Bruxelles, 29 janvier 2008 Intervention de Sylvie Clément

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Bruxelles, 29 janvier 2008 Intervention de Sylvie Clément
3EME DIALOGUE FRANCO-ALLEMAND SUR LES MEDIAS :
« TELEVISION ETRANGERE EN FRANCE, EN ALLEMAGNE ET AU LUXEMBOURG –
REGULATION DES OPERATEURS PAR SATELLITE ? »
Bruxelles, 29 janvier 2008
Intervention de Sylvie Clément-Cuzin
La France : Une pour tous ? Tâches de la régulation par satellite dans « le pays
d’origine »
I – LA COMPETENCE DU CSA
EUTELSAT
SUR LES CHAINES EXTRA-COMMUNAUTAIRES DIFFUSEES SUR
A/ Les critères prévus par la directive TVSF
La directive « Télévision sans frontières » fixe un certain nombre de critères permettant de
rattacher toute chaîne de télévision reçue en Europe à un Etat membre de l’Union européenne
et à un seul. Bien qu’elle ait été remplacée par la directive « Services de médias
audiovisuels » du 11 décembre 2007, c’est toujours la directive TVSF qui s’applique en
pratique, compte tenu des délais de transposition.
Comme vous le savez, pour les chaînes établies hors d’Europe, les critères techniques de la
directive TVSF mettent en avant la capacité satellitaire ; cela rend en pratique le CSA
responsable du contrôle des programmes d’une grande partie des chaînes extracommunautaires diffusées par satellite en Europe, puisque la société Eutelsat est établie en
France.
B/ Les difficultés de mise en œuvre
La responsabilité du contrôle d’un très grand nombre de chaînes, pour la plupart en langue
étrangère, représente pour le CSA une très lourde charge.
Au-delà de ces difficultés de contrôle, il convient de relever que la simple détermination de
l’Etat compétent demeure problématique. Trois difficultés principales sont à signaler à cet
égard.
La première tient au cas où une chaîne extra-communautaire est diffusée sur plusieurs
satellites européens. Dans ce cas, la Commission européenne estime que c’est le pays du
premier satellite utilisé qui est compétent sur cette chaîne. Ce critère n’est cependant pas d’un
maniement facile et peut donc susciter des difficultés pratiques, lorsqu’il s’agit d’intervenir en
urgence.
La deuxième difficulté tient au cas où un autre Etat membre a délivré une licence à la
chaîne, par exemple en vue de sa reprise sur les réseaux câblés. Dans ce cas également, la
Commission européenne semble privilégier le critère de l’antériorité. Se pose néanmoins la
question de l’information du CSA sur les licences ainsi délivrées et sur leur suivi.
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La troisième difficulté tient à l’information du CSA sur les chaînes diffusées par Eutelsat.
En effet, Eutelsat ne loue pas directement de la capacité satellitaire aux chaînes. Elle loue des
multiplex à des opérateurs de télécommunications (Globecast , British télécom, etc.), qui euxmêmes contractent avec des chaînes. Eutelsat ne dispose donc pas d’information en temps réel
sur les chaînes qu’elle diffuse.
Cette question a fait l’objet de nombreuses réunions ou échanges de courriers avec Eutelsat.
Elle a conduit le législateur, sur proposition du CSA, à insérer dans la loi une obligation, pour
l’opérateur satellitaire, de fournir au CSA « toutes les informations nécessaires à
l’identification des éditeurs des services de télévision transportés ».
Néanmoins, cette obligation se heurte à de réelles difficultés de mise en œuvre. En pratique,
Eutelsat transmet régulièrement au CSA la liste des chaînes extra-communautaires qu’elle
diffuse, à partir des informations qu’elle collecte sur Lyngsat, site indépendant. Le CSA met
lui-même cette liste sur son site internet, afin que chacun puisse connaître les chaînes
relevant, a priori, de la compétence du CSA.
Ces difficultés compliquent beaucoup l’appréciation de la compétence du CSA, lorsqu’un
contenu problématique nous est signalé sur une chaîne extra-communautaire. Dans ces cas, le
CSA se rapproche d’Eutelsat et, si nécessaire, d’autres instances de régulation européennes,
pour réunir le maximum d’informations permettant de déterminer clairement quel est le pays
européen compétent.
Il faut enfin préciser que certaines chaînes extra-communautaires sont reçues dans certaines
parties d’Europe à partir de satellites relevant de sociétés établies hors d’Europe (Arabsat, par
exemple). Dans ce cas, la plupart du temps, aucun Etat membre n’est compétent.
C/ Les modifications résultant de la directive SMA
La question de l’Etat membre compétent sur les chaînes extra-communautaires a été examinée
dans le cadre de la négociation de la directive sur les services de médias audiovisuels du 11
décembre 2007, qui remplace la directive « Télévision sans frontières ».
Plusieurs pistes ont été envisagées, notamment l’hypothèse d’un critère linguistique ou celle
d’un critère tenant au public principalement visé.
Finalement, le § 4 de l’article 2 conserve des critères techniques, mais les présente dans un
ordre différent :
- en premier lieu, est utilisé le critère de la liaison montante utilisée ;
- en l’absence d’utilisation d’une liaison montante située dans un Etat membre, on se
réfère à la capacité satellitaire utilisée.
Par rapport à la directive actuelle, il y a donc inversion des critères de la liaison montante et
de la capacité satellitaire. Cette inversion devrait permettre de soustraire de la compétence de
la France un certain nombre de chaînes extra-communautaires. Elle devrait en outre faciliter
l’intervention des autorités concernées, qui seront à même de solliciter, en cas de problème
grave, l’interruption du signal.
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La mise en œuvre de ces nouveaux critères nécessitera probablement une coopération accrue
entre les autorités nationales concernées, afin de déterminer aussi clairement que possible les
chaînes relevant de la compétence de chaque Etat membre.
Lors de la réunion du Comité de contact du 20 novembre 2007, la Commission européenne a
suggéré que les dispositions nationales de transposition en matière de compétence sur les
chaînes satellitaires extra-européennes entrent en vigueur à la fin de la période de
transposition, afin d’éviter tout chevauchement entre les critères de la directive TVSF et
ceux de la directive SMA. Ainsi, la France devrait conserver la compétence sur l'ensemble des
chaines extra-communautaires diffusées par Eutelsat jusqu'à la fin 2009.
II – LES MOYENS D’ACTION DU CSA
Jusqu’à la loi du 23 janvier 2006, l’ensemble des chaînes relevant de la compétence du CSA
devaient conclure avec lui une convention fixant ses obligations propres.
Or, cette procédure était manifestement inappropriée, compte tenu du nombre très important
de chaînes extra-communautaires diffusées sur Eutelsat et des obstacles linguistiques et
culturels auxquels elle se heurtait. De plus, ainsi que nous allons le voir, le conventionnement
pouvait constituer une source de difficultés et de lourdeur dans l’engagement des mesures
permettant de sanctionner la diffusion de programmes ne respectant pas le droit français de
l’audiovisuel, en particulier de programmes incitant à la haine raciale.
La loi du 23 janvier 2006 a mis fin à cette procédure. Désormais, les chaînes extracommunautaires peuvent être diffusées sans formalité préalable. Le contrôle du CSA à
l’égard de ces chaînes s’exerce donc a posteriori et non plus a priori.
La loi prévoit en outre que la société Eutelsat et les distributeurs de services (Canalsatellite et
les câblo-opérateurs) sont tenus d’informer les éditeurs de services du régime qui leur est
applicable.
Les principaux moyens d’action du CSA à l’égard des chaînes extra-communautaires aux
contenus illégaux sont la saisine du Conseil d’Etat et la mise en demeure d’Eutelsat ou de
l’éditeur.
A/ La saisine du Conseil d’Etat
Cette procédure n’a été utilisée que deux fois à ce jour, dans les deux cas à l’égard de la
chaîne de télévision libanaise Al-Manar, proche du Hezbollah.
Cette chaîne avait programmé durant les mois d’octobre et de novembre 2003 une série
télévisée de 29 épisodes intitulée Diaspora dépeignant une conspiration datant de plusieurs
siècles menée par la famille Rothschild et relayée par les rabbins et les leaders sionistes.
L’épisode 20, diffusé le 18 novembre 2003, comportait une scène particulièrement violente
dans laquelle des juifs assassinaient un enfant chrétien et utilisaient son sang pour cuire des
« matzos » pour Pâques.
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Le Conseil a donc saisi le procureur de la République le 13 janvier 2004 pour incitation à la
haine raciale. Il a également appelé l’attention du gouvernement sur la nécessité de modifier
la loi afin de prévoir des moyens d’intervention plus directs à l’égard de ce type de chaîne.
Dans le cadre de la loi du 9 juillet 2004, le Conseil supérieur de l'audiovisuel s'est vu donner
la possibilité de demander au Conseil d'État qu'il soit ordonné à Eutelsat de faire cesser la
diffusion d'un service de télévision dont les programmes porteraient atteinte aux principes
consacrés par la loi de 1986 sur l’audiovisuel.
Dès la promulgation de la loi du 9 juillet 2004, le CSA a saisi le Conseil d'État en lui
demandant de mettre fin sous astreinte à la diffusion par Eutelsat du service de télévision Al
Manar.
Le jour de l’audience, les responsables d’Al Manar ont affirmé devant le juge des référés leur
volonté de respecter le droit français et de signer, à cette fin, une convention avec le CSA.
Par ordonnance du 20 août 2004, le juge des référés du Conseil d’Etat a donc ordonné à
Eutelsat de mettre fin à la diffusion d’Al Manar, sauf si les responsables de cette chaîne
déposaient une demande de conventionnement au CSA avant le 1er octobre 2004.
Cette demande a été formulée le 21 septembre 2004.
Dans le cadre de l’instruction de cette demande, le CSA a examiné très attentivement les
programmes d’Al Manar. Il a relevé le maintien de programmes qui lui semblaient inciter à la
haine ou à la violence pour des raisons de religion ou de nationalité.
Au cours d’une rencontre avec les représentants de la chaîne, il leur a été dit que de tels
programmes n’étaient pas conformes au droit français de l’audiovisuel et que la tonalité
militante de la chaîne ne pouvait être acceptée qu’à la condition d’exclure tout programme
incitant à la haine ou à la violence pour des raisons de nationalité ou de religion.
Face aux engagements des responsables de la chaîne de se mettre en conformité avec le droit
français, le CSA a décidé le 19 novembre 2004 de signer une convention, permettant la
diffusion de la chaîne Al Manar en Europe.
Malgré ces engagements, le CSA a constaté, après la signature de la convention, la diffusion
de nouveaux programmes incitant à la haine ou à la violence pour des raisons de race ou de
religion.
Lors de sa séance plénière du 30 novembre 2004, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a donc
décidé de demander à nouveau au Président de la Section du contentieux du Conseil d'État
d’enjoindre à la société Eutelsat de faire cesser la diffusion d’Al Manar, ce qu'il a obtenu
par une ordonnance prononcée le 13 décembre 2004.
Cette procédure a illustré les inconvénients que comportait le régime de conventionnement
des chaînes, auquel il a été mis fin par la loi du 23 janvier 2006 précitée.
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B/ La mise en demeure d’Eutelsat
L’affaire Al Manar ayant révélé les inconvénients que revêtait, à l’époque, la saisine du
Conseil d’Etat, en raison de l’articulation de cette procédure avec l’éventuelle demande de
conventionnement de la chaîne, le CSA a mis en œuvre, pour le service de télévision « Sahar
1 », chaîne publique iranienne, une nouvelle procédure.
Sahar 1 avait diffusé, à partir du 13 décembre 2004, un feuilleton intitulé « Pour toi, Palestine
ou les yeux bleus de Zahra », qui présentait systématiquement les Israéliens et les Juifs de
manière avilissante, sous les traits de personnages sans scrupules, prêts notamment à prendre
les yeux d’une enfant.
En décembre 2004 et janvier 2005, la chaîne a en outre diffusé le feuilleton « Diaspora », qui
avait été à la base de l’intervention du CSA à l’encontre d’Al Manar quelques mois plus tôt.
Enfin, dans l’émission « Le monde en question », diffusée en français le jeudi 3 février 2005
entre 22 heures 12 et 22 heures 45 (heure française) et consacrée à « l’instrumentalisation de
l'holocauste à des fins politiques », M. Robert FAURISSON, présenté simplement comme un
« historien français », a pu pendant 10 minutes, sans jamais être contredit, développer ses
théories négationnistes lui ayant valu la condamnation des tribunaux français.
A la suite de la diffusion de ces programmes, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a, par une
décision du 10 février 2005, mis en demeure la société Eutelsat de cesser dans un délai d'un
mois la diffusion du service de télévision Sahar 1, décision validée le 3 mars 2005 par le juge
des référés du Conseil d'Etat.
Le 3 avril 2007, le Conseil a également mis en demeure Eutelsat de ne plus diffuser la chaîne
irakienne Al-Zawra, dont les programmes étaient essentiellement constitués d’images
d’attentats perpétrés contre les forces américaines et d’images de propagande montrant
l’entraînement de groupes paramilitaires sur fond d’appel à la guerre et d’apologie de crimes.
C/ La mise en demeure de l’éditeur
Comme à l’égard de l’ensemble des chaînes relevant de sa compétence, le CSA dispose vis-àvis des chaînes extra-communautaires d’un pouvoir de sanction, qui s’exerce nécessairement
après mise en demeure de l’éditeur.
Le CSA peut donc mettre en demeure l’éditeur d’une chaîne extra-communautaire relevant de
sa compétence de respecter, à l’avenir, les obligations qui auraient été méconnues. Un
nouveau manquement pourrait entraîner le prononcé d’une sanction.
Parallèlement à la saisine du juge des référés dans l’affaire Al Manar, le CSA avait ainsi mis
la chaîne en demeure de ne plus diffuser de programmes incitant à la haine ou à la violence
pour des raisons de race ou de religion. Le renouvellement de tels faits avait entraîné
l’engagement d’une procédure de sanction, qui s’est achevée par la résiliation unilatérale de la
convention.
Depuis cette affaire, le CSA n’a plus utilisé cette procédure.
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Toutefois, par délibération en date du 16 mai 2006, le Conseil a mis en garde la chaîne Iqra
TV, établie en Arabie Saoudite et diffusée en France par satellite et ADSL, contre la tenue sur
son antenne de propos pouvant inciter à la haine ou à la violence, tels ceux tenus le 2 avril
2006 qui appelaient à la destruction de l'État d'Israël.
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Le CSA dispose donc d’un arsenal juridique qui lui permet de faire obstacle à la diffusion de
programmes incitant à la haine. Par ailleurs, le CSA s’attache à développer, sur ces sujets, la
coopération avec ses partenaires européens.
Au-delà de contacts bilatéraux entre le CSA et ses homologues européens sur des cas
particuliers, le Conseil leur a notamment transmis en 2007 la liste des chaînes extracommunautaires diffusées par Eutelsat sur le forum restreint de discussion mis en place par la
Commission européenne1, afin de leur demander si ces chaînes n’avaient pas fait l’objet de
leur part d’une autorisation de diffusion ou de distribution. Cette liste est également
disponible sur le site du CSA.
Cette liste sera prochainement complétée par l’indication des liaisons montantes utilisées, ce
qui facilitera l’identification de l’Etat membre compétent après la transposition de la directive
SMA.
Il faut par ailleurs noter que le cas de programmes pouvant inciter à la haine ne s’est pas
seulement présenté pour des chaînes extra-communautaires : le Conseil a déjà refusé le
conventionnement de chaînes établies en France et diffusées en langue étrangère au motif
qu’elles étaient susceptibles d’entraîner un trouble à l’ordre public.
Le CSA a notamment refusé, en 2003, le conventionnement de la chaîne Medya TV, chaîne
liée au PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan, inscrit sur la liste des organisations
reconnues comme terroristes par l’Union européenne. Le Conseil avait alors interrogé ses
partenaires européens sur le sujet. Le Conseil d’Etat, saisi de cette affaire, a validé
l’appréciation du CSA selon laquelle les risques pour l’ordre public susceptibles de résulter de
la diffusion de cette chaîne, tant en France que dans plusieurs pays européens, étaient d’une
gravité suffisante pour justifier un refus de conventionnement.
C’est une ligne comparable que le Conseil a suivie en refusant, en 2006, le conventionnement
de la chaîne tamoule TTN (Tamil Television Network), proche du mouvement des Tigres de
Libération de l’Eelam Tamouls (TLET ou LTTE, selon l’acronyme anglais), qui figure
également sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne, depuis mai 2006.
Merci de votre attention.
1
https://circa.europa.eu/

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