Far-niente Clair de Lune Imaginons Eloge de la vieillesse Moralité
Transcription
Far-niente Clair de Lune Imaginons Eloge de la vieillesse Moralité
Clair de Lune Far-niente Quand je n’ai rien à faire, et qu’à peine un nuage Dans les champs bleus du ciel, flocon de laine, nage, J’aime à m’écouter vivre, et, libre de soucis, Loin des chemins poudreux, à demeurer assis Sur un moelleux tapis de fougère et de mousse, Au bord des bois touffus où la chaleur s’émousse. Là, pour tuer le temps, j’observe la fourmi Qui, pensant au retour de l’hiver ennemi, Pour son grenier dérobe un grain d’orge à la gerbe, Le puceron qui grimpe et se pende au brin d’herbe, La chenille traînant ses anneaux veloutés, La limace baveuse aux sillons argentés, Et le frais papillon qui de fleurs en fleurs vole. Ensuite je regarde, amusement frivole, La lumière brisant dans chacun de mes cils, Palissade opposée à ses rayons subtils, Les sept couleurs du prisme, ou le duvet qui flotte En l’air, comme sur l’onde un vaisseau sans pilote ; Et lorsque je suis las je me laisse endormir, Au murmure de l’eau qu’un caillou fait gémir, Ou j’écoute chanter près de moi la fauvette, Et là-haut dans l’azur gazouiller l’alouette. On tangue on tangue sur le bateau La lune la lune fait des cercles dans l’eau Dans le ciel c’est le mât qui fait des cercles Et désigne toutes les étoiles du doigt Une jeune Argentine accoudée au bastingage Rêve à Paris en contemplant les phares qui dessinent la côte de France Rêve à Paris qu’elle ne connaît qu’à peine et qu’elle regrette déjà Ces feux tournants fixes doubles colorés à éclipses lui rappellent ceux qu’elle voyait de sa fenêtre d’hôtel sur les Boulevards et lui promettent un prompt retour Elle rêve de revenir bientôt en France et d’habiter Paris Le bruit de ma machine à écrire l’empêche de mener son rêve jusqu’au bout. Ma belle machine à écrire qui sonne au bout de chaque ligne et qui est aussi rapide qu’un jazz Ma belle machine à écrire qui m’empêche de rêver à bâbord comme à tribord Et qui me fait suivre jusqu’au bout une idée Mon idée Blaise CENDRARS Théophile GAUTIER Eloge de la vieillesse La mer s'est retirée La mer s’est retirée, Qui la ramènera ? La mer s’est démontée, Qui l’a remontera ? La mer s’est emportée, Qui la rapportera ? La mer est déchaînée, Qui la rattachera ? Un enfant qui joue sur la plage Avec un collier de coquillages. J’aime les très vieux assis à la fenêtre qui regardent en souriant le ciel perclus de nuages et la lumière qui boite dans les rues de l’hiver j’aime leur visage aux mille rides qui sont la mémoire de mille vies d’homme... qui font une vie Jean-Pierre SIMEON Jacques Charpentreau Imaginons Le temps que met l’eau à couler de ta main Le temps que met le coq à crier le soleil Le temps que l’araignée dévore un peu la mouche Le temps que la rafale arrache quelques tentes Le temps de ramener près de moi tes genoux Le temps pour nos regards de se dire d’amour Imaginons ce qu’on fera de tout ce temps. Eugène GUILLEVIC Moralité Si vous ne voulez rien finir évitez de rien commencer. Si vous ne voulez pas mourir quelques mois avant de naître faites-vous décommander. Jean TARDIEU