LE TROUBLE BIPOLAIRE EN ENTREPRISE. Vécu et Représentations
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LE TROUBLE BIPOLAIRE EN ENTREPRISE. Vécu et Représentations
ECOLE DE PSYCHOLOGUES PRATICIENS UNIVERSITE CATHOLIQUE DE PARIS 23, rue du Montparnasse 75006 PARIS MEMOIRE DE RECHERCHE en vue de l’obtention du DIPLOME DE PSYCHOLOGUE LE TROUBLE BIPOLAIRE EN ENTREPRISE. Vécu et Représentations Effectué sous la direction du Professeur : Médina De Roux Ostermann Par : Victoire MOTTE Promotion : 2011 Option : Ressources Humaines Date de naissance : 02/04/1987 Lieu de naissance : Clichy (92) Classification informatique (mots clés 3 maximum) Bipolaire, travail, handicap Jury de soutenance : Paris, le 1 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier ma famille et mes amis qui m’ont soutenue, épaulée, conseillée et supportée tout au long de ce projet. Je remercie en particulier maman et Amélie pour leurs longues corrections ainsi que Maude et Camille, amies et futures collègues. Je remercie aussi Diane Flore Depachtère et Solange Sankara de m’avoir accueillie, suivie et supervisée durant mon stage. Je n’aurais pas pu avoir cette maturité de réflexion dans ce projet de mémoire tel qu’il est aujourd’hui. Je remercie particulièrement les 6 participants de ma recherche, pour leur coopération, leur disponibilité et la confiance qu’ils m’ont accordée. Un grand merci également à Médina De Roux Ostermann qui m’a guidée en confiance dans ce projet. Je vous remercie pour votre réflexion, votre disponibilité ainsi que votre soutien optimiste et encourageant. Je remercie Annie Labbé, Didier Papeta et ses patients, Christophe Docet, Claude Finkelstein, Mathilde Blaise, George Coudray de m’avoir fait avancer dans ce projet de mémoire. 2 Je travaillais en hâte, me doutant bien que cette volonté n’était pas fixe, en hâte et passionnément. Je frémissais de lire dans ces grands yeux tant de choses : la peur et le désir de l’inconnu ; la mélancolie de l’amertume, expérimentée, qui est au fond du plaisir ; et le sentiment d’une maîtrise de soi, involontaire et souveraine. (…) De tels êtres si ils se donnent, semblent nous céder : c’est à eux-mêmes qu’ils cèdent. En eux réside une force contenue de surhumaine, ou peut-être de divinement animale essence. Paul Gauguin (1848-1903) Noa Noa 1902 SPLEEN Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle II nous verse un jour noir plus triste que les nuits; Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris; Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement. - Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857 3 PLAN REMERCIEMENTS 2 PARTIE 1 7 INTRODUCTION 7 I LE TROUBLE BIPOLAIRE 12 I.1. INFORMATIONS SUR LE TROUBLE BIPOLAIRE 12 I.1.1. DEFINITION I.1.2. LES CHIFFRES I.1.3. EVOLUTION DU CONCEPT I.1.4. ETIOLOGIE I.1.5. LES DIFFERENTES FORMES I.1.6. SEXE RATIO I.1.7. AGE D’ENTREE DANS LA MALADIE I.1.8. ELEMENT DE SEMIOLOGIE 12 12 14 17 18 19 20 21 I.2. LES TROUBLES PSYCHIQUES, DU DENI A LA RECONNAISSANCE DU HANDICAP 25 I.2.1. DEFINITION ET ETYMOLOGIE DU TERME HANDICAP I.2.2. LES TROUBLES PSYCHIQUES, UN « VRAI » HANDICAP I.2.3. DU DENI DES TROUBLES PSYCHIQUES A LA RECONNAISSANCE DU HANDICAP PSYCHIQUE. I.2.4. UNE LOI POUR LE HANDICAP PSYCHIQUE : LOI N° 2005-102 DU 11 FEVRIER 2005 POUR L’EGALITE DES DROITS ET DES CHANCES, LA PARTICIPATION ET LA CITOYENNETE 26 28 DES PERSONNES HANDICAPEES I.2.5. LE HANDICAP PSYCHIQUE EN ENTREPRISE I.2.6 LES REPRESENTATIONS DE LA MALADIE MENTALE 30 33 35 29 II LE TRAVAIL 38 II.1. PRINCIPES DE BASE SUR LE TRAVAIL 38 II.1.1. DEFINITION II.1.2 UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TRAVAIL 38 40 II.2.TRAVAIL ET SANTE MENTALE 40 4 II.2.1. HISTORIQUE II.2.2. LE TRAVAIL « C’EST LA SANTE » : LES EFFETS CLINIQUES DU TRAVAIL II.2.3. LA VALEUR « TRAVAIL » POUR LES TRAVAILLEURS HANDICAPES II.2.4. LE TRAVAIL, CREATEUR DES TROUBLES PSYCHIQUES 40 42 44 46 III L’INSERTION PROFESSIONNELLE DU TROUBLE BIPOLAIRE 48 III.1 LES DIFFICULTES SPECIFIQUES A L’EMPLOI DES PERSONNES HANDICAPEES PSYCHIQUES 48 III.1.1. UN CONTEXTE ECONOMIQUE DIFFICILE III.1.2. LES IMAGES ASSOCIEES AU TROUBLE PSYCHIQUE 48 49 III.2. ACCUEIL ET INTEGRATION D’UN SALARIE HANDICAPE PSYCHIQUE EN ENTREPRISE 50 III.3. ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES SOUFFRANT DE TROUBLES PSYCHIQUES 52 III.4. LES SIGNES REVELATEURS DU TROUBLE BIPOLAIRE 52 III.5. L’AMENAGEMENT DE POSTE DU SALARIE EN SITUATION DE HANDICAP PSYCHIQUE 53 III.6. LE SALARIE HANDICAPE, ACTEUR DE SON INSERTION PROFESSIONNELLE 54 III.7. LES REALITES SUR LE TERRAIN : LA MISSION HANDICAP DE VEOLIA EAU SUR SA POLITIQUE HANDICAP. PROPOS RECUEILLIS DE MATHILDE BLAISE, RESPONSABLE DE LA MISSION HANDICAP DE VEOLIA EAU. 55 PARTIE 2 58 I METHODOLOGIE 58 I.1. CHOIX DU SUJET 58 I.2. CADRE DE LA RECHERCHE 58 I.2.1. POPULATION D’ETUDE I.2.2. LIEU ET DEROULEMENT 58 60 I.3. CHOIX ET PRATIQUE DE L’ENTRETIEN CLINIQUE 61 I.4. L’ELABORATION DU GUIDE D’ENTRETIEN DE L’ENTRETIEN CLINIQUE 64 5 I.5. ASPECTS ETHIQUES ET DEONTOLOGIQUES 65 II RESULTATS 67 II.1. ANALYSE DES DONNEES CLINIQUES 67 II.1.1 DELPHINE : 48 ANS II.1.2. MARTIN : 47 ANS II.1.3. SEBASTIEN : 50 ANS II.1.4. SOPHIE : 52 ANS II.1.5. AUDREY : 60 ANS II.1.6. CHARLES : 45 ANS 67 72 75 80 84 87 II.2. SYNTHESE DES RESULTATS DES ENTRETIENS CLINIQUES 91 III. DISCUSSION 93 III.1. VALIDATION DES HYPOTHESES 93 III.2. LIMITES DE L’ETUDE 98 III.3. OUVERTURE 99 CONCLUSION 101 RESUME 104 BIBLIOGRAPHIE 105 ANNEXES 110 6 PARTIE 1 Introduction Le trouble bipolaire a longtemps été un sujet qui appartenait au monde de la santé. Ce thème était peu relié au monde de l’entreprise, car le milieu professionnel ordinaire semblait incompatible et inenvisageable chez une personne souffrant de troubles psychiques. « Leur seule issue était le retour à la vie « normale » ou le maintien dans un système de soins qui n’hésitait pas, à l’époque à recourir à des hospitalisations à long terme » (Baptiste, 2005, p. 15). Il est vrai que selon les chiffres, environ 50% des personnes souffrant de troubles psychiques sont inactives (Romans & McPherson, 1992). Dans l’enquête « Santé mentale en population générale, images et réalité » menée en 2004 par l’ASEP (Association septentrionale d'épidémiologie psychiatrique) et le CCOMS (Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la santé), en terme de conséquences sur le travail, nous pouvons constater que les personnes concernées par un trouble psychique, se déclarent gênées par leurs troubles dans 50% des cas et ont dû s’arrêter de travailler dans 2% des cas (Agence entreprises et handicap, 2009, p. 37). Sur le site internet de Bipol entreprises, site crée par des personnes souffrant de bipolarité, qui permet de faire le lien entre le monde professionnel et la maladie, nous avons pu relever que certains personnages illustres, ayant eu une grande destinée ont eux-mêmes souffert de troubles bipolaires. C’est le cas de Winston Churchill, Audrey Hepburn ou encore Marie Curie. Le travail, avoir un métier, faire une carrière professionnelle serait donc compatibles avec les troubles bipolaires. La maladie peut être vue selon deux aspects : soit la maladie (bipolarité) est trop intense et empêche la personne souffrant de ces troubles de travailler ; soit l’entreprise de son côté n’a pas une connaissance suffisante des troubles psychiques pour les accueillir en entreprise. Sur le plan législatif, l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés dans les entreprises date de la loi du 11 février 2005. Vis-à-vis des troubles psychiques, cette loi 7 a été une avancée ; elle a reconnu officiellement les troubles psychiques comme pouvant entrainer un handicap. Selon Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY, fédération des associations d’usagers en santé mentale, une personne sur trois sera un jour touchée dans sa vie par un trouble psychique. Depuis la Loi du 11 février 2005 pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les entreprises de plus de vingt salariés ont une obligation d’emploi de personnes souffrant d’un handicap à hauteur de 6% de leurs effectifs. Depuis cette loi de 2005, les entreprises ont particulièrement avancé sur le sujet du handicap de manière générale notamment sur le recrutement, l’accompagnement et le maintien en emploi des personnes souffrant d’un handicap. En matière de handicap psychique, l’enjeu lié au maintien dans l’emploi des salariés faisant l’expérience de troubles psychiques est devenu fort, la compréhension de ces troubles devient une évidence. Les entreprises ont à l’heure actuelle l’obligation de moyens et de résultats des 6 % que nous avons évoqués précédemment, quant à la prise en charge des problématiques humaines dans l’ensemble des services, elles semblent donc motivées pour appréhender, comprendre et prendre en charge les troubles psychiques. En effet, elles se rendent compte que la prise en charge des salariés permet des perspectives de progrès et améliore les performances de l’entreprise. Le trouble bipolaire serait également la 6 ème cause mondiale de handicap pour la population âgée de 15 à 44 ans selon l’étude Global Burden of Disease qui estime l’ampleur du handicap créé par 200 maladies et causes de handicap et occuperait la 9ème place du nombre de "daly " (nombre d'années de vie perdues ou d'invalidité). Dans les Actes du colloque de Sciences Po du 29 avril 2009 sur « l’entreprise face aux troubles psychiques », une étude en Angleterre montre que le coût de la perte de productivité dû à l’absentéisme pour cause de santé mentale en Angleterre a été évalué à 21,3 milliards d’euros en 2002-2003. Ceux de l’absentéisme à 42 milliards d’euros (Bourmaud, 2009, p. 103). C’est un défi auquel fait face l’entreprise et un enjeu économique important. 8 Comment accompagner les personnes souffrant de troubles psychiques ? Le handicap psychique « se situe dans une zone fluctuante et insaisissable entre les relations interpersonnelles et les interactions sociales : il est difficile à identifier, à définir et à cerner et nous sommes encore face à une problématique d’intégration ou de maintien dans l’emploi où les enjeux sont très présents » (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 28). De nombreuses structures permettent cet accompagnement de salariés en situation de handicap psychiques comme le club Arihm, l’Œuvre Falret. Les entreprises se rendent compte aujourd’hui que l’accompagnement et le maintien dans l’emploi des salariés est plus rentable pour l’entreprise par rapport à l’isolement de la personne en la « mettant » au placard. « La principale difficulté avec le handicap psychique et donc le trouble bipolaire c’est qu’il se situe dans le vécu professionnel quotidien propre de la personne, contrairement à d’autres types de handicap où le champ des besoins est identifié avant même l’intégration dans le collectif » explique Claire Le Roy Hatala (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 27). Notre intérêt pour le handicap psychique dans le travail est né d’une expérience de stage dans un Centre Médico Psychologique de la banlieue parisienne. C’était notre premier contact avec la maladie psychique et dans la file active des patients venant au Centre pour effectuer diverses activités de resocialisation après un passage en hôpital psychiatrique, un petit nombre de patients travaillaient. La plupart en milieu protégé ou ESAT (Etablissements et Services d’Aide par le Travail) et d’autres en milieu ordinaire de travail. Le défi pour ces personnes était de retrouver une vie sociale et professionnelle grâce au travail et leur motivation tendait vers ce but. Nous nous sommes demandé comment ces personnes se représentaient le fait de « travailler » et quelles étaient leurs motivations. Nous nous sommes ensuite intéressés aux employeurs et plus particulièrement aux missions handicap mises en place dans les entreprises. Nous sommes actuellement en stage dans un cabinet de conseil en ressources humaines qui intervient sur les questions de la diversité dans l’entreprise, c’est-à-dire, le handicap, les seniors et l’égalité hommes/femmes. 9 Concernant le handicap psychique en entreprise, nous avons mis en place au sein du cabinet, une recherche sur ce sujet tout au long de l’année afin d’établir un « guide pratique » à l’intention des entreprises pour les aider à mieux appréhender, accompagner et gérer les personnes souffrant de troubles psychiques dans le milieu professionnel. Cette recherche nous a amené à rencontrer de nombreux partenaires (missions handicap, managers, ressources humaines, médecins du travail, professionnels dans l’accompagnement…) qui sont à la fois interrogatifs face aux troubles psychiques mais volontaires pour trouver des solutions d’accompagnement et de maintien dans l’emploi des personnes souffrant de troubles psychiques. Il est donc intéressant de se rendre compte que du côté des patients et de l’entreprise, la volonté d’intégration est présente. Nous nous sommes alors demandés quel « pont » était-il possible de mettre en place pour relier ces deux mondes ? Nous sommes tout d’abord partis sur l’hypothèse que le déni des personnes souffrant de bipolarité pouvait être un frein ou un moteur de leur insertion professionnelle. Le déni, mécanisme de défense qui est « l’impossibilité pour le sujet d’intégrer un élément de la réalité jugé insupportable » (Chartier, 2003, p. 46) aurait été impossible à évaluer chez des personnes souffrant de bipolarité. Il aurait été difficile qu’elles acceptent de nous rencontrer. Nous nous sommes donc interrogés sur la représentation du travail chez des personnes souffrant de bipolarité et comment ces personnes arrivaient à « gérer » leurs troubles. C’est pourquoi nous pouvons nous poser la problématique suivante : En quoi la représentation de la maladie chez les personnes souffrant de troubles bipolaires est un moyen de gérer leurs troubles ? Nous pouvons nous interroger sur les hypothèses suivantes : - Dans quelles mesures, le fait de travailler en milieu ordinaire de travail est-il compatible avec un trouble bipolaire ? (H1) - Pourquoi le trouble bipolaire est-il « mal vu » en entreprise ? Est-ce dû à sa méconnaissance ? (H2) 10 - Dans quelle mesure les changements d’organisation du travail dans les entreprises augmentent les facteurs de stress et accentuent la survenue du trouble bipolaire ? (H3) - Comment le terme « handicap » joue-t-il un rôle dans l’acceptation du trouble bipolaire ou du handicap bipolaire ? (H4) 11 I Le trouble bipolaire I.1. Informations sur le trouble bipolaire I.1.1. Définition Le trouble bipolaire (anciennement appelé psychose maniaco-dépressive) est un trouble psychique alternant entre des phases dépressives (mélancolie) et des phases d’excitation (manie). Entre ces deux phases, la personne souffrant de troubles bipolaires retrouve un état normal. Dans la quatrième édition du Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM IV), le trouble bipolaire est définit « par la présence (ou des antécédents) d’épisodes maniaques, d’épisodes mixtes ou d’épisodes hypomaniaques accompagnés habituellement de la présence ou d’antécédents d’épisodes dépressifs majeurs » (American Psychiatric Association, 2004, p. 399). Ces troubles font partie de la catégorie des troubles de l’humeur et peuvent avoir plusieurs formes dont quatre essentielles que nous décrirons un peu plus bas. I.1.2. Les chiffres Le trouble bipolaire constitue un problème majeur de santé publique. Selon l’OMS, il fait partie des dix maladies les plus coûteuses et invalidantes au plan mondial (1% des DALYS toutes maladies confondues). La prévalence du trouble bipolaire de type I (caractérisée par un ou plusieurs épisodes maniaques ou mixtes habituellement accompagnés d’épisodes dépressifs majeurs) a longtemps été évaluée à 1% de la population générale ce qui correspond à 500 000 patients en France et celle du trouble bipolaire de type II (un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés par au moins un épisode hypomaniaque) à 0,5%. Il 12 est important de noter qu’il existe également un taux important de formes mineures qui ne sont pas prises en compte dans la prévalence des 1%. Sur le plan mondial en population générale, « la prévalence du trouble bipolaire se situe entre 0,3% en Ethiopie et 5,1% en Hongrie » (Leboyer, 2005, p. 2). Nous pouvons nous demander si la différence importante entre ces deux prévalences est liée au contexte culturel des pays ou à un dépistage de la maladie plus ou moins accessible aux populations. Sur le site internet de « Bipol Entreprises », il est noté qu’une personne bipolaire peut « errer » entre 6 et 10 ans avant d’obtenir le bon diagnostic, c’est-à-dire 4 à 5 médecins consultés en moyenne, 73 % de diagnostics erronés avant le bon diagnostic et environ 50% des dépressions cacheraient un trouble bipolaire. L’errance du diagnostic peut s’accompagner d’une désinsertion sociale et professionnelle massive durant cette période. Le rythme entre deux épisodes, varie en moyenne entre 4 et 13 mois et peut survenir à un rythme de 0,6 par an, ce qui correspond à un épisode tous les deux ans environ. Deux tiers des patients font face à un dysfonctionnement psychosocial important (Leboyer, 2005). La capacité à retrouver un emploi ou une occupation diminue au fur et à mesure des épisodes. Les taux de chômage, d’absentéisme et d’échec à retourner au travail après un épisode sont plus élevés chez les patients bipolaires par rapport à une population témoin (Dean, Gerner, & Gerner, 2004). La bipolarité affecte significativement l’insertion professionnelle : 50 % des sujets sont inactifs et seuls 16 % ont un emploi à temps plein (Romans & McPherson, 1992). Certaines études ont remarqué que seul un patient bipolaire sur cinq qui « fonctionne au mieux » de ses capacités réussit dans le travail (Leboyer, 2005, p. 3). Cela nous montre que la bipolarité dont souffre une personne joue un rôle important dans ses capacités au travail. Aux Etats-Unis, 37% des personnes souffrant de troubles bipolaires qui sont en âge de travailler ont un emploi. Au Royaume-Uni, le taux d’emploi des personnes souffrant de bipolarité est de 54% (Leboyer, 2005). La différence entre les taux d’emplois signifie-telle que l’accompagnement des personnes souffrant de bipolarité est meilleur au Royaume-Uni et que le monde de l’entreprise s’adapte mieux à la personne ou cela 13 signifie-t-il que la reconnaissance du trouble bipolaire se fait plus facilement au Royaume-Uni qu’aux Etats-Unis ? La stigmatisation est-elle moins forte selon les pays et permet alors une meilleure reconnaissance ? I.1.3. Evolution du concept Hippocrate semble être le premier au Vème siècle avant J-C à avoir décrit la forme de dépression sévère sous le terme de « bile noire ». Arétée de Capaddoce au premier siècle de l’ère chrétienne dans son livre premier Des signes et des causes des maladies chroniques explique au chapitre six De la Manie aurait mentionné à propos des maniaques : « l’accès fini, ils deviennent languissants, tristes, taciturnes ». Dans l’art, la mélancolie a traversé les siècles : elle est reconnaissable dans de nombreuses iconographies « la tête appuyée sur une main (voire les deux) pour contrebalancer sa propre lourdeur »1. Cette lourdeur s’exprime dans des locutions comme « une tristesse de plomb » ou « se sentir les jambes de plomb » qui sont encore utilisées aujourd’hui (Garrigue, 2004, p. 80). Dès la Grèce Antique, nous retrouvons ce geste caractéristique dans l’Athéna mélancolique, vêtue du péplos elle porte le casque et s'appuyant sur sa lance elle regarde la stèle posée devant elle. C’est un style sévère car l’Athéna gravée dans la pierre ne sourit pas. A l’époque Rococo, nous retrouvons Watteau avec « Gilles » son clown tragique crée en 1719. Il sera suivi par une lignée de clowns peints indifféremment jusqu’au 20ème siècle par Rouault puis par Picasso. Fin 19ème, nous retrouvons Edouard Munch avec « Mélancolie » peint en 1894-1895. Au 20ème siècle, Denis Hopper nous donne une version de la mélancolie avec « New York movies ». 1 Citation de M. Préau, 1982, Mélancolies, Paris, Herscher, cité par Ursulla Guarrigue dans son article Sur la mélancolie dans l’art. 14 La mélancolie s’exprime différemment selon les époques : pour la Grèce classique, la mélancolie représente à la fois, la nature des génies mais aussi un côté existant de folie avec la « bile noire » d’Aristote. Au Moyen-âge, la mélancolie est associée de manière moralisatrice à « l’acédie » qui est une maladie et un péché. Un « être atone, inactif pour ne pas dire paresseux, morne, immobile, s’isolant de la société et de Dieu est prédisposé à entrer en contact avec le diable » (Garrigue, 2004, p. 80). Les thèmes sont mégalomaniaques, érotiques ou scatologiques. Les couleurs sont vives ; les traits, les taches, les signes d'écriture s'entremêlent, se chevauchent et donnent un aspect de confusion. La malpropreté, l'inachèvement traduisent la « fuite des idées » (ibid p.80). Au cours de la psychose maniaco-dépressive ou de la cyclothymie, les périodes sombres alternent avec des périodes éclatantes. Le peintre Vincent Van Gogh souffrait de bipolarité et avait des tendances suicidaires (Brenot, 2007). Le 9 juillet 1890, peu de temps avant son suicide d’une balle dans le ventre survenu le 27 juillet 1890, il peint à la suite, trois exemplaires des Champs de blé aux corbeaux dont un exemplaire se trouve en annexe. Ces trois tableaux sont peints de la même manière et à la suite. Ils sont tous identiques sauf sur le nombre des corbeaux. Placés les uns à côté des autres, ils créent un mouvement, comme si les oiseaux arrivaient de manière progressive. Le foisonnement des couleurs froides et chaudes, vives et ternes est très important (Brenot, 2007). Le peintre utilisait un couteau pour disposer les couches de peinture et nous pouvons ressentir les mouvements frénétiques de superposition des couches de peinture dans ce tableau. « Avec la maladie que j’ai, je me dis que cela n’est pas un empêchement pour exercer l’état de peinture comme si de rien n’était... Je laboure comme un possédé, j’ai une fureur de travail plus que jamais. Et je crois que cela contribuera à me guérir » disait Vincent Van Gogh. La maladie maniaco-dépressive a emprunté de multiples dénominations qui viennent rendre compte de ses aspects cliniques et de ses cours évolutifs extrêmement variés. 15 C’est au dix-neuvième siècle que l’on peut remarquer une prise de conscience de la bipolarité comme une maladie unique caractérisée par une alternance entre deux pôles : un versant maniaque et un versant dépressif. En 1854, Jules Baillarger dans son Essai de classification des maladies mentales (Baillarger, 1854) décrit d’une « folie à double forme » dans laquelle nous pouvons remarquer deux périodes : une première période d’excitation et l’autre de dépression. Il présente ce terme devant l’Académie de Médecine de la Pitié Salpétrière le 31 janvier 1854. Quelques jours plus tard, au même endroit, Jean-Pierre Falret revendique la « folie circulaire » prémonitoire du trouble bipolaire, caractérisée par trois périodes distinctes : un état mélancolique, un épisode maniaque et un intervalle lucide qui les sépare (Falret, 1854, p. 247). Legrand du Saule, médecin pendant la guerre de la Commune en 1870-71, décrit un « délire à formes alternes » où la forme se caractérise par la succession régulière d'accès maniaques et mélancoliques et où chaque épisode est séparé du suivant par un intervalle où le psychisme est normal. Certains évoquent également la psychose périodique, la psychose cyclique ou la psychose intermittente. Dans ces différents termes, nous pouvons remarquer que cette pathologie se caractérise par une succession d’accès mélancoliques ou maniaques. Ceux-ci envahissent la vie psychique, instinctuelle, psychomotrice et neurovégétative du sujet, c’est pour cette raison que la bipolarité sera considérée tout au long du vingtième siècle comme une psychose. La « folie maniaco-dépressive » de Kraepelin en 1899, décrit des « accès individualisés qui se distinguent de manière plus ou moins tranchée l’un de l’autre de l’état de santé ou qui se ressemblent ou qui diffèrent l’un de l’autre constituant même parfois des opposés presque parfaits. Nous différencions donc avant tout des états maniaques dont les signes pathologiques essentiels sont la fuite des idées, l’humeur exaltée et le besoin d’activité et des états mélancoliques ou dépressifs avec dysphorie triste ou anxieuse et difficulté à penser ou à agir ». Kraepelin pose les bases d’une conception moderne et actuelle de la bipolarité en distinguant psychose maniacodépressive et schizophrénie. Le terme de psychose fait référence à une altération fondamentale du contact avec la réalité qui est observée lors des phases de 16 décompensation. Cette altération reste momentanée et ne dure que le temps de l’épisode (Médard, 2009). Camus et Deny, en 1907, créent le terme de psychose maniaco-dépressive. En 1917, Freud évoque les rapports inconscients entre le deuil et la mélancolie. C’est Kleist, en 1957, qui utilise le premier le terme de bipolaire. Il différencie les formes polymorphes des troubles de l’humeur, parmi lesquels la psychose maniacodépressive bipolaire. Pour Kleist, celle-ci s’oppose aux psychoses unipolaires, qui comprennent les manies isolées et les mélancolies isolées. I.1.4. Etiologie Les troubles bipolaires, ont une origine multifactorielle, et proviennent de facteurs essentiellement génétiques, psychologiques et environnementaux. Sur le terrain génétique, de nombreux facteurs psychiques et environnementaux peuvent augmenter la manifestation d'un accès maniaque ou dépressif ou le début de la maladie. Une vulnérabilité génétique existe sur laquelle se rajoute différents types de facteurs environnementaux comme des événements de vie précoces (carences affective, séparation, sévices, agression sexuelle) ; des situations de stress (événements de vie pénibles, surmenage, manque de sommeil, abus de substances, perturbations des rythmes sociaux) (Médard, 2009). En interagissant entre eux, ces événements favorisent l’apparition de la maladie et la rendent plus sévère. L’histoire, la personnalité de l’individu, son environnement sont en partie, des catalyseurs et des déclencheurs de la maladie psychique. Selon l’UNAFAM (Union Nationale des Amis et des Familles de maladies psychiques), l’observation de la vulnérabilité génétique de la bipolarité montre une augmentation du risque de déclenchement de la maladie chez les apparentés directs de premier degré à 10% par rapport à la population générale où le risque est de 1%. Le risque d’être malade chez les apparentés directs est donc multiplié par dix. Chez les jumeaux 17 monozygotes, les « vrais jumeaux » ayant 100% des gènes en commun, 69% des cas auront les deux jumeaux atteints de bipolarité. Chez des jumeaux dizygotes, aussi appelés les « faux jumeaux », 13% des deux jumeaux seront tous les deux atteints de troubles bipolaires. I.1.5. Les différentes formes Le DSM IV reconnaît au trouble bipolaire des formes plurielles parmi lesquelles quatre sont essentiellement retenues : - le trouble bipolaire I est le plus typique, il est caractérisé par un ou plusieurs épisodes maniaques ou mixtes habituellement accompagnés d’épisodes dépressifs majeurs. On parlera aussi de trouble bipolaire même si l’épisode dépressif n’est pas marqué). - le trouble bipolaire II qui comporte un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés par au moins un épisode hypomaniaque, - le trouble cyclothymique (Trouble bipolaire II ½ ) qui comprend de nombreuses périodes d’hypomanie ne répondant pas aux critères d’un épisode maniaque et de nombreuses périodes dépressives ne remplissant pas les critères d’un épisode dépressif majeur pendant une période d’au moins deux ans, - le trouble bipolaire III qui s’accompagne d’une dépression majeure avec des épisodes de manie ou d’hypomanie dus au traitement - le trouble bipolaire IV qui correspond à une dépression majeure avec un tempérament hyperthymique. Les épisodes thymiques ont une sémiologie, un degré de sévérité et une évolution dans le temps qui sont différents selon les individus. 18 I.1.6. Sexe Ratio Le trouble bipolaire touche autant les femmes que les hommes (sexe ratio de 1). Cependant, « les différences sont nombreuses entre les hommes et les femmes bipolaires, dans l’âge de début, le cours évolutif, la présentation clinique et la réponse au traitement » (Médard, 2009, p. 561). Chez l’homme, le premier épisode est plus précoce et intervient en moyenne 3 à 5 ans plus tôt que chez la femme. Les femmes seraient plus enclines à faire un épisode dépressif que les hommes et seraient plus souvent diagnostiquées comme ayant un trouble bipolaire de type II (un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés par au moins un épisode hypomaniaque). Le diagnostic serait également plus tardif chez les femmes : elles semblent déclarer les troubles bipolaires plus tardivement, c’est-à-dire après 45 ans. Le risque suicidaire est trois fois supérieur chez les femmes. On retrouve également ce chiffre dans les statistiques de population générale. Cependant, le risque de décès pour les hommes par suicide est de 3 contre 1 par rapport aux femmes et nous pouvons retrouver ce chiffre autant chez les bipolaires que dans la population générale (Slama & Bellivier, 2005). Si les femmes sont plus nombreuses à commettre une tentative de suicide, le taux de suicide réussi est trois fois plus élevé chez les hommes. Les hommes utilisent en effet des moyens pour se suicider plus violents. Nous estimons qu’entre 25% et 50% des personnes souffrant de bipolarité font au moins une tentative de suicide au cours de leur vie et 20% décèdent par suicide (Médard, 2009). Concernant les conduites addictives : Alcool : le risque d’abus ou de dépendance à l’alcool chez les hommes bipolaires est de 49 % et chez les femmes bipolaires, de 29 %. Drogues : Le risque d’abus ou de dépendance aux drogues est de 54,5 % chez les hommes et de 37, 8% chez les femmes bipolaires. 19 Cependant, il est important de noter que le risque de développer des conduites addictives chez les hommes bipolaires correspond à celui de la population générale alors que celui-ci est nettement augmenté chez la femme bipolaire (Slama & Bellivier, 2005, p. 40). L’alcool ou les drogues permettent-ils de supporter mieux les symptômes ? Permettent-ils de les atténuer ? De les augmenter ? I.1.7. Age d’entrée dans la maladie L’âge d’entrée de la bipolarité peut survenir entre 15 et 80 ans. Nous pouvons distinguer trois phases majeures : - Une première phase de déclaration d’entrée dans la maladie importante qui intervient entre 15 et 30 ans. Elle est associée à une augmentation du risque de suicides considérable. Pour les personnes qui ont été diagnostiquées à cette période, environ 35 à 45% des cas avaient des signes précurseurs de la maladie à l’adolescence. Plus les troubles débutent tôt, plus les troubles seront sévères et le nombre de rechutes important et la présence d’éléments psychotiques (Leboyer, 2005, p. 11). - Une deuxième phase entre 30 et 45-50 ans correspondant à une diminution du nombre de personnes déclarant une bipolarité. - Et une dernière phase, à partir de 50 ans avec une recrudescence de déclenchements de la maladie. L’âge influence de manière décisive la déclaration de la maladie sous le versant maniaque ou dépressif. En effet, on peut remarquer que les épisodes qui ont lieu avant l’âge de 25 ans sont purement maniaques. Nous retrouvons ensuite ces épisodes maniaques vers 55 ans mais de manière sporadique. Entre 25 et 30 ans et parfois jusqu’à 80 ans, les personnes qui déclarent une bipolarité la commencent plutôt par le versant dépressif. 20 I.1.8. Elément de sémiologie Selon les données du DSM IV, nous étudierons les éléments de sémiologie des deux versants du trouble bipolaire : l’épisode dépressif majeur, l’épisode maniaque. Nous étudierons également l’épisode mixte et l’épisode hypomaniaque. Episode dépressif majeur : L’épisode dépressif majeur inscrit dans le DSM IV est marqué par les éléments suivants : Premièrement, 5 des symptômes suivants doivent être présents dans l’épisode dépressif majeur avec l’obligation de la présence du symptôme 1) ou du symptôme 2) : 1) « Une humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, presque tous les jours, signalée par le sujet […] ou observée par les autres […]». 2) Une « diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités pratiquement toute la journée, presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres) » 3) Une « perte ou gain de poids significatif en l’absence de régime […], ou diminution ou augmentation de l’appétit presque tous les jours ». 4) Une « insomnie ou hypersomnie presque tous les jours » 5) Une « agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours (constaté par les autres, non limité à un sentiment subjectif de fébrilité ou de ralentissement intérieur ». 6) Une « fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours ». 7) Un « sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement se faire grief ou se sentir coupable d’être malade ». 8) Une « diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres) ». 9) Des « pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider » (American Psychiatric Association, 2002, p. 163). 21 Deuxièmement, « les symptômes ne répondent pas aux critères d’épisode mixte ». Troisièmement, « les symptômes induisent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants ». Quatrièmement, « les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance […] ou d’une affection médicale générale ». Cinquièmement, « les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un deuil, c’est-àdire après la mort d’un être cher, les symptômes persistent pendant plus de deux mois ou s’accompagnent d’une altération marquée du fonctionnement, de préoccupations morbides de dévalorisation, d’idées suicidaires, de symptômes psychotiques ou d’un ralentissement psychomoteur » (ibid.). Au niveau cognitif, le versant dépressif s’exprime dans le ralentissement et la pauvreté des idées. La personne a des difficultés au niveau de la concentration, l’attention, la compréhension, le raisonnement, et la mémoire. « Le patient dit parfois être « décalé » dans ses relations interpersonnelles » (Leboyer, 2005, p. 12). Au niveau moteur, les gestes et les mimiques sont réduits. La personne reste prostrée et lorsqu’elle se déplace, la personne a une démarche lente. Les activités élémentaires quotidiennes sont compliquées à réaliser. Les patients se plaignent d’une fatigabilité importante et d’une perte de motivation importante (Leboyer, 2005, p. 13). Il y a un risque majeur de passage à l’acte suicidaire dans les épisodes dépressifs. La durée de cet état varie entre plusieurs jours, quelques semaines, jusqu’à plusieurs mois. Pour le Docteur Elie Hantouche, c’est un « dérèglement pathologique », c’est-àdire que « son intensité est suffisante pour entrainer une altération marquée du fonctionnement social ou professionnel » (Hantouche, 2006, p. 54). Ces phases maniaques peuvent se résoudre par une hospitalisation. 22 Episode maniaque : Plusieurs éléments distincts sont répertoriés dans l’épisode maniaque selon le DSM IV. Premièrement, il faut « une période nettement délimitée durant laquelle l’humeur est élevée de façon anormale et persistante, pendant au moins une semaine ou toute autre durée si une hospitalisation est nécessaire) ». Deuxièmement, « au cours de cette période de perturbation de l’humeur, au moins 3 des symptômes suivants (4 si l’humeur est seulement irritable) ont persisté avec une intensité suffisante » : 1) Une « augmentation de l’estime de soi ou idées de grandeur » 2) Une « réduction du besoin de sommeil » 3) Une « plus grande communicabilité que d’habitude ou désir de parler constamment ». 4) Une « fuite des idées ou sensations subjectives que les pensées défilent » 5) Une « distractibilité » 6) Une « augmentation de l’activité orientée vers un but (social, professionnel, scolaire ou sexuel) ou agitation psychomotrice ». 7) Un « engagement excessif dans des activités agréables mais à potentiel élevé de conséquences dommageables » Troisièmement, « les symptômes ne répondent pas aux critères d’un épisode mixte ». Quatrièmement, « la perturbation de l’humeur est suffisamment sévère pour entraîner une altération marquée du fonctionnement professionnel, des activités sociales ou des relations interpersonnelles, ou pour nécessiter l’hospitalisation afin de prévenir des conséquences dommageables pour le sujet ou pour autrui, ou bien il existe des caractéristiques psychotiques ». Cinquièmement, « les symptômes ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d’une substance […] ou d’une affection médicale générale » (ibid. p 164). Le versant maniaque touche l’humeur, les facultés cognitives, motrices ainsi que la motivation. 23 « L’humeur est caractérisée par une labilité émotionnelle avec une amplification des émotions, la personne est euphorique, expansive, heureuse et optimiste » (Leboyer, 2005, p. 15). Dans ces périodes, l’estime de Soi de la personne augmente, son discours peut être parfois grossier et elle peut faire face à un plus grand besoin de communication. L’agitation, la multitude d’activité, l’hyperactivité sont souvent effectuées de manière stérile. Au niveau du comportement, l’épisode maniaque se traduit par des « alcoolisations massives, une désinhibition sexuelle ou la transgression des interdits sociaux ». L’enthousiasme et la motivation peuvent entraîner le sujet dans des projets hasardeux et inadaptés (Leboyer, 2005, p. 15). Episode mixte : Nous retrouvons 3 critères dans l’épisode mixte selon les données du DSM IV : 1) Une réunion des critères de « l’épisode maniaque et de l’épisode dépressif majeur, et cela presque tous les jours pendant au moins une semaine ». 2) Une « perturbation de l’humeur suffisamment sévère pour entraîner une altération marquée du fonctionnement professionnel, des activités sociales ou des relations interpersonnelles […] ». 3) Les « symptômes ne sont pas dûs aux effets physiologiques directs d’une substance ». Episode hypomaniaque : L’épisode hypomaniaque est décrit dans le DSM IV selon les éléments suivants : 1) « une période nettement délimitée durant laquelle l’humeur est élevée de façon persistante, expansive ou irritable, clairement différente de l’humeur non dépressive habituelle, et ce, tous les jours pendant au moins 4 jours ». 24 2) La présence de 3 des symptômes suivants « au cours de la période de perturbation de l’humeur » : a. « Augmentation de l’estime de soi ou idées de grandeur » b. « Réduction du besoin de sommeil » c. « Une plus grande communicabilité que d’habitude ou désir de parler constamment » d. Une « fuite des idées ou sensations subjectives que les pensées défilent » e. Une « distractibilité » f. Une augmentation de l’activité orientée vers un but (social, professionnel, scolaire ou sexuel) ou agitation psychomotrice g. « Un engagement excessif dans des activités agréables mais à potentiel élevé de conséquences dommageables ». 3) « L’épisode s’accompagne de modifications indiscutables du fonctionnement », 4) « La perturbation de l’humeur et la modification du comportement sont manifestes pour les autres ». 5) « La sévérité de l’épisode n’est pas suffisante pour entraîner une altération marquée du fonctionnement professionnel ou social ». 6) « Les symptômes ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale générale » (American Psychiatric Association, 2002, p. 166). I.2. Les troubles psychiques, du déni à la reconnaissance du handicap Pendant longtemps, les troubles psychiques ont été considérés comme une maladie et non comme un handicap. Nous verrons dans cette partie, le cheminement qui a permis d’amener la reconnaissance du handicap vers les troubles psychiques. 25 I.2.1. Définition et étymologie du terme handicap La notion de « handicap » renvoie à de multiples réalités et à de nombreux domaines (physique, mental, sensoriel, social…). Dans le Grand Dictionnaire de la Psychologie, le handicap est la « situation d’une personne qui se trouve désavantagée, d’une manière ou d’une autre, par rapport à d’autres personnes ». Un handicapé « se dit d’une personne atteinte d’un désavantage, infériorité résultant d’une déficience ou d’une incapacité qui interdit ou limite l’accomplissement d’un rôle social, ce dernier étant considéré en rapport avec l’âge, le sexe, les rapports sociaux et culturels ». Il est intéressant de remarquer que sur le plan sémantique, le sens à l’origine du mot handicap n’est pas le même pour lequel il est employé aujourd’hui. Au départ, le mot « handicap » est composé de l’association de trois mots anglais : « hand », « in » et « cap » qui signifient littéralement « la main dans le chapeau ». C’était un jeu d’échange d’objets personnels pratiqués au XVIe siècle en Grande Bretagne. « Le nom de handicap a été donné à une sorte de jeu comportant une part de chance, dans lequel une personne propose d’acquérir un objet familier qui appartient à une autre personne en lui offrant en échange quelque chose qui lui appartient » (Hamonet, 1990, p. 7). Un arbitre, évaluant le prix des objets, était chargé de surveiller l’équivalence des lots afin d’assurer l’égalité des chances des joueurs. Ensuite, le mot « handicap » est utilisé dans le milieu hippique : les meilleurs chevaux devaient porter un poids supplémentaires par rapport aux autres chevaux ou courir sur une distance plus importante afin que tous les chevaux aient une chance égale de gagner la course. Le terme arrive en France en 1827, il est utilisé pour la première fois par T. Bryon dans son Manuel de l’Amateur des courses. Il explique qu’une « course à handicap est une course ouverte à des chevaux dont les chances de vaincre, naturellement inégales, sont, en principe, égalisées par l’obligation faite au meilleur de porter un poids plus grand » (Mautuit, 2009, p. 17). Retenons qu’à cette époque, le terme handicap ne s’applique que dans le domaine hippique. 26 Le handicap est généralisé au domaine sportif vers 1854 et signifie tout désavantage imposé dans une épreuve à un concurrent plus fort. C’est la nécessité d'être équitable en « désavantageant » ou en annulant un avantage chez un concurrent. Le terme handicap permettait à l’origine « d’égaliser les chances » (Mautuit, 2009, p. 17). Ce qui est intéressant dans cette recherche de l’origine du sens du terme handicap, c’est de remarquer qu’il s’est complètement inversé aujourd’hui. Actuellement, « la personne handicapée n’est pas la plus performante que l’on freine, mais la moins performante à qui l’on a essayé de diminuer les effets du handicap » (Rabischong, 2008, p. 50). Le terme handicap prend son sens figuré « d’entrave », de « gène, d’infériorité » vers 1913 (Rey, 2006, p. 1682). Dans le Petit Robert dans les années 1950, on parle de « désavantage, infériorité qu’on doit supporter ». Le handicap est alors une caractéristique individuelle qui intervient à la suite d’une incapacité ou d'une déficience. Sur le plan législatif, les expressions « handicap » et « travailleur handicapé » apparaissent pour la première fois dans la Loi du 23 novembre 1957. Cette loi traite de la question du reclassement professionnel du travailleur handicapé 2. Dans l’article 1er de cette loi, « est considéré comme travailleur handicapé pour bénéficier des dispositions de la présente loi, toute personne dont les possibilités d’acquérir, ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite d’une insuffisance ou d’une diminution de ses capacités physiques ou mentales ». Ne sont alors reconnues « handicapées » que les personnes qui ont une reconnaissance en tant que travailleur handicapé délivrée auparavant par la COTOREP3, aujourd’hui remplacée par la CDAPH4. Cet organisme prend les décisions relatives aux droits des personnes handicapées, notamment en matière d'attribution de prestations et d'orientation. Elle est compétente pour l’ensemble des décisions individuelles d’allocation, de prestation, de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, d’orientation scolaire, médico-sociale, professionnelle et d’attribution de cartes d’invalidité et de stationnement. 2 Loi n° 57-1223 du 23 novembre 1957 sur le reclassement professionnel des travailleurs handicapés Commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel 4 Commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées 3 27 La loi du 23 novembre 1957 nous donne une définition du handicap basée sur des procédures et non sur ce qu’est concrètement le handicap. François Bloch Lainé dans le rapport au premier ministre, « Etude du problème général sur l’inadaptation des personnes handicapées » de 1967, donne une définition plus précise sur le terme de handicap en le considérant comme un problème d’écart par rapport à une norme : « Sont inadaptés à la société dont ils font partie, les enfants, les adolescents, et les adultes qui, pour des raisons diverses, plus ou moins graves, éprouvent des difficultés plus ou moins grandes, à être et à agir comme les autres. De ceux-là, on dit qu’ils sont handicapés parce qu’ils subissent par suite de leur état physique, mental, caractériel ou de leur situation sociale, des troubles qui constituent pour eux des handicaps, c’est-à-dire des faiblesses, des servitudes particulières par rapport à la normale. La normale étant définie comme la moyenne des capacités et des chances de la plupart des individus vivant dans la même société » (Mautuit, 2009, p. 22). Les deux lois du 30 juin 1975 encadrent l’action nationale qui doit être apportée en faveur des personnes handicapées, c’est-à-dire, « la prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l’éducation, la formation et l’orientation professionnelle, l’emploi, la garantie d’un minimum de ressources, l’intégration sociale et l’accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l’adulte handicapés physiques, sensoriels ou mentaux », afin de leur apporter « toute l’autonomie dont ils sont capables »5. Nous pouvons définir une situation de handicap comme « le résultat de la confrontation entre les possibilités d’une personne et son environnement (soi, les autres, l’organisation, l’espace) nécessitant une relation d’aide (technique, médicamenteuse, humaine) pressentie, identifiée ou faisant l’objet d’une demande. Elle est réductible par une intervention humaine, médicamenteuse adéquate ayant fait l’objet d’un programme individuel basé sur des objectifs négociés » (ibid p33). I.2.2. Les troubles psychiques, un « vrai » handicap Afin de comprendre en quoi les troubles psychiques sont un handicap, nous devons d’abord nous pencher sur une définition des troubles psychiques. 5 Article Ier de la Loi n° 75-534 d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975. 28 « Les troubles psychiques […] sont plus ou moins intenses, ponctuels ou permanents ou encore plus ou moins précoces. Ils entraînent des itinéraires de vie très différents selon le degré d’autonomie (ou de dépendance des personnes). Certains malades mènent une existence normale, d’autres vivent de manière plus ou moins permanente en institution ou ont un besoin continu d’aides psychosociales : on parle alors de personnes handicapées psychiques. Les handicaps psychiques sont donc des handicaps réels, dans la mesure où ils illustrent un lien durablement perturbé entre la personne et son environnement social et réclament des aides sociales, médicales et psychologiques de longue durée » (Zribi & Sarfati, 2008, p. 11). Le handicap psychique est un « dysfonctionnement de la personnalité caractérisé par des perturbations graves, chroniques ou durables du comportement et de l’adaptation sociale » (ibid p.10). C’est dans le désavantage, l’inadaptation, la perte d’autonomie que les troubles psychiques constituent un handicap. C’est dans ce désavantage par rapport à la vie sociale que la personne souffrant de troubles psychiques a un handicap. Ce handicap est plus ou moins important en fonction des troubles de la personne qui s’expriment plus ou moins fortement, ce qui inclue des besoins et une dépendance visà-vis de la société plus ou moins importants. « C’est la pérennité et la qualité du lien entre l’individu et la société qui détermine le handicap en tant que carence relationnelle nécessitant un accompagnement particulier » (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 27). I.2.3. Du déni des troubles psychiques à la reconnaissance du handicap psychique. Les troubles psychiques ont longtemps été considérés comme une maladie mais ils sont aujourd’hui de réels handicaps. Les lois de 1957 et de 1975 ne faisaient pas clairement allusion aux troubles psychiques. Ils ne faisaient donc pas partie des plans d’actions mis en place dans ces lois. A l’époque, il semble que les personnes souffrant de troubles psychiques étaient considérées comme malades et ne pouvant donc pas bénéficier du statut d’handicapé 29 et des droits auxquels pouvaient prétendre les bénéficiaires de ces lois (Baptiste, 2005). Les personnes souffrant de troubles psychiques avaient alors deux solutions : - « Un retour à la vie « normale » - Demeurer dans le parcours de soins » (Baptiste, 2005, p. 15) Les troubles psychiques n’étaient alors pas considérés comme pouvant porter atteinte à la vie sociale des personnes et ceux-ci n’avaient pas de légitimité à pouvoir bénéficier du statut d’handicapé. C’est la mobilisation de différents acteurs (professionnels de la psychiatrie, usagers, familles…) qui permet une évolution de la notion des troubles psychiques vers un handicap. Les difficultés à vivre en société des personnes souffrant de troubles psychiques sont prises en compte, elles sont prises en charge de manière différentes grâce notamment à l’ouverture des unités psychiatriques dans les hôpitaux ou au raccourcissement de la durée des hospitalisations (Baptiste, 2005). Les troubles psychiques sont peu à peu considérés comme générateur d’un handicap car les conséquences des troubles sur la vie sociale sont importantes. La reconnaissance officielle du handicap psychique s’effectue sur le plan législatif grâce à la loi du 11 février 2005 qui dans sa définition officielle du handicap inclue les troubles psychiques. I.2.4. Une loi pour le handicap psychique : Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a permis une meilleure reconnaissance du handicap psychique. Elle vient réformer et moderniser la loi du 30 juin 1975 appelée « loi de l’orientation en faveur des personnes handicapées ». 30 Les détériorations liées aux troubles psychiques sont, grâce à cette loi reconnues comme pouvant générer un handicap. Dans l’article 2 de cette loi, le handicap est défini comme « (…) toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. » Cette définition donne un sens très large au handicap. Les troubles psychiques sont pris en compte, c’est-à-dire « les répercussions de ces troubles dans la vie quotidienne qui compromettent la scolarité, la formation, l’activité professionnelle et/ou des activités sociales et citoyennes » (Aït-Ali & Lesieur, 2008, p. 169). Les professionnels travaillant dans le secteur psychiatrique insistent sur les conséquences sociales provoquées par le handicap psychique comme « l’isolement, la stigmatisation, le risque de marginalisation, le sentiment d’étrangeté » qu’il suscite chez les autres vis-à-vis de certains comportements. Ils insistent également sur le « caractère imprévisible de ce handicap, la variabilité des troubles mais aussi par la difficulté pour l’entourage d’identifier et de comprendre les manifestations de ce handicap (handicap non visible) » (Aït-Ali & Lesieur, 2008, p. 169). « Il est vite apparu que ces troubles peuvent être graves et persistants et demandent un besoin d’aide et d’accompagnement des personnes handicapées psychiques dans leur vie quotidienne et leur participation sociale, auquel ne peuvent pas seulement répondre les actions de soins » (ibid). Cette loi a institué un élan collectif qui pourrait contribuer à changer véritablement notre regard sur le handicap et renforcer l’intégration des personnes en situation de handicap psychique. La difficulté dans le handicap psychique est d’identifier précisément ce que recouvre le mot « psychique ». En effet, on retrouve une grande variété de troubles, un panel de situations important et des origines très variées. Les entreprises se sentent légitimement démunies lorsqu’elles se retrouvent face à une personne en situation de handicap car elles ne peuvent pas prévoir à l’avance comment gérer ces différentes situations du fait d’une grande variabilité de troubles psychiques. Grâce à la loi, le handicap psychique est désormais reconnu, ce qui est un élément positif car il est pour les personnes concernées, un moyen de parvenir à une vie de citoyen plus autonome. 31 Nous retrouvons quatre grands axes dans cette loi : - Le droit à la compensation qui permet d’élargir les droits et de les adapter aux besoins. - La Maison du handicap qui permet de simplifier les démarches en les regroupent dans un seul lieu. - La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie permet de faciliter la gestion des fonds. - Le développement de l’intégration sociale dans différents domaines comme la scolarité, l’emploi, l’accessibilité, la communication, les nouvelles technologies… Face à l’insertion professionnelle et l’obligation d’emploi plusieurs domaines sont abordés et développés : Le principe de non discrimination implique à certaines entreprises « l’obligation de prendre des mesures nécessaires pour permettre aux travailleurs handicapés d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée » (Aït-Ali & Lesieur, 2008, p. 176). Une partie des dépenses d’aménagement des postes de travail, d’adaptation et d’accompagnement sont apportées par l’employeur. La priorité au travail en milieu ordinaire Le système de pilotage de l’insertion professionnelle : « Dans la Loi, une convention de coopération est prévue entre les fonds du public et les fonds du privé. Il ya également une mise en œuvre de politiques concertées d’accès à la formation et à la qualification professionnelle. Les dispositions de la loi de 1987 restent les mêmes concernant l’obligation d’emploi à part certains ajustements et la création d’un fonds similaire à celui géré par l’Agefiph pour le privé dans les trois fonctions publiques (hospitalière, territoriale et de l’Etat) » (Aït-Ali & Lesieur, 2008, p. 176). L’extension de l’obligation d’emploi : de nouveaux bénéficiaires peuvent prétendre à l’obligation d’emploi ; les bénéficiaires de l’Allocation aux adultes handicapés ainsi que les titulaires de la carte d’invalidité. Deux moyens : l’incitation et la sanction : l’incitation à l’embauche est valorisée, c’està-dire que les entreprises pourront déduire les dépenses en faveur de l’insertion 32 professionnelle des travailleurs handicapés dans des domaines comme l’accessibilité, le reclassement, l’hygiène, la sécurité et la formation. De même, si les entreprises ne respectent pas le quota des 6% des travailleurs handicapés dans leurs effectifs, la contribution qu’elles doivent payer sera multipliée par trois en 2009. Le milieu adapté et le milieu protégé : de nouveaux droits sont accordés aux personnes travaillant en Entreprises Adaptées (EA) et en Etablissement et Services d’Aide par le travail (ESAT) en matière de droit à la réintégration en milieu protégé, d’accompagnement à l’insertion en milieu ordinaire de travail, de validation des acquis de l’expérience, de congé parent al pour les personnes travaillant en ESAT. La réussite de toutes ces nouvelles dispositions varie selon le secteur d’activité, la taille et la culture de l’entreprise. La plupart du temps, les besoins des personnes souffrant de troubles psychiques ne sont pas d’ordre matériel. Il s’agit plus d’un besoin d’accompagnement adapté grâce à une modification de l’organisation et des pratiques professionnelles. I.2.5. Le handicap psychique en entreprise La loi du 11 février 2005 répond à un fort besoin d’égalité des personnes souffrant d’un handicap à accéder aux droits, notamment en matière de droits au travail. De plus, cette loi fait écho aux principes de non discrimination de la Convention européenne des Droits de l’Homme et de la Charte des Droits Fondamentaux qui lutte contre toute forme de discrimination notamment dans les articles 20, 21 et 23. L’individu est revalorisé au travail, dans sa singularité. Il est important de prendre en compte le salarié : ses besoins, sa santé et de renforcer la confiance mutuelle (Agence Entreprises et Handicap, 2009). « Il est fondamental d’intégrer la question du handicap psychique dans la politique des ressources humaines de l’entreprise. […] Il est important d’associer les collègues de travail au processus d’intégration, la présence d’un salarié qui souffre d’un handicap psychique générant une pression importante auprès des autres professionnels. Néanmoins, la sensibilisation de ces derniers atténue cette pression, améliore la 33 tolérance et induit une progression positive de la personne en situation de handicap psychique » (Aït-Ali & Lesieur, 2008, p. 182). Nous pouvons remarquer une grande hétérogénéité de handicaps dans la population atteinte de troubles psychiques. « C’est le besoin d’aide, d’accompagnement et de prise en compte de la situation singulière de la personne qui fait naitre la situation de handicap » (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 27). Concernant le trouble bipolaire, les personnes souffrant de ces troubles passent par des phases de stabilisation plus ou moins longues, parfois entrecoupés de moments plus difficiles. « Les personnes souffrant de troubles psychiques ne sont pas en phase aigue tout le temps » nous explique Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY, fédération des usagers en psychiatrie. Les troubles psychiques s’expriment différemment chez chacun. Dans le monde du travail, il y a les personnes qui souffrent ponctuellement de troubles psychiques ayant une gravité moindre, c’est-à-dire qu’ils peuvent s’aménager des « espaces de récupération » (congés, télétravail…) ainsi que des personnes qui sont déstabilisés sur leur poste de travail du fait de troubles constants nécessitant une prise en charge adaptée. « Dans l’entreprise, le handicap psychique se situe dans l’écart qui va exister entre les attentes de l’entreprise et le comportement du salarié » (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 27). Il est nécessaire que la politique de l’entreprise en faveur du handicap soit en concordance avec celle du salarié souffrant de troubles psychiques. Lorsque le salarié fait l’expérience d’une crise sur son lieu de travail, il ne remplit plus les rôles sociaux que l’entreprise attend de lui. Il a de fait : - « Une moindre capacité à s’adapter - Une difficulté à entrer en relation avec les autres - Une diminution des habiletés sociales » (Baptiste, 2005, p. 34) « L’enjeu du handicap psychique quotidien se situe donc dans le vécu professionnel quotidien contrairement à d’autres types de handicap pour lesquels le champ des besoins est identifiable avant même l’intégration dans le monde de l’entreprise. Le handicap psychique se situe dans la zone fluctuante et insaisissable des relations 34 interpersonnelles et des interactions sociales. Il est difficile à identifier, définir, cerner » (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 28). La visibilité du handicap psychique en entreprise est faible. D’une part, la RQTH (Reconnaissance de qualité de travailleur handicapé) n’énonce pas la nature du handicap lorsqu’elle est donnée et elle peut ne pas être annoncée à l’employeur. En troisième lieu, la plupart des personnes souffrant de troubles psychiques ne font pas de démarches pour être déclarées travailleur handicapé. Une étude menée en 2006 par Julie Chabanais-Motin, médecin du travail, montre que sur 126 patients souffrant de troubles psychiques, seulement 18,1% avaient une RQTH ou Reconnaissance de Qualité du Travailleur Handicapé (Chabanais-Motin, Venier, Lesage, & Deschamps, 2006, p. 41). La prévalence de salariés souffrant de troubles psychiques au sein de l’entreprise et reconnus travailleurs handicapés ne peut pas être évaluée. La plupart des salariés souffrant de troubles psychiques taisent leur trouble au sein de leur entreprise de peur d’être jugés pour leur handicap. I.2.6 Les représentations de la maladie mentale « L’approche des représentations permet d’aborder la façon dont la société réagit, répond à la réalité et la construit » selon Denise Jodelet, psychologue sociale dans les Actes du colloque qui s’est déroulé à Science Po sur « l’entreprise face aux troubles psychiques le 29 avril 2009. Selon Denise Jodelet, « La représentation relève de la connaissance ordinaire, du sens commun ; elle sert de programme de perception, de grille de lecture de notre monde de vie, de guide d’action et d’orientation des communications » (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 71). Certains mots comme les troubles psychiques ont une signification forte et sont lourds de conséquences pour ceux qui en souffrent. Ces notions viennent de la culture de la société. Il y a souvent une confusion entre handicapé mental et malade mental. Or, ces deux expressions ont toutes les deux un sens différent. Un handicapé mental est une 35 personne qui, « dès les premières années de la vie, a une insuffisance notable du fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif ». Le malade mental « souffre, lui, d’une pathologie psychiatrique, apparue au cours de la vie, entraînant des désordres comportementaux qui constituent pendant leur durée une situation invalidante. Si les désordres laissent des séquelles, on parlera d’handicap psychique » (Aït-Ali & Lesieur, 2008, p. 199). La maladie mentale et donc les troubles psychiques renvoient à une image négative : « L’image des patients souffrant d’un handicap psychique reste déplorable dans le public. Ils ont hélas à souffrir de silences, de préjugés profondément enracinés dans l’imaginaire collectif », citation extraite du rapport rédigé par Michel Charzat en 2002 à l’attention de Ségolène Royal, à cette époque Ministre Déléguée à la Famille, à l’Enfance et aux personnes Handicapées (Charzat, 2002, p. 7). Cette image négative est due à une méconnaissance importante de la maladie psychique. L’UNAFAM (Union Nationale des Amis et Familles de Malades Psychiques) explique que « la méconnaissance des caractéristiques de ce handicap provoque presque obligatoirement des réactions d'incompréhension qui favorisent incontestablement la stigmatisation et la crainte. Ces sentiments sont renforcés par des idées très anciennes sur les maladies mentales. L'existence de dispositifs d'accompagnement organisés et ouverts aux professionnels du social et des campagnes de communication dans la cité sont de nature à combattre efficacement ces comportements » (Charzat, 2002, p. 33) Dans mon stage de cinquième année en cabinet de conseil en ressources humaines, sur les questions de diversité en entreprise, nous avons organisé une table ronde en octobre 2010 sur le handicap psychique en entreprise. Nous avons pu relever quelques exemples cités par des interlocuteurs en entreprise sur la notion de handicap psychique : « un schizophrène, c’est violent », « j’ai un salarié bipolaire, je fais quoi, moi, s’il décide de se suicider sur le plateau »… Il est important de savoir qu’en réalité, les chiffres montrent que les personnes touchées par les troubles psychiques ne sont pas plus dangereuses ou violentes que la population générale. « Tout le monde a peur de la folie et de la maladie mentale. La discrimination, le rejet et la ségrégation des personnes souffrant de troubles psychiques sont les expressions 36 brutales de la stigmatisation qui s’attache aux maladies mentales comme au dispositif de soins psychiatriques » (Charzat, 2002, p. 33). Face à cette méconnaissance, il est intéressant de mener un travail d’information dans toutes les sphères de la société comme en entreprise. « Il faut combattre les a priori, informer pour transgresser les tabous. Le regard et les mentalités doivent changer pour que ces maladies soient mieux connues, acceptées et que cessent toutes attitudes stigmatisantes, culpabilisantes et d’auto-défense » (Charzat, 2002, p. 7). « Chacun peut être un jour concerné, il suffit d’un accident de la vie » (ibid). 37 II Le travail « Aucune autre technique de la vie n’attache aussi fermement l’individu à la réalité que le travail car il procure une place sécurisante dans la réalité et dans la communauté humaine » (Freud, 1930) II.1. Principes de base sur le travail II.1.1. Définition Dans le Petit Robert, le premier sens du mot « travail est un « état pénible » (période de l’accouchement) ». Il signifie également « l’ensemble des activités humaines orientées vers un but ». Il acquière ce sens à la fin du 15 ème siècle et fait référence à « l’ensemble des activités humaines coordonnées en vue de produire quelque chose ; état, situation d’une personne qui agit en vue de produire quelque chose ». Le sens du travail en tant qu’activité laborieuse est développé au 19 ème siècle et désigne une « activité laborieuse professionnelle et rétribuée » ou encore, « l’activité économique des hommes (aidés ou non par les machines) organisée en vue de produire des biens et des services répondant aux besoins individuels et collectifs ». (Dictionnaire Le Petit Robert de la Langue Française, 2010). Joël Jung a définit le travail en trois points : Premièrement, le travail désigne « toute activité demandant une attention ou un effort physique ou intellectuel ». Deuxièmement, le travail correspond selon lui aux « seules activités rétribuées ou effectuées en vue d’un gain ». Troisièmement, le travail serait « les activités, soutenues ou non, rétribuées ou non par lesquelles nous produisons matériellement les objets de consommation et d’usage » (Jung, 2000, p. 11). Au niveau étymologique, le mot « travail » a une double signification : - Le travail signifie peine et souffrance : il est issu du latin « tripaliare » et signifie littéralement « tourmenter, torturer avec le « trepalium » qui est un instrument de torture (Rey, 2006, p. 3900). C’était un appareil formé de trois pieux, utilisé 38 pour ferrer ou soigner les animaux, ou un instrument de torture pour punir les esclaves. - Le travail est aussi synonyme de bien-être, de valorisation sociale, voire d’ « opérateur de construction de santé » (Davezies, 1993, p. 33). Le travail occupe une grande place dans la société. Selon le Conseil Economique et social, le travail s’insère à la fois dans une « tradition économique, philosophique, sociologique, politique qui fait du travail le fondement de la vie des hommes en société et la condition de leur réalisation en tant qu’individus autonomes » (Boutillier & Unzunidis, 2006, p. 301). Christophe Dejours dans Le facteur Humain a développé la notion de travail en distinguant tout d’abord l’activité de la tâche. Selon lui, la tâche est « ce que l’on souhaite obtenir ou ce que l’on devrait faire » et l’activité représente ce qui, « face à la tâche est réellement fait par l’opérateur pour tenter d’atteindre, au plus près, les objectifs fixés par la tâche ». Le travail, dans un contexte défini, est avant tout pour Christophe Dejours une activité ; cette notion étant « plus précise et plus spécifique » que la notion de tâche (Dejours, 1995, p. 39). Il ajoute également à la notion de travail, l’efficacité et l’utilitaire. Un travail doit prendre en compte la dimension « d’efficacité », « d’utilitaire » et s’inscrire dans un contexte économique pour « homologuer une activité au titre de travail » (ibid.). L’utilité est le critère qui permet de faire une distinction entre loisir et travail, non-travail et travail. En effet, lorsqu’une activité s’inscrit dans un contexte économique et à une « utilité économique », cela est considéré comme un travail. Des activités comme « jouer au tennis, monter à cheval » n’ont pas d’utilité économique (elles ne « rapportent » pas financièrement), ce sont des activités de loisir. « C’est au regard de ce critère utilitariste que l’on distingue le vacancier du moniteur » (Dejours, 1995, p. 40). Selon Christophe Dejours « Le travail, c’est l’activité coordonnée déployée par les hommes et les femmes pour faire face à ce qui, dans une tâche utilitaire, ne peut être obtenu par la stricte exécution de l’organisation prescrite » (Dejours, 1995, p. 44). Il prend en compte les termes « d’activité », « d’efficacité », « d’utilitaire » développés plus haut ainsi que la notion de « réel ». Il insiste sur la dimension humaine du travail : « ce qui doit être ajusté, réaménagé, imaginé, inventé, ajouté par les hommes et les femmes pour tenir compte du réel du travail » (Dejours, 1995, p. 45). 39 II.1.2 Une nouvelle organisation du travail Dans le monde du travail, nous assistons actuellement à de nouvelles formes d’organisation du travail qui subissent de nombreuses transformations. Selon Christophe Dejours, ces transformations sont « les nouvelles technologies, la flexibilisation de l’emploi, les méthodes d’évaluation individualisée des performances et les certifications de qualité » (Dejours, Conjurer la violence. Travail, violence et santé, 2011, p. 20). Avant les années 1980-1990, « bien travailler consistait tout simplement à faire ce qu’on vous avait demandé de faire » (Légeron, 2006, p. 18). A partir des années 19801990, une nouvelle vision du travail s’est mise en place. « Faire son travail ne suffisait plus, il fallait se dépasser. C’est un peu comme dans le milieu sportif : si vous sautez 2,40 m, cela veut dire que vous êtes sans doute capable de monter un peu plus » (ibid.). Le culte de la performance, les objectifs à atteindre sont toujours plus conséquents. Les changements comme les restructurations professionnelles, la mobilité, les déménagements sont devenus une « donnée constante de notre vie au travail » (Légeron, 2006, p. 36). Ils sont de plus en plus importants dans les entreprises car celles-ci cherchent à tous prix à gagner en performance. Le salarié doit s’adapter à tous ces changements parfois brutaux et douloureux, être flexible, mobile sous peine de subir des conséquences considérables et durables dans son travail, sur sa santé et son bien-être. II.2.Travail et Santé Mentale II.2.1. Historique Le 6 décembre 1791, un rapport est adressé au département de Paris « par l’un de ses membres » stipule « qu’un travail sagement approprié aux forces, à l’intelligence, à l’état de chacun (des fous) serait lui-même un moyen de guérison et les vues 40 économiques s’accorderaient ici, comme il arrive presque toujours, avec les vues bienfaisantes et médicales » (Montès, 1993, p. 41) Philippe Pinel, médecin et philosophe français est convaincu de la valeur thérapeutique du travail. Il est le premier théoricien à l’écrire dans son Traité Médico-philosophique en 1801 sur l’aliénation mentale. Il explique « qu’un travail mécanique n’a point été seul l’objet de la sollicitude des fondateurs de cet établissement (Nuestra Señora de Gracia). Ils ont voulu retrouver une sorte de contrepoids aux égarements de l’esprit, par l’attrait et le charme qu’inspire la culure des champs, par l’instinct naturel qui porte l’homme à féconder la terre et à pourvoir ainsi à ses besoins, par les fruits de son industrie » (Montès, 1993, p. 48). Le docteur Max Parchappe, médecin chef à l'asile Saint-Yon de Rouen, procède, en 1830, à des essais de travail. Il écrit que « le travail est dans les asiles d'aliénés, comme dans toutes les agglomérations humaines, une condition essentielle du maintien de l'ordre et de la conservation des bonnes mœurs. […] (Le travail) on le considère comme un moyen hygiénique propre à entretenir la santé par le maintien de l'équilibre des forces, soit qu'on l'envisage comme un moyen moralisateur apte à assurer la paix de l'âme par l'éloignement de la tristesse et de l'ennui » (ibid. p.49). Selon l’article 91 du règlement intérieur et vie quotidienne de l’Asile de Sainte Anne, « le travail est institué dans l’asile comme moyen de traitement et de distraction ». Cette idée est présente dès 1832 et reste d’actualité aujourd’hui dans le règlement de Sainte Anne. A l’époque, la plupart des aliénés « s’occupaient journellement, à des ouvrages de culture sur une exploitation de quarante-cinq hectares, sous la surveillance de trois gardiens. Ils effectuent aussi des travaux de terrassement, de maçonnerie, de badigeonnage, de menuiserie, de serrurerie et de charpente » (ibid). Cela permettait notamment pour la famille, de réduire la somme à payer pour l’entretien de la personne en hôpital psychiatrique. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la psychothérapie institutionnelle apparaît. Auparavant, c’était le travail lui-même qui était salvateur. Dorénavant, ce n’est plus le travail mais la situation du travail en tant que rencontre possible qui est thérapeutique. Avec la loi du 30 juin 1975, la question du travail va désormais se poser à l’extérieur de l’hôpital. Les ateliers thérapeutiques voient le jour afin de traiter les problèmes concernant le réentrainement au travail, la rééducation et le reclassement 41 professionnel des malades mentaux à la sortie de l’hôpital. Avec cette loi, le travail devient une fin en soi et le patient qui sort le l’hôpital psychiatrique est orienté très souvent vers le milieu ordinaire du travail ou vers le milieu protégé (en ESAT : Etablissement et Service d’Aide par le Travail, ou en Entreprise Adaptée). II.2.2. Le travail « c’est la santé » : Les effets cliniques du travail La maladie psychique éloigne les personnes touchées parfois durablement du monde du travail. Avec de bons dispositifs, les troubles psychiques ne sont pourtant pas incompatibles avec la notion de travail. Les recommandations du Bureau International du Travail sur la santé mentale valorisent le travail dans sa dimension structurante. Il est reconnu comme ayant un impact significatif sur la santé mentale dans différents registres : il structure les horaires car l’absence d’horaires est l’un des principaux troubles psychologiques ; il favorise le contact social car il permet d’accéder à un environnement social à l’extérieur de la famille ; il permet d’avoir un identité sociale car l’emploi est un élément important de la construction identitaire ; il est source d’activité régulière car il permet d’organiser ses journées (World Health Organization, 2000). Le travail est donc pour plusieurs raisons prôné comme participant à une meilleure santé mentale, dans la mesure où il peut participer à la stabilisation des symptômes. La valeur travail est inestimable : « … certains ont cru que l’idéal pour l’homme était de vivre dans une société des loisirs, du temps libre. Ce fut une erreur profonde. L’oisif s’ennuie très vite et déprime, car il n’est plus « situé » dans son environnement… Le travail a un rôle irremplaçable pour l’individu lui-même. C’est la contribution de chaque individu à la société. Et c’est pourquoi, en retour, chacun perçoit un salaire, dont le montant doit se rapprocher de l’utilité sociale. Le travail, c’est le ciment ultime de la société et de la solidarité qui en est le fondement… Le travail participe au sens de la vie, au sens du temps, comme élément central de la cohésion sociale… Une société qui reconnaît le travail ne fonde sa reconnaissance que sur le travail accompli, qu’il soit manuel ou intellectuel, technique ou artistique ». Citation extraite d’une chronique de Claude Allègre dans l’Express du 9 août 2004 (Baptiste, 2005, p. 109). 42 Une étude sur l’impact du travail menée au Canada en 1999 montre que le travail procure des avantages d’importance sur le plan psychologique par la multiplication des contacts sociaux et la consolidation de l’estime de soi ; mais également sur le plan clinique en favorisant la structuration de temps, la normalisation, l’autogestion des symptômes et la prévention des décompensations et des hospitalisations (Mercier, Provost, Denis, & Vincelette, 1999). En France, en 1996, les résultats de l’étude de Foxonet sur l’insertion professionnelle des jeunes malades mentaux nous montrent que le travail entraine une modification du sentiment de valeur des personnes pouvant aboutir à une estime de Soi positive. De même, le travail permet de structurer le temps et est même un moyen pour surmonter les problèmes existentiels de l’être humain, par exemple la solitude et la mort. Le travail permet aussi aux individus de s’accomplir en leur donnant des occasions de relever des défis et de poursuivre leurs idéaux (Foxonet, 1996). Henri Dorvil dans sa réflexion sur le rôle du travail dans les processus de réhabilitation, met en exergue quatre cibles dans le travail : 1. « Le développement de processus de base comme le sens de la responsabilité, le jugement et la perception, 2. L’amélioration de l’estime de soi, 3. Une baisse des hospitalisations et des incapacités secondaires, 4. Le développement d’habilités sociales et relationnelles » (Dorvil, 2007, p. 285). Plus récemment, le travail continue à être déterminant dans la nouvelle vision du rétablissement notamment dans les pays anglo-saxons car conçu en termes de « recovery » (Beaulieu et al, 2002). Il devient un intégrateur social et une forme de traitement de première importance. L’objectif soutenu par l’idée du « recovery » et celui d’un retour à la condition dite normale d’existence et d’exercice de la citoyenneté rendu possible par le travail à quatre niveaux (Beaulieu et Provencher, 2002) 1. L’augmentation de l’estime de soi, 2. La vision d’un futur à nouveau rempli d’espoir, 3. La réappropriation du pouvoir personnel (empowerment) et de la capacité de faire des choix grâce à une meilleure utilisation des ressources personnelles et environnementales, 4. La validation externe du potentiel individuel. 43 En définitive, que se soit par l’expérience sociale, identitaire, statutaire ou psychologique sur le terrain, les mouvements de réhabilitation constatent une action positive du travail sur la santé mentale. Dans la médecine du travail, l’organisation du travail joue sur la santé physique et mentale des personnes. Davezies en 1999 soutient que « le travail constitue un opérateur de santé dans la mesure où il offre au sujet l’occasion de rejouer, dans des contextes toujours partiellement renouvelés, la tension entre ses désirs, son histoire, son style propre et les normes collectives qui fondent les jugements quant à l’utilité, l’efficacité, la justice et les modalités de l’expression personnelle » (Morin, 2001, p. 101). Warr en 1987 va jusqu’à même désigner les effets du travail « vitaminiques ». Le travail agit comme un véritable tonique sur l’identité personnelle, en outre parce qu’il contribue à rehausser l’estime de soi (ibid.). II.2.3. La valeur « travail » pour les travailleurs handicapés Selon Denise Jodelet, psychologue sociale, les travailleurs handicapés font du « travail », un moyen d’insertion à caractère social parce qu’il autorise « la formation », « l’adaptation », « l’acceptation » et la « reconnaissance » dans l’espace d’une communauté. Rejetant « l’assistance » rapportée au médecin et le soutien, le « secours » rapporté à l’amitié et sont sensibles aux bénéfices sociaux qu’accorde le statut de travailleur (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 75). Claire Le Roy Hatala présente six aspects principaux de ce que le travail représente pour les personnes souffrant de troubles psychiques6 : 1. Un lieu privilégié du lien social et du statut social où elles peuvent rencontrer de nouvelles personnes. Le travail est recherché et valorisé car il procure un sens à sa situation sociale et à son identité grâce aux rencontres et à la reconnaissance sociale dont il est constitutif. Le regard de la société n’est 6 Tiré du dossier Vulnérabilité psychique et emploi « Travail en milieu ordinaire, Attentes et représentations » par Claire Le Roy Hatala dans la revue Pratiques en Santé mentale n° 4 en 2004 44 plus craint et la personne retrouve une confiance nécessaire à l’affirmation de Soi et au sentiment d’insertion sociale « Le travail, ça m’a transformé, c’est plus pareil, vous vous sentez utile. » 2. L’Autonomie et la reconnaissance financière. L’individu participe à un système dans lequel il devient acteur à part entière. Malgré un niveau de rémunération souvent faible (mi-temps…) recevoir sa fiche de paie est valorisant pour la personne qui se sent reconnue et qui lui permet de sortir d’un système d’assistanat et de solidarité. « C’est pas agréable de dépenser l’argent que l’on ne gagne pas soi-même. » 3. Une vie quotidienne et sociale rythmée. Le travail impose un cadre quotidien et une gestion du temps différente. « Ca oblige à se lever, à donner un rythme de vie. » La personne n’éprouve plus la culpabilité de son inactivité. Le travail et ses exigences détermine son rythme de vie et donne sens à l’ensemble de l’organisation de la journée. 4. L’accès au « non-travail ». Le travail permet de structurer un temps vide d’activité. Il donne sens aux périodes « libérées de travail ». Les temps libres sont mérités ! 5. Une forme de guérison : Même s’il ne signifie pas forcément guérison de la maladie mentale, mais permet de déplacer le regard de « l’individu malade » à l’individu « productif ». « Ce qui n’a pas de prix pour quelqu’un comme moi, c’est que vous laissez vos problèmes à la porte, pendant 3 ou 4 heures, vous vous sentez ordinaire. » La personne se trouve dans un environnement professionnel démédicalisé, non spécialisé sur la maladie mentale qui permet à l’individu de se reconnaître dans une norme dont il se sentait exclu. 6. De nouvelles relations avec l’entourage : Il existe une tension engendrée par l’activité professionnelle entre l’apaisement dans les relations avec l’entourage et l’incompréhension. 45 II.2.4. Le travail, créateur des troubles psychiques Nous avons vu que le travail pouvait avoir des effets positifs, « cliniques » sur la santé mentale. Il est « source de satisfaction et de réalisation personnelles, de contacts humains et de sécurité financière, conditions qui sont toutes indispensables à une bonne santé mentale » (Ivanov, 2005, p. 1). Il s’avère que le travail a également des effets négatifs. En 2006, 10% des salariés souffraient de dépression, d’anxiété ou de surmenage dû au travail (Légeron, 2006). Le manque d’activité professionnelle, des périodes de chômage peuvent avoir un effet négatif sur notre santé mentale. Il semblerait que les personnes perdant leur emploi sont susceptibles de présenter deux fois plus de symptômes dépressifs (Ivanov, 2005). Au travail, de trop fortes pressions concernant les connaissances et les compétences de la personne, les fonctions occupées, la charge de travail, le rythme de travail, les horaires, les promotions professionnelles, les salaires, les relations de travail, l’organisation générale sont autant de facteurs qui peuvent nuire à la santé mentale des travailleurs. Selon Christophe Dejours, interrogé sur les solutions pour « Sortir de la souffrance au travail » dans le journal Le monde du 21 février 2011, « parmi les dirigeants, certains ont des doutes sur la validité des méthodes de gestion et de management dont ils savent qu'elles sont en cause dans les ravages humains du travail ». Chacun réagit différemment aux situations de travail et le stress ne touche pas forcément tout le monde de la même manière. Certaines personnes sont plus vulnérables que d’autres. Le stress favorise l’apparition des troubles psychologiques comme « l’irritabilité, l’incapacité à se concentrer, la difficulté à prendre des décisions ou les troubles du sommeil. Le stress à long terme ou certains événements traumatisants dans le cadre professionnel peuvent provoquer des maladies mentales (anxiété et dépression qui aboutissent à un absentéisme et à une incapacité au travail » (Ivanov, 2005, p. 2). Les émotions comme l’anxiété ou la dépression peuvent être tout à fait bonnes pour l’être humain lorsqu’elles sont ponctuelles et peuvent même être sources de performance. « Ces trois émotions [anxiété, dépression, colère ou agressivité] sont tout 46 à fait « normales » et font partie de la vie de tout être humain » (Légeron, 2006, p. 185). C’est leur répétition qui au fur et à mesure favorise l’apparition des troubles psychologiques. L’anxiété amène plusieurs sortes de troubles comme des troubles de l’adaptation, l’anxiété généralisée, le trouble panique, le stress post-traumatique. Pour la dépression, l’une des plus importantes complications est le suicide. En France, le suicide est un problème de santé publique : onze mille personnes se suicideraient tous les ans et plus de cent mille personnes tenteraient de se suicider chaque année (Légeron, 2006). Les raisons du suicide sont difficiles à déterminer, la dépression n’explique pas le suicide, elle y participe. Cependant, plusieurs facteurs non exhaustifs entrent en jeux dans le suicide : 1. L’environnement professionnel lorsque celui-ci est stressant 2. L’environnement personnel même si l’entreprise a été choisie comme endroit du suicide. 3. La personnalité des personnes suicidées : nous réagissons différemment selon les situations (Légeron, 2006). Pour conclure cette partie sur le travail, voici deux citations résumant les effets du travail : « Il [le travail] est à la fois créateur de richesses, sources de revenu, gage d’identité et de dignité pour les personnes, facteur d’émancipation et d’autonomie, clé de l’insertion dans la société et vecteur du lien social entre les membres de la collectivité » tiré de l’introduction du rapport du Conseil Economique et Social réalisé à la demande du premier ministre sur la place du travail (Larose, 2003). Mais il est aussi : « L’un des principaux environnements qui affectent notre santé physique et mentale » (Ivanov, 2005, p. 1). 47 III L’insertion professionnelle du trouble bipolaire III.1 Les difficultés spécifiques à l’emploi des personnes handicapées psychiques III.1.1. Un Contexte économique difficile Nous assistons depuis trois décennies à une intensification du travail. La notion de travail a évolué. Une étude statistique menée en 2003 sur le bonheur et le travail par Baudelot et Gollac résume bien cette évolution du travail « Le travail s’est intensifié. Très rapide, au cours de la seconde moitié des années 1980, l’intensification s’est poursuivie, bien qu’un peu plus lentement, au cours des années 1990 » (Hatzfeld, 2004, p. 293). Des exigences de plus en plus importantes sont demandées en matière de productivité, de rendement avec une intensification générale du travail, en matière de qualifications plus pointues ainsi qu’au plan comportemental avec des exigences de « propreté, d’hygiène, de rigueur […], de ponctualité et de fiabilité, […], une capacité à travailler dans un environnement pénible […], une demande d’implication, de responsabilisation et de vigilance » (Lamanthe, 2005, p. 44). Nous sommes actuellement dans un « contexte de recherche de flexibilité et de chômage de masse, de transformation des modes de gestion et d’organisation du travail ». La globalisation des entreprises a permis le développement de pratiques d’externalisation, un recours à la sous-traitance accru et une accentuation du travail temporaire. Toutes ces mesures fragilisent la sécurité de l’emploi et accentuent les mobilités interentreprises (Lamanthe, 2005, p. 38). Depuis le milieu des années 1980, on observe un développement important des formes dites atypiques d’emploi : emplois temporaires (CDD, intérim), emplois à temps partiel choisis ou contraints, emplois aidés, etc. Ces nouvelles formes d’emploi apportent un degré de flexibilité en croissance dans le fonctionnement du marché du travail et contribuent à l’enrichissement de la croissance en emplois. « Elles demeurent mal vécues, dans la plupart des cas, parce qu’elles apparaissent comme des succédanés d’emplois, comme des formes dégradées et 48 dégradantes de travail » (Aravis. Quel travail dans 20 ans? Variable 3 “le marché du travail en France”). Auparavant, le contrat à durée indéterminée et à temps plein était une norme à laquelle se référait presque 90 % de la population active occupée en 1970. Aujourd’hui, cette norme même si celle-ci demeure importante, faiblit au regard d’autres formes de contrats plus courts (ibid.). De plus, la France se remet difficilement de la crise économique et financière de 2008 où les suppressions d'emploi ont été massives au niveau monde. Le monde du travail est exigeant et le contexte économique est difficile. Il semble nécessaire de s’adapter. III.1.2. Les images associées au trouble psychique Selon une enquête IPSOS menée pour Fondamental (Fondation de recherche et de soins en santé mentale) en juin 2009, sur les perceptions et représentations des maladies mentales, nous pouvons remarquer que la très forte notoriété des maladies mentales dissimule une importante méconnaissance. Cette étude montre que nous avons une représentation très vague des maladies psychiques (Debertrand, 2003). Pour 47% des Français, les maladies mentales sont associées à des dénominations négatives (débile, attardé, aliéné, dément …) (ibid.). 74% des Français considèrent qu’un schizophrène représente un danger pour luimême, 65% pour les autres (alors que seulement 0,2% des patients atteints de schizophrénie peuvent potentiellement être dangereux pour les autres). De la même manière, 56% des Français refuseraient de travailler avec une personne atteinte de schizophrénie. En revanche, le taux d’« acceptation sociale » est plus élevé pour les maladies maniaco-dépressives (67% des personnes interrogées accepteraient de travailler avec les maniaco-dépressifs) (ibid.). Les Français ont encore du mal à dire qu’ils sont, eux-mêmes, atteints d’une maladie mentale (ils sont seulement 5% à déclarer être ou avoir été atteint d’une maladie mentale) mais ils sont, en revanche, 62% à considérer qu’ils pourraient un jour être atteint d’une maladie mentale. 49 La prévalence dans la société des maladies mentales est évaluée à sa juste ampleur. Les Français estiment en effet à 27% la part de la population française qui a été, est ou sera un jour touchée par une maladie mentale. C’est le chiffre officiel de la prégnance de la maladie au niveau européen ! Enfin, un déficit d’information nourrit les doutes sur l’efficacité des traitements et la performance de la recherche. Plus d’1/3 des personnes interrogées jugent les traitements médicamenteux ou psychothérapies inefficaces et une large majorité (70%) estime que le diagnostic de ces maladies est trop tardif. De plus, 51% des Français estiment que la recherche n’est pas efficace alors même que de l’avis quasi unanime (90%), elle doit constituer une priorité de santé publique. Quant à l’information, 2/3 des Français s’estiment insuffisamment informés, et ce quel que soit le canal (ibid.). III.2. Accueil et intégration d’un salarié handicapé psychique en entreprise Pour les professionnels de l’insertion, le travail est la voie de « l’intégration ». Il demande : 1. « Effort 2. Obligation 3. apporte une valorisation 4. donne droit à l’égalité, 5. la participation et l’appartenance au sein d’un groupe ». Cette vision décrite par Denise Jodelet (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 75) impose la reconnaissance sociale à l’accomplissement de devoirs sociaux. Cependant cette vision répond à une conception importante de l’intégration sociale et citoyenne, « elle reste un idéal et ne s’applique pas à leurs clients, lesquels relèvent plutôt de l’assistance » (ibid.). Les chefs d’entreprise, permettent un rapprochement entre travail et folie, handicap et marginalité. Le « travail » désigne pour eux : 1. « accompagnement 2. soutien 3. service 4. aide qui permet d’atteindre la liberté et la vie en communauté ». 50 « Cependant, la « citoyenneté », « l’intégration » politique restent inaccessibles, dans une vision proche de l’ancienne conception bienfaitrice de l’aide sociale aux handicapés qui restent enfermés dans un statut restrictif » selon Denise Jodelet (Agence Entreprises et Handicap, 2009, p. 75). La société et à plus petite échelle, l’entreprise, font face à des préjugés devant le handicap psychique et deviennent des acteurs à part entière du processus de production du handicap psychique. Pourtant, l’accueil et le travail des personnes handicapées sont des atouts pour les entreprises et la société civile. C’est aussi un élément majeur de la performance et de la diversité des organisations. Il est important de : - Transformer la perception du handicap par les organisations - Partager les pratiques et expériences - Diffuser les résultats de leurs actions, soutenir des initiatives nouvelles et accompagner des démarches concrètes. L’intégration du handicap relève de la motivation de l’entreprise au départ. Viennent ensuite au sein de l’entreprise la sensibilisation au handicap, l’employabilité (capacité d'un salarié à conserver ou obtenir un emploi), le maintien dans l’emploi et l’accessibilité de cet emploi. L’aménagement de poste pour un salarié handicapé psychique dans l’entreprise est possible. Il ne prend pas la forme d’une compensation technique de la déficience mais peut se réaliser autour de l’accompagnement du salarié et d’une réorganisation du travail. Afin d’accueillir et d’intégrer au mieux un salarié en situation de handicap psychique dans l’entreprise, quelques pistes développées dans le Guide « Accueillir et intégrer un salarié handicapé psychique dans l’entreprise » rédigé par Claire Le Roy Hatala en janvier 2007 peuvent être intéressantes à prendre en compte : - Amener la personne à se faire soigner si elle n’est pas déjà suivie en psychiatrie ou à se faire suivre avec l’aide du médecin du travail, de l’assistance sociale, du psychiatre de l’entreprise (lorsque c’est prévu) ou de son entourage. 51 - Envisager une réorganisation du travail pour protéger le salarié et l’environnement de travail : éviter les situations conflictuelles, éventuellement aménager les horaires, repérer les possibilités professionnelles du salarié, définir des tâches précises et faire régulièrement un point avec le supérieur hiérarchique. - Sensibiliser l’environnement de travail et les responsables hiérarchiques aux troubles de la personne afin de ne pas laisser l’environnement de travail dans l’incompréhension par rapport à certains comportements parfois surprenants ou choquants. - Accompagner l’équipe de travail à tous les niveaux pour éviter une souffrance psychique liée à l’incompréhension de la manifestation des troubles et créer un espace d’écoute et de parole. III.3. Accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques Accompagner le handicap psychique vers l’emploi ou dans l’emploi, c’est à la fois, prendre en compte la fragilité de la personne et travailler avec elle dans le respect de ses choix, l’évolution de ses capacités et son histoire. Pour autant, « le salarié en situation de handicap psychique a le même droit du travail que les autres salariés et ne peut bénéficier d’un traitement de faveur à cause de son trouble psychique » nous explique Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY (fédération des usagers en santé mentale). Maintenir le cadre permet au salarié de mieux appréhender ses limites et mieux gérer son handicap. III.4. Les signes révélateurs du trouble bipolaire Le début d’un épisode bipolaire peut se caractériser par différents signes révélateurs du trouble. Il semble important de noter que l’existence d’un épisode bipolaire est marquée par l’exacerbation des sentiments, des émotions ; toute attitude est effectuée à l’extrême et de manière disproportionnée. 52 La liste n’est pas exhaustive mais une mauvaise gestion du sommeil, plusieurs incohérences dans le comportement comme une communication abusive (40 coups de téléphone dans la même journée), une énergie excessive dans le travail, une exaltation, une euphorie importante peuvent annoncer l’arrivée d’un épisode sur le versant maniaque. L’envie de ne rien faire, l’absentéisme, des affects dépressifs peuvent présager de l’arrivée d’un épisode sur le versant dépressif. III.5. L’aménagement de poste du salarié en situation de handicap psychique L’aménagement de poste pour un salarié handicapé psychique dans l’entreprise est lié à l’incertitude associée à l’évolution de santé de la personne. En effet, lorsqu’il s’agit d’un handicap psychique, l’aménagement du poste du salarié ne peut pas se faire en fonction du type de maladie ou de trouble. La maladie psychique est caractérisée par son intensité, la durée, la chronicité des symptômes, entraînant des besoins plus ou moins importants et une situation de dépendance. Ce handicap lorsqu’il est déclaré en entreprise, n’est ni concret, ni visible, ni formellement identifiable. Il existe donc une grande variabilité dans les troubles : ceux-ci ne s’expriment pas simultanément, ils sont épisodiques et momentanés et tous ne mènent pas au handicap. Le handicap psychique nécessite une compensation humaine non mesurable et non chiffrable sur une durée inconnue ce qui rend l’aménagement de poste pour l’entreprise plus difficile à installer. L’entreprise doit également faire face à un type d’aménagement de postes différent en fonction du salarié. Il y a celui qui se déclare à l’entreprise au moment de l’embauche, il a donc une reconnaissance administrative du handicap et celui qui ne se déclare pas et peut donc à tous moments, exprimer ses troubles. Dans le cas d’un handicap psychique, l’aménagement se fera au niveau de l’organisation du travail, la souplesse des horaires et une approche personnalisée qui mobilise de nombreux professionnels (Médecin du travail, Chargé de mission Handicap, RH et collègues de travail). Il est nécessaire de s’adapter et d’innover pour chaque salarié car nous ne pouvons pas prévoir à l’avance l’évolution du trouble. 53 La visibilité à long terme de l’investissement effectué est incertaine et faible pour l’entreprise elle a des difficultés à garantir le poste et à l’imaginer. Des actions pour le handicap psychique existent déjà en entreprise mais elles ne sont pas valorisées de la même manière que lorsqu’il s’agit d’un aménagement de poste plus « visible » pour un fauteuil roulant. Cet aménagement nécessite un temps long, demande une vigilance permanente et une mobilisation collective pluridisciplinaire entre professionnels (médecins, chargé de missions, collègues…) car l’entreprise n’a pas forcément les ressources en interne. La valeur de l’accompagnement est liée à la qualité des interactions et de la communication entre ces différents intervenants. Dans le handicap psychique, le domaine personnel et professionnel sont fortement intriqués. L’équilibre professionnel est donc fortement lié à l’équilibre personnel. III.6. Le salarié handicapé, acteur de son insertion professionnelle Selon Claire Le Roy Hatala, le salarié doit accepter que l’entreprise ne puisse réparer ses troubles et que « travail » ne rime pas nécessairement avec guérison. Il doit s’engager à être suivi à l’extérieur, continuer à prendre son traitement et être suivi médicalement. Les professionnels doivent intégrer le fait que ces personnes peuvent fort bien mettre des souhaits n’étant pas en accord avec leurs possibilités du moment, voire même demander une cessation de reconnaissance en tant que personne handicapée, tandis que celle-ci leur est pourtant manifestement nécessaire. Il doit savoir qu’il peut s’appuyer sur des personnes ressources dans l’entreprise pour ne pas s’isoler (médecine du travail, assistantes sociales, supérieur hiérarchique lorsqu’une relation de confiance s’est instaurée, centres médico-psychologique). Il s’agit de développer pour le salarié un réseau à l’intérieur de l’entreprise sur lequel il peut compter en cas de difficultés professionnelles ou personnelles. Le salarié est le premier à pouvoir déterminer ses besoins et reconnaître ses limites pour son insertion professionnelle. Il peut proposer des pistes d’aménagement pour son poste. A l’embauche, le salarié passe un contrat avec l’entreprise et doit s’appuyer sur ses compétence et habiletés professionnelles pour honorer ce contrat. 54 III.7. Les réalités sur le terrain : La mission handicap de Veolia Eau sur sa politique handicap. Propos recueillis de Mathilde Blaise, Responsable de la Mission Handicap de Veolia Eau. Nous avons voulu appréhender les réalités sur le terrain en interviewant la mission handicap d’une entreprise confrontée à ce type de problématiques. Nous avons rencontré Mathilde Blaise, actuellement responsable de la mission handicap de Veolia Eau. Veolia Eau est une des quatre entités du Groupe VEOLIA Environnement avec Veolia Energie, Veolia Propreté et Veolia Transport. Veolia Eau, c’est 96 260 collaborateurs dans le monde répartis dans 67 pays pour un chiffre d’affaires évalué à 12,128 milliards d’euros en 2010. Veolia Eau est leader mondial des services de l’eau, de l’assainissement à la fois pour les industriels et les consommateurs. La politique Handicap mise en place au sein de l’entité Veolia Eau repose sur les motifs suivants : - Mieux satisfaire à l’obligation d’emploi des personnes handicapées pour atteindre à terme le quota de 6%, conformément aux lois du 10 juillet 1987 et du 11 février 2005. - Prendre en compte l’impact du vieillissement de la population. - S’engager dans une démarche volontariste d’emploi des personnes handicapées ; favoriser l’insertion de PH et maintenir dans l’emploi les salariés devenus handicapés. - Etre en conformité avec les valeurs de responsabilité citoyenne, sociale et sociétale du Groupe Veolia Environnement, notamment promouvoir la diversité, la non-discrimination et l’égalité de traitement. Actuellement, le périmètre de la Mission Handicap de Veolia Eau représente 15 000 collaborateurs en France, présents dans 12 régions. L’équipe de la Mission Handicap est composée de 4 personnes : un directeur des relations sociales, une responsable de mission handicap, une responsable recrutement ainsi qu’une personne chargée des contacts avec la sous-traitance. Chaque région a également un correspondant handicap qui consacre 20% de son temps de travail à la Mission Handicap. 55 Suite à une convention signée avec l’Agefiph en 2002 pour une durée de deux ans et renouvelée en 2004, un premier accord a été signé pour la période 2006/2008 avec comme axe prioritaire le recrutement. L’objectif était d’embaucher 120 personnes en CDI ou CDD de plus de 6 mois. Au total, sur cette période, 126 contrats ont été menés dont 84 au terme de l’accord et plus de 70 cas de maintien dans l’emploi ont été réalisés. En 2010, Veolia Eau a signé son deuxième accord pour une durée de 3 ans, en misant sur une politique plus soutenue de maintien dans l’emploi. La démarche se poursuit : recruter de nouvelles compétences et tout mettre en œuvre pour maintenir dans l’emploi les salariés, chaque fois que cela est possible. Les différents engagements pris dans ce deuxième accord sont répartis en 6 axes : 1. Le maintien dans l’emploi : En 2010, 40 personnes ont ainsi été identifiées et maintenues dans leur emploi en 2010 grâce à la mise en place d’une vingtaine d’aménagements de postes organisationnels (aménagements d’horaires, réorganisation de service…) ou techniques (prise en charge de matériel de compensation du handicap ; logiciels en braille, prothèses auditives, fauteuils ergonomiques….), l’accompagnement de plusieurs salariés vers la reconnaissance administrative de leur handicap, l’accompagnement dans la reconversion ou le reclassement de salariés en leur proposant des bilans de compétences adaptés et l’aide aux déplacements domicile/ lieu de travail par l’aménagement de véhicule (boite automatique etc.…) 2. Le recrutement d’au moins 97 personnes sur 3 ans. En 2010, 35 recrutements ont été menés dont 20 selon l’accord. 3. Accueil, Insertion, Accessibilité. Cet axe a pour but de mettre en place les dispositifs nécessaires à l’intégration des personnes en situation de handicap. Pour chaque nouveau travailleur handicapé, un tutorat, des bilans réguliers et une sensibilisation à l’accueil sont mis en place pour tous types de handicaps. 4. La formation professionnelle : 2 contrats d’alternance ont été réalisés en 2010 ainsi que l’accueil de 4 stagiaires venant essentiellement de CRP (Centre de Reclassement Professionnel). Les partenariats avec les CRP, les associations ARPEJEH (Accompagner la Réalisation des Projets d'Etudes de 56 Jeunes Elèves et Etudiants Handicapés), l’AFIJ (Association pour Faciliter l’Insertion professionnelle des Jeunes diplômés) et TREMPLIN ont permis de sensibiliser des étudiants et jeunes diplômés handicapés aux métiers de Veolia Eau qui les ont accueillis pour des stages ou des actions de parrainage. 5. Le secteur protégé et adapté : signature d’un partenariat avec le GESAT (Groupement des Etablissements d’Aide par le Travail) 6. Information/ Sensibilisation Cet axe consiste à accompagner la démarche tout au long de l’accord par le biais d’une large communication afin de valoriser l’image du handicap auprès des salariés. Différentes actions ont été menées comme la réalisation d’une campagne nationale de communication interne par le biais d’une affiche « Déclarer son handicap pour être accompagné » personnalisée par région ou la diffusion avec la fiche de paie du mois de novembre 2010, de plaquettes d’information aux 15 000 salariés avec la possibilité de faire reconnaître leur handicap (cf. annexe 6). 57 PARTIE 2 I Méthodologie I.1. Choix du sujet Les questions qui ont motivé le choix de notre sujet étaient larges : Comment les personnes souffrant de troubles bipolaires arrivent-elles à travailler en milieu ordinaire de travail ? Quelle est leur représentation de la maladie dans le milieu professionnel ? Comment arrivent-elles à gérer leurs troubles ? Nous avons donc voulu rencontrer ceux qui souffrent de cette maladie, en privilégiant l’expression de la maladie dans le milieu professionnel. Nous avons réduit le champ de notre recherche aux personnes travaillant spécifiquement en milieu ordinaire de travail. Sur le site internet du service-public, le milieu ordinaire de travail est défini comme ce qui « recouvre (par référence aux établissements de travail spécialisés, regroupés sous l'appellation générique de « milieu protégé ») : les entreprises du secteur privé et du secteur public, les administrations, les associations, les entreprises adaptées (EA, ex-ateliers protégés), les centres de distributions de travail à domicile (CDTD) ». I.2. Cadre de la recherche I.2.1. Population d’étude Notre population de recherche est composée de 6 adultes diagnostiqués bipolaires ayant entre 45 et 60 ans, salariés en milieu ordinaire de travail dans des domaines très différents comme le milieu associatif, médical, en entreprise, à des postes variés allant du salarié au dirigeant. Nous avons rencontré notre population d’étude par différents moyens : le contact d’un psychiatre, Didier Papeta, spécialiste des troubles bipolaires à Brest, trois associations, Bipol Entreprises et l’UNDMD (Union Nationale des Dépressifs et Maniaco-dépressifs) à Rennes, Argos 2001 à Paris ainsi que via nos proches et le réseau professionnel Viadeo. 58 La tentative d’approcher les personnes souffrant de bipolarité directement dans le l’entreprise via les missions handicap ou les services de ressources humaines fut un échec. En effet, soit les professionnels que nous avions sollicités n’ont pas souhaité donner suite à notre demande qualifiant notre démarche de « trop intrusive » vis-à-vis du salarié, soit les salariés, sollicités pour participer à notre recherche se sont sentis « attaqués » et « en colère » de savoir que leur maladie pouvait être évoquée en dehors de leur entreprise. Aujourd’hui, leur refus vis-à-vis de notre démarche nous semble justifié : nous comprenons qu’il est compliqué de parler de sa maladie sereinement et sans « tabous » à un inconnu qui vous a approché via votre entreprise. Dans ce cas-là, le respect de la vie privée n’est pas respecté de la part de l’entreprise. Nous nous sommes donc orientés vers d’autres moyens pour solliciter nos sujets : par le biais de nos proches ou grâce à des associations de patients. Nous avons rencontré un psychiatre spécialiste du trouble bipolaire habitant à Brest ainsi qu’avec trois associations, Bipol Entreprises, Argos 2001 et l’UNDMD (Union Nationale des Dépressifs et Maniaco-dépressifs). Le psychiatre Didier Papeta nous a accueillis à l’occasion de deux demi-journées à son cabinet, durant lesquelles il a accepté de nous faire rencontrer certains de ses patients avec leur accord préalable. Cela nous a permis d’appréhender le contact direct avec les personnes souffrant de cette pathologie. Nous avons également pris contact avec les associations Bipol Entreprises et Argos 2001, grâce à Internet et à des brochures, ces deux structures étant spécialisées dans l’accueil et le soin de personnes souffrant de bipolarité. Face à notre projet, le président de Bipol Entreprises a montré un vif intérêt mais dans la mesure où aucun des adhérents son association ne travaillaient au moment du rendez-vous en milieu ordinaire, il nous a orienté vers une autre association, l’UNDMD qui nous a permis la rencontre avec un patient. Nous avons également pu assister dans cette association, à un accueil de patients bipolaires hebdomadaire où une vingtaine de personnes de tous âges souffrant de bipolarité ou de dépression pour discuter de différentes problématiques liées à leur état comme le travail, la vie sociale, les obligations quotidiennes… 59 Nous avons contacté une troisième association, Argos 2001 qui nous a également permis de rencontrer une autre personne. Etant donné notre difficulté à concrétiser des rendez-vous du côté professionnel, nous avons sollicité nos proches. De cette sollicitation, nous avons pu rencontrer 3 des 6 sujets de notre population d’étude. En dernier lieu, nous avons utilisé les moyens actuels de communication grâce au réseau social des professionnels, Viadeo. Ce réseau réunit les professionnels qui souhaitent augmenter leurs opportunités de business (recherche de nouveaux clients, partenaires ou fournisseurs), gérer et développer leur réseau de contacts professionnels et accroître leurs opportunités de carrière (être chassé, accroître leur visibilité). Nous avons trouvé sur ce réseau, un forum sur « les troubles bipolaires » où nous avons présenté notre recherche. Une personne a accepté de nous rencontrer. I.2.2. Lieu et déroulement Les entretiens ont été menés individuellement et avec l’accord préalable de nos 6 participants. Ils se sont déroulés entre mars et avril 2011. Cinq entretiens ont pu se dérouler en face à face à Paris et à Rennes et un entretien a été effectué par téléphone faute de pouvoir nous déplacer à Lyon où la personne était domiciliée. L’entretien par téléphone s’est déroulé à notre domicile. Les autres entretiens se sont déroulés au domicile des personnes interrogées ou dans des lieux publics (café, brasserie, salon de thé) entre Paris et Rennes. Les lieux publics ont nécessité lors des entretiens une concentration de notre part plus importante que pour les autres entretiens où le cadre était moins bruyant. Les entretiens ont été effectués en fonction de la disponibilité des sujets interrogés. Nous avons donc rencontré ces personnes après leur journée de travail, en début de soirée ou à l’heure du déjeuner, en dehors des horaires conventionnels de travail. La majorité des personnes que nous avons reçues en entretien n’ont pas souhaité nous recevoir sur leur lieu de travail. En effet, la plupart n’ont pas déclaré leur maladie à leur travail et ne souhaitent pas qu’elle soit connue. Une personne néanmoins nous a 60 donné rendez-vous sur son lieu de travail parce que sans ses collègues. Nous nous sommes ensuite déplacés pour faire son entretien à un autre endroit. Au début de l’entretien, nous nous sommes présentés et nous leur avons expliqué l’objet de notre recherche. La durée des entretiens a varié entre 1 heure et 1h30. Les personnes interrogées sont 3 femmes et 3 hommes et ont entre 45 et 60 ans. I.3. Choix et pratique de l’entretien clinique Nous avons choisi la pratique de l’entretien clinique de recherche afin d’évaluer la représentation de la maladie dans le travail. Dans le cadre de notre étude, nous avons privilégié les dimensions qualitatives de l’entretien clinique de recherche. Nous l’avons crée et personnalisé en fonction des données que nous souhaitions recueillir. Il présente la manière dont la personne se figure sa maladie. C’est un outil qui laisse une grande liberté d’expression du sujet, c’est un espace libre de parole tout en suivant une trame précise et la même pour tous. « L’entretien est « échange de paroles », échange complexe » (Chiland, 2005, p. 22). Chaque entretien est différent, à la fois dans son contenu, le vocabulaire exprimé et l’implication du sujet au projet. Il prend en compte la communication verbale et non verbale du patient. La communication verbale ou « digitale » s’accompagne toujours d’une communication non verbale ou « analogique » et ces deux modes de communication peuvent s’accorder ou se contredire » (ibid.). Chaque rencontre avec nos sujets a été menée selon un guide d’entretien, préalablement établi (cf. en annexe). Nous l’avons construit selon différents axes thématiques que nous voulions évoquer avec nos sujets : nous commencions notre entretien par une présentation globale du sujet et l’historique de sa maladie, puis, la représentation de son trouble bipolaire et l’expression de son trouble en entreprise. 61 Le guide d’entretien est « un ensemble organisé de fonctions, d’opérateurs et d’indicateurs qui structure l’activité d’écoute et d’intervention de l’interviewer » (Blanchet & Gotman, 1992). Ce questionnaire est composé de questions ouvertes, semi-ouvertes et fermées. Il n’a aucun critère de notation ni de grille d’évaluation. Nous avons laissé les personnes interrogées répondre de manière libre et spontanée et l’entretien clinique nous a paru le moyen le plus pertinent pour avoir accès à la représentation du travail des personnes souffrant de bipolarité. En commençant notre recherche, nous voulions trouver un test en plus de l’entretien clinique, afin d’appuyer le discours des sujets. Nous nous sommes demandés quels outils seraient les plus appropriés pour évaluer la représentation du travail des personnes souffrant de troubles bipolaires. A notre disposition, nous avions de multiples outils cliniques, les tests évaluant les phases de la maladie (maniaque ou dépressive) avec l’échelle de Beck, l’hypomanie avec l’échelle d’Angst, ou l’échelle MADRS (Montgomery and Asberg Depression Rating Scale) évaluant le degré de dépression du sujet. Or, nous souhaitions évaluer l’aspect du travail et sa représentation chez les personnes souffrant de bipolarité et selon l’article 6 du Code de déontologie des Psychologues, il est précisé que « les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement ». Ces différentes échelles nous semblaient peu pertinentes vu l’objectif de notre étude (AEPU, ANOP, & SFP, 1996). A notre connaissance, aucun test n’évalue cette représentation de la maladie dans le travail. Nous avons donc privilégié l’utilisation centrale et unique de l’entretien clinique de recherche afin d’évaluer nos données. L’entretien clinique de recherche n’a pas de visée thérapeutique ou diagnostique mais son objectif consiste à l’accroissement des connaissances dans un domaine particulier. L’entretien clinique est une rencontre prévue entre un psychologue clinicien et son patient. « La rencontre entre un psychologue et un sujet n’est pas une rencontre fortuite, elle est construite par le champ social et se trouve donc marqué par lui » (Proïa-Lelouey, 2004, p. 12). Les entretiens ont chacun été uniques, organisés et prévus à l’avance par mail ou par téléphone avec les personnes concernées selon leurs disponibilités. 62 Parmi les 6 interviews, deux des rencontres ont dû être décalées suite à des contretemps : un de nos interviewé a eu une réunion qui s’est rajoutée dans son emploi du temps, l’empêchant d’être présent à l’heure de l’entretien. Le second a été décalé de notre fait, suite à l’ajout d’un cours non prévu à l’école. Ils ont eu lieu quelques jours après. Il est nécessaire de prendre en compte la demande du client « dans le réseau de ses contradictions conscientes et inconscientes […] dans le meilleur des cas venu de luimême et de son plein gré ; ou venu sur un conseil ou une pression extérieure ; ou venu par contrainte » (Chiland, 2005, p. 15). Avant d’accepter de collaborer à notre recherche, tous nos sujets ont émis leur accord pour y participer. Un des sujets interviewés a ajouté qu’il participait à notre recherche, d’une part pour nous aider et d’autre part pour « faire avancer la recherche sur ce sujet ». Dans l’entretien clinique, le psychologue est « acteur du dispositif » (Proïa-Lelouey, 2004, p. 43), il doit faire preuve « d’empathie », de « neutralité bienveillante » et faire face au « transfert et au contre-transfert ». Nous avons eu de nombreux entretiens par le biais de nos stages et nous nous sommes rendu compte qu’il était nécessaire pour bien mener un entretien d’être à la fois actif, rebondir sur les propos de notre interlocuteur tout en lui laissant une liberté de parole importante. Chaque entretien est différent et il est fondamental de s’adapter en premier lieu à son interlocuteur. Selon Carl Rogers, l’empathie « consiste à saisir avec autant d’exactitude que possible les références internes et les composantes émotionnelles d’une autre personne et à les comprendre comme si on était cette autre personne » (Proïa-Lelouey, 2004, p. 45). La neutralité bienveillante est essentielle dans l’attitude du clinicien vis-à-vis de la personne en face d’elle lors de l’entretien clinique. Il faut que « le psychanalyste s’abstienne de toute prise de parti (jugement de valeur, expression de sympathie ou d’antipathie pour les personnes que l’analysant évoque, etc.) afin d’éviter que ces manifestations de sa personnalité réelle ne justifient des réactions affectives de l’analysant vis-à-vis de l’analyste » (Doron & Parot, 2004, p. 486). « Ni la neutralité, ni la bienveillance ne vont de soi » (Chiland, 2005, p. 18). « La neutralité ce n’est pas seulement ne pas laisser paraitre ce qu’on éprouve, c’est prendre conscience de ce qu’on éprouve et n’être pas gouverné par des réactions non contrôlées dans la compréhension du patient et dans la réponse qu’on lui donnera » (ibid.). Nous avons essayé dans la mesure du possible de ne pas nous laisser influencer par nos émotions lors des rencontres avec nos sujets. 63 Le transfert désigne « l’ensemble des sentiments que le patient éprouve pour l’analyste, sentiments déplacés de ses expériences antérieures, avec projection des images parentales sur l’analyste ; et le contre-transfert au déplacement transférentiel que l’analyste fait en réaction au matériel de son patient » (ibid.). Nous avons remarqué que pendant certains entretiens, nous avons développé certaines attitudes de contre-transfert vis-à-vis de nos sujets suite à des éléments de vie communs avec ceux racontés par nos sujets interviewés. Le contre-transfert est compris comme « les processus inconscients que le transfert de l’analysé induisent chez l’analyste » (Proïa-Lelouey, 2004, p. 47). Toutes ces notions dans leur aspect théorique nous semblaient claires et évidentes. Cependant, dans la pratique, une rencontre n’est jamais la même. Nous devons prendre en compte notre qualité d’écoute distraite par les bruits extérieurs, notre empathie du moment, l’exaspération que nous ressentons due au retard d’un sujet à l’heure de rendez-vous. I.4. L’élaboration du guide d’entretien de l’entretien clinique Afin d’élaborer un guide d’entretien conséquent, nous avons conduit trois entretiens cliniques non directifs avec différentes personnes : un psychiatre spécialisé dans le trouble bipolaire ainsi que deux responsables d’associations s’occupant des troubles bipolaires et touchés eux-mêmes par deux formes différentes de bipolarité. Au cours de ces entretiens, nous avons laissé nos trois professionnels associer de manière libre, leur représentation de leur maladie, leur travail, ce qu’ils mettaient en place pour gérer leur travail, les relations par rapport à leur environnement, tout en essayant de maintenir leur discours sur la sphère « travail ». De ces entretiens, nous avons pu relever plusieurs thèmes convergents et mettre en place une série de questions (cf. annexe). Les grands thèmes de ce guide d’entretien sont : le « trouble bipolaire et sa représentation par rapport au sujet interviewé » et « le trouble bipolaire au travail », dans l’entreprise et vis-à-vis des collaborateurs. 64 I.5. Aspects éthiques et déontologiques Le cadre déontologique de la recherche : Le cadre déontologique de notre recherche nous oblige en tant « qu’apprenti » clinicien à faire preuve d’une honnêteté rigoureuse dans notre démarche intellectuelle, dans la conduite de notre étude ainsi que dans la présentation des résultats de l’analyse des entretiens. La participation à la recherche s’est faite sur la base du volontariat. Lorsque nous avons sollicité les personnes pour participer à notre étude, nous leur avons demandé au préalable leur consentement. Nous leur avons présenté de façon globale l’objectif de la recherche, la durée de celle-ci ainsi que notre méthodologie, c’est-à-dire, comment nous allions procéder. Nous leur avons montré les bénéfices et les contraintes de cette recherche. En effet, l’article 9 du code de déontologie avance qu’« avant toute intervention, le psychologue s’assure du consentement de ceux qui le consultent ou participent à une évaluation, une recherche ou une expertise. Il les informe des modalités, des objectifs et des limites de son intervention » (AEPU, ANOP, SFP. (1996)). Les situations expérimentales, ici, nos entretiens de recherche, doivent être vus sans « contraintes » et « reproduisant des situations que les personnes sont susceptibles de rencontrer dans leur vie quotidienne sans leur faire courir aucun risque particulier du point de vue de leur intégrité physique ou mentale » (Caverni, 1998, p. 88) Dans notre étude, nous recherchons à comprendre la représentation que les interviewés ont de leur maladie dans leur environnement professionnel. Lors des entretiens, nous avons laissé une grande liberté aux interviewés dans leurs réponses aux questions que nous avons posées. « Dans les situations de recherche, il [le psychologue] les informe de leur droit à s’en retirer à tous moments doivent également être présentées » (AEPU, ANOP, SFP. (1996) Article 9) L’anonymat : Dans un souci de confidentialité, le respect de la vie privée et la garantie de l’anonymat, les noms des six sujets évoqués dans cette recherche ont été modifiés. 65 L’éthique : L’éthique dans la recherche doit signifier « les principes et les contraintes qui s’imposent à toute activité humaine en vue de la protection de la vie et du respect des personnes » (Caverni, 1998, p. 84). Selon Odile Bourguignon, la recherche expérimentale « affronte la complexité de la réalité vivante » (Bourguignon, 2003, p. 84). Chaque participant a été prévenu de notre démarche et nous avons reçu leur « consentement libre et éclairé » comme il est demandé dans le code de déontologie des psychologues. 66 II Résultats II.1. Analyse des données cliniques II.1.1 Delphine : 48 ans Anamnèse : Delphine est née en France, son père est mauricien et sa mère est de nationalité française. Elle a un frère qui a un an et demi de plus qu’elle, elle le voit peu. Ses parents sont décédés récemment « j’ai perdu mes parents en 5-6 mois ». Elle décrit son père comme quelqu’un d’ « autoritaire » pouvant avoir des comportements violents « matériellement », il pouvait casser les meubles de leur appartement et une mère « effacée » et « malade » comme elle. « J’étais assez oppressée par cet environnement pesant ». Elle connaît peu sa famille paternelle car « ils sont éparpillés dans différents pays », ni sa famille maternelle ; ses grands-parents maternels sont morts avant sa naissance et sa mère a une sœur, qu’elle voit également peu. Ses parents ont beaucoup déménagé lorsqu’elle était jeune. Petite, elle raconte que ses parents les ont laissés, son frère et elle, lorsqu’ils avaient 4 ans et demi et 3 ans pendant un an chez des amis proches pour permettre à son père d’aller faire ses études au Maroc. Elle dit de cette expérience que « c’est perturbant pour des enfants si jeunes ». A l’adolescence, elle dit se sentir très seule, son père avait une attitude « dure » avec elle, lui interdisant de sortir : « je me sentais un peu plus « enfermée » par rapport à mes autres copines : mon père ne voulait pas que je sorte ». Elle attribue cette attitude à la culture hindouiste de son père qu’il revendiquait beaucoup, « l’hindouisme, c’était sa philosophie, sa culture ». « Je me demandais si c’était ça [la culture hindouiste] qui faisait que je me sentais différente, jusqu’à ce que je comprenne que c’était ma maladie qui faisait que j’étais différente ». Sur le plan sentimental, elle n’a jamais souhaité « imposer sa maladie à quelqu’un », elle a vu que c’était difficile pour son père de supporter la maladie de sa mère : « J’ai jamais voulu avoir de compagnon parce que je me suis dit que c’était une maladie trop 67 lourde, je ne pouvais pas avoir de projets de vie avec quelqu’un, ce n’était pas possible. Elle a néanmoins été en couple « parce que c’est vital » : « J’ai été en couple avec un alcoolique, un dépressif et ensuite quelqu’un qui fumait du cannabis mais qui était quand même bien inséré et avec lequel, j’ai quand même pu vivre huit ans, ça c’était bien ». Suite à la rupture avec ce dernier compagnon, elle a eu un accès maniaque puis dépressif qui a permis son diagnostic. Scolarité et monde professionnel : Sur le plan scolaire et professionnel, Delphine a eu son baccalauréat, elle dit avoir aimé apprendre et travailler pendant sa scolarité, malgré un mal-être toujours présent. « J’ai vite compris [avec ma maladie] que j’aurais des problèmes d’insertion dans le milieu professionnel, dès le lycée quoi ». Elle ne savait pas quoi faire pour ses études, elle a cependant décidé d’entreprendre des études demandant beaucoup d’années de préparation. Elle s’est donc orientée vers la médecine : « au moins pendant 8 ans, je ferai ce que je sais faire, aller à l’école, apprendre, ça m’intéresse, c’est loin (de la vie professionnelle), ça va me mettre à distance de la vie professionnelle, du travail ». Son père lui a mis beaucoup de pression pour qu’elle fasse des études, « c’est une chance, c’est important » Elle a mis 16 ans à avoir son diplôme parce qu’elle était très « dépressive ». Aujourd’hui, elle exerce dans un service de médecine scolaire en tant que médecin. « Il était hors de question que je sois médecin généraliste avec ma maladie, j’ai donc trouvé un poste en médecine préventive universitaire, à la fac, pour les étudiants qui sont en première année, qui sont en bonne santé. On voit les vaccins, s’ils ont des problèmes psychologiques, d’adaptation, on est dans une équipe avec des psychologues, psychiatres ». Son travail lui plait, c’est « le rêve » selon elle. Son travail est « facile » : « c’est un métier qui n’est pas très difficile par rapport à d’autres postes de médecins, on a besoin de moins de capacités ». Elle ajoute également « j’ai bien compris que ce travail, je pourrais le faire même quand ça ne va pas, c’est pour ça que je le fais. Ça me permet de pouvoir y aller même quand ça ne va pas ». Elle décrit son poste de « précaire », j’ai « cumulé des vacations, certains médecins faisaient ce métier en plus d’une activité libérale, ce qui est ridicule car avec la formation que j’ai fait, j’aurais pu prétendre à mieux, mais, par ma pathologie, je ne me voyais pas faire autre chose ». 68 Elle travaille dans ce service depuis 1994, à 70%, elle a aussi exercé en médecine scolaire pendant 10 ans « pour complément financier » et a effectué un remplacement au centre de prévention de la sécurité sociale mais « c’était trop l’usine, c’était du pleintemps, il y avait trop de pathologies, j’ai vite arrêté le remplacement ». Pour Delphine, le travail représente « un salaire, une autonomie, cela me permet d’avoir une voiture pour pouvoir aller à la mer. C’est un équilibre, cela me permet de sortir, voir des gens, des collègues, des étudiants, je ne suis pas dans un bureau toute seule, je vois des étudiants qui ont toujours la pêche, qui ont le sourire dans le bureau, ça fait du bien ». Il est intéressant de constater que sa volonté d’être autonome vis-àvis des autres et surtout de son père transparaît dans tout son discours et est très importante pour elle. Les personnes au courant de sa maladie sont les infirmières du centre médical, « mais pas toutes ». Elle dit avoir mis longtemps avant « d’oser leur en parler » et justifie ce choix en disant qu’elle avait peur de perdre son travail précaire et parce qu’elle ne voulait pas qu’on sache « qu’elle [je] n’allait pas bien ». « Certaines l’ont bien senti, elles me soutiennent et sont bienveillantes avec moi, elles ont bien compris que je suis fragile ». Néanmoins, elle affirme que leur attitude semble différente vis-à-vis d’autres médecins dans le service : « Elles sont peut-être plus à l’aise de discuter avec d’autres médecins parce que eux, ils sont bien dans leur peau, les autres médecins ont des enfants alors que moi, comme j’en ai pas, j’ai moins à parler de moi ». Elle a également récemment mis son ancienne directrice au courant de sa bipolarité en se préparant à notre entretien. Nous lui avions envoyé notre questionnaire afin qu’elle puisse préparer les questions. Et à la question « Vos collègues sont-ils au courant de votre maladie ? », Delphine a questionné son ancienne directrice, aujourd’hui à la retraite en lui demandant si elle avait remarqué qu’elle était bipolaire. Celle-ci lui a répondu « j’avais bien vu que tu avais des hauts et des bas mais comme tout le monde, donc non, je ne savais pas que tu étais malade ». Sur le plan de son évolution professionnelle, elle la voit « stagnante » et dit qu’elle est actuellement « au maximum » de ses capacités: « J’ai toujours dit que je ne voulais pas en faire plus, prendre plus de responsabilités ». Grâce à ce travail au centre médical, Delphine ne considère pas son état comme un handicap : « Si je n’avais pas trouvé ce poste, oui je pense que je me sentirais réellement handicapée. Je ne m’imagine pas faire autre chose qu’un travail répétitif qui 69 ne demande pas trop de bien-être mental, ce travail est parfait pour moi ». Par contre, elle nous raconte une expérience en tant que vendeuse dans une charcuterie qu’elle a trouvée très difficile : « Là je me suis bien rendu compte que j’étais handicapée. Malgré mon niveau intellectuel, je n’étais pas capable de porter la monnaie à la caisse, tout me paraissait infaisable alors que cela demandait un minimum de capacités ». En fonction des situations de travail, Delphine doute de ses capacités et est moins à l’aise avec sa maladie. Face à la représentation que les autres peuvent avoir de la maladie psychique, elle conseille à chacun d’être « tolérant face à la différence de l’autre » et de se comporter de manière « normale » comme avec n’importe qu’elle autre personne. Elle explique que « certaines infirmières ont parfois des réactions extrêmes et peuvent être carrément intolérantes, dures par rapport à la maladie psychique, alors que si la personne arrive à travailler, c’est déjà bien, elle fait face ». Description de la maladie : Dans son discours, elle exprime un « mal-être ancien », depuis l’âge de 9 ans. Ses troubles bipolaires ont finalement été diagnostiqués il y a 2 ans « Ma psychiatre a mis du temps, parce que j’étais tout le temps sur le versant dépressif ». Durant sa première année de médecine, elle avait fait un accès maniaque « j’ai eu un premier accès maniaque en première année, j’étais bien en forme, bien efficace et puis après j’étais le plus souvent dépressive ». C’est suite à une rupture sentimentale, il y a deux ans où elle a enchaîné entre une phase maniaque et une phase dépressive que le diagnostic a pu définitivement être posé. Delphine est actuellement « en couple » avec un compagnon, avec lequel, « cela se passe bien » qui la « stimule bien ». Elle ne souhaite pas avoir d’enfants « j’ai jamais voulu avoir d’enfants », ne voulant pas leur transmettre « la maladie ». Elle dit aussi ne pas avoir « la force de donner la vie, ni l’envie » et cherche notre approbation sur ce sujet en nous disant « c’est bizarre non, de ne pas souhaiter donner la vie ? ». Lorsqu’elle va moins bien, « les jours où ça ne va pas », elle nous explique qu’elle est « plus lente à réfléchir », qu’elle a « l’impression de ne plus rien savoir en médecine, de moins bien faire son travail » et que son « intellect est ralenti ». 70 « Je ne fais pas très bien mon travail dans ces moments-là, mais je ne fais rien de grave ; je vais être plus brève avec les étudiants que je reçois, je vais moins creuser les choses ». Aujourd’hui, sa maladie la préoccupe moins qu’auparavant. « Là maintenant ça va beaucoup mieux parce qu’avec le recul, au niveau professionnel, je me rends compte que j’ai pu m’assumer un peu ». Elle est également sereine sur le plan personnel « j’ai un compagnon avec qui ça se passe bien en ce moment » et son traitement la soulage par rapport à l’angoisse même s’il n’est pas encore « optimal » : « J’espère juste trouver le traitement optimal. J’ai quand même besoin de venir à l’association, est-ce que cela signifie que je suis préoccupée par la maladie, je ne sais pas, peut-être plus pour partager et discuter avec les autres » Elle conclut l’entretien en affirmant que le trouble bipolaire, « c’est une vie particulière, qu’il faut finir par accepter ». Posture lors de l’entretien : Nous avons retrouvé Delphine dans les locaux de l’association de bipolaires dont elle est adhérente. Nous avions convenu d’un rendez-vous à 18h. Physiquement, Delphine est une femme grande et mince, elle a les cheveux longs rassemblés en queue de cheval et légèrement grisonnants. Elle est vêtue d’un pantalon de toile beige, d’un t-shirt blanc et d’un pull noir. Elle ne souhaitait pas que l’entretien se déroule dans les locaux de l’association, trop petits et occupés par d’autres adhérents pour une réunion. Nous aurions pu effectuer l’entretien dans le bureau du président de l’association mais cela ne lui convenait pas et elle a préféré m’emmener vers un centre commercial situé à une centaine de mètres. Nous nous sommes installées dans une boulangerie faisant également office de salon de thé où elle s’est acheté une viennoiserie. Quand nous sommes arrivées, il n’y avait aucun client dans le magasin, l’endroit était calme. L’entretien a duré environ une heure et nous avons remarqué que dès qu’un client entrait dans la boulangerie, Delphine se penchait vers nous et parlait plus discrètement. Cette attitude s’est reproduit de manière identique une dizaine de fois pendant notre rencontre. 71 Au départ, son visage est fermé, il s’est peu à peu détendu au fur et à mesure de l’entretien. Durant toute la rencontre, ses jambes sont croisées, son corps est légèrement penché et orienté vers la porte de sortie de la boulangerie, située à sa gauche. Cette posture nous fait penser à une attitude de « fuite ». Son discours est fluide et direct, marqué par quelques silences pendant lesquels, elle semble réfléchir avant de rebondir sur ce qu’elle vient de dire. A chaque nouvelle question de notre part, elle prend le temps de nous répondre, ses paroles sont mesurées. II.1.2. Martin : 47 ans Anamnèse : Martin est de nationalité française et habite à Lyon. Sur le plan familial, il a deux enfants d’un premier mariage dont il est divorcé et vit actuellement en concubinage. Sa vie s’est aujourd’hui « stabilisée sur le plan personnel ». L’année 2007 semble avoir été difficile à ce niveau-là : « en 18 mois, ma mère s’est suicidée après une grave crise dépressive, mon père est mort peu de temps après et ma femme a demandé le divorce ». Tous ces changements semblent avoir eu un impact négatif sur lui et ont été selon lui « des catalyseurs et générateurs de ma maladie ». Scolarité et monde professionnel : Sur le plan scolaire et professionnel, Martin est diplômé d’école de commerce, il est ensuite parti un an et demi en coopération en Malaisie. Il a commencé sa carrière professionnelle dans une entreprise française et a successivement tenu les postes de responsable export en Afrique anglophone, chef de produit en Allemagne et directeur des ventes pour l’Asie et le Moyen-Orient. 72 Il est ensuite parti pour travailler dans une entreprise américaine au poste de chef de produit sur la tuberculose puis, est devenu responsable de gamme sur le même produit et enfin directeur des ventes et marketing pour l’Europe. Il dit avoir aimé travailler pendant toutes ces années de travail intensif : « je travaillais à temps plein avec des horaires de fous ». En 2007, après les événements difficiles de sa vie personnelle, il décide en janvier 2008 de prendre une année sabbatique qui « s’est finalement transformée en deux années » suite au déclenchement de sa maladie. Il voulait « faire de l’humanitaire et travailler pour des causes qui lui tenaient à cœur ». Il a donc été bénévole pendant ces deux années auprès de 3 associations. Aujourd’hui, Martin a repris une activité professionnelle, il s’est « mis à son compte » et « travaille dans le recrutement pour de grandes entreprises depuis fin 2009, début 2010 ». Il reste néanmoins très investi dans les 3 associations mais de manière ponctuelle. Cette alternance humanitaire/travail en milieu ordinaire lui va « très bien ». Son travail actuel, « c’est le bonheur », il gère comme il veut « son temps de travail » et ne s’investit « plus comme avant dans l’entreprise ». Il veut travailler pour une « cause qui lui tient à cœur » et non « pour gagner de l’argent ». Actuellement, il ne se voit pas évoluer professionnellement considérant sa position actuelle parfaite : il souhaite « rester comme ça ». Martin ne considère pas sa maladie comme un handicap : « ma maladie n’est pas handicapante par rapport à d’autres comme le cancer ou le diabète qui me paraissent bien plus handicapant ». Cependant, il reste « prudent » : « je ne suis pas préoccupé par ma maladie, je sais qu’elle [la bipolarité] reste sous-jacente, je reste prudent pour la suite. Je ne veux surtout pas que ça recommence ». Certains de ses collègues ont connaissance de sa maladie : « j’en ai parlé à deux ou trois personnes avec qui je suis en confiance, ils ont eu une position d’écoute ». Un de ses collègue lui a même dit : « On est tous malades de quelque chose un jour ou l’autre ». Il est aujourd’hui content d’avoir partagé ces informations avec eux. Les relations avec ses collègues n’ont pas changé depuis qu’ils savent pour sa maladie : « Si j’avais pensé que ça aurait pu être le cas, je ne leur aurais pas dit » [pour la bipolarité]. 73 Il conseille aux personnes qui entourent les bipolaires « de ne pas avoir de craintes et ne pas avoir peur de la maladie ». Il insiste également sur le fait d’être « à l’écoute des personnes souffrant de la bipolarité, de les accompagner ». Le soutien de ses proches, leur soutien est un élément important pour son état général. Description de la maladie : Sur le plan diagnostic, Martin souffre d’une bipolarité de type III c’est-à-dire une dépression majeure avec des épisodes de manie ou d’hypomanie dus au traitement. Il a été diagnostiqué en septembre 2008 suite à une grave dépression ayant mené à une hospitalisation. Il n’arrivait à se « sortir de cette dépression » qui a commencé en Avril et a été présente en « mai, juin, juillet, août, septembre ». Cet été là, il « s’occupait de ses enfants en août », ça a été « dur » et dès qu’ils sont retournés chez leur mère, le 1 er septembre, il s’est « effondré » : « je ne voulais plus rien faire, je ne disais plus rien, je ne dormais plus, j’avais des idées noires ». Il s’est fait hospitalisé pendant 3 mois, puis, a fait une rechute au bout de deux mois. Sa seconde hospitalisation a duré 9 mois, il est sorti de l’hôpital en octobre 2009. Depuis plus d’un an et demi, il se considère « stabilisé » : « Aujourd’hui, je n’ai plus aucun symptômes depuis l’été 2009, je suis stabilisé » et se sent plus fort de cette expérience vécue : « je me sens plus à même de gérer les quarante-cinq prochaines années ». Il conclut l’entretien en disant « quand certaines personnes vivent des crises graves, elles en sortent plus fortes ». Martin est conscient de « l’immense tabou dans la société occidentale » que sont les troubles bipolaires. Il explique que ces tabous « ne favorisent pas la guérison, le bienêtre » chez la personne touchée par cette maladie et que cela peut « mener à la mort ». Il raconte également que cette maladie est présente chez plusieurs membres de sa famille et que cela est très difficile à supporter pour les proches : « Cette maladie a fait des ravages dans mon entourage, divorces, suicide, on n’en sort pas indemne ». Selon lui, « c’est une maladie qui peut être bien diagnostiquée et dont on peut bien guérir, ou du moins être stabilisé », en trouvant le « bon traitement ». 74 Posture lors de l’entretien : Martin a pris contact avec nous par le biais du site Viadeo, le répertoire des professionnels. Nous avions posté un message sur un forum sur « les troubles bipolaires ». Le principe d’un forum sur ce site est de rassembler autour d’un thème précis, les personnes concernées par ce thème, ici, les troubles bipolaires. Nous y retrouvons les professionnels de la santé ou autre, les personnes touchées par cette pathologie psychique, les proches des malades…etc. Martin habitait en région Rhône Alpes, il nous était impossible pour des raisons logistique d’aller le rencontrer sur place et nous avons convenu d’un entretien téléphonique. Notre rencontre avec Martin a duré une heure et s’est déroulé par téléphone à notre domicile. Nous avions convenu ensemble d’un premier horaire quelques jours auparavant mais suite au rajout soudain d’une réunion sur le lieu de travail de Martin, il ne pouvait plus être présent à l’horaire que nous avions prévu, nous avons fixé un nouvel entretien téléphonique au jour suivant à 18h. Sur le plan du discours, Martin parle lentement, il mesure ses paroles. Son débit de paroles est cohérent mais ponctué de silences qui nous semblent parfois longs. Il prend le temps de répondre posément à nos questions. II.1.3. Sébastien : 50 ans Anamnèse : Sébastien vit en banlieue parisienne, il est marié et père de trois enfants, deux filles et un garçon. Il a été adopté étant enfant et ne connaît pas ses parents biologiques. Scolarité et Monde professionnel : Sur le plan scolaire et professionnel, Sébastien a fait des études et un master d’ingénieur. Il travaille depuis 1987, c’est-à-dire depuis 24 ans et a changé « 11 fois d’entreprise » depuis le début de sa carrière. Selon lui, « cette recherche d’activité permanente a surement un rapport avec ma bipolarité ». 75 Sébastien est actuellement dans une entreprise des télécoms depuis 5 ans, ce qui est selon lui, « un record » par rapport aux autres postes qu’il a tenus. Il est responsable QSE, Qualité Sécurité Environnement et manage « une équipe d’une cinquantaine de collaborateurs ». Il est considéré dans son entreprise comme un « haut potentiel », c’est-à-dire un futur leader de son entreprise. Il déploie actuellement un programme au niveau groupe pour permettre à tous les salariés d’être plus performants dans ce qu’ils font. Les différents postes occupés pendant son évolution professionnelle vont de la création d’entreprise, à des changements de postes dans la même entreprise ou dans des entreprises différentes. Il est extrêmement « motivé par la nouveauté » et cherche toujours de « nouveaux projets, de nouveaux défis ». Sébastien dit avoir une « grande capacité de travail » depuis toujours et se débrouille souvent « pour faire tout très vite afin d’être libre ensuite ». Quand « tout va bien », il peut « énormément travailler ». Il insiste également sur le fait que son poste de manager lui laisse une « grande liberté d’horaires », ce qui est pratique lorsqu’il va « moins bien » car cela lui permet de se libérer facilement de son travail et de rentrer chez lui. Il insiste sur ses « qualités humaines », importantes envers ses collaborateurs : il est « très proche de ses équipes, très à l’écoute » et soucieux qu’il y ait « une bonne communication entre eux et une libre expression ». Ces qualités humaines lui ont permis de garder de bonnes relations avec ses équipes même lorsque sa maladie l’isolait de ses salariés. Pour montrer les bonnes relations avec ses collaborateurs, il nous explique que lorsqu’il avait des pertes de mémoire dues à la prise de son traitement antidépresseur, son équipe n’hésitait pas à plaisanter avec lui en le surnommant « Dori » (poisson présent dans le dessin animé « Nemo » de Walt Disney, qui « oublie » toutes les 3 secondes ce qu’elle a précédemment dit). Concernant la suite de son évolution professionnelle, il est en « pleine réflexion » et se dit qu’aujourd’hui, à 50 ans, il a « envie d’autre chose ». Il est à un âge où « on se pose des questions », se dit qu’il a encore « 20 ans de travail » devant lui et souhaiterait « donner du sens à ce qu’il fait ». 76 Description de la maladie : Sébastien explique que son trouble bipolaire est sous-jacent chez lui depuis de nombreuses années, qu’il a toujours été « présent dans sa vie » mais qu’il a été « clairement nommé il y a environ 1 an et demi ». Dans son travail comme à la maison, il a toujours eu des phases d’excitation et des phases dépressives « de vrais hauts et de vrais bas ». C’est suite à une grave dépression qui a duré 3 ans, survenue après un stress important qu’il a été diagnostiqué bipolaire. Son « traitement aux antidépresseurs ne fonctionnait pas » et il avait d’importantes « pertes de mémoire ». C’est sa femme qui a commencé à se douter qu’il pouvait y avoir quelque chose. Il a donc été voir un spécialiste des troubles bipolaires qui lui a confirmé ce diagnostic. Il souffre d’une bipolarité de type IV, correspondant à une dépression majeure avec un tempérament hyperthymique. Lorsqu’il allait « moins bien », il affirme que son entreprise l’a accompagné en lui permettant de bosser de son domicile. Il se refuse actuellement à prendre un traitement disant qu’il arrive « à gérer pour le moment ses troubles » et qualifie sa bipolarité de « légère ». Il est suivi à l’extérieur par un thérapeute. Dans le travail, sa bipolarité s’exprime différemment selon les phases. En phase maniaque, il devient d’une « exigence extrême », « déborde d’énergie », « dors peu », tout doit « être nickel », sinon cela peut le mener jusqu’à une « l’agressivité ». En phase dépressive, il essaie de faire « des choses qui le détendent », il dit être très « libre de ses mouvements au bureau » et peut « s’organiser comme il veut ».Ce qui est pour lui, une grande liberté. Lorsqu’il a eu sa dépression pendant trois ans, « personne ne l’a su » à son travail, il « prétextait » que sa fille ou sa femme n’allaient pas bien et qu’il devait rentrer à la maison pour s’occuper d’elles. Pour son équilibre, le travail et le soutien de ses proches sont nécessaires. La stabilité que ses proches lui apportent, lui permet de se réaliser sur le plan professionnel. Il insiste sur le soutien de ses proches en disant qu’ils l’aident à « faire la différence entre délire et normalité ». Un de ses amis est coach et l’aide à maîtriser certains de ses comportements qui sont, selon Sébastien, « inconsidérés » et témoignent l’emprise de sa maladie. Ce sont des « petits trucs » qui l’aident à rester dans la réalité. Par exemple, il va « patienter deux jours et acheter seulement deux bouquins sur internet, 77 plutôt que d’acheter tout de suite une dizaine de livres » qu’il n’aura pas le temps de lire. Les autres personnes au courant de sa maladie sont sa famille et les amis qu’il connaît « depuis 10 ans ». Deux de ces amis sont entrés grâce à son aide dans son entreprise actuelle. Ce sont les seuls au courant de sa maladie dans son entreprise ainsi que son ancienne assistante qu’il a récemment informée de ses troubles « parce qu’elle a un enfant trisomique et qu’elle peut comprendre ». « Leur comportement face à moi n’a pas changé depuis qu’ils savent ». Sébastien indique également que c’est une « chance » de comprendre qu’il souffre de troubles bipolaires : « le fait d’avoir mis les mots sur ma maladie m’a permis de faire la part des choses lorsque je sens que je dérape, ou de comprendre certaines attitudes que j’ai pu avoir autrefois ». Il a compris certains traits de caractère, ou certains comportements depuis qu’il connaît son diagnostic. Sébastien dit également que depuis qu’il se sait bipolaire, il pose « un autre regard sur les gens ». Si quelqu’un dans son travail « s’énerve », il va se demander pourquoi cela lui arrive, ce qui l’angoisse, comment il peut l’aider. Une « qualité d’écoute » importante s’est développée chez lui depuis qu’il sait ce dont il souffre. Il explique aussi que « cet épisode difficile [lui] a permis de [se] sentir plus fort » aujourd’hui. Il considère sa maladie comme un handicap : « ma maladie est un handicap mais dans mon entreprise, je ne veux surtout pas avouer que je souffre de cette pathologie ». Dévoiler son handicap c’est pire que de ne pas le dire. Dans le monde du travail, il faut être normal, sinon ça ne passe pas ». Selon lui, l’entreprise ne peut pas gérer et accompagner les salariés souffrant de troubles psychiques pour deux raisons : La rentabilité et la productivité de l’entreprise : « en entreprise, on peut difficilement aider parce qu’on nous demande d’être toujours plus rentables et productifs, ce qui est incompatible avec la notion de troubles psychiques ». L’entreprise n’est pas prête à accompagner les troubles psychiques : « Autant, le handicap physique est plus « acceptable », pour l’entreprise alors que les troubles psychiques pas du tout, il y a un véritable tabou autour de ce terme ». Il insiste sur le fait que les troubles psychiques sont ponctuels et ne sont pas constants chez la 78 personne : « Entre une phase UP [d’excitation] et une phase DOWN [de dépression], j’ai toujours une phase de stabilité où je suis tout à fait normal ». Pour développer la tolérance entre les salariés de l’entreprise, il insiste sur la rencontre entre tous les salariés, notamment avec ceux qui peuvent avoir plus de difficultés dans le travail : « par la rencontre nous devons faire émerger la tolérance. Dans une conduite de changement, il ne faut laisser personne sur la route, il faut avancer tous ensemble même si certains ont plus de difficultés… C’est un travail de longue haleine mais on doit y aller pas à pas et avancer petit à petit ». Posture lors de l’entretien : Nous avons rencontré Sébastien par le biais d’un proche qui nous a mis en contact. Nous avions fixé un premier rendez-vous que nous avons dû décaler suite au rajout d’un cours à notre école. L’entretien a eu lieu une semaine après. Nous avions convenu d’une rencontre en fin d’après-midi après nos journées de travail/stage respectives. Sachant que nous travaillions dans la même ville, nous nous sommes retrouvés à mi-chemin dans un café entre notre lieu de stage et son lieu de travail à 18h. L’entretien a duré 1h30. L’endroit est calme, grand et peu rempli. Nous avons donc pu choisir une place idéale pour effectuer cette rencontre. Sébastien est un homme de taille moyenne, mince, son allure est décontractée. Il est habillé d’une chemise blanche, d’un pantalon noir et d’une écharpe autour du cou. Il a les cheveux bruns. Par rapport aux autres personnes que nous avons rencontrées, il fait plus jeune que son âge. Pendant l’entretien, son discours est énergique, rapide et fluide. Il semble à l’aise et parle avec animation. Parfois, il « dévie » légèrement du sujet mais reprend rapidement le fil de son discours. Ses réponses à nos questions sont directes et franches mais il fait facilement des associations sur d’autres sujets. Pendant toute la durée de l’entretien, sa posture est détendue : il est légèrement affalé sur sa chaise, les jambes croisées à côté de la table. Nous supposons qu’il adopte cette attitude afin d’avoir plus de place pour ses jambes. Avant notre rencontre, nous lui avions envoyé le questionnaire avec le déroulé des questions que nous allions lui poser. Il avait préparé ses réponses à l’écrit et nous les 79 avait envoyées avant l’entretien. Son texte est clair, précis et certaines tournures de phrases ont des traits humoristiques. II.1.4. Sophie : 52 ans Anamnèse : Sophie est de nationalité française, elle vit en banlieue parisienne, elle est divorcée et a 4 enfants : une première fille d’une première union, puis 2 garçons et une fille de son précédent mariage. Aujourd’hui, ses enfants sont grands, les 3 ainés ont quitté son domicile. Elle vit avec son dernier garçon encore au lycée et loue une partie de la maison à des étudiants qui sont en cours à l’université située à quelques kilomètres de son domicile. Elle a une sœur dont elle est très « proche » et voit souvent ses parents qui habitent sur Paris. Scolarité et monde professionnel : Concernant sa vie scolaire et professionnelle, elle a une formation en droit qu’elle a complétée avec un master de communication au Celsa. Le travail semble être un élément important et vital pour elle : « J’ai toujours aimé travailler, avoir des responsabilités. Je ne pourrais pas vivre sans ça ». Elle attribue l’origine de ce besoin dans son enfance : « Quand j’étais petite, ma mère nous tannait en nous disant : les filles il faut travailler pour être indépendante, c’est super important. J’ai été élevée comme ça ». Elle a toujours travaillé dans des postes en ressources humaines ou en communication à Beauvais. Elle s’est ensuite « arrêtée pendant 6 ans afin d’élever ses enfants lorsque le dernier était au CP et l’aînée au collège ». Même pendant cette période, elle s’est investie en tant que bénévole : « je travaillais à la mission locale, j’aidais les gens à trouver du travail ». A cette période, elle s’est « ennuyée », la période a été « dure » pour elle, elle ne se satisfaisait pas de ne pas travailler. Elle n’a pas « apprécié d’être femme au foyer ». 80 En reprenant le travail après 6 ans d’arrêt, elle a travaillé avec son mari en tant que vice-présidente de la société de son mari, dont il était le directeur général. C’était une société française d’audit et d’informatique, également centre de formation, mettant en place des programmes de formation. Sophie dit qu’en arrivant, c’était « un chantier au niveau administratif » et qu’il a fallu tout remettre en route. Elle a travaillé là-bas « pendant 3 ans, 3 jours par semaine ». Cependant, au bout de 3 ans, « ça ne se passait plus très bien avec [son] mari », ils ont décidé de divorcer. A ce moment-là, elle dit avoir déjà « ses troubles ». Elle a donc trouvé un autre travail dans une association, son dernier poste avant sa crise, en tant que directrice des ressources humaines mais les relations avec le directeur général se sont détériorées : « entre mon rythme et son rythme, c’était difficile, ça n’avançait pas assez vite ». Elle démontre cela en disant qu’elle a « toujours été très fatigante pour les autres, parce que plus rapide que les autres ». Son chef n’a pas apprécié qu’elle « lui dise ce qu’il fallait faire et a décidé de [la] virer avant de se rétracter ». Elle est partie de son « plein gré », « ne voulant pas rester dans cette ambiance ». Description de la maladie : Sophie a été diagnostiquée en 2009. Elle se souvient du regard que lui renvoyaient ses proches, ses amis et ses collègues à cette période : « vraiment tu es bizarre, tu n’es pas normale ». Sa « situation personnelle [son divorce avec son mari] s’est surajoutée à [ses] troubles » et a « aidé » au déclenchement de sa pathologie. Elle parle également de manière précise de la perte de son chien comme élément déclencheur de sa crise : « je sais exactement ce qui a déclenché la crise. On parle souvent de choc émotionnel : 21 mars de cette année, j’avais une chienne berger allemand qui est morte. Elle avait un cancer généralisé depuis quelques mois. Elle a fait une hémorragie interne. J’ai rêvée d’elle, j’ai fait un cauchemar : elle se rongeait les pattes. Je l’ai retrouvée en bas du sous-sol, couchée. Elle a dû tomber et j’ai eu une énorme peur à ce moment-là, j’étais à la fois dans mon cauchemar et la réalité, j’ai eu un choc. C’est ce choc-là qui a été brutal et qui a déclenché ». Sophie est alors entrée en phase maniaque : « Quand je suis en phase où tout va bien, je suis plus dépensière, je désinhibe les choses mais dans les limites du raisonnable 81 parce qu’au départ, je suis quelqu’un d’organisée et de très carrée. Même quand ça déborde, je reste raisonnable ». . Elle est allée voir un psychiatre en juillet 2009 car elle s’est aperçue qu’elle avait des « symptômes d’excitation », avait besoin « de peu de sommeil », faisait « beaucoup d’activités », avait, « beaucoup d’idées » et « parlait très vite ». Elle dit n’avoir « jamais été à ce point-là ». La dépression est arrivée en août et « ça a dégringolé ». Elle a commencé son traitement en septembre 2009. L’été suivant, en 2010, « ça n’allait pas du tout » et au niveau personnel, son mari l’a « quittée ». Elle s’est fait hospitaliser a vécu des mois « très difficiles » entre le mois de septembre et décembre : « je n’ai pas vu les mois passer, je n’avais envie de rien, je restais couchée, je me moquais de mes enfants, je ne pouvais plus gérer les autres tout m’était égal ». Depuis le mois de janvier, elle dit « aller mieux ». Elle est actuellement au chômage et cherche un travail dans le recrutement parce que « c’est très épanouissant, il y a un rapide retour sur l’investissement. On voit vite si on s’est trompé ». La bipolarité est un sujet qu’elle n’a jamais évoqué dans son travail : « j’en ai jamais parlé au bureau, c’est un sujet que je n’aborde pas du tout, c’est quand même un peu la honte ! Je n’ai pas envie de dévoiler ce qui reste de l’ordre de ma vie privée. Elle justifie cette attitude par une personnalité dominatrice qui serait incompatible avec sa maladie qui la rend faible : « je suis quelqu’un dans le travail de plutôt dominante, qui prend en charge. Je ne veux pas me trouver avec des gens qui pensent que je suis faible, fragile ». Seuls sa famille proche et quelques amis sont au courant de sa pathologie : « J’en ai parlé qu’à mes amis proches, à ma famille et à ceux qui m’ont téléphoné ou qui sont venus me voir quand j’étais hospitalisée ». « J’ai plus insisté avec eux sur la dépression, j’ai moins évoqué la bipolarité parce qu’une dépression, c’est bien mieux accepté qu’une bipolarité ». Sa maladie reste un sujet sensible qui est attaché à des changements radicaux dans sa vie : « La séparation avec mon mari, on se remet toujours en cause ». 82 Pour elle, ses troubles ne sont pas son plus grand handicap : « ce que je considère aujourd’hui comme un plus grand handicap pour moi, c’est l’âge et mon manque de confiance en moi pour retrouver du travail. Connaissant maintenant mon diagnostic, je pense que je gère beaucoup mieux certains des comportements que j’ai pu avoir auparavant et que je ne comprenais pas ». Elle est soulagée d’avoir pu mettre les mots sur ses symptômes et d’avoir été prise en charge. Elle regrette néanmoins ses anciens accès maniaques qu’elle trouve « grisants » : « je trouve ça très dommage de ne plus être en phase haute comme tous les bipolaires, je regrette parce que c’est vraiment trop bon ! On est très bien et on se fiche du regard des autres ». « Avec le traitement, on devient morne plaine. On a quand même des hauts et des bas mais ils sont tellement tassés, c’est triste ! Pour l’instant, je n’arrête pas mon traitement, c’est encore trop récent. Je ne sais pas, par contre comment je résisterai sur la durée. C’est des médicaments que je peux garder à vie ». Posture lors de l’entretien : Nous avons rencontré Sophie par le biais d’un de nos proches qui nous a mis en relation. Physiquement, Sophie est une femme de petite taille, mince, elle a les cheveux courts et porte des lunettes. Pour l’entretien, nous avons convenu d’un rendez-vous à son domicile. Etant actuellement au chômage, Sophie avait de nombreuses disponibilités d’horaires. Nous avions prévu de nous retrouver à 9h30 à la gare où elle avait proposé de venir nous chercher en voiture, sa maison étant située à plusieurs kilomètres de la gare. Elle nous a avoué après l’entretien que lorsque nous l’avions appelé pour qu’elle vienne nous chercher, elle n’était pas encore habillée « n’ayant pas vu l’heure ». Elle s’est préparée à la hâte et s’est « habillée simplement ». L’entretien a duré 1h30. Elle est seule chez elle, mis à part son fils qui dort à l’étage et que nous n’avons pas croisé pendant la durée de l’entretien. Nous nous sommes installées dans la cuisine. Sophie est restée debout durant toute la durée de la rencontre, derrière le bar de sa cuisine pendant que nous étions assises à quelques mètres, autour de la table de la salle à manger à prendre des notes. Elle a préparé les boissons, puis est restée accoudée pendant le reste de l’entretien. Nous nous 83 demandons dans quelle mesure cette attitude évoque une manière d’imposer physiquement, une distance matérielle avec le bar, entre nous-mêmes et elle. Pendant toute la durée de l’entretien, elle semble à l’aise, parle avec animation, son discours est fluide et direct. Elle précise au début de l’entretien qu’elle n’a pas voulu préparer les questions, voulant rester « spontanée » dans ses réponses. II.1.5. Audrey : 60 ans Anamnèse : Audrey est une femme d’origine française et habite à Paris. Elle a été mariée et a un fils de cette union qui est lui-même marié et a des enfants. Depuis, elle a vécu plusieurs ruptures sentimentales. Quand elle était petite, elle raconte qu’elle était très « douée, joyeuse », qu’elle a « sauté des classes ». Elle dit également qu’elle a « souffert d’anorexie » à plusieurs moments de sa vie (à 9, 16 et 30 ans). Scolarité et monde professionnel : Sur le plan professionnel, Audrey aurait voulu être « danseuse » mais son père voulait qu’elle ait « un vrai diplôme ». Elle a donc « fait des études de comptabilité afin d’être comptable ». Elle a ensuite commencé à travailler sur un poste de télécommunication mais dit qu’elle manquait « d’autonomie », que cela ne lui « convenait pas ». Elle a ensuite travaillé dans plusieurs entreprises privées en tant qu’attachée commerciale dans le journal Bonjour, puis, chez France Soir, elle est ensuite devenue responsable de la publicité au Figaro. Lorsque son fils est né, elle a travaillé pendant 10 ans dans une entreprise qui faisait de la rénovation de menuiseries isolantes. Audrey explique la variété des postes occupés en disant : « j’ai toujours accepté un poste seulement s’il me motivait et si le projet à mettre en place me plaisait. J’ai ainsi travaillé dans plusieurs domaines très différents ». Elle s’est aussi mise à son compte pendant 5-6 ans. Elle nous dit que ce 84 qui lui a permis de travailler longtemps et ce qui l’a préservée sur ce plan, c’est surement parce qu’elle a été la plupart du temps « autonome » dans ses différents postes, sans « référent » au dessus d’elle. Elle affirme qu’une personne bipolaire peut « facilement trouver du travail mais a du mal à le tenir » et qu’il faut « aimer se remettre en question et parfois recommencer de zéro ». Audrey explique qu’elle a « toujours travaillé, pas toujours de manière optimale, elle avait parfois « des lacunes » mais elle a toujours « tenu bon », le travail étant « vital » pour elle. « Si je n’avais pas d’emploi, je serais au fond du lit ». Elle dit que la maladie lui a également permis de « saisir des opportunités ». Sur le plan professionnel, elle a pu s’inscrire dans des projets qu’elle n’aurait pas pu faire si elle n’avait pas été malade. En effet, quand elle est en phase maniaque dans son travail, elle explique qu’il y a un « décalage » par rapport aux gens « normaux » dans l’investissement. Son activité est décuplée : « je peux faire 72 heures de travail en 3 jours, ce qui peut être dérangeant pour les autres ». En phase mélancolique, elle dit avoir besoin « d’une grande autonomie ». Cela lui permet alors « de [se] préserver par rapport aux autres ». Elle travaille depuis 2007 dans son travail actuel, une association qui regroupe plusieurs associations de patients. Ses collaborateurs connaissent sa pathologie car ils savent qu’elle est adhérente à une association de bipolaires, Argos 2001. Cette association est membre de l’association de patients où elle travaille et tous ses collaborateurs souffrent également d’une pathologie. Elle dit apprécier cette diversité et affirme « au moins, je ne suis pas stigmatisée, car nous avons une pathologie différente ». Elle a une RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé) et insiste sur son importance dans le monde du travail. Elle « encourage les personnes bipolaires à se faire reconnaître » mais qu’il faut « accepter d’être étiqueté handicapé ». 85 Description de la maladie : Audrey a été diagnostiquée en septembre 2001 au moment des attentats sur les tours du World Trade Center. Elle affirme qu’à ce moment-là, elle souffrait depuis quelques jours, elle « n’allait pas bien », « avait des conduites suicidaires » et avait des « hauts et des bas ». Elle ne se « reconnaissait pas, ne se voyait plus elle-même ». Elle s’est fait hospitaliser de son plein gré et son diagnostic de bipolarité a été posé. Elle souffre d’une bipolarité « de type II », c’est-à-dire sur le versant dépressif avec certaines phases hypomaniaques. Depuis qu’elle connait son diagnostic, elle essaie « pour éviter de sombrer », de s’investir lorsqu’elle sait qu’elle peut le faire. Elle essaie de « ménager son stress et sa fatigue » en essayant d’avoir un rythme de sommeil « régulier ». Elle dit que toute situation de stress peut la faire « basculer d’un état vers l’autre ». Elle affirme aujourd’hui, se « connaître bien » et arriver à « gérer sa maladie ». Dans ce sens, elle ne prend plus de traitement depuis maintenant 4 ans. Lorsqu’elle a des phases hypomaniaques, le soir il lui arrive de « parler plus vite et de passer du coq à l’âne ». Elle ne s’en aperçoit pas forcément. Elle dit des « choses qu’elle ne pense pas ». Elle a donc décidé avec ses proches d’imposer le dicton : « on ne philosophe pas après 23 heures ». Elle insiste sur le soutien de ses proches qui l’aident beaucoup à repérer quand elle ne va plus très « bien » : « Lorsque ça va moins bien, ils repèrent les signaux d’alerte comme lorsque je ne trie plus mon courrier, quand j’ai tendance à procrastiner… ». Cela lui permet d’avoir une certaine « objectivité ». Elle a un ami de longue date qui ne l’a « jamais considérée malade », la conseille et lui permet d’avoir cette objectivité. Posture lors de l’entretien : Nous avons rencontré Audrey par le biais de l’association parisienne, Argos 2001 réunissant des personnes souffrant de troubles bipolaires. 86 Elle a accepté de participer à notre mémoire de recherche « pour faire avancer les choses ». Concernée par ce sujet, elle veut aider à la compréhension des troubles bipolaires. Physiquement, Audrey est une femme de petite taille, les cheveux longs et bruns. Elle est vêtue d’une longue jupe en jean bleu marine, d’une veste de la même couleur et d’un t-shirt. Elle porte des lunettes, ainsi que des bijoux fantaisie, colorés et imposants. Avant l’entretien, elle nous avait précisé que son temps « était compté » et qu’elle était « pressée ». Elle a cependant pris le temps de répondre aux questions de manière claire et précise. Nous nous sommes retrouvées devant son lieu de travail et nous sommes allées déjeuner ensembles dans un café parisien situé à proximité de son lieu de travail. Au départ, lorsque nous sommes arrivées vers 13h30, le lieu était bondé et bruyant mais il s’est peu à peu vidé vers 14h. L’entretien a ensuite duré 1h30. Pendant cette rencontre, Audrey est à l’aise, parle de manière franche et directe, son discours est fluide. II.1.6. Charles : 45 ans Anamnèse : Charles habite en banlieue parisienne et vit avec sa femme. Ils sont mariés et ont un petit garçon de 7 ans. Ils sont tous les deux professeurs, lui, de mathématiques et sa femme d’histoire-géographie. Il a un frère qu’il « essaie de voir le plus souvent possible » mais qui habite dans le sud de la France. Ses parents sont décédés il y a une dizaine d’années dans un accident de voiture. Enfant, il décrit un père « alcoolique » et une mère travaillant « énormément ». Dans ce sens, il dit avoir été « autonome » rapidement et qu’il a toujours été considéré « excellent en classe ». 87 Scolarité et monde professionnel : Sur le plan scolaire et professionnel, il a fait des études de mathématiques et a passé son CAPES pour devenir professeur de mathématiques au collège et au lycée. Il enseigne cette matière à des élèves de cinquième, quatrième et seconde. Il dit apprécier le contact avec « ses élèves », que ce n’est « pas toujours facile » de les « tenir en classe ». Il dit qu’il a toujours fait des mathématiques et ne voit pas ce qu’il aurait pu faire d’autre : « même à l’école, j’aimais les mathématiques et j’étais bon dans cette matière. Quand il a fallu que je décide ce que je voulais faire de ma vie, je me suis naturellement orienté dans cette voie, ne voyant pas ce que je pouvais faire d’autre ». Il a travaillé dans plusieurs collèges, lycées avant d’arriver dans celui dans lequel il est en poste actuellement. Il dit avoir appris à « gérer » ses troubles, « à les reconnaître » quand ils surviennent : « j’ai mis longtemps à comprendre mes troubles, à les reconnaître et à les gérer ». Il se dit aujourd’hui « apaisé » et « soulagé » d’avoir pu les « comprendre », « qu’il n’a pas toujours été stabilisé » et qu’aujourd’hui, il se « sent mieux ». Charles insiste sur le rôle de ses proches : j’ai toujours été « bien entouré par ma famille et mes amis les plus proches, notamment mon épouse en particulier et certains de mes amis, surtout 2 qui sont mes plus vieux copains qui ne m’ont jamais lâchés même quand j’étais au plus mal. Ils m’aident à rester dans la réalité » et sont des « piliers » dans sa vie. « Je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui sans eux » Quand il se sent « moins bien », il fait « tout » pour ne rien montrer de ses troubles à son travail car c’est pour lui, une importante source de stabilité : « mon boulot, c’est ma vie, dans ces cas-là, [lors des phases de déprime], je m’oblige à tenir jusqu’au soir à la maison ». « Quand j’arrive chez moi dans ces périodes-là, souvent je m’écroule ». Il dit qu’actuellement, il se sent bien : « je pense que si je n’avais pas été bien comme je suis en ce moment, je n’aurais pas accepté de vous rencontrer, ça aurait été trop difficile pour moi de parler de ma maladie ». La bipolarité est un sujet qu’il n’évoque pas dans son travail, « au lycée personne ne sait ». Sa maladie reste pour lui, un sujet du domaine personnel : « Je n’ai jamais craqué devant mes élèves, c’est une question de principe, ils ne comprendraient pas ». Une manière de gérer ses troubles est de préparer ses cours à l’avance afin de « prévoir » ses phases de « déprime ». 88 Il a vécu une grave période de dépression suite à la mort accidentelle de ses parents et a dû être hospitalisé pendant 3 mois durant lesquels, il a été remplacé à son poste de professeur : « je ne suis pas allé à l’école pendant les 3 mois d’hospitalisation ainsi que les 3 mois suivants, avril, mai, juin. Ensuite, il y a eu les grandes vacances, j’ai recommencé les cours à la rentrée ». Le retour dans ce collège a été difficile mais il dit avoir « tenu bon car j’avais besoin d’être occupé à nouveau ». Face aux questions de ses collègues, il explique en avoir « dit le moins possible » : « j’ai dit que j’avais eu de graves soucis familiaux, ce qui est vrai, que j’avais dû les gérer et que j’avais eu ensuite un peu de déprime. Mes collègues n’avaient pas besoin d’en savoir plus, ils ont compris et n’ont pas posé plus de questions ». Charles remarque au sujet de sa maladie « Parler de dépression plutôt que de troubles bipolaires, c’est plus facile et beaucoup mieux accepté. La dépression, c’est un sujet commun, les gens comprennent beaucoup plus ». Aujourd’hui, il dit « aller mieux », être « content de son emploi du temps », ses plages horaires sont « souples » et « aménagées » de telle sorte qu’il arrive à « récupérer » lorsqu’il va moins bien. Il dit de son travail : « c’est une entreprise bien rodée ». Description de la maladie : Sur le plan diagnostic, Charles souffre d’une forme de bipolarité de type II, c’est-à-dire un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés par au moins un épisode hypomaniaque, Charles dit avoir été « deux fois en phase hypomaniaque ». Il dit de ces périodes que c’était « le plaisir, tout va bien, on se sent invincible dans ces périodes-là, j’avais des dépenses considérables et rien ne m’arrêtait », mais que « ce n’est pas la vie, pas la réalité ». Il a d’abord fait une première crise pendant 3 semaines lors de sa première année d’études et a été hospitalisé pendant quinze jours. Avant sa seconde crise, il a vécu une longue période de dépression due à la mort brutale de ses parents dans un accident de la route. Pendant cette dépression, il a fait deux tentatives de suicide, « ne sortait plus », vivait « cloîtré ». Il s’est fait hospitaliser une seconde fois pendant 3 mois. 89 Depuis, il dit aller mieux et se « ménager le plus possible pour éviter toute situation brutale ». Il s’impose un « rythme de vie optimal ». Posture lors de l’entretien : Nous avons rencontré Charles par le biais d’un proche que nous avons en commun. Il a affirmé au début de l’entretien être « content d’aider une étudiante pour son mémoire ». Le contact au téléphone pour la prise de rendez-vous s’est fait rapidement, il a eu lieu en fin de journée, à son domicile situé en banlieue parisienne. Physiquement, Charles est grand, maigre, il a les cheveux bruns, porte un jean foncé et une chemise blanche. Avant l’entretien, il souhaitait absolument avoir les questions que nous allions lui poser afin qu’il puisse se préparer. Pendant l’entretien, Charles est souriant, son discours est fluide et précis. Pendant l’entretien, Charles est assis sur sa chaise, droit, les jambes croisées. A certains moments, il tord ses mains comme s’il était stressé et les pose ensuite doucement sur ses genoux dans une tentative de contrôle. L’entretien a duré environ une heure. 90 II.2. Synthèse des résultats des entretiens cliniques Les données cliniques des 6 patients rencontrés découlent de l’analyse des entretiens de recherche. Nous avons essayé d’appréhender de manière globale et de retranscrire concrètement et le plus finement possible les entretiens de nos six sujets dans la partie précédente. Nous allons maintenant tenter de donner du sens et d’apporter un éclairage à leur discours. Les éléments suivants sont importants à prendre en compte : nous avons rencontré des personnes à l’occasion d’un entretien, à un moment « T » de leur existence. Cet entretien est une photographie de leur situation à ce moment-là et nous insistons sur le fait que les interprétations que nous faisons de leurs discours ne sont que des hypothèses. Nous savons aussi que toute rencontre avec l’être humain est basée sur la subjectivité, à la fois celle du sujet et celle du clinicien. Le discours a pu être mal compris ou mal interprété malgré une retranscription parfois au « mot » près du discours du sujet. Le cadre peu neutre où se sont déroulés certains entretiens, comme les lieux publics, ou le domicile des sujets a pu jouer dans la qualité des rencontres. Tous ces éléments sont des biais que nous devons prendre en compte pour la validité de nos hypothèses. Notre population est composée de 6 sujets, 3 femmes et 3 hommes, âgés entre 45 et 60 ans. Nous n’avons, malgré toutes nos recherches et rencontres auprès de professionnels obtenir plus de rendez-vous. Dans cette population d’étude nous avons une femme, Sophie qui est actuellement au chômage et recherche activement un travail. Un homme, Martin, travaille à la fois dans une association en tant que bénévole et en milieu ordinaire de travail. Ces éléments sont à prendre en compte vis-à-vis de nos critères de sélection à l’origine pour notre mémoire. Il est intéressant également de voir la variété des profils interviewés. Leur point commun est de souffrir d’une même pathologie, la bipolarité et de travailler en milieu ordinaire de travail. Cependant, ils restent tous différents dans leurs histoires 91 respectives. Une histoire familiale, professionnelle, sociale différentes et des vécus de leur maladie variés. Nous avons également été étonnés car la plupart des personnes que nous avons interviewées ont été « diagnostiqués » relativement tard et récemment pour la plupart, c’est-à-dire, il y a environ deux ans (Sébastien, Sophie, Martin, Delphine). Tous nous ont raconté avoir eu des signes avant-coureurs, qu’ils analysent aujourd’hui comme des signes précurseurs de la maladie. Dans cette optique, il est important de rappeler que la durée moyenne pour poser un diagnostic de bipolarité est selon le psychiatre Didier Papeta que nous avons rencontré à Brest entre huit et dix ans selon les cas. Les personnes que nous avons rencontrées se disaient au moment de l’entretien « en pleine forme ». Cependant Delphine nous a paru fatiguée : elle était courbée comme si elle portait un poids « lourd » sur ses épaules, parlait lentement, son visage était fermé au départ. Elle nous a d’ailleurs avoué se sentir « moins bien en ce moment ». Nous pouvons nous demander dans quelle mesure le « moral » de tous nos sujets a pu « influer » sur leur discours. La variété des formes de bipolarité et l’expression différente des troubles, nous montre l’extrême diversité des formes exprimées. Nous avons noté la présence de la bipolarité de type II pour Audrey (un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés par au moins un épisode hypomaniaque), du type III pour Martin (dépression majeure avec des épisodes de manie ou d’hypomanie dus au traitement) et du type IV pour Sébastien (correspondant à une dépression majeure avec un tempérament hyperthymique). Charles, Sophie et Delphine n’ont pas précisé de quelle forme de bipolarité ils souffraient. Cela nous amène à penser qu’il n’y a pas de forme typique de bipolarité qui peut « s’adapter au travail » dans notre échantillon en particulier. Les formes de bipolarité des personnes que nous avons interviewées sont compatibles avec un travail en milieu ordinaire. Nous pouvons penser que ces types de bipolarité s’expriment moins fortement que chez d’autres personnes. En effet, certains considèrent leur pathologie « légère » par rapport à d’autres. Nous avons pu également remarquer que ces personnes ne considéraient pas leur maladie comme un handicap. Certains ont même été jusqu’à dire : « j’ai perdu l’usage de mes bras après un grave accident de voiture en 2001. Pour moi, ça a été un plus gros handicap que la bipolarité qui fait partie de moi » ou encore, « aujourd’hui, je 92 préfère avoir cette maladie qu’un cancer ou un diabète qui me paraît bien plus handicapant » ou, « mon handicap aujourd’hui, c’est l’âge, ce n’est pas la bipolarité ». III. Discussion III.1. Validation des hypothèses Après avoir analysé nos entretiens, nous allons les appuyer grâce à nos hypothèses afin d’infirmer ou de confirmer leur validité. Notre problématique étant « en quoi la représentation de la maladie leur permet-elle de « gérer » leurs troubles », nous allons la vérifier à l’aide de nos 4 hypothèses. H1 : Dans quelles mesures, le fait de travailler en milieu ordinaire de travail est-il compatible avec un trouble bipolaire ? Nous avons rencontré six personnes travaillant en milieu ordinaire de travail. Il est donc possible de « travailler » tout en souffrant de bipolarité. Il est intéressant de noter que sur les 6 personnes que nous avons interviewées, 4 ont été diagnostiqués tardivement il y a environ de 2 ans. Elles ont donc travaillé avant le diagnostic et après le diagnostic. Un cadre jugé « favorable » par tous a permis à ces personnes de travailler. Ainsi Delphine affirme que « les différents managers qui se sont succédés au centre médical ont toujours été compétents et compatissants » vis-à-vis de ses « problèmes ». Elle nous explique aussi que si son manager n’avait pas été comme ceux qu’elle a pu avoir, elle aurait monté un dossier pour avoir une reconnaissance de travailleur handicapé afin de justifier ses troubles et se « réfugier dans la légalité » si elle déclarait un arrêt maladie. Elle nous affirme que ses collègues savaient qu’elle était fragile mais elle ne voulait surtout pas parler de ses problèmes : « je ne voulais surtout pas les montrer, des fois, j’allais au travail en pleurant, je pleurais sur le trajet, je séchais mes larmes, j’allais bosser, je ressortais, je pleurais ». Elle insiste sur l’aspect structurant du travail, elle a toujours voulu travailler disant que cela lui « fait du bien », que cela lui donne un « rythme de vie » qui lui a permis de tenir. Etre autonome financièrement est très important pour elle. 93 Sébastien explique pour sa part que pendant les trois ans de sa dépression, lorsqu’il n’allait pas bien au bureau, il « prétextait » des problèmes familiaux, une de ses filles malade, sa femme souffrant de dépression afin de pouvoir quitter son travail et aller se reposer. Son statut de cadre lui permet également de « gérer son temps comme [je] il l’entend », partir quand il veut, s’il a fini sa journée de travail. Il nous explique ainsi la journée de travail qu’il vient d’avoir avant notre rendez-vous. « Aujourd’hui, j’ai réussi à faire tout ce que je voulais : je suis arrivé au travail à 11 heures parce que j’avais des choses à faire à la maison. Ensuite, j’ai pris 2 heures au déjeuner. Et ce soir, je suis sorti du boulot plus tôt pour être à notre rendez-vous de 18h. Entretemps j’ai travaillé et avancé sur mon projet comme je le voulais ». La présence d’un conseiller peut aider une personne souffrant de troubles bipolaires à travailler. C’est le cas d’Audrey qui écoute beaucoup un de ses proches. Celui-ci lui donne des conseils, repère quand « ça va moins bien, les signaux d’alerte (quand elle ne trie plus son courrier ou quand il y a procrastination) ». C’est une personne « de confiance », qu’elle connaît depuis « 35 ans, cela [me] lui donne une certaine objectivité ». Nous pouvons remarquer que la présence d’un proche stable et objectif sur la maladie aide les personnes souffrant de ce trouble à « gérer » cette maladie. Chez Sébastien et Charles, nous ressentons l’importance de la présence des proches : « Ma famille, c’est mon roc, ce qui me fait tenir au boulot ». Selon Sophie, les médicaments ont énormément évolué, « il y a d’énormes progrès dans les molécules ». Aujourd’hui, elle dit avoir accepté de prendre un traitement afin d’éviter les périodes de déprime. Elle dit quand même regretter les moments où elle était en période « haute » : « je trouve ça très dommage de ne plus être en phase haute comme tous les bipolaires, je regrette parce que c’est vraiment trop bon » ! Dans ces moments-là, elle pouvait énormément travailler et se sentait bien. Le travail est pour tous, vu comme une « nécessité ». Pour certains, il est synonyme d’autonomie, de plaisir, alors que pour d’autres, il représente un rythme, ou encore une valorisation sociale. Toutes les personnes interviewées ont appris à « vivre avec » cette maladie. Charles résume bien cette affirmation en disant : « c’est ce qui fait que je suis moi aujourd’hui ! ». Un autre élément est souvent revenu lors des entretiens : la plupart qualifient leur bipolarité de « légère ». Ils savent peut-être que le travail en milieu ordinaire est réservé à une minorité de personnes souffrant de troubles bipolaires. Comme nous 94 l’avons remarqué dans les différentes études que nous avons pu trouver sur le sujet, seul un patient bipolaire sur cinq qui « fonctionne au mieux » de ses capacités réussit dans le travail (Leboyer, 2005, p. 3). Cela nous montre que la bipolarité dont souffre une personne joue un rôle important dans ses capacités au travail. Cependant, sur les six sujets que nous avons interrogés, les formes II, III, IV de bipolarité sont représentées. Nous pouvons donc affirmer qu’il n’y a pas de forme de bipolarité « plus compatible » qu’une autre avec un travail dans notre échantillon. Souffrir de troubles bipolaires n’empêche pas de travailler. Un ensemble d’éléments, seuls ou combinés entre eux (les proches, le cadre de travail, les médicaments, une bipolarité « légère », la représentation du travail) permettent à une personne souffrant de ce trouble de travailler en milieu ordinaire. H2 : Pourquoi le trouble bipolaire est-il « mal vu » en entreprise ? Est-ce dû à sa méconnaissance ? Les troubles bipolaires sont mal vus dans le monde professionnel. Les personnes souffrant de troubles psychiques et travaillant en entreprise sont stigmatisées. Cela s’explique par la méconnaissance aux différents troubles psychiques, seulement réservés à une minorité de professionnels de la santé. Les personnes qui ne sont pas confrontées à la maladie psychique peuvent confondre les différents troubles. Un autre phénomène correspond à la variabilité des troubles bipolaires. Sur les 6 personnes interviewées, l’expression de la maladie est différente et ce, malgré un diagnostic identique. Le trouble bipolaire est mal connu. Les problématiques liées à des troubles psychiques restent souvent associées au monde médical, l’entreprise n’a donc qu’une vision limitée de ces problématiques. L’évolution incertaine de la maladie, le caractère invisible et imprévisible des symptômes, leur variabilité rendent également sa compréhension plus compliquée. Les médias jouent un rôle important dans leur manière de communiquer sur les troubles psychiques. Nous avons retenu que la maladie psychique touche environ 25 % de la population. C’est donc une maladie répandue mais peu connue par le grand public car son vocabulaire est connu par les spécialistes et car elle reste compliquée à comprendre notamment par son évolution variable. L’image donnée par les médias 95 décrit souvent une personne dangereuse et violente qui touche la société et peut provoquer un sentiment de « peur » vis-à-vis des troubles. Les 6 personnes que nous avons interrogées n’ont jamais prévenu leur entreprise de l’existence de leurs troubles. Elles ne voulaient pas être stigmatisées : « C’est trop dangereux de le dire, cela stopperait et sacrifierait directement mon évolution professionnelle ». « Mes collègues auraient tout de suite l’image du fou en tête ». « Le monde professionnel est très dur pour tout ce qui ne rentre pas dans la norme. Je suis hyper prudent et préfère ne pas évoquer ma maladie ». « Si mon patron savait que je suis bipolaire, mon poste « sauterait » direct et je pourrais dire adieu à mon évolution professionnelle ». La méconnaissance du trouble bipolaire et des troubles psychique est liée à la méconnaissance de ces troubles dans le monde professionnel. Les entreprises commencent néanmoins à s’interroger sur la question. H3 : Dans quelle mesure les changements d’organisation du travail dans les entreprises augmentent les facteurs de stress et accentuent la survenue du trouble bipolaire ? Les changements d’organisation du travail dans les entreprises augmentent les facteurs de stress et accentuent la survenue du trouble bipolaire. Ils sont vécus et s’expriment de manière différente selon les gens qui les vivent. Chez nos sujets souffrant de bipolarité, nous avons insisté précédemment sur l’importance d’une stabilité au niveau personnel ou professionnel pour « gérer » au mieux leurs troubles dans le travail. Les proches des personnes interrogées sont souvent considérés comme des « piliers », un « roc » sur lesquels ils peuvent compter. Delphine nous explique que si un changement d’organisation survenait dans son travail qu’elle ne penserait pas pouvoir supporter, elle n’hésiterait pas à se faire déclarer travailleur handicapé pour « justifier des arrêts maladies ». Charles n’a pas hésité à donner sa démission dans un précédent poste afin de quitter un environnement professionnel qu’il jugeait mauvais pour lui. Paradoxalement, nous remarquons que trois de nos sujets, Sophie, Audrey et Sébastien ont besoin d’être sans cesse stimulés dans leur travail, notamment grâce à de nouveaux projets. Par exemple, Sébastien a changé 11 fois de postes et plusieurs 96 fois d’entreprises. Il affirme que ces nombreux changements l’ont motivé et lui ont donné le goût du challenge. Il explique avoir sans cesse besoin d’être motivé par de nouveaux projets dans le domaine professionnel pour « se sentir bien ». Il est d’ailleurs considéré comme un haut potentiel dans son entreprise. Sophie de son côté nous explique qu’elle aime quand « les choses avancent » dans le domaine professionnel. Elle apprécie la nouveauté, les nouveaux projets, préfère les missions courtes qui la motivent au niveau professionnel. Nous sommes donc face à un paradoxe. A la fois, nos sujets ont besoin d’être dans un milieu professionnel stable et ont des difficultés à vivre un changement d’organisation professionnel comme Delphine et Charles alors que d’autres préfèrent que leur milieu professionnel soit en mouvement constant pour se sentir satisfaits dans leur travail. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure cette constante insatisfaction est synonyme de la présence sous-jacente des troubles bipolaires. H4 : Comment le terme « handicap » joue-t-il un rôle dans l’acceptation du trouble bipolaire ou du handicap bipolaire ? Le terme « handicap » chez nos sujets souffrant de troubles bipolaires n’est pas accepté. Une majorité n’a pas fait de démarche de reconnaissance afin d’être reconnu travailleur handicapé. La plupart se considèrent « malades », mais ils ne sont pas « handicapés ». Nous pouvons nous demander en quoi cette subtile différence entre les termes ne signifie pas une difficulté dans l’acceptation des troubles et même parfois un léger déni de la maladie. Par exemple, Audrey a eu en 2001 un accident de voiture et a perdu l’usage de ses bras pendant un moment, elle nous a expliqué lors de l’entretien qu’elle s’était sentie plus handicapée sans l’usage de ses bras que par rapport à sa bipolarité. Michel, pour sa part nous affirme qu’il ne prend pas cette maladie pour un handicap, car c'est grâce à elle qu’il est « créatif et hypersensible ». La reconnaissance de travailleur handicapé pour les personnes souffrant de troubles psychiques n’est pas évidente. Le psychiatre, Didier Papeta nous a expliqué qu’entre les phases de la maladie, la personne souffrant de troubles psychiques reste normale. La maladie n’est pas constante chez cette personne. Il est donc difficile pour elle 97 d’accepter d’avoir perpétuellement le statut de travailleur handicapé. Un de nos sujets affirme d’ailleurs, « quand, je ne suis pas en crise, je suis tout à fait normal ». L’expression des troubles reste souvent trop ponctuelle pour que les personnes souffrant de troubles bipolaires et donc de troubles psychiques en général, se sentent handicapées et fassent une démarche de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. III.2. Limites de l’étude En limite, nous pouvons tout d’abord nous poser la question de la taille de notre échantillon, composé seulement de six sujets. Nous avons expliqué précédemment les démarches qui nous ont menés à recevoir en entretien nos sujets. Nous avions prévu au début de notre recherche, d’interroger une quinzaine de personnes. Avoir un échantillon plus conséquent nous aurait permis d’avoir des investigations, des comparaisons, des explications plus précises et plus variées. Nous n’avons pas pu réaliser ce type d’intervention dans notre mémoire de recherche malgré nos contacts avec tous les professionnels. Notre questionnaire est un outil d’entretien clinique mais il est perfectible. Nous sommes conscients qu’il nécessite d’être davantage approfondi, que certaines questions n’ont peut-être pas été assez développées et assez ciblées. Notamment pour les questions concernant le monde de l’entreprise ainsi que dans la représentation de la maladie chez les personnes bipolaires dans leur environnement professionnel. Nous regrettons de ne pas pouvoir nous appuyer sur un test ou une échelle afin de valider de manière optimale nos hypothèses, réaliser une étude plus approfondie et aboutir à des résultats plus complets. En effet, « ce qui s’est déroulé au cours de l’entretien est une tranche de vie ». Cette réflexion de Jean Bergeret nous rappelle que l’entretien survient à un moment « T » de la vie du sujet, dans un contexte particulier. Nos sujets peuvent également dire ou omettre de dire ce qu’ils souhaitent. Le contexte de passation et son outil, l’entretien clinique, sont à prendre en considération. Nous avons reçu nos sujets dans des lieux publics, parfois bruyants ou 98 à leur domicile. Le cadre de l’entretien n’était pas forcément neutre et nous espérons que cela a biaisé au minimum l’entretien. Nous souhaitons discuter également de notre expérience encore débutante des entretiens en tant que future psychologue et qui a pu nous faire défaut. Nous espérons avoir bien retranscrit le discours des sujets que nous avons interviewés, d’avoir été le plus fidèle au discours des sujets et le plus objectif possible. Nous sommes également conscients qu’une recherche est toujours perfectible et que la nôtre pourrait faire l’objet d’un travail complémentaire. III.3. Ouverture La réalisation de cette recherche nous amène à ouvrir notre réflexion sur le lien entre troubles bipolaire et travail et de manière plus générale, entre troubles psychiques et monde professionnel. Nous nous sommes rendu compte que ces deux mondes se côtoient et se mélangent. En effet, le monde du travail semble pour certains, initiateur de l’apparition d’un trouble psychique. Ces deux mondes n’arrivent pas à travailler de concert car il reste un côté « tabou » à l’évocation de ce trouble dans le monde professionnel. Cette étude a été enrichissante et formatrice pour comprendre la représentation de la maladie des personnes souffrant de troubles bipolaires dans leur activité professionnelle, saisir l’expression de ce trouble psychique et le parcours de ces personnes dans le milieu du travail. Son aboutissement nous permet de nous interroger sur la continuité de ce travail dans des recherches futures : Nous pensons que le lien entre handicap et maladie mériterait d’être exploré : la plupart des sujets interrogés nous ont affirmé que, « oui, ils se sentaient malades » mais que « non, ils n’étaient pas handicapés ». La reconnaissance en tant que travailleur handicapé pourrait leur permettre de bénéficier d’aides dans leur entreprise mais elle n’est pas évidente pour eux. Dans le cadre de notre stage de cinquième année en cabinet de conseil en ressources humaines auprès de grandes entreprises sur les questions de la diversité et notamment sur le handicap, nous avons été amené à interviewer de nombreux acteurs 99 du handicap de différentes entreprises comme le médecin du travail, le responsable mission handicap, les services de ressources humaines et nous nous sommes rendu compte qu’ils considéraient les troubles psychiques comme un handicap pour travailler. Nous nous rendons compte que les raisons du salarié souffrant de troubles bipolaires et des acteurs de l’entreprise diffèrent : pour le salarié, il ne souhaite pas annoncer son diagnostic au sein de son entreprise pour de nombreuses raisons allant de la stigmatisation, à l’incompréhension ou à la peur d’être jugé ou de ne plus évoluer professionnellement. L’entreprise pour sa part peut seulement accompagner les personnes qui ont une reconnaissance en tant que travailleur handicapé et manque encore de solutions à la fois pour accompagner les salariés qui se déclarent et ceux qui ne se déclarent pas. Certaines entreprises sont plus avancées que d’autres sur le sujet mais elles restent encore démunies face aux situations. Cette différence de point de vue entre le salarié qui ne se sent pas handicapé et l’entreprise qui souhaite aider mais n’a pas forcément les ressources pour aider, peut être intéressante à développer. Nous avons évoqué la stigmatisation vécue par les salariés dans leur entreprise dans le paragraphe précédent. Nous pouvons nous demander comment permettre à un bipolaire de travailler en milieu ordinaire sans être stigmatisé ? Quelles actions spécifiques sur la maladie psychique sont à mettre en place au sein de l’entreprise et de la société en général pour diminuer les préjugés à l’égard de la maladie ? De ces différents témoignages sur la perception et le vécu de la bipolarité dans le travail, comment pouvons-nous améliorer la qualité et adapter les modalités de prise en charge de la part de l’entreprise ? Que devrait-elle faire pour permettre au maximum de personnes souffrant de troubles psychiques d’être accompagnés dans un milieu ordinaire de travail ? Comment prévenir et surveiller la survenue des troubles chez des sujets souffrant de troubles bipolaires dans l’entreprise ? 100 CONCLUSION Notre recherche nous a permis d’appréhender le handicap dans le monde de l’entreprise. Elle a soulevé chez nous des questionnements qui sont aujourd’hui de plus en plus d’actualité au sein des entreprises car l’homme est une ressource pour l’entreprise et elle a tout intérêt à le prendre en charge le mieux possible. Le choix de notre sujet correspondait à une volonté d’évoquer la représentation de personnes souffrant de troubles bipolaires dans un milieu ordinaire de travail, le monde de l’entreprise. Nous souhaitions nous représenter leur façon de « gérer » la maladie dans le travail, le regard vis-à-vis de leurs collègues et celui qu’ils portent sur leur maladie. Nous avons essayé d’avoir une position la plus objective possible face aux sujets que nous avons interviewés, en nous dégageant de tout jugement pour travailler avec cette diversité de profils d’hommes et de femmes bipolaires travaillant en entreprise. Par notre expérience en cabinet de conseil en ressources humaines, nous avons pu appréhender le monde de l’entreprise et interviewer dans le cadre d’une étude pour le cabinet, différents acteurs du handicap dans l’entreprise. Nous avons donc vu les deux « côtés », à la fois celui des salariés souffrant de bipolarité avec nos 6 sujets ainsi que la vision des acteurs du handicap dans l’entreprise. Cette recherche nous a permis d’investiguer ces différents domaines. Notre travail de recherche théorique a montré que la notion de troubles bipolaires est synonyme de handicap chez de nombreux professionnels. Nous avons donc insisté sur la notion de handicap et son évolution, sur la notion de travail, puis nous avons lié l’insertion professionnelle par rapport à cette maladie. Notre étude au sein d’un environnement comme l’entreprise nous a permis de prendre conscience de la réalité du travail et la difficulté de l’accompagnement dans un milieu pareil. Après avoir pris connaissance des outils qui se présentaient à nous pour cette recherche et tenant compte du principe de réalité, nous avons pu rencontrer différents sujets souffrant de bipolarité et travaillant au sein de différentes entreprises. Chaque rencontre avec les sujets et l’analyse de leurs entretiens fut à chaque fois source de découvertes, d’expériences humaines riches. 101 Il est important de noter que ces entretiens ont eu lieu à un moment précis dans un contexte différent et particulier pour chaque sujet. En effet, les rencontres ont toutes été différentes et nous aurions pu encore les élaborer davantage. Nous avons également été prudents en essayant de garder à l’esprit les questions d’éthiques et de déontologie et de respecter au mieux ces personnes interrogées. Nous nous sommes rendu compte que le handicap psychique commence tout juste à être évoqué dans l’entreprise. Auparavant, l’entreprise semblait avoir beaucoup plus avancé sur le sujet du handicap physique et moteur. Néanmoins, aujourd’hui, l’entreprise doit prendre en compte la prise en charge des troubles psychiques. Dans un monde économique où l’homme est une ressource productive dans l’entreprise, celle-ci se doit prendre en charge et de viser au bien être de ses salariés et de lui permettre ainsi d’être garante de son bon fonctionnement. Nous avons remarqué que les grandes entreprises sont motivées pour comprendre ces troubles, apprendre à les gérer et à accompagner les personnes souffrant de troubles psychiques. Sachant qu’une personne sur quatre fera l’expérience d’un trouble psychique dans sa vie, l’entreprise commence à comprendre qu’il devient urgent d’apprendre à accueillir, accompagner et maintenir en emploi les personnes souffrant de troubles psychiques. En effet, pour ces personnes, le travail est souvent un lieu d’épanouissement et de réhabilitation sociale. C’est un élément important pour elles, synonyme de leur rétablissement. Nous nous sommes rendu compte dans ce travail de la difficulté des personnes souffrant de troubles psychiques d’évoquer leur maladie. Lorsque les troubles sont connus, les personnes malades sont discriminées et victimes de préjugés importants. Cette discrimination est due à une méconnaissance conséquente de la maladie. Ainsi, dans la partie pratique, les sujets que nous avons interviewés nous ont affirmé ne pas évoquer leur maladie sous peine de discrimination à leur égard pouvant aller jusqu’à l’arrêt de leur évolution professionnelle. Seuls les proches de ces personnes, quelques « amis » sont au courant de leur maladie et représentent pour nos sujets des « piliers » sur lesquels ils peuvent d’appuyer. Un élément nous a marqué dans la partie pratique sur le fait que les sujets que nous avons interviewés ne se considéraient pas handicapés. Ils se savent « malades » mais ne se sentent pas handicapés. Selon eux, la maladie leur permet de travailler et de vivre « normalement ». Ils insistent sur l’importance d’un environnement et des 102 conditions de travail saines, pour qu’ils puissent se réaliser de manière optimale dans le travail ainsi que la présence des proches qui est importante, nécessaire et synonyme de stabilité pour ces personnes. Nous nous sommes confrontés à deux points de vue différents vis-à-vis des troubles psychiques durant cette recherche : un côté avec l’entreprise et les professionnels que nous avons rencontrés par le biais de notre étude en cabinet de conseil en ressources humaines et l’autre côté, les salariés souffrant de troubles psychiques et travaillant en milieu ordinaire de travail que nous avons interviewés dans le cadre de notre mémoire de recherche. Ces deux groupes ont un avis distinct sur les troubles psychiques. Le premier souhaiterait mieux accompagner, favoriser le recrutement, maintenir en emploi les personnes souffrant de troubles psychiques tandis que l’autre [les salariés] ne souhaite pas être « montré du doigt » et ne souhaite pas être assisté par son entreprise. Les salariés interrogés ont eu des réactions similaires par rapport à leur maladie. Pour la plupart, ils la qualifient de « légère », ils ont appris à vivre avec et semblent avoir accepté cet état. Certains ont même été « soulagés » de comprendre certains de leurs comportements passés, en apprenant qu’ils souffraient de bipolarité. 103 Résumé Notre recherche concerne les personnes souffrant de troubles bipolaires et travaillant en milieu ordinaire de travail, afin de savoir quelle est leur représentation de la maladie, comment celle-ci s’exprime dans leur travail et vis-à-vis de leurs collègues et comment les salariés souffrant de ces troubles arrivent à gérer dans leur travail. Problématique de la recherche : En quoi la représentation de la maladie chez les personnes souffrant de troubles bipolaires est un moyen de gérer leurs troubles ? Méthodologie : Afin de répondre à cette problématique, nous avons utilisé comme outil, l’entretien clinique à l’aide d’un guide d’entretien que nous avons construit au préalable. Nous avons mené cet entretien auprès de 6 personnes souffrant de troubles bipolaires et travaillant en milieu ordinaire de travail. Nous les avons rencontrées en dehors de leurs horaires de travail, à leur domicile et dans des lieux publics. Résultats : Le travail en milieu ordinaire de travail est compatible avec un trouble bipolaire : l’ensemble des sujets interviewés travaillent en milieu ordinaire de travail. Ils insistent également sur d’autres éléments qui les aident à se sentir bien dans leur travail : la présence des proches, le cadre de travail, les médicaments, une bipolarité plus « légère » que chez d’autres sujets, le travail vu comme une nécessité. Le trouble bipolaire est mal vu en entreprise du fait de sa méconnaissance : les troubles psychiques font peur car ils sont variables, imprévisibles et mal connus. Nos sujets n’évoquent pas leur maladie dans le travail afin d’éviter d’être stigmatisés. Les changements d’organisation du travail dans les entreprises sont à la fois stimulants pour certains de nos sujets qui les voient comme de nouveaux challenges et pour d’autres ils augmentent les facteurs de stress dans la sphère du travail. Le terme handicap n’est pas accepté chez nos sujets et seule une personne sur 6 a fait une démarche de reconnaissance. Pour certains, la maladie fait partie intégrante de leur personnalité et beaucoup plus facile à gérer que d’autres maladies ou handicaps. Chez nos sujets, la bipolarité s’exprime de manière ponctuelle et ne peut donc pas constituer un handicap. Conclusion : Les sujets souffrant de troubles bipolaires ont une représentation de leur pathologie qui n’est pas incompatible selon eux avec le fait de travailler. Leur maladie fait partie de leur quotidien et elle est vécue de manière différente chez chacun d’eux. 104 Bibliographie OUVRAGES DE REFERENCE : - Aït-Ali, B., & Lesieur, G. (2008). Guide pratique pour l'insertion et le maintien dans l'emploi des personnes handicapées psychiques. Toulouse: Octares. - American Psychiatric Association. (2004). DSM-IV-TR. Paris: Elsevier Masson. - American Psychiatric Association. (2002). Mini DSM-IV. Lonrai: Masson. - Baptiste, R. (2005). Reconnaître le handicap psychique. Lyon: Chronique Sociale. - Blanchet, A., & Gotman, A. (1992). 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