New Age, Néo-paganisme, Wicca : Visions du genre et perspectives
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New Age, Néo-paganisme, Wicca : Visions du genre et perspectives
INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE TOULOUSE - 2013 Mémoire de recherche présentée par : Mlle Delphine ROTH Directeur du mémoire : M. Philippe MARY New Age, Néo-paganisme, Wicca : Visions du genre et perspectives des femmes au sein de ces Nouveaux Mouvements Religieux INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE TOULOUSE Mémoire de recherche présentée par Mlle Delphine ROTH Directeur du mémoire : M. Philippe MARY 2013 New Age, Néo-paganisme, Wicca : Vision du genre et perspectives des femmes au sein des Nouveaux Mouvements Religieux Remerciements : A tous mes correcteurs pour leur aide et conseils précieux, en particulier Aurélien Andrieu, Lisa Roth, et Florian Nivet. Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e). SOMMAIRE INTRODUCTION _____________________________________________________________ 1 SECTION 1 : PRESENTATION DU NEW AGE __________________________________ 13 I) GLASTONBURY, PREMIER CONTACT AVEC LE NEW AGE ___________________________ 13 II) TENTATIVE DE DEFINITIONS ________________________________________________ 14 III) LA VISION DU GENRE AU SEIN DU NEW AGE __________________________________ 16 SECTION 2 : THEORISATION DU LIEN ENTRE GENRE ET RELIGION __________ 17 SECTION 3 : UN ORDRE PATRIARCAL IGNORE : LE REFUS DES CONFLITS DE GENRE AU SEIN DU NEW AGE_______________________________________________ 21 L’ENGAGEMENT DANS LE NEW AGE: UNE RECHERCHE D’IDENTITE FACE A L’AMBIGUÏTE DES ROLES DE GENRE DANS LA SOCIETE MODERNE ______________________________________ 21 II) LE NEW AGE COMME LIEU D’EXPERIMENTATION LORS DU PASSAGE DE L’ADOLESCENCE A LA VIE D’ADULTE _______________________________________________________________ 26 III) LE NEW AGE, UNE AUTONOMISATION DES FEMMES CONFINEE AU SEIN DES ROLES DE GENRE 31 IV) LE NEW AGE, UNE RELIGION DE QUETE ______________________________________ 33 I) SECTION 3 : LE MOUVEMENT DE LA DEESSE : UNE REVOLUTION DE L’ORDRE PATRIARCAL ______________________________________________________________ 36 I) THEOLOGIES DU NEO-PAGANISME ET DE LA WICCA ______________________________ 36 II) LE MOUVEMENT DE LA DEESSE : UNE PRATIQUE RELIGIEUSE PERMETTANT LA VALORISATION DE L’IDENTITE FEMININE _______________________________________________________ 39 III) LA SPIRITUALITE FEMININE, UN APPORT DE BENEFICES COLLECTIFS CONTINUS A LA COMMUNAUTE DE SŒURS ______________________________________________________ 44 IV) LA WICCA, UNE RELIGION CONTRE-CULTURELLE ______________________________ 52 SECTION 4 : QUEL ACTIVISME POLITIQUE AU SEIN DU NEW AGE ? __________ 54 I) LES NMR, SOURCES D’ENGAGEMENT POLITIQUE ? _______________________________ 54 II) LA WICCA, UNE LOGIQUE DE DELEGITIMATION DU SYSTEME CAPITALISTE ET PATRIARCAL POSTMODERNE ______________________________________________________________ 58 III) LA SPIRITUALITE FEMININE : UN ACTIVISME POLITIQUE AVERE, MAIS LOCALISE ET DE COURT TERME _______________________________________________________________ 64 CONCLUSION ______________________________________________________________ 68 ANNEXES __________________________________________________________________ 72 BIBLIOGRAPHIE ___________________________________________________________ 76 1 INTRODUCTION - « Religion catholique, de moins en moins de fidèles » titre le journal La Dépêche en 20091. - « Déchristianisation. Dans 20 ou 30 ans, les Français "sans religion" seront majoritaires » titre le Télégramme en 20132. Autant d’articles qui reflètent les inquiétudes des pratiquants du christianisme en France et que traduisent les statistiques et les sondages d’opinions de façon très concrète : l’évolution de la proportion de français se disant catholique est passée de 89% en 1986 à 56% en 20123. Les statistiques de l’Eglise catholique en France indiquent une diminution du nombre de sacrements pratiqués tels que le baptême, la confirmation ou encore le mariage, mais également une baisse du nombre de prêtres4. Ce phénomène de diminution de la pratique religieuse concernant les religions traditionnelles chrétiennes en Europe a été observé dans plusieurs pays depuis le siècle dernier et a fait l’objet d’études sociologiques. Max Weber5 a annoncé dans l’une de ses célèbres théories le désenchantement du monde avec l’arrivée du capitalisme moderne qui a pu émerger grâce aux progrès techniques et à la rationalisation de la société. Gregory Baum6 explique que Weber entendait par rationalisation « l'application de la raison technologique aux processus de la vie 1 http://www.ladepeche.fr/article/2009/04/13/591401-religion-catholique-de-moins-en-moins-de-fideles.html 2 http://www.letelegramme.fr/ig/generales/france-monde/france/france-dans-20-ou-30-ans-les-sans-religion-serontmajoritaires-29-03-2013-2052297.php 3 http://www.letelegramme.fr/ig/generales/france-monde/france/france-dans-20-ou-30-ans-les-sans-religion-serontmajoritaires-29-03-2013-2052297.php 4 Voir les statistiques de l'Eglise catholique en France (guide 2013) (http://www.eglise.catholique.fr/ressourcesannuaires/guide-de-l-eglise/statistiques-de-l-eglise/statistiques-de-l-eglise-catholique-en-france-guide-2011.html) 5 Sociologue et économiste allemand (1864-1920), considéré comme l’un des pères fondateurs de la sociologie moderne. Principaux ouvrages : Le Savant et le politique ; L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme ; Économie et Société 6 Gregory Baum, « L’avenir de la religion : entre Durkheim et Weber », Nouvelles pratiques sociales, Volume 9, numéro 1, printemps 1996, p. 111 (http://id.erudit.org/iderudit/301351ar) 2 personnelle et sociale ». Weber estime que science et magie sont parentes, car toutes deux permettent la rationalisation de phénomènes inexpliqués. Cette tendance à la rationalisation renie la magie au profit de la science. Elle demande à la science et à la technique d’apporter des réponses à toutes les questions du monde et délaisse celles qui ne peuvent être résolues. Ainsi, la religion serait incapable de résister à la modernité. Ce désenchantement du monde est lié au concept de sécularisation. Selon Jean Baubérot7, la sécularisation peut se définir comme « la perte de l’importance sociale de la religion dans des sociétés modernes, sociétés qui fonctionnent selon des critères de rationalité instrumentale liée aux sciences et aux techniques »8. La société va peu à peu se développer et se moderniser en dehors de la sphère religieuse ; elle va s’autonomiser de celle-ci en commençant par le développement de l’esprit du capitalisme tel que le conçoit Weber. Emile Durkheim9 rejoint la pensée de Weber en expliquant que la puissance de la religion diminue au fur et à mesure que l’on parvient à expliquer ses fondements sociaux. La construction de l’Etat de droit va aussi peu à peu se dissocier de la religion avec la séparation de l’Eglise et de l’Etat en France en 1905 et un processus de laïcisation de l’Etat enclenché dans de nombreux pays. Pour Weber, la prédominance d’un droit stéréotypé par la religion est l’un des obstacles les plus puissants que rencontre la rationalisation d’un ordre juridique ou d’une économie. Pourtant, la religion est loin d’être en recul dans le monde. Les différentes statistiques qu’a produites le Center for the Study of Global Christianity10 montrent bien que le nombre de chrétiens est même en hausse dans le monde, et légèrement en hausse sur le continent européen11. 7 Historien et sociologue, Président d’honneur de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, titulaire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité ». Principaux ouvrages : Laïcité 1905-2005, entre passion et raison ; La laïcité falsifiée ; La laïcité expliquée à M. Sarkozy... : Et à ceux qui écrivent ses discours 8 « Sécularisation et Laïcisation », Conférences tokyo.ac.jp/publications/pdf/UTCPBooklet7_011-025_.pdf) de Jean Baubérot p.1 (http://utcp.c.u- 9 Sociologue (1858-1917), considéré comme l’un des pères fondateurs de la sociologie moderne. Principaux ouvrages : Les Règles de la méthode sociologique ; Le Suicide ; Les Formes élémentaires de la vie religieuse 10 Affilié à la faculté américaine Gordon-Conwell Theological Seminary, le Center for the Study of Global Christianity (CSGC) collecte et analyse les données sur le nombre de croyants et pratiquants des Eglises chrétiennes dans le monde. 11 Tous les chiffres sont issus du rapport « Christianity in its Global Context, 1970–2020 - Society, Religion, and Mission », juin 2013, p.40 (http://wwwgordonconwell.com/netcommunity/CSGCResources/ChristianityinitsGlobalContext.pdf) 3 Il est cependant en baisse au niveau des pays de l’Europe de l’Ouest 12: l’affiliation aux religions chrétiennes s’élève à 88,7% de la population totale en 1970 mais est de 69,1% en 2010. Les autres grandes religions traditionnelles, bien que significativement moins importante en proportion de population, gagnent du terrain tel que l’Islam (représentant 1,2% de la population en 1970 et dont on prévoit une affiliation de 6,7% en 2020). Il faut tout de même souligner que le nombre d’agnostiques et d’athées a aussi significativement augmenté mais qu’il reste bien moins important que le nombre de l’ensemble des croyants à une religion (environ 25% de la population de l’Europe de l’Ouest). Ainsi, les personnes qui se considèrent comme croyantes ne sont pas forcément pratiquantes. Ces statistiques nous montrent bien que Max Weber ainsi que les sociologues qui l’ont suivi sur cette théorie, tel que Marcel Gauchet13, se sont trompés. Peter L. Berger14 parle même de « réenchantement du monde »15. Le monde connait un renouveau du religieux, provenant tant des religions traditionnelles que des « nouveaux mouvements religieux » (NMR). Avec ce constat, Jean-François Dortier16 reprend dans son article « Le retour du religieux, un phénomène mondial » publié dans le magazine Sciences Humaines, les nouvelles définitions de la sécularisation17 : 12 Selon la conception du Centre, l’Europe de l’Ouest comprend les pays suivants : Autriche, Belgique, France, Allemagne, Lichtenstein, Luxembourg, Monaco, Pays-Bas et Suisse 13 Philosophe et historien, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris et au Centre de recherches politiques Raymond-Aron, rédacteur en chef de la revue Le Débat. Principaux ouvrages : Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion ; La Démocratie contre elle-même ; Un monde désenchanté ? 14 Sociologue et théologien, professeur à l’Université de Boston où il dirige l’Institute on Culture, Religion and World Affairs (CURA), et professeur de sociologie et de théologie au College of Arts and Science and Scholl of Theology. Principaux ouvrages : The Sacred Canopy. Elements of a Sociological Theory of Religion ; Modernity, Pluralism and the Crisis of Meaning, avec Thomas Luckmann ; The Desecularization of the World: Resurgent Religion and World Politics 15 P.L. Berger (dir.), Le Réenchantement du monde, Bayard, 2001, 184 p. 16 Sociologue, fondateur et directeur de publication du magazine Sciences Humaines 17 Voir encadré « Les théories de la sécularisation » - Article issu du Mensuel N° 160 « Dieu ressuscité. Les religions face à la modernité » Sciences Humaines - Mai 2005 (http://www.scienceshumaines.com/le-retour-du-religieux-unphenomene-mondial_fr_4912.html) 4 - José Casanova, qui explique dans son ouvrage Public Religions in the Modern World que le concept de sécularisation cache trois tendances parfois disjointes : 1) la séparation entre les sphères du religieux et du séculier ; 2) le déclin des pratiques et croyances religieuses ; 3) la relégation de la religion dans la sphère privée - Steve Bruce, dans son ouvrage Religion in the Modern World : From cathedrals to cults, qui affirme que la sécularisation concerne le déclin de l'emprise institutionnelle des Eglises, mais pas forcément des croyances personnelles. La religion devient de plus en plus un choix personnel qui rentre dans le domaine du privé. Massimo Introvigne18 a également écrit un article très intéressant destiné à une conférence sur le futur des religions. Selon Massimo Introvigne, on peut distinguer depuis les années 1970, parmi les théories des spécialistes de la question, trois grandes prédictions sur l’évolution de la religion19. La première, établie par les sociologues américains, serait que la sécularisation concernerait uniquement une demi-douzaine de pays européens dont la France et l’Allemagne. Ainsi l’erreur serait propre à la sociologie européenne qui avait généralisé une tendance géographiquement limitée. Pour d’autres spécialistes, la théorie de la sécularisation ne serait que partiellement erronée : seule les théories quantitatives de la sécularisation seraient fausses, et non les qualitatives. Malgré l’importante couverture médiatique dont bénéficie la religion, et le nombre grandissant de personnes dans le monde se définissant comme « religieuses », la religion a perdu de son influence et de sa pertinence sur les prises de décisions morales et politiques. Ainsi le renversement religieux des années 1990 a échoué à inverser de façon significative la tendance au déclin de l’emprise du religieux sur la vie du croyant. Cependant, le religieux prend des formes très diverses qui séduisent de plus en plus d’individus percevant des limites à l’explication scientifique de toutes choses. Une autre prédiction justifie également que la théorie de la sécularisation ne serait pas entièrement fausse : bien que le nombre de personnes se définissant comme « religieuses » 18 Sociologue et historien italien, directeur-manager du Centre pour l’Etude des Nouvelles Religions (CESNUR). Principaux ouvrages en français : Le New Age des origines à nos jours : Courants, mouvements, personnalités, Dervy, 2005 ; La Magie à nos portes, Fides 1982; Pour en finir avec les sectes : Le débat sur le rapport de la commission parlementaire avec J. Gordon Melton, Dervy, Édition, 3e éd. 1996 19 Massimo Introvigne, « The Future of Religion and the Future of New Religions », article écrit à l’occasion du séminaire Engelberg sur "The Future of Religion" (http://www.cesnur.org/2001/mi_june03.htm) 5 augmente presque partout dans le monde, le nombre de personnes qui assistent à un service religieux sur une base hebdomadaire en Europe a chuté drastiquement. La croissance de la religiosité ne signifie pas forcément l’accroissement de la religion. Cette théorie se limiterait cependant aux pays européens ainsi qu’à quelques autres pays non-européens tels que le Japon et le Canada. Enfin, la troisième prédiction qui a émergé vers la fin des années 1970 supposerait qu’avec le déclin des églises, les pays seraient prêts à assister à une explosion de cultes et de sectes. Cette hypothèse est juste du point de vue du nombre de nouveaux mouvements religieux (NMR) qui se sont créés ces dernières décennies. Ils se chiffrent à plusieurs centaines en Europe, Amérique du Nord et latine, Asie pacifique, et bien plus en Afrique. Cependant, le nombre d’adeptes de ces NMR ne représenterait pas plus de 2% de la population dans la plupart des pays du monde (à l’exception des pays d’Afrique et du Japon). Ainsi, bien que le nombre de NMR soit en augmentation, rien ne montre que le nombre d’adeptes augmente également. Bien que Weber se soit partiellement trompé sur le désenchantement du monde, il reste l’un des pères fondateurs de la sociologie de la religion et certaines de ses analyses peuvent encore s’appliquer à la situation actuelle. Dans son ouvrage Sociologie des religions20, il essaye d’identifier ce que j’appellerais le cycle d’une religion. La religion se crée au départ par une prophétie. Cette prophétie va convaincre et attirer un certain nombre d’adeptes qui forment un cercle permettant une socialisation devenant de plus en plus quotidienne. Le caractère sacré de la nouvelle prophétie va s’opposer aux pratiques des techniciens du culte quotidien. La religion, d’abord minoritaire, va devenir communautaire quand les laïcs se seront « sociétisés » dans une action communautaire durable dont ils influencent le cours. Les prêtres doivent prendre en compte les besoins des laïcs pour maintenir leur pouvoir face à l’attraction des autres religions et éviter la sclérose. La doctrine va se systématiser en accord avec les pratiques des laïcs, les us et coutumes de l’époque, de la société. Weber affirmait que les institutions religieuses ne peuvent se réformer d’elles-mêmes car elles se « routinisent ». Le renouveau est apporté par des prophètes extérieurs, des outsiders à la religion traditionnelle. L’apparition d’une nouvelle religion, ou d’une structure fondamentalement neuve permet d’assurer la survie de l’institution et lui évite de 20 Max Weber, Sociologie de la religion, traduction, préface, notes et index des concepts par Isabelle Kalinowski, Flammarion, Collection « Champs », 2006, 497 p. 6 se scléroser. Ces institutions se perpétuent à travers leurs réactions aux mouvements de contestation externes. Nous pourrions ainsi appliquer cette théorie au renouveau religieux qui s’est produit ces dernières décennies. Les religions traditionnelles ont été fragilisées par la modernité. Face à l’augmentation du nombre de laïcs et d’agnostiques, elles ont donc eu besoin de s’adapter à celleci. En effet, selon Jean- Laurent Testot et François Dortier21, on retrouve deux grandes nouvelles tendances. La tendance « hard » caractérise les personnes souhaitant approfondir leur quête de transcendance et se dirigeant vers des communautés structurées avec à leur tête des leaders charismatiques qui proposent à leurs adeptes des vérités « clés en main ». C’est l’exemple même du retour des communautés religieuses fondamentalistes. S’oppose à celles-ci une tendance plus « soft », d’un religieux qui va se pratiquer « à la carte » dans un bricolage de croyances diverses et plus éphémères. Le monde se retrouve face à un phénomène de « globalisation du religieux », corolaire de la globalisation de l’économie. Dortier affirme que « pour une majorité de gens, les vérités absolues revendiquées par les Eglises s'effacent déjà au profit d'un relativisme du croire » et donne l’exemple d’un NMR en particulier, le New Age, qui préfigurerait l’homme moderne. Le New Age place en effet l’expérience personnelle et le développement personnel au centre de sa pratique qui repose sur le postulat d’une relativité des croyances ayant toutes la même valeur. Nous reviendrons plus intensément sur ce phénomène du New Age qui sera au cœur de cette étude. Pour terminer cette première partie d’introduction, il serait intéressant de reprendre l’analyse de Françoise Champion22 établie dans son article « La religion n’est plus ce qu’elle était ». Elle explique qu’un roc de croyances a résisté à la sape de la modernité et explique encore aujourd’hui l’adhésion à la religion. Ces « éclats de religions » sont au nombre de quatre : 21 « Le retour du religieux, un phénomène mondial » - Article issu du Mensuel N° 160 « Dieu ressuscité. Les religions face à la modernité » Sciences Humaines - Mai 2005 (http://www.scienceshumaines.com/le-retour-dureligieux-un-phenomene-mondial_fr_4912.html ) 22 Sociologue française, chargée de recherches au CNRS, Groupe de sociologie des religions et de la laïcité, présidente de l'Association Française de Sciences Sociales des Religions (A.F.S.R). Principaux ouvrages : Sortie des religions / retour du religieux, Lille, l’Astragale, 209 p. ; De l’émotion en religion. Renouveaux et traditions (avec D. Hervieu-Léger), Paris, Le Centurion, 1990, 254 p. ; Les laïcités européennes au miroir du cas britannique, XVIèXXIè siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 192 p. (Sciences des religions). 7 - L’existence de l’invisible, d’êtres, forces dépassant l’ordinaire de l’homme, le transcendant - Le fait que l’humain pourrait agir grâce à d’autres moyens que ceux de la rationalité ordinaire - L’existence d’un lien collectif reliant les humains, produit autrement que par les raisons ordinaires - Le besoin d’un sens au malheur et à la finitude humaine23 Les NMR sont sources de nombreuses interrogations et s’entourent d’un certain mystère. Il est possible de les étudier de différentes façons. Beaucoup d’auteurs les abordent sous l’angle du fondamentalisme, du terrorisme, de la régulation. Ces thèmes traduisent les craintes d’une population face à des phénomènes encore méconnus. Dans ce mémoire, nous allons engager une perspective d’étude davantage sociologique et culturelle : nous nous intéresserons à la question de l’identité de genre au sein de ces NMR. Simone de Beauvoir nous disait : « On ne nait pas femme, on le devient »24. Selon Eric Neveu25 et Christine Guionnet26, le genre est une variable indispensable à la compréhension de tous les domaines de la vie sociale. Ils expliquent dans leur ouvrage Féminins/Masculins : 23 Françoise Champion, « La religion n'est plus ce qu'elle était », Revue du MAUSS, 2003/2 no 22, p. 178 24 Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe 1, Gallimard 1949, p. 285 et 286 25 Sociologue spécialisé en cultural studies et en journalisme, professeur à l’IEP de Rennes. Principaux ouvrages : L'idéologie dans le roman d'espionnage, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1985; Sociologie des mouvements sociaux, La Découverte (Repères), Paris, 1996 ; Boys Don’t cry ! Les coûts de la masculinité (Direction, avec Delphine Dulong et Christine Guionnet), Presses Universitaires de Rennes, Coll. Le sens social, 2012, 284 p 26 Sociologue spécialisée en mobilisation, citoyenneté et vie politique, maître de conférences à la faculté de droit et science politique de Rennes. Principaux ouvrages : Co-rédactrice de l’ouvrage Achin C. et alii, Sexes, genre et politique, Paris, Economica, 2007, 184 p.; L’apprentissage de la politique moderne. Les élections municipales sous la monarchie de Juillet, Paris, L’Harmattan, 1997, 324 p. 8 Sociologie du genre27 que les catégories de genre sont des variables permettant d’analyser les phénomènes sociaux, « des composantes de la panoplie identitaire des agents sociaux ». Elles permettent aussi de comprendre « ce avec quoi nous pensons et classons le monde social ». Il est ainsi nécessaire de prendre en compte le genre pour travailler sur la sociologie de la religion. La religion fait parti du processus de socialisation et d’intégration des normes de genre. Elle participe donc à la construction de l’identité. Béatrice de Gasquet28, dans son article « Genre » publié au sein du Dictionnaire critique des faits religieux, affirme que les études féministes sur la religion sont relativement tardives et encore incomplètes. Les sciences humaines voient le développement des women’s studies dans les années 1970 puis des gender studies, qui étudient les rapports réciproques entre les deux sexes. Ces études en plein essor adoptent une approche plus culturaliste, symbolique, à l’opposition d’une approche matérialiste du genre qui considérait que les rapports de pouvoirs n’étaient produits que par la division sexuelle du travail (la religion n’ayant qu’un rôle idéologique sans réelle influence). Le genre est de plus en plus étudié par le prisme de l’anthropologie et des cultural studies. De Gasquet reprend Michel Foucault29 pour qui « la religion [est] perçue comme un ordre de réalité relativement spécifique au sein du système culturel (cosmologie et rituels), contribuant de façon centrale à la production du genre. »30 Pierre Bourdieu31 partage cette approche plus culturaliste et symbolique dans son ouvrage La Domination Masculine32. Pour lui, le genre se définit comme un ensemble complexe et 27 Eric Neveu et Christine Guionnet, Féminins/Masculins. Sociologie du genre, Armand Colin, Collection U, Paris, 2004, Seconde édition 2009, 430 p. 28 Sociologue spécialisée en sociologie du genre, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université Paris Diderot. Principales publications : « La barrière et le plafond de vitrail. Analyser les carrières féminines dans les organisations religieuses », Sociologie du travail, Elsevier ; « Savantes, militantes, pratiquantes. Panorama des féminismes juifs américains depuis les années 1970 », in Lipsyc Sonia Sarah, Elkouby Janine (dir.), 2007, Pardès, In-Press 29 Philosophe français (1926-1984), professeur et titulaire de la chaire Histoire des systèmes de pensée au Collège de France entre 1970 et 1984. Principaux ouvrages : L’Archéologie du Savoir ; Surveiller et Punir ; Une Histoire de la Sexualité 30 Béatrice de Gasquet (2010) « Genre », In : Régine AZRIA, Danièle HERVIEU-LEGER (dir.), Dictionnaire critique des faits religieux, Paris, Presses Universitaires de France, p.2 31 Sociologue français (1930-2002), directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales puis professeur au Collège de France en 1981, fondateur de la revue Actes de la recherche en sciences sociales. Principaux ouvrages : Les Héritiers ; La Reproduction ; Homo Academicus 32 Pierre Bourdieu, La Domination Masculine, Seuil; Édition : Éd. augm. d'une préface (5 sept. 2002), 176 p. 9 intriqué de rapports de domination historiquement construits. Le travail de reproduction des genres est assuré par trois institutions : la famille, l’Eglise et l’école agissent sur les structures inconscientes. L’Eglise produit une vision antiféministe et condamne tous les manquements à la décence. Elle inculque au croyant une morale familialiste dominée par les valeurs patriarcales et agit sur les structures de l’inconscient avec la symbolique des textes sacrés afin de justifier les différences de genre et notamment la supériorité du sexe masculin sur le sexe féminin. Emile Durkheim institue la division entre sacré et profane comme le mécanisme fondateur du fait religieux. De Gasquet réutilise cette division fondamentale à la lumière des théories du genre : on trouve une division sociale entre l’homme (sacré, à l’image de Dieu), et la femme (profane, à la sexualité impure, qui représente un danger rituel). En d’autres termes, on peut parler d’une opposition entre la religion noble masculine, et la magie féminine, moins légitime. Les institutions religieuses sont un lieu d’apprentissage d’un entre soi masculin ou féminin. Les rituels permettent l’incorporation des normes de genre. Voici quelques exemples pour continuer de travailler sur la symbolique: la circoncision fabrique un juif et un homme de façon positive. Au contraire, la symbolique du sang perdu par la femme, qui est incapable de le garder, justifie l’appropriation de l’enfantement des fils aux hommes. Souvent, la pleine appartenance au groupe religieux est définie au masculin, l’appartenance féminine n’étant que définie par la procréation. Malgré ces symboliques, malgré les inégalités que fabrique la socialisation religieuse, les femmes sont encore nombreuses à s’investir dans les religions patriarcales. La prêtrise concerne uniquement les hommes pour la plupart des grandes religions, mais les activités invisibles du travail religieux, telles que le bénévolat, sont assurées en majorité par des femmes. Cependant, l’espace religieux traditionnel peut fournir des marges de résistance à la domination masculine, même pour les religions patriarcales. De Gasquet affirme que la vocation religieuse, surtout par le passé, pouvait être un vecteur d’émancipation féminine. En effet, elle permet d’échapper au monde rural, au mariage, à la maternité, à la pauvreté, et parfois d’acquérir une autorité religieuse et politique. Les organisations religieuses majoritairement féminines restent relativement autonomes : par ce biais, la religion donne aux femmes un accès à un réseau de solidarité, des ressources matérielles, voire un statut social qui peut constituer une protection contre la domination masculine. En plus de proposer une entraide, cette organisation donne la possibilité à une contre-culture féminine religieuse de se développer. De Gasquet donne 10 également l’exemple des traditions mystiques féminines dans l’islam maghrébin : le statut de sainte est accordé à certaines femmes (sans hommes), les pèlerinages transgressent les limitations de déplacement des femmes. Lors de la pratique encore assez répandue des cultes de possession et du chamanisme, de nombreuses femmes sont détentrices de l’autorité. La pratique de la transe inverse les normes de genre (exemple du travestissement). Dans ces cas, les femmes accèdent à une prise de conscience libératrice, des ressources cognitives thérapeutiques et symboliques grâce à la religion. Ces enclaves d’autonomie au sein des religions patriarcales peuvent être l’une des raisons de l’engagement des femmes dans ces religions traditionnelles. Selon Grace Davie33 et Tony Walter34 dans leur article « The religiosity of women in the West »35, les femmes seraient plus pratiquantes que les hommes. Ils engagent en cela plusieurs hypothèses. La première serait que la proximité de la mort et de la maladie est en général réservée aux femmes dans les sociétés occidentales, ce qui expliquerait leur plus grande religiosité. Une seconde explication résiderait dans la socialisation spécifique des femmes : les femmes ont tendance à privilégier le privé, l’intime, la relation aux autres, ce qui favoriserait leur plus grande religiosité. Cependant, ces raisons demeurent insuffisantes. Les auteurs avancent une troisième hypothèse : la sécularisation du 19e siècle a d’abord concerné les hommes, ce qui aurait permis aux femmes de prendre des responsabilités plus importantes dans la sphère religieuse. Les femmes, alors exclues de l’espace publique et de la sphère politique, ont compensé cette exclusion par un investissement dans le religieux : c’est un moyen détourné pour acquérir une éducation, se professionnaliser, et peser dans les débats publics. Les luttes féministes des années 1960 représentent un tournant dans les études sociologiques ainsi que dans la vie des femmes. Surviennent les revendications de l’avortement, de l’égalité au travail puis la dénonciation de l’ « oppression », de l’ « exploitation » de la femme 33 Sociologue britannique spécialisée en sociologie de la religion, ancienne professeur à l’Université d’Exeter. Principaux ouvrages : Religion in Britain since 1945 ; The Desecularization of the World: Resurgent Religion and World Politics (avec Peter L. Berger); Europe – The Exceptional Case: Parameters of Faith in the Modern World 34 Ecrivain britannique et professeur de sociologie à l’Université de Bath, spécialiste en sociologie de la mort dans la société moderne. Principales publications: “From Cathedral to Supermarket: mourning, silence and solidarity” Sociological Review ; Funeral practices: cultural variation ; “Mourners and mediums” Theology 35 Tony Walter and Grace Davie, « The Religiosity of Women in the Modern West », The British Journal of Sociology, Vol. 49, No. 4 (Dec., 1998), p. 640-660 11 par l’homme, ainsi que le rejet de l’« androcentrisme », et du « patriarcat »…. De nouveaux droits sont donnés aux femmes (avortement, égalité entre époux, divorce par consentement mutuel…) ce qui permet un accroissement de leur autonomie financière, la possibilité de s’investir professionnellement et la maitrise de leur corps. La libération sexuelle est inséparable du recul de l’emprise religieuse sur la vie quotidienne et de la levée de tabous sexuels. Le droit au plaisir féminin est reconnu. Comme nous l’avons déjà relevé précédemment, les années 1960 ont aussi vu l’explosion d’ouvrages et de nouvelles interprétations du phénomène religieux avec l’apparition d’une multitude de nouveaux mouvements religieux. Nous pouvons ainsi faire l’hypothèse que l’apparition des luttes féministes et le développement de nombreux nouveaux NMR à une période similaire ont pu mutuellement influencer ces phénomènes d’une manière ou d’une autre. Il est donc intéressant de se demander si le rapport entre genres dans les NMR est différent de celui établi dans les religions traditionnelles. Nous savons que dans les religions traditionnelles, et même dans les religions patriarcales, les femmes sont arrivées à trouver certaines marges d’autonomisation, bien que ces dernières ne suffisent pas à égaliser le rapport de genre. Nous avons aussi vu que la religion est loin d’avoir disparu, et que les croyances s’adaptent au monde moderne. Nous pouvons donc établir une seconde hypothèse : les nouveaux mouvements religieux s’adapteraient à ces revendications féministes et pourraient même devenir un vecteur de ces revendications. En somme, est-ce-que les nouveaux mouvements religieux permettent de créer des marges d’autonomisation suffisantes pour inverser les rapports de genre ? Les NMR font preuve d’une grande diversité et la réponse apportée à cette interrogation risque fortement de diverger d’un mouvement à un autre. Certains NMR prônent une inversion des normes de genre, d’autres une neutralisation, et d’autres une stéréotypisation des identités patriarcales. Etant donné la multitude de NMR existant, nous avons pris le parti pour ce mémoire de nous concentrer sur un nouveau mouvement religieux en particulier, le New Age. Il sera nécessaire dans un premier temps d’identifier au mieux notre sujet d’étude qui est le New Age, un NMR extrêmement complexe comprenant une variété de branches et de pratiques très diversifiées. Nous irons ensuite nous focaliser sur la théorisation du lien entre religion et 12 genre : l’analyse de Woodhead36 deviendra le fil conducteur des deux chapitres suivants. Ces derniers porteront sur la vision de la femme au sein du New Age, ainsi qu’une de ses branches en particulier, la Wicca, et montreront quelles sont les marges d’autonomisation pour celles-ci. Nous verrons enfin dans un dernier chapitre si le New Age peut devenir un support des revendications féministes dans l’espace public. 36 Voir p. 13 SECTION 1 : Présentation du New Age I) Glastonbury, premier contact avec le New Age Glastonbury37 est aujourd’hui un haut lieu du New Age en Europe. Ce village anglais de 10 000 habitants regorge de légendes ayant inspiré les visiteurs pratiquants. Joseph d’Arimathie38 se serait rendu avec son neveu Jésus dans sa jeunesse en Angleterre39. Ils auraient fondé la première chapelle à Avalon40 sur un terrain de culte druidique. Joseph d’Arimathie aurait capturé le sang de Jésus après sa mort dans une coupe, le Saint Graal, qu’il aurait ramené en GrandeBretagne avec douze compagnons pour fonder la première église chrétienne. Chalice Well, le puits du Calice, se situe en bas de la Tor, colline célèbre du site de Glastonbury dominant l’ancien royaume d’Avalon. Dans son jardin serait enfoui le fameux Saint Graal. Au sommet de Chalice Well est érigée sur un lieu de culte celte et chrétien la chapelle dédiée à Saint Michel. Quant à la fameuse abbaye de Glastonbury, elle abriterait les tombes du roi Arthur et de sa femme Guenièvre. Glastonbury accueille aujourd’hui des milliers de pèlerins qui viennent chaque année dans ce lieu sacré développer leur spiritualité et se connecter avec les énergies de la nature. Le village a également développé tout un commerce vivant de ces croyances : cristaux, pendules, stages pour apprendre à développer sa propre spiritualité et découvrir ses chakras 41, ou encore pratiquer le channeling42 … Ainsi, ce lieu fascinant et mystérieux est la pierre de voûte qui nous a amenés à la découverte des nouveaux mouvements religieux, et en particulier du New Age. Faire 37 Ville du comté du Somerset, en Angleterre (Royaume-Uni) 38 Personnage du Nouveau Testament, il apparaît pour la première fois après la crucifixion, lorsqu'il demande à Ponce Pilate l'autorisation d'emporter le corps de Jésus pour l’ensevelir dans son sépulcre. La figure de Joseph d'Arimathie fut également introduite dans le cycle arthurien par Robert de Boron dans son roman Joseph d’Arimathie, écrit entre 1190 et 1199. La légende raconte que le dernier repas du Christ se serait tenu chez Joseph d’Arimathie qui aurait conservé le vase de la Cène contenant un peu de sang de Jésus. 39 http://imaginouest.metawiki.com/glastonbury 40 Site légendaire de la littérature arthurienne, c’est aussi le lieu où est emmené le roi Arthur après sa dernière bataille à Camlann et l’île sur laquelle vivait la fée Morgane. 41 42 Centres énergétiques du corps humain inspirés par les traditions indiennes de pratique du yoga. Issu de la littérature du New Age, ce terme américain désigne un procédé de communication entre un être humain et une entité appartenant à une autre dimension (ange, entité astrale, divinité, extra-terrestre…) 14 un mémoire à ce sujet, et surtout, étudier la place des femmes au sein du New Age, permet de se plonger en profondeur dans un nouveau mouvement religieux singulier et parfois novateur. Il est cependant nécessaire de signaler que le New Age a été assez peu étudié en Europe. En effet, la majorité des études exploitées pour ce mémoire proviennent des Etats-Unis, où le développement des NMR est plus important, et l’étude du genre dans la sociologie de la religion plus répandue. II) Tentative de définitions Le mouvement du New Age, extrêmement vaste, est difficile à délimiter et donc difficile à définir. Plusieurs nouveaux mouvements religieux s’apparentent au New Age dont pour les plus célèbres le Néo-Paganisme et la Wicca que nous développerons dans d’autres chapitres de ce mémoire. Elsa Bishop43 dans sa thèse Le New Age aux USA qualifie le New Age de « nébuleuse » et le définit au sens large comme : « …constitué de l’ensemble des pratiques, croyances et nouvelles spiritualités, toutes interconnectées selon de nouveaux modes d’organisation, et visant une transformation personnelle ou planétaire, qui sont apparues dans les années 1960. » 44 Ce mouvement qui s’organise autour de valeurs contre-culturelles se veut être le porteur d’une « nouvelle spiritualité » ou encore une « nouvelle conscience ». ». La première caractéristique de celui-ci est donc sa spiritualité qui est qualifiée d’ « alternative ». De manière stricto sensu, la croyance au New Age implique une compréhension astrologique du monde et une forme d’utopisme millénariste. Ces théories sont expliquées dans The Aquarian Conspiracy, de Marilyn Ferguson45, un livre phare du New Age qui, selon Elsa Bishop, a permis l’émergence 43 Ancienne doctorante en études anglophones à l’Université Lumière Lyon II 44 Elsa Bishop, Le New Age aux Etats-Unis. 1980 à 2000 - Le cas de San Diego, 2007 (http://theses.univlyon2.fr/documents/lyon2/2007/bishop_e ) p. 34 45 Journaliste et écrivain américaine sur les phénomènes de conscience, a réalisé l’un des best-sellers du New Age : The Aquarian Conspiracy: Personal and Social Transformation in the 1980s. J. P. Tarcher Inc. / Houghton Mifflin, 1980, p. 228–29 15 du mouvement New Age à la conscience américaine début des années 1970. Les New Agers pensent qu’une nouvelle ère, l’ère du Verseau, est sur le point d’arriver et de remplacer l’ère du Poisson afin d’amener bonheur et paix à l’humanité. Cet événement est aussi appelé « deuxième venue du Christ », ou « retour de l’âge d’or ». Pour permettre l’avènement du New Age, il est nécessaire que les hommes et femmes opèrent une transformation individuelle. De cette transformation de masse émergera une « conscience universelle ». On peut assimiler cet avènement avec la doctrine de la délivrance au sens wébérien, atteinte par les moments d’extase et le perfectionnement de soi-même. De façon plus concrète, le New Age se qualifie de spiritualité alternative au monde d’aujourd’hui dans son ensemble. Il dénonce entre autres le capitalisme et le progrès technologique qui se développent au détriment de la nature et de l’environnement et qui provoquent une hiérarchie de la population, (les riches supérieurs aux pauvres, les blancs aux noirs…), et encouragent une hiérarchie des genres. Ainsi, le New Age est caractérisé par certaines orientations particulières : écologique, féministe, optimiste,… L’idée d’une transformation personnelle amenant à une transformation cosmique qui induit un travail sur son « moi intérieur » et sur les énergies attire les spiritualités du monde entier. Il opère sur un mode syncrétique et éclectique, et reste ouvert aux croyances de chacun. Elsa Bishop définit le New Age de façon structurelle en le qualifiant de « frontière entre le religieux et le séculier »46. La spiritualité du mouvement est de nature surnaturelle mais les adeptes refusent de lui donner l’aspect institutionnel, dogmatique, collectif et organisé d’une religion traditionnelle, c’est-à-dire, d’une Eglise. Dans un effort de construction sociologique, Martin Geoffroy47 dans son étude « Pour une typologie du Nouvel Age »48 nous propose une véritable typologie du New Age pour essayer de 46 Elsa Bishop, Le New Age aux Etats-Unis. 1980 à 2000 - Le cas de San Diego, 2007 p. 35 47 Sociologue canadien et professeur, spécialiste des religions et des médias au Canada. Principales publications: «Le processus d’institutionnalisation du mouvement du nouvel âge», Religiologiques, no. 22, 2000, Montréal, UQÀM, 57-71. ; «L’intégrisme catholique et le fondamentalisme protestant», Lefebvre, S. (dir.), Les religions sur la scène mondiale, Québec, Presses de l’Université de Laval, 2010, 59-79. ; Geoffroy, M. et J-G. Vaillancourt (dir.), La Religion à l’extrême, Montréal, MédiasPaul, 2009, 319 p. 48 Martin Geoffroy, «Pour une typologie du nouvel âge», Cahiers de recherche sociologique, No.33, 1999, Montréal, UQÀM, 51-83. 16 définir ce « religieux flottant ». Celle-ci comporte quatre dimensions (sociale, culturelle, ésotérooccultiste et biopsychologique) qui ne sont pas fermées entre elles mais communiquent via ce réseau informel de pratiquants ayant des affinités spirituelles, sociales, culturelles et techniques. III) La vision du genre au sein du New Age Concernant la vision du genre, Karlyn Crowley49 identifie dans l’introduction de son livre Feminism’ New Age50 trois croyances communes qui reviennent dans les écrits du New Age. Premièrement, les New Agers sont convaincus que femmes et hommes sont différents par essence et qu’ils agissent par rapport à ces différences, qu’elles soient culturelles ou biologiques. Deuxièmement, chaque humain a une part féminine et une part masculine en lui. Elles et ils doivent ainsi intégrer pleinement leur côté masculin et leur côté féminin pour être entier, et atteindre le but d’une « androgynie divine ». Troisièmement, femmes et hommes doivent parvenir à dépasser les différences de genre, le concept même du genre afin d’atteindre un niveau spirituel dépourvu de ces distinctions terrestres. Il en résulte une tension de la culture New Age où les pratiquants essayent de franchir le fossé entre le niveau matériel du quotidien et le niveau éthéré du spirituel. 49 Ecrivain américaine, professeur d’anglais, spécialisée en littérature américaine, études féministes et études raciales et ethniques. Principales publications: New Age Feminism? Reading the Woman’s ‘New Age’ Non-fiction Bestseller in the United States.” In Religion and the Culture of Print in Modern America, Eds., Charles L. Cohen and Paul S. Boyer, University of Wisconsin Press, 2008; “Pedagogical Intersections of Gender, Race, and Identity: Signs of a Feminist Teacher,” Getting Culture: Incorporating Diversity Across the Curriculum, Eds., Regan A.R. Gurung and Loreto Prieto, Stylus Press, Arlington, VA., 2009 50 Karlyn Crowley, Feminism’s New Age: Gender, Appropriation, and the Afterlife of Essentialism, State University of New York Press, 2011, 242 p 17 SECTION 2 : Théorisation du lien entre genre et religion Dans son essai « Les différences de genre dans la pratique et la signification de la religion »51, Linda Woodhead52 nous donne un intéressant point de départ pour tenter de comprendre les rapports entre genre et religion ainsi que leur impact mutuel. Selon Woodhead, le lien essentiel de ces rapports serait le pouvoir. Que ce soit le genre ou la religion, tous deux cherchent à incarner, représenter, voire redistribuer le pouvoir dans la société. C’est ainsi que Woodhead reprend Bourdieu pour définir les rapports de genre : « un ensemble complexe et intriqué de rapports de domination historiquement construits ». Elle parle ainsi de « l’ordre sexué de la société » dans lequel s’inscrit complètement la religion : elle y joue différents rôles et y occupe différentes places53. Pour Woodhead, la religion est l’expression sociale de la confrontation au pouvoir sacré. Mais la religion va interagir avec d’autres formes de pouvoir qui sont séculières : sociales (économiques, militaires, culturelles….) ou socio-personnelles (intellectuelles, physiques, affectives…). Différentes synergies peuvent ainsi se mettre en œuvre entre ces deux formes de pouvoir : ils peuvent se renforcer ou s’exclure. C’est pourquoi la religion tient un rôle important dans la consolidation et la légitimation des pouvoirs dominants. Elle est capable de rendre invisible les groupes qui disposent d’un faible soutien social. Si on considère le genre sous l’angle du pouvoir, la religion peut avoir plusieurs effets différents sur les rapports de domination du genre : elle les renforce ou les inverse, les atténue ou les transforme. Afin de théoriser les rapports de genre, il faut comprendre que la répartition sexuée du pouvoir fait partie intégrante de l’ensemble des inégalités de pouvoir présent dans toutes les sociétés. Il faut également avoir à l’esprit qu’une religion est structurellement liée à l’ordre sexué d’une société à une époque donnée. Woodhead considère ainsi que deux variables doivent être 51 Woodhead Linda, « Les différences de genre dans la pratique et la signification de la religion », Travail, genre et sociétés, 2012/1 n° 27, p. 33-54 52 Sociologue britannique et professeur en sociologie des religions à l’université Lancaster (Department of Politics, Philosophy and Religion and Institute for Gender and Women’s Studies). Principaux ouvrages : A Sociology of Religious Emotions (with Ole Ris); The Spiritual Revolution: Why Religion is Giving Way to Spirituality (with Paul Heelas,); An Introduction to Christianity 53 Woodhead Linda, « Les différences de genre dans la pratique et la signification de la religion », Travail, genre et sociétés, 2012/1 n° 27, p. 34 18 prises en compte afin de théoriser les rapports entre religion et genre : où la religion se situe par rapport au pouvoir séculier (dans cette analyse, le genre) (1), et quelle est la stratégie de la religion (manière dont la religion est convoquée face au rapport de domination) (2). Woodhead nous propose de schématiser ces deux variables, ce qui nous donne les deux extrêmes comme point de référence pour chacune : - 1) une religion instituée par opposition à une religion marginale : une religion instituée participe pleinement à la répartition du pouvoir dans la société et est socialement respectable tandis qu’une religion marginale est en décalage par rapport à l’ordre social et sexué de la société, jusqu’à être considérée comme une déviance par la majorité. - 2) une religion consolidante par opposition à une religion contestataire : une religion consolidante légitime, renforce et sacralise l’ordre existant sexué tandis qu’une religion contestataire critique, améliore, transforme l’ordre existant sexué. A partir de là, Woodhead parvient à établir un schéma qui présente 4 états des relations de la religion par rapport au genre à travers le prisme du pouvoir 54: - Une religion consolidante : elle contribue pleinement à l’ordre sexué existant et reproduit l’inégalité des sexes. - Une religion tactique : elle peut être partie prenante de l’ordre sexué, tout en ayant une visée subversive afin de prendre le pouvoir de l’intérieur. - Une religion comme quête : elle ne cherche pas forcément à remettre en question l’ordre en vigueur ; elle occupe une position marginale dans la répartition du pouvoir homme/femme, mais peut être utilisée pour conquérir le pouvoir de l’extérieur - Une religion contre-culturelle : lorsqu’elle est en position marginale, elle peut être utilisée pour contester, voir redistribuer la répartition sexuée du pouvoir Woodhead note que la plupart des sociétés ont favorisé une domination prépondérante des hommes sur les femmes qui peut cependant varier selon les époques et les lieux. Pourtant, les relations entre les sexes, notamment dans certaines sociétés occidentales, ne sont pas 54 Voir annexe 1 p. 72 du mémoire 19 complètement figées. De plus, certaines sociétés ne possèdent pas d’ordre religieux dominant, ni même une position idéologique unique au sein d’une même religion. Il n’est pas possible de déchiffrer le rôle de la religion dans la distribution du pouvoir seulement à partir des symboles culturels. Tout comme nous l’avons vu en introduction, Woodhead corrobore à l’idée que la religion n’a pas disparu du monde contemporain : elle s’est déplacée. La religion est toujours soumise à des autorités masculines et est désormais liée à la sphère domestique. La crise de la foi masculine à l’époque victorienne a amené un essor de la piété féminine au XIXe siècle « sans doute le plus chrétien de tous les temps, tant par l’influence culturelle que par la fréquentation des églises ». Le christianisme a été une religion consolidatrice et tactique « en sanctifiant le travail domestique des femmes, en affirmant une identité féminine qui élève leur prestige spirituel et moral, en érigeant des distinctions de classe fondées sur la vertu chrétienne et en renforçant l’idéologie de la séparation des sphères »55. Mais il offre aussi aux femmes des possibilités de négocier le pouvoir, une protection, d’avoir accès à un certain prestige dans la vie publique. A cause de son rôle majeur dans la production d’un ordre sexué à dominante masculine, la religion fut d’autant plus vulnérable face aux contestations ayant eu lieu fin du XIXe siècle. Les combats féministes ont attaqué la féminité chrétienne liée à la piété, le dévouement, le sacrifice, le travail domestique, la responsabilité spirituelle et morale des femmes vis-à-vis de leur mari et famille. Dans les années 1950, on observe une résurgence des valeurs traditionnelles, mais rapidement suivie d’un déclin. Dans les années 1970, la phase de sécularisation devient encore plus prononcée dans la modernité tardive. Cependant, les théories de la sécularisation ne parviennent pas à expliquer ce déclin de façon satisfaisante. Mais la prise en compte des théories du genre, et des bouleversements dans les relations hommes-femmes survenus à cette époque permettent de faire émerger certaines hypothèses étant donné l’implication de la religion dans l’ordre sexué. On peut donc imaginer que l’évolution de nos sociétés amène le développement de religions non patriarcales, et plus égalitaires. Nous allons ainsi essayer de voir si le New Age est une religion novatrice qui insuffle des rapports de genre différents de ceux établis dans les religions 55 Woodhead Linda, « Les différences de genre dans la pratique et la signification de la religion », Travail, genre et sociétés, 2012/1 n° 27, p. 48 20 traditionnelles patriarcales. Nous allons également essayer d’identifier dans quelle catégorie de Woodhead le New Age peut se classer. 21 SECTION 3 : Un ordre patriarcal ignoré : le refus des conflits de genre au sein du New Age L’engagement dans le New Age: une recherche d’identité face à l’ambiguïté des rôles de genre dans la société moderne I) Dans « Social change, gender role and new religious movement »56, Angela Aidala57 s’est intéressée aux rapports de genre établis dans différents nouveaux mouvements religieux. Son étude se porte sur un échantillon de dix groupes communautaires (religieux et séculiers) aux Etats-Unis entre les années 1970-1980. Cet échantillon est représentatif de l’univers des groupes communautaires contemporains. 55% des personnes étudiées ont une idéologie religieuse dérivée des croyances des religions de l’Est (dont 5% concerne les groupes psycho-spirituels parmi lesquels nous inclurons le New Age). 80% des membres des communautés sont âgés de 20 à 29 ans, et 90% ont rejoint ces groupes avant leur 30e anniversaire. 80% n’ont jamais été mariés58. Aidala pense que le monde moderne et les rapides changements sociaux, économiques, et démographiques ont perturbé beaucoup de femmes et d’hommes. Les accords et valeurs traditionnels ne correspondent plus aux réalités émergentes. Les prophètes et les visionnaires peuvent retenir l’attention plus facilement d’un plus grand nombre de personnes ; les NMR apparaissent dans un moment propice pour se développer. Ils établissent des petites communautés de personnes ayant de nouvelles valeurs, de nouveaux buts, avec des rôles et comportements pouvant être socialement définis et affirmés de façon consensuelle parmi leurs membres. Ils vont apporter des réponses, des explications à ces changements. 56 Angela A. Aidala , « Social Change, Gender Roles, and New Religious Movements » Sociological Analysis, Vol. 46, No. 3 (Autumn, 1985), pp. 287-314 57 Sociologue et chercheuse américaine à l’université de Columbia à la Mailman School of Public Health (Département des sciences socio-médicales), spécialisée sur l’intersection des influences économiques, sociales et culturelles sur les populations désavantagées.Principales publictions : "Worldviews, Ideologies and Social Experimentation: Clarification and Replication of 'The Consciousness Reformation.'" Journal for the Scientific Study of Religion; "Housing need, housing assistance, and connection to HIV medical care." (avecLee G, Abramson DA, Messeri P, Siegler A. ) AIDS & Behavior 58 Angela A. Aidala , « Social Change, Gender Roles, and New Religious Movements » Sociological Analysis, Vol. 46, No. 3 (Autumn, 1985), p. 290-291 22 L’identité de genre est une construction de base qui oriente et guide l’individu. Concrètement, ce sont des attitudes, des tempéraments, des obligations… qui sont considérés comme appropriés ou non pour les hommes et les femmes dans différentes situations. Les rôles de genre contribuent ainsi à la structure des relations politiques, économiques… Ainsi les changements relativement soudains dans ces structures aboutissent à une crise des rôles de genre (si le rôle disparait, il n’existe plus de guide pour donner du sens à certaines actions, plus d’ordres de valeurs ni de buts désignés, …) Aidala pense que la disjonction entre les vieilles normes traditionnelles et les nouvelles réalités va toucher plus particulièrement la jeunesse. Dans le cas du genre, les rôles attribués par celui-ci produisent des liens essentiels entre la culture et la personnalité. Mais avec cette crise culturelle, et les changements institutionnels (les avancées technologiques, les changements de classes sociales, une demande d’un niveau d’éducation élevé pour l’emploi, la communication de masse, …), elle observe chez les jeunes, notamment ceux en transition vers l’âge adulte, une certaine incertitude ainsi qu’une confusion des genres. Ils font l’expérience d’opportunités, de menaces, et d’une incertitude anomique. Le monde moderne provoque un manque de cohérence entre les guides institutionnalisés pour la pensée, les sentiments, le comportement, et les évènements et conditions changeantes. La confusion des rôles de genre, ou l’impossibilité d’avoir une indépendance économique avant l’emploi par exemple, fait qu’il est difficile pour les jeunes de se construire en tant qu’adulte. Le début de l’industrialisation était également une période de changements majeurs dans l’organisation économique, établissant des tensions spécifiques dans les relations hommesfemmes. Les religions communalistes (mormons, shakers, communauté Oneida…) ont détaillé des solutions aux problèmes de genre, le but étant d’affirmer leur version d’un nouvel ordre socio-culturel et spirituel. Déjà au 19e siècle, ces NMR ont attiré beaucoup de jeunes. Dans leurs réponses au monde moderne, les nouveaux mouvements religieux proposent à leurs adeptes un ensemble de définitions morales absolues ainsi que des règles concernant les femmes, les hommes et leurs relations. Les adeptes dépassés par ces changements vont trouver dans les NMR un monde où tout est clair, et où ils savent ce qui est attendu d’eux. La rigidité idéologique dont font preuve ces communautés encore aujourd’hui attirent les individus qui ont peu de tolérance à 23 l’ambiguïté des rôles de genre : ils ressentent une confusion des rôles de genres, mais ne rejettent pas forcément le modèle traditionnel. Aidala décide d’attaquer plus précisément son approche sous l’angle des problèmes liés aux relations sexuelles, un exemple tout à fait pertinent. Les normes et attentes des comportements sexuels et des relations érotiques sont un aspect important des rôles de genre. La large disponibilité des moyens de contraception et l’atmosphère sexuelle ouverte donne davantage d’opportunités aux jeunes59. Cependant, ces changements amènent également une plus grande pression quant à l’engagement dans une relation sexuelle à un plus jeune âge, dans des circonstances qui ne correspondent pas forcément à l’envie de créer une relation durable. Elle affirme également que l’acceptation des relations sexuelles prémaritales entre 1969 et 1973 augmentent. Il y a donc chez les jeunes une plus grande anxiété à comprendre et gérer ses émotions sexuelles. Aidala nous propose de classifier les groupes communautaires étudiés selon 3 approches idéologiques différentes que ces groupes défendent au sujet des relations sexuelles entre hommes et femmes : le célibat obligatoire, les mariages de groupe contrôlés et les relations libres. Les mouvements non-religieux attirent ceux qui ont rejeté les valeurs culturelles traditionnelles et les normes de conduites. Les individus qui s’y engagent ont très souvent rejeté les modèles traditionnels. Ils attendent une alternative consciente à l’engagement sexuel monogame (le mariage libre par exemple). Par rapport aux membres des communautés chrétiennes, ils ont plus souvent connu une expérience pré-communautaire avec un comportement sexuel non-conventionnel. Ils partagent une opposition à la société établie et recherchent un environnement qui soutient l’expérimentation et l’alternative. Le rejet des rôles traditionnels des genres est plus important chez les femmes qui rejoignent les groupes séculaires que chez celles qui rejoignent les groupes religieux. Les membres ont une plus grande tolérance à l’ambiguïté qu’ils veulent engager dans leurs tentatives de forger de nouvelles valeurs, ainsi que des formes de spiritualité satisfaisantes. Cependant, ces groupes séculaires peinent à établir des 59 «The wide availability of reliable birth control and an atmosphere of sexual openness provided more opportunity and greater pressures to engage in sex at an earlier age and in circumstances unconnected with expectations for lasting relationships. The number of persons cohabitating increased over 700% in the decade between 1960 and 1970 (Macklin, 1978). Opinion polls have shown that general acceptance of premarital sex increased considerably between the years 1969 and 1973 after rates of disapproval had remained constantly high for the prior 30 years (Current Opinion, 1973) ». p.291 24 normes et règles sexuelles communes. La liberté individuelle et les choix personnels sont les idées prédominantes : les personnes s’opposent donc aux normes sexuelles préétablies et aux standards répressifs des vieilles traditions. Pourtant, le partage sexuel ne signifiait pas forcément le partage des responsabilités (notamment la garde partagée des enfants). Les individus s’engageant dans les mouvements religieux ont généralement souffert d’une plus grande incertitude concernant les mœurs sexuelles traditionnelles que leur contrepartie séculaire. Ils ont plus souvent connu une période de doutes et de confusion sur la sexualité avant de s’engager que ceux des groupes séculaires. Les mouvements religieux ne remettant pas en cause les relations traditionnelles entre hommes et femmes attirent les jeunes personnes qui n’acceptent pas la norme sexuelle dominante sans la remettre en question, et plus encore qui trouvent difficile de choisir entre la tradition et le revirement contre-culturel (deux mouvements en compétition). L’incertitude du mariage et du rôle familial est caractéristique des femmes des groupes religieux. Les communautés religieuses ont peu de tolérance à l’ambiguïté. Elles offrent une réponse à l’anomie, proposent une immersion dans une communauté où les membres prennent soin les uns des autres, et qui ont un seul système de croyances et de pratiques ayant réponse à toutes les questions sur soi et la société. Ainsi, 70% des groupes communautaires religieux engagent des normes de célibat qui comprennent, en général, un fort contrôle du mariage. L’expression sexuelle laisse peu de place à l’intimité et est régulée par des normes strictes provenant des gourous, des anciens, ou encore des leaders spirituels. Les groupes religieux et quasi-religieux ont en général une idéologie sexuelle cohérente et soutenue par des justifications cosmiques qui fournissent un ensemble spécifique de règles à suivre. Que ce soit par l’ascétisme ou l’hédonisme, la sexualité suit un vrai script dans le détail, telles les positions, les prérogatives masculines ou féminines, la durée des préliminaires… afin d’assurer une expérience réussie. Le but est de minimiser les décisions individuelles et les négociations interpersonnelles. Les membres des groupes psycho-spirituels ont plus de chances d’avoir fait l’expérience d’une relation sexuelle pré-communautaire (souvent avec un comportement sexuel nonconventionnel) que les membres des groupes religieux patriarcaux et fondamentalistes. Ils attirent donc ceux qui souhaitent l’exploration sexuelle mais manquent d’une sécurité, d’une rationalité pour expliquer leurs comportements « déviants ». Les groupes communautaires issus 25 des nouvelles idéologies et souhaitant le développement spirituel (auxquels on peut assimiler le New Age) encouragent ainsi l’ouverture et l’expérimentation de la sexualité60. Les adeptes des groupes communautaires religieux sont absolument convaincus du bienfait de ces règles et normes qui laissent peu de place au doute. Ainsi ils les respectent. Aidala affirme que dans les années 1960-1970, l’absence d’un consensus normatif large sur les rôles de genre a facilité l’émergence d’idéologies en compétitions. Elle identifie donc trois approches générales parmi les communautés inspirées des nouvelles religions qu’elle a étudiées61: - une lecture patriarcale du genre basée sur la bible C’est le cas des idéologies chrétiennes fondamentalistes : les femmes sont des tentatrices pour les hommes ou n’ont qu’un rôle de compagne62 devant satisfaire l’homme au mieux. Ces idéologies condamnent clairement toute culture séculaire voulant brouiller la distinction ordonnée par Dieu entre hommes et femmes et remettre en question l’autorité de l’homme. Cet ensemble cohérent de règles reste ainsi en accord avec les rôles traditionnels attribués aux genres. - la spécificité de la complémentarité bio-mystique Ces idéologies sont inspirées de la culture asiatique et prônent une complémentarité spirituelle. Hommes et femmes ont les mêmes habilités à atteindre la perfection de soi, ou une « conscience plus élevée ». Cependant, la majorité du temps, la quête de la transcendance personnelle finit par reproduire les modèles traditionnels des relations de genre rénovés par des explications spirituelles. - le déni subjectif des différences de genre Le modèle des groupes séculaires adopte un certain laxisme, un « laissez-faire ». Le but de ces groupes est de défier les attentes traditionnelles des rôles de genre. Pourtant, les 60 Voir annexe 2 p. 73 du mémoire 61 « Three general approaches to gender roles were found among communes inspired by the new religions: biblicallybased understandings of patriarchy, bio-mystical specification of complementarity, and subjectivist denial of gender differences. » p. 294 62 Aidala emploie le terme « helpmate ». Compagnon est une tentative de traduction personnelle. 26 communautés hippies restent célèbres pour leur domination masculine au nom de la liberté anarchiste. Le féminisme ne préoccupe pas les activistes de ces groupes qui considèrent ces problèmes comme privés et relevant du domaine individuel. Très peu de communautés se donnent pour but la réalisation de l’égalité des genres comme prérequis pour restructurer la société et éliminer l’exploitation et l’oppression. Et peu d’entre eux réussissent à se mettre d’accord sur les attributs, statuts et devoirs de chaque genre. Ces manquements risquent de devenir une source de dissidence ou de séparation au sein de ces groupes. Ainsi, Aidala affirme la nécessité de considérer l’âge et le sexe pour comprendre l’impact de la crise culturelle dans la vie des individus, et comment cette crise peut mener à leur participation à des groupes religieux. En effet, l’intérêt religieux seul n’est pas suffisant pour expliquer l’engagement des individus dans ces groupes ; c’est la recherche de leur identité qui importe le plus. Concernant les rôles de genre, Aidala nous montre que malgré des idéologies différentes selon les groupes, la domination traditionnelle de l’homme reste en place. Aucune de ces communautés n’essaye de réellement défier l’allocation traditionnelle des pouvoirs économiques et sociaux revenant pour les plus importants, aux hommes. Beaucoup de groupes font même la promotion de ces inégalités comme les idéologies religieuses fondamentalistes. Les groupes séculaires n’ont pas beaucoup plus de succès, malgré leur défiance des valeurs traditionnelles. De ce fait, pour Aidala, les groupes psychos-spirituels, dont le New Age, ne parviennent pas à se démarquer des autres NMR et ne changent pas fondamentalement les rapports de genre malgré leur objectif spirituel d’élévation au-delà des différences de genre. II) Le New Age comme lieu d’expérimentation lors du passage de l’adolescence à la vie d’adulte Aidala a démontré le caractère patriarcal universel des nouveaux mouvements religieux. De son point de vue, rejoindre ces communautés religieuses signifie fuir le féminisme, la modernité et l’ambiguïté morale de notre société pluraliste. Les membres de ces NMR rejettent les approches expérimentales qui dominent la sphère laïque. Dans « Women's "Cocoon Work" in 27 New Religious Movements: Sexual Experimentation and Feminine Rites of Passage »63, Susan Palmer64 va essayer d’approfondir l’analyse d’Aidala. Son argument est que les communautés des NMR proposent des solutions idéologiques aux ambiguïtés morales et à la confusion des genres. Les nouveaux rôles religieux attribués à chaque sexe sont plus divers que ceux supposés par Aidala. Les expériences de cultes remplissent pour beaucoup de femmes la fonction de rites de passage féminins rencontrés dans les sociétés traditionnelles. Palmer a sélectionné huit groupes pour cette étude dont un se nommant « The Institute for the Harmonious Development of the Human Being (IDHHB)65 », clairement identifiable comme appartenant à la mouvance du New Age. Palmer reprend l’approche d’Aidala en ce qui concerne la compréhension des relations de genre66 et l’identifie à la typologie de Allen qui décrit trois notions philosophiques de l’identité sexuelle au sein de la chrétienté. En remaniant cette approche, elle parvient à ce résultat : - la complémentarité sexuelle : chaque sexe a des particularités spirituelles uniques : le mariage correspond à une union d’opposés spirituels pour former un androgyne complet et continue dans l’au-delà (le mariage continue même après le décès de l’un des époux) - la polarité des sexes : les sexes sont spirituellement différents, la notion de genre est inutile ou les différences sexuelles font obstacle au salut de l’autre. La « pollution des sexes » amène à une ségrégation entre femmes et hommes pour éviter d’affaiblir leurs résolutions spirituelles. Les sexes sont inégaux (soit l’homme est supérieur, soit la femme selon les groupes). 63 Susan J. Palmer, « Women's "Cocoon Work" in New Religious Movements: Sexual Experimentation and Feminine Rites of Passage », Journal for the Scientific Study of Religion, Vol. 32, No. 4 (Dec., 1993), p. 343-355 64 Sociologue canadienne, spécialiste des NMR, professeure en sociologie des religions au Dawson College. Principales publications : Moon Sisters, Krishna Mothers, Rajneesh Lovers: Women's Roles in New Religions, Syracuse, New York: Syracuse University Press ; The New Heretics of France, Minority Religions, la Republique, and the Government-Sponsored 'War on Sects', New York: Oxford University Press; Aliens Adored: Raël's UFO Religion. New Brunswick, New Jersey: Rutgers University Press 65 D’après sa description sur son site internet, l’IDHHB aide les individus à effectuer leur transformation personnelle, à atteindre une conscience organisationnelle et planétaire qui est au service de la vision d’un univers vivant. Ainsi, l’IDHHB en plus de publier des livres et d’éditer des CD de musique servant ses objectifs, donne des cours, instruit de futurs professeurs… Site web : http://www.idhhb.com/ 66 Les trois visions idéologiques identifiées par Aidala sont : une lecture patriarcale du genre basée sur la bible ; la spécificité de la complémentarité bio-mystique ; le déni subjectif des différences de genre. Cf. p.25 du mémoire. 28 - l’unité sexuelle : les genres sont une fausse identité, obscurcissant l’esprit asexuel et immortel. Les groupes prônant cette idéologie encouragent le port de vêtements unisexes, et la culture de la personae sociale androgyne. L’IDHHB va se ranger dans cette catégorie. Les notions de genre pour les femmes vont différer lorsqu’elles se déplacent de la sphère privée à la sphère publique par exemple. Elles peuvent adopter au cours de leur journée différentes attitudes et avoir différentes attentes. Palmer nous donne l’exemple d’une secrétaire : elle souhaitera l’unité sexuelle pour son salaire, elle adoptera une attitude correspondant à la polarité sexuelle lorsqu’elle se rend à l’Eglise ou dans des associations religieuses, mais pourra désirer une complémentarité sexuelle durant son rendez-vous galant du vendredi soir. Palmer nous montre que cette pluralité des rôles de genre qu’une femme peut adopter suivant les lieux peut entrainer une confusion pour elle, voire une perte d’identité. Cependant, au sein des communautés intentionnelles, un seul modèle de genre domine et celui-ci se reflète dans les règles de conduite, de comportement, les rituels, les lieux de travail… Les femmes attirées par les NRM vont se diriger vers les groupes où elles sont confortables avec le rôle attribué à leur genre. Elles peuvent y trouver une échappatoire aux taches qu’elles doivent assumer de par leur genre dans les familles modernes qui demandent trop d’investissement et qui sont trop ambiguës. Elles peuvent aussi s’initier à un rôle qu’elles esquivent dans la vie séculaire. Certains mouvements ont un attrait prédominant pour un certain sexe par rapport à l’autre (les groupes qui pratiquent le renversement de la polarité des sexes, et qui promeuvent un leadership féminin attirent davantage les femmes par exemple). Ainsi, les nouvelles expériences sexuelles religieuses peuvent être consacrées à résoudre un ensemble de problèmes auxquels les femmes contemporaines sont confrontées. Selon Palmer, entre 80 et 90% des membres participant à ces modèles alternatifs de sexualité restent engagés pendant un, deux ou trois ans puis quittent le groupe 67. En effet, les NMR ont des taux de défection important : la moyenne de temps d’engagement est de deux ans seulement. Bien que cette analyse ne puisse s’appliquer à ceux qui restent dans les NMR toute 67 « Aidala's study does not address the issue of defection. While my findings corroborate her observations concerning the appeal of the ideological certainty of new religious gender roles to youth, it appears significant that between 80 and 90% of members participate in these alternative patterns of sexuality for one, two, or even three years - and then leave. Sociologists consistently have maintained that NRMs exhibit high rates of voluntary defection and that the average length of membership is less than two years (Barker 1984; Judah 1974; Ofshe 1976; Skonovd 1983; Wright 1988).» p. 349 29 leur vie, Palmer en conclut que pour la majorité des membres, s’engager dans un NMR ne s’avère que rarement une solution satisfaisante à l’ambiguïté des problèmes de genre. Elle affirme ainsi que les NRM sont plutôt des laboratoires pour l’expérimentation sociale individuelle et collective. De plus, selon Palmer, beaucoup de penseurs soulèvent la théorie que les NMR fournissent une expérience analogue à celle des traditionnels rites de passage (de l’adolescent à l’adulte, ou procédés de guérison psychologique et de maturation…). Il y aurait donc un manque ressenti parmi les futurs membres des NRM : dans la société actuelle, le rôle des rituels publics a décliné avec la sécularisation. Il est donc plus difficile de choisir une orientation sexuelle, d’avoir un code d’éthique sexuelle,…Palmer cite Aidala qui corrobore à cette théorie : les femmes devenant adultes aujourd’hui doivent être initiées aux mystères féminins et la réalité publique de la vie professionnelle qui était un domaine masculin jusqu’à peu. La transition adulte est donc plus difficile pour les femmes que pour les hommes. Les NMR jouent alors un rôle comparable aux sociétés traditionnelles dans la quête d’autorité des jeunes qui sont désorientés. La position des gourous en matière de sexualité morale est plus consistante et plus affirmée que celle des autorités de l’Eglise. Ils prennent la place qu’avaient les ainés dans le passé dans la pratique des rituels68. Palmer se sert des analyses de Lincoln pour approfondir l’idée des rites traditionnels de passage69. Ce dernier suggère que les rites de passage pour les femmes suivent une structure tripartite représentée métaphoriquement par la métamorphose de l’insecte : l’emprisonnement, l’amplification, et l’émergence. Ces rites, reproduisant les drames que vivent les femmes, célèbrent la nouvelle fonction reproductive de celles-ci et investissent son corps du pouvoir sacré assurant le futur de la société. Palmer propose donc de reprendre cette métaphore pour analyser les rôles des femmes dans les NMR qui sont souvent beaucoup plus stylisés et confinés que les 68 Palmer utilise le terme de « ritual elders » : « It might be argued that new religious founders play a role comparable to traditional societies' "ritual elders" in youth's search for authority - for some authentic voice to outline the true shape of their sexuality which reflects the divine cosmos. » p. 350 69 « An exception is found in Lincoln ( 1991:101)who argued that Van Gennep's rite de passage model is based on a study of male initiations, and proposes a trope of insect metamorphosis as more descriptive of women's initiations. Lincoln (1981) suggested that female rites of passage follow a tripartite structure of enclosure, magnification, and emergence, and that these dramas celebrate woman's new reproductive function and invest sacred power in her body, thus ensuring the future of her society. Women's roles in NRMs, which are usually far more stylized and confining than the roles of men (Aidala 1985:311), might be analyzed within this framework. » p. 351-352 30 rôles des hommes : pour le collectif, le corps de la femme est un symbole du ventre maternel duquel le « Nouvel Homme » émergera. Au niveau individuel, l’identité de la femme est enfermée au sein d’un « groupe-cocon » rigide70. Puis le rituel permet la naissance d’une nouvelle identité féminine qui correspond souvent mieux à la vie dans une société au sens plus large. Que les idéologies des NMR tendent vers l’unité des sexes, la complémentarité ou la polarité, Palmer leur identifie cependant un objectif commun : l’androgynie. Femmes et hommes, qu’ils soient célibataires, monogames, ou libertaires, mettent de côté leur individualité et se battent pour construire une identité collective et faire l’expérience de la « communion » avec le sexe opposé, afin de fonder un tout indifférencié. Ils rejettent les relations hiérarchiques et le statut social des sociétés traditionnelles ; ils souhaitent retrouver le symbolisme de la totalité, la présexualité de l’innocence enfantine et la perfection de l’androgynie. Les nouvelles religions fonctionnent comme des microsociétés protectrices, où les femmes peuvent recapturer leur innocence, et récapituler les étapes de leur développement social et/ou sexuel dans un nouveau cadre culturel. Palmer dément ainsi les analyses d’Aidala. Ce phénomène des femmes modernes choisissant d’incarner des rôles stylisés au sein des NMR ne doit pas être interprété comme un rejet du pluralisme de l’expérimentation contemporaine (Aidala), ni comme un choix d’une vie régulée par les valeurs familiales traditionnelles face à l’incertitude des genres dans une société plus large. Selon Palmer, il faut davantage interpréter l’engagement dans les NMR comme la recherche ancienne et familière d’épiphanies sociales et religieuses disponibles lors des rites de passage. Ainsi pour Palmer, les NMR, ainsi que le New Age, ne mèneraient pas forcément à l’inversion des rôles de genre traditionnels. Palmer soutient les analyses d’Aidala et va plus loin : les NMR ne seraient que des expériences de court terme, difficiles à mener dans la vie séculaire, en particulier pour les jeunes qui sont perdus dans la diversité des rôles de genre, et qui retrouvent au sein de ces groupes les traditionnels rituels de passage permettant de fixer une 70 D’où le titre de son essai « Women’s cocoon work » : « On the individual level, women experience the "enclosure" of a stiff, cocoon-like group identity, and give birth to a new feminine identity - which is frequently better suited to living in the larger society. » p. 351 31 identité nouvelle. Nous pouvons en déduire que ces expériences, même si elles ont pour but de détourner les normes de genre, ne sont pas satisfaisantes sur le long terme pour que la majorité des membres les poursuivent. De plus, leur brièveté annonce un retour à la société traditionnelle ce qui nous fait fortement douter de leur capacité à autonomiser les femmes par rapport à leur rôle traditionnel de genre. III) Le New Age, une autonomisation des femmes confinée au sein des rôles de genre Carol Lois Haywood71 s’est intéressée au développement et à l’autonomisation des femmes au sein des groupes spiritualistes. Elle relate son expérience et ses analyses dans son article « The authority and empowerment of women among spiritualist groups »72 et remarque une forte prédominance de femmes de classe moyenne, blanches, de plus de 50 ans. Selon Haywood, le rôle du médium est comparable à celui du shaman, ou du mage connu des historiens : c’est un leader occulte qui initie les autres aux réalités sacrées et ésotériques et qui sert d’interprète à ces réalités. Cette connaissance donne les qualifications nécessaires au shaman pour pratiquer des cérémonies de guérisons et d’autres rites magiques. Les leaders spiritualistes d’aujourd’hui servent comme les shamans et mages par le passé, de catalyseur aux transformations des autres, ouvrant des nouvelles réalités exotiques et une expérience directe du sacré. Haywood affirme que la pratique spirituelle combine deux dimensions : d’abord, la majorité de la solution doit provenir de soi-même (via les prières, et une littérature permettant l’inspiration, redéfinissant les problèmes comme religieux, et offrant des pratiques diminuant leur sévérité…) ; ensuite, une attention à la guérison physique est portée lors des services de vénération, donnant des alternatives aux docteurs (prières, lectures d’une liste de malades, rituels de guérison). Haywood remarque alors que la majorité des guérisseurs sont en fait des guérisseuses, des femmes, et tente de donner des explications à ce phénomène. 71 72 Sociologue américaine membre de la faculté du Département des études religieuses de l’Université Indiana. Carol Lois Haywood, « The Authority and Empowerment of Women among Spiritualist Groups » , Journal for the Scientific Study of Religion, Vol. 22, No. 2 (Jun., 1983), p. 157-166 32 Tout d’abord, ce fait est en accord avec la division culturelle du travail qui associe l’attention aux malades avec les femmes comme infermières, thérapeutes… Pour soutenir cette hypothèse, nous pouvons reprendre l’analyse de Pierre Bourdieu dans La domination masculine73, sur la division symbolique espace public/espace domestique ou privé. En effet, les hommes continuent à dominer l’espace public en étant majoritaires à travailler dans les secteurs économiques et scientifiques, de la production et du progrès technique. Au contraire, les femmes se dirigent plus facilement vers le secteur tertiaire, et en particulier le social, le socio-médical, l’éducation, et l’univers de production symbolique. En somme, elles sont majoritaires dans les secteurs représentant une extension de l’espace privé. Haywood ajoute que les définitions des rôles de la femme et la mère supposent qu’elles vont être la référant en chef pour prendre soin d’un enfant ou d’un mari malade. De plus, ceci renforce la revendication au pouvoir et à l’autorité des femmes dans une institution où la guérison est une grande priorité. Selon Haywood, beaucoup de femmes acquièrent le label de « souffrante »74 dans notre société, représentant des femmes « faibles » et ne pouvant endurer la douleur « comme un homme » : la chronicité et l’imprécision des causes de souffrance sont souvent considérées comme caractéristiques des peines des femmes. Elles sont identifiées comme déprimées, hypocondriaques, hystériques… attributs qui sont très rarement employés pour les hommes. Ces souffrances mineures et dévalorisées dans notre société pour les femmes vont trouver crédit dans les groupes spiritualistes : cet état de souffrance est pris simplement comme un fait ; le principal étant de vouloir de l’aide et de vouloir guérir. Les plaintes sont définies comme un signe de besoin d’élévation spirituelle. L’attente des participants est de pouvoir disposer d’une « conscience de soi » et de faire son propre développement spirituel par le rituel et la théologie. Dans le rôle féminin traditionnel, la femme est passive, effacée, déférente. C’est pourquoi la participation aux groupes spiritualistes est une expérience nouvelle pour les femmes : elles peuvent rejeter ce rôle traditionnel pour un 73 74 Pierre Bourdieu, La Domination Masculine, Seuil; Édition : Éd. augm. d'une préface (5 sept. 2002), 176 p. « Sufferers. In our society many mature women achieve, or more likely receive, labeling as a sufferer. Chronicity and imprecision in the causes for distress are characteristic of the suffering ascribed to women. Family, friends, physicians, even relative strangers, may all participate in the processing of identifying such a woman as ill, or neurotic, or depressed, or hypochondriacal, or even "hysterical."». p.163 33 rôle plus religieux, et avoir un concept actif du « soi » : une pratique active, une discipline personnelle, une prise d’initiatives, une maitrise de l’environnement divinement ordonné… L’approche spiritualiste, construite sur des sources spirituelles d’identité et de communauté, permet de reformer une institution au sein du groupe spiritualiste, qui servira à renverser les rôles de genre pour certaines femmes. Cette institution encourage l’autorité et la prise de pouvoir des femmes sans les remettre en question et favorise leur autonomisation75 sans modification de leur identité conventionnelle de femme. La conclusion d’Haywood est plus optimiste que celles d’Aidala et de Palmer : les femmes parviennent à une certaine autonomisation au sein de leur identité conventionnelle rattachée à leur rôle de genre. Cependant, cette marge d’autonomie reste basée sur les rôles attribués aux femmes par la domination masculine, c'est-à-dire au sein d’un mouvement religieux dont l’objectif principal est ici la guérison et la communication avec les esprits. L’attrait des femmes pour les groupes spiritualistes ainsi que le domaine d’action impacté restent enclavés dans cette extension de l’espace privé de Bourdieu qui est, somme toute, réservé aux femmes. Ainsi cette autonomisation ne peut s’avérer déterminante pour renverser les rôles de genre. IV) Le New Age, une religion de quête Après avoir étudié cette première argumentation donnant une réponse plutôt négative à la question de l’autonomisation des femmes pratiquantes du New Age, revenons à l’étude de Woodhead sur les états des relations de la religion par rapport au genre à travers le prisme du pouvoir76. Woodhead assimile le New Age à une religion de quête. Bien que la position de la religion de quête soit plutôt marginale par rapport à celle de la société, la religion se sert du 75 Le terme d’autonomisation reviendra plusieurs fois au cours de ce mémoire. Ce mot est une tentative personnelle de traduction du terme anglais « empowerment » qui exprime de façon littérale, le fait de gagner en pouvoir. 76 Linda Woodhead, « Les différences de genre dans la pratique et la signification de la religion », Travail, genre et sociétés, 2012/1 n° 27, p. 33-54. Cf. p. 17 du mémoire. 34 pouvoir sacré pour mettre en œuvre une transformation personnelle ou réaliser une ascension de sa position dans la société. Certaines quêtes recherchent des bénéfices concrets pour un ou plusieurs individus, physiques ou affectifs… Woodhead nous donne l’exemple de l’utilisation de la magie par les adolescents77. La religion de quête accepte de façon tacite et implicite l’ordre sexué dominant tout en cherchant des rapports de force, ou la procuration de bénéfices dans ce cadre. Selon Woodhead, le New Age représente le principal mouvement de quête dans la société post-industrielle. Aujourd’hui, il est aussi qualifié de spiritualité de la vie ou d’ « autospiritualité », c'est-à-dire la volonté de sacraliser et d’enrichir la vie intérieure. Les groupes rituels, qui travaillent souvent sur l’ « auto-spiritualité holiste » (liant le mental, le physique, et le spirituel), prennent des formes sociales diverses : lectures, pratiques individuelles, réunions de groupes, ateliers d’homéopathie… Heelas et Woodhead affirment que 80% des participants, praticiens et clients du New Age sont des femmes aux Etats-Unis et au RoyaumeUni. Selon Woodhead, ce déséquilibre s’explique par le conflit non résolu entre le rôle traditionnel des femmes et les nouveaux rôles plus masculins qu’on leur propose quand elles entrent sur le marché du travail. L’auteure rejoint ainsi l’argumentation d’Aidala sur l’ambiguïté de l’identité féminine aujourd’hui et le flou des rôles de genre. Pour Woodhead, la spiritualité du New Age encourage la recherche de son identité en tant que quête intérieure plutôt que de devoir le faire en réponse aux attentes sociales. En général, cette quête intérieure aide les femmes à supporter leur condition mais pas à réellement changer les faits. Le développement individuel que propose la spiritualité du New Age fait abstraction des conflits de genre en promouvant la complémentarité divine du masculin et du féminin. Pour le New Age, l’identité n’est donc pas centrée sur le genre : ce NMR n’a ainsi pas vocation à s’opposer à l’ordre patriarcal de la société. Cependant, Woodhead nous donne un avis différent pour la Wicca, une branche spécifique du New Age. En effet, Woodhead déclare que la Wicca se classe parmi les religions 77 « Elles [les filles] utilisent des sorts, inventés ou expliqués dans des ouvrages grand public, pour acquérir du pouvoir sur un objet amoureux, même si les adolescentes qui s’intéressent sérieusement à la sorcellerie rejettent ce type de sorts au motif qu’ils interfèrent avec la volonté d’autrui. Les adeptes utilisent plus couramment des sorts censés procurer des bénéfices pratiques, pour eux-mêmes ou autrui, notamment un mieux-être et, en GrandeBretagne plus qu’aux États-Unis, l’invisibilité! », p.44-45 35 contre-culturelles. Celles-ci sont marginales et s’opposent à l’ordre sexué dominant jusqu’à tenter de le transformer. Le pouvoir sacré devient une ressource permettant de redistribuer le pouvoir entre les sexes. Nous allons ainsi tenter de voir dans la prochaine partie l’argumentaire des auteurs s’étant intéressés plus particulièrement à la Wicca et voir en quels points cette branche du New Age est si singulière vis-à-vis des normes de genre. 36 SECTION 3 : Le mouvement de la Déesse : une révolution de l’ordre patriarcal I) Théologies du Néo-paganisme et de la Wicca Afin d’avoir une idée plus précise de ce qu’est le Néo-paganisme ainsi que la Wicca, nous allons nous intéresser aux définitions de Starhawk78 dans sa colonne du Washington Post79 ainsi qu’au texte de Dale Wallace80, « Pagans at the Parliament »81. Selon Starhawk, le terme « païen » est issu d’une racine latine désignant une unité territoriale et qui signifie « la terre » ou encore « la campagne ». Il faisait référence aux personnes qui ont conservé les traditions locales, les enseignements basés sur la terre même après l’apparition des religions basées sur un livre. Les païens des temps modernes utilisent ce terme pour qualifier les personnes qui suivent les traditions de la terre, la nature, traditions originaires d’Europe et du Moyen-Orient. Certaines personnes utilisent le terme néo-païen pour distinguer des païens les pratiquants contemporains. Pour les païens, le sacré est immanent, incarné dans le monde naturel dont les humains font partie, et exprimé à travers les cycles de la naissance, la croissance, la mort et la régénération. Dans son étude, Wallace présente les visions et croyances des païens qui ont participé au Parlement des Religions du Monde qui s’est déroulé à Barcelone en juillet 200482. C’est un forum 78 Née Miriam Sismos, Starhawk est une écrivain, pratiquante de la Wicca et activiste américaine, considérée comme l’une des principales théoriciennes du mouvement de la Déesse. Principaux ouvrages : The Spiral Dance: A Rebirth of the Ancient Religion of the Great Goddess, San Francisco, HarperSanFrancisco, 1979, 1989, and 1999 editions ; The Twelve Wild Swans: A Journey to the Realm of Magic, Healing, and Action, (avec Hilary Valentine) San Francisco, HarperSanFrancisco, 2000 ; Webs of Power: Notes from the Global Uprising, Victoria, Canada; New Society Publishers, 2002. 79 Voir http://onfaith.washingtonpost.com/onfaith/panelists/starhawk/2006/11/some_basic_definitions.html 80 Sociologue spécialiste des études sur le paganisme, en particulier en Afrique du Sud. 81 Dale Wallace, « Pagans at the Parliament », Agenda, No. 61, Religion & Spirituality (2004), p. 80-84 82 Ce parlement fut le 5e dans l’histoire. Deux autres parlements des religions ont eu lieu depuis. Cette initiative qui date de la fin du 19e siècle a été réitérée en 1988 et continue depuis lors. Les parlements sont organisés par le Council for a Parliament of the World's Religions, créé pour cultiver l’harmonie et le respect entre les différentes religions du 37 où les communautés religieuses et spirituelles du monde réfléchissent aux problèmes critiques auxquels l’humanité fait face. Selon Wallace, le néo-paganisme est une branche du New Age qui se répand plutôt rapidement dans l’Europe de l’Ouest et qui comprend une variété de traditions unifiées par la conception de la sacralité de la nature, embrassant les aspects féminins du divin. Ces traditions ont émergé dans les années 1950. Les païens ont deux croyances principales : - La centralité de la terre, de la nature et la reconnaissance sont associées au divin comme étant immanent dans le monde matériel - Le féminin divin est intrinsèque à la vue du monde des païens Le paganisme peut être polythéiste, animiste, panthéiste … selon la vision personnelle du pratiquant : étant dans la mouvance du New Age, il reste relativement libre et ouvert quant aux croyances personnelles du chacun. De ce fait, certains élèvent la déesse au-dessus du dieu, d’autres honorent les divinités masculines et féminines de façon égale. D’autres encore vénèrent une divinité sans référence anthropomorphique. Mais peu de pratiquants suivent une tradition qui prône la centralité d’un seul dieu masculin. Tous acceptent le masculin et le féminin dans l’énergie divine. Un point central dans la croyance des païens est la découverte ainsi que le rétablissement de la Déesse dans la religion83. Celle-ci peut prendre diverses formes dont celle de la Déesse-Terre qui est prédominante. Elle connecte les humains avec la sacralité de la terre, et personnifie cette sacralité en « féminin divin » et plus précisément en « Mère ». Les païens honorent donc le féminin comme la source naturelle de la fertilité. Les différents modèles de déesses apportés par le paganisme participent à la création de différents modèles d’identité féminine. monde et encourager chaque religion à s’engager et à promouvoir la paix dans le monde ainsi que la protection de l’environnement pour une planète durable. 83 Pour exprimer cette idée, Wallace reprend une citation de Angie Buchanan, une activiste païenne: « My mother taught us that God, the creative source, was female; a woman and Goddess who manifested herself in the natural cycles of the Earth, of life being evident in the rising and setting of the sun, the phases of the moon, life and death, and much of what we learnt predates most of the mainstream religions today. She came before, She always has been, and continues unbroken. » p.81 38 Par exemple, la tradition revendiquée de Starhawk a inspiré plusieurs wiccans féministes. La Wicca ou sorcellerie, aussi appelée « The Craft84 » en anglais est la branche la plus importante et la plus connue du paganisme contemporain. Selon Starhawk, « Wic » est issu d’une racine anglo-saxonne signifiant plier, tourner. Les sorcières étaient des shamans, des guérisseuses, des mediums… qui pouvaient « faire plier ou tourner votre destin », le changer suivant leur volonté. Les persécutions des sorcières menées par les chrétiens aux 16e et 17e siècles ont laissé une image négative de celles-ci, charriant peur et incompréhension : elles sont associées à la magie noire et au culte du diable. Cependant, les sorcières identifient Satan, ou le diable, à une construction de la théologie chrétienne qui n’a pas sa place dans leur religion. Elles vénèrent la Déesse sous différents noms et apparences, en incluant les dieux masculins. Le Dieu Cornu85 est la personnification de l’énergie de la force vitale chez les animaux et la pleine nature. Pour les sorcières, la nature est l’équivalent d’un texte sacré attribué aux religions traditionnelles. Elles pratiquent la religion à travers les cérémonies et les rituels, traditionnellement au sein de groupes restreints, mais aussi au sein de rassemblements plus larges aujourd’hui. Les percussions, la danse, la méditation, la poésie, l’art, la transe, les histoires, la canalisation de l’énergie caractérisent les rituels. Les hommes peuvent aussi être des « sorcières » (en anglais, « witch » qualifient les femmes sorcières et les hommes sorciers.). Wallace affirme que les wiccans élargissent la notion de « Déesse-mère de la terre » au corps tout entier. Ainsi, les femmes qui ne veulent pas centrer leur identité dans la fertilité et la maternité ont d’autres options pour l’exprimer, notamment à travers le corps, l’esprit et l’intellect. La religiosité centrée sur la déesse corrige le système patriarcal qui dénigre la terre, le corps et la femme. C’est pourquoi les féministes wiccans affirment que les déséquilibres entre genres sont un résultat direct des religions patriarcales qui perpétuent dans la société la domination et l’exploitation du matériel, de la terre, et donc des femmes. Selon les wiccans, une nature qui n’est pas dotée de sens fournit une justification idéologique pour la domination ; cette mentalité est directement reliée à la misogynie. Si un Dieu masculin exerce sa domination sur le monde, la société est forcée de le refléter. Les païens se préoccupent aussi des conséquences qu’a provoquées la domination masculine sur les hommes tels que la dureté de l’entrainement patriarcal dans le but de préparer le fils à un monde fait de compétitions entre hommes. 84 85 Ce terme peut être traduit par l’art, l’habileté, ou encore le métier. Souvent représenté par un cerf, une chèvre ou encore un taureau. 39 Les païens rejettent la séparation entre matériel et spirituel, divinité et humanité : ils soulignent le besoin d’une relation verticale, participative avec le divin. Ils brouillent la frontière entre le sacré et le terre-à-terre et perçoivent la nature comme une immanence divine dans laquelle ils peuvent s’engager. Les païens s’intéressent davantage à la pratique qu’à la croyance : pour eux, l’engagement envers le divin est facilité à travers les rituels. Selon Wallace, le paganisme connait une croissance importante en Afrique du Sud depuis 1996. Il le justifie par le fait que le paganisme affirme la femme face à l’homme, la valorise et lui fournit un rôle de leader spirituel. Cette religion non dogmatique remet en question plusieurs positions dominantes et stéréotypes concernant notamment le genre et la sexualité jusqu’à les inverser. Ces deux auteurs nous montrent bien que l’idéologie même du néo-paganisme et en particulier de la Wicca est entièrement anti-patriarcale. La vénération d’une déesse à laquelle les femmes peuvent s’identifier est l’apogée de la sacralisation du féminin, une théologie aux antipodes de nos religions traditionnelles. Nous allons maintenant essayer de voir si dans la pratique, la Wicca est capable d’autonomiser les femmes aussi bien qu’elle les honore et si ce NMR est une révolution permettant de libérer les femmes du joug de la domination masculine. II) Le mouvement de la Déesse : une pratique religieuse permettant la valorisation de l’identité féminine Mary-Jo Neitz86 est une sociologue féministe qui s’est beaucoup intéressée aux pratiques wiccanes ainsi qu’à la problématique du genre. La seconde vague féministe a dénoncé la religion patriarcale comme une institution clé du contrôle social des femmes, particulièrement à travers le contrôle de la sexualité féminine. Elle affirme ainsi qu’il est impossible d’étudier la religion et les genres sans traiter les problèmes de sexualité notamment en ce qui concerne les normes et 86 Sociologue américaine et professeur à l’université du Missouri, spécialisée en sociologie du genre et de la religion. Principales publications : Religion and the Social Order: Sex, Lies and Sanctity: Religion and Deviance in Contemporary North America Vol 5, Emerald Group Publishing Limited, 1995, 282p; Sociology On Culture (avec Battani, Marshall and Hall, John R.), Routledge, 2003; Charisma and Community: Study of Religious Commitment within the Charismatic Renewal, Transaction Publishers, 1987 40 pratiques sexuelles, le contrôle social, et la déviance sexuelle présumée. Malgré les changements observés dans les pratiques de genre, nous vivons dans une « culture hétérosexuelle institutionnalisée », une « hétéronormativité ». Cependant, les réalités sont différentes au sein des groupes wiccans : ce qui est considéré comme une déviance dans le monde traditionnel peut devenir la norme au sein d’un NMR. Dans son étude « Queering the Dragonfest: Changing Sexualities in a Post-Patriarchal Religion »87, Neitz nous relate ses observations lors de son étude socio-anthropologique qu’elle a menée en 1987 puis en 1996 lors du festival néo-païen Dragonfest88 (Etats-Unis). Avant de rentrer plus en détail dans l’étude de Neitz, nous allons nous intéresser aux analyses de Jon Bloch89 dans son étude « Countercultural spiritualist’s perceptions of the Goddess »90. Bloch note une tendance à la privatisation de l’expérience religieuse hors de l’institution sociale. Les mouvements alternalistes et contre-culturels représentent bien cette tendance pour la croyance et la pratique religieuse. Il y a pourtant une communauté spirituelle contre-culturelle qui se manifeste aussi bien dans les festivals que dans la littérature, qui partage des opinions sur des problèmes publics, et qui perçoit la spiritualité comme un moyen de se changer elle-même. Ces individus pourraient être assimilés à ce que Weber appelle « le groupe de status »91, un petit groupe d’individus dont le point commun est basé sur des idées, des croyances, des inquiétudes partagées par cette communauté et qui transcendent les classes traditionnelles et les frontières organisationnelles. Le festival Dragonfest que Neitz a étudié est un exemple flagrant de cette analyse : les participants ne perçoivent pas les différences d’origine ethnique, d’âge, ou de sexe chez les uns les autres : ils se définissent tous comme individu et créent leurs propres normes. 87 Mary-Jo Neitz, « Queering the Dragonfest: Changing Sexualities in a Post-Patriarchal Religion», Sociology of Religion ,Vol. 61, No. 4, Special Issue (Winter, 2000), p. 369-391 88 Le festival est une retraite spirituelle annuelle (mois d’aout) destinés aux pratiquants wiccans et néo-paëns qui a lieu en camping dans les montagnes du Colorado. Pour plus de détails, voir le site internet : http://dragonfest.org/ 89 Sociologue américain, professeur à la Southern Connecticut State University, spécialisé en sociologie des religions et sociologie du genre. Principales publications : New Spirituality, Self, and Belonging: How New Agers and Neo-Pagans Talk about Themselves, Religion in the Age of Transformation, 1998 ; The Bipolar Relationship: How to understand, help, and love your partner (avec Bernard Golden et Nancy Rosenfeld), Adams Media, 2009 90 Jon P. Bloch, « Countercultural Spiritualists' Perceptions of the Goddess », Sociology of Religion, Vol. 58, No. 2 (Summer, 1997), p. 181-190 91 Bloch utilise le terme anglais de « status group » 41 Neitz analyse donc son expérience au festival Dragonfest sous l’angle du genre et de la sexualité. Elle note une véritable évolution en neuf ans : de plus en plus de rituels pratiqués lors de ce festival sont réservés aux femmes. Bien que la plupart des féministes, lesbiennes et gays pratiquent des rituels de même sexe, la majorité des participants préfèrent cependant soutenir une égalité homme/femme lors de ces rituels pour favoriser l’équilibre des énergies, exprimer les qualités des deux genres. Neitz observe une véritable connexion entre les pratiquants néo-païens et leur soutien pour l’égalité des femmes. Certaines femmes pensent que le paganisme les affirme en tant que telle et les incite à exprimer leur féminité d’une manière différente que celle institutionnalisée par la culture occidentale. Cette nouvelle féminité ne conforte pas les normes de genre traditionnelles : elle est confortable à la femme, et lui correspond. Pour le paganisme, les hommes sont aussi emprisonnés dans les normes de genre et soumis aux attentes pressantes d’une société exerçant la domination masculine. Les néo-païens vénèrent le lien spécifique qui relie les femmes et la Déesse; être femme confère un avantage, une supériorité dans le monde sacré de la Wicca : le pouvoir de donner la vie92. Les hommes ont cependant un rôle dans la procréation et peuvent s’identifier à l’amant de la Déesse. Neitz accorde une grande importance aux pratiques sexuelles dans l’étude des normes de genre et a donc consacré une partie de son étude aux rituels wiccans qui reproduisent l’acte sexuel. Nous allons nous aider des analyses de Weber pour faire un parallèle avec les normes sexuelles instaurées par les religions traditionnelles afin d’étudier leur impact sur les rôles de genre. A l’époque de l’instauration des grandes religions, les pratiques sexuelles et les unions sont devenues de plus en plus règlementées et condamnées. La chasteté des prêtres reste un symbole fort de cette règlementation : l’acte sexuel est considéré comme irrationnel et peut mettre en danger la vigilance ascétique rationnelle et la conduite de vie méthodique du prêtre. Ainsi le charisme du prêtre (ou sa « magie ») ne peut pas se transmettre par l’hérédité et lui reste 92 « You need to have a balance. It is not that one is better than the other. But we believe the feminine is a little bit more important than the masculine. That is because women give birth. And you have to have birth before you can have death. Birth comes first. You have to have birth and then the rest follows. So that gives her a very slight edge. We know that a long time ago people worshiped the goddess. This was before anyone knew anything about the male role in procreation. All we knew was of the female role. And so when we worshiped a divinity it was female after the female part in creating new life. » Extrait d’une interview entre Neitz et un néo-païen au festiv al Dragonfest p.382 42 unique. Les pratiques orgiaques des anciennes religions païennes avaient favorisé une relative émancipation des femmes. Mais les grandes religions modernes ont transformé la femme en tentatrice, l’ont qualifié d’hystérique et soumise à ses émotions : elle représente un danger pour la chasteté de l’homme, et en particulier du prêtre. Depuis le 19e siècle, on assiste dans nos sociétés au développement des relations extraconjugales ainsi que des unions hors mariage. Cette nouvelle conjugalité induit souvent une plus grande réciprocité du lien « amoureux » entre femmes et hommes, la création d’une relation entre genres plus égalitaire, ainsi que la valorisation du plaisir féminin. Selon Weber, la libération sexuelle est indissociable du recul du religieux et de la levée des tabous. Nous pouvons donc supposer que la libération sexuelle, l’émancipation sexuelle peut être une stratégie de subversion des normes de genre. Neitz nous confirme cette hypothèse lors de sa description des rituels sexuels pratiqués par les wiccans. Selon eux, l’union sexuelle entre le Dieu et la Déesse peut être reproduite lors des rituels par un prêtre et une prêtresse. L’acte est aussi perçu comme un moyen de faire monter le pouvoir, ou de produire l’extase divine qui est leur base de la pratique religieuse. Cependant, les rapports sexuels se déroulent rarement lors des rituels publics. Le sexe porte une dimension symbolique importante pour les wiccans : ils utilisent des épées, couteaux, ou encore des bougies qu’ils plongent dans des calices. Les hommes lors des rituels portent des cornes sur la tête, symboles de l’identification des hommes avec le Dieu cornu. L’homme est en premier lieu l’époux de la déesse (et non un chef ou un protecteur), lui apporte du plaisir et donne la semence à sa fertilité. Les cornes sont une représentation de la virilité et une affirmation de la sexualité. Les dieux cornus Pan93 et Dionysos94 rappellent la célébration d’une sexualité extatique, du corps comme une route vers l’extase. Les cornes dans le patriarcat symbolisent le diable, un homme ne pouvant contrôler la sexualité de sa femme, son épouse, ou sa fille. Ces représentations néopaïennes s’opposent donc aux enseignements des religions traditionnelles et patriarcales qui prêchent la vision d’un corps devant être contrôlé, ou nié pour parvenir à l’état spirituel. Les cornes peuvent aussi être portées par les femmes : elles sont un moyen de proclamer leur virilité, 93 94 Dans la mythologie grecque, Pan est le dieu de la nature, des bergers et des troupeaux. Dans la mythologie grecque, Dionysos est le dieu de la vigne, du vin et de ses excès, mais aussi du théâtre et de la tragédie. Il a été adopté dans le panthéon romain sous le nom de Bacchus. 43 leur sexualité pour faire ployer de façon consciente les normes de genre et transgresser la sexualité binaire. Les cornes portées par les hommes et par les femmes franchissent une barrière qui définit une sexualité séparée comme féminine et comme masculine. Les rituels peuvent être pratiqués en tenue d’Eve et Adam, comporter des échanges de baisers symboliques. La Déesse représente la vie et la naissance ; le Dieu la mort, nécessaire à la renaissance. Le Dieu ne possède jamais réellement la déesse, car il meurt à l’automne et renait de la Déesse éternelle95. Ainsi, l’identification des femmes à cette Déesse autonome leur permet une appropriation de leur corps, et une autonomisation de leur sexualité. Le néo-paganisme encourage une évaluation positive de l’expression sexuelle masculine et féminine. Celle-ci donne aux pratiquants une base pour imaginer une sexualité post-patriarcale. En 1987, les pratiques étaient davantage genrées : il y avait un besoin évident d’avoir un équilibre entre énergies féminines et masculines. Neitz cite le travail d’Adrienne Rich, « Compulsory heterosexuality and lesbian existence »96 pour affirmer que le contrôle de la sexualité des femmes sous le patriarcat est accompli à travers l’hétérosexualité normative. En vérité, l’hétérosexualité n’est pas un don naturel : elle est imposée aux femmes par le patriarcat. Les croyances post-patriarcales ouvrent les pratiques sexuelles entre 1987 et 1996 notamment avec une augmentation de la présence des gays, lesbiennes, et féministes qui ont redéfini l’équilibre des genres. Ce changement ne s’est pas fait sans réticence : Neitz nous apprend que dans les années 1990, les pratiques des rituels avec la présence d’un seul genre, ainsi que les ateliers gays et lesbiens ont amené des tensions. L’évolution du festival, ainsi que son ouverture à la communauté LGBT97 ne s’est pas fait d’un seul coup. Neitz affirme que nous vivons toujours dans une culture où l’hétérosexualité est prise pour acquis et continue à définir les normes de genre. Mais aujourd’hui, grâce à cette ouverture, les wiccans peuvent concevoir une hétérosexualité post-patriarcale, qui se soustrait à la norme hétéro-homo binaire. 95 « Goddess is life and birth; the God is death, but death seen as necessary and leading to rebirth. In spring the god is a pan figure, young and playful, but sexual. In summer the god is often visualized as the stag, magnificent and powerful. Yet, he never possesses the goddess - it is he who dies in the fall, to be reborn of the eternal goddess. » p. 383 96 Adrienne Rich, « Compulsory heterosexuality and Lesbian Existence », Blood, Bread, and Poetry, Norton Paperback: New York 1994 97 LGBT est l’acronyme de la communauté « Lesbienne, Gay, Bisexuel, Transgenre ». Ce terme est en général utilisé pour désigner les personnes non hétérosexuelles. 44 Ces auteurs nous montrent ainsi que la Wicca fait preuve d’une théologie particulière qui permet la sacralisation du féminin. Cet anthropomorphisme de la Déesse qui est souvent vénéré dans le néo-paganisme valorise l’identité féminine et réfute les stéréotypes patriarcaux des idéologies religieuses traditionnelles. Les femmes peuvent s’épanouir dans un environnement propice à leur autonomisation et développer une spiritualité qui se libère des normes de genre traditionnelles. III) La spiritualité féminine, un apport de bénéfices collectifs continus à la communauté de sœurs Nous allons maintenant prendre du recul par rapport à l’étude théologique et anthropologique de la Wicca afin de revenir sur des observations de nature plus sociologiques, et notamment sur l’influence de la Wicca hors de l’environnement religieux. Dans « Ideology, autonomy and sisterhood : an analysis of the secular consequences of women’s religions »98, Suzan Starr Sered99 s’intéresse aux religions de femmes et notamment à leur impact sur l’environnement séculier des femmes. Sered définit les religions de femmes comme les religions, cultes et sectes dans lesquels les femmes représentent la majorité des participants et des leaders. De plus, une indépendance institutionnalisée au sein de celle-ci doit être reconnue par rapport au cadre ou à l’environnement organisationnel plus large et dominé par les hommes. Sered n’identifie qu’une douzaine de religions connues dans le monde correspondant à cette définition dont ce qu’elle nomme « le mouvement de la spiritualité féminine dans les Etats-Unis du XXe siècle » (dans lequel elle inclut la Wicca). Ces religions fournissent à chaque femme des rituels obligatoires avec un système de 98 Susan Starr Sered, « Ideology, Autonomy, and Sisterhood: An Analysis of the Secular Consequences of Women's Religions », Gender and Society, Vol. 8, No. 4 (Dec., 1994), p. 486-506 99 D’origine israélienne, professeur à l’université Suffolk et sociologue spécialisée dans l’étude des religions et genre, ainsi que l’étude de la santé des femmes, leur maladies et leur soins. Principales publictions: What Makes Women Sick?: Militarism, Maternity and Modesty in Israeli Society, University Press of New England, 2000; « Holistic Sickening: Breast Cancer and the Discursive Worlds of Complementary and Alternative Practitioners »,” (avec Amy Agigian), Sociology of Health and Illness, 2008, 30(4): p. 616-631.; « Gender Overdetermination and Resistance: The Case of Criminalized Women », (avec Maureen Norton-Hawk), Feminist Theory 12 (3): p. 317333. 45 croyances, des liens et obligations extra-domestiques, et des circonstances personnelles temporairement améliorées. Certaines religions peuvent même apporter des bénéfices collectifs structurels de long terme aux femmes. Selon Sered, le choix des femmes pour ces religions est souvent volontaire : elles sont donc conscientes des avantages qu’elles apportent. Sered identifie parmi ces religions de femmes deux modèles 100 : - Modèle 1 : les religions qui apportent des intérêts individuels et temporaires Ce modèle représente les religions qui allègent les problèmes individuels spécifiques des femmes sur le court terme. La maladie reste le problème qui conduit le plus souvent les femmes à s’engager dans une religion. Le rituel clé de la plupart des religions appartenant à ce modèle est celui de la possession spirituelle. Il mystifie la source d’oppression des femmes, absout les femmes possédées de toute responsabilité lorsqu’elles défient l’oppression patriarcale. Ce modèle tend à apparaitre dans les sociétés où les femmes ne se forment pas en communauté de sœurs. Les membres se rencontrent à l’occasion des rituels puis partent chacun de leur côté. Les sociétés de ce modèle n’accordent que peu d’indépendance économique aux femmes et contrôlent leur sexualité et fertilité. Ce modèle aide les femmes à surmonter l’isolation, fournit des rituels de guérison, et permet aux femmes de négocier avec leurs maris. Mais les effets à long terme restent mineurs, et représentent le résultat cumulatif des effets de court terme (non un changement structurel). En effet, les avantages de court terme finissent par diminuer le pouvoir des femmes constituées en groupe car elles réconcilient les femmes individuelles avec leur impuissance. - Modèle 2 : les religions qui apportent des intérêts collectifs continus Ces religions forment ou renforcent une base de pouvoir permanente de laquelle les femmes peuvent améliorer leur situation collective. Les pratiquants de ces religions sont des femmes qui vivent à proximité les unes des autres ou qui ont divers engagements les unes envers les autres, engagements qui vont durer toute une vie. Les sociétés concernées par ces religions présentent un degré important d’indépendance économique et accordent une grande autonomie quant à la sexualité et la fertilité des femmes. La maladie et la possession spirituelle sont plutôt 100 Voir annexe 3 p.74 du mémoire 46 périphériques à ces religions. Ces religions tendent d’abord à élaborer, et à institutionnaliser les différences de genre et la ségrégation sexuelle. Ce modèle fournit aux femmes une assistance de court terme mais leur donne également une base de pouvoir permanente pour protéger leurs intérêts collectifs. Les bénéfices individuels conduisent à l’autonomisation et la responsabilisation des femmes. Sered classe la spiritualité féminine au sein du second modèle. Par contre, elle classe le spiritisme101 (NMR dans la mouvance New Age) au sein du premier modèle. En effet, le spiritisme a contribué à donner de la visibilité aux revendications féministes, au XIXe siècle mais non au XXe siècle102. Sered nous montre ainsi que ces deux modèles ne sont pas exclusifs : ils peuvent être perçus comme un continuum. De plus, les religions reflètent, définissent, et forment les autres institutions sociales. Nous allons donc nous servir de l’étude de Sered pour approfondir les différences entre deux NMR faisant partie des religions de femmes et de la mouvance New Age (le spiritisme et la spiritualité féminine) qui sont eux-mêmes représentatifs des deux modèles proposés. Concernant le spiritisme, Sered affirme que, du fait de sa classification au sein du premier modèle, il n’apporte qu’un soulagement temporaire à la femme en tant qu’individu (et non au sein d’un collectif) face à l’oppression patriarcale. Dans les cercles spirituels du Pays de Galles contemporain, les problèmes émotionnels sont expliqués ou résolus à l’intérieur des confins imposés par les rôles féminins traditionnels : le spiritualisme les aide à accepter une situation ne 101 « Le Spiritisme est à la fois une science d'observation et une doctrine philosophique. Comme science pratique, il consiste dans les relations que l'on peut établir avec les Esprits ; comme philosophie, il comprend toutes les conséquences morales qui découlent de ces relations. On peut le définir ainsi : Le Spiritisme est une science qui traite de la nature, de l'origine et de la destinée des Esprits, et de leurs rapports avec le monde corporel. » Extrait de Allan Kardek, Qu’est-ce-que le spiritisme ? (Préambule) Ouvrage disponible intégralement en ligne : http://spirite.free.fr/ouvrages/qs0.htm 102 « While I certainly agree with Ann Braude's (1989) contention that nineteenth-centuryS piritualism "helped a crucial generation of American women find their voice" (p. 201), twentieth-century Spiritualism has not served any such structural functions. Once women's suffrage had become a reality, neither Spiritualism nor Christian Science remained active in feminist struggles. » p. 488 47 permettant pas d’alternative103. Au contraire, le second modèle apportera de réels bénéfices de court terme et de long terme aux femmes. Pour classer les religions de femmes au sein du premier et du second modèle, Sered nous donne cinq facteurs d’identification des modèles et de leur apparition. - Une communauté de sœur puissante Au sein du modèle 1, les femmes se rencontrent périodiquement pour former des groupes rituels. Au sein du modèle 2, les femmes vivent ensembles ou ont une association de longue durée (souvent à vie) les unes avec les autres. Les relations extensives et continues entre ces femmes favorisent la récolte de davantage de bénéfices. Les « sœurs » sont des actrices cruciales pour la pratique des rituels. Les féministes spirituelles louent, prient une communauté de sœurs femmes. Elles déclarent que cette communauté de sœurs est pleine de pouvoir. « Sisterhood »104 est l’expression symbolique d’une unité et d’un pouvoir structurel105. - L’indépendance économique Dans les sociétés où les femmes n’ont que peu ou pas de pouvoir économique, les religions des femmes ne servent les intérêts de celles-ci que de façon temporaire. Lorsque les femmes sont exclues des rôles économiques qui permettent de produire et contrôler les biens ayant une valeur d’échange, le statut des femmes reste bas sur l’échelle sociale. Dans le modèle 2, les femmes travaillent, produisent des biens et services. Une valeur sociale leur est ainsi attribuée. Cette indépendance économique est un prérequis pour pratiquer une religion de femme car elle leur permet de payer pour leur propre rituel. Le statut des femmes serait le plus bas dans les sociétés où la division est affirmée entre le public et le domestique et 103 Sered justifie son exemple par une citation de Skultans : « Indeed, this is where the contribution of spiritualism lies. For the weekly repetition of healing activities and the exchange of messages from "spirit" constitute a ritual of reconciliation to a situation which does not permit any radical alternatives to itself.... [It] helps women to accept a traditionally feminine role, which they frequently find frustrating and difficult (Skultans 1974,4-5).” 104 Nous pouvons traduire ce terme par « communauté de sœur ». 105 « In all of the model 2, Ongoing and Collective Interests, religions, sisters are crucial ritual actresses […]. Feminists, including Spiritual Feminists, praise the universal sisterhood of women, declaring that "Sisterhood is Powerful!" ». p.493 48 dans lesquelles les femmes sont essentiellement associées à la sphère domestique. Dans le modèle 2 les femmes se déplacent librement de la sphère domestique à la sphère publique. L’indépendance économique mène aux religions qui offrent aux femmes des bénéfices de long terme y compris une plus grande indépendance économique. Un des rôles de la femme dans le modèle 2 est de protéger et légitimer la liberté économique des femmes. - Le contrôle de la sexualité et de la fertilité Toutes les religions de femmes encouragent du moins implicitement certaines mesures d’indépendance et de pouvoir pour les femmes concernant leur sexualité. Cependant, le degré d’indépendance varie : il est reflété par la capacité de la religion à promouvoir sur le long terme les intérêts collectifs des femmes. Sered défend l’idée que le contrôle des hommes sur la sexualité des femmes représente toutes les formes d’oppression patriarcales : politiques, économiques et religieuses. Le sexe, de par son association à l’intimité et à l’amour, mais aussi de par sa nature physique, est la manière la plus possessive, directe, privée et intrusive d’exercer le contrôle et le pouvoir. Sered rejoint ainsi les analyses de Neitz sur le fait que les pratiques sexuelles sont essentielles dans la compréhension des normes de genre. Le modèle 1 regroupe les sociétés où les femmes n’ont peu voire pas de contrôle sur leur fertilité et leur sexualité. Les religions n’ont aucun pouvoir pour aider les femmes à augmenter ce contrôle. Le modèle 2 regroupe à l’inverse les sociétés où les femmes sont en plein contrôle de leur sexualité et de leur fertilité. Sered nous donne l’exemple des sociétés ou se développent les mouvements du féminisme spirituel : les femmes peuvent être hétérosexuelles et ont accès aux moyens médicaux de régulation des naissances106. L’activisme politique des féministes contemporaines s’est concentré sur des problèmes directement liés au contrôle des femmes sur leur corps : les centres de crise pour viols, les refuges pour femmes battues, les organisations « 106 « Similarly, Spiritual Feminism is situated in a society in which women, to a large extent, control their own fertility and sexuality. Birth control is available, abortion is legal, women are rarely killed for sexual "transgressions," and, at least in large cities and university towns, women can opt for nonheterosexual lifestyles. » p.497 49 pro-choice »107. Le féminisme spirituel procure un soutien idéologique et spirituel pour le contrôle des femmes sur leur fertilité et leur sexualité. - L’idéologie de genre Les deux modèles ont une tendance à accepter culturellement les notions dominantes de genre. Les religions dans les deux modèles tendent à réinterpréter ces notions de manière à montrer que les femmes sont davantage à l’écoute de leur spiritualité que les hommes. Pour le modèle 2, le genre est une catégorie cruciale plus structurelle et plus religieuse que pour le modèle 1. Ce qui distingue les deux modèles, c’est le degré d’élaboration et d’institutionnalisation des idéologies de genre. Sered nous donne l’exemple des féministes spirituelles concernant le modèle 2 quant à l’idéologie de genre. Les féministes spirituelles ont élaboré une histoire sacrée dans laquelle le genre est une force mouvante. Autrefois, partout dans le monde, les individus vivaient en harmonie avec la nature, les autres êtres humains et le cosmos. Ils expriment l’image de la bienveillance, de la générosité, de la fertilité mystique et magique de l’univers à travers le symbole de la déesse-femme qui produit et nourrit la vie. Pendant cette époque, la hiérarchie des genres n’existait pas ou l’orientation humaine était matriarcale. La résistance des femmes à travers les âges est ce qui a empêché le patriarcat d’éradiquer totalement les vestiges et mémoires de la culture non-patriarcale108. Selon Sered, la véracité de ce scénario n’est pas un problème pour les féministes spirituelles. Leurs écrits élaborent le genre comme une force de l’histoire, une catégorie culturelle et une métonymie pour le bien et le mal. - Le pouvoir de l’idéologie Les religions au sein du modèle 1 expriment des avis sur les conditions des genres. Cependant elles ne font rien pour institutionnaliser les revendications de genre ni ne développent des structures institutionnelles ou théologiques pour aider les femmes à gérer les problèmes de genre. 107 Organisations militant pour le choix de l’orientation sexuelle. Sered utilise une citation de Spretnak pour illustrer ce scenario (p.498) : « The elemental power of the female was the cultural focus as far back as we can trace. At the moment this awe turned to envy, resentment, and fear, patriarchy was born. Why or how we do not know.... The objective of patriarchy was and is to prevent women from achieving, or even supposing, our potential... They [patriarchy] almost succeeded. (Spretnak 1982,x ii) » 108 50 Ces religions interprètent la souffrance des femmes comme les rendant spirituellement plus sensibles et les aident à l’accepter. Dans le modèle 2, l’attention est explicitement portée aux genres. Les femmes sont majoritaires au niveau des pratiquants des religions ainsi que des leaders. L’ensemble de ces religions se déploit dans un contexte culturel sexiste : si ces religions proclament que les hommes et les femmes sont semblables, leur idéologie sonnerait faux.109 Les différences de genre apparaissent comme réelles, et les religions féministes permettent aux femmes de les rehausser. Cette réinterprétation des différences offre aux femmes une idéologie réaliste et leur permet de s’autonomiser et se responsabiliser. Cette stratégie sert les intérêts des femmes et renforce leur domination sur des ressources culturelles importantes en institutionnalisant les idéologies des différences de genre. - La maladie et la possession spirituelle Beaucoup de femmes rejoignent les religions du modèle 1 à cause de la maladie, de la souffrance, de la faiblesse et d’un manque de pouvoir ce qui n’est pas le cas du modèle 2. Les leaders ont typiquement souffert et ont réussi à surmonter de façon dramatique la malchance et la mauvaise santé. Au XIXe siècle, les femmes tournaient les maladies à leur avantage, soit comme moyen de contraception, soit pour obtenir davantage d’attention de leur famille. Cette attitude correspond aux femmes des religions appartenant au modèle 1 : la maladie leur permet d’avoir une forme de répit face à une situation familiale intolérable. Elles peuvent également l’utiliser comme une opportunité de partir de la maison pour une période courte et rencontrer d’autres femmes dans des situations semblables. A la différence des communautés de sœurs, qui communalisent les problèmes des femmes pour obtenir des bénéfices collectifs, la maladie individualise les 109 « In other words, if these religions were to claim that men and women are the same, no one would believe them anyway! Gender differences seem to be so obviously "true," that enhancing or reinterpreting those differences offers women an ideology that is both believable and empowering. Denying those differences might make intellectual sense, but lacks tactical sense. In a perfect world, gender might be a meaningless cultural category. In an imperfect world, it seems to serve women's interests to own a clearly bounded portion of the cultural map (cf. Eberhardt 1988, 8). » p.500 51 problèmes des femmes ainsi que les solutions apportées110. Une femme malade est traitée comme une invalide privée, et non comme une victime de l’oppression structurelle. Dans le modèle 1, la maladie a souvent une signification religieuse à cause de la possession des esprits. La maladie chronique est le signe que la victime doit trouver une sorte de compromis avec le monde des esprits. Sered affirme que la possession mystifie les réelles sources de tensions de la société et n’amène pas celle-ci à accorder des faveurs significatives aux femmes. En conclusion, Sered distingue le modèle 2 du modèle 1 par l’élaboration d’une idéologie de différence de genre et par la situation de cette idéologie dans un contexte structurel permettant aux femmes d’avoir un haut niveau d’autonomie. Proclamer que femmes et hommes sont différents ne suffit pas à apporter des bénéfices permanents aux femmes. Enseigner que les maladies ou les faiblesses des femmes sont un signe d’amour des esprits ne sert pas les intérêts collectifs. Cependant, une idéologie de différenciation des genres et qui promeut particulièrement la force féminine, dans le cadre d’une communauté de sœur partageant des engagements sur le long terme, couplée avec le contrôle des femmes sur leur sexualité et leur fertilité ainsi que des ressources économiques significatives permettent aux femmes de récolter des bénéfices collectifs de long terme. Nous pouvons donc affirmer grâce à l’étude de Sered que la Wicca est une religion de femme révolutionnaire et aide les femmes à lutter contre la société patriarcale. Sered nous montre également que c’est le contexte structurel dans lequel le NMR se développe qui va jouer sur ses objectifs et son impact. Les communautés wiccanes se forment au sein des sociétés développées économiquement et socialement, et dans lesquelles les femmes peuvent avoir une certaine autonomie financière et un contrôle sur leur corps. La Wicca ainsi que les autres religions de femmes appartenant au modèle 2 sont explicitement des moyens de lutte contre les problèmes de genre. Nous étudierons plus en détail dans la prochaine partie l’activisme féministe et le support 110 « Moreover, and this point has been well argued by both Skultans (1983, 23) and Owen (1981, 10) regarding Spiritualism, while illness may give one some sort of aura of spiritual prowess, the essence of illness is weakness, and it is difficult if not impossible for prowess defined by weakness to lead one into a role of true strength or authority. » p. 502 52 que les NMR relevant du New Age peuvent apporter dans le domaine de la lutte politique et sociale. IV) La Wicca, une religion contre-culturelle Pour conclure ce chapitre sur la Wicca, nous allons revenir sur les analyses de Woodhead qui classe ce NMR dans la catégorie des religions contre-culturelles. Woodhead définit une religion contre-culturelle comme marginale : celle-ci s’oppose à l’ordre sexué dominant et tente de le transformer. Le pouvoir sacré devient une ressource permettant de redistribuer le pouvoir entre les sexes. Selon Woodhead, l’objectif des wiccans est d’honorer le féminin sacré dans leur vie et dans la société. Bien qu’étant une branche du New Age, la Wicca se distingue des mouvements auto-spiritualistes holistes à maints égards. Dans la spiritualité holiste du New Age, les pratiquants de la quête spirituelle se soucient avant tout de la guérison et la transformation personnelle. Le mouvement de la Déesse a une visée plus politique et plus explicite. Elle met l’accent sur les pratiques rituelles et la cohésion des communautés, le culte du sacré féminin et le combat en faveur du pouvoir des femmes. Les pratiques rituelles sont au cœur de la vie de ces communautés. Le but est d’apprendre à fortifier le « soi » dans les relations aux autres et à la nature au lieu de le subordonner à un ordre supérieur, une organisation, ou encore une divinité fondés par les hommes. Ainsi le mouvement de la Déesse occupe une position contre-culturelle vis à vis du genre et du pouvoir. Les femmes sont majoritaires au sein de ces mouvements. Leur objectif non dissimulé est clairement l’essor de leur pouvoir. La Wicca opère ainsi une critique féministe des religions traditionnelles et permet la construction de nouveaux modes d’organisation, de nouvelles pratiques communautaires devant servir de nouveau modèle à la société en matière d’égalité des genre et dans la vie de tous les jours. Nous allons maintenant étudier dans une dernière partie dans quelle mesure les mouvements du New Age et plus particulièrement de la Wicca peuvent être un support au militantisme féministe et écologique. 53 54 SECTION 4 : Quel activisme politique au sein du New Age ? Les NMR, sources d’engagement politique ? I) Nous avons vu au cours de notre analyse que le New Age se définit comme un NMR alternaliste et dénonce les méfaits du monde moderne (capitalisme et progrès technologiques entre autres) nuisant à l’environnement, et amenant des inégalités entre les individus. Nous avons également étudié que le néo-paganisme, et en particulier la Wicca, sont des branches du New Age davantage vindicatives : leurs membres féministes luttent contre l’oppression masculine et sont très attentifs aux problèmes environnementaux. La question de cette dernière partie est de savoir si la participation à ces NMR favorise une action militante, voire politique, sur la scène publique. Pour cela, nous allons notamment nous servir des analyses de Nancy J. Finley111 tirées de son étude « Political Activism and Feminism Spirituality »112. Selon Finley, certains scientifiques pensent que la participation aux NMR renforce le conservatisme social, le narcissisme, le retrait et l’absorption de soi. Les participants vont donc interpréter la détresse humaine en termes psychologiques ou spirituels, et en écartent la dimension sociale de l’existence humaine. Ils perçoivent l’ordre social comme un acquis, ils s’isolent eux-mêmes de celui-ci ou essayent de le changer par des moyens inappropriés. Nous pouvons corroborer à cette théorie en citant les analyses de Sered : les religions de femmes classées dans son premier modèle ont cette vision du monde. De ce point de vue, les NMR n’auront que peu d’impact sur les mouvements politiques car ils ne sont que des objets individuels de consommation avec un pouvoir de transformation moindre. L’élément mystique diminue la possibilité des participants de défier le système avec des moyens politiques. Les NMR réduisent uniquement le stress de la vie sociale moderne, et leur impact se limite au niveau personnel. 111 Sociologue américaine, professeur à l’université d’Alabama. Principales publications: Skating Femininity: « Gender Maneuvering in Women’s Roller Derby », Journal of Contemporary Ethnography 39.4 (2010) p. 359-387; «Theories of Family Labor as Applied to Gender Differences in Caregiving for Elderly Parents », Journal of Marriage and Family, Vol. 51, No. 1 (Feb., 1989), p. 79-86 112 Nancy J. Finley, « Political Activism and Feminist Spirituality », Sociological Analysis, Vol. 52, No. 4, Religious Movements and Social Movements(Winter, 1991), p. 349-362 55 Finley dément ce constat : dépeindre les religions alternatives comme de simples calmants pour les désillusionnés politiques simplifie de trop la nature du changement social. La responsabilité personnelle est le catalyseur de l’inspiration et du changement de comportement. Cette conception peut aussi impliquer la responsabilité des autres et avoir des conséquences sociales : une conscience de l’interconnexion des conditions personnelles avec des conditions sociales plus larges, le souci des autres. Ainsi les liens pour la mobilisation politique sont possibles. Les quelques études empiriques ont démontré un fort taux d’engagement politique chez les adeptes des NMR113. Ces études suggèrent que les conditions sociales peuvent affecter la nature spécifique de la relation entre les croyances religieuses et la politique. Finley essaye donc de comprendre comment ces croyances sont transformées en action politique. La première variable de transformation serait selon elle l’efficacité. Elle la définit comme le fait que certaines personnes ressentent une certaine malléabilité de leur environnement et que ce dernier peut être changé dans la direction désirée par des actions, par la volonté personnelle, etc… De plus, ces personnes pensent que le système politique et ses activités peuvent être affectés par le citoyen. L’engagement politique et l’efficacité politique sont reliés de façon positive : l’efficacité politique s’accroit avec l’éducation, la participation aux associations. Elle est aussi déterminée par l’environnement de l’individu. Certains NMR ont des composants idéologiques et organisationnels qui accroissent cette efficacité. Par exemple, le concept de responsabilité personnelle présent au sein de nombreux NMR signifie que l’autorité finale (à laquelle il faut répondre) n’est autre que le divin à l’intérieur de soi. Cette conception de l’autonomisation peut accroitre le sens de « l’efficacité personnelle » et décroitre le fatalisme qui la rend inefficace. Ainsi la participation à ces mouvements peut augmenter l’estime de soi ce qui permet à l’individu de mieux affecter son monde social. Au lieu de pacifier l’individu, la transformation du soi peut le motiver pour un engagement politique. 113 « Wuthnow found high correlations between mystical scales and political activism. In examination of persons attracted to movements such as TM, Zen, and Yoga, he found higher political commitment than among other respondents in his sample (Wuthnow, 1981). These findings held after controlling for variables such as age, education, and father's political position. Stone found similar evidence among Human Potential groups (1981). Compared with other respondents in the Bay area, Human Potential participants offered social structural explanations for social problems more frequently and assigned blame to others less often. They also participated in political activities more often than other respondents, although it is difficult to tell if the participation amounts were affected by joining the movement”. p.351 56 L’efficacité personnelle mène à l’engagement politique. Mais il faut ajouter la question de la légitimité du système pour que l’engagement politique conduise à une véritable action politique. Les individus vont s’autoévaluer au sein d’institutions sociales, dont les institutions religieuses. S’ils estiment que le système distributif leur accorde une valeur inférieure à leur propre évaluation de soi, le système sera délégitimé à leurs yeux. En pensant qu’ils méritent mieux, les individus seront donc plus enclins à engager une véritable action politique. Ainsi, un accroissement de l’efficacité personnelle va accentuer les inégalités dans la distribution des récompenses sociétales, et va défier la légitimité du système pour finalement encourager un activisme orienté vers le changement. Certaines conditions doivent être présentes pour que la participation aux NMR puisse promouvoir un activisme de changement politique : - Le système de croyance spirituelle doit avoir une composante idéologique qui accroit l’efficacité personnelle - Les croyants doivent appartenir de façon majoritaire à un groupe qui est relativement en position de subordination au sein du système social. L’efficacité personnelle sera accrue et va défier la légitimité du système. I) Le New Age, une conception individualiste et spirituelle du changement Dans sa thèse « Le New Age aux Etats-Unis 1980 – 2000 »114, Elsa Bishop tente de déterminer si le New Age a des tendances révolutionnaires couplées avec une capacité d’action militante sur la scène publique. Pour Bishop, le New Age engendre une dynamique d’acquisition du pouvoir visant à réinvestir individus et groupes de leurs capacités de décision. Elle analyse les similarités du New Age avec différentes idéologies révolutionnaires. Dans l’idéologie anarchiste de Proudhon115 et Sorel116, il y a le refus des hiérarchies sociales et économiques, des structures, du respect de la propriété privée (car l’accumulation des 114 Elsa Bishop, Le New Age aux Etats-Unis. 1980 à 2000 - Le cas de San Diego, 2007 (http://theses.univlyon2.fr/documents/lyon2/2007/bishop_e ) 57 richesses est source d’attachement matériel), des institutions (considérées comme aliénantes et deshumanisantes), de la politique (car la transformation du monde passe d’abord par l’action immédiate). Bishop considère que cette idéologie possède beaucoup de similitudes avec le New Age mais en souligne également les différences. Le New Age refuse la violence comme moyen d’action, et lui préfère l’optimisme, le fait que la conscience universelle illuminera les individus de la terre qui comprendront les méfaits du monde moderne et agiront pour y remédier. De plus, l’anarchisme est une idéologie prônant l’athéisme, tandis que le New Age croit en la transcendance suprême au sein de chaque individu. Bishop s’intéresse ensuite au radicalisme qui correspondrait à une branche extrême du New Age, le mouvement éco-spirituel radical. Ses membres prônent le refus de l’anthropisation : la nature est bonne et l’homme ne peut que la dégrader. Bishop donne l’exemple d’Earth First !117 dont l’idéologie s’approche de l’éco-fascisme dans certain cas. Par exemple, leurs membres souhaitent une limitation de la population pour protéger la planète. Cependant, le radicalisme moderne doit opérer aujourd’hui au niveau des cultures et valeurs, et non au niveau politique. Les groupes de cette branche extrême du New Age sont plutôt fermés et leurs adeptes sont minoritaires. Ainsi, le New Age définit plutôt le pouvoir en termes de potentiel personnel. Il encourage une action culturelle et spirituelle, non une action violente. L’avènement de la mondialisation marque la principale transformation de la postmodernité et a amené de nouveaux jeux de pouvoir. Les conflits économiques et environnementaux préoccupent les New Agers proches des mouvements altermondialistes. Ces derniers dénoncent un système monétaire au détriment de l’humain, un empire médiatique corrompu, le contraste entre faim dans le monde et la malbouffe, l’exploitation de l’homme par l’homme ainsi que la destruction de l’environnement. 115 Pierre-Joseph Proudhon, théoricien, socialiste, journaliste français (1809-1865). Il considère que la révolution est vaine et propose une voie alternative pour défendre la liberté individuelle : l’anarchisme. Principaux ouvrages : Qu’est-ce-que la propriété ? (1840) ; Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère (1846) ; De la capacité politique des classes ouvrières (1865) 116 Georges Eugène Sorel (1847-1922), philosophe et sociologue français, célèbre pour sa théorie du syndicalisme révolutionnaire et principal introducteur du marxisme en France. 117 Organisation écologiste radicale apparue dans le sud-ouest des Etats-Unis en 1980, et aujourd’hui répandue mondialement. 58 En vérité, malgré la conception « mondiale » des problèmes que le New Age apporte, l’action sera effectuée au niveau local de la communauté. Bishop utilise le terme de « glocalisation »118. La démarche postmoderne des New Agers se situe plutôt dans l’alternatif que dans le refus. Leurs valeurs telles que le « slow-food »119 et la décroissance entre autres, sont en décalage avec la modernité. Selon Bishop, le New Age partage avec les Nouveaux Mouvements Sociaux (NMS) une sorte de réaction aux conditions des contraintes sociales telles que la rupture du lien avec la nature, la raréfaction du spirituel, et la perte des valeurs essentielles. Certains NMS deviennent ainsi la façade institutionnalisée du New Age. Le New Age conçoit le pouvoir comme individuel (énergétique) : ce pouvoir peut s’acquérir de multiples façons ; le développer devient pour le New Ager un impératif moral. Le New Age se préoccupe de la communauté et de l’univers, mais pas de la société. Bishop en déduit ainsi que le New Age n’est pas capable de produire de véritables changements structurels. Il essaye de s’adapter à l’environnement, recherche une certaine approbation sociale, mais ne sera pas le moteur de la révolution. Les NMS ne puisent pas leurs ressources uniquement dans le New Age. II) La Wicca, une logique de délégitimation du système capitaliste et patriarcal postmoderne Nos deux auteurs de ce chapitre, Finley et Bishop, sont pourtant d’accord pour affirmer la particularité de la spiritualité féminine, la branche néo-païenne et wiccane du New Age sur cette problématique de l’action politique et militante. 118 « En réaction à la dynamique de mondialisation, les Nouveaux Mouvements Sociaux proposent une organisation plus locale, parfois appelée « glocalisation », c’est-à-dire action locale mais conception mondiale (« act local and think global »). La communauté, sous forme de groupes de voisinage (« neighborhoods ») et d’associations de terrain (« grassroots ») qui réunissent des personnes directement touchées par un problème donné. » p.385 119 Le mouvement Slow Food est fondé en Italie en 1986 par Carlo Petrini en réaction à l'émergence du mode de consommation de type restauration rapide (fast-food). Ce mouvement est aujourd’hui une organisation globale développée dans plus de 150 pays. Elle promeut le plaisir de manger une nourriture de qualité, respectueuse de la communauté et de l’environnement. Chacun a droit au plaisir de manger, ainsi chacun a la responsabilité de protéger l’héritage de la biodiversité, la culture et le savoir qui rendent ce plaisir possible. Pour plus d’informations, voir leur site internet : http://www.slowfood.com/ 59 Finley pense que les groupes féministes spiritualistes amènent les conditions modèles pour les défis politiques. Les groupes spirituels féministes veulent inspirer la conscience de groupe et défier les évaluations de soi. Ils contestent les perceptions de la femme déjà établies et fournissent un potentiel pour accroitre l’efficacité politique du groupe dans un système qu’ils ont délégitimé. Avant d’entrer plus en détail dans l’analyse de Finley, nous allons essayer de comprendre avec l’aide de Bishop comment la religion de la Déesse, dont nous avons d’ores et déjà étudié l’idéologie anti-patriarcale, parvient à délégitimer le système de la postmodernité. Bishop met en avant dans la spiritualité féminine l’intuition d’une connexion fondamentale entre la culture occidentale et les cultures patriarcales, entre domination de la femme et de la nature, au niveau culturel, symbolique et socio-économique. Les féministes dénoncent cette dichotomie patriarcale qui identifie les femmes comme plus proches de la nature, faibles, instinctives, et sujettes au péché. Dans cette dichotomie patriarcale, l’homme, au contraire, domine ses instincts naturels pour gagner le domaine culturel, de l’esprit. Cet accomplissement va justifier sa suprématie et sa domination : « La femme dans ce schéma, est une terre vierge à coloniser, sur le modèle de l’exploitation de la nature. »120 Bishop qualifie cette prise de conscience d’éco-féminisme : les pratiquantes de la religion de la Déesse vont former une alliance des « soumises » contre la domination. Elles vont transformer le lien négatif entre femme et nature en lien positif qui les unit à la force vitale de la terre mère. De plus, l’urgence de sauver la planète permet à cette alliance de gagner en légitimité. Le mouvement de l’éco-féminisme a plusieurs sujets de lutte. Il dénonce tout d’abord une vision du monde gouvernée au masculin : les hommes auraient le monopole de la conceptualisation et de l’organisation politico-sociale. La faute en reviendrait au judéochristianisme qui justifie et perpétue ces schémas, à l’image d’un Dieu masculin121. Il dénonce 120 121 Elsa Bishop, Le New Age aux Etats-Unis. 1980 à 2000 - Le cas de San Diego, 2007, p. 390 « La femme provient, selon l’Ancien Testament, d’une côte de l’homme ; les animaux comme l’ensemble de la création n’ont de raison d’être en dehors de l’homme. Les impératifs bibliques qui sont enjoints à l’homme de faire fructifier la création de Dieu le placent au centre du monde, en créature supérieure parmi les créatures, à l’image d’un Dieu résolument masculin.» p.401 60 ensuite l’anthropocentrisme et souhaite replacer la nature au centre de la vision du monde. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, la nature est personnifiée dans le féminin (au contraire de la modernité et des sciences qui sont apparentées au masculin). Les féministes louent les valeurs féminines qui sont maternelles, égalitaires, démocratiques et méprisent les valeurs masculines guerrières, intellectuelles, et dominatrices. Bishop souligne pourtant une limite entre la théorie et la pratique. Le New Age condamne la domination de l’homme par l’homme. En théorie, la féminité est cosmopolite ; mais en pratique, le New Age, ainsi que la Wicca, sont surtout pratiqués par des femmes blanches. Les peuples indigènes sont plutôt emblématiques des idéaux de la nouvelle conscience : ils ont une relation saine à l’environnement, accordent de l’importance à la communauté, prônent une certaine égalité entre hommes et femmes, respectent la sacralité des lieux et des éléments. Pour les New Agers, la population indigène entretient des liens ancestraux avec le territoire qu’elle occupe ; elle a développé et conservé une forte identité culturelle en contraste avec la modernité. Les New Agers font preuve d’une forte admiration envers les peuples indigènes. Cependant, l’admiration n’est pas toujours synonyme d’alliance. Les groupes engagent certaines actions envers les peuples indigènes mais très peu s’orientent vers les afro-américains. Certaines femmes trouvent qu’il leur manque des actions concrètes pour compléter leur pratique spirituelle122. Selon Bishop, l’éco-féminisme intègre plusieurs approches dans sa lutte. Le discours associant la femme au monde naturel est destiné à justifier la domination de l’homme sur la femme et la nature. L’approche sociale a pour but la prise de conscience par l’homme des valeurs féminines ainsi que le sentiment de connexion entre l’être et le cosmos. Les adeptes de cette approche seront davantage impliqués dans l’action politique et le militantisme. Leur objectif principal est de fournir aux femmes les outils leur permettant d’assurer leur légitimité (sans les aspects écologiques et nourriciers). 122 Dans son ouvrage Feminism's New Age : Gender, Appropriation, and the Afterlife of Essentialism, Karlyn Crowley s’intéresse également à la problématique ethnique du New Age. Selon Crowley, il y aurait une raison pour que les femmes blanches se tournent plutôt vers le spiritualisme que vers le féminisme. Une explication résiderait dans la frustration politique qu’éprouvent les femmes blanches à avoir échoué à réaliser cette alliance féministe avec les femmes de couleur qui sont exclues de la sphère féministe politique. Elles essayent donc d’établir cette alliance, cette union à travers le New Age. Il y a également une certaine volonté admiration envers la culture des femmes de couleur qui parait plus authentique et parvient mieux à s’émanciper de la culture blanche capitaliste dominante. Ainsi elles s’approprient cette culture en construisant une analogie : en souffrant du sexisme, elles s’imaginent également souffrir du racisme. 61 L’approche mystique incite le développement et la glorification du lien entre la femme et la nature sur le plan symbolique. Elle insiste sur une différenciation, voire un renversement des perceptions masculines et féminines en mettant en avant la centralité historique et culturelle de la femme. Cette approche mystique joue sur la glorification des symboles : l’impureté est remplacée par la connexion à la terre, l’hystérie par la connexion aux forces vives de la sensualité, la sexualité et la passion… L’éco-féminisme se traduit principalement par le culte de la Déesse dont nous avons étudié les détails idéologiques dans le chapitre précédent. Nous avons déjà mentionné une glorification de la « sorcière » établie dans la mouvance wiccane. Le culte de la Déesse va jusqu’à faire une relecture de l’histoire qui selon ses pratiquantes, a été créée par les hommes pour justifier leur domination sur les femmes. Le bûcher des sorcières et l’inquisition en représentent des périodes très symboliques. Ces périodes sont également perçues avec nostalgie car elles symbolisent un monde pré-moderne, féminin, riche de traditions et de sagesses. Les féministes vont ériger ces femmes sorcières en figures fortes, détentrices de connaissance en herboristerie et en médecine. La religion de la Déesse accorde une grande importance à la survivance de ces traditions et savoir-faire, et se glorifie d’une transmission cachée de ceux-ci au cours de l’histoire. L’éco-féminisme entre dans une dialectique d’instrumentalisation de la mémoire123. D’autres théories historiques et féministes sont défendues par certains auteurs du New Age sans véritable preuve. Par exemple, des sociétés primitives matriarcales auraient existé au cours de l’histoire.124 Le New Age considère que l’histoire n’existe que dans la mesure où on la 123 « In the sixteenth and seventeenth centuries, both the Catholic and Protestant churches unleashed a vicious wave of torture and burnings of suspected witches throughout Europe. It is estimated that from 500,000 to 9 million victims lost their lives over the four centuries of the Burning Times. Eighty percent of the victims were women.’ ‘The persecutions destroyed the unity of the peasant and laboring classes, paving the way for the enclosure of the common lands and the mechanization of agriculture. They were a war on the erotic and a war on women, driving many women out of the professions of healing and midwifery and strengthening male supremacy.’ ‘The Burning Times also saw the opening of the slave trade in Africa, the invasion of the Americas, and the devastation of her native peoples. The rich cultures and immanent spiritual traditions of Africa and the Americas were also named “witchcraft” and devil worship by the missionaries, who had a vested interest in stamping them out. ». Extrait de Starhawk, “Introduction”, in L. Teish, Jambalaya, p. xv-xvi. 124 Elsa Bishop cite deux ouvrages comme exemple de ces théories : L. Shain, The Alphabet versus the Goddess ; A. Eisen, Eve’s Wisdom : the Goddess within. 62 choisit, l’accepte, ou l’interprète. Ainsi le mélange de mythes et de réalités historiques n’engage pas un problème fondamental de véracité. Nous avons déjà parlé grâce à Starhawk de l’origine des mots « paganism » et « witch ». Les pratiquants de l’éco-féminisme se servent de ces origines et modifient même ces mots pour favoriser l’inclusion des femmes dans l’histoire et la société. Par exemple, « theology » devient « thealogy », « history » devient « his-tory »125, « she » est employé comme terme générique à la place du « he », « women » est transformé en « womyn »126… Pour les néo-païens, ces changements de mots permettent de combattre la discrimination omniprésente dans le quotidien et de souligner le sexisme présent dans l’histoire et divers autres disciplines. Les féministes de la Wicca ont bien entendu complètement redéfini le terme de « witch » ou sorcière : c’est dorénavant une femme forte, fière et sage, instruite dans les domaines de la médecine naturelle, défendant son droit à sa propre sexualité, et son droit à gouverner sa vie, appartenant à une communauté suivant les lois de la nature, brûlée vive pour avoir défié l’autorité patriarcale… Bishop souligne cependant le risque de subjectivité de ces interprétations : le rapport particulier de l’éco-féminisme à la science implique une possible déformation et idéalisation de certains peuples et de certaines périodes historiques. Fort de ces bases historiques et idéologiques, la religion de la Déesse, contrairement aux religions patriarcales, valorise la place des femmes dans la pratique religieuse. Par exemple, elle donne accès aux femmes aux fonctions sacerdotales (prêtresses). Le culte permet la création de quelques espaces réservés au féminin (rencontres, groupes…).avec la vocation à donner une place symbolique à l’émotion et à la beauté, d’affirmer la sacralité des cérémonies (en d’autres termes, d’y affirmer les valeurs féminines). Au sein du culte de la Déesse, le mariage ne s’entend pas comme une institution légale permettant la domination de l’homme et la protection de la 125 « his-tory » va donner « his story » qui signifie en anglais « son histoire », et souligne le fait que l’histoire appartienne aux hommes et non aux femmes. 126 « men » signifie « hommes » en anglais. 63 propriété ou de la monnaie. Il est remplacé par une cérémonie païenne, mettant en avant la liberté127. Bishop a également constaté une certaine alliance entre l’éco-féminisme et les mouvements gays et lesbiens. Les discriminations à l’égard des femmes ainsi que le sexisme s’exercent plus violemment dans les mouvements homophobes, portant un jugement de valeur sur le sexe ou la sexualité. Nous avons déjà constaté grâce aux analyses de Neitz que la Wicca revalorise le plaisir hors du contexte de la reproduction ce qui permet de valoriser l’homosexualité. Celle-ci est dédramatisée dans la religion de la Déesse : l’accent est mis sur l’universel humain. Chaque être humain est perçu comme influencé par son côté masculin et son côté féminin. L’androgynie sacrée permet ainsi aux hommes de s’approprier la religion de la Déesse128. Après avoir analysé les différents éléments permettant à l’éco-féminisme de délégitimer le système post-moderne, Bishop nous présente les deux stratégies de l’éco-féminisme : - Combattre le machisme et la suprématie masculine par l’activisme, la politique, et la science afin d’affirmer l’égalité des sexes et de souligner leur parenté fondamentale - Développer les qualités féminines sans s’engager dans les valeurs masculines : affirmer l’égalité des sexes malgré leurs différences fondamentales. En plus de ces stratégies, l’éco-féminisme est très attaché à la notion de justice environnementale qui permet de dénoncer l’attitude passive des groupes environnementalistes traditionnels et rappelle son rôle à l’Etat, garant de l’égalité des chances. Malgré la volonté de reconnaissance du poids des femmes au niveau économique et écologique, peu d’actions concrètes sont organisées par les tenants de l’éco-féminisme pour fédérer les femmes écologistes dans le monde. Les actions restent très localisées et se concentrent souvent sur un problème spécifique. L’action se produit sur du court terme dans le but de 127 Pour le mariage, la cérémonie païenne est dite de « hand-fasting ». Une cérémonie dite de « hand-parting » est prévue pour le divorce. 128 Bishop cite un extrait de Radford Ruether dans son article « Deep Ecology, Ecofeminism and the Bible » : « A second approach‑more popular with men – sees men as appropriating the Goddess as Divine Feminine, the repressed feminine side of their souls which they must reclaim to midwife themselves into androgynous wholeness. ». p. 412 64 résoudre un problème immédiat et les effets attendus doivent arriver rapidement au détriment d’une action de long terme. De plus, Bishop constate une certaine limite des implications féministes sur les causes raciales : elles se sentent nettement moins concernées lorsque le débat n’est pas centré sur les problèmes environnementaux. L’éco-féminisme et la justice environnementale représentent un aboutissement logique et concret des engagements philosophiques des New Agers. Cependant l’objectif de réunir les luttes féministes et celles contre le racisme n’est pas encore atteint. Bishop nous a présenté les différentes caractéristiques de la stratégie de délégitimation du système postmoderne ainsi qu’une description de l’action militante qu’elle a observée parmi les membres de la mouvance éco-féministe. Bishop met en avant certaines contradictions de ce mouvement se définissant comme cosmopolite : bien que le mouvement inclut des homosexuels, l’éco-féminisme, en majorité représenté par des femmes blanches, reste peu ouvert à la participation des minorités de couleurs (population noire et indigène). De plus, l’action environnementale se focalise sur des problèmes locaux et est organisée dans une perspective de court terme. III) La spiritualité féminine : un activisme politique avéré, mais localisé et de court terme Finley a également tenté de savoir comment les composants idéologiques de ce mouvement peuvent affecter l’activisme politique. Elle s’est rendue à la conférence annuelle des sorcières dianiques durant l’automne 1988 afin de discuter avec les participantes de leurs interprétations de la Wicca féministe. Les 80 participantes étaient des femmes entre 23 et 53 ans ayant un degré d’éducation plutôt élevé. Finley admet que cet échantillon d’analyse représente l’élite. Cependant, les questionnaires et interviews réalisés démontrent selon elle que les NMR ne détruisent pas l’activité politique129. La majorité des participantes discutent et lisent des ouvrages 129 « "Feminist Witches have stated that Witchcraft is not incompatible with politics, and further that the Craft is a religion historically conceived in rebellion and can therefore be true to its nature only when it continues its ancient fight against oppression" (Adler, 1979:173) ». p.356 65 politiques, et la moitié d’entre elles participent régulièrement à des manifestations et des boycotts130. La majorité des participantes affirme que leurs croyances les rendent « plus politiques » tandis que seulement un quart d’entre elles pense qu’elles ne font aucune différence. Aucune n’a répondu qu’elles les rendaient « moins politiques ». Selon Finley, être « plus politique » suggère que les décisions que l’on a à prendre ont un caractère politique : une connexion s’établit entre l’action sociale et la spiritualité. La quasi-totalité des participantes démontrent une certaine confiance en leurs actions ce qui prouve un rejet du fatalisme. Plusieurs d’entre elles affirment leur capacité à faire exister leur propre réalité dans laquelle femmes et hommes sont égaux. Un grand nombre de réponses aux questionnaires et interviews réfèrent au concept « d’empowerment » (ce qui signifie une responsabilisation, une prise d’autonomie et de pouvoir) comme but ultime de la transformation spirituelle. Une partie des pratiquantes recherche une certaine efficacité au sein de la religion spirituelle, telle que les effets de la magie131. Selon Finley, la Wicca dianique est un NMR qui favorise l’efficacité de l’action politique : il n’a pas de hiérarchie centrale ni d’organisation règlementée. En effet, ce NMR fait la promotion d’une interprétation personnelle de sa croyance et sa pratique, ce qui encourage la prise d’autorité et la responsabilité personnelle. Par exemple, la fonction de prêtresse est ouverte à toutes les pratiquantes. Les femmes ont connu un désenchantement face aux structures dominantes de la société postmoderne. Elles s’engagent au sein de la spiritualité féministe dans de nouveaux arrangements organisationnels avec une participation personnelle plus directe. Le concept de responsabilité personnelle amène chaque femme à effectuer une action pour changer le système. Les pratiquantes de la Wicca ne croient pas que les individus méritent leur sort, bon ou mauvais, comme certains New Agers passifs. La Wicca dianique reconnait les perceptions sociales et les réalités sociales. Cette prise de conscience sociale doit favoriser l’implication politique. L’inégalité et le sexisme, la dégradation de l’environnement, ainsi que la 130 131 Voir annexe 4 p. 75 du mémoire « For some Dianic Wiccans there is an indication that they were actually searching for the efficacy that a spiritual tradition might provide. As one respondent put it, "My spiritual beliefs greatly influence what political actions I take, how I choose to invest my energy in the political arena, etc.... I actually started learning magic because I wanted to find ways to make my actions in politics more effective. I was looking for a system of power making/using which was biased in favor of qualities I like and want in the world (love, integrity, compassion, etc.)." » p. 358 66 faim sont les trois problèmes sociaux les plus importants cités par les croyantes. Ces dernières ont le souci de la redistribution des ressources et des opportunités. Le lien entre responsabilité personnelle et responsabilité sociale est établi par l’hypothèse cosmologique de la connexion : la Wicca dianique perçoit une unité pour toute chose. Elle conçoit une unité métaphysique où les individus sont reliés de façon harmonieuse entre eux et à la nature.132 Ainsi Finley corrobore à l’analyse de Bishop pour souligner le fait que certains problèmes de nature à diviser les individus sont moins traités, tels que le racisme, les différences de revenus… Finley affirme que l’idéologie et la location structurelle des wiccans dianiques encouragent l’activisme politique. Elle rejette les hypothèses d’autres auteurs établissant que les NMR mystiques sont des mouvements d’apathie politique et s’absorbent eux-mêmes. Quand les positions sociales et les composants idéologiques sont en place, certains de ces NMR n’atténuent pas l’engagement politique, au contraire. Cependant, Finley, tout comme Bishop, soulignent la présence de certains problèmes organisationnels comme la distribution des genres, la confusion avec d’autres groupes aux yeux du public, ainsi que la faible gouvernance. Ces problèmes font du tort au mouvement de la spiritualité féministe et produisent certaines dissidences au sein du mouvement. Si ce mouvement s’institutionnalisait, accumulait de la propriété, développait une hiérarchie et demandait une pureté idéologique, il perdrait de son sens. Finley croit qu’il est cependant possible de concevoir des mesures pour son succès qui ne dépendraient pas de la longévité organisationnelle ou de la domination de la culture. La question est de savoir si le mouvement aura un impact sur le changement social, et non s’il va survivre. Même si ce mouvement ne menacera pas réellement les Eglises traditionnelles, il pourrait les aider à les réformer. Finley et Bishop s’accordent sur le fait que la spiritualité féminine, en particulier la Wicca, fournit davantage d’outils permettant une action militante, voire politique, que le New Age. Woodhead corrobore à cette théorie : le mouvement de la Déesse, contre-culturel, fait 132 « Chants and slogans often refer to the "oneness." This easily juxtaposes the idea of personal responsibility with social responsibility. "If there is a child hungry in Africa, then I cannot say I am well-fed. We are all connected so I have to do something about her hunger." This vision of connectedness seems to be more than metaphoric empathy. It seems to be rooted in the very cosmology of Goddess religion - "we are all one thing before we were taken apart”. » p. 359 67 preuve de préoccupations davantage politiques que la spiritualité holiste qui, pratiquée comme une religion de quête, recherche la guérison et la transformation intérieure personnelle133. L’idéologie féministe et environnementaliste soutient une volonté de changement et sous-entend un certain devoir d’action pour amener une prise de conscience de ces problèmes persistants dans notre société. Cependant, ces deux auteures constatent tout de même que l’action militante reste limitée face aux tensions ethniques traversant le mouvement, et au manque de structure et de hiérarchie. Cette absence d’organisation amène en même temps une grande liberté dans la pratique et les croyances de ce NMR ce qui est source d’attractivité pour ses membres. 133 Woodhead cite l’analyse de Jone Salomonsen : « Jone Salomonsen distingue les sorcières « utopistes » et les sorcières « génériques ». Pour ces dernières, la portée de la Wicca est personnelle, tandis que les premières, y compris Starhawk, y voient un « évangile religieux et social pour transformer le monde » [2002, p. 97]. Les féministes de la Déesse utopistes expérimentent des modes de vie alternatifs, notamment en fondant de nouvelles écocommunautés, et sont souvent engagées dans des combats politiques – par exemple les actions menées pour protester contre l’installation d’une centrale nucléaire à Diablo Canyon, en Californie, en 1981, dont naquit la communauté Reclaiming, ou contre l’armement nucléaire, sur la base aérienne de Grennham Common, en Angleterre, en 1981-1991. » p. 47 68 CONCLUSION Le phénomène genré, exploité par les religions pour servir leur idéologie, appelle également à s’interroger sur les problèmes actuels de nos sociétés. Les questions du genre cristallisent de multiples enjeux politiques : l’égalité des sexes en tous lieux, le port des signes religieux, l’avortement, etc… divisent autant la société et ses partis politiques que les religions. De Gasquet affirme que : «…quand un certain égalitarisme est acquis au niveau du genre, les questions de sexualité et de reproduction (homosexualité, avortement) restent des lignes de démarcation puissantes, symboles d’un « ordre naturel » dont l’institution religieuse s’érigerait en nouvelle gardienne. »134. Face à la montée du fondamentalisme religieux, de l’apparition d’un terrorisme religieux, d’un retour d’une religion d’Etat dans certains pays, s’oppose une tendance libertaire et novatrice qui se traduit par la légalisation du mariage homosexuel dans de nombreux pays occidentaux, la mise en place de lois sur la parité dans les pays scandinaves, et le développement de nouveaux mouvements religieux remettant en cause les fondements des religions patriarcales. Le New Age, ainsi que ses branches néo-païennes et wiccanes, font partie des NMR marginaux par rapport au pouvoir dominant, mais qui souhaitent réinventer la société, et notamment donner de nouvelles bases aux rapports de genre. Le New Age se présente comme une religion de quête, prônant une complémentarité des genres nécessaire à la formation d’une « androgynie divine ». Ce NMR attire des personnes désenchantées en quête de spiritualité et d’identité dans un monde changeant, dont les repères traditionnels familiaux et sociétaires s’effritent. Le New Age donne un cadre pour l’expérimentation de diverses identités, fournit une idéologie qui guide l’individu dans sa recherche du « soi ». Pourtant, cette quête spirituelle et personnelle, qui souhaite apporter le bien-être psychique et l’effacement des conflits de genre, ne permet pas de remédier ni de combattre les inégalités structurelles desquelles sont victimes les femmes encore aujourd’hui. La plupart des pratiquantes continuent à agir au sein des frontières de genre et à devoir endosser les rôles traditionnels que la société leur attribue. 134 Béatrice De Gasquet, « Genre », In : Azria Régine, Hervieu-Leger Danièle, Dictionnaire critique des faits religieux, Paris, Presses universitaires de France, p. 9 69 Cependant, certaines branches du New Age, telles le Néo-paganisme et la Wicca, apportent une idéologie davantage orientée vers les différences de genre ainsi que vers la nature, associant ces deux lignes de fronts pour mieux pointer du doigt les méfaits du monde moderne. La nature, tout comme la femme, doit être délivrée de la domination de l’homme et révérée pour leurs qualités nourricières et féminines. La vénération de la Déesse qui se place en concurrente du Dieu, amène un anthropomorphisme féminin et permet une nouvelle identification de la femme au sacré. Le pouvoir des idéologies des spiritualités féminines insufflant cette volonté d’émancipation et d’autonomisation des femmes doit pouvoir s’exprimer dans des sociétés où les femmes ont la possibilité d’acquérir une certaine indépendance économique, ainsi que de contrôler leur sexualité et leur fertilité. Les membres des communautés de sœurs obtiennent ainsi des bénéfices collectifs continus et de long terme améliorant leur position de femme au sein d’une société aliénante pour leur genre. Néo-paganisme et Wicca se présentent ainsi comme des religions contre-culturelles face au pouvoir dominant. Elles ont pour volonté de changer la société, d’inspirer une nouvelle vision du monde à celle-ci. Ces NMR peuvent donc animer un désir d’engagement politique ou d’action militante en accord avec les valeurs et idéaux de ceux-ci. L’élévation spirituelle du New Age passe d’abord par le changement individuel et engage ainsi un travail personnel sur soi. Il n’est donc pas propice à inspirer le militantisme. Les mouvements de la spiritualité féminine, au contraire, vont davantage inciter à l’engagement politique notamment au niveau écologique. La dégradation importante de l’environnement nécessite une réaction immédiate ; ce problème devient une base qui permet de dénoncer les autres disfonctionnements de la société moderne. Cependant, il est important de souligner que l’activisme politique des mouvements de la spiritualité féminine reste très localisé et fragilisé par les différences idéologiques et les conflits ethniques traversant ces mouvements peu structurés. La spiritualité féminine est donc une branche du New Age extrêmement novatrice voire révolutionnaire quant à sa vision du genre. Cette vision est en marge de celle de la société traditionnelle et est représentative de cette mouvance libertaire et alternative revendiquée par une partie de la société. Woodhead affirme que : « …l’évolution des rapports de genre et les angoisses qu’elle suscite montre combien la division sexuée des rôles, les rapports hommes-femmes représentent un enjeu primordial et 70 constant dans la religion, et révélé qu’elle était l’un des lieux clés où se défend et s’affronte l’inégale distribution du pouvoir.».135 L’évolution des rapports de genre est loin d’être terminée. L’exemple de ces NMR inspire déjà une autre vision du genre qui un jour, remettra peut-être en question la domination masculine au sein même des religions traditionnelles. L’analyse des rapports de genre au sein des NMR reste un travail extrêmement récent ; l’essentiel des données utilisées pour cette étude provient d’auteurs américains. Cependant, le New Age s’exporte aussi de plus en plus sur le continent européen. Quelques auteurs ont mené des études sociologiques et anthropologiques en Europe : Marion Bowman, professeur et écrivain britannique spécialiste des nouvelles spiritualités, a notamment étudié le cas du New Age à Glastonbury et à Bath au Royaume-Uni136. Ruth Prince et David Riches ont publié un ouvrage sur la construction des NMR en prenant le cas de Glastonbury137. Les auteurs ont passé plusieurs mois sur place à rencontrer les habitants et pèlerins du New Age et à analyser comment ces individus se sont convertis au New Age, quelles sont leurs croyances, et comment ils vivent leur spiritualité dans différents domaines de la vie tels que le travail, la santé, etc... Un chapitre du livre porte sur le genre et montre que la vision du New Age à Glastonbury est assez semblable à celle retrouvée aux Etats-Unis, à savoir la complémentarité du masculin et du féminin. Les auteurs soulignent tout de même que des féministes sont présentes dans ce village mais qu’elles font naitre des conflits entre certains pratiquants. Tandis que celles-ci souhaitent mettre en place une politique de discrimination positive en demandant une assemblée locale paritaire, les autres pratiquants du New Age les accusent de diviser le mouvement avec leurs idées politiques et de nuire à un environnement de paix et d’amour auquel ils aspirent. 135 Linda Woodhead, « Les différences de genre dans la pratique et la signification de la religion », Travail, genre et sociétés, 2012/1 n° 27, p.31 136 Voir l’ensemble de ses publications sur le site de l’Open University, université dans laquelle elle donne des cours : http://www.open.ac.uk/Arts/religious-studies/mbpubs.shtml 137 Ruth Prince, David Riches, The New Age in Glastonbury: The construction of religious movement, Berghahn Books, 2001, 312 p. 71 Ce mémoire est un travail préliminaire dont les analyses pourraient servir à une future étude de terrain en Europe. La question du genre à Glastonbury mériterait d’être davantage creusée à la lumière des analyses américaines. Il serait intéressant de voir comment cette tendance féministe a évolué aujourd’hui et quelles sont les similarités de ces féministes avec la branche néo-païenne et wiccane du New Age en Europe. 72 ANNEXES Annexe 1 Woodhead Linda, « Les différences de genre dans la pratique et la signification de la religion », Travail, genre et sociétés, 2012/1 n° 27, p. 36 73 Annexe 2 Angela A. Aidala , « Social Change, Gender Roles, and New Religious Movements » Sociological Analysis, Vol. 46, No. 3 (Autumn, 1985), p.301 74 Annexe 3 Susan Starr Sered, « Ideology, Autonomy, and Sisterhood: An Analysis of the Secular Consequences of Women's Religions », Gender and Society, Vol. 8, No. 4 (Dec., 1994p.488 75 Annexe 4 Nancy J. Finley, « Political Activism and Feminist Spirituality », Sociological Analysis, Vol. 52, No. 4, Religious Movements and Social Movements (Winter, 1991), p. 356 76 BIBLIOGRAPHIE I) LIVRES Pierre Bourdieu, La Domination Masculine, Seuil; Édition : Éd. augm. d'une préface (5 sept. 2002), 176 p. Bishop Elsa, Le New Age aux Etats-Unis. 1980 à 2000 - Le cas de San Diego, 2007, 586 p. Crowley Karlyn, Feminism’s New Age: Gender, Appropriation, and the Afterlife of Essentialism, State University of New York Press, 2011, 242 p. Neveu Eric et Guionnet Christine, Féminins/Masculins. Sociologie du genre, Armand Colin, Collection U, Paris, 2004, Seconde édition 2009, 430 p. Prince Ruth, Riches David, The New Age in Glastonbury: The construction of religious movement, Berghahn Books, 2001, 312 p. Weber Max, Hindouisme et bouddhisme, traduction, préface, notes et index des concepts par Isabelle Kalinowski et Roland Lardinois, Flammarion 2e édition, Collection « Champs », 1999, 394 p. Weber Max, L'Ethique protestante et l'Esprit du capitalisme, traduction, préface, notes et index des concepts par Isabelle Kalinowski, Flammarion 2e édition, Collection « Champs », 1999, 394 p. Weber Max, Sociologie de la religion, traduction, préface, notes et index des concepts par Isabelle Kalinowski, Flammarion, Collection « Champs », 2006, 497 p. 77 II) ARTICLES Aidala Angela A., « Social change, gender roles, and new religious movements », Sociological Analysis, Vol. 46, No 3, 1985 Baum Gregory, « L’avenir de la religion : entre Durkheim et Weber », Nouvelles pratiques sociales, Volume 9, numéro 1, printemps 1996, p. 101-113 Bishop Elsa, « Constructions imaginaires de l’espace californien au sein du « New Age » « , Matériaux pour l'histoire de notre temps, Matériaux pour l'histoire de notre temps, 2004, Vol. 75, No. 75, pp. 28-38 Bloch Jon P., « Countercultural Spiritualists' Perceptions of the Goddess », Sociology of Religion, Vol. 58, No. 2 (Summer, 1997), p. 181-190 Champion Françoise, « La religion n'est plus ce qu'elle était », Revue du MAUSS, 2003/2 no 22, p. 171-180 De Gasquet Béatrice, « Genre », In : Azria Régine, Hervieu-Leger Danièle, Dictionnaire critique des faits religieux, Paris, Presses universitaires de France, p. 431-439 Dortier Jean-François et Testot Laurent, « Le retour du religieux, un phénomène mondial », Sciences Humaines, n°160, mai 2005 Nancy J. Finley, « Political Activism and Feminist Spirituality », Sociological Analysis, Vol. 52, No. 4, Religious Movements and Social Movements, (Winter, 1991), p. 349-362 Geoffroy Martin, « Pour une typologie du nouvel âge », Cahiers de recherche sociologique, no 33, 1999, pp. 51-83. Montréal: Département de sociologie, UQAM. 78 Haywood Carol Lois, « The Authority and Empowerment of Women among Spiritualist Groups », Journal for the Scientific Study of Religion, Vol. 22, No. 2 (Jun., 1983), p. 157-166 Houtman Dick, Aupers Stef, « The spiritual revolution and the New Age Gender Puzzle. The sacralization on the self in late modernity (1980-2000) », in Vincett Giselle, Sharma Sonya, Aune Kristin, Women and Religion in the West: challenging secularization, Ahsgate, Aldershot Jacobs, Janet L. « Gender and Power in New Religious Movements: A Feminist Discourse on the Scientific Study of Religion », Religion 21 (1991): p. 345–356. Jacobs Janet, « The economy of love in religious commitment: The deconversion of women from non-traditional movements », Journal for the scientific study of religion, Vol. 23, No. 2 (Jun. 1984), pp. 155-171 Jacobs Janet, « Hidden truths and cultures of secrecy: Reflections on gender and ethnicity in the study of religion », Sociology of religion, Vol. 61, No. 4, Special issue (Winter, 2000), pp. 433441 Mary-Jo Neitz, « Queering the Dragonfest: Changing Sexualities in a Post-Patriarchal Religion», Sociology of Religion , Vol. 61, No. 4, Special Issue (Winter, 2000), p. 369-391 Palmer Susan J., « Women's "Cocoon Work" in New Religious Movements: Sexual Experimentation and Feminine Rites of Passage », Journal for the Scientific Study of Religion, Vol. 32, No. 4 (Dec., 1993), p. 343-355 Sered Susan Starr, « Ideology, Autonomy, and Sisterhood: An Analysis of the Secular Consequences of Women's Religions », Gender and Society, Vol. 8, No. 4 (Dec., 1994), p. 486506 Wallace Dale, « Pagans at the Parliament », Agenda, No. 61, Religion & Spirituality (2004), p. 80-84 79 Walter Tony and Davie Grace, « The Religiosity of Women in the Modern West », The British Journal of Sociology, Vol. 49, No. 4 (Dec., 1998), p. 640-660 Woodhead Linda, « Les différences de genre dans la pratique et la signification de la religion », Travail, genre et sociétés, 2012/1 n° 27, p.33-54 Woodhead, Linda, « Why So Many Women in Holistic Spirituality? », The Sociology of Spirituality, Ahsgate, Aldershot, pp. 115-125. III) REVIEW Palmer Suzan J., « Moon sisters, Krishna mothers, Rajneesh lovers: Women’s roles in new religion», REVIEW by: Lynne M. Isaacson, Journal of the American Academy of Religion, Vol. 66, No. 3 (Autumn, 1998), pp. 698-701 Puttick Elizabeth, « Women in New Religions: In search of community, sexuality and spiritual power», REVIEW by Janet L Jacobs, Journal of the scientific study of religion, Vol. 37, No 4 (Dec. 1998), pp. 756-757 Vincett Giselle, Aune Kristine, Sharma Sonya, « Women and religion in the West: Challenging secularization», REWIEW by James. V. Spickard, Review of Religious Research, Vol. 51, No. 1 (Sep. 2009), pp. 108-109 Wessinger Catherine, « Women’s leadership in marginal religions: Explorations outside the mainstream », REVIEW by Nancy L. Eiesland, Journal for the scientific study of religion, Vol. 33, No. 3 (Sep. 1994), pp. 287-288 80 TABLE DES MATIERES INTRODUCTION .......................................................................................................................... 1 SECTION 1 : PRESENTATION DU NEW AGE ..................................................................... 13 I) GLASTONBURY, PREMIER CONTACT AVEC LE NEW AGE ....................................................... 13 II) TENTATIVE DE DEFINITIONS ................................................................................................. 14 III) LA VISION DU GENRE AU SEIN DU NEW AGE ......................................................................... 16 SECTION 2 : THEORISATION DU LIEN ENTRE GENRE ET RELIGION ..................... 17 SECTION 3 : UN ORDRE PATRIARCAL IGNORE : LE REFUS DES CONFLITS DE GENRE AU SEIN DU NEW AGE.............................................................................................. 21 L’ENGAGEMENT DANS LE NEW AGE: UNE RECHERCHE D’IDENTITE FACE A L’AMBIGUÏTE DES ROLES DE GENRE DANS LA SOCIETE MODERNE ............................................................................. 21 II) LE NEW AGE COMME LIEU D’EXPERIMENTATION LORS DU PASSAGE DE L’ADOLESCENCE A LA VIE D’ADULTE .............................................................................................................................. 26 III) LE NEW AGE, UNE AUTONOMISATION DES FEMMES CONFINEE AU SEIN DES ROLES DE GENRE 31 IV) LE NEW AGE, UNE RELIGION DE QUETE ............................................................................ 33 I) SECTION 3 : LE MOUVEMENT DE LA DEESSE : UNE REVOLUTION DE L’ORDRE PATRIARCAL ............................................................................................................................. 36 I) THEOLOGIES DU NEO-PAGANISME ET DE LA WICCA ............................................................. 36 II) LE MOUVEMENT DE LA DEESSE : UNE PRATIQUE RELIGIEUSE PERMETTANT LA VALORISATION DE L’IDENTITE FEMININE .............................................................................................................. 39 III) LA SPIRITUALITE FEMININE, UN APPORT DE BENEFICES COLLECTIFS CONTINUS A LA COMMUNAUTE DE SŒURS ............................................................................................................. 44 IV) LA WICCA, UNE RELIGION CONTRE-CULTURELLE ............................................................. 52 SECTION 4 : QUEL ACTIVISME POLITIQUE AU SEIN DU NEW AGE ? ..................... 54 I) LES NMR, SOURCES D’ENGAGEMENT POLITIQUE ? .............................................................. 54 II) LA WICCA, UNE LOGIQUE DE DELEGITIMATION DU SYSTEME CAPITALISTE ET PATRIARCAL POSTMODERNE ............................................................................................................................. 58 III) LA SPIRITUALITE FEMININE : UN ACTIVISME POLITIQUE AVERE, MAIS LOCALISE ET DE COURT TERME.......................................................................................................................................... 64 CONCLUSION ............................................................................................................................. 68 ANNEXES ..................................................................................................................................... 72 BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................... 76 81 Résumé: Chakras, cristaux, tarots,… autant de mots qui renvoient au spirituel et à la magie. Autant de pratiques et d’objets que s’approprient les Nouveaux Mouvements Religieux (NMR) dans leur tentative de réenchanter un monde en perte d’identité et de traditions, qui fait l’apologie du capitalisme et de la rationalité scientifique. Les femmes, plus pratiquantes que les hommes, défient la théorie de la sécularisation et se réapproprient certaines de ces spiritualités alternatives à leur avantage. Certains de ces Nouveaux Mouvements Religieux tels le New Age, le Néopaganisme et la Wicca, inspirent une nouvelle vision du genre qui remet en question les rôles traditionnels des femmes et des hommes attribués par la société moderne et soutenus par les grandes religions patriarcales. Leur caractère révolutionnaire amène aux femmes une autonomie libératrice des frontières traditionnelles de genre, les incitant à revendiquer leurs idées sur la scène publique. Dans une période où la sociologie du genre est en pleine expansion en France, l’auteure entreprend une étude systémique innovante sur la place des femmes dans les Nouveaux Mouvements Religieux. Mots clés: New Age, Wicca, Néo-paganisme, nouveau mouvement religieux, genre, femme, empowerment