A PROPOS DE SONG SONG SONG
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A PROPOS DE SONG SONG SONG
A PROPOS DE SONG SONG SONG C’est un album dont j’avais le profond désir depuis longtemps. J’ai toujours aimé défendre l’aspect cantabile de l’instrument piano au sein de l’idiome jazzistique, amour probablement hérité de mes écoutes répétées de grands interprètes “classiques” et des compositeurs européens joués par ceuxci. Il me semble également avoir beaucoup appris à l’écoute de voix afro-américaines en cherchant à les imiter sur mon instrument, d’une part en m’efforçant de saisir le rapport direct entre le corps et l’expression de la mélodie (tous les instruments où l’on ne souffle pas étant probablement ceux où l’effort est le plus grand pour retrouver ce naturel expressif de la voix), et d’autre part en essayant de comprendre le phrasé de ces voix, toute cette palette possible dans le fascinant placement rythmique d’une phrase chantée qui peut donner à celle-ci l’illusion divine de descendre en ligne directe des anges, ou à l’inverse lui conférer le rôle d’une bouffonnerie indigente. A ce propos la découverte il y a seulement une dizaine d’années de Joao Gilberto (merci Christian !) a été un vrai choc musical et m’a énormément éclairé et donné l’envie de travailler sur la matière malléable qu’est cette douce folie du rythme savant au service de la mélodie enfantine. Suite à cela l’écoute plus approfondie d’un certain nombre de vocalistes m’a nourri de cette matière et m’a fait entr’apercevoir cette intention si claire et si simple (simplicité au sens mozartien) du format chanson, parfois à l’opposé de la sophistication d’autres branches de la musique afro-américaine, sophistication elle aussi nourriture céleste mais dont j’ai parfois le besoin de m’éloigner momentanément. Blossom Dearie, Mel Tormé, Nat King Cole, Chet, Elis, Billie, Marvin Gaye, Stevie, Donny... ont été à cette période des voix parmi d’autres qui m’ont amené à repenser quelques partis pris. Je dois ma première expérience créatrice avec la chanson à Jean Fauque, dont la rencontre avec les textes fantasques et oniriques m’ont inspiré quelques musiques mises en chanson, quelques-unes utilisées pour son premier album interprété par lui-même, les autres un peu oubliées au fond d’un classeur. Franchir ce cap des mots, du littéraire, avait le goût d’un bonbon tout en fraicheur et fluidité, à mille lieux des inquiétudes inhérentes aux turpitudes créatrices du jazzman soucieux de l’éternel - et parfois illusoire - renouvellement personnel, quitte dans ces phases de composition parfois euphoriques à momentanément céder à un certain folklore pseudo-romantique de l’écriture (nocturne, enfumé et si possible bien millésimé...). Puis vint la rencontre avec Christophe Miossec, que je connaissais “de nom” comme il est coutume de dire, mais pas beaucoup plus. Au-delà du son “rock français” qui lui était assigné j’ai découvert un vrai poète, lumineux et brûlant, d’une douce et lucide cruauté, et de cette droite simplicité évoquée plus haut. Avec ce point commun malgré nos différences de pratiques musicales de vouloir toujours tenter la surprise, éviter ses propres redites et le parcours formaté. De cette belle rencontre sont nées un certain nombre de chansons, un concert à priori improbable et au final magnifique souvenir au Printemps de Bourges, ainsi que la découverte de la mer glacée brestoise en plein mois d’août. Pour certaines chansons les musiques ont été faites à partir du texte nu (c’est le cas du “Fantôme” ici présent, où Melody joue à merveille de ce phrasé évoqué plus haut), d’autres plus empiriquement en répétition informelle, dans un “work in progress” que ne renieraient pas les plus acharnés des “jazzeux” (c’est le cas des flots de Palavas). A l’inverse toutes les autres chansons ont été écrites - presque mot pour mot - textes à partir de mélodies instrumentales existantes. Petit à petit se dessinait donc pour moi la nécessité de confronter ma musique aux mots, au littéraire, non pas comme une volonté de faire table rase sur un passif musical mais juste comme une possibilité créatrice différente, souci d’expérimentation... (comme disait je ne sais plus quel acteur dans un interview entendu à la radio un jour : “On est artiste quand la vie ne suffit pas” ). Même si comparativement à la sophistication des musiques dites savantes l’aspect “miniature” d’une chanson est très agréable et plaisant à manipuler, et fait toucher du bout des doigts la sensation que doit avoir le peintre ou le sculpteur ( l’objet fini, par essence aux antipodes de l’acte d’improvisation dans le jazz ou autres musiques qui la pratiquent), la simplicité d’une chanson implique également une certaine difficulté au jazzmen pour manier une certaine forme de “raideur” au sens où une chanson est quelque chose de “fixe” où on ne peut plus changer grand-chose une fois que les choses sont établies, et ce challenge a été un moteur important pour moi dans la volonté d’aboutir ces formes de création nouvelles pour moi. La musique présente sur cet album est à mon sens une nouvelle étape dans mon parcours plus qu’une rupture, peut-être une façon de proposer une “face accessible” à un type de discours considéré à priori comme “pointu” plus que “populaire”. Dire des choses complexes avec des mots simples. Je souhaitais jouer aussi quelques reprises de chansons françaises (jouées purement instrumentales, chansons sans paroles) dont les mélodies soient suffisamment fortes pour créer un lien entre mon idiome habituel où le piano signifie la mélodie et ces nouvelles chansons, celles où la voix est présente, qui elles ne sont que des compositions originales. Sans que ce soit volontaire au départ, je me suis rendu compte petit à petit que le répertoire de cet album sonnait comme quelque chose d’assez international, passant des textes de Miossec à la noble exubérance brésilienne du chorinho de Mônica (sur une mélodie écrite dans l’avion au retour d’une tournée en Amérique du Sud !) en passant par la langoureuse rigueur anglo-saxonne de Jeanne, pour finir avec l’allemand sublimé chez Schubert – un de mes compositeurs les plus essentiels, de ceux sur lesquels j’ai toujours besoin de revenir en cas de doute sur ma propre vérité. De la même manière, les couleurs dans l’écriture musicale reflètent aussi mes différentes amours, afro-américaine bien sûr mais aussi sud- américaine (Minino !!!), française, pop anglaise, musique “classique” européenne... (en ce sens, s’agirait-il peut-être d’un album “world” ?). Cette “variété” (j’emploie le terme intentionnellement) de styles autant textuelle que musicale est tout à fait assumée et reflète non seulement l’imaginaire pluriel que la plupart des artistes d’aujourd’hui pratiquent naturellement dans leur palette qu’en toute honnêteté ma gourmandise envers différentes cultures, comme un plat méditerranéen de MEZZE qui proposerait toutes ces saveurs différentes et beaucoup plus excitantes dans leur complétude à mon goût qu’un traditionnel “entrée-plat-dessert”, et cette variété de paysages donc me ramène également à cette obsession de raconter non seulement une histoire mais un voyage (Schubert, encore...), celui qui vous apprend avec un peu de chances à savoir un peu mieux qui vous êtes avant de disparaitre. Quitte à ce que pour certains l’objet sonore approche parfois les frontières du non-identifiable, qualificatif qui n’est pas pour me déplaire... Mais si l’imagination est la faculté de produire des images, c’est alors presque un devoir de la part de l’artiste (notre “engagement” !) d’éviter le trop formaté tel qu’il nous est si souvent et tristement imposé de façon insupportablement péremptoire de nos jours (même si dieu merci certains artistes arrivent à rester magnifiquement créatifs au sein de ces formats). Format chanson donc, mais hors format ! Baptiste Trotignon