Visite des espaces verts de la ville de Lille Visite effectuée par

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Visite des espaces verts de la ville de Lille Visite effectuée par
Visite des espaces verts de la ville de Lille
Visite effectuée par Yohan Tison, écologue à la Direction des Parcs et
Jardins de Lille.
La gestion différenciée à Lille, définition :
La gestion différenciée est un mode d’entretien des espaces verts qui intègre des techniques
plus respectueuses de l’environnement et œuvre pour la biodiversité en milieu urbain. Au delà
de l’objectif écologique et de la diversification des milieux pour la faune et la flore, sont recherchées les rentabilités sociale (mieux répondre à la demande croissante de nature en ville des
habitants), technique (remplacer par le fauchage les tontes régulières sur des parties difficilement accessibles et dangereuses pour les jardiniers, par exemple), économique (utiliser moins
de produits chimiques coûteux par exemple) et esthétique (offrir en ville des paysages plus
naturels et variés). Enfin l’entretien est défini pour chaque espace en fonction de sa situation, de
son rôle paysager, de sa composition, de son utilisation par les Lillois et n’est plus systématiquement le même pour tous les espaces.
Quelques exemples :
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le long des grands boulevards, des jonquilles sont plantées pour « alerter » du début
du printemps (aspect esthétique et événementiel) et permettent en même temps une alternative aux tontes trop régulières
-
le parc Churchill est aménagée comme une zone naturelle : c’est une grande plaine
fauchée avec des chemins naturels recouverts de mulch ou simplement tondus, ce qui évite
l’imperméabilisation du sol. Une grande mare a été aménagée et la végétation associée
s’est installée et permet l’accueil de batraciens, d’oiseaux limicoles,…
-
le long du Périphérique Sud, les pentes en bordure de route, dangereuses et coûteuses à entretenir par des tontes régulières, ont été plantées d’un gazon fleuri.
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Les grands ronds-points sont aménagés de sorte que les abords soient plus horticoles
et le centre plus naturel, via une prairie de fauche par exemple.
-
Les trottoirs ne sont plus systématiquement désherbés, en fonction de leur situation
dans la ville et de leur usage. Par exemple, le trottoir qui longe le boulevard de la Moselle,
après avoir été désherbé pendant longtemps, à été engazonné.
Parc Matisse
Face à la gare TGV Lille-Europe, ce parc de 8 Ha a été réalisé par Gilles Clément (http://
fr.wikipedia.org/wiki/Gilles_Cl%C3%A9ment), adepte du jardin en mouvement, idée selon
laquelle le parc évolue en fonction de la redistribution naturelle des plantes, et du Tiers-paysage.
Le parc Matisse fait partie du projet d’aménagement du quartier d’Euralille, qui comporte
bureaux, commerces, et logements. Ce parc constitue l’élément d’équilibre et de respiration
au sein d’un tissu urbain dense et tout en hauteur.
L’île Derborence est une construction centrale
inaccessible et exempte d’intervention de gestion. Elle accueille 3500m2 de nature et abrite
des espèces animales remarquables qui ne sont
aperçues nulle part ailleurs dans la ville.
Nous commençons la visite par une explication sur la sécurité dans le parc. Le parc Matisse
est en effet caractérisé par une importante densité d’arbustes qui entourent des chemins
sinueux, ce qui pourrait faire craindre des problèmes de sécurité.
Yohan nous donne un autre exemple. Il explique qu’au parc de la Citadelle, un autre parc de
Lille, il y a quelques années, les équipes gestionnaires avaient décidé de raser le sous-bois
dans le but de permettre une meilleure visibilité et d’ainsi dissuader les éventuels agresseurs ou prostituées qui ne trouveraient plus là les buissons pour se dissimuler.
Ce choix de gestion avait par ailleurs été fatal pour la biodiversité végétale et animale du
parc, qui comportait, par exemple, à l’époque une population non négligeable d’écureuils
roux.
Avec le recul cependant, ils se sont rendus compte que le sous-bois dense et les buissons
de ronces étaient en fait beaucoup plus dissuasifs, d’autant plus qu’on coupe toute lumière
dans le parc à partir de 23h. Incapables de voir où ils mettent les pieds, piqués et griffés par
les arbustes épineux, les personnes de « mauvaise intention » ont abandonné le parc de la
Citadelle en tant que fief.
La gestion différenciée s’exprime ici par l’alternance de massifs horticoles, avec par
exemple des bambous ou des arbustes ornementaux, et de massifs plus naturels, fauchés
tardivement, comportant par exemple la mauve, l’épilobe ou le bleuet. Certaines adventices,
du moment qu’elles ne deviennent pas envahissantes, sont laissées au pied des massifs horticoles.
Certaines espèces d’arbustes choisis sont des cultivars d’espèces sauvages. Ces cultivars
sont adaptés à la faune locale, qui ne fait pas la différence avec une espèce rustique pure.
Il est nécessaire de chercher le compromis avec les paysagistes pour qu’ils intègrent des
plantes locales dans leurs massifs.
Les tailles de bambous sont entreposées
pour permettre une barrière naturelle et
aussi un abri pour les petits mammifères.
On y trouve aussi des zones de fauche et de tonte différenciée, notamment au pied des
arbres ou sur les buttes. En favorisant une strate herbacée naturelle et variée, on reconstitue
un micro-habitat propice à de nombreuses espèces végétales et animales : sauterelles, papillons, oiseaux, …
Cette strate peut être développée au pied des arbres, arbustes, haies, qui ne sont alors plus
nettoyés. Lorsque l’arbuste est bien développé, il n’est en effet plus obligatoire de mulcher
son pied car il est alors assez résistant pour ne pas se laisser étouffer par les adventices.
En ce qui concerne les tontes systématiques, elles sont réservées aux zones fréquentées
par le public (repos, jeux, …), de même que l’apport d’engrais. Ainsi des zones de pelouses
rases sont transformées en pelouse haute ou en prairies, fauchées une à deux fois par an,
voire moins souvent, et dont les déchets sont obligatoirement exportés.
Dans certains endroits du parc, des arbres morts
sont conservés car ils amènent une véritable
richesse écologique. Ils abritent et nourrissent
de nombreuses espèces d’insectes, d’animaux
et de champignons. Autour des arbres morts, les
herbes folles poussent spontanément.
De nombreuses espèces de champignons, de
plantes et d’animaux se nourrissent du bois
mort ou sont inféodées à sa présence : il fournit
des matériaux pour la construction de nids, il
contient les larves au menu de nombreux prédateurs… Ces espèces sont menacées de disparition, car depuis plusieurs années, la tendance est
à l’élimination systématique du bois mort et la diminution des forêts anciennes.
Il est donc essentiel de réintroduire le bois mort dans nos parcs : en tas posés par terre ou
arbre debout (à concilier avec les impératifs de sécurité du public !), de toute taille (branches,
gros troncs), secs ou humides, …
De même les vieux arbres, dans lesquels des cavités se sont formées, accueillent une riche
biodiversité aujourd’hui menacée : chauve-souris, pic épeiche, mésanges, sitelles torchepots, … Là encore, la conservation d’arbres vieillissants demande une surveillance accrue
pour assurer la sécurité du public. Tant qu’ils ne présentent pas de danger, ils peuvent être
conservés et maintenus en place.
Aucun produit phytosanitaire n’est utilisé sur le site
du parc Matisse. Pour le désherbage des allées, les
équipes utilisent le désherbage thermique à mousse
(coco et amidon de maïs) et la binette. Une certaine
tolérance à l’enherbement sur les extrêmes bords des
chemins est appliquée, mais il est contrôlé.
Le liseron est arraché manuellement.
Dans les massifs, des copeaux de bois ont été disposés au pied des arbustes, limitant ainsi
les adventices et favorisant la micro-faune du sol.
Un milieu de rocaille a été reconstitué.
Une petite zone humide accueille une roselière. Celle-ci n’est pas toujours en eau, car pour
la bonne santé des plantes, les niveaux d’eau doivent varier. Elles n’apprécient pas d’avoir
toujours les pieds dans l’eau.
Une bande est tondue le long du chemin pour montrer que l’on maintient un certain degré
d’entretien.
Les pieds d’arbres sont laissés largement enherbés. Cela permet notamment de protéger
les champignons du sol qui entrent en symbiose (mycorhization) avec les racines de l’arbre
et lui assure une bonne santé et un bon développement.
Le square des Sarrasins
Ce square est aménagé au sein d’un quartier socialement difficile. La gestion différenciée des
tontes y est pratiquée. Arbres et haies sont constituées d’espèces locales.
Ce site n’est pas très bien respecté, et on y trouve une grande quantité de déchets. Il est aussi
parfois squatté par des sans-abris.
Ce lieu sert régulièrement lors d’événements et de fêtes.
Le jardin des drôles d’Wazeaux
Il s’agit d’un jardin écologique partagé, géré par un groupe d’habitants volontaires, ouvert au
public lorsqu’un de ces habitants est présent sur le jardin. Le jardin partagé est une forme de
gestion en commun d’un terrain. Il est créé et animé collectivement, et a pour objet de développer des liens sociaux de proximité via diverses activités liés au jardinage ou au développement culturel et éducatif.
Il existe une dizaine de jardins comme celui-ci à Lille, qui sont guidés par une association (les
Ajonc, voir http://www.ajonc.org/), à travers une charte de bonnes pratiques. L’habitant-jardinier adhère à cette charte, et s’engage ainsi dans une « démarche citoyenne d’appropriation et
de gestion collective ». Tous les membres réfléchissent et prennent les décisions en concertation en ce qui concerne l‘aménagement du jardin, les événements à y organiser, etc.
Le jardin partagé a d’abord une vocation sociale, car il crée les conditions d’un tissage de liens
sociaux de proximité. Il est moteur de citoyenneté dans le quartier. Il a ensuite une vocation
écologique, car il est géré au naturel, de manière respectueuse de l’environnement et de la
biodiversité. Il s’inscrit dans un objectif de restauration de la nature en ville, et grâce à la participation directe de ses habitants. Il a enfin un rôle pédagogique, il est un lieu d’apprentissage
de la nature, du potager, etc…
Il est un moyen de répondre à la problématique de reconquête des friches urbaines qui se
pose dans beaucoup de villes du nord de la France et de Belgique. Il permet la réappropriation d’un espace par les habitants d’un quartier, qui y voient le moyen de répondre à leurs
besoins de contact sociaux et de contact avec la nature.
Bien souvent, c’est un groupe d’habitants qui repère un site abandonné et qui interpelle la
commune dans le but d’obtenir une convention de mise à disposition de terrain. L’association
des Ajonc intervient pour accompagner et soutenir le projet de jardin. Si la commune n’a pas
de projet à court terme sur le site et que celui-ci est compatible avec la pratique du jardinage,
il peut être mis à disposition des habitants organisés en association ou adhérents à l’association des Ajonc.
C’est aussi un moyen original pour la municipalité de déléguer la gestion d’un site et de permettre sa valorisation sans constituer un poids supplémentaire pour ses équipes techniques,
puisque l’entièreté de la gestion revient au groupe d’habitants.
Bien entendu, si la commune estime que le site est mal géré ou que sa gestion ne répond pas
aux objectifs initiaux de la convention, elle a le droit de la retirer selon les dispositions fixées
au départ.
La plaine des Vachers
La plaine des Vachers était anciennement gérée de manière très traditionnelle avec notamment des tontes fréquentes.
Lorsque les services ont souhaité espacer les tontes, le gazon était eutrophe (trop riche), ce
qui a eu pour résultat la pousse d’herbes relativement inesthétiques et peu diversifiées. Il a
donc fallu faucher avec exportation pour appauvrir le sol, et permettre l’apparition de plantes
à fleurs plus appréciables en termes esthétiques et paysagers. Les premières années, cela a
demandé un travail important, mais aujourd’hui, le site n’est plus fauché qu’une fois tous les
deux ans.
Astuce pour appauvrir le sol : semer du dactyle, qui est une espèce absorbant beaucoup
d’azote contenu dans le sol. Associée à une fauché répétée avec exportation, cette technique
permet vraiment un appauvrissement et une déseutrophisation du sol. Une autre solution est
de déplaquer le sol en surface puis de semer des espèces indigènes. L’avantage des espèces indigènes c’est qu’elles se naturalisent très facilement, puisqu’elles sont à l’aise dans
le milieu, et donc se ressèment d’année en année, pourvu que la gestion soit adaptée.
Une bande fleurie a été semée à l’entrée du site. Concernant le choix des espèces fleuries,
il est important de réintroduire des espèces mellifères adaptées aux insectes pollinisateurs.
On limite donc les hybrides ou les variétés horticole à forte floraison mais à faible production de pollen, de nectar, de fruits et de graines. En outre, cette flore artificielle demande
énormément de soins et d’entretien. En choisissant des espèces régionales qui sont adaptés
aux conditions climatiques et plus résistantes, on se soulage d’un besoin en soins intensifs
coûteux pour la commune et destructeur pour la faune locale ! On agit également en faveur
de la restauration de notre patrimoine naturel génétique local !
A l’intérieur du site, une mare temporaire avait été aménagée pour les hirondelles et les
libellules, mais l’aspect boueux de cette zone a déplu à un habitant du quartier qui l’a dégradée !
Des tas de bois mort sont aussi laissés ici pour permettre, entre autres, le refuge des hérissons et abeilles solitaires.
On trouve sur ce lieu des haies défensives qui ont la propriété d’être impénétrables pour
l’homme, et qui permettent l’installation d’espèces d’oiseaux particulières (fauvette grise
par exemple) nécessitant un minimum de calme, donc peu de fréquentation. L’accès d’un
lieu au public peut parfois n’être que visuel et non forcément physique.
Au décor visuel, on ajoute un décor auditif en permettant l’accueil d’oiseaux. Comme résultat, plus qu’un aspect décoratif visuel, c’est un décor vivant.
Quelques problèmes d’espèces invasives comme avec l’Ailante ou la Renouée du Japon se
posent sur ce site. Arracher l’Ailante n’est pas une solution. Concernant la Renouée, il faut
favoriser à la fois l’ombre par le boisement (la Renouée ne pousse qu’à des conditions d’ensoleillement appropriées), l’arrachage et le pâturage pour éliminer les jeunes repousses.
Sur le site, on utilise des chèvres. Il y a une nécessité de conscientiser les pépiniéristes et les
paysagistes face à certaines plantes ornementales qui se révèlent invasives dans le milieu
naturel !
La mode, le goût pour les plantes exotiques ont entrainé la régression et la raréfaction des
espèces locales et régionales. De plus, les désherbants éliminent la flore locale qui est pourtant d’une richesse inestimable. Il faut donc veiller à limiter les espèces exotiques dans les
plantations et d’éviter de suivre les modes végétales. On peut rechercher des pépiniéristes
et des horticulteurs qui proposent des plantes locales. On cherche aussi à accepter et à encourager la flore spontanée, par un nécessaire changement de regard et de culture sur ces
végétaux mal-aimés !

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