Les mésaventures de Tintin
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Les mésaventures de Tintin
LE MAG VENDREDI 28 JUIN 2013 L'EXPRESS - L’IMPARTIAL ÉVASION BERNARD PICHON Retour dans le passé La Saxe-Anhalt en ex-Allemagne de l’Est reste à découvrir. Elle offre un sentiment de tranquillité ramenant aux vacances d’autrefois. PAGE 16 EXPOSITION A Fribourg, le reporter à la houppe s’affranchit d’Hergé. Les mésaventures de Tintin sosie officiel de Johnny Hallyday, valoches sous les yeux et rouflaquettes sur les bajoues. Pourtant, le coup de crayon d’Edwood ne convainc pas les spécialistes: Jean Rime, vice-président de l’association Alp’Art (les amis suisses de Tintin), trouve que «le trait n’abuse pas ceux qui sont habitués au dessin d’Hergé» et Alain-Jacques Tornare estime «qu’Edwood ne peut pas s’empêcher d’en rajouter, alors que la ligne claire est un exercice d’épure». JEAN AMMANN Pauvre Tintin! Il avait survécu à Rastapopoulos, à Al Capone, à la peine capitale, il avait crié «Vive Alcazar» sous la junte de Tapioca, il s’était enfui des geôles de Bordurie et des cachots de l’Union soviétique; il s’apprêtait à couler une vieillesse heureuse, entre le 26, rue du Labrador et Moulinsart, et voici qu’on le ressuscite, qu’on le dépêche, qu’on le détourne du droit chemin. En 2002, selon les «Trésors de la bande dessinée», on recensait 63 aventures clandestines: Tintin était parti au Honduras, en Suisse, en Irlande, il avait prêté ses services aux Sandinistes et aux activistes de l’IRA; on lui avait prêté une vie sexuelle, tantôt avec l’inévitable Castafiore, la seule femme de son univers, tantôt avec le capitaine Haddock, son vieil ami qui, pour lui, avait bravé l’Himalaya… Pauvre Tintin. Pauvre Haddock. Moulinsart veille A la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg, là où trône le buste de Paul Cantonneau, à moins que ce ne soit celui de Georges Python (allez savoir!), une exposition montre Tintin dans sa deuxième vie: ce qui serait arrivé si Tintin s’était émancipé d’Hergé, s’il n’était pas mort avec lui en 1983… «Tintinophiles de tous pays, réjouissezvous! Le reporter à la houppe (…) se prête aux métamorphoses les plus improbables, à la transgression et aux détournements de sens en tous genres. L’anti-Tintin est trop tentant!», écrit le commissaire de l’exposition, l’historien Alain-Jacques Tornare, au dos du catalogue qui ressemble comme Dupond et Dupont à un album Casterman. Hommages et outrages Pourquoi tant de parodies et de pastiches, alors que d’autres monuments de la bande dessinée, comme Astérix ou Lucky Luke, semblent épargnés? D’abord, parce qu’il est tentant de débau- SP Transgressif cher Tintin, si droit, si vertueux, si immaculé. Il est tentant de le dépraver, comme il fut tentant pour Valmont de séduire l’angélique Cécile de Volanges dans «Les liaisons dangereuses»: dans la comédie humaine, le spectacle de la pureté passe pour une offense. «L’espiègle peut se faire cynique, l’apolitique un militant engagé, l’imberbe se retrouver à poil», dit Alain-Jacques Tornare. Ensuite, parce qu’Hergé luimême s’est laissé tenter par le thème du faux: «La contrefaçon l’attirait. Il y eut les faux-monnayeurs de ‘‘L’île noire’’, les fauxsemblants des jumeaux Halambique du ‘‘Sceptre d’Ottokar’’ et les fausses statuettes de ‘‘L’oreille cassée’’. Dans «L’Alph-Art», Tintin a même rendez-vous avec des faussaires en œuvres d’art. Hergé en personne se livra dans «‘‘Les bijoux de la Castafiore’’ à une forme d’autoparodie», écrit Alain-Jacques Tornare. L’espiègle peut se faire cynique, «l’apolitique " un militant engagé, l’imberbe se retrouver à poil.» ALAIN-JACQUES TORNARE COMMISSAIRE DE L‘EXPOSITION Admirateurs ou critiques, épigones ou faussaires, disciples ou dissidents, tous se sont donc sentis invités à investir ou à travestir l’univers d’Hergé. Traçons une ligne claire dans ce magma éditorial: il y a d’un côté les hommages et de l’autre les outrages. Dans le premier camp, on trouve le Suisse Exem (Emmanuel Excoffier), qui signe l’affiche de l’exposition et dont les planches sont comme des ex-voto dédiés à Hergé, mais aussi à Edgar P. Jacobs et aux artistes de la ligne claire; on trouve encore le grou- + INFO Fribourg: Bibliothèque cantonale et universitaire, rue Joseph-Piller 2, jusqu’au 26 octobre, lu-ve 8h-22h, sa 8h-16h. ÎLE SAINT-PIERRE Balade théâtrale bilingue durant tout l’été. = LE LIVRE DE LA SEMAINE MONIQUE GIRARDIN NOIRAT LIBRAIRIE LA VOUIVRE, SAIGNELÉGIER puscule de l’Atelier du Raddock (Gilles Calza, Mibé-Michel Berger, Marc Roulin, Sen-Philippe Sennwald et François Maret), qui peaufine des miniatures, belles comme des enluminures. Et de l’autre côté, «du côté obscur de la ligne claire», selon la jolie formule d’Alain-Jacques Tornare, on trouve Jan Bucquoy et sa «Vie sexuelle de Tintin» (1992), «Les Bachi-Bouzouks» et leurs «Aventures de Tintin à Hollywood», ou bien encore «Les mémoires du capitaine Haddock», «Tintin au Liban», dans lequel l’infâme Allan – toujours lui! – insinue qu’il s’en passe des vertes et des pas mûres dans la promiscuité forcée du «Ramona» (cf. «Coke en stock»)! Et enfin, en équilibre sur la ligne de démarcation, il y a ceux que, sans rien enlever à leur talent, il faut appeler du vilain nom de faussaires: Yves Rodier et Harry Edwood. Rodier est un Québécois qui en 1991 s’est permis de finir «L’Alph-Art», l’album inachevé d’Hergé, abandonné au stade du gribouillis par le maître. Edwood, quant à lui, s’est lancé dans une colorisation de «Tintin au pays des Soviets», puis dans la création de plusieurs albums de Tintin: «La voie du lagon», «Les elfes de Moulinsart»… A Fribourg, sur un mur de la Bibliothèque cantonale, sont affichées des cases de Harry Edwood. Franchement, l’illusion est parfaite: sur le plan graphique, Edwood est le sosieofficield’Hergé,commeilyale Tintin, ce n’est un secret pour personne, ne nous appartient plus: il a été confisqué par Fanny Rodwell, seconde femme et veuve d’Hergé, ainsi que par Nick Rodwell, devenu «par un hymen providentiel et promotionnel» l’époux de la ci-devant Fanny. Toute reproduction de vignette est interdite et la Sainte Inquisition hergéenne veille: à Fribourg, vous ne verrez aucune planche issue des 24 albums canoniques. Pour avoir enfreint cette règle, le pauvre Bob Garcia, qui avait publié en 2006 un livre intitulé «Hergé, la bibliothèque imaginaire», s’est vu infliger une amende de 50 000 euros. Et sous sa moustache, PlekszyGladz ne badine pas: «L’exposition d’adaptations non autorisées, telles que l’adaptation de ‘‘L’AlphArt’’ d’Yves Rodier ou celle de «La voie du lagon» d’Harry Edwood par exemple, ne peut avoir lieu», affirme Moulinsart. Mais Tintin s’échappe, comme toujours, comme il l’avait fait dès le début, au pays des Soviets, comme il l’a fait dans les caves de Moulinsart et les cales du «Karaboudjan». Mais Tintin vit malgré la garde des embaumeurs héréditaires, et tous ces pastiches et toutes ces parodies sont la preuve de son éternité. ! La Liberté Un «Millésime» gouleyant pour l’été Rousseau revient sur son île C’est une très bonne cuvée que nous offre Daniel Fazan, homme de radio, avec son «Millésime», un livre rafraîchissant, gouleyant, qui fait du bien à ses lecteurs. Fazan se glisse dans la peau de Paul, vigneron comme l’étaient ses père, grand-père et autres ancêtres de la famille Pache. Il fait toutefois tache dans le sublime paysage du Lavaux car, contrairement à ses acolytes aux bras aussi noueux que leurs ceps de vigne, Paul, marié et père de trois jeunes adultes, ose faire éclater son homosexualité au grand jour, confiant son amour pour Roger au soleil généreux qui chauffe ses grappes. Les villageois bien-pensants sont choqués, derrière chaque rideau de cuisine se cache un mini-mirador, les messages Une aventure théâtrale en marge des sentiers battus est proposée du 30 juin au 8 septembre sur l’île chère à Jean-Jacques Rousseau. Au fil d’un scénario rocambolesque truffé des réflexions du Promeneur solitaire, les trois comédiens Susanna Hug, Eric Frutiger et Bernd Somalvico emmènent le public dans une balade au cœur de la forêt. Mis en scène par la Chauxde-Fonnière Christiane Margraitner, ce spectacle, créé en 2012 pour le tricentenaire du grand homme, est bilingue. L’al- anonymes se glissent dans la boîte aux lettres, Roberte, son épouse, entre en guerre, et le Grammont, de l’autre côté du Léman, fronce les sourcils. Paul n’en a cure, son amour sublimé pour Roger le porte. Pour lui, il cesse de boire, au grand dam du bistrotier qui n’arrive pas à comprendre ce vigneron devenu limonade, oublie l’alcoolisme de son mal-être et accepte même de se faire soigner chez «Madame», sa psy compréhensive à la coiffure en pétard. ! «Millésime», Daniel Fazan, Olivier Morattel, 149 pages lemand et le français se répondent, se jouent de la gestuelle des comédiens. «Le spectacle est accessible à tous», précise Susanna Hug. «Et sous la pluie, c’est encore plus beau! La forêt se pare d’une dimension mystique». Car Rousseau est de sortie par n’importe quel temps, le dimanche en famille (enfants dès 11 ans) et le vendredi soir à la lueur des étoiles ou des lampes de poche. ! CFA Dans l’esprit de Rousseau. SP + Ile Saint-Pierre, du 30 juin au 8 septem● bre, réservations obligatoires: www.ticketportal.com, hotline 0900 101 102, http://rousseauinsel-en-scene.ch/