Editorial - France Arménie
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Editorial - France Arménie
l a i r o t Edi Le temps, ce vieil ami à conquérir Nouvelle année et nouvelle décennie ! Alors soyons fous, et puis non, osons-le carrément, soyons «foot» ! Le Barça, vous connaissez ? Dingues du ballon rond ou pas, vous avez certainement été inondés, vers la fin novembre, d’images du clasico, ce match légendaire entre le FC Barcelone et le Real Madrid que les amateurs de football du monde entier attendent chaque année, dans une ferveur similaire à celle qui gagne les pèlerins du Vatican juste avant la messe de Noël. Et qu’avez-vous vu sur votre petit écran ? Un Barça de rêve qui a atomisé le Real (5-0) et sa pluie de stars galactiques. Mais au-delà de l’incroyable démonstration de football dont nous a gratifié le onze catalan, ce que tous les observateurs s’accordent à souligner, c’est la victoire éclatante d’une politique de la formation sur celle du tiroir-caisse. Sur les onze joueurs du Barça alignés par l’entraîneur Pep Guardiola (lui-même ancien joueur du club), huit sont issus de La Masia, le centre de formation du FC Barcelone. Un phénomène unique, aujourd’hui, dans le gotha d’un football européen qui a sacrifié bien des valeurs sur l’autel de l’argent-roi. Certes, on n’ira pas jusqu’à soutenir que le Barça serait un ramassis de has been ayant sombré dans la précarité. Bien sûr que non ! Mais ce qu’on retiendra surtout, c’est que les Xavi, Iniesta et autres Puyol ont grandi ensemble, depuis leur tendre enfance ; ils ont franchi tous les échelons, suivis à la loupe par des entraîneurséducateurs soucieux de leur inculquer une philosophie de jeu tout à fait singulière, cette espèce de mouvement perpétuel qui donne le tournis à l’adversaire et qui fait l’identité du Barça, depuis les poussins jusqu’à l’équipe première. C’est ce pari sur le long terme qui a fait un beau jour des Xavi, Iniesta et Puyol les joueurs formant l’ossature de l’équipe nationale d’Espagne vainqueur pour la première fois de son histoire de la Coupe du Monde de football, l’été dernier, en Afrique du Sud. Un pari diablement audacieux, qui combine avec une efficacité redoutable l’art d’investir dans le temps et la mise en œuvre d’une politique à contre-courant de l’air du temps. Car le deuxième pari des piliers du club catalan consiste à privilégier avant tout les artistes du ballon, au détriment s’il le faut des colosses «bodybuildés» qu’un absurde diktat a érigés au rang de modèle unique du footballeur professionnel. Ou comment une bande de petits «gringalets» formés en Catalogne domine de la tête et des épaules la planète football ! Et voilà comment on fabrique, en vingt ou trente ans de travail acharné, sans chercher la reconnaissance des médias assoiffés de transferts records, ce que les spécialistes ont baptisé après le clasico l’“équipe du siècle” ! Pierre après pierre, on bâtit un édifice en béton armé, sans céder à la dictature de l’urgence des résultats immédiats ni à celle de l’attente d’une reconnaissance hypothétique. Travailler d’abord et avant tout sur son ordre du jour, pour se construire jour après jour, au fil du vécu, une philosophie à soi. Former, plutôt que de s’en remettre à la providence ou au tiroircaisse, investir dans le temps en ramant parfois à contre-courant. Ça ne vous dit rien, tout ça ? France-Arménie, dans ses colonnes, ne loupe pas une occasion de souligner l’importance du travail à accomplir avec les jeunes, autour du questionnement identitaire, pour élaborer un projet de vie porteur de perspectives à long terme. L’année qui vient de s’écouler restera marquée par une prise de conscience, un peu partout en Diaspora, que les Arméniens sont à la recherche désespérée d’un second souffle. Les turbulences qui secouent depuis un certain temps une Eglise apostolique arménienne en quête de nouveaux repères, les tentations sidérantes d’une certaine jeunesse d’Arménie confrontée à la perte des valeurs traditionnelles ou le clientélisme pratiqué à ciel ouvert par certains maires du Val d’Oise sur la question arménienne, nous renvoient invariablement à nos limites actuelles à l’échelle planétaire. En mai 2008, à Toronto, durant sa première conférence donnée en sa qualité d’ancien ministre des Affaires étrangères d’Arménie, Vartan Oskanian soulignait que le principal défi à relever aujourd’hui pour le peuple arménien était celui de la problématique identitaire. Il avait raison. Cette question de l’identité est celle qui conditionne tout le reste. Si nous utilisions la métaphore de la maison, nous dirions que pour les Arméniens, l’identité en représente les soubassements, tandis que les luttes politiques pourraient s’incarner à travers la façade. C’est l’identité qui porte le politique, et non l’inverse. Mais les soubassements, par définition, cela ne se voit pas, et cela se travaille donc à l’abri des regards, contrairement à la façade. Plus les soubassements seront solides, plus la façade aura des chances de l’être. N’avons-nous donc pas construit la «maison» arménienne à l’envers, mus par notre quête – compréhensible et légitime – de justice et de reconnaissance, après avoir subi l’écrasement que peut vivre un peuple ayant reçu la perte en héritage ? D’où la question suivante : pour avoir l’impression d’exister, faut-il que l’Autre nous voie absolument ? Pour se muer en archéologues de l’invisible, dans cette société qui sacralise, à travers le règne absolu du zapping, le règne de l’éphémère et du fragment, il faut prendre le temps de réaménager ses fondations intérieures – vous savez, celles qui ne se voient pas à l’œil nu… Il faut même prendre le temps d’oublier le temps, pour faire du temps notre principal allié. Le tout, en vivant à fond le temps présent. Un défi aussi palpitant que monstrueux, car il sollicite les ressorts les plus intimes de notre désir de vie. A l’heure où l’on entend ici ou là, dans un réflexe fataliste, que le temps joue contre nous, faire de la deuxième décennie du XXIe siècle celle de la conquête de notre temps, ne serait-ce pas le plus beau cadeau que nous puissions nous faire ? Varoujan Mardikian FranceArménie / janvier 2011 3