui peut être plus ou moins proche de la réalité et qui « se joue(nt) toujours au point de rencontre de la construction de soi sous le regard des autres [Mead, 1934] et de la présentation de soi [Goffman, 1959].11» Charle Horton Colley va dans ce sens avec son concept de « looking glass self » qui définit la construction de l’estime de soi comme un processus multidimensionnel dans lequel le regard des autres est une partie intégrante de la perception de soi et de « l’identité ». Ces identités sont des miroirs construites sous le regard et le jugement permanent des autres. Alors qu’auparavant on se livrait dans des journaux intimes, Internet a amené les réseaux sociaux qui, par le biais des blogs et le web 2-0, permettent de s’exprimer au plus grand nombre d’amis possible. Cette exposition de soi nous valorise, elle se fait selon 2 axes (Cardon) : • Un premier qui oppose les traits identitaires les plus intimes : « l’être » et ceux extériorisés dans des activités, des œuvres, des relations : le « faire ». • Le second fait varier la distance entre l’identité numérique projetée et l’identité réelle de la personne et rappelle le processus de simulation de soi facilité par les nouvelles technologies. 11 Pierre MERCKLE. Sociologie des réseaux sociaux. 2011 7 Ces regards sous lesquelles se forme notre identité sur les réseaux sociaux sont notre capital(e) social(e). Il se nourrit de la façon dont nous nous exposons sur internet. Plus nous dévoilons d’informations personnelles, de photos, de publications plus notre capital(e) social augmente. Une enquête menée en 2010 par Casilli, Tubaro montre que : « Le dévoilement d’informations personnelles, l’expression de préférences et de goûts, la stylisation de soi, l’ajout de photographie, articulés avec l’abaissement des options de protection de la vie privée (privacy settings), favorisent le friending et donc l’accroissement de la taille du réseau personnel, mais aussi le renforcement […] des liens.[…] le réseau grandit avec l’exposition de soi, mais en retour les préférences affichées évoluent sous l’influence des interactions qu’elles suscitent avec les amis ». Nous ne sommes pas regardés uniquement par nos « amis » ou « followers », notre capital sociale n’est donc pas fermé à notre propre cercle mais est aussi constitué du capital social de nos relations, donc des amis de nos amis. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Mark Granovetter (1973)12 montre que les liens faibles jouent un rôle de pont et sont favorables à la mobilisation collective. Plus un individu a de contact et plus ces contacts sont isolés les uns des autres plus son pouvoir est grand. Cela s’explique par le fait que les contacts avec lesquels nous sommes faiblement liés évoluent dans des sphères différentes des nôtres ce qui génère un réseau ouvert et non un réseau fermé où les liens seraient redondants. Avec les réseaux sociaux numériques c’est encore plus vrai, la technologie nous permet de nous affranchir des limites géographiques et donc d’étendre plus loin nos liens et nos « influences » possibles. C’est ce qui fait la force de ces réseaux. Les relations sont plus différenciées et ce sont les liens faibles qui sont privilégiés plus que les liens forts favorisant donc l’intégration et la mobilisation dans l’action collective. Dans son enquête « Sociologie des réseaux sociaux » Fisher met en évidence le fait qu’Internet permet de retrouver un sentiment d’appartenance à un collectif. Ces collectifs et communautés qui se créent prennent par exemple la forme de « groupe » ou de « page » sur Facebook. L’ensemble des membres de ces communautés sont autant de liens faibles que l’individu peut solliciter pour participer à une action (challenge sportif, vote pour un concours, diffusion d’une information). Par le biais des réseaux sociaux il est possible pour un individu d’accéder à la reconnaissance de ses pairs, de se forger une identité sociale «se faire un nom» et d’accéder à une communauté. 12 Pierre MERCKLE. Sociologie des réseaux sociaux. 2011. 8 D’autre part, les pratiques mises en commun sans limite sur la planète apportent un enrichissement, la possibilité de s’approprier des techniques de plus en plus pointues et des idées toujours plus folles. L’exposition visuelle des performances sert d’exemple, stimule, incite au surpassement et véhicule l’image d’un sport d’exception. De confidentiels qu’ils étaient, les sports alternatifs se voient divulgués au plus grand nombre et s’ils restent pratiqués par un nombre limité de participants compte tenu de la difficulté qu’ils représentent, ils sont porteurs de valeurs reconnues comme le courage, la ténacité. Ils attirent la curiosité par la virtuosité, la recherche esthétique. C’est la multiplication de ces liens sociaux et des conséquences qui en découlent qui permettent les phénomènes de buzz et de viralité13 tant recherchés par les marques. III Les marques « James Coleman [1990] considérait la sociabilité comme un « bien public », c’est-à-dire au sens économique un bien inaliénable, difficilement échangeable, et qui n’est la propriété d’aucun acteur particulier mais réside tout entier dans la structuration des relations sociales. Mais, de cette définition « macrosociologique », il tirait en réalité des implications « microsociologiques » fondamentales : parce qu’elle est un bien public, la sociabilité constitue une ressource, un « capital social » dont le contrôle est complexe, et suscite donc des stratégies individuelles organisées autour de son utilisation »14. C’est cette ressource que les marques tentent d’exploiter afin de développer leur propre réseau et d’étendre leurs actions au plus grand nombre d’internautes possible. Hobbes disait « Avoir des amis, c’est avoir du pouvoir ». C’est tout aussi vrai pour un internaute lambda que pour les marques pour qui être présent sur les réseaux sociaux numérique est presque indispensable (43% des Français « aiment » au moins une marque sur Facebook). Alors que dans le passé, l’unique levier des marques pour faire la promotion de leurs produits (et de la marque) était la publicité, on voit aujourd’hui arriver en force le sponsoring. Le budget lui étant alloué a augmenté de 10% par an au cours des deux dernières décennies (Pilot Group, 2008)15. Il ne touche pas uniquement le domaine du sport mais il concerne aussi les arts ou autres activités sociales. Son objectif est d’influencer les consommateurs au travers d’un lien ludique (Koo et al. 2006)16. 13 Pierre MERCKLE. Sociologie des réseaux sociaux. 2011. 14 Kevin Mellet, socio-économiste à Orange Labs, explique au figaro.fr que «la viralité se construit par la capacité des individus à se réapproprier un contenu».(« Pourquoi le “Harlem Shake” est un phénomène viral », LeFigaro.fr, 12 mars 2013) 15 16 Michel DESBORDES, André RICHELIEU. Néo-marketing du sport. 2011 9 De grandes marques comme Sosh ou encore Red Bull s’investissent dans le sponsoring de sportifs mais aussi d’événements. Ce nouveau levier, qui permet de transférer l’image positive d’un sportif sur la marque (Gwinner et Eaton, 1999 ; Quester et Farrelly 1998)17 agit de façon beaucoup plus subtile que la publicité directe, notamment en s’adressant à la cible dans des moments où celle-ci n’est pas « préparée » à voir une publicité. Tout ceci est rendu possible grâce à la « société du spectacle » dans laquelle nous vivons. « Aujourd’hui le spectacle, sous la forme du sport, de la musique de variétés, du cinéma, de la publicité, est permanent. L’information elle-même n’est plus qu’une annexe du spectacle. Elle se fabrique et se vend selon les mêmes techniques et le même marketing. […] D’autre part, le spectacle pénètre à l’intérieur des existences, toutes désormais placées sous perfusion (des appareillages high-tech, analogues aux dispositifs hospitaliers de la perfusion, déversent en continu dans le corps et l’esprit de nos contemporains les contenus fabriqués par les industries du divertissement, en particulier les contenus sportifs pour l’achat desquels les médias dépensent des sommes vertigineuses). […] Le sport-spectacle est le paradis de l’univers de la consommation : il est le lieu où les marques (Nike, Adidas, Coca-Cola etc.) paradent, ancrent leur légitimité, réussissent à se faire passer pour naturelles, pour allant de soi. Les marques parviennent à passer pour la respiration de l’existence. Par le biais du sportspectacle, les marques et leurs logos peuvent briser le barrière de l’intime et se mêler pour ainsi dire à la substance de chacun, entrer en chacun et y habiter»18 La relation entre le spectateur-consommateur et la marque est alors modifié, c’est encore plus vrai lorsque les marques sponsorisent ou même organisent des événements. La marque donne alors l’impression de travailler au service du consommateur. Matthias Dandois, champion du monde de bmx flat, sponsoriser par Red Bull le confirme « La marque nous considère comme des athlètes de haut niveau. Elle organise les plus grosses compétitions et fait marcher l’industrie du sport. Qu’une entreprise comme ça s’investisse crédibilise la discipline»19. A travers le sponsoring ce n’est plus un produit ou un service que la marque essai de vendre mais son image. L’exposition d’un sportif de haut niveau exécutant des exploits hors du commun représente un potentiel de vente non négligeable. Pour Hermann et Marwitz (2008) le sport représente des valeurs hédonistes fortes dans notre société : le plaisir, le divertissement, le bien-être, le 17 Michel DESBORDES, André RICHELIEU. Néo-marketing du sport. 2011 18 L’emprise sportive Robert REDEKER. L’emprise sportive. François Bourin Editeur, 2012 19 Extrait de l’article « Red Bull, empire des sensations fortes » de Le Temps culture 10 dépassement et la réalisation de soi20. Dans le cas du sponsoring de sports alternatifs par Red Bull, la valeur principale mise en avant est le dépassement de soi : Red Bull Stratos, Red Bull air race… L’inconvénient du sponsoring est que les spectateurs sportifs ont tendance à se souvenir uniquement des informations courtes et peu compliquées (Kroeber-Riel et Weiber, 2003)21 ce qui oblige le sponsor à se rappeler souvent au spectateur. C’est exactement ce que fait la marque Red Bull à travers ces vidéos. Dans la dernière vidéo du cycliste Danny Macaskill, la marque sans être citée directement apparait 13 fois à l’écran de manière distincte (gros plan) et est présente tout au long de la vidéo car elle est inscrite sur le casque du sportif. L’univers de la vidéo reprend aussi les couleurs de la marque : rouge, bleu, blanc et jaune ainsi que le vélo du sportif, bleu et son teeshirt, rouge. Red Bull qui est arrivé tardivement en France (2008) a très vite su s’imposer comme l’une des références en termes de sports extrêmes. IV Etude de cas Red Bull - GoPro - Youtube Aujourd’hui, il n’est pas possible de faire un travail sur les sports alternatifs et les réseaux sociaux sans parler de ces 3 marques, Red Bull, GoPro, et Youtube. Elles sont devenues l’un des maillons indispensables des sports alternatifs et de leur diffusion et l’ont bien compris. Pour parfaire leur suprématie elles n’hésitent pas à s’allier. Pour comprendre les enjeux et les forces de ces marques il est important de faire un bref rappel de chacune d’elle : 4.1 Test La marque a été la première à commercialiser, il y a plus de 23 ans de la boisson énergisante. Celle-ci a été crée pour « vivifier le corps et l’esprit » dans les périodes d’activités « que ce soit au travail, pendant les études, en jouant à des jeux vidéo, au sport, sur la route, avec des amis à la maison ou en sortie ». 20 21 Michel DESBORDES, André RICHELIEU. Néo-marketing du sport. 2011 11 La marque bien qu’assez ancienne n’est arrivée en France qu’en 2008, elle y était interdite avant cette date pour raison sanitaire, des doutes sur sa nocivité sont encore fortement présents. Aujourd’hui, la boisson est devenue secondaire, le site http://www.redbull. com n’en parle pas, pour trouver des renseignements sur celle-ci il faut se rendre dans un onglet « Produits et société », situé en haut à droite du site. Lorsque l’on clique sur ce menu une nouvelle page internet s’ouvre avec à l’intérieur un site « satellite » comme le prouve l’url : http://www.redbull. fr/cs/Satellite/fr_FR/Red-Bull-Energy-Drink/001242980546129 C’est bien la preuve que Red Bull délaisse la partie boisson pour se concentrer sur le reste. La marque possède pas moins de 320 athlètes sous contrat à travers 45 pays dans plus de 30 disciplines. Elle organise des centaines d’événements par an destinés aux professionnels (Red Bull Cliff diving) mais aussi aux amateurs comme la récente Red Bull caisse à savon. Mais Red Bull c’est aussi Red Bull TV (une chaine de télévision en ligne dédiée aux sports extrêmes), 2 écuries de F1, 1 équipe de moto, Servus TV (chaine de télévision), Red Bulletin (un magazine distribué avec l’Equipe le deuxième mercredi du mois), Red Bull Média House (société de production multi plateforme). L’époque ou Red Bull n’était qu’une simple marque de boisson énergétique semble bien loin. Pour faire sa promotion la marque utilise tous les moyens disponibles : • Publicité TV •Magazine •Sponsoring • Organisation d’événement • Mais joue aussi sur la communauté de fan, la marque obtient 39 295 888 J’aime, sur Facebook. L’une des grandes réussites de la marque est d’arrivé à faire parler de ces événements non plus uniquement sur internet mais aussi à la télévision. Ça a été le cas avec Red Bull Stratos bien entendu mais ça l’est aussi avec un événement beaucoup plus modeste comme Red Bull caisses à savons qui a eu le droit à un passage de 52 minutes sur la chaine de la TNT W9. 12 4.2 GoPro Marque de caméra étanche destinée avant tout aux sports extrêmes. Celleci peut se fixer de différentes manière ce qui la rend ultra polyvalente (sur un casque, autour du poignet, au bout d’un bâton, sur un harnais à la poitrine, etc.). Elle a été pensée en 2002 par Nick Woodman qui voulait « faciliter la capture vidéo des moment extraordinaires d’une vie impossible à filmer habituellement » et est sortie en 2004. Aujourd’hui la marque est leader sur son marché. Les caméras GoPro sont faciles à utiliser, robustes, étanches et fournissent des images de très bonne qualité le tout à un tarif abordable. Il n’en faut pas plus pour séduire le cœur de cible de la marque : Les jeunes friands de sports et en particulier de sports extrêmes. La proximité crée avec son public est telle que ce sont les consommateurs eux mêmes qui vont se faire ambassadeurs de la marque. La marque ne s’en cache d’ailleurs pas et l’affiche ouvertement sur son site Internet dans la rubrique « Vidéo du jour » qui met en avant chaque jour une nouvelle vidéo produite par un internaute. « Nous faisons des publicités télé de nos vidéos préférées GoPro pour démontrer les images de qualité professionnelle que vous pouvez obtenir avec la caméra HD HERO. La plupart de ces publicités ont été tournées par nos clients ...! Envoyez-nous vos meilleures édits GoPro et nous pourrions vous demander de jouer dans l’un de nos spots TV. GoPro, On y arrivera grâce à vous ! » Cela pousse les consommateurs à essayer de faire les plus belles vidéos possibles pour peut-être les voir à l’honneur sur le site GoPro ou mieux dans les publicités TV. GoPro sous traite sa production marketing à ces utilisateurs qui eux payent les caméras. 4.3 Youtube Plateforme d’hébergement et de partage de vidéos lancée en 2005 par trois co-fondateurs ex employés de PayPal. Youtube est rachetée par Google en 2006 pour 1.65 milliard de dollars 19 mois après son lancement. C’est la première fois que Google investit autant d’argent pour prendre le contrôle d’un concurrent. Le modèle économique de Youtube repose essentiellement sur la publicité qui peut être diffusée à un très grand nombre d’utilisateurs. En France, uniquement sur la page d’accueil il y a 2.7 millions de visiteurs 13 uniques par jour et en mai 2013 le site comptait 1 milliard d’utilisateurs22. Tout comme pour GoPro ici c’est l’utilisateur/consommateur qui fait tout le travail en uploadant ces vidéos Un point commun revient pour ces trois marques, c’est l’importance des communautés pour faire vivre et propager la marque. Ces trois géants ont donc tout intérêt à soigner leur image. A l’inverse ce qui peut différencier les marques entre-elles, notamment Red Bull et GoPro c’est l’angle sous lequel elles parlent de leur cible. Alors que dans le cas de Red Bull les événements sont souvent dans la démesure, enrobés de strass et de paillettes pour les seconds on trouve un côté beaucoup plus sobre et plus « humain ». Comme si pour être un vrai « Héros » il fallait avant tout être un Homme. 4.4 La synergie des trois ? GoPro, Red Bull, Youtube, trois marques qui évoluent chacune de leurs côtés mais savent tirer profit les unes des autres et se mettre en avant au moment voulu. De par leurs activités elles sont forcement complémentaires à un moment ou à un autre. Red Bull organise des événements, GoPro permet de les filmer et Youtube de les diffuser. 4.4.1 Youtube/GoPro Sur le site Youtube, dans une partie destinée aux professionnels il est question de la notoriété des marques. Pour illustrer la force de Youtube c’est une étude de cas intitulée « GoPro s’est découvert un public international sur Youtube » qui est utilisée. 22 http://www.webrankinfo.com – Tiré de l’article « Plein de chiffres sur le site de vidéos YouTube.com » mise à jour mai 2013 14 A travers cette vidéo on découvre comment GoPro avec l’aide de Youtube a pu se développer et se faire connaitre au monde entier : « Lorsque les vues ont augmenté, nous avons enregistré une hausse des ventes directes » Lee Top – Directeur of marketing GoPro « Grace à Youtube nous avons réalisé qu’il faut montrer des vidéos pour faire la publicité d’une caméra » Brad Schimdt Manager, Media Group GoPro « Ce sont nos clients qui ont fait connaître notre marque. Ce sont eux qui ont créé cet élan. » « L’équipe Youtube a instauré une collaboration active, et nous considère comme un vrai partenaire. » « Je n’imagine plus le monde sans Youtube. C’est une plate-forme essentielle au succès de GoPro ». Stephen Baumer CTO GoPro Le partenariat entre les deux marques ne se cache pas, il est clairement énoncé par le CTO (directeur de la technologie) de GoPro, Stephen Baumer. 4.4.2 Red Bull/GoPro Même si aucun partenariat à long terme n’est déclaré entre ces deux marques une recherche des termes « GoPro » sur le site de http://www. redbull.com/fr nous rapporte 132 résultats, ce qui traduit si ce n’est un partenariat au moins un échange de bons procédés. Sur les 10 premiers résultats la marque GoPro apparait dans les 9 premiers titres. De la même façon sur la chaine Youtube GoProCamera les événements comme la Red Bull Rampage (descente d’une montagne en vélo) filmés avec les caméras GoPro mettent systématiquement en avant la marque Red Bull en choisissant avec soin l’angle des caméras. Captures d’écran de la vidéo «GoPro : Red Bull Rampage - 2012» disponible sur Youtube 15 4.2 Le cas Red Bull Stratos L’exemple le plus connu ayant mis en scène les trois acteurs cités plus haut et Red Bull Stratos, le saut en parachute depuis la stratosphère (39km) du parachutiste autrichien Felix Baumgartner qui lors de sa chute dépassa pour la première fois le mur du son en chute libre. Ce saut est une énorme opération marketing qui a nécessité pas moins de 5 ans de préparation mais c’est aussi une opération tourné vers la science qui a sollicité pas moins de 100 scientifiques. La Nasa a tenu à féliciter Felix Baumgartner sur Twitter. Le tweet a été retweeté pas loin de 15 000 fois. Red Bull communique uniquement à travers l’événement sans en faire trop, elle se montre discrète et confirme sa volonté de ne pas communiquer sur la boisson mais uniquement sur les événements et les athlètes. «Désolé nous n’accordons jamais d’interview sur la marque, ce sont nos événements et nos athlètes qui en parlent le mieux». Le DG de Red Bull France, Pedro Silva Nunes, va encore plus loin, en expliquant que « le but de l’entreprise n’est plus de vendre de la boisson, mais de découvrir des gens doués et de les aider à s’accomplir»23. Le saut a été l’une des plus grosses, si ce n’est la plus grosse action marketing de tous les temps et a été un véritable succès. Soigneusement orchestré pour attirer un maximum de monde, un premier saut annulé (stratégie ?) et un saut final fixé à une heure permettant à la planète entière de regarder l’événement. Au final c’est huit millions de personnes qui ont regardé en direct le saut de Felix Baumgartner sur Youtube, c’est le premier événement vu par autant de personne simultanément sur un site de vidéos en ligne. Mais l’impact ne se joue pas que dans l’immédiateté, en établissant un record Red Bull se fait une place dans l’histoire. Une nouvelle ère marketing est né ? Quelques chiffres pour illustrer l’opération24: - 41 300 000 pages référencées sur Google search (requête «Red Bull Stratos»), après 8 jours. - 9 caméras HD, 3 caméras cinéma, 3 caméras digitales 3 caméras embarquées, soit 35 caméras au total (partenariat GoPro). - 8 000 reportages télé dans 60 pays, 77 partenaires télé exclusifs dans le monde, dont BFMTV en France. - 1,7 millions de spectateurs sur BFM TV. - 2 000 tweets par secondes avant le saut. Felix Baumgartner avant le saut 23 http://culturesport.net 24 http://www.petitweb.fr 16 - 51 % des tweets et commentaires mentionnent la marque - 8 millions de spectateurs sur Youtube, soit 16 fois le nombre de spectateurs de l’ouverture des JO. - 730 676 likes, 88 000 fans gagnés avec l’opération, 70 % d’engagement. - 20 000 photos sur Instagram avec le hashtag #Redbull Stratos Logo Red Bull Stratos Le tout pour un coût estimé à plus de 50 millions d’euros mais sans qu’aucun espace média ne soit acheté. Pour cet événement emblématique Red Bull c’est allié avec GoPro pour les caméras embarquées et Youtube pour la diffusion live. Cette étude de cas montre la force et l’impact que peuvent avoir ces trois marques lorsqu’elles travaillent en synergie mais l’association se fait aussi sur des événements plus modestes comme par exemple la Red Bull Skylines. Cette compétition internationale de BMX était organisée au Grand Palais, à Paris. Comme pour chaque événement Red Bull un microsite a été créé est un logo spécial a vu le jour. Logo de Red Bull Skylines Ici le fonctionnement était le même que pour Red Bull Stratos : Un événement organisé par Red Bull, diffusé en live via Youtube, faisant appel aux caméras GoPro. Dans les news du microsite http://skylines.redbull.fr/ on trouve en deuxième lien « GoPro x Red Bull Skylines » une vidéo entièrement filmée avec la dernière caméra, la HERO3. Sur le compte Facebook de GoPro une annonce avait été faite mettant en avant le « sponsoring » de la marque aux cameras envers la marque aux boissons. 17 Bien que beaucoup plus modeste que le saut depuis la stratosphère l’événement a accueilli 5600 personnes au Grand Palais et les vidéos de l’événement ont été vues 354 952 fois pour la vidéo entièrement tourné à la GoPro et 682 203 fois pour la vidéo par Red Bull. Dans ces deux vidéos se retrouvent la différence de traitement de l’athlète par les deux marques. Red Bull ne montre quasi-exclusivement que des images de la compétition ou des athlètes sur le lieu de compétition, comme si ils n’existaient qu’en tant de supports d’exploits sportifs. Une marque pour un exploit. GoPro pour sa part nous montre un athlète qui sort de chez lui le matin et fait du vélo avant de se rendre sur la compétition : l’exploit sportif est réalisé par un individu auquel on peut s’identifier. Une marque pour un dépassement de soi. V Analyse d’un événement BMX Worlds de Cologne Nous avons vu précédemment le traitement qui pouvait être fait d’un événement pars les grandes marques du marché des sports extrêmes/ alternatifs mais il est aussi intéressant d’étudier le comportement des sportifs sur les réseaux sociaux numériques lors d’un événement qui leur est destiné. Pour ce faire, intéressons-nous aux « BMX Worlds Cologne 2013 » notamment dans sa partie bmx flat. Cet événement se veut être le championnat du monde de bmx mais rappelons qu’il n’y a aucune fédération donc aucune reconnaissance réelle. On observera ici les publications sur Facebook en trois temps, avant l’événement, pendant mais aussi après. En amont on peut observer plusieurs types de publication : • Savoir qui se rend sur l’événement. Cela permet de s’organiser, voir qui vient comment, bus, train, voiture ? Dans quel hôtel ou camping les autres se rendent ? Combien ça coûte, etc. Plusieurs communautés de riders (sportifs pratiquant le bmx) sont présentes sur les réseaux sociaux. Ces messages sont aussi un moyen de prévoir un lieu de rencontre pour que les contacts virtuel deviennent réels. 18 Dans un contexte de compétition cela permet aussi de jauger le niveau : Untel ne viens pas alors qu’il est meilleur que moi, je gagne potentiellement une place. • Montrer les derniers entrainements avant la compétition via des photos et/ou vidéos Le sportif se rassure, montre ce qu’il sait faire. Si ça ne passe pas le jour J c’est moins grave, il aura montré ce dont il est capable. • Faire un carnet de route jusqu’au lieu de l’événement 19 Pendant l’événement • Les entrainements • Le lifestyle • Des blessures • La compétition • Le résultat des qualifications Les pratiquants de sports alternatifs sont souvent des jeunes et ceux-ci n’hésitent pas à mettre en avant des comportement assez trashs comme des êtats d’alcoolisme ou encore des blessures. Il est certain que ces images peuvent donner une mauvaise impression à la fois du sport mais aussi de l’événement. 20 Après l’événement c’est là que les publications sont les plus nombreuses. • On trouve tout d’abord les résultats • Puis les commentaires des sportifs, sur leurs performances, l’ambiance, etc. Viennent aussi à ce moment là toutes les demandes «d’amis» Et enfin les photos/vidéos que chacun ne manquera pas de « liker », partager et commenter. 21 Viennent aussi à ce moment là toutes les demandes «d’amis» Et enfin les photos/vidéos que chacun ne manquera pas de « liker », partager et commenter. A travers tout ce cheminement de publication le sportif décrit son voyage un peu à la manière d’un voyage initiatique avec différentes étapes pour arriver au lieu de compétition. Il se livre comme dans un journal de bord, un journal intime, exprimant ses joies, ses peines et ses douleurs, on retrouve ici le désire d’extimité abordé précédemment. A travers tout ce cheminement de publication le sportif décrit son voyage un peu à la manière d’un voyage initiatique avec différentes étapes pour arriver au lieu de compétition. Il se livre comme dans un journal de bord, un journal intime, exprimant ses joies, ses peines et ses douleurs. C’est la notion d’extimité développée par Serge Tisseron : « Je propose d’appeler «extimité» le mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime, autant physique que psychique. Ce mouvement est longtemps passé inaperçu bien qu’il soit essentiel à l’être humain. Il consiste dans le désir de communiquer sur son monde intérieur. Mais ce mouvement serait incompréhensible s’il ne s’agissait que «d’exprimer». Si les gens veulent extérioriser certains éléments de leur vie, c’est pour mieux se les approprier en les intériorisant sur un autre mode grâce aux échanges qu’ils suscitent avec leurs proches. L’expression du soi intime - que nous avons désigné sous le nom «d’extimité» - entre ainsi au service de la création d’une intimité plus riche»25. VI Compétitions réelle mais aussi virtuelle Loto, jeux à gratter, jeux concours, dans la vie « réelle » nous sommes entourés de jeux, sur Internet, c’est la même chose. De nombreux jeux existent au sein des communautés, notamment sportives. Citons par exemple les petits concours comme sur le forum de snowboard snow.fr ou chaque mois la meilleure photo est élue par les membres du forum. Il y a aussi globalflat.com, le plus gros forum anglophone (33942 membres) destiné à la communauté du bmx flat. Sur celui-ci on trouve deux types de concours : • « Trick of the Month », chaque mois une figure est donnée et les membres doivent essayer de le faire du mieux possible en publiant une vidéo pour preuve. 25 L’intimité surexposée (éd. Ramsay, août 2001, réédition Hachette, 2003) - TISSERON 22 Rien n’est à gagner si ce n’est la satisfaction d’arriver à remplir l’objectif fixé. • « Online video battle » ; il s’agit de duel à 3 ou 4 riders qui s’affrontent par vidéos interposées. Un jury vote pour le gagnant et celui accède alors au tour suivant, ainsi de suite jusqu’à élire un gagnant. Ici il peut y avoir un gain pour les 3 premiers de chaque catégorie suivant le partenariat qu’arrive à décrocher le forum. Les marques s’investissent aussi dans les concours, c’est le cas pour la marque Sosh qui sponsorise un certain nombre de sportifs et d’événement et qui a lancé cette année pour la 2eme fois consécutive le Sosh Urban Motion. Ce concours est le « premier vidéo contest bmx filmé au smartphone ». Il se déroule par équipe de deux, un filmeur et un rider. Pour la partie amateur, la vidéo réalisée doit être postée sur Dailymotion avec la mention : Nom de l’équipe – SOSH URBAN MOTION – CONTEST AMATEUR, contenir le logo du contest (concours) et utiliser l’une des musique mise à disposition. Ce concours à la différence de ceux cités précédemment est organisé par une grande marque, l’enjeu est donc plus important. Le duo qui gagne en amateur reçoit 2 smartphones ainsi que de l’argent et une wild card (invitation) pour participer au concours professionnel. Pour mobiliser un maximum de monde les gagnants sont élus à la fois par un jury mais aussi par le public qui compte comme une voix. Au total les 35 vidéos amateurs ont été vues 64 296 fois de quoi faire un bon coup de pub pour la marque et de quoi se faire remarquer pour les riders et les filmeurs. Nous finirons avec un dernier concours, organisé celui-ci non pas par une marque mais pas une école, l’INSEEC, une grande école de commerce. Il s’agit de l’INSEEC RIDER MOVIE CHALLENGE (IRMC), un concours de vidéos de sports de glisse. Le but est de faire une vidéo est d’avoir le maximum de votes en mobilisant, amis, famille, réseaux, etc. A gagner, la projection du film dans une salle de cinéma de 200 places, 500 euros cash et de nombreux lots (GoPro, etc.). 23 VII Résultats de l’enquête L’enquête réalisée dans le cadre de ce travail sur l’influence des réseaux sociaux sur les sports alternatifs montre que sur l’ensemble des votants 94% s’intéressent ou pratique au moins un sport alternatif /extrême et que 98% d’entre eux possède un smartphone. Ces individus de la génération ultra connectée le sont aussi lors des événements sur lesquels ils se rendent puisque 96% déclarent avoir déjà publié du contenu, essentiellement photos et vidéos depuis le lieu de l’événement. Le reste du temps ils sont 91% à suivre l’actualité de leurs sports via internet essentiellement à travers des sites et les réseaux sociaux. Pour ces sportifs l’appartenance à une communauté, principalement via les réseaux sociaux et les forums est importante puisque une grande majorité (80%) déclare faire partie d’au moins une communauté. Lorsqu’ils ne peuvent pas se rendre sur les événements les internautes peuvent de plus en plus les suivre via les lives et une grande partie d’entre eux les commentent sur les réseaux sociaux Ces résultats illustrent bien le phénomène qui se déroulent lors d’un événement comme une compétition où de l’avant à l’après les publications ne cessent de tomber. Il est donc très important pour les marques d’être visible au maximum sur le lieu de pratique pour ensuite être répercuter sur les photos/vidéos mais aussi directement sur les réseaux sociaux. Elles peuvent alors exposer leurs publications au sein du flux de celles des communautés. Internet permet la retransmission live de grosses opérations comme Red Bull Stratos, mais on note qu’à plus petite échelle les retransmissions live de compétitions de sports non télévisées sont très appréciées et de plus en plus courantes. Pour la majorité des votants diffuser des vidéos d’eux mêmes ou de leurs amis semble naturel puisqu’ils sont 83% à le faire, essentiellement pour le plaisir. Un quart d’entre eux le fait aussi pour mettre en avant ses sponsors actuels ou pour en toucher de nouveaux. C’est un moyen de pratiquer son sport à moindre frais par le biais de récompenses pécuniaires ou en nature. Quoi qu’il en soit la totalité pensent que le fait pour un rider d’être présent sur le web via des photos et/ou des vidéos joue sur son image pour 78% et que cette image peut influencer les résultats lors des compétitions. L’identité que l’internaute se crée en ligne n’est donc pas anodine. Ils sont très peu à avoir déjà participé à un concours photos/vidéo, ce qui appuie le côté fun du partage de vidéos les présentant dans leur pratique. 24 Pour conclure les votants sont majoritairement en faveur de la présence de leurs sports sur les réseaux sociaux mais certains sont plus réticents et 8% estiment que les réseaux sociaux ont une influence négative. Ces 8% peuvent s’expliquer par les mauvaises images que certain peuvent propager à travers ces réseaux qui potentiellement peuvent toucher des milliers, voire des millions de gens. VIII Conclusion Les sportifs sont issus d’une génération pour laquelle le partage de photos et de vidéos sur Facebook est presque une évidence, même lors d’une situation de mobilité comme une compétition. Cette évidence est encore accentuée par les technologies modernes permettant très simplement de tourner une vidéo et de la diffuser au plus grand nombre dans la minute suivante. On ne peut pas nier que toutes ces technologies influencent notre vie, la façon dont nous pratiquons nos loisirs et nos sports. Le monde des sports alternatifs n’échappe pas à la règle et toutes ces publications ont une influence sur les pratiquants. Comme nous l’avons vu au long de cet écrit, les réseaux sociaux représentent un moyen de transmission important pour les sports alternatifs. Les pratiquants s’y retrouvent sous forme de communautés pour échanger des informations, des photos et des vidéos. De ce fait ils développent et améliorent leurs performances par émulation. Les réseaux sociaux et les nouvelles technologies ont permis la création d’un courant d’informations et une mutualisation des pratiques qui jusqu’alors s’avéraient marginales et pratiquement confidentielles, isolant leurs participants. Aujourd’hui les sports alternatifs sont exposés au plus grand nombre. Ils sont devenus de ce fait un outil de marketing des marques. Les sportifs qui pratiquent ces activités ne sont pas aussi chers en terme de rémunération que les sportifs de haut niveau de sports plus classiques, tout en véhiculant des images positives de force, de courage, de convivialité, de vie saine. On pourrait alors craindre que le sportif sponsorisé n’agisse que pour asseoir sa notoriété et sa supériorité et de ce fait s’attirer les bienfaits des sponsors. Ceci entrainerait le sport sur un terrain malsain où la recherche de performance ne serait qu’à but lucratif où le sportif perdrait toute son autonomie. 25 D’autre part l’influence de l’image, l’exposition de l’exploit et par là le surdimensionnement de l’égo a pour risque d’engendrer une recherche de pratique où l’on recule sans cesse les limites de l’impossible au péril de sa vie. Quoi qu’il en soit, même si elle est diffusée sur le web le vrai lieu de performance de tous ces sports reste le lieu de pratique réel, la compétition virtuelle n’a pas encore prit le dessus. Et comme on l’a vu précédemment les réseaux sociaux ont pour conséquence de favoriser les rencontres réelles et la convivialité. A la question : les réseaux sociaux numériques alliés aux nouvelles technologies ne créent-ils pas un déplacement de la performance chez le sportif « alternatif » ? Nous pouvons donc répondre non. A la question : Sont-ils le vecteur d’une nouvelle forme de compétitions qui se déroule dorénavant sur le web plus que le véritable terrain de performance ? A proprement parler la réponse est non mais l’influence réelle créée par l’identité virtuelle risque à terme de créer une compétition de celui qui engrangera le plus de notoriété et donc réussira le mieux en compétition. 26 Bibliographie SOCIOLOGIE DU SPORT Pascal DURET. SOCIOLOGIE DU SPORT. Presses universitaires de France, 2008. (Que sais-je ?). Sociologie des réseaux sociaux Pierre MERCKLE. Sociologie des réseaux sociaux. Editions la Découverte, 2004. (REPERES). Néo-marketing du sport REGARDS CROISES ENTRE EUROPE ET AMERIQUE DU NORD Michel DESBORDES, André RICHELIEU. Néo-marketing du sport REGARDS CROISES ENTRE EUROPE ET AMERIQUE DU NORD. Groupe De Boeck, 2011. INTERNET MARKETING Mobile et réseaux sociaux On ne pense qu’à ça ! Guillaume BER, Julia JOUFFROY,INTERNET MARKETING Mobile et réseaux sociaux On ne pense qu’à ça !. Elenbi Editeur, Paris, 2012. L’emprise sportive Robert REDEKER. L’emprise sportive. François Bourin Editeur, 2012 Thèse de M. Eric Biard sur le thème : Facteurs de diffusion des pratiques sportives hors cadre et stratégie des acteurs : étude de cas comparatives dans la délocalisation des sports de nature aux milieux urbains. 27 Annexes Résultats de l’enquête