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dossier ANALYSES SECTORIELLES >> IMMOBILIER Le promoteur immobilier est-il en voie d’extinction ? L Entretien avec Bernard Moureau Félix Eboué 1954 Président du conseil de surveillance de Nouvelle Compagnie Marchande Chef d’orchestre et fabricant de rêves, le promoteur immobilier voit son action entraver par l’inflation réglementaire, les multiples normes et obligations. Mais à l’antagonisme bien ancré entre lui et l’État, il doit désormais relever un nouveau défi, celui de la dématérialisation. 36 / hors série / juillet 2014 e promoteur immobilier n’a pas toujours bonne presse, il est parfois perçu comme un « prédateur », agissant sans vergogne. Pour vous, qu’est-il réellement ? Bernard Moureau : Cette vision caricaturale du promoteur immobilier que vous men tionnez est à mille lieux de la réalité. Le promoteur réunit une combinaison de compétences mais surtout, il a une fonction humaine et sociale entre les besoins individuels et les contraintes collectives. Je m’explique : l’action du promoteur s’inscrit dans le rapport entre la nature et l’homme. Et dans ce rapport, la question posée est de savoir si la nature est l’ennemi premier de l’être humain ou l’inverse. D’un côté, la nature est imprévisible et totalement destructrice. Cataclysmes, tremblements de terre, tempêtes, changement climatique, illustrent régulièrement au cours des âges ce phénomène destructeur. Face à cet état, le promoteur crée et définit la protection, le refuge. Dès la sédentarisation, il construit et urbanise, agence les éléments protecteurs. Cette démarche est essentielle car par essence, l’être humain recherche l’abri. C’est ce que j’appelle le retour psychanalytique à l’utérus où il a vécu le meilleur de sa vie, l’origine du sentiment amoureux, l’amour total d’une mère. L’autre caractéristique du promoteur est qu’il écoute le client, autrement dit, l’homme et ses rêves ; il bâtit et il exprime ces rêves en dur et avec les moyens dont il dispose : d’abord le bois, la terre, la pierre, puis plus tard le béton, le métal, et aujourd’hui les produits de synthèse. Mais son seul souci n’est pas seulement de résoudre les problèmes liés à l’environnement et la lutte contre les éléments, d’autres contraintes viennent s’ajouter, liées dans le milieu ou son activité s’exerce, à des critères d’ordre politique, économique, philosophique ou religieux. À vous entendre, le promoteur est un fabricant de rêves qui fait la synthèse des besoins du client qui veut être sécurisé… Tout à fait, il doit bien comprendre ce qu’est le sens du rêve du client. Mais à cette fonc tion individuelle du promoteur s’oppose un pouvoir sociétal. Le progrès naturel de la société humaine crée la fonction étatique ; l’édifice conçu cesse d’être un habitat, il devient aussi fonction et doit s’intégrer dans le milieu qui l’accueille. Nait alors l’op position entre l’ordre nécessaire, c’est-à-dire l’État, et le désordre créatif, autrement dit la puissance créative du promoteur. Comment expliquez-vous cette opposition entre le promoteur et l’État ? La promotion immobilière construit : l’œuvre est solide, durable, attirante et satisfait aux besoins de son utilisateur. Toutefois, le pouvoir lui impose des règles, des normes, des obligations qui limitent le champ des possibles et rend difficile l’adéquation des désirs, des besoins et des moyens qui permettent de la réaliser. Certes pour l’inventivité du promoteur, les contraintes imposées par l’État peuvent s’avérer un aiguillon bénéfique, mais elles ne doivent pas devenir un coup de massue, annihilant tout esprit d’entreprise. L’État ne voit souvent dans le promoteur qu’un aléa économique et financier, tandis que le promoteur considère l’État comme un interlocuteur insaisissable, sourd et muet. Pourtant ce dialogue, difficile à établir, quand il réussit se révèle fécond. En re vanche, quand il échoue, tous les acteurs en présence en subissent les dommages. L’antagonisme est-il sans appel ? Le promoteur a couvert le monde de ses réalisations, laissant de ses oeuvres une trace souvent indélébile. Simples habitations ou quartiers entiers, bâtiments modestes ou monuments luxueux, elles sont visibles dossier ANALYSES SECTORIELLES >> IMMOBILIER par tous et on peut donc les dénigrer ou les admirer. Entre les désirs, les besoins et les moyens des individus pour réaliser leurs rêves et les contraintes qu’impose le pouvoir de la société, le combat est permanent ; les antagonismes semblent irréconciliables car souvent les mêmes mots couvrent les concepts différents selon celui qui les utilisent. Pourtant, une association productive entre le pouvoir et le promoteur immobilier est souhaitable et sans doute réalisable. Avec le bouleversement du rapport espacetemps, le développement des moyens de communication et d’action par les ondes, le flux ininterrompu des informations, quel est l’avenir du promoteur ? Le promoteur immobilier est en voie d’extinction. Aujourd’hui, il vit et subit la dématérialisation. Certes, il trouve encore un terreau dans les pays émergents et au Moyen-Orient mais force est de constater qu’avec la communication par Internet, sa présence ne peut que considérablement diminuer. Plus que les avancées de la technologie et de la robotique, la dématérialisation des communications a changé la donne, et ses effets sont encore incertains : va-t-on vers une simplification ou une complexification des opérations, des méthodes, des règles ? Il est encore difficile d’en anticiper et d’en évaluer l’impact sur le métier du promoteur immobilier, mais c’est un facteur de plus qu’il doit désormais prendre en compte.■ / hors série / juillet 2014 37