Les secrets de Xavier Niel (2). L`autobiographie faite devant le juge

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Les secrets de Xavier Niel (2). L`autobiographie faite devant le juge
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Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
tribunal correctionnel de Paris, en date du 27 mars
2003, aux peines de deux ans d’emprisonnement avec
sursis et à 15 000 euros d’amendes. Mais dans ce caslà, Xavier Niel avait été mis hors de cause et n’avait
été entendu que comme simple témoin.
Les secrets de Xavier Niel (2).
L'autobiographie faite devant le juge
PAR LAURENT MAUDUIT
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 11 JANVIER 2013
Mais en ce printemps 2004, c’est Xavier Niel que
la justice a dans son collimateur. Au terme de
son instruction, Renaud Van Ruymbeke renverra
d’ailleurs le patron de Free devant le tribunal de
grande instance de Paris. Et au terme d’un procès
mouvementé, ce dernier condamnera Xavier Niel
le 27 octobre 2006 à une peine de deux ans
d’emprisonnement avec sursis et à une amende de
250 000 euros pour des faits de « recel de bien
provenant d’un délit puni d’une peine n’excédant pas
cinq ans d’emprisonnement » – nous verrons tout à
l’heure de quoi il s’agit –, jugement dont Xavier Niel
n'a pas fait appel.
Xavier Niel se tient à distance de la presse. Avec le
banquier de Lazard Matthieu Pigasse et le milliardaire
Pierre Bergé, il a certes mis la main sur Le Monde.
Mais des journalistes, il se défie, et n’aime guère
parler de lui. Ses apparitions publiques sont rares, tout
comme le sont les entretiens qu’il accorde à la presse.
En bref, Xavier Niel ne parle jamais de lui, et surtout
pas des conditions dans lesquelles il a fait fortune.
Ou plutôt si, une fois il a raconté sa vie et le début
de son ascension professionnelle. Il l’a même racontée
par le menu, avouant que son métier d'alors lui
procurait « un retour sur investissement intéressant
et non fiscalisé car le fonctionnement reposait sur
une comptabilité occulte et des recettes en espèces
non déclarées ». Il s’est livré à l’exercice, parce qu’il
n’avait pas le choix. C’est le 8 juin 2004, et il se trouve
même un greffier pour noter que son récit commence
à 15 h 17. On l’aura deviné, Xavier Niel est ce jour-là
devant un juge d’instruction, en l’occurrence Renaud
Van Ruymbeke, qui le presse de questions.
Ce 8 juin 2004, ce sont donc sur tous ces faits que
Renaud Van Ruymbeke essaye de faire la lumière.
Et c’est la raison pour laquelle l’interrogatoire qu’il
mène de Xavier Niel est du plus grand intérêt, tout
comme l’est le second interrogatoire qu’il conduit
quelque temps plus tard, le 25 juin 2004. A ces
deux occasions, il invite Xavier Niel à raconter sa
vie, à raconter ses débuts tumultueux avec Fernand
Develter, la façon dont il jonglait avec de l’argent
liquide, grâce à des sex-shops et ses activités dans le
« Minitel rose », sans tenir de comptabilité rigoureuse,
sans non plus déclarer ces activités lucratives mais
opaques à l’administration fiscale, bref en violation de
nombreuses obligations légales.
C’est une dénonciation anonyme qui a conduit la
justice à s’intéresser à Xavier Niel et à celui qui a
été jusqu’en 2002 son principal associé, un dénommé
Fernand Develter, personnage truculent, parlant à la
façon d’Audiard et ressemblant comme deux gouttes
d’eau à l’un des personnages des Tontons flingueurs.
Enquêtant sur des soupçons d’abus de biens sociaux,
Renaud Van Ruymbeke a, le 27 mai 2004, placé les
deux anciens associés en détention provisoire, Xaviel
Niel à la Santé et Fernand Develter à Fresnes. Et
c’est en qualité de détenu que Xavier Niel, mis en
examen, comparaît devant le juge d’instruction. Il
restera détenu à la Santé jusqu’au 25 juin, et ne sera
astreint ensuite qu’à une mesure de contrôle judiciaire.
Avec le recul, maintenant que Xavier Niel est devenu
l’un des grands patrons français et l’un des principaux
copropriétaires du Monde, ces deux interrogatoires
ont valeur d’autobiographie impudique. C’est Xavier
Niel raconté par lui-même, Xavier Niel en vrai,
tout cru, sans la protection et l’opacité des services
de communication qui entourent ordinairement les
grands patrons et interdisent de comprendre vraiment
ce qu’ils sont.
Déjà, la justice s’était intéressée dans le passé à
certains des exploitants des sociétés contrôlées en
partie par Xavier Niel. Plusieurs d’entre eux avaient
été condamnés par jugement de la 12e chambre du
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Dans ces interrogatoires, Xavier Niel ne dit sûrement
pas tout. Il passe, évidemment, sur des détails. Mais il
dit l’essentiel.
• un intérêt publicitaire pour les services Minitel de
rencontres car cette activité permettait d’attirer des
clients vers le Minitel. »
Voici, pour la première fois, la version intégrale de
ces deux interrogatoires (nous avons juste masqué les
données personnelles qui apparaissent dans ce procèsverbal mais qui n'ont pas d'intérêt direct avec cette
instruction):
Et Xavier Niel poursuit: « Dans le même temps, à
compter des années 1993, 1994, l’activité Minitel rose
s’est mise à décliner. J’ai donc créé sur Fermic,
qui deviendra Iliad en 2000, des services tels que
3617 Annu, des services de conventions collectives,
des services d’envoi d’actes civil. Fin 1993, j’ai
également créé le premier fournisseur d’accès Internet
en France, Worldnet. J’ai investi globalement une
dizaine de millions de francs, essentiellement de 1992
à 1997 dans des sex-shops, environ une dizaine à
Paris. Ces 10 millions de francs avaient plusieurs
origines :
• en 1991, j’ai cédé ma première société de Minitel
rose pour environ 1 million de francs (Pon Editions) ;
• de 1993 à 1996-1997, j’ai perçu de 20 à 30 millions
de francs de dividendes provenant de la société
Phoneline, société sœur de Fermic, spécialisée dans la
téléphonie de rencontres ;
• j’avais également des salaires importants (…) »
« Le roi du porno »
Face à Renaud Van Ruymbeke, en présence seulement
d’une greffière et de ses deux avocats, le patron
de Free raconte ses débuts : « J’étais un passionné
d’informatique. À 16 ans, j’ai travaillé pour des
journaux en participant à la création de Minitel
de rencontres hommes-femmes. En 1986, alors que
j’étais à Maths-Sup, j’ai décidé de travailler dans des
sociétés de Minitel “rose”. J’ai fait la connaissance
de Fernand Develter, fin 1990. »
Devant le juge, Xavier Niel ne prend pas le soin de
préciser qu’il fait la connaissance de celui qui va
devenir son principal associé au restaurant « Le Petit
Ramoneur », rue Saint-Denis, l’un des hauts lieux de
la prostitution et des sex-shops à Paris. Il poursuit, en
évoquant toujours son ex-associé, Fernand Develter :
« Il avait créé une société Fermic avec Michel
Artaud et qui exerçait son activité dans le Minitel de
rencontres et l’émission de presse boursière. Fermic
perdait de l’argent et ne fonctionnait pas. J’ai acquis
50 % des parts pour un montant symbolique. Puis j’ai
pris la direction de Fermic que j’ai développée jusque
fin 1993 dans l’activité de Minitel rose. »
Interrogé par le juge d’instruction, Xavier Niel détaille
ensuite le fonctionnement des sex-shops : « Fernand
et moi étions des investisseurs passifs associés avec
des exploitants qui venaient du milieu du sex-shop. En
général, Fernand et moi détenions chacun 25 % du
capital de chaque société. L’autre moitié du capital
appartenait aux exploitants. À la fin du mois, ces
exploitants venaient voir Fernand et lui remettaient
des espèces correspondant à la part nous revenant,
que Fernand partageait ensuite avec moi sur la base
généralement de 50-50. »
Xavier Niel poursuit un récit, qui n’est pas vraiment
sur un registre dont les grands patrons du CAC 40
sont coutumiers : « À cette époque, Fernand Develter
me parlait de ses investissements dans le sex-shop
Sylvialize et me disait qu’il était très content des
rentrées d’argent que cela lui procurait. J’ai vu un
double intérêt à investir dans cette activité :
• un retour sur investissement intéressant et non
fiscalisé car le fonctionnement reposait sur une
comptabilité occulte et des recettes en espèces non
déclarées ;
— « Combien de temps cette période a-t-elle duré ? »
interroge le juge.
Réponse de Xavier Niel : « Un premier point d’arrêt
est intervenu en 1999 lorsqu’un article duCanard
enchaîné m’a dénommé “le roi du porno”. J’ai
donc rationalisé les choses. S’agissant des petites
exploitations, qui rapportaient peu, j’ai cédé mes
parts pour un montant symbolique (…) S’agissant des
exploitations plus importantes qui rapportaient, il en
restait trois :
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9 200 euros par mois pendant 30 ans,
payable… en liquide !
Xavier Niel raconte ensuite dans quelles conditions il
décide à l’époque, avec Fernand Develter, de racheter
les parts de leurs associés dans Sylvialize. Il est
convoqué une nouvelle fois par le juge d’instruction,
le 25 juin 2004. Et il conteste de nouveau avoir
eu connaissance de faits de prostitution dans les
établissements dont il est actionnaire – ce dont le juge
lui donnera acte peu après. Tout juste admet-il avoir
manqué de vigilance.
• Sylvialize qui avait des revenus déclinant mais pour
lesquels, Fernand, ses proches et moi-même détenions
les murs via la SCI Maurice, laquelle recevait ainsi
des loyers de l’ordre de 55 000 francs par mois ;
• Cargo qui est une société qui fait de la vente par
correspondance de produits de sex-shop ; je détiens
toujours 30 % des parts de Cargo, laquelle ne générait
pas d’espèces compte tenu de son activité (…) ;
• les deux sex-shops de Strasbourg, Roxane et Selena.
»
— « Avant 1999, quels étaient les revenus en espèces
que vous procuraient ces sex-shops ? », questionne
Renaud Van Ruymbeke.
Évoquant un autre établissement, dénommé Roxane,
le juge lui demande s’il était au courant des
« pratiques en vigueur », à savoir des « prestations
complémentaires proposées aux clients ». Réponse
de Xavier Niel : « Non, je n’étais pas au courant.
Néanmoins, quand j’ai vu les dépositions des jeunes
filles, je ne suis pas tombé des nues, je n’ai pas été
surpris. J’avais lu le même type de PV concernant
Sylvialize et j’avais mis immédiatement le holà. J’ai
manqué de vigilance. Il y avait des risques. C’était
loin, je ne m’en occupais pas. Je n’y suis jamais allé,
je ne savais même pas s’il y avait des glaces. Je
connaissais les risques et j’aurais dû être vigilant. »
— « De l’ordre de 100 000 francs par mois.
Fernand recevait globalement la même chose. Je les
dépensais », répond Xavier Niel.
— « Pourquoi avez-vous conservé une activité de ce
type générant des recettes non déclarées alors que
parallèlement vous développiez une activité déclarée
qui paraît sans commune mesure ? »
— « Je vivais de cet argent. Je voulais avoir un retour
sur investissement. Fernand m’avait ainsi présenté
Sylvialize comme une affaire en or dans laquelle il
avait investi un ou deux millions de francs et dans
laquelle il avait un retour de 50 à 60 000 francs par
mois. À partir de la parution de l’article en 1999,
j’ai rationalisé mais j’ai conservé ces parts (Sylvialize
et Strasbourg) car cela rapportait de l’argent facile.
Ces espèces étaient utilisables instantanément et ne
donnaient pas la même sensation de gain que l’argent
que je gagnais de façon orthodoxe dans mes activités
d’opérateur de télécommunications (…) »
Dans ces deux procès-verbaux d’interrogatoire (à la
fin du premier et tout au long du second), Xavier Niel
revient par ailleurs longuement sur les conditions dans
lesquelles il rachète au début des années 2000 à son
associé, Fernand Develter, les 14 % qu’il détient du
capital de la société Fermic, qui a été rebaptisée Iliad.
Si Xavier Niel devient en très peu de temps l’une
des plus grandes fortunes françaises, c’est en effet, en
grande partie, parce qu’il a l’habileté de racheter les
parts de ses associés – nous y reviendrons dans un
prochain épisode, car l’histoire ne manque vraiment
pas d’intérêt.
Après quelques échanges avec le juge, Xavier Niel
raconte ensuite dans quelles conditions, avant que la
police ne soit saisie de l’affaire, il apprend début 2001
qu’il y a de la prostitution dans Sylvialize : « Fou de
rage, j’ai appelé Fernand Develter qui m’a dit “non,
non, tu dois te tromper”. Il m’a donné le numéro
de téléphone de Claude Monali principal dirigeant
de Sylvialize et qui m’a juré que c’était faux. Trois
ou quatre jours après, la police est intervenue et
l’établissement a fermé pendant plusieurs mois. »
Mais sans entrer immédiatement dans le détail de
l’opération financière entre Xavier Niel et ses associés,
au terme de laquelle l’homme d’affaires va contrôler à
lui tout seul près de 70 % du groupe, ces interrogatoires
font apparaître un détail du montage : il était convenu
entre Xavier Niel et Fernand Develter que le premier
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verse au second un complément de prix, sous la forme
d’un versement de 9 200 euros par mois pendant 30
ans, payable… en liquide.
biographie que Xavier Niel a dressée de lui-même
deux ans auparavant devant le juge d’instruction. C’est
écrit dans le style juridique austère dont ce type de
juridiction est coutumier.
La scène se passe lors du premier interrogatoire.
« N’avez-vous pas par ailleurs une dette à (l’égard de
Fernand Develter) sur le rachat de ses parts Iliad ? »
Réponse de Xavier Niel : « Oui, j’ai une dette de
9 200 euros par mois pendant trente ans. J’ai déjà
payé pendant trois ans (…) C’est Fernand qui m’a
demandé de lui faire ces règlements en espèces. C’est
un complément de prix sur le rachat de ses parts Iliad
(…) »
Cela commence par l’histoire de la rencontre NielDevelter :
« Attendu que l’information a établi que Fernand
Develter, né en 1942, avait fait la rencontre entre
1986 et 1988, à Paris, de Xavier Niel, de 25 ans
son cadet, dans un restaurant de la rue SaintDenis à l’enseigne “Le Petit Ramoneur”, dont la
clientèle d’habitués était principalement composée
des employés des sex-shops de la rue ; qu’il entamait
à cette époque une seconde carrière professionnelle,
ayant démissionné en février 1985 de son poste de
responsable des opérations boursières sur l’étranger
à la Société générale, au siège de la banque, où il
était entré comme commis 28 ans plus tôt et dont
il avait gravi tous les échelons, jusqu’à ce poste de
fondé de pouvoir qu’il quittait après avoir été mis
en cause dans une opération boursière controversée
en 1984 ; que libre de tout engagement et à la tête
d’un patrimoine personnel évalué alors à 7,5 millions
de francs, il décide de créer avec Michel Artaud,
également démissionnaire de la Société générale, la
Sarl Fermic (pour Fernand et Michel), qui exploitait
des services de Minitel rose et dont il prenait la
gérance ; qu’également, il s’associait le 5 décembre
1986 avec Eduardo Montero et Claude Monali dans la
création de la Sarl Sylvialize, sise 35, rue de la Gaîté à
Paris 14e, qui exploitait un sex-shop et un peep-show.
»
— « Comment avez-vous remboursé jusqu’à présent
ces 9 200 euros mensuels ? » interroge le juge.
— « L’année dernière, je prélevais ces 9 200 euros
sur les rentrées de Sylvialize qui étaient de l’ordre
de 12 000 euros. Je versais ces sommes en espèces
à Fernand à peu près tous les deux ou trois mois.
Depuis le début de cette année, je retire les espèces de
mon compte en banque chez Fortis. J’ai retiré environ
90 000 euros depuis le début de l’année. Je dépensais
les 3 000 euros perçus de Sylvialize, comme je l’ai
expliqué tout à l’heure. »
Ce sont donc tous ces faits – et de nombreux autres –
qui sont ensuite évoqués en octobre 2006, à la 11e
chambre du tribunal de grande instance de Paris,
devant laquelle Xavier Niel, Fernand Develter et
plusieurs de leurs associés finissent par être renvoyés.
Et tous ces interrogatoires, on en retrouve la trace
dans le jugement qui est finalement rendu par cette
juridiction le 27 octobre 2006, jugement contre lequel
Xavier Niel ne fait pas appel et qui permet de cerner
encore un peu mieux son parcours.
Le jugement s’attarde ensuite sur les premiers pas
professionnels de Xavier Niel :
Ce jugement, le voici dans sa version intégrale (nous
avons juste masqué les données personnelles du
jugement qui n'ont pas d'intérêt direct avec la décision
de justice) :
« Attendu que Xavier Niel, âgé d’une vingtaine
d’années et tout juste sorti de deux années de
maths-sup et maths-spé, après avoir travaillé pour
le compte d’une société Framacom, dont l’activité
consistait notamment à gérer des serveurs de minitel
rose, s’associait au nommé Pascal Pasinetti dans la
Sarl Pon Editions, qui développait également une
activité de minitel rose ; que Fernand Develter, séduit
par les connaissances informatiques de Xavier Niel
Un dessous de table de 200 000 euros en
espèces
Dans ses attendus, le jugement – qui en page de
garde relève que, par le passé, Xavier Niel a été
« déjà condamné » – vient compléter et résumer la
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en matière télématique et informatique proposait à
ce jeune ingénieur “brillant mais désargenté” de
s’associer, l’un apportant sa technicité, l’autre une
structure juridique et des moyens financiers ; que,
fin 1990, Xavier Niel faisait ainsi l’acquisition de
50 % des parts de Fermic, qui perdait de l’argent
et que Michel Artaud souhaitait quitter ; que la
société connaissait un renouveau avec son arrivée
et continuait à se développer sur les services de
minitel rose et avec le lancement de l’annuaire
inversé grand public 3617 Annu ; que Xavier Niel,
également, était sollicité courant 1992 par Fernand
Develter pour racheter à parts égales la société civile
immobilière Maurice, propriétaire des murs de la Sarl
Sylvialize ; qu’à partir de 1993, il créait le premier
fournisseur d’accès à Internet en France sous le nom
de Worldnet ; que le boom des activités télématiques
puis Internet faisait prospérer la Sarl Fermic, qui était
transformée en société anonyme, rebaptisée Iliad, au
sein de laquelle Xavier Niel montait en puissance ;
que parallèlement, il s’associait avec Develter dans
une dizaine d’autres sex-shops de la capitale, et
notamment en mai 1997, dans Sylvialize. »
Et le jugement ajoute : « Attendu que le 8 mars 2001,
la Brigade de répression du proxénétisme (BRP) de la
Préfecture de police de Paris intervenait au 35, rue de
la Gaîté, dans l’établissement exploité par la société
Sylvialize ; que les deux associés historiques, Claude
Monali et Edouard Montero, étaient poursuivis pour
proxénétisme aggravé et condamnés par jugement de
la 12e chambre du tribunal correctionnel de Paris
en date du 27 mars 2003 aux peines de deux ans
d’emprisonnement avec sursis et de 15 000 euros
d’amende ; que Xavier Niel, dans ce contexte, était
entendu comme simple témoin ; qu’à la suite des
poursuites, il décidait d’obtenir l’éviction de Montali
et Montero en refusant de signer les comptes annuels
et en menaçant de faire nommer un administrateur
judiciaire ; que les deux concernés acceptaient
finalement de céder leurs parts pour le prix officiel de
7 300 euros à Véronique Niel épouse André, sœur et
prête-nom de Xavier Niel, avec un dessous de table
de 200 000 euros en espèces partagé entre les deux
associés évincés. »
Abus de biens
Le jugement passe ensuite en revue les faits commis
à Paris au préjudice de deux sociétés dont Xavier
Niel est actionnaire, la société Sylvialize et la société
Looksor. Là encore, c’est une décision de justice
austère qui s’applique à recenser les abus de biens
qui ont été commis, mais cela se lit comme un roman
policier, et compte tenu de ce qu’est devenu depuis
Xavier Niel, cela prend avec le recul un formidable
relief.
Quel autre PDG français dispose-t-il d’un
curriculum vitæ aussi méticuleusement écrit, sans
les accommodements avec la vérité qu’organisent
ordinairement les cabinets en communication ?
Aucun. Et c’est la raison pour laquelle il faut aller au
bout de cette lecture, car toute la vie de Xavier Niel
y est racontée, sans doute de la manière la plus fiable
qui soit.
Poursuivons donc notre lecture : « Attendu que courant
1999, à la suite d’un article du Canard enchaîné
le décrivant comme “le roi du porno”, Xavier Niel
décidait de se séparer de la plupart des activités
du groupe le rattachant à l’industrie du sexe, cette
décision étant également prise dans la perspective de
l’entrée au capital de Free et d’Iliad de la banque
d’affaires Goldman Sachs ; qu’à la fin il cédait les
parts qu’il détenait dans différents sex-shops à deux
sociétés luxembourgeoises ; qu’il revendait également
l’activité minitel, exploitée par la société Marketing
téléphonique européen (MTE). »
« Attendu qu’il était acquis que Véronique Niel
servait de prête-nom à son frère, qui ne souhaitait
pas apparaître dans ce type de société en raison de
ses fonctions au sein d’Iliad ; que Claude Monali
indiquait ainsi n’avoir jamais rencontré Mme Niel,
alors qu’il lui avait cédé à deux reprises ses parts
de Sylvialize et qu’il était en relation téléphonique
habituelle avec Xavier Niel ; que Fernand Develter
détenait quant à lui une procuration sur l’un des
comptes bancaires de Véronique Niel ; que celleci était représentée par Olivier Andrianarimanga (le
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gérant de droit de Sylvialize) lors de son acquisition de
200 parts en 2002 ; qu’entendue, enfin, elle déclarait
elle-même qu’elle ne connaissait pas Sylvialize ;
Le jugement s’attarde longuement sur le cas de l’autre
société parisienne, Looksor. Le début suffit à donner le
ton : « Attendu qu’Olivier Andrianarimanga a été cité
pour avoir, entre le 27 mars 2000 et le 27 mai 2004,
en tant que gérant de droit de la société Looksor, fait
de mauvaise foi des biens ou du crédit de cette société
un usage qu’il savait contraire à l’intérêt de celle-ci à
des fins personnelles, en l’espèce en prélevant sur les
recettes en espèces non déclarées de l’établissement
une somme d’environ 30 000 euros remise à Xaviel
Niel en plusieurs versements en paiement du prix de
la cession par ce dernier à son profit du fonds de
commerce et des parts sociales ; que Xavier Niel a été
cité pour le recel de cette infraction. »
« Attendu que l’information établissait qu’une
pratique consistant à ne déclarer qu’une partie des
recettes en espèces avait existé de longue date
dans l’établissement ; que Christine Boursier, ainsi,
employée dans le sex-shop jusqu’en 2000, indiquait
que Fernand Develter et Xavier Niel se faisaient
régulièrement remettre des enveloppes contenant des
espèces par Claude Monali et Edouardo Montero ;
que Develter et Niel, de fait, reconnaissaient avoir
perçu des fonds prélevés sur les recettes non déclarées
de Sylvialize depuis 1989 ; que l’intervention de
la BRP le 6 mars 2001 avait cependant eu pour
effet de faire cesser les abus de biens sociaux, qui
avaient recommencé dès janvier 2003 ; qu’Olivier
Andrianarimanga a ainsi déclaré qu’à sa nomination
en qualité de gérant de la société le 24 décembre 2002,
il avait été “convenu entre moi, Fernand et Xavier Niel
que je dégage du black de la société et leur remette”
Après de longs développements, le jugement passe
ensuite à l’examen des faits qui concernent les deux
sociétés de Strasbourg, Roxane et Selena. « Attendu
qu’après avoir contesté avoir perçu des fonds de
Selena », relève entre autres le jugement, « Xavier Niel
a reconnu avoir été destinataire de 25 % des espèces
non comptabilisées de l’établissement, soit environ
5 000 euros par trimestre, ces sommes étant cependant
conservées par Fernand Develter. »
« Attendu que les auditions et les écoutes
téléphoniques effectuées ont permis d’établir que les
espèces détournées et remises à chacun s’élevaient à
4 000 à 5 000 euros par mois ; que cette répartition
égalitaire avait cependant été reportée dans le temps
à la suite de la cession le 24 décembre 2002 de
leurs parts par Monali et Montero ; que Xavier Niel
avait versé en paiement de ces parts une somme de
188 667 euros ; qu’il avait été remboursé par la suite
en percevant l’intégralité des espèces détournées ; que
ce remboursement avait pris fin en décembre 2003 ou
au début de l’année 2004. »
D’où pour finir, cette condamnation de Xavier Niel à
une peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis
et à une amende délictuelle de 250 000 euros – peine
dont il fera appel avant de se désister.
C’est la singularité de ces interrogatoires et de ce
jugement : ils ont valeur de curriculum vitæ pour
Xavier Niel.
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Directeur éditorial : François Bonnet
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