Opéra - De Mozart à Bergman. La flûte enchantée
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Opéra - De Mozart à Bergman. La flûte enchantée
De Mozart à Bergman. La Flûte Enchantée De l’opéra au cinéma… Les époques changent, avec elles les coutumes. Il s’est produit au XXème siècle un renversement artistique majeur : le cinéma a détrôné l’opéra. Les grands décors ne trompent plus l’œil tandis que l’invention des frères Lumière surprend et épate. L’opéra s’enferme peu à peu dans un cadre élitiste et bourgeois ; il ne s’agit plus seulement de musique, de chant mais aussi d’architecture, d’habitudes et d’image. Le cinéma, quant à lui, devient très vite populaire et est apprécié aussi bien par la haute bourgeoisie que par les illettrés des bas-quartiers. C’est en récupérant les fonctions politiques de l’opéra que le Triumph der Willens (Le triomphe de la volonté) de Leni Riefenstahl devient en 1935 ce qu’était le Nabucco de Verdi un siècle plus tôt : une arme de propagande. « Le cinéma est pour nous, de tous les arts, le plus important. » dira Lénine. Pouvant émouvoir très rapidement une grande partie de la population – selon un sondage réalisé en 1997, 95% des français sont déjà allés dans une salle de cinéma -, le cinéma remodèle l’imaginaire collectif et aiguille la pensée des peuples. Partageant diverses fonctions, cinéma et opéra présentent ainsi diverses convergences. Un second lien se tisse entre les deux formes d’art. Alors que l’on pensait que l’opéra était devenu une spécificité russe ou polonaise, voilà qu’il réapparaît là où on ne l’attendait guère : au cinéma. L’opéra est mort. Vive l’opéra ! Echappé de son cadre élitiste, il revient dans les salles obscures et sur nos écrans de télévisions, permettant à l’ensemble de la société de découvrir des chefs d’œuvres presque oubliés ; car, en effet, bien que dépouillé de ses fonctions, les sujets et les airs restent les mêmes et c’est ainsi que l’on retrouve des airs de Wagner dans Excalibur ou Apocalypse Now. Cela va même plus loin jusqu’à dépasser notre conscience. Prenez à témoin les gens autour de vous. Fredonnez « la Chevauchée des Walkyries ». Demandez à quoi cela fait penser. Combien de vos proches vous parleront d’hélicoptères ? et combien d’entre eux vous parleront de Walkyries ? L’opéra est bel et bien présent dans l’inconscient collectif. Discret, caché, il tire pourtant beaucoup de ficelles via le cinéma. Manifestes sont alors les interactions entre l’opéra et le cinéma. Ce sont elles que ce mémoire tâchera d’analyser en s’appuyant sur le cas particulier de la flûte enchantée de Mozart. Une telle restriction dans la rédaction de ces lignes n’est justifiée que par les goûts de son auteur et la volonté de celui-ci d’y noyer subrepticement la profonde pauvreté de sa culture en opéra. Bien qu’il s’agisse ici d’un mémoire rédigé dans un cadre scolaire, il s’affranchira de toute structure et de tout plan qui arracherait diverses parties aux autres, privant l’ensemble de son unité et de sa continuité. Il ne faut toutefois pas en voir là l’affirmation d’une rédaction hâtive et d’un désordre complet. Le lecteur trouvera à la fin une annexe présentant des informations sur Mozart, un résumé de la Flûte Enchantée, une courte biographie et une filmographie sélective d’Ingmar Bergman outrageusement recopiés de Wikipédia. Le lecteur est invité à s’y reporter rapidement s’il n’est pas familier avec l’un des sujets évoqués. Une des principales causes du détrônement de l’opéra par le cinéma au début du siècle dernier a été, nous l’avons dit, l’emprisonnement de l’opéra dans un cadre élitiste. Les habitudes artistiques d’une population reflètent l’état de la lutte des classes dans celle-ci. Si l’opéra veut subsister, il doit s’adapter à la société actuelle dans laquelle l’art n’est plus l’exclusivité d’une certaine couche sociale mais un bien commun. Cette adaptation commence par la construction d’opéras (l’Opéra Bastille, l’Opéra de Lyon), par la constitution d’abonnements et de tarifs réduits. Par exemple, un jeune de moins de 28 ans peut acheter son abonnement aux Opéras de Paris pour trois opéras et un ballet pour la modique somme de … 95€. Bon marché car une place d’opéra coûterait terriblement cher s’il n’y avait pas de mécènes ni de subventions de l’état. Cher, quand on songe aux jeunes de banlieue qui seraient curieux de découvrir ce qu’est l’opéra mais qui ne s’aventureront jamais à investir tant d’argent dans une chose qui leur paraît si éloignée de leurs habitudes. Comment fait-il alors ? Comment font les personnes âgées de plus de 28 ans qui ne peuvent se permettre un abonnement ? 1. Elles ne découvriront jamais l’opéra. 2. Elles attendent qu’on leur offre une place. 3. Elles regardent un opéra filmé. C’est bien entendu de cette dernière possibilité dont on va parler ici. C’est une pratique répandue que de diffuser des représentations en direct (depuis le Metropolitan Opera à New York dans des salles Gaumont en France) ou de regarder chez soi des représentations d’opéras qui ont été filmées. Nous parlerons ici de deux représentations de la flûte enchantée qui ont été filmées. La première est une captation qui nous vient d’Outre-Manche, réalisée pour la BBC en 2003, dans laquelle l’orchestre est dirigé par Sir Colin Davis au Royal Opera House. La mise en scène de David McVicar y est très sombre et sérieuse. La seconde représentation a été filmée à l’Opéra Garnier en 2001. L’Opéra national de Paris y est dirigé par Ivan Fischer. La mise en scène de Benno Besson est assez riche en décors et gaie. L’exercice de la captation est assez difficile et l’on peut être bon réalisateur et mauvais « captateur » d’opéra. La difficulté de l’exercice tient du fait qu’il y a un compromis incessant à trouver entre l’image et le son. Une image trop belle, dynamique nous distrairait trop, nous empêchant de nous concentrer sur le son, la musique et les chants. Il est toutefois important de maintenant le spectateur éveillé et actif en utilisant des jeux de caméra. De la tension et du jeu existant entre le son et l’image tiennent la réussite d’une captation d’opéra. Afin de remplir sa fonction dite d’élargissement de la portée sociale, l’opéra filmé ne nécessite qu’a priori un plan d’ensemble de la scène, la caméra se situant là où se trouverait un spectateur bien placé dans l’opéra. Ainsi, pour le prix d’un simple dvd on peut voir ce qu’aurait vu un spectateur qui aurait payé 130€ ! Plan d’ensemble extrait de la version de la Flûte Enchantée au Palais Garnier en 2001. On voit ce que voit un spectateur placé sur un siège proche de la scène et centré par rapport à celle-ci. Première image de la représentation au Royal Opera House. La caméra a le point de vue d’un spectateur au premier rang du premier balcon. On voit la scène non centrée, l’orchestre et le public. Il est cependant impensable de regarder un plan fixe pendant près de trois heures. De plus, le spectateur qui est dans l’opéra bénéficie d’un son hors pair : il entend sans intermédiaire le son produit par les instruments. Celui qui a acheté son DVD n’entend malheureusement qu’un enregistrement de ce son. Il ne peut ressentir les vibrations produites par chacun des instruments. Les opéras récents répondent de plus à un souci de perfection acoustique impressionnant. Aucun artefact électrique ne pourra jamais donner l’illusion du son produit dans ces lieux hors du commun. Le problème est connu de tous et tous emploient la même tricherie : on accentue le jeu de la caméra, on divertit le spectateur de sorte qu’il ne se rende pas compte qu’il ne sent pas les vibrations (qu’il n’a peutêtre jamais connues…). C’est à partir de ce moment-là que l’opéra filmé devient cinéma. Les techniques utilisées sont les plus basiques – il ne faut pas non plus que le spectateur voie un opéra pour ses images… Aussi pourra-t-on voir des raccords un peu « secs » entre un plan d’ensemble et un plan rapproché afin de voir plus près celui ou celle qui chante. On se détache alors complètement du spectacle qu’est l’opéra et durant lequel le spectateur est attaché à sa chaise, contraint d’avoir le même point de vue durant tout le spectacle et bien entendu n’ayant pas le droit de monter sur scène voir de plus près les interprètes ! La caméra, elle, le peut. Afin de ne pas laisser le son au second plan, le captateur avisé pourra coordonner les mouvements de caméra avec les variations du son. Par exemple, durant l’air de Tamino (Dies Bildnis ist bezaubernd schön), lorsque Tamino dit « Ce ne peut être que l’amour », il répète les « Liebe » (amour) de plus en plus fort et la caméra suit ses paroles en zoomant de plus en plus sur lui : Zoom avant qui suit la musique durant l’air de Tamino. Représentation du Royal Opera House. Les règles conventionnelles du cinéma sont généralement respectées. Il n’est pas question dans l’opéra filmé d’être original et de faire du cinéma d’auteur. L’une des premières sacro-saintes règles du cinéma inviolée dans l’opéra filmé est la règle des 180° interdisant la caméra de traverser un axe imaginaire reliant deux protagonistes sur scène. Au cinéma, cette règle est nécessaire pour ne pas perturber le spectateur, si elle est transgressée, le spectateur peut avoir l’impression qu’il s’agit de deux scènes différentes ou que les personnages se tournent le dos. La règle est encore plus primordiale dans l’opéra filmé : en effet, ce dernier doit maintenir l’illusion que celui qui regarde son écran se trouve assis dans un opéra. Il est alors impensable que la caméra se place en coulisses pour voir la scène et derrière elle, l’audience, avec le spectateur ! Chaque raccord doit se faire discret, rendre la caméra fluide comme si elle était le regard du spectateur, se focalisant sur ceux qui chantent. Ainsi les voix sont-elles rarement hors-champ. On ne pourra jamais dire d’un raccord que c’est un bon raccord, car si tel avait été le cas, on n’aurait pas dû y prêter attention. L’illusion et la fluidité priment dans l’opéra filmé afin de ne pas perturber le spectateur dans l’écoute de l’opéra. Cette volonté de se focaliser sur la musique va même parfois plus loin et se retrouve dans la mise en scène. Ainsi, dans la captation au Royal Opera House, le metteur en scène David McVicar a choisi pour l’air de Pamina et Papageno (Bei Männern, welche Liebe fühlen) de les faire s’asseoir sur le bord de la scène. Voici ce que dit Sir Colin Davis, le chef d’orchestre à ce sujet : « On ne jouerait aucun opéra si ce n’était pour la musique, il faut donc la laisser s’exprimer. Mais il semble y avoir une conspiration pour empêcher cela, dans certains cercles. Mais il [David McVicar] a ignoré tout cela. Quand Papageno et Pamina chantent leur adorable chanson, ils sont tout simplement assis au bord de la scène. Il n’y a rien d’autre pour nous distraire et on peut se concentrer sur cette magnifique musique. » Sir Colin Davis Air de Papageno et Pamina au Royal Opera House. On retrouve la même volonté dans la version du Palais Garnier : le décor chargé est oublié et la caméra place Pamina et Papagena sur un fond jaune or. Air de Pamina et Papageno au Palais Garnier. On reconnaîtra l’interprète de Pamina, déjà vue à la page précédente… On n’oubliera pas toutefois qu’il s’agit d’un spectacle et pas de cinéma. On ne regarde pas une histoire mais une représentation qui a eu lieu, de la même manière que l’on regarderait un reportage journalistique. Certains éléments sont d’ailleurs là pour nous le rappeler : - - - Tout d’abord, l’entracte. Elle n’a pas disparue à l’instar des pages publicitaires dans les films par rapport à la télévision. Certes, le captateur n’a laissé que la tombée du rideau, le retour du chef d’orchestre, les applaudissements et enfin la levée du rideau. Mais en faut-il vraiment plus pour faire une pause dans l’histoire ? A eux seuls, ces quelques éléments replongent le spectateur, emporté sur la scène par les gros plans de la caméra, dans son fauteuil d’opéra, reconstituant autour de lui le cadre architectural qui venait à peine d’être sublimé par la scène. Ensuite, on appréciera quelques encarts sur l’orchestre et le maestro qui le dirige. Quelques plans fixes pourront ainsi nous aider à faire ressurgir la bande son dans notre esprit et à lutter contre la distraction des images. Enfin, sont présents tous les éléments inhérents au spectacle : applaudissements, changements de décors, déguisements non crédibles etc. Ivan Fischer, chef d’orchestre au Palais Garnier. Plan entre deux scènes de la Flûte Enchantée. C’est donc en partie grâce au cinéma que l’opéra a pu ressurgir des tréfonds où on l’y a laissé à la fin du XIXème siècle. L’opéra filmé est un genre particulier entre deux univers et qui manifeste une certaine tension entre le monde du spectacle et le monde du rêve. Il s’agit d’une grande histoire de dosages et de compromis. Pourtant, certains sont passés au-delà de ces compromis. Peut-être parce qu’ils trouvaient l’opéra filmé trop contraignant (à mon avis, ce n’est pas le cas) ou peut-être parce qu’ils voulaient s’approprier un opéra et franchir ce pas, surpassant cette tension pour immerger l’opéra dans le cinéma. D’un point de vue sociologique, cette immersion ne peut qu’augmenter le nombre de personnes susceptibles d’avoir la chance d’approcher cette sphère si mystérieuse qu’est l’opéra. Cependant, certains abjureront contre ces réalisateurs loufoques, prétendus démiurges esthètes qui auront osé s’attaquer au noble art de l’opéra. Bien entendu, on reconnaîtra parmi ces criards, les implacables geôliers de la sphère inatteignable. C’est un pas vers la vulgarisation qu’ont donc accompli ces génies qui ont su jouer aussi bien avec leur talent de réalisateur qu’avec l’opéra. Par manque de temps lors de la rédaction, nous ne verrons dans ce mémoire que l’un de ces génies : Ingmar Bergman qui a ainsi voulu s’approprier un thème qui lui était cher depuis son enfance : La Flûte Enchantée. Il en est ressorti un film psychologique et moralisateur, comme tous les films de Bergman. La morale devant toucher le maximum de personnes, Bergman a su vulgariser autant qu’il le fallait. Tout d’abord, il recompose entièrement le livret de Schikaneder en le faisant traduire en… suédois ! La langue ne doit pas être un obstacle à la compréhension ; or, l’appréhension de la lecture des sous-titres n’aide pas un néophyte à s’enrichir d’une expérience à l’opéra. Cette traduction va même au-delà de la simple vulgarisation : le film de Bergman est un manifeste à l’universalité. Universalité des thèmes. Universalité de la musique. Universalité de l’œuvre. Universalité de la morale. Universalité du conflit. Universalité de l’amour. C’est donc avec soin que Bergman s’attellera à sa besogne de placer sa Flûte Enchantée dans un décor neutre et atemporel. Il commence dès l’ouverture par nous présenter un public multi-ethnique et de tous les âges ! (cf. page suivante). Tout comme le fait que la morale apportée concerne tout le monde, tout le monde est concerné par la Flûte Enchantée, tout le monde peut venir la voir et le théâtre devient un non-lieu, une utopie réunissant les peuples et les âges, une Tour de Babel où la langue universelle du chant, de la musique, du cœur est comprise par tous. On remarquera particulièrement une petite fille : la fille de Bergman. Elle est le vecteur des émotions tout au long du film : là où la caméra fait perdre de la magie de l’opéra, Bergman la régénère en intercalant des plans expressifs de sa fille, tantôt souriante, tantôt surprise, parfois effrayée. Il s’assure ainsi de ne pas perdre le spectateur mais surtout elle est l’une des composantes principale de la leçon de morale que Bergman nous apporte. Cette jeune fille est dans le théâtre, assise près de nous, suffisamment près pour qu’on puisse voir son visage s’exprimer. Aussi durant la pièce, la regardera-t-on de temps en temps et son visage nous dira que penser de la scène : faut-il sourire ? avoir peur ? rire ? Suffisamment innocente, elle devient le modèle de morale à suivre. Le film est très intimiste. Nous sommes proches des spectateurs et des interprètes – il n’y a qu’à compter le nombre de gros plans... Cette proximité rend possible la pédagogie bergmanienne. Malheureusement, elle est difficilement compatible avec l’opéra, ses grandes architectures et ses grands décors. Ainsi, Bergman a-t-il préféré utiliser comme lieu de l’action un théâtre : le théâtre baroque du château de Drottningholm (en réalité, il s’agit d’une reconstitution en studio car le théâtre était trop petit pour l’équipe de tournage…). En résumé, Bergman réalise un film de la représentation théâtrale d’un opéra… En voulant jouer le jeu, il a respecté les règles et les codes du théâtre : il a laissé la scène avec ses planches, le rideau, les trois coups de bâton pour annoncer le début du premier acte, … Toutefois, en navigant entre les arts, il joue avec ses règles : certes la scène est bien présente, mais les décors créent une ligne de fuite prolongeant cette scène intimiste par un espace infini. Détails du rideau durant l’ouverture. Public durant l’ouverture. Quelqu’un a été rajouté deux fois. Saurez-vous le retrouver ? Les 3 génies guident Tamino et Papageno & l’arrivée de la Reine de la Nuit – La superposition des différents décors fait croire à un espace bien plus grand que celui de la scène. De même, en filmant, Bergman s’autorise des cadrages, des détails, parfois gros, qui vont à l’encontre des conventions théâtrales. Les deux pages qui suivent sont consacrées à l’énumération des éléments qui rapprochent La Flûte Enchantée d’Ingmar Bergman au cinéma. Les 3 génies guident Tamino et Papageno – Le jeu de plongée/contre-plongée éloigne Bergman des conventions théâtrales et de l’opéra filmé où l’on voit la scène que de face. De nouveaux mouvements de caméra apparaissent par rapport à l’opéra filmé : on aura déjà noté les plongées et contre-plongées, les zooms arrières mais l’on trouve aussi des zooms dits angulaires, comme celui-ci lorsque les trois dames libèrent Tamino du dragon. Les 3 dames libèrent Tamino – la caméra part de Tamino, pivote vers le haut pour atteindre le dragon terrassé, continue son mouvement, supplante une partie du décor et atteint les 3 dames salvatrices. Arrivée de Sarastro – La mise en scène spectaculaire est cinématographique (par opposition à l’opéra filmé) : flammes devant la caméra, zooms avant et arrière, contre-plongée sur le char, construction géométrique de l’image… Le médaillon que les 3 dames ont confié à Tamino – Le portrait de Pamina y bouge à l’intérieur. Impossible à l’opéra, facile au cinéma… En se rapprochant du cinéma, Bergman rompt aussi une partie des liens qui rattachaient son œuvre au théâtre et à l’opéra. Tout d’abord, contrairement aux opéras filmés qui, en général, nous présentent l’orchestre dans l’ouverture, La Flûte Enchantée de Bergman le dissimule totalement. On ne verra ni violon, ni cor, ni timbale… La musique est toujours hors-champ mais elle n’est pas reléguée au même titre qu’une vulgaire bande originale d’un film d’action testostéroné… La musique transcende le reste, son origine reste inconnue mais elle est là, elle participe à l’action, à l’histoire et à la magie du film. Le fait de ne pas voir l’orchestre permet de mieux plonger le spectateur dans l’illusion du cinéma. Rompent aussi les liens avec le théâtre les coulisses que les spectateurs ne sont pas habitués à voir. Ils apparaissent à deux reprises. Une première fois, discrètement, la caméra vient sortir Papageno de ses rêveries pour l’emmener sur scène. La seconde fois, c’est durant l’entracte. Il n’est pas coupé comme dans les opéras filmés mais on le vit avec les acteurs qui durant cinq minutes reprennent leur vie d’acteur : ils jouent aux échecs, révisent le texte de leur prochaine pièce, ou bien se détendent, comme la reine de la nuit qui fume une cigarette devant le panneau « Défense absolue de fumer » ! Le lien est apparemment totalement rompu avec le théâtre, du moins la captation théâtrale… puisque le théâtre s’est retrouvé, comme l’opéra, happé par la maîtrise cinématographique, par le coup de génie d’Ingmar Bergman. Au-delà des frontières entre cinéma, opéra et théâtre, il a réussi à les combiner, à créer une symbiose qui n’est ni cinéma, ni opéra, ni théâtre mais de l’art. Les acteurs durant l’entracte. Papageno se recoiffant avant de faire son entrée sur scène. Nous avons ainsi vu que Bergman a voulu créer un cadre vulgarisateur et moralisateur pour son film. Mais quelle est donc cette morale qu’il a voulu nous inculquer ? Quel enseignement a besoin d’un tel cadre pour être transmis ? Quelle pédagogie nécessite donc une telle mise en œuvre ? L’ultime conflit entre le bien et le mal, le jour et la nuit, le blanc et le noir, le paradis et l’enfer, le yin et le yang, Dieu et les démons. Tout simplement. Chaque personnage est la personnification d’une entité. Sarastro est la sagesse, le jour, la lumière et le bien, Tamino et Pamina, l’amour, la spiritualité, l’innocence, la naïveté, les enfants qu’il faut initier (attention, fortes allusions franc-maçonniques), Papageno et Papagena sont la chair, le plaisir, la bêtise, la légèreté, la corporéité, la Reine de la Nuit, le mal, la nuit, la vengeance, la souffrance et enfin Monostatos la bassesse, l’hypocrisie. Les leçons sont vite tirées : la bassesse et l’hypocrisie sont punies, le mal disparaît, l’amour triomphe. Sarastro, le sage aux traits christiques, est accompagné sur la photo de droite, autour d’une table par douze prêtres. Cela vous évoque des souvenirs ? Les morales sont mises en valeur par les panneaux sous-titres que tiennent Papageno et Pamina durant leur chant : « Tout homme, par l’amour éveillé, est toute tendresse et bonté. Chaque femme est prête pour qui l’aime d’un réel amour. L’amour est en nous jour et nuit une source de joies infinies. L’amour allège les tourments et se multiplie dans le Temps. La Nature est née de l’Amour. En lui, tout se renouvelle. Le Maître d’œuvre créa l’Amour. La main de Dieu tissa en elle et en lui, ce divin fil qui les unit. » « Si ici bas, tout homme aimable avait ces cloches inestimables. Ses ennemis, oui, très bientôt, deviendraient bien plus amicaux. Et l’harmonie s’installerait dans notre univers tout entier. » L’enfer des flammes et des eaux vus par Ingmar Bergman. Ils sont associés à la nudité et au péché de la chair. Après avoir résisté en traversant ses enfers, Tamino et Pamina pourront se marier et s’unir. On retrouve la morale caractéristique d’Ingmar Bergman, élevé par une mère amatrice de chantage affectif et un père pasteur luthérien. L’air de la Reine de la Nuit ou le paroxysme du conflit mère/fille et de la rupture du lien filial. On retrouve ici toute la noirceur de la thématique bergmanienne du conflit familial (on pensera entre autres à Scènes de la Vie Conjugale et Fanny et Alexandre). Bergman a accompli l’exploit de ne retenir que l’universel dans La Flûte Enchantée et de le mettre à la portée du grand public tout en en donnant sa vision personnelle. C’est certainement cela qui rend l’œuvre bien plus accessible qu’une simple captation d’opéra. Le cinéma est ici au service de l’opéra lui-même au service du cinéma, le tout au service d’Ingmar Bergman et afin de faire hommage à Mozart et à son œuvre atemporelle. Pour aller plus loin : The Magic Flute de Kenneth Branagh (2003). Cette œuvre va plus loin dans la transposition de l’opéra au cinéma en transposant la flûte enchantée dans les tranchées de la première guerre mondiale… Quelques (nombreuses) images pour vous donner envie : On aura remarqué le bond en avant à nouveau effectué par ce film même par rapport à celui de Bergman… Annexes (Wikipedia) Mozart en quelques mots Joannes Chrysostomus Wolfgangus Theophilus Mozart, ou Wolfgang Amadeus Mozart (né à Salzbourg, principauté du Saint-Empire romain germanique, le 27 janvier 1756 – mort à Vienne le 5 décembre 1791) est un compositeur allemand. Mort à trente-cinq ans, il laisse une œuvre importante (626 œuvres sont répertoriées dans le Catalogue Köchel), qui embrasse tous les genres musicaux de son époque. Selon le témoignage de ses contemporains, il était, au piano comme au violon, un virtuose. On reconnaît généralement qu’il a porté à un point de perfection le concerto, la symphonie, et la sonate, qui devinrent après lui les principales formes de la musique classique, et qu’il fut un des plus grands maîtres de l’opéra. Son succès ne s’est jamais démenti. Son nom est passé dans le langage courant comme synonyme de génie, de virtuosité et de maîtrise parfaite. 4 Grands Opéras de Mozart : Le nozze di Figaro (Les noces de Figaro) en 1786 – Don Giovanni (Don Juan) en 1787 – Cosi fan tutte en 1790 et Die Zauberflöte (La flûte enchantée) en 1791. La Flûte Enchantée (Argument) Ouverture Les lourds accords de l'adagio avertissent de la solennité de l'œuvre (ou peut-être les coups frappés à la loge maçonnique ; voir la section Analyse). En effet, Mozart, qui était franc-maçon, avait décidé de faire l'apologie de la francmaçonnerie dans une œuvre entièrement consacrée à l'Art Royal. Le vif allegro qui suit expose un thème assez majestueux, léger et joyeux, sans être désinvolte aux violons avant de parcourir tantôt tour à tour, tantôt ensemble, tous les instruments de l'orchestre ; l'ouverture de la Flûte enchantée est en effet la seule ouverture d'opéra de Mozart (et une des rares, sinon la seule de l'époque classique) qui soit une fugue. Le thème est entrecoupé avec un rappel des accords lourds. La brève coda de l'ouverture est immédiatement suivie du premier acte. Acte I Égaré en voyage dans un pays inconnu, le prince Tamino est attaqué par un serpent géant. Alors qu'il s'évanouit sûr de mourir, il est sauvé par les trois dames d'honneur de la Reine de la Nuit. Pendant que le prince est encore évanoui, les trois dames chantent la beauté du jeune homme. Elles décident d'aller porter la nouvelle à leur reine, mais chacune d'elles veut rester près de Tamino proposant aux deux autres de porter le message. Après s'être disputées, elles disparaissent. Le prince se réveille et voit le corps inanimé du monstre. Se demandant s'il a rêvé ou si quelqu'un lui a sauvé la vie, il entend soudain un air de flûte de Pan. Il se cache et voit arriver Papageno l'oiseleur. Au cours de leur premier dialogue, Papageno se vante d'avoir tué le serpent. Les trois dames réapparaissent et le punissent de ce mensonge en lui donnant de l'eau à la place du vin et une pierre à la place du pain sucré qu'elles lui donnent d'habitude. Pour finir, elles le réduisent au silence en lui fermant la bouche avec un cadenas en or. Les trois dames révèlent à Tamino qu'elles lui ont sauvé la vie. Elles lui parlent ensuite de Pamina, la fille de la Reine de la Nuit. Elles lui montrent son portrait, et disparaissent. À la vue du portrait, Tamino tombe amoureux de la jeune fille et songe au bonheur qui l'attend. Réapparaissent les trois dames qui lui disent de qui Pamina est prisonnière. Aussitôt, Tamino n'en a que plus envie de la délivrer. La Reine de la Nuit apparaît alors dans un grondement de tonnerre et lui narre son désespoir de voir sa fille prisonnière. Elle dit finalement à Tamino que si elle le voit revenir vainqueur, Pamina sera sienne pour l'éternité. C'est alors que la Reine disparaît. Tamino s'interroge alors sur ce qu'il a vu et prie les Dieux de ne pas l'avoir trompé. Apparaît alors Papageno triste de ne plus pouvoir parler. Les trois dames réapparaissent et le libèrent de son cadenas, lui faisant promettre de ne plus mentir. Elles remettent également à chacun un instrument qui leur est envoyé par la Reine. Tamino se voit offrir une flûte enchantée, tandis que Papageno reçoit un carillon magique. Ces instruments les aideront à triompher des épreuves qui les attendent. Les deux hommes partent en quête de Pamina chacun de leur côté. Dans le palais de Sarastro, le serviteur maure Monostatos poursuit désespérément Pamina de ses assiduités. Survient Papageno. Le Maure et l'oiseleur se trouvent face à face. Chacun effraie l'autre croyant être en présence du Diable. Monostatos s'enfuit, et Papageno se trouve seul avec Pamina. Il lui révèle alors qu'un prince va venir la délivrer, en ajoutant que le prince est devenu follement amoureux d'elle sitôt qu'il a vu son portrait. Pamina lui fait un compliment sur son grand cœur. Touché par ces paroles, Papageno raconte alors sa tristesse de ne pas encore avoir trouvé sa Papagena. Pamina le réconforte, et la princesse et l'oiseleur s'accordent pour chanter la beauté de l'amour avant de fuir. Pendant ce temps, Tamino est conduit vers les trois temples de la Sagesse, de la Raison et de la Nature par trois génies qui lui recommandent de rester « ferme, patient et discret ». Après que Tamino s'est vu refuser l'entrée des deux premiers temples, un prêtre s'adresse à lui pour lui expliquer que Sarastro n'est pas un monstre comme la Reine de la Nuit le lui a décrit, mais qu'il est au contraire un grand sage. Tamino, saisi par la solennité de la cérémonie, s'éprend d'une soif de connaissance et se met à poser des questions aux prêtres. Il saisit sa flûte magique et en accompagne son chant. Il se retrouve alors entouré de bêtes sauvages sorties de leur repaire qui viennent se coucher à ses pieds, charmées par le son de l'instrument. Seule Pamina ne répond pas aux sons cristallins de la flûte, mais Papageno répond à Tamino sur sa flûte de Pan. Réjoui, le prince essaie de les rejoindre. De leur côté, Papageno et Pamina espèrent retrouver Tamino avant que Monostatos et ses esclaves ne les rattrapent. Les voici qui surgissent tout à coup et le Maure ordonne alors que les fugitifs soient enchaînés. Papageno se souvient alors qu'il possède un carillon magique et s'en sert pour envoûter Monostatos et ses esclaves qui se mettent à danser et à chanter avant de disparaître. Une fanfare de trompettes interrompt soudain le silence : c'est Sarastro suivi par une procession de prêtres. Papageno tremble de peur et demande à Pamina ce qu'il faut dire. Pamina répond qu'il faut dire la vérité même s'il leur en coûte, et s'agenouille devant Sarastro. Comme elle a décidé de dire la vérité, elle explique alors à Sarastro qu'elle tente d'échapper à Monostatos. Celui-ci refait alors son apparition, traînant avec lui Tamino qu'il a capturé. Aussitôt qu'ils se voient, Pamina et Tamino se jettent dans les bras l'un de l'autre en présence de Monostatos et des prêtres. Ce dernier les sépare et se prosterne devant Sarastro pour ensuite vanter ses mérites personnels. Il s'attend à être récompensé, mais est au contraire condamné à recevoir soixante-dix-sept coups de fouet. Sarastro ordonne alors que Papageno et Tamino soient conduits au Temple des Épreuves. Acte II Sarastro annonce aux prêtres que les Dieux ont décidé de marier Tamino et Pamina. Mais auparavant, Tamino, Pamina et Papageno devront traverser des épreuves avant de pénétrer dans le Temple de la Lumière qui leur permettra de contrer les machinations de la Reine de la nuit. Sarastro prie Isis et Osiris d'accorder aux candidats la force de triompher de ces épreuves. Les prêtres interrogent Tamino et Papageno sur leurs aspirations. Celles de Tamino sont nobles, tandis que Papageno n'est intéressé que par les plaisirs de la vie, y compris par l'idée de trouver une compagne. Leur première épreuve consiste en une quête de la Vérité. Les prêtres leur enjoignent de conserver le silence complet et les laissent seuls. C'est alors qu'apparaissent les trois dames de la Reine de la Nuit. Tamino leur oppose un silence résolu, mais Papageno ne peut s'empêcher de leur parler. Les prêtres réapparaissent pour féliciter Tamino et gronder la faiblesse de Papageno. Pendant ce temps, Pamina est étendue assoupie dans un jardin. C'est alors qu'entre Monostatos, décidé à tenter à nouveau la vertu de la jeune fille. La Reine de la Nuit apparaît alors dans un coup de tonnerre, faisant fuir Monostatos. Elle donne un poignard à sa fille et la somme de tuer Sarastro, menaçant même de la renier si elle ne lui obéit pas (Air de la Reine de la Nuit). Et la Reine de la Nuit disparaît. Monostatos revient alors vers Pamina et tente de la faire chanter. Mais Sarastro apparaît et renvoie Monostatos sans ménagement. Le Maure décide alors d'aller trouver la mère de Pamina. Sarastro déclare alors à Pamina qu'il fera payer sa mère. Dans une pièce sombre, les prêtres ont une nouvelle fois demandé à Tamino et Papageno de garder le silence. Comme toujours Papageno ne peut se maîtriser et engage la conversation avec une vieille femme qui se présente à lui. Elle disparaît avant de lui avoir dit son nom. Pamina apparaît et, ignorante de leur vœu de silence, s'approche des deux hommes. C'est alors qu'elle désespère de ne recevoir aucune réponse de leur part. Croyant que Tamino ne l'aime plus, elle sort le cœur brisé. Les prêtres réapparaissent et proclament que Tamino sera bientôt initié. Sarastro le prépare à ses dernières épreuves. Pamina est introduite les yeux bandés après qu'on lui a dit qu'elle verrait Tamino pour qu'il lui fasse un dernier adieu. Il s'agit en fait d'une épreuve et Sarastro s'applique à rassurer Pamina, mais elle est trop abattue pour comprendre le sens de ses paroles. Pendant ce temps, Papageno se voit accorder le droit de réaliser un vœu. Il demande un verre de vin, mais prend conscience qu'il aimerait par-dessus tout avoir une compagne. Il chante alors son désir en s'accompagnant de son carillon magique. La vieille femme réapparaît, et menace Papageno des pires tourments s'il ne consent pas à l'épouser. Il lui jure alors fidélité et elle se découvre être une jeune et belle femme. Mais un prêtre les sépare sous prétexte que Papageno ne s'est pas encore montré digne d'elle. Dans un jardin, les trois génies annoncent l'avènement d'une ère nouvelle, de lumière et d'amour. Ils voient soudain Pamina, agitée par des idées de suicide. Ils la sauvent et la rassurent sur l'amour de Tamino. Les prêtres conduisent Tamino vers ses deux dernières épreuves : celle du feu et celle de l'eau. Pamina se joint à lui, et le guide à travers ses dernières épreuves. Ils sont accueillis triomphants par Sarastro et les prêtres. De son côté, Papageno est toujours à la recherche de Papagena. Désespéré, l'oiseleur envisage de se pendre à un arbre. Les trois génies apparaissent alors, et lui suggèrent d'utiliser son carillon magique pour attirer sa compagne. Profitant qu'il joue de l'instrument, les trois génies vont quérir Papagena et l'amènent à son amoureux. Après s'être reconnu, le couple peut enfin converser dans la joie. À la faveur de l'obscurité, Monostatos mène la Reine de la Nuit et ses dames vers le temple pour une dernière tentative contre Sarastro. Mais le ciel est alors inondé de lumière et elles s'évanouissent dans les ténèbres ainsi que lui. Sarastro et le chœur des prêtres apparaissent pour vanter les mérites des nouveaux initiés, et louer l'union de la force, de la sagesse et de la beauté. Ingmar Bergman Ernst Ingmar Bergman, né à Uppsala le 14 juillet 1918 et mort le 30 juillet 2007 sur l'île de Fårö, est un metteur en scène de théâtre, scénariste, et réalisateur de cinéma suédois. Il s'est imposé comme l'un des plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma en proposant une œuvre s'attachant à des thèmes métaphysiques (Le Septième Sceau), à l'introspection psychologique (Persona) ou familiale (Cris et chuchotements, Fanny et Alexandre) et à l'analyse des comportements du couple (Scènes de la vie conjugale). Il est le seul cinéaste à avoir obtenu la Palme des Palmes au Festival de Cannes en 1997. Filmographie sélective : Sourires d’une nuit d’été (1955) Le Septième Sceau (1957) Les fraises sauvages (1957) Le Silence (1963) Persona (1966) Cris et chuchotement (1972) Scènes de la vie conjugale (1974) La flûte enchantée (1975) L’œuf du serpent (1977) Sonate d’automne (1978) Fanny et Alexandre (1982) Sarabande (2003)