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Tendances de 
l’innovation sociétale
La Lettre de Youphil - 1ère source d’information des décideurs engagés | www.youphil.com | N° 9 – 11 février 2011
 
Actualités
Dossier Spécial Protocole BoP 2.0
Finance Solidaire : la BPE couple
son mécénat d’une carte bancaire
| 2
Impact Investing : l’offre de
financement s’étoffe
| 3
Fraude : le Fonds Mondial renforce
ses contrôles | 4
De l’idée au Protocole 2.0 : le tour
de la question en 7 interrogations | 8-10
Initiatives Eau : les cas Grameen Veolia
| 14
Water et Suez Environnement Entretien : Masterclass
avec Stuart Hart | 11-13
Initiatives Énergies : Schneider Electric
| 15
mise sur le BipBop
Idées : rat de bibliothèque et pauvreté | 5
LE MOT DE LA QUINZAINE 
Consommation Durable
Consommer. Du latin consumere :
détruire, miner… La consommation, par
essence “épuisable”, s’attache à devenir
durable et l’oxymore s’impose du business
aux médias. Le 27 janvier, le Centre
d’analyse stratégique (CAS) remettait
d’ailleurs à la ministre de l’Écologie, un
rapport déclinant 25 mesures “Pour une
consommation durable”. Soulignant les
limites du simple “verdissement”, réfutant
la “décroissance”, l’ambitieux document
s’interroge sur la définition de la
croissance durable. Apparue en 1992, au
Sommet de la Terre, la notion demeure,
vingt ans après, “floue et fourre-tout”
selon le CAS, qui s’attache donc à poser
sa définition, en trois évolutions. Celle
des finalités de la consommation, “trop
souvent vue comme la voie d’accès
au bonheur”. Celle des comportements
de consommations, à “réorienter vers
des biens et services plus économes
en ressources, moins polluants et plus
favorables au progrès social”. Celle des
modes de vie enfin, pour un “équilibre
entre valeurs matérielles et immatérielles”.
Une révolution plus qu’une définition.
- 8 pts
C’est la baisse de notoriété
de “l’entreprise sociale” en
2010 (baromètre CSA-AVISE), malgré
les efforts menés par le secteur de
l’Économie Sociale et Solidaire pour
s’affirmer. Seuls 43 % des sondés affirment
aujourd’hui avoir déjà entendu parler
d’une entreprise sociale, contre 51 %
en janvier 2010. Après explications, 74 %
des sondés se disent prêts à acheter un
produit ou un service issu d’une entreprise
sociale (77 % en janvier). Resterait la
“foi”, en légère hausse : 81 % de taux
de confiance contre 79 % il y a un an…
Édito Gentils vs Compétents,
les stéréotypes ont la peau dure...
Amateurs, idéalistes ou gauchistes… d’un côté. Suppôts du capital, requins,
apôtres du court terme… de l’autre. Tous les consultants en relations ONG entreprises ont leurs bons mots pour stigmatiser les stéréotypes que les potentiels
conjoints de ces alliances “contre nature” projettent les uns sur les autres. Cette
perception empirique du décalage entre les deux univers s’appuie désormais
sur des preuves scientifiques.
Alors que les frontières entre profit et non-profit deviennent floues, que des
modèles hybrides émergent aux quatre coins du globe, que les deux univers
entrent de plus en plus souvent en concurrence, une équipe incluant des
chercheurs de Stanford a mené une étude pour savoir comment chacun des
univers était perçu par les consommateurs, entre “chaleur” et compétence.
“Cette question de la ‘chaleur’ est révolutionnaire, notent les chercheurs.
Depuis toujours l’homme a eu besoin de savoir s’il avait à faire à un ami ou à
un ennemi avant de définir son mode d’engagement”.
Au cœur de l’étude, un test simple : l’achat d’une sacoche d’ordinateur,
proposée sur deux sites internet parfaitement similaires (Mozilla). À un détail
près : le premier revendique le . org du non-profit tandis que le second affiche
le . com du profit. Le résultat de l’étude, résumé sur le site de Stanford, est sans
appel. “Les consommateurs stéréotypent les non-profits comme chaleureuses,
généreuses et attentionnées mais moins douées pour les affaires que leurs
pairs à vocation commerciale. Les entreprises sont stéréotypées comme plus
compétentes avec un bilan mais sans nécessairement de conscience sociale”.
Et au final, les consommateurs achètent donc plus au . com qu’au . org…
Si elle ne semble pas vraiment offrir de scoop, l’étude a le mérite de formaliser
pour la première fois cette affaire de stéréotypes. Et surtout de poser des pistes
de réflexions sérieuses. Comment construire une caution “compétence” sans
pour autant perdre en chaleur pour les “non-profit” qui s’embarquent dans des
aventures commerciales. Comment descendre du piédestal de la compétence
pour embrasser chaleureusement (et avec crédibilité) les préoccupations
sociales pour un univers “profit” en quête de soutenabilité ?
Que ces questions, au cœur de l’innovation sociétale, soient désormais gravées
dans le marbre de la recherche académique réjouit plutôt cette Lettre qui
s’attache à décrypter les nouvelles stratégies de l’empathie-compétence. En
témoigne le Dossier Spécial “Base de la Pyramide” de ce numéro, qui explore
les efforts du business pour lutter contre la pauvreté. Le profit en mode cocréation avec le non-profit… N’en déplaise à nos grands-mères, trop bon n’est
pas toujours trop con.
N° 9 - 11 février 2011 | 1
Tendances de l’innovation sociétale
Actualités
Finance Solidaire La BPE couple
son mécénat d’une carte bancaire
Une nouvelle carte bancaire vient grossir les rangs des produits de finance solidaire,
une carte à l’effigie de Louis Pasteur, émise par la Banque Privée Européenne (BPE),
filiale du Crédit Mutuel Arkea. Cette carte “de partage” invite ses souscripteurs
à faire un don automatique (50 cts, 1 € ou 2 €) pour chaque achat supérieur à
20 €. “Cela correspond à environ 180 achats par an, nous tablons donc sur 150 €
de don annuel moyen par souscripteur”, affirme Erwan Quere à la BPE.
Si l’ambition de 1 000 porteurs de cartes “Pasteur” pour 2011 est atteinte, l’Institut
pourrait ainsi collecter 150 000 €. Un joli coup de pouce pour lui comme pour
l’ensemble des dons français via carte bancaire : 300 000 € donnés pour 50 000
porteurs en 2009, selon Axylia Conseil. Dix fois moins que les fonds ou les livrets
bancaires de partage. Un coup de pouce du petit poucet : avec 32 agences, la
BPE est loin des “grands” du sujet, le Crédit Coopératif en tête, historiquement
et en volume de dons, suivi par la Société Générale et le Crédit Mutuel…
Contrairement aux autres banques, la BPE laissera l’intégralité du “partage” à ses
clients. En revanche, elle financera l’Institut Pasteur dans le cadre d’un mécénat
sur cinq ans, remplaçant ainsi sa politique de sponsoring sportif. Ce recentrage
sur une cause humaine viserait à mieux fédérer le personnel et la clientèle de la
BPE. Avec la volonté de dépasser “la bonne conscience et le symbolique”, le
mécénat soutenant une unité de recherche précise. Les clients, eux, pourront
affecter leurs dons à cette unité ou choisir de soutenir une autre action de Pasteur.
RSE LEAD, le Pacte Mondial
en Business Class
Pour amener l’ensemble des entreprises signataires du Pacte Mondial vers plus
de responsabilité, Ban Ki-Moon, secrétaire général des Nations Unies, a lancé
à Davos sa “business class” : LEAD. Cette plateforme réunit 54 entreprises dont
une seule française, Total, pour une phase pilote de deux ans.
Les entreprises participant à LEAD s’engagent à une implication sur trois axes :
le développement des réseaux locaux, le Blueprint, une feuille de route qui
complète les 10 principes de business responsable du Pacte, et la participation
à des groupes de travail thématiques.
Incarnant l’exemple à suivre pour les 6 000 signataires du Pacte restés en “classe
éco”, LEAD, fait partie d’une série de mesures destinées à redorer le blason du
Pacte Mondial. Son aspect non contraignant, fondé sur une communication
volontaire et annuelle sur les progrès réalisés par les entreprises (CoP) est souvent
critiqué par la société civile. En début d’année, le Pacte Mondial avait ainsi
annoncé l’exclusion de près de 200 entreprises en raison des lacunes de leur
reporting. Un chiffre portant à plus de 2 000 le nombre de signataires ainsi exclus
depuis la naissance du Pacte en 2000.
54
M d s € , soit dix fois plus qu’en Chine : c’est le montant des actifs
sous gestion “responsable” dans la zone Moyen-Orient/Maghreb.
L’Investissement Socialement Responsable (ISR) représenterait ainsi
2,13 % des actifs de la région, contre 1 % en Chine et 0,57 % en Inde, selon une
étude de l’International Fund Corporation (IFC), un organe de la Banque Mondiale.
L’investissement islamique “shari’ah compatible”, qui intègre dans ses objectifs la
lutte contre la pauvreté, représente 70 % du total. L’étude évalue par ailleurs le
potentiel de développement de l’ISR, sur la base des réglementations en vigueur.
Plus performant par exemple qu’un pays comme le Brésil, le trio Oman, Qatar et
Tunisie seraient ainsi en tête concernant l’application des lois sur l’environnement.
Parmi les acteurs régionaux les plus à même de porter la soutenabilité financière
dans la zone : l’Arab Sustainability Leadership Group et son équivalent à Abou Dhabi.
Reporting Bien décidée à ne pas
laisser les entreprises US bouder sa
méthodologie de reporting social et
environnemental, la Global Reporting
Initiative vient d’ouvrir un bureau en
plein Wall Street. En 2010, le GRI était
utilisé par 67 % des grandes entreprises
produisant un rapport RSE, dont
12 % d’entreprises US seulement. Les
grandes entreprises américaines sont
globalement peu mobilisées sur le
reporting RSE : selon PwC, 40 % d’entre
elles produiraient un rapport, contre
80 % des européennes.
Éolien Le gouvernement français a
donné son feu vert à la construction
du premier programme éolien offshore
de l’hexagone : 600 éoliennes installées
le long des côtes et destinées à
produire 3 000 Mw d’ici 2020. L’appel
d’offres est annoncé pour mai 2011 et
les conditions techniques font l’objet
d’une consultation en ligne sur le site
du ministère de l’Écologie. Ce chantier
représente la moitié des objectifs
éoliens du Grenelle et l’équivalent de
deux réacteurs nucléaires.
Efficacité énergétique Barack Obama
lance la Better Buildings Initiative pour
accélérer la rénovation énergétique des
bâtiments commerciaux, des universités
et hôpitaux aux États-Unis. Au menu,
l’amélioration des exonérations fiscales
existantes, un système de prêts garantis
et un “challenge” entre donneurs
d’ordres. Objectif : réduire de 20 % en
10 ans la consommation énergétique
d’un secteur qui pèse 20 % dans la
consommation nationale d’énergie.
ISR
Alors que le débat mondial
sur la microfinance se poursuit,
le secteur réagit en établissant
des lignes de responsabilité : les
Principes pour l’investissement
dans la finance inclusive. Les sept
idées retenues mettent notamment
l’accent sur la protection des clients
pauvres et la diversification des
offres de microfinance, épargne
et micro-assurance… Les Principes
viennent d’être signés par un
groupe d’investisseurs et d’ONG de
microfinance, associés au Consultative
Group to Assist the Poor (CGAP)
et Principes pour l’Investissement
Responsable de l’ONU.
N° 9 - 11 février 2011 | 2
Tendances de l’innovation sociétale
Actualités
Impact Investing
L’offre de financement s’étoffe
Pour la première fois, deux entreprises sociales ont bouclé leur financement
grâce à Mission Markets, une plateforme de financement du social business
lancée l’été dernier aux États-Unis : Hotfrog LLC, média en ligne responsable et
Lumni Inc qui entend aider les étudiants à bas revenus à financer leurs études.
Forte de ce premier succès et face aux difficultés que traversent entrepreneurs et
investisseurs sociaux pour se rencontrer, Mission Markets entend s’imposer comme 
une place de marché de référence de l’impact investing, cette forme d’investissement
qui cherche à la fois retour financier et retour social sur investissement.
Le site – qui se rémunère uniquement sur les transactions – met en relation des
projets d’entreprises responsables, dûment sélectionnés, et des investisseurs
potentiels. Mais son atout réside surtout dans la mise en place de standards
d’évaluation de l’impact de l’activité, afin d’informer les investisseurs sur le
retour social de chaque entreprise (en plus des classiques indicateurs financiers).
Une information rare et cruciale pour le développement de ce que beaucoup
considèrent déjà comme une nouvelle classe d’actifs.
Si MissionMarkets s’adresse aux investisseurs “professionnels” – 25 000 $
d’investissement minimum – la plateforme 33needs, tout juste lancée, permet
cette fois aux particuliers de financer le capital d’amorçage des start-ups à
vocation sociale à coups de 10, 100, 1 000 $ ou plus… Plus qu’une “bourse
sociale” c’est ici le principe de crowdfunding (financement par la foule) qui est
mis en œuvre. Pour se financer, 33needs prélève 5 % des sommes investies dans
les projets, à condition que ceux-ci atteignent le financement nécessaire pour
voir le jour (15 000 à 20 000 dollars en moyenne). Les investisseurs récupèrent,
eux, le droit à un dividende financier sur les bénéfices réalisés pendant un
certain temps.
Ces deux initiatives rejoignent ainsi les quelques pionniers du secteur. Au RoyaumeUni, ClearlySo permet déjà à des investisseurs et à des entrepreneurs sociaux de
se rencontrer. Idem pour Nexii Global en Afrique du Sud. Et d’autres “bourses
sociales” ne devraient pas tarder à suivre, notamment celle qui devrait être
lancée en 2011, à l’initiative du Groupe SOS, en partenariat avec Nexii Global.
Crowdsourcing Le WWF et Sony
distinguent un “magazine responsable
dont vous êtes le héros”
Sony Europe et le WWF ont lancé en septembre dernier un grand concours
en ligne intitulé Open Planet Ideas. L’objectif : trouver une façon innovante,
ingénieuse et viable d’utiliser les technologies Sony existantes afin de résoudre
des problèmes environnementaux. Les internautes étaient invités à proposer leurs
idées ou à enrichir celles des autres à travers leurs commentaires. Ce nouvel appel
à l’innovation via le crowdsourcing a porté ses fruits : 400 projets ont été proposés.
Grand gagnant, le Greenbook a été sélectionné par les internautes et un
jury d’experts. Il s’agit d’un “magazine en ligne dont vous êtes le héros” qui
utilise les GPS, puces RFID et consoles PSP de Sony. Il diffuse des informations
environnementales, lesquelles sont censées déclencher une envie d’agir
chez le lecteur. Si c’est le cas, celui-ci peut accéder à plusieurs propositions
d’actions en rapport avec le sujet. La suite fonctionne comme une sorte de
jeu vidéo, avec plusieurs niveaux. Le premier consiste par exemple à acheter
des produits durables. Puis, cela se corse avec des petites actions bénévoles,
comme nettoyer un parc, avant de s’attaquer au niveau final qui consiste à
lancer son projet et négocier avec de grosses entreprises ou ONG…
Eau potable L’entreprise américaine
Hydration Technology ajoute une
innovation à la liste des solutions “eau”
mondiales : un petit sac plastique. Il suffit
de le remplir dans une flaque d’eau
ou un petit ruisseau pour qu’il génère
de l’eau potable. En une dizaine
d’heures, il filtre les bactéries et injecte
également dans l’eau des sucres et des
nutriments. L’ “HydroPack” pourrait,
lors de catastrophes, remplacer les
bouteilles d’eau, très contraignantes
à transporter. Selon l’entreprise, un
hélicoptère rempli de ces sacs fournirait
la même quantité d’eau que quinze
hélicoptères remplis de bouteilles.
Réseaux sociaux Pour répondre à la
coupure d’internet en Égypte, Twitter
et Saynow, une entreprise rachetée
par Google au début du mois, se
sont associées pour permettre aux
Égyptiens de s’exprimer en ligne grâce
à leur téléphone. Il leur suffit de dicter
vocalement un message à Saynow, un
service disponible par téléphone, qui
le retranscrit directement sur Twitter.
Ce système pourrait s’avérer très
utile également lors de catastrophes
naturelles, afin de rester connecté et
de diffuser certaines informations.
38
%, c’est l’ampleur de la chute
des profits de SKS, leader du
marché de la microfinance
en Inde, au 4e trimestre 2010 par rapport
à l’année précédente. Dans l’État de
l’Andhra Pradesh, où se trouvent plus
d’un quart de ses clients, le taux de
remboursement des microcrédits s’est
par ailleurs écroulé de 95 % à 43,6 %. Au
cœur de la polémique générale sur le
microcrédit, SKS est particulièrement
accusée de pousser ses clients au
surendettement et d’user de méthodes
de recouvrement abusives.
Textile
H & M lance sa première
collection de vêtements fabriqués
à partir d’invendus. L’an dernier,
l’entreprise suédoise avait fait l’objet
d’une polémique en détruisant les
stocks qu’elle n’avait pas réussi à
écouler. Cette nouvelle collection,
baptisée Waste (gaspillage),
comprend une dizaine de pièces issues
des invendus de la collection réalisée
en partenariat avec Lanvin.
N° 9 - 11 février 2011 | 3
Tendances de l’innovation sociétale
Actualités
Fraude Dans la tourmente médiatique,
le Fonds Mondial renforce ses contrôles
En 2010, un audit publié par l’Inspecteur Général du Fonds mondial de lutte
contre le sida, la tuberculose et le paludisme mettait à jour le détournement de
34 millions de dollars d’aide dans quatre pays africains. Fraude significative mais
aussi relative au regard du gigantisme du fonds : 1 % détourné sur les 3,5 milliards
de subsides audités (13 milliards d’aide versés depuis 2002). En comparaison,
le secteur associatif britannique verrait chaque année 1,3 milliard de livres
détournées, soit 2,4 % de ses revenus totaux (Annual Fraud Indicator 2011).
Le Fonds se serait vite saisi de l’affaire. Selon lui, 19 millions auraient déjà
été recouvrés et divers accords de subventions auraient été suspendus ou
résiliés. L’affaire serait peut-être passée inaperçue si l’Associated Press ne
l’avait récemment “redécouverte”, révélant par exemple que 67 % de l’aide
allouée à la lutte contre le Sida ont été détournés en Mauritanie. La tempête
devient inévitable. Articles assassins, analyses en tous genres, réponses du
Fonds, questionnements sur la contribution des marques au Fonds via le
programme (RED)…
Le débat ne reste pas philosophique. La Suède suspend – pour le moment –
sa contribution au Fonds. Suivie par l’Allemagne, troisième plus gros donateur
avec 200 millions de dollars par an. L’Irlande réfléchit à la possibilité de les imiter
tandis que les États-Unis haussent le ton. Pour apaiser les esprits, le Fonds Mondial
publie une liste de mesures destinée à améliorer les contrôles : renforcement des
instances locales et de l’attention face aux activités à “haut risque” (la formation
par exemple), mise en place d’un groupe d’experts pour revoir les procédures.
Dans la foulée, le Programme des Nations Unies pour le Développement
annonçait également des mesures anti-corruption sur le secteur de l’aide.
Indispensable puisqu’il n’achemine pas moins de 12 % des subventions du
Fonds dans des pays souvent instables.
Crowdfunding Le mécénat culturel aussi
“On l’a fait”. C’est le nom d’un site internet de mécénat culturel qui vient
de voir le jour en Grande-Bretagne. WeDidThis permet à tout un chacun de
participer financièrement à la mise en place de projets artistiques, même sans
disposer de gros moyens. Il est par exemple possible d’aider la Classical Opera
Company à enregistrer le premier opéra de Mozart, en lui donnant 5 ou 20 livres.
Si le projet obtient suffisamment d’argent pour voir le jour, les mécènes seront
récompensés en fonction du montant de leur don. Les plus petits donateurs
verront leur nom apparaître dans une liste de remerciements sur un site internet.
Pour 160 livres, ils recevront un CD de l’enregistrement, une série de photos et
des facilités pour assister aux représentations. En dépassant les 1 000 livres, ils
seront invités à une réception, recevront des dédicaces des musiciens et la
possibilité d’assister aux enregistrements.
58,4
M$. Record battu en 2010 pour eBay qui a généré 54,8 millions
de dollars de dons à des associations caritatives, soit 7 % de
plus qu’en 2009. Le site offre une multitude de façons de
donner. Il est par exemple possible pour les vendeurs de donner une partie de
leur recette à une ONG (650 000 objets bénéficient de ce système, repérable
par un petit ruban bleu et jaune). Les acheteurs peuvent aussi choisir une
organisation caritative à laquelle ils donnent automatiquement 1 dollar à
chaque achat effectué. Ebay a également fait appel aux stars pour récolter
des dons. Un dîner avec Warren Buffet a par exemple été vendu 2,6 millions
de dollars, reversés à la fondation Glide. En moyenne, un don a été fait toutes
les 24 secondes sur eBay.
Santé animale L’ONG FarmAfrica
d’aide aux agriculteurs africains va
ouvrir ces quatre prochaines années 150
cabinets vétérinaires, qui bénéficieront
à plus de 300 000 éleveurs kenyans.
Jusqu’ici, l’accès aux soins et aux vaccins
pour le bétail était difficile, souvent très
lent et les médicaments parfois périmés.
Ce nouveau projet, rendu possible grâce
à une dotation de 5 millions de dollars de
la fondation Gates, devrait améliorer la
situation, et permettre l’embauche de
vétérinaires locaux.
Campagne La dernière campagne
de Save the Children est axée sur
l’idée qu’ “aucun enfant n’est né
pour mourir”. “Et vous, pour quoi êtesvous nés ?” demande l’ONG, incitant
le public à user de ses talents pour
récolter de l’argent. Pour diffuser la
campagne, Save the Children mise
particulièrement sur les blogueurs, “nés
pour écrire”. Afin de les inspirer, elle
organisera un séminaire spécialement
conçu pour eux le 26 février. Au
programme : des formations et une
session sur le “pouvoir de l’écrit”.
68
 %. C’est la part de salariés
anglais qui préféreraient un
système opt-out de dons sur
salaire via les systèmes de paie, selon un
sondage Workplace Giving UK. Opt-out
où le choix de sortir d’un programme
de don appliqué systématiquement
plutôt qu’une approche volontariste de
souscription (opt-in). Depuis vingt ans,
de nombreuses entreprises anglaises
ont mis en place des systèmes de dons
sur paie à des ONG souvent choisies
par elles. Selon l’étude 64 % aimeraient
d’ailleurs pouvoir définir eux-mêmes à
quelle organisation l’argent sera donné.
Fondations L’Union des Constructeurs
Immobiliers de la Fédération Française
du Bâtiment (FFB) crée la Fondation pour
un Habitat Solidaire, en partenariat avec
Cimbéton, GrDF, l’Institut Technique de
l’Union des Constructeurs Immobiliers et
Vinci Construction France. L’objectif :
permettre aux plus démunis d’accéder
à un logement, voire à la propriété, et
lutter contre la précarité énergétique.
Pour cela, la fondation compte soutenir
des projets novateurs pour mettre à
disposition de nouveaux logements tout
en favorisant la mixité sociale.
N° 9 - 11 février 2011 | 4
Tendances de l’innovation sociétale
Melting pot
Idées Rat de bibliothèque et pauvreté
Comment mesurer la pauvreté ? Sortant de la statistique économique, Martin
Ravallion, directeur du groupe de recherche sur le développement de la
Banque Mondiale, s’est penché sur la statistique littéraire en publiant une étude
sur l’évolution des occurrences du terme “pauvreté” (en français et en anglais)
dans les livres digitalisés de Google Books, de 1700 à 2000.
Ses trouvailles ? Il existe sur cette période deux pics d’occurrence du mot. Le
premier se trouve à la fin du XVIIIe siècle. Après 40 ans de croissance en flèche, il
culmine juste avant les révolutions française et américaine. Ensuite, la fréquence
du mot décline lentement pendant près de deux siècles. Une période, selon Martin
Ravallion, où la pauvreté était considérée comme une fatalité et donc un non-sujet.
Vers 1960, la tendance s’inverse et les occurrences commencent à remonter.
C’est alors une société florissante qui “redécouvre” le concept. Révulsée, elle en
refait un sujet et discute des mesures à prendre. Des solutions que la littérature
attend toujours à en croire la montée vertigineuse des occurrences jusqu’à
2000, dernière année d’étude et second pic…
Reste à définir la “pauvreté”. Le sens derrière le mot a dû bien changer en
trois siècles. Il varie d’ailleurs selon les pays aujourd’hui, oscillant entre niveau
de revenu, pouvoir d’achat, précarité sociale ou exclusion. Si l’on se fixe sur
le seuil de pauvreté, la barre est à 50 % du revenu médian en France. L’Union
Européenne se base sur 60 %. La Banque mondiale a quant à elle fixé en 2008
le seuil de pauvreté international à 1,25 dollar US par jour. Autant dire que le
“pauvre” français, avec ses 733 euros mensuels n’a rien à voir avec celui qui doit
se contenter de 37,50 dollars par mois. Pour finir de brouiller les cartes, l’Inde a
décidé il y a quelques années de définir le seuil de pauvreté en fonction… du
nombre de calories par personne. Mais là, Google ne digère pas la différence.
LE LIVRE DE LA QUINZAINE
La révolution numérique offre 
des perspectives à l’Afrique
Un ouvrage publié en janvier apporte
un éclairage saisissant sur la façon dont
les technologies de l’information et
de la communication (TIC), comme la
téléphonie mobile, tentent de réduire les
inégalités en Afrique. Elles se déploient dans
le commerce électronique, la cyber-santé,
la cyber-agriculture et l’enseignement. Les
projets éclosent dans tout le continent,
promus par toutes les parties prenantes.
L’auteur, Jacques Bonjawo, dirige une
start-up de télémédecine au Cameroun.
Il a également présidé l’Université virtuelle
africaine. Il estime que la réussite de l’Inde
dans le numérique montre la voie. Facile à
lire, ce livre regorge d’initiatives concrètes
et insiste sur l’importance de l’éducation
et de la gouvernance comme facteurs de
succès et de soutien à la démocratie. Pour
en savoir plus, avant de vous plonger dans
la lecture de l’ouvrage, rendez-vous sur le
blog ONG-Entreprises, le choc des valeurs.
Révolution numérique dans les pays en
développement : l’exemple africain,
Dunod, 2011.
Revue de Web
Centenaire. La générosité prend-elle des
rides ? Forbes décrypte un article du New
York Times analysant la philanthropie, et
daté du 1er janvier… 1911. L’occasion de
voir ce qui, en un siècle, a changé dans
les pratiques des riches Américains. Pas
grand-chose en vérité, puisque la liste
des organisations favorites des grands
donateurs n’a quasiment pas changé.
Avec en tête l’université de Princetown,
en 1910 comme en 2010 ! L’éducation
en général a toujours fait partie de leurs
priorités, tout comme les organisations
religieuses et les hôpitaux. Quant à leurs
ONG préférées, elles non plus, n’ont
pas bougé avec en tête la Croix Rouge
et l’Armée du Salut. Les services à la
communauté et les organisations d’aide
aux minorités restent, elles, plutôt à l’écart.
Outre l’introduction des incitations fiscales
au don, la plus importante évolution
réside en fait dans le regard porté sur
la philanthropie. Là où en1911, on se
contentait d’applaudir les chèques
accumulant les zéros sans se poser de
question, en 2011 on s’interroge désormais
sur les motivations des donateurs et sur
l’usage fait de ces zéros…
Théologie. Débattre de l’existence
“réelle” de l’entreprise sociale revient à
discuter de celle de Dieu selon le blog
de Craig Dearden-Phillips, spécialiste
britannique du secteur social. Au final :
on y croit ou on n’y croit pas. Et même
parmi les croyants, le débat fait rage.
Entre les “catholiques” préférant “une
stricte interprétation des Écritures disant
que seules les structures qui ne sont pas
détenues par des capitaux privés ont
vraiment la foi”. Et les protestants qui
“ouvrent la porte à tous ceux qui croient
en l’idée d’un business à multiples buts
et que l’état d’esprit compte plus ce
que de vieux prêtres peuvent raconter”.
Kidnapping. Ronald McDonald a été
enlevé ! La Food liberation Army a
dérobé une de ses statues et, dans
une vidéo tournée façon preneurs
d’otages, exige des réponses à huit
questions. Pourquoi McDo refuse-t-il de
parler de ses méthodes de fabrication ?
Combien de tonnes de déchets non
recyclés sont produites chaque année ?
Ultimatum des ravisseurs : sans réponse
de l’entreprise avant le 11 février, le
célèbre clown sera “exécuté”.
NoFuture.org. Google a-t-il échoué à
révolutionner la philanthropie ? C’est la
conclusion vers laquelle tend le New York
Times qui revient, cinq ans plus tard, sur
la création de Google. org, la branche
caritative du géant américain. Très
ambitieux à l’origine, ce portail n’a, selon
le journal, rien réinventé. Si l’entreprise
affirme avoir atteint son objectif de
donner chaque année 1 % de ses
profits à des organisations caritatives,
Google. org resterait très centrée sur ellemême, développant principalement des
projets en rapport avec ses technologies.
Ecosexisme. “Le sexisme n’est pas
cool, même au nom de l’énergie
renouvelable”. C’est le titre d’un article
du site TriplePundit, s’élevant contre
la sortie d’un calendrier de pin-ups
posant devant des panneaux solaires…
L’article dénonce la classique utilisation
mercantile du corps des femmes mais
surtout, il souligne l’effet pervers d’une
telle campagne, qui ne semble cibler
que les hommes et exclure la possibilité
que les femmes soient des acheteuses
potentielles de panneaux solaires.
Contre-productif.
N° 9 - 11 février 2011 | 5
Tendances de l’innovation sociétale
À suivre…
En partenariat
avec
Agenda
VU SUR YOUPHIL.COM
15 au 18 février Salon des Énergies Renouvelables ENR 2011. Rendez-vous de la construction
durable et de l’énergie propre. Lieu Eurexpo Lyon.
16 et 17 février International Conference on Community and Complementary Currencies
2011. Lieu Lyon.
1er mars Les Mardis du Génie par L’Agence nouvelle des solidarités actives. En France
comme en Europe, les innovations sociales contribuent-elles à lutter contre la pauvreté ?
Lieu Au comptoir général à Paris.
23 au 24 mars Produrable, le salon des professionnels Développement durable et RSE.
Lieu CNIT Paris La Défense.
21 au 27 mars Climate week. Une semaine d’échanges et de débats autour du climat
organisée par la fondation GoodPlanet, la fondation Nicolas Hulot, le Réseau action
climat, la Société météorologique de France et le WWF.
Nominations
Jean-Michel Mépuis est nommé directeur
du développement durable de la Société
générale. Il sera en charge de la politique de
responsabilité sociale et environnementale
du groupe bancaire. Il succède à Philippe
Laget qui a quitté le Groupe.
Emmanuel Touzeau est nommé directeur
communication et responsabilité d’entreprise
du groupe AXA (prise de fonction le 1er avril
2011). Depuis 2003, il a notamment été en
charge de la relation avec les analystes, les
investisseurs et les agences de notations au
sein de la direction de la communication
financière, puis directeur des relations presse
(2008) et directeur de la communication
externe du groupe (2009).
Fabrice Heyries est nommé directeur des
affaires publiques, économiques et du
développement durable de Groupama.
Laurent Doublet est nommé directeur
international, économie sociale et
coordinateur santé prévoyance collectives
d’Allianz France.
V incent Godebout a été nommé
Responsable Insertion par l’Activité
Économique au Secours Catholique. Après
la création du département mécénat
et partenariats, il sera en charge du
développement du pole IAE.
Anne Coudrain est nommée directrice
de la Mission de l’Évaluation scientifique
de l’IRD. Hydrologue, chercheuse à l’École
nationale supérieure des mines de Paris puis
au CNRS, spécialiste des changements
hydrologiques et climatiques, Anne Coudrain
a publié plus d’une soixantaine d’articles
et dirigé ou co-encadré 14 thèses.
François Thierry, est élu à la présidence du
conseil d’administration de l’Agence BIO,
Groupement d’Intérêt Public dont les missions
sont de contribuer au développement et
à la promotion de l’agriculture biologique
française.
Mark Monroe est nommé directeur exécutif
de The Green Grid Association, consortium
d’entreprises du secteur informatique dont
la vocation est d’améliorer le rendement
énergétique des datacenters et des
écosystèmes informatiques professionnels.
Sylvie Smaniotto a rejoint le cabinet de
Marie-Luce Penchard, ministre de l’OutreMer, comme conseillère auprès de la
ministre, en charge des sujets de cohésion
sociale et d’égalité des chances.
Philippe Darmavan est nommé président
du Comité environnement du Medef.
Jean-Claude Detilleux a été nommé
président du directoire de l’Agence
régionale de développement Ile-de-France.
Il a débuté sa carrière à la direction du
Trésor en 1968 avant d’entrer à la Caisse
centrale du Crédit Coopératif en 1980. Il
en est devenu directeur général en 1982
et président-directeur général en 1992,
fonction qu’il a exercée jusqu’en 2007.
Thierry Bert est nommé délégué général
de l’Union sociale pour l’habitat. Il prendra
ses fonctions en mars.
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Merci d’envoyer un mail à [email protected] et vous recevrez cette lettre tous les
15 jours dans votre boîte mail. Cette offre inclut également des alertes mail en cas d’actualité
importante et la participation à deux événements professionnels dans la période.
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Au Sahel, l’aide internationale face à la
menace d’Aqmi
Au Mali, au Niger et en Mauritanie, AlQaida au Maghreb islamique menace
l’action de l’aide internationale. ONG,
associations et coopérations s’adaptent
comme elles le peuvent à la situation.
Les e-volontaires, avenir du volontariat ?
À l’occasion du lancement de l’année
européenne du volontariat et du
bénévolat, Youphil a interviewé Susana
Szabo, membre de l’Alliance European
Year Volunteering France.
Paroles de manifestants : “Je suis fier d’être
Égyptien”
Le temps d’un diaporama sonore, revivez
la manifestation de soutien au peuple
égyptien à Paris, le 5 février.
Volontaire, pourquoi pas moi ?
Si le volontariat séduit les Français, ils sont
encore peu à “passer à l’acte”. Une bonne
résolution à mettre en œuvre en 2011, à
l’occasion de l’année européenne du
volontariat et du bénévolat.
Quand business et lutte contre la pauvreté
vont de pair
Une voie existe entre le social et le business,
comme le prouve l’émergence d’un
marché “BoP”, qui désigne les “Base of
the Pyramid”, à savoir les clients pauvres.
Oscar Lalo, un prof derrière la caméra
À 45 ans, cet enseignant en droit a reçu le
prix du public “Huit-Le Temps Presse” pour
son premier court-métrage, Dimanche.
Le Forum social mondial de Dakar pour
les nuls
Les enjeux de ce rendez-vous social
incontournable.
À quoi servent les rapports d’activité des
ONG ?
Ces outils de communication sont
devenus indispensables pour séduire les
bailleurs.
Pour contacter la rédaction :  
[email protected]
Publication de YOUPHIL SAS, société au capital social de 163 200 €,
RCS : 504 747 668 (Paris) – siège social et abonnements 5 rue
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S y l v i e F e r n a n d e s , s f e r n a n d e s @ y o u p h i l . c o m 
Pour tout renseignement et s’abonner : [email protected], 
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N° 9 - 11 février 2011 | 6
EN PARTENARIAT AVEC
DOSSIER SPÉCIAL
PROTOCOLE BoP 2.0
Tendances de l’innovation sociétale | www.youphil.com
Édito “Le BoP atteint aujourd’hui un
Sommaire
De l’idée au Protocole 2.0 : le tour de
| 8-10
la question en 7 interrogations Entretien : Masterclass
avec Stuart Hart N° 9 – 11 février 2011
| 11-13
Initiatives Eau : les cas Grameen Veolia
| 14
Water et Suez Environnement Initiatives Énergies : Schneider Electric
| 15
mise sur le BipBop
Riche d’enseignements…
Ce dossier spécial de la Lettre des
Tendances de l’Innovation Sociétale fait
écho à la sortie en version française du
Protocole BoP 2.0 co-écrit par Stuart Hart
et Erik Simanis, de l’Université de Cornell.
Traduit – pour en faciliter l’appropriation
– par l’équipe de l’Institut de l’Innovation
et de l’Entrepreneuriat Social (IIES)
de l’ESSEC, ce protocole repense la
méthodologie visant à créer des marchés
à destination des plus pauvres, dans une
logique participative. Il a été présenté
le 7 février 2011 lors d’une conférence
organisée par l’IIES et IMS-Entreprendre
pour la Cité, en présence de Stuart Hart,
et intitulée “Quand business et lutte
contre la pauvreté vont de pair”.
Pour le parterre d’entreprises,
d’universitaires et d’étudiants, cette demijournée a été riche d’enseignements :
leçons du BoP 1.0 et ambitions du BoP
2.0, rôle des diverses parties prenantes,
logique de co-construction de marché,
enjeux environnementaux du BoP,
maturité des entreprises françaises
pour ces approches, rôle des ONG,
problématiques spécifiques au secteur
de l’eau, échecs, expérimentations et
succès…
C’est un long périple que certaines
entreprises et ONG ont voulu entreprendre
depuis quelques années, en faisant le
choix d’une démarche apprenante sur
le long terme. Youphil était le partenaire
média de cet événement et à cette
occasion a concocté un Numéro Spécial
que nous vous invitons à faire circuler
sans modération, pour contribuer à
faire connaître ces nouvelles approches
de réduction de la pauvreté… par le
business et avec les plus pauvres.
nouveau palier : faire du dialogue avec
les communautés le point de départ de
modèles économiques réinventés”
BoP, social business, inclusive business, entrepreneuriat social… Tous ces mots
reflètent une évolution majeure et un questionnement en profondeur des
business models des entreprises. Michael Porter lui-même, LA référence en
stratégie d’entreprise, s’en est récemment fait l’écho dans la Harvard Business
Review : “le temps est venu, écrit-il, de revoir nos modèles économiques pour
créer de la valeur partagée entre l’entreprise et la société”.
Les démarches adaptées aux clients pauvres – la Base de la Pyramide ou
BoP – rejoignent pleinement cette approche. Après avoir été perçu, un peu
trop rapidement, comme une simple adaptation de produits existants, après
avoir transité par une approche plus inclusive permettant aux communautés
les plus démunies d’accroître leurs revenus, le BoP atteint aujourd’hui un
nouveau palier : faire du dialogue avec ces communautés le point de départ
de modèles économiques réinventés. Et ainsi inscrire, au cœur de la logique
de marché, les préoccupations de réduction de la pauvreté.
Cette nouvelle étape, celle de la
participation, de la co-création de
L’enjeu est bien d’inscrire la
marché, pour et avec les clients
démarche
BoP au cœur de sa
pauvres, nécessite du temps. Celui
stratégie pour être pleinement
d’apprendre, de travailler ensemble,
dans la création  
de construire la confiance… Un temps
de
valeur
partagée.
qui en fait gagner in fine sur l’extension
de ces initiatives prometteuses tant pour
la société que pour les entreprises. Cette
étape offre aussi un gigantesque espace d’innovation économique et
sociétale aux entreprises. Un champ d’expérimentation sans précédent pour
tester de nouvelles façons d’opérer dans les marchés délaissés.
Les travaux emblématiques de Stuart Hart, professeur à la Cornell University,
à la tête d’un réseau de recherche international sur ce BoP de “seconde
génération” (BoP 2.0), l’ont mis en évidence : entre le pur social et le pur
business, une voie médiane existe, notamment celle de l’entrepreneuriat et
de l’intrapreneuriat social. Nous pensons que cette voie est le croisement,
hybride, des démarches de solidarité et des innovations métier. La question
reste de savoir où placer le curseur entre exigences économiques et attentes
sociétales. Quel temps se donner pour expérimenter et quel retour sur
investissement espérer ?
Que l’on se prévale d’un esprit “social business” ou “BoP”, que l’on opère au
Nord ou au Sud, l’enjeu est bien d’inscrire la démarche BoP au cœur de sa
stratégie pour être pleinement dans la création de valeur partagée. Face
à l’ampleur des besoins de la société, au contexte de crise et à la montée
de la précarité, cette question est plus que jamais d’actualité.
Thierry Sibieude,
Professeur directeur de
l’Institut de l’Innovation et de
l’Entrepreneuriat Social (IIES)  
à l’ESSEC
Henri de Reboul,
Délégué Général,  
IMS-Entreprendre  
pour la Cité
Olivia Verger-Lisicki,
Responsable Business
Inclusif, IMS-Entreprendre
pour la Cité
N° 9 - 11 février 2011 | 7
DOSSIER SPÉCIAL
PROTOCOLE BoP 2.0
Protocole 2.0
De l’idée de BoP au Protocole 2.0
Le tour de la question en 7 interrogations…
Qu’est ce que le BoP ?
Tout dépend du point de vue… Le
BoP c’est d’abord un regard social :
les quatre milliards de personnes en
situation de grande pauvreté, à la
base de la pyramide mondiale. Ces
quatre milliards de personnes, soit plus
de la moitié de l’humanité, vivent avec
moins de quelques dollars par jour et
ne consomment pas grand-chose. Elles
peuvent donc aussi être envisagées
comme une “cible” de consommateur
sous-investie. Par extension, le BoP
est donc aussi la manière dont une
entreprise peut répondre aux besoins
de ces consommateurs potentiels.
L’idée de ce marché “BoP” a été
lancée au tournant du millénaire par
le Professeur C.K. Prahalad, avec
le Professeur Stuart Hart, dans des
publications sur la “Fortune à la Base de
la Pyramide” en 2002 et 2004 (à noter
que l’expression initiale “bottom of the
pyramid” a été depuis remplacée par
le plus correct “base of the pyramid”).
Dossier Spécial
Est-ce bien raisonnable ?
Tout dépend à nouveau de la manière
dont on approche ces marchés. Le
BoP, tel que conçu par C.K. Prahalad et
Stuart Hart, est autant un outil de lutte
contre la pauvreté qu’une stratégie
de business. C’est la lutte contre les
inégalités par le marché. L’idée reste
indécente, ou à la limite de l’hérésie,
pour bon nombre d’entreprises et
d’acteurs de la société civile (“au début,
on nous a pris pour des fous, personne
ne voulait nous publier” raconte Stuart
Hart), notamment au regard de tous les
“dégâts” environnementaux et sociaux
causés par ailleurs par les entreprises.
Mais, inscrite dans l’élan général de la
responsabilité sociétale de l’entreprise
(RSE) ou de l’entrepreneuriat social,
elle a sans conteste fait beaucoup de
chemin en dix ans.
La participation des entreprises à la
réalisation des Objectifs du Millénaire
pour le Développement n’est plus
perçue comme une option mais
comme un impératif. Les Nations
Unies par exemple, promeuvent
largement l’entreprise inclusive, avec
une plateforme dédiée au PNUD :
Growing Inclusive Markets (voir
encadré page suivante). Du côté des
entreprises, le World Business Council for
Sustainable Development en a fait un
de ses premiers chevaux de bataille.
Aujourd’hui, la vraie question n’est plus
de savoir “si” mais “comment” le BoP
doit et peut être mis en œuvre.
Pourquoi un “Protocole” ?
Justement pour répondre à la
question du “comment”. Face aux
questionnements que posent les
premières expérimentations, Stuart Hart,
désormais accompagné du Professeur
Erik Simanis, publient un Protocole en
2005. Ce document cherche à poser un
cadre d’application et des processus
autour de ce concept de BoP qu’il faut
“manier avec prudence, car il peut être
dévoyé plutôt plus vite que d’autres
modèles”, reconnaît Thierry Sibieude,
Professeur directeur de l’Institut de
l’Innovation et de l’Entrepreneuriat
Social (IIES) à l’ESSEC.
Et un Protocole 2.0 ?
Dans la ruée sur le BoP, les entreprises
se contentent souvent de ne créer
que des extensions de gammes
“pour les pauvres” et oublient un peu
au passage la dimension sociale de
lutte contre la pauvreté. Les échecs et
errances du BoP 1.0 amènent Stuart Hart
et Erik Simanis à récidiver en 2008 en
proposant un nouveau protocole, dit 2.0
ou “nouvelle génération”. Ce nouveau
cadre insiste sur la nécessité de co-créer
des marchés en partenariat avec les
communautés à la base de la pyramide
dans une logique de “soutenabilité”
(sustainability) et de création de valeur
mutuelle. Pour y parvenir, le Protocole
guide les entreprises pas à pas dans la
refonte totale de leurs business models,
dans la mise en œuvre d’une logique
d’innovation libérée des systèmes
existants et désormais “socialement
encastrée” (embedded innovation).
Une innovation née à la base de la
pyramide pour en remonter vers le 
haut.
BoP 1.0
BoP 2.0
Une population BoP  
constituée de
consommateurs
Une population BoP
constituée de partenaires
commerciaux
Écoute approfondie
Dialogue approfondi
Réduction du niveau  
des prix
Développer la créativité
Adaptation du packaging
et extension du  
mode de distribution
Combiner les compétences,
construire un  
engagement commun
Des relations de proximité
avec la population par
l’intermédiaire des ONG
Des relations directes  
et interpersonnelles,
facilitées par les ONG
“Vendre aux
pauvres”
“Co-créer un
marché”
N° 9 - 11 février 2011 | 8
DOSSIER SPÉCIAL
PROTOCOLE BoP 2.0
Protocole 2.0 (suite)
Pourquoi une traduction française du Protocole ?
À l’origine de cette traduction, il y a une rencontre entre la chaire
d’Entrepreneuriat Social de l’ESSEC et les équipes de Stuart Hart à l’université
de Cornell en 2007, alors même que le Protocole 2.0 est en voie de finalisation.
“La philosophie et un certain nombre d’approches étaient cohérentes avec
nos travaux et avec l’entrepreneuriat social, se souvient Thierry Sibieude. Il s’agit
de répondre aux besoins des plus précaires, de faire un profit sans chercher
pour autant sa maximisation avant tout, de co-construire avec la société,
de générer de l’innovation sociale…”. Les deux équipes se rapprochent et
l’ESSEC-IIES portera ainsi naturellement le développement en France du BoP
Learning Lab, réseau mondial lancé par Stuart Hart afin de créer un espace
de partage d’expérience entre les entreprises.
Dans le cadre de la diffusion du concept entreprise par l’ESSEC-IIES, traduire
le Protocole semblait indispensable. “Même si le public concerné parle plutôt
convenablement l’anglais, affirme Thierry Sibieude, il nous a semblé que la
compréhension et les subtilités de ce champ d’innovation complexe seraient
mieux encouragées par une lecture en français. Par ailleurs, le français est
la langue de nombreux pays d’Afrique, intéressés au premier chef par ce
type d’approche. Enfin, le BoP relève de l’action combinée d’une multitude
d’acteurs, notamment publics et parapublics ou associatifs, ayant parfois
moins l’habitude de travailler en anglais”.
Qui peut se lancer dans le BoP 2.0 ?
Toutes les entreprises qui veulent survivre à la transition vers le Capitalisme 2.0
peuvent et doivent se lancer, pourrait répondre Stuart Hart, convaincu
que celles qui ne prendront pas en compte les besoins de la base de la
pyramide dans cette logique de co-création “ne seront plus là pour en
parler” d’ici quelques décennies. L’homme prêche certes pour sa paroisse
mais, renchérit Thierry Sibieude, “aucune entreprise, ne peut envisager de
rester durablement dans un pays où elle creuse les écarts. Le BoP, c’est une
question de pérennité.” Quant à la forme et à la taille de l’entreprise, si le
protocole semble parfois plus s’adresser aux multinationales qu’aux PME ou
aux entreprises sociales, chacun peut y trouver sa part de lignes directrices.
Stuart Hart revendique d’ailleurs un travail avec les plus grandes compagnies
autant qu’avec des start-ups.
Dossier Spécial
Le BoP, ça se passe où ?
De fait, la plupart des expérimentations et des projets menés se déroulent
dans les pays en développement, au Sud, là où l’ampleur des besoins et
l’urgence des solutions sont les plus criantes. L’Inde et le Bangladesh sont
ainsi parmi les premiers à avoir vu s’implémenter des stratégies BoP. Mais
la montée de la pauvreté au Nord amène de plus en plus d’entreprises à
s’interroger sur des expériences dans les pays développés.
En France, Emmaüs et SFR testent une offre de téléphonie sociale. Blédina
veut favoriser l’accès à ses produits pour les familles démunies (voir notre
Lettre N° 5). Mais les premiers pas sont hésitants. “Nous avons notamment
mis en place une recherche-action sur le sujet du BoP avec la MACIF autour
de Mantes-la-Jolie, explique ainsi Fabienne Riom, Responsable France du
BoP Learning Lab. Mais pour le moment nous avons plus de questions que de
réponses. Quels sont les besoins fondamentaux auxquels il faut répondre ?
Comment appliquer la notion de co-construction à la société française ?”.
Au Nord comme au Sud, il faudra donc prendre du temps. Celui de lever
les résistances à l’idée même de BoP, celui d’avancer prudemment, celui
d’innover. Et peut-être, pour commencer, celui d’assumer que la pauvreté
est une réalité urgente. Prendre le temps donc, mais pas trop.
INCLUSIVE BUSINESS 
L’autre vision du BoP
C’est la vision portée par les Nations
Unies, entre autres, celle d’une
entreprise “inclusive”, au service
de la lutte contre la pauvreté. Une
approche par la chaîne de valeurs
(ou chaîne d’approvisionnement).
Elle est définie par l’initiative
Growing Inclusive Markets (GIM) du
Programme des Nations Unies pour
le Développement (PNUD) comme
“cherchant à démontrer comment
le business peut significativement
contribuer au développement
humain en incluant les pauvres
dans les chaînes de valeurs en tant
que consommateurs, producteurs,
entrepreneurs ou salariés ”.
L’initiative recense ainsi des dizaines
de cas de quêtes simultanées de
profit et d’impact social menées
par des acteurs privés, des
entrepreneurs sociaux aux PME
locales, des grandes entreprises
nationales aux multinationales, des
entreprises publiques aux ONG.
Si le BoP et l’Inclusive Business se
rejoignent sur la nécessité d’une
implication des populations
défavorisées à tous les stades de
la chaîne de valeur, le BoP s’avère
in fine un peu plus drastique dans
sa conception de cette implication
en prônant la co-création plus que
l’inclusion, avec tout ce que cela
implique en terme de changement
de business model. Concernant le
champ d’application du principe,
le BoP s’avère également un brin
plus précis que l’Inclusive Business.
Les initiatives BoP visent à mettre
en place un produit ou un service
bénéficiant directement aux
communautés locales. Le statut
de consommateur est donc
au cœur de la définition. Une
entreprise qui n’opérerait contre
la pauvreté que via le statut de
“producteur”, “entrepreneur” ou
“salarié” ne rentrerait donc pas
dans le cadre du BoP mais dans
celui de l’Inclusive Business.
N° 9 - 11 février 2011 | 9
DOSSIER SPÉCIAL
PROTOCOLE BoP 2.0
Protocole 2.0 (suite)
Mettre en place un Protocole BoP 2.0
La mise en œuvre d’un protocole BoP comporte 3 phases, après un premier temps – appelé “processus amont” – qui
doit permettre à l’entreprise de s’approprier le contexte BoP local aux plans économique, culturel et social. Malgré le
schéma séquentiel proposé par le Protocole BoP, une entreprise peut choisir d’intégrer “la feuille de route” à la phase
qui lui convient en fonction de son historique et de ses liens avec les communautés BoP. (Simanis, Hart, 2005).
Processus amont
Se donner les moyens de mener
une stratégie BoP
Au départ, la sanctuarisation d’un
“espace vierge” (approche R & D )
dans l’entreprise multinationale permet
de créer un contexte propice au
développement du projet et de le doter
de ressources et compétences tout en
gardant une certaine indépendance
par rapport à la pression du business
de l’entreprise. Ensuite, viennent : la
sélection d’un endroit approprié pour
“nicher” le projet ; la constitution d’une
équipe pluridisciplinaire en amont qui
sera ensuite en partie ou totalement
intégrée dans l’entreprise BoP ; sa
formation au concept BoP et aux
méthodes participatives ; l’identification
et la sélection du ou des partenaires
dans la communauté locale.
Dossier Spécial
Phase I “OUVERTURE”
Mise en place d’une équipe
communautaire
la communauté locale : l’immersion
“chez l’habitant” participation à la vie
quotidienne, observation, entretiens,
ateliers participatifs, etc. ; la constitution
de l’Équipe Projet formée d’individus issus
de l’entreprise multinationale et de la
communauté locale ; la stimulation d’un
“entrepreneuriat collectif” pour mener
la réflexion sur l’idée de business ; la cocréation de l’idée de business “business
concept” capable de créer un marché.
Phase II “CONSTRUCTION
DE L’ÉCOSYSTÈME”
Du concept à l’opérationnel
L’objectif de la phase II est de construire
et tester un prototype du business. Cette
étape suppose : la transformation de
l’Équipe Projet en organisation formelle ;
la construction de l’engagement
commun de cette équipe autour du futur
business ; le développement de nouvelles
compétences dans cette équipe ; la cocréation d’un prototype du business et
son test auprès de la communauté.
Cette phase vise à établir des relations
de confiance et de collaboration
entre l’entreprise multinationale et la
communauté afin de créer un espace
commun de réflexion et d’organisation,
l’objectif final étant d’établir une
première idée commune de “business”
en réponse à des besoins et attentes
identifiées au sein de la communauté
BoP. Cette phase suppose : l’acculturation
et la création d’un dialogue avec
Cette synthèse des process couverts
par le protocole BoP 2.0 a été établie
par l’ESSEC-IIES dans le cadre de la
traduction du Protocole BoP 2.0.
Phase III “CRÉATION DE
L’ENTREPRISE BOP” sur le terrain
La phase III met en place l’entreprise
BoP en s’appuyant sur la demande
locale qui a été co-construite avec
la population. Les points clés sont : la
professionnalisation des membres de
l’Équipe qui acquiert les compétences
nécessaires à la gestion de l’entreprise ;
la documentation et codification des
connaissances acquises afin de les
institutionnaliser pour être en mesure
de former les nouvelles recrues ; le
maintien d’une grande flexibilité au
niveau de l’organisation de la structure
et du business model ; la sanctuarisation
du suivi du projet BoP pour garantir le
maintien de la cible BoP.
Enfin, la réplication (c’est-à-dire
développer le business dans d’autres
communautés) s’effectue, selon le principe
de “pollinisation”, via des ambassadeurs
qui adaptent le business model BoP à
chaque nouvelle zone géographique.
Phase 1
Ouverture
Phase 3
Phase 2
Création de
l’entreprise
Construction  
de l’Ecosystème
N° 9 - 11 février 2011 |10
DOSSIER SPÉCIAL
PROTOCOLE BoP 2.0
Entretien
BoP 2.0 Masterclass avec Stuart Hart
De la polémique et des expériences peu probantes des débuts du BoP…
à l’intégration progressive de l’idée de co-création de marchés avec la
Base de la Pyramide. De l’importance du “saut vert”… à celle de la notion
de profit. Cours magistral avec Stuart Hart, co-auteur du Protocole BoP 2.0.
Quand est née l’idée de se pencher
sur les marchés “à la Base de la
Pyramide” ?
C.K. Prahalad et moi avons commencé
à travailler sur le sujet dès 1998. À
l’époque, il y avait de nombreux
travaux en cours sur la pauvreté
et les entreprises, la microfinance,
l’entrepreneuriat social… Mais c’est,
je crois, notre travail qui a fait rentrer
cette idée dans les préoccupations
des entreprises. Cela n’a pas été
sans mal. Au départ, aucun éditeur
ne voulait de nos travaux ! Nous
n’avons publié notre premier article,
La Fortune à la Base de la Pyramide,
qu’en 2002. D’ailleurs, notre publication
devait initialement s’appeler “Élever
le bas de la pyramide”. Notre éditeur
avait souhaité changer le titre pour
donner du “cachet” à l’article, attirer
l’attention sur le sujet…
Dossier Spécial
Essai réussi ! Ce titre a en effet fait
couler beaucoup d’encre…
Entre cette idée de “fortune” et le
manque de résultats des premières
expérimentations menées par les
entreprises – je me souviens notamment
un article marquant sur l’Infortune à la
base de la Pyramide ! – les gens ont
effectivement fini par voir dans ce
titre une signification qu’il n’avait pas.
Mais sur le fond aussi, nous avons eu
du mal à convaincre. Les entreprises
pensaient que nous étions fous, les
ONG nous accusaient de promouvoir
une nouvelle forme d’impérialisme
économique, d’organiser la dernière
conspiration du business pour tirer parti
des plus démunis… Mais ce n’est pas
ça le BoP. Ou alors il faut le faire piquer
très vite !
Comment a progressé le BoP depuis
cette première publication ?
Nous sommes dans un processus
d’apprentissage. Chaque initiative
pour résoudre des problèmes en crée
de nouveaux. C’est une constante
inévitable de l’effort humain. L’objectif,
du point de vue de la soutenabilité, est
que les problèmes résolus soient plus
significatifs que ceux qui émergent.
En ce qui concerne le BoP, je pense,
j’espère, que nous sommes sur cette
voie. En dix ans, nous avons vu un élan
se former. Une des manières de le
mesurer est de voir le nombre de mots
inventés pour parler essentiellement
de la même chose : Sustainable
Livelihoods, Business Against Poverty,
Inclusive Markets, Hybrid Value Chains,
Social Business, Creative Capitalism…
Et du côté des entreprises ?
Tout comme la terminologie s’étoffe,
nous ne sommes pas non plus en
manque d’expérimentations chez
les entreprises. Je pourrais aligner
des dizaines de powerpoints avec
des logos de grandes compagnies,
relatant des expériences concentrées
sur cette idée de BoP. Mais pour être
honnête, je pense que le seul travail à
avoir fait ses preuves jusqu’à présent ne
vient pas tant des multinationales que
d’entreprises locales et de structures
non-profit. Les grandes entreprises n’ont
pas encore été capables de “cracker
le code”. C’est l’un de leurs grands
défis, c’est aussi l’une de leurs grandes
opportunités.
Pourquoi cet “échec” initial du BoP ?
Beaucoup d’expériences ont été
tirées par un mauvais postulat de
base. Assainissement, eau potable,
malnutrition, énergie, hébergement… Il y
a des dizaines de problèmes à résoudre
dans le monde. Une foultitude d’études
le prouve. Face à ces besoins évidents
et insatisfaits, donc face à ces marchés
encore inexploités, des entreprises
se sont dit : “saisissons-nous vite de
cette fortune qui dort à la base de la
pyramide” ! C’est ce qu’elles ont déduit
du titre de notre article. Ce n’était pas
un bon postulat de départ. Non pas qu’il
n’y ait pas des besoins à satisfaire, mais
il s’agit en réalité bien plus de créer des
marchés que de faire fortune sur des
marchés prêts à être saisis.
Professeur Stuart Hart
Auteur de l’article Beyond Greening :
Strategies for a Sustainable World,
gagnant du Prix McKinsey du
meilleur article de la Harvard
Business Review en 1997, Stuart
Hart a participé à l’émergence du
mouvement de la RSE.
Avec C.K. Prahalad, souvent
considéré comme le “père” du
BoP et prématurément décédé au
printemps 2010, il co-publie en 2002
l’article “The Fortune at the Bottom
of the Pyramid” (à l’époque la
terminologie – moins polémique –
de Base of the Pyramid, n’est pas
encore utilisée). Cette publication
est la première à formaliser l’idée
que le business peut à la fois
générer du profit et servir les besoins
des quatre milliards de personnes
défavorisées de la planète.
En 2005, Stuart Hart publie son bestseller Capitalism at the Crossroads. En
2008, il co-publie la seconde version
de son protocole BoP, Toward Next
Generation BoP Strategy, tout juste
traduite en français. Cette nouvelle
version de l’approche BoP est
également au cœur du récent livre
Next Generations Business Strategies
for the Base of the Pyramid, que
Stuart Hart a co-écrit.
Récompensé par de multiples
distinctions, Stuart Hart est professeur
à l’Université de Cornell et Président
fondateur de Enterprise for a
Sustainable World qui accompagne
les entreprises dans leurs stratégies
de soutenabilité.
Les grandes
entreprises n’ont pas
encore été capables de
“cracker le code”.
N° 9 - 11 février 2011 |11
DOSSIER SPÉCIAL
PROTOCOLE BoP 2.0
Entretien
(suite)
Quelques exemples de ces approches
peu probantes ?
Parmi les plus célèbres, on trouve
notamment le cas de Nike qui a voulu
lancer en Asie une chaussure de sport
pour les personnes à faibles revenus
vers la fin des années 90. La chaussure
a été dessinée, produite dans les usines
déjà en place, propulsée dans les
circuits de distribution existants… et
le projet s’est complètement écroulé.
Autre exemple notoire, Procter et
Gamble et son sachet de traitement
de l’eau PUR. L’entreprise a fait diverses
tentatives pour le lancer de manière
commerciale, mais a finalement
échoué. Le projet a fini par être transféré
à leur branche philanthropique sous
l’appellation The children safe water
program. Il y a encore le cas Wheel,
lancé dans les années 90. L’idée était
de distribuer des sachets de détergent
monodose, donc à bas prix. L’initiative
a connu un certain succès mais s’est
ensuite essoufflée…
Dossier Spécial
Pas franchement la fortune à la base
de la pyramide…
Non, pour ce qui est de ces modèles BoP
1.0. Ce qui sous-tend leur échec – outre
se baser sur un mauvais postulat –
c’est de s’être focalisés surtout sur le
business model, sur une innovation
"push" qui néglige la participation
des communautés locales. Rogner
les coûts en mettant son produit dans
des petits contenants. Étendre un
réseau de distribution existant à des
défavorisés. Ne s’allier à des ONG que
pour s’ouvrir une porte… Tout cela ne
porte pas les résultats espérés. C’est
même parfois contre-productif. Je ne
veux pas tout peindre en noir. Pour
une grande entreprise, ce résultat est
déjà un grand pas en avant. Mais il y
a une leçon à en tirer : l’innovation sur
le business model est nécessaire, mais
elle n’est pas suffisante.
Comment dépasser ce premier stade,
ce BoP 1.0. ?
C’est à cela que répond le protocole
2.0. en mettant en avant la participation
des communautés, la co-création
de marchés, l’innovation sociale
encastrée… Il ne s’agit pas de trouver
la fortune à la base de la pyramide mais
de la créer avec la base de la pyramide.
Pour cela les clés du succès sont de
s’engager avec les communautés
défavorisées dans une logique de
partenariat, de construire des relations
de long terme avec elles, d’être créatif
dans l’alliance des technologies de
l’entreprise et de leurs compétences…
pour faire émerger un modèle ex nihilo.
C’est le premier défi. Le second réside
dans la capacité des approches BoP à
être soutenables pour la planète.
En plus de l’impact social, l’impact
environnemental est donc au cœur
du BoP 2.0 ?
Comment penser autrement ? Du
fait de l’activité humaine, tous les
systèmes vivants de la planète sont
déjà en repli : les sols, le climat, les
écosystèmes forestiers ou aquatiques…
Dans les années 70, une formule simple
pour déterminer l’impact de l’activité
humaine sur l’environnement a été
établie : I = P x A x T. L’impact humain (I)
est égal à la population (P) multipliée
par le niveau de richesse (A) multiplié
par le niveau de technologie (T). La
population mondiale compterait
déjà 6,7 milliards d’humains. Trois
fois plus qu’il y a 60 ans. C’est déjà
phénoménal, mais ce chiffre pourrait
encore rapidement doubler, portant le
“P” de l’équation à un facteur deux.
Pour stabiliser la population, il faut
améliorer sa qualité de vie, notamment
l’éducation de femmes et des jeunes
filles, et créer une activité économique
sans précédent, particulièrement à la
base de la pyramide.
Et donc faire augmenter le facteur
richesse, le “A” de l’équation…
Le type de croissance dont nous avons
besoin pourrait effectivement porter
ce facteur à 5. Pas besoin d’être un
génie des mathématiques pour voir
qu’au final l’impact humain sur la
planète serait multiplié par 10… Une
option inenvisageable. Mal conduit,
le BoP pourrait générer un krach
environnemental global. Mais il pourrait
aussi être une source importante de
réduction de l’impact.
Comment le BoP peut-il réduire l’impact
humain ?
En jouant sur la technologie, le “T” de
l’équation, pour l’amener à diviser
l’impact plutôt que de le multiplier. Et
en poussant sa valeur à 10, 30, 50…
Il y a une opportunité incroyable
CAS D’ÉCOLE 
Chaud et froid sur le frigo…
Il y a cinq ans, le conglomérat indien
Godrej & Boyce veut tenter l’aventure
BoP. Son projet : un réfrigérateur à petit
prix mais à gros potentiel compte tenu
du sous-équipement de la population
et des bénéfices produit évidents sur
la santé, la nutrition… Appliquant les
techniques qui lui ont réussi sur d’autres
marchés,
Godrej mène
une enquête
marketing,
fixe un prix,
soumet la
production
à
cette
Photo : Godrej & Boyce
contrainte,
redirige une partie de sa force de
vente sur son frigo… et se lance.
“Ils avaient un produit – assez laid –
proche d’un réfrigérateur classique,
commente Stuart Hart, ils avaient un
bon prix et même des partenariats
avec des ONG… mais cela a été un
échec total”. La douche froide.
Syndrome BoP 1.0, en l’absence
d’un réel partenariat avec les
communautés, le frigo a tout
simplement loupé sa cible. “À son
crédit, l’entreprise n’a pas pour
autant renoncé”. Mais cette fois, elle
s’applique à co-construire son système
BoP avec les communautés.
Équipe de design participatif,
immersion dans les villages, réseau
de distribution appuyé sur les femmes
des communautés et espace ouvert
de créativité donnent finalement
naissance au ChotuKool, “petit frais”
en hindi. Ce petit réfrigérateur a des
allures de grande glacière rouge vif,
couleur choisie par les femmes pour
agrémenter leur intérieur, et est vendu
pour 69 $.
Outre son prix et son design, Chotukool
a d’autres atouts sur mesure. S’ouvrant
par le haut, il est muni de poignées
pour pouvoir être facilement déplacé
et utilisé par les vendeurs ambulants.
Il fonctionne sur batterie, peut résister
aux variations de tension comme aux
coupures de courant et garder des
aliments au frais pendant plusieurs
heures, sans alimentation. Il est
distribué par un réseau de femmes
issues des communautés. Testé, le
produit a reçu un accueil chaleureux.
Ne lui reste plus qu’à faire ses preuves
dans le défi de la duplication.
N° 9 - 11 février 2011 |12
DOSSIER SPÉCIAL
PROTOCOLE BoP 2.0
Entretien
(suite)
pour les technologies vertes dans
le BoP. Un véritable “saut vert”, ou
comment le BoP peut devenir la
plateforme à partir de laquelle nous
sautons vers une nouvelle génération
de technologies capables de rendre
le système soutenable. Réussir ce
“saut vert” n’est pas un problème de
marketing. Ni de technologie… Des
centaines de technologies dorment
déjà sur les étagères des entreprises
ou des universités. Réussir ce “saut
vert” est avant tout une question de
capacité à imaginer, à inventer des
modèles de business autour de ces
technologies. Ce qui marchera ne
ressemblera probablement à rien de
ce que nous connaissons.
Dossier Spécial
On en revient au fameux “espace
vierge” R & D souligné dans le protocole ?
Pour mettre en place et dupliquer
ces modèles à grande échelle, il
faut effectivement créer un espace
neutre, loin des systèmes habituels de
création de business. Les panneaux
solaires, les véhicules électriques
semblent par exemple être des produits
de niche et de “riches”, avec des
perspectives limitées. C’est d’ailleurs
l’une des raisons pour lesquelles bon
nombre d’entreprises du secteur n’ont
pas encore vraiment réussi. Mais ces
technologies peuvent parfaitement
être envisagées “à rebours”, via le BoP.
Cela demande de faire un bond vers le
bas de la pyramide. De laisser derrière
soi sa vision du business, des process
et des produits. Nos idées préconçues
nous bloquent. Nous vivons dans la
tyrannie des catégories de produits,
mais savons-nous vraiment à quoi
un panneau solaire ou une voiture
électrique peuvent ressembler ?
Comment faire émerger cet espace
débarrassé de préjugés ?
Il faut prendre le temps d’une réelle
co-construction. Créer les conditions
de l’émer gence d’une réel le
innovation socialement embarquée en
s’immergeant dans les communautés,
en s’alliant aux ONG. Il ne faut pas
concevoir un nouveau produit ou une
extension du business courant mais
fonder une entité dédiée pour faire
grandir les produits BoP. Cet espace doit
être protégé des réflexes et des données
usuelles, ce qui implique le soutien des
Présidents. Mais il doit aussi être conçu
comme un espace qui reste protégé
en cas de changement de Président !
“Classique” ou sociale, quelle entreprise
est la plus apte à mettre en œuvre le
changement ?
Le social business tel que conçu par
Muhammad Yunus est avant tout une
initiative pour servir les plus pauvres.
Différente de la philanthropie et des
programmes subventionnés par les
États, elle offre une troisième voie,
celle de l’entreprise, pour aider les
communautés défavorisées. Son
ambition est d’arriver à l’équilibre. Et
– si profit il y a – il est réinvesti. Dans
cette vision “social business”, toutes
les parties prenantes sont gagnantes…
sauf les investisseurs ! Ils récupèrent leur
mise et une récompense morale mais
pas de profit. Je ne pense pas qu’il y
ait suffisamment de capitaux prêts à
être investis dans cette approche pour
pouvoir développer des initiatives à
grande échelle…
Des entreprises comme Danone ou
Veolia ont pourtant mis en place des
social businesses avec la Grameen
Bank de Muhammad Yunus…
Je ne sais pas à quel point c’est
assumé mais je crois que quand une
entreprise comme celles-là lance
une joint-venture avec Grameen,
c’est simplement un laboratoire. Une
manière d’initier correctement le
programme, de s’allier pour trouver
un bon modèle, de s’assurer de la
valeur sociale créée. Ce n’est certes
pas une question de profit dans un
premier temps. Mais cette question
arrivera sur la table lorsqu’il s’agira de
changer d’échelle. Il n’est pas possible
de dupliquer largement de tels projets
s’ils ne génèrent pas de profit. Ou alors,
tout le senior management prend le
risque de se retrouver à la porte !
Le BoP 2.0 peut donc toujours générer
une certaine “fortune” ?
Certains pensent que “profit” est un
mot malsain. En l’occurrence, je ne
crois vraiment pas que ce soit le cas.
Même s’il y a des manières malsaines
de faire du profit. C’est très différent. Le
vrai défi à relever c’est d’être capable
de produire un profit “sain”, un profit
soutenable. De créer de la valeur pour
tous : la société, l’environnement… et
aussi les investisseurs.
TECHNOLOGIE 
L’écoulement vers le haut
Quand l’innovation du bas de la
pyramide remonte vers le haut…
C’est le phénomène de reverse
innovation ou trickle up (littéralement
écoulement ou infiltration vers le
haut). En économie, la théorie du
trickle up a été développée en
réponse à celle du trickle down qui
induisait que dans un marché libre la
richesse des plus nantis “arroserait”
naturellement les plus pauvres. Le
trickle up, proche du BoP, amène,
lui, l’idée que la société dans son
ensemble peu bénéficier d’une
amélioration de la vie des plus
pauvres. Côté technologie, cette
approche en flux du bas vers le haut
commence déjà à porter ses fruits.
En témoignent les échographes
et électrocardiogrammes portatifs
que GE a incubés et développés
pour le BoP en Inde ou en Chine
et qui sont aujourd’hui des gros
succès dans les pays du Nord. Autre
manifestation, chère à Stuart Hart,
“les chauffe-eau solaires à bas prix
développés en Chine par Tsinghua
Solar. Incubés dans les zones rurales
défavorisées, ils ont désormais investi
les zones urbaines et connaissent
un taux de croissance de 100 % par
an… Ce n’est qu’une question de
temps avant qu’ils ne conquièrent
la planète…”.
Photo : Un chauffe-eau solaire de Tsinghua Solar.
Réussir ce “saut
vert” est avant tout une
question de capacité à
imaginer.
N° 9 - 11 février 2011 |13
DOSSIER SPÉCIAL
PROTOCOLE BoP 2.0
Initiatives
EAU
L’eau, un droit fondamental
Alors que les Nations Unies ont reconnu l’accès à l’eau et à l’assainissement comme un droit fondamental fin
juillet 2010, près d’un milliard de personnes n’auraient toujours pas accès à l’eau potable dans le monde. Et plus
de 2,5 milliards de personnes à la base de la pyramide n’auraient pas non plus accès à l’assainissement. Dans un
contexte international de raréfaction de la ressource, des géants comme Veolia Water ou Suez Environnement tentent
d’apporter l’eau à tous, des mégapoles aux zones rurales reculées.
Zones rurales Grameen Veolia Water
aromatise son eau potable d’un soupçon
d’anthropologie
Dans les années 90, le Bangladesh découvre qu’une grande majorité de ses vastes
nappes phréatiques, et donc les millions de puits creusés dans les décennies
précédentes, sont naturellement contaminés à l’arsenic. Un drame de santé
publique : près de 30 millions de Bangladais auraient été empoisonnés, les cas
de cancers se multiplient. Pour lutter contre ce fléau, en 2008, Veolia Water et la
branche “santé” de la Grameen Bank de Muhammad Yunus, créent une jointventure. Le but : vendre de l’eau potable à un coût accessible aux populations
rurales. À Veolia la compétence technique, à Grameen celle du terrain et des
réseaux de distribution…
Dossier Spécial
Tout va très vite. Face à l’ampleur du besoin, l’activité est lancée dès l’été 2009
dans le village pilote de Goalmari. L’ambition est de pouvoir dupliquer le projet,
quitte à corriger le tir entre deux phases. Le système mis en place repose sur une
usine de traitement de l’eau, un réseau de distribution via des bornes-fontaines
tenues par des femmes et un système de jetons prépayés. L’eau est vendue 2,5
takas les dix litres (environ 2,5 cts d’euros, la moitié du prix d’une cigarette). Si tout
semble bien démarrer, assez rapidement, le projet est “confronté à des courants
complexes, explique Éric Lesueur, directeur de projet pour Veolia Water. L’accueil
de la population était plutôt favorable mais le volume des ventes ne suivait pas.
Nous sentions bien qu’une partie de la logique nous échappait, particulièrement
la complexité des rapports sociaux autour de la vente d’eau”.
La copie est donc révisée, et la nouvelle version ne repose plus uniquement sur
les perceptions de Grameen – qui n’est au final pas un expert des problématiques
d’eau – mais aussi sur les communautés. “Nous avions posé les premières bornesfontaines dans une logique d’ingénieurs… Nous avons mis les suivantes là où
la population nous a dit de les poser, dans des lieux de réunion par exemple”
commente Éric Lesueur. Le système de prépaiement est aussi modifié : des cartes
prennent le relais des jetons. Et l’écoute paie, la seconde partie du réseau multiplie
le ratio des ventes par cinq.
Pour encore mieux structurer sa compréhension des enjeux, Grameen Veolia
Water se tourne parallèlement vers les sciences humaines, en partenariat avec
l’ESSEC, et vers une recherche-action menée par une anthropologue. “L’étude
sera terminée en mars, mais les premières remontées sont déjà passionnantes,
note Éric Lesueur. Elles nous ont par exemple révélé qu’il y avait des malades
de l’arsenic dans la région, une centaine de personnes atteintes de cancers
de la peau mais cachées par leurs familles, totalement rejetées. De fait, notre
eau était perçue non pas comme un produit sain mais comme un médicament,
d’où la peur de se montrer en train d’en acheter, le risque de stigmatisation”.
Au-delà de cette délicate question, l’étude anthropologique aborde divers sujets :
les relations hommes/femmes, les liens avec les institutions locales, la perception
de la grande entreprise européenne… autant de remontées qui seront intégrées
à la suite du projet. En attendant que le système s’affine, Grameen Veolia Water
s’attaque à la rentabilité de sa “source” par un autre biais : la vente de l’eau de
Goalmari sur un marché classique. Embouteillée dans des bonbonnes plastiques
de 20 litres, elle sera vendue aux entreprises de Dhaka, la ville la plus proche. À
un prix dix fois supérieur.
SUEZ ENVIRONNEMENT
L’eau pour tous, un défi urbain
Buenos Aires. 12 millions d’habitants,
dont 20 % dans des quartiers pauvres
ou des bidonvilles, des zones non
cadastrées, sans existence juridique…
Comment apporter l’eau à tous dans
cette ville ? C’est à cette délicate
question qu’est confrontée Suez
Environnement quand l’entreprise
en remporte la concession “eau et
assainissement” en 1993. À partir de
1999, sa réponse s’incarne dans le
programme “Eau pour Tous”, reproduit
ensuite dans divers pays émergents.
Ce programme est avant tout fondé
sur un modèle participatif de gestion
des services d’eau, sur un modèle
tripartite entreprise – représentants
des communautés – municipalité. Ce
modèle est d’autant plus important
qu’il permet la diffusion de messages
d’hygiène et de bon usage du service
aux communautés. Il encourage
également leur développement
économique et social : formation,
création d’emplois directs et indirects.
Si le “modèle” existe, pas question
pour autant de le dupliquer bêtement.
“Buenos Aires, La Paz, Casablanca…
si l’on veut que le système participatif
fonctionne, il faut chaque fois partir
d’une démarche ‘bottom-up’ et coconstruire une solution sur mesure, sans
dogme ni pré- requis” soutient Alexandre
Brailowsky, directeur de l’Ingénierie
Sociétale chez Suez Environnement.
Gare également à ne pas sortir de son
rôle. “L’eau est un service essentiel,
la question de sa disponibilité ne
se pose pas : c’est un impératif.
Notre métier consiste à assumer une
fonction, la gestion du service d’eau
et d’assainissement, via le principe
de la délégation de service public.
Ce n’est pas une activité marchande
traditionnelle, il ne s’agit pas d’ouvrir
un marché mais d’assurer l’accès à un
droit fondamental. Dans ce contexte,
le ‘social business’ peut se révéler
dangereux en amenant à sortir de la
délégation pour aller vers une véritable
privatisation…”
N° 9 - 11 février 2011 |14
DOSSIER SPÉCIAL
PROTOCOLE BoP 2.0
Initiatives
ÉNERGIE
Des énergies propres et rentables pour éclairer le bas
de la pyramide
Un quart de la population mondiale a des problèmes d’accès à l’électricité, avec des conséquences lourdes sur le
développement économique mais aussi l’éducation (possibilité d’étudier le soir) ou de santé (dangerosité des installations
alternatives : charbon, fuel, bougie…). Comment fournir de l’électricité propre et sûre, mais aussi rentable donc pérenne,
à la base de la pyramide ? Du BipBop de Schneider Electric à l’initiative d’un village chinois, quelques solutions…
Interview
Schneider Electric mise sur le BipBop
Gilles Vermot-Desroches, directeur Développement Durable de Schneider
Electric, revient sur le programme Business Innovation & People at the Base of
the Pyramid, décliné dans une vingtaine de pays.
Comment est né le programme BipBop ?
À l’arrivée du Président Jean-Pascal Tricoire, il y a trois ans, la question s’est posée : en
tant que leader mondial des solutions de management de l’énergie, comment marquer
notre engagement auprès du milliard et demi de personnes privées d’électricité dans
le monde ? C’est ainsi qu’est né BipBop. Ce programme incarne notre rôle d’entreprise
partie prenante des Objectifs du Millénaire. Il s’inscrit également dans notre réflexion
globale sur les économies d’énergies. Enfin, il participe à l’esprit d’entreprise : fierté
d’appartenance, cohésion des équipes.
Qu’y a-t-il derrière le “Bip” de BipBop ?
Le “P” porte la dimension People : formations permettant à des jeunes d’avoir un
emploi, développement de compétences locales dans des pays sans écosystème
énergétique. Le “I” fait référence à l’Innovation, aux nouvelles solutions, impensables il
y a encore cinq ans, développées pour l’accès à l’électricité. Enfin, le “B” de Business,
montre que nous inscrivons ce programme dans notre activité ordinaire. Les solutions
développées pour le BoP pourraient très bien être étendues à d’autres usages. La
cohérence, c’est la dimension social business. BipBop, c’est par exemple l’installation
d’un réseau électrique dans un village isolé au Vietnam, avec l’objectif d’améliorer
le niveau de vie.
Dossier Spécial
Quelles sont les ressources allouées à ce projet ?
Vingt personnes sont mobilisées à temps plein à la direction de la stratégie et du
développement durable. Nous demandons aussi au Président de chaque pays d’inventer
un programme BipBop. Nous en avons ainsi lancé 21 en trois ans. Ce sont par ailleurs
les équipes locales qui montent les projets, des salariés de Schneider Electric qui ont
souvent eux-mêmes connu dans leur passé des conditions de vie sans électricité. Sur le
plan financier, il est très difficile d’évaluer le coût global. À lui seul, le volet "formation"
représente un investissement de 10 millions d’euros par an. C’est un projet important.
Jean-Pascal Tricoire, Président du directoire, lui-même, a dans ces critères CSR (15 %
de sa rémunération variable) d’évaluation annuelle un indicateur sur l’activité BipBop.
Quels projets BipBop vous semblent les plus exemplaires ?
La solution d’éclairage In-Diya – Prix de l’Innovation Citoyenne – lancée il y a un an
en Inde, est très intéressante. C’est un système d’éclairage écoénergétique pour
les populations sans électricité ou sans approvisionnement électrique fiable. Il a été
pensé pour éclairer entièrement une maison rurale typique indienne. Le modèle de
base coûte à peine 550 roupies, soit 8,50 €, la moitié des bénéfices du projet étant
réinvestie dans notre fondation indienne pour continuer à financer le programme.
Quels résultats et quelles perspectives pour ce projet ?
En un an, nous avons vendu environ 100 000 lampes, dont 20 % à des communautés
rurales et isolées. Après ce succès, nous sommes prêts à étendre In-Diya au-delà de
l’Inde. D’ici fin 2011, les lampes seront distribuées ailleurs en Asie du sud-est et en Afrique.
De nouveaux modèles seront développés, notamment une version portative, et les coûts
seront réduits. En Inde, d’ici 2012, nous offrirons une formation d’électricien à 4 000 jeunes
ayant abandonné leurs études, en partenariat avec différents partenaires, l’association
Aide et Action, le réseau Don Bosco. Nous aiderons aussi 300 nouveaux électriciens à lancer
leur affaire. Nous inventons dans ces démarches de nouveaux business modèles. C’est
aussi pour cela que nous sommes co-fondateurs de la Chaire Business et Pauvreté d’HEC
pour mieux réfléchir à ces pratiques et évaluer leurs contributions pour les clients pauvres.
CHINE
Yulitun prend son destin  
électrique en main
Le village de Yulitun, au centre de la
Chine, à peine desservi par une route
et bien loin des réseaux électriques,
n’a pas attendu le BoP Business et les
multinationales pour auto-entreprendre
dans le secteur énergétique. En 1992, le
chef du village mobilise ses 24 foyers afin
de créer une microstation hydroélectrique.
La communauté, qui vit sous le seuil de
pauvreté chinois, ne bénéficie d’aucune
assistance et doit s’organiser : chaque
foyer contribue mensuellement et les
villageois assurent la main-d’œuvre. En
un an, la somme nécessaire est réunie. Et
en un an et demi, la station est construite.
Gérée par deux villageois salariés, la
station fournit de l’électricité au village qui
est donc à la fois financeur, gestionnaire
et consommateur du système. Elle a
également permis la mise en place d’un
système hydrique : robinets d’eau claire,
système d’écoulement des eaux usées.
INDE
Des cosses de riz pour de  
l’électricité à grande échelle
Région de Bihar, en Inde. Une zone
particulièrement défavorisée où 85 % de
la population n’a pas accès à l’électricité.
Né dans la région, le fondateur de 
Husk Power Systems (HPS) cherche à y
apporter la lumière. Après avoir échoué
dans les solutions high-tech, en 2007, il
se tourne plus “basiquement” vers les
déchets de la culture du riz, seule véritable
filière agricole de la région, et met en
place un système de transformation des
enveloppes de grains de riz en énergie.
Trois ans et une soixantaine de mini-usines
électriques plus tard, HPS – notamment
soutenu par la Fondation Shell et
l’Acumen Fund – aura apporté une
électricité verte et économique à plus
de 25 000 foyers et créé 300 emplois. D’ici
dix ans, HPS ambitionne de s’étendre
dans une quinzaine de pays et de fournir
de l’électricité à 15 millions de personnes.
N° 9 - 11 février 2011 |15

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