Un paravent de Kim Hong-do en France, Le
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Un paravent de Kim Hong-do en France, Le
Un paravent de Kim Hong-do en France, Le paravent du Musée Guimet, à Paris… Un paravent de Kim Hong-do en France, Le paravent du Musée Guimet, à Paris… Il arrive que les collections coréennes conservées en dehors de Corée, par les hasards de l’Histoire, puissent éclairer d’un jour nouveau ce qu’on peut savoir en Corée des peintres Coréens. C’est le cas des collections préservées en France, au musée Guimet, à Paris, avec deux paravents sur le thème des jeux et des saisons. Le premier fut rapporté non monté, en 1889, par Charles Varat, à l’issue de la mission qu’il avait effectuée en Corée un an auparavant, pour le compte du Ministère de l’instruction publique et des Beaux-Arts, avec l’aide de l’Ambassade de France à Séoul et du gouvernement coréen. Sa mission, 20 ans après les affrontements de Kanghwa-do, cherchait à définir la culture coréenne dans un contexte désormais pacifié, à l’issue du traité de paix et de commerce entre France et Corée, en 1886. Huit panneaux numérotés au revers déclinent le thème des jeux typiques de la vie coréenne et témoignent d’une conception d’ensemble où le peintre fait se succéder les groupes les plus divers de la société de la Corée Choson sur fond de changement régulier du temps et des saisons. Peints sur papier, ils s’inspirent visiblement d’un original sur soie. Or deux panneaux de ce type existent au Musée National de Corée, illustrant exactement deux des scènes du paravent conservé à Paris. Ils sont donnés comme étant l’œuvre d’un artiste anonyme. Un autre panneau existe en Corée dans une collection privée, et là aussi représente la même scène que l’un des panneaux du paravent rapporté par Varat, soit une troisième scène. Mais il porte cette fois un nom et un cachet, celui de Kim Yang-ki(1770-1842), le fils de Kim Hong-do. Par un curieux jeu de miroir, le paravent de Paris explique ainsi les deux peintures du Musée National de Corée, montrant l’ensemble où ils 23 국립민속박물관 한불수교120주년기념 / 120ème anniversaire des relations entre la France et la Corée s’intégraient très vraisemblablement, même si la clé finale pour ce qui est de l’attribution est donnée par la feuille d’une collection privée conservée à Séoul, la collection Min Byong-yu (le panneau est publié dans l’ouvrage de Yu Bok-ryol, Han’guk Huihwa tae gouan, Séoul, p. 707, n° 477). Le paravent parisien dans sa facture actuelle fait le lienen fait entre les miniatures diffusées par Kisan sur un mode quasi industriel – des miniatures qui recensent les us et les coutumes de la vie coréenne pour un public bien souvent étranger-, et le thème des scènes de genre telles ème siècle. qu’elles apparaissent au 18 Il souligne aussi l’existence de copies, des copies peut-être d’atelier, mais également des variations portant sur le même thème et qui sont le fait de l’artiste lui-même, le peintre déclinant la même scène sur des modes légèrement différents selon les circonstances et selon les époques. L’ensemble des huit panneaux rapportépar Varat a été remonté en 2001, à l’occasion de la rénovation du musée. Il l’a été en se fiant au modèle que suggérait le deuxième paravent conservé à Paris, sur un thème similaire, celui de Kim Hong-do. Ici, l’histoire est différente, plus passionnante encore. Le paravent entre dans les collections du musée à l’occasion d’un don de Mme Louis Marin en 1962 en souvenir de son mari, anthropologue et plusieurs fois ministre, qui avait fait, dans sa jeunesse, l’année 1901, le voyage de Paris jusqu’à Vladivostock, et de là à Séoul–où il reste quinze jours. C’est sans doute là que fut acquis le paravent, sans que les circonstances exactes de cette acquisition apparaissent précisées. Le paravent alors est monté à la coréenne selon le montage typique de la fin de Choson. Il représente des scènes de genre, des aperçus de la vie coréenne, l’ensemble étant organisé en modulant les thèmes en fonction des saisons. Il a un écho au Musée National de Corée où un paravent du même peintre reprend le même principe avec trois panneaux illustrant des scènes identiques à trois des scènes évoquées sur le paravent de Paris. Le paravent de Séoul est daté de 1778. Il porte sur chaque panneau une calligraphie du peintre Kang Se-hwang commentant chaque scène. Lors de 24 국립민속박물관 Un paravent de Kim Hong-do en France, Le paravent du Musée Guimet, à Paris… l’exposition de 1992 (Séoul, National Museum of Korea,Special Exhibition of Painting of Kim Hong-do) se succédaient ainsi, de gauche à droite 1. Le pavillon dans la campagne 2. Les moissons 3. Le gouverneur arrivant au village 4. 5. 6. 7. 8. Le cavalier dans la montagne Le cavalier à l’éventail Les voyageurs qui se croisent sur la route Le cavalier qui contemple la mer Les marchandes de poisson. Lors de l’exposition de 1995(Séoul, National Museum of Korea, The Art of Kim Hong-do, The Special Exhibition Catalogue commemorating his 250 th Anniversary), l’ordre apparaît différent en partie inversé entre les quatre premiers panneaux et les quatre derniers 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. Le cavalier à l’éventail Les voyageurs qui se croisent Les moissons Le cavalier dans la montagne Les marchandes de poissons Le cavalier qui contemple la mer Le pavillon dans la campagne L’arrivee du gouverneur. C’est l’ordre qui prévaut lors de l’exposition de 2002 au Musée National de Tokyo (Dynastic Heritage of Korea). Seuls deux panneaux n’ont pas bougé, le n°5 (Le cavalier à l’éventail) et le n°6(Les voyageurs qui se croisent sur la route). Ce sont deux des panneaux illustrant des scènes similaires sur le paravent de Séoul et celui de Paris. Le troisième (Le gouverneur arrivant au village) passe lui de la 3ème à la 4ème position dans le cas du paravent de Séoul, en suivant toujours un ordre allant de gauche 25 국립민속박물관 한불수교120주년기념 / 120ème anniversaire des relations entre la France et la Corée à droite.--- En 2002, lors de l’exposition qui se tient au Musée National de Tokyo (Dynastic Heritage of Korea), l’ordre à de nouveau changé: 1. Les marchandes de poissons 2. Le cavalier qui contemple la mer 3. Le pavillon dans la campagne 4. 5. 6. 7. 8. Le gouverneur arrivant au village Le cavalier à l’éventail Les voyageurs qui se croisent sur la route Les moissons Le cavalier dans la montagne. Entre la première présentation (celle de 1992) et la toute dernière (celle de 2002), seuls deux panneaux n’ont pas bougé, le n°5 (Le cavalier à l’éventail) et le n°6 (Les voyageurs qui se croisent sur la route). Ce sont deux des panneaux illustrant des scènes similaires sur le paravent de Séoul et celui de Paris. Le troisième (Le gouverneur arrivant au village) passe lui ème de la 3 à la 4 ème position dans le cas du paravent de Séoul, en suivant toujours un ordre allant de gauche à droite. A suivre les commentaires du peintre Kang Se-hwang (1713-1791), chaque panneau évoque une scène de la vie coréenne, une scène saisie au vol et croquée sur le vif, l’anecdote suggérant l’ambiance de la Corée Choson sur un mode poétique et légèrement caustique. Sur l’arrivée du gouverneur et les scribes à ses pieds, perdus dans leurs écrits, Kang Se-hwang s’étonne, faussement ingénuComment remplir ses tâches officielles et dire la justice quand l’esprit est embrumé d’alcool Sur le panneau au cavalier avec un éventail, il note, très légèrement perfideQu’est-ce qui fait ainsi tourner la tête à ce jeune homme, juché sur cette monture affreusement pitoyable? Quel charme trouve-t-il à la paysanne qui travaille dans le champ de coton Sur le troisième panneau enfin où les voyageurs se croisent sur la route, cette fois, il s’amuse franchementVoir le cavalier regarder d’un oeil fixe la femme de la campagne assise sur son bœuf, en oubliant de tirer sur ses rênes, un court instant ce spectacle me fait rire. 26 국립민속박물관 Un paravent de Kim Hong-do en France, Le paravent du Musée Guimet, à Paris… Le paravent de Paris dans son état initial montrait la succession suivante 1. 2. 3. 4. Le pique-nique sous la muraille Rencontre au pied de l’arbre mort Le cavalier à l’éventail Scène de musique et d’alcool 5. 6. 7. 8. Les voyageurs qui se croisent sur la route Saltimbanques au bord de la rivière Discussion dans une maison yangban Le gouverneur arrivant au village. Ce paravent ne portait pas de commentaire ou bien d’appréciation, simplement la signature du peintre Kim Hong-do, suggérant une commande du roi. A comparer les deux paravents en partant des mêmes scènes, celui de Paris parait plus abouti–une facture plus fine, beaucoup plus délicate qui évoque Shin Yun-bok (1758 -?) bien plus que Kim Hong-do (1745–1814). Les scènes sont aussi plus complètes et beaucoup plus fouillées sur l’exemple de Paris, plus complexes aussi et beaucoup plus savantes. Derrière les voyageurs qui se croisent sur la route, un paysage évoque la campagne et les villages au loin, créant une profondeur, une perspective presque à l’occidentale. Près du gouverneur arrivant au village, un personnage est rajouté sur l’exemple de Séoul qui fait défaut sur celui de Paris–un enfant qui se cache derrière le groupe des stèles et voit sans être vu. Pourtant, ici, la manière parait plus schématique et presque plus brutale l’effet est plus rapide sans l’effet vaporeux des toits de chaume des maisons du village, sans la délicatesse et l’extrême minutie du paysage qui se perd dans le fond, sans l’équilibre enfin de la composition dont témoigne le cavalier à l’éventail sur le paravent de Paris. Sur ce dernier panneau, le jeu des personnages, la pie sur le roseau créent une perspective presque photographique, alors que le même thème parait plus maladroit, décliné à Séoul. La pie qui apparaît à droite est dès lors une cigogne et se retrouve à gauche le personnage au fond qui 27 국립민속박물관 한불수교120주년기념 / 120ème anniversaire des relations entre la France et la Corée marche dans le lointain se trouve dès lors àdroite, et la composition change, perdant son équilibre. Même chose concernant les couleurs - délicates et nombreuses sur l’exemple de Paris, jouant volontiers des nuances et des effets pastel, quand l’exemple de Séoul se noie dans un camaïeu de bruns parfois difficilement lisible. A reprendre les différents panneaux, on est frappé par l’équilibre général du paravent conservé à Paris, si loin de la facture qu’on prête à Kim Hong-do, une facture souvent relativement rapide, enlevée, presque schématisée. Son goût pour la caricature, son sens de la chose vue, son réalisme volontiers populiste apparaissent pourtant bien visibles à voir les saltimbanques, le pique-nique sous la neige au pied de la montagne, mais l’élégance de la jeune fille qui s’en va sur le pont témoigne d’une délicatesse à laquelle son œuvre en général ne nous a guère habitué. De même, ce mélange d’emprunts à l’Occident ou encore au Japon comme cette perspective plongeante coupée par les nuages–tout cela parfaitement maîtrisé dans une composition savante par son naturel même et sa fluidité. Plus fort même, des thèmes comme celui des jardins presque à l’européenne sont inconnus ailleurs et semblent comme un écho des paysages chinois à la mode de l’Ouest. Ils apparaissent comme un témoignage de toute première main sur des modes disparues–comme le sont les inscriptions calligraphiées en caractères chinois à l’entrée des maisons, censées conjurer les événements néfastes. D’un côté, Sa bang mu il sa (Aux quatre orients, il ne se passe rien) de l’autre, Jeon ha thae pyong chun(bonheur et harmonie au printemps sur la terre). Le paravent conservé à Paris est réellement étonnant par la maîtrise avec laquelle l’artiste combine des traditions diverses, de façon harmonieuse, tout en les dépassant au point qu’on les ignore, tellement le peintre a su coréaniser l’ensemble en recréant un univers qui lui est personnel. Dans la scène du cavalier à l’éventail, deux plans en oblique se répondent, légèrement décalés, créant la profondeur, le personnage sur le pont, le cavalier qui passe en contre-point, la pie isolée au milieu des roseaux devient sujet en soi–un peu comme comme la pie de Monet en 28 국립민속박물관 Un paravent de Kim Hong-do en France, Le paravent du Musée Guimet, à Paris… hiver sur la neige - elle fait écho au groupe des paysannes au premier plan à gauche. L’ensemble curieusement par sa grâce aérienne et sa fluidité évoque ainsi, comme en écho, certaines des plus belles miniatures de l’école de Hérat, fascinées par la Chine (voir par exemple, la page du peintre Mohammadi, né en 1578, conservée au musée du Louvre, «scène de la vie rurale», où l’on retrouve cette légèreté et cette simplicité, ce jeu sur la nature avec en contrepoint la pie). Idem, sur le panneau des voyageurs qui se croisent sur la routeLa composition apparaît à Paris à la fois plus fluide et en même temps d’une complexité très savante. Dans cette scène qui n’est pas sans suggérer presque un côté biblique, une «fuite en Egypte» légèrement mystérieuse, un peu énigmatique, le premier plan ici apparaît plus logique, traité plus simplement par rapport à Séoul. Le voyageur sur son cheval blanc est flanqué par deux compagnons qui l’accompagnent à pied. Mais, derrière, en arrière-plan, on aperçoit un enfant dans les bois qui regarde la scène, sans qu’on puisse le voir, évoquant un thème très fréquemment repris dans l’œuvre de Kim Hong-do. Si le regard remonte, il croise un deuxième plan, plus éloigné encore, à la manière des décors de théatre, avec deux paysannes qui marchent dans la campagne, escortées de leur chien. Tout en haut du panneau enfin, se perdant au fond de l’horizon, se déploie dans le lointain, tout un paysage de campagne avec ses villages très nombreux, ses huttes ou bien ses pavillons semés parmi les champs. On est loin ici de la vision du panneau de Séoul sur le même sujet, qui lui adopte une perspective plongeante, quasiment opposée, schématisant la scène en deux plans simplement, le premier avec les voyageurs, le second avec un paysan qui pousse sa charrue, détail que l’on retrouve plus tard dans l’œuvre de Kim Hong-do, traité de façon isolée et cette fois pour lui-même. On retrouvera plus tard dans la série des scènes de la vie populaire diffusées par le peintre, le motif des voyageurs qui se croisent sur la route. Mais ceux-ci désormais se détachent sur un fond nu et vide, un fond de papier blanc, à la manière des estampes japonaises. De quand date le paravent dans l’œuvre de Kim Hong-doA voir les quelques pièces datées, il semble renvoyer au tout début de la carrière du 29 국립민속박물관 한불수교120주년기념 / 120ème anniversaire des relations entre la France et la Corée peintre marquée par son entrée à l’Académie de peinture à l’âge de 28 ans, en 1773. La manière est proche par sa minutie même d’un paysage situé aux environs de 1776 qui représente les archives Kyujanggak (Musée National de Corée). Elle est très différente en revanche comme on vient de le voir de celle du paravent de 1778, comme de celle d’un autre paravent célèbre de l’artiste, signé la même année, «réunion de lettrés dans le jardin de l’Ouest» (Musée National de Corée). Elle apparaît plus sage enfin que les œuvres des périodes plus tardives qui vont se simplifiant, l’une des plus fameuses étant celle du musée Ho-Am, «le son de l’automne», exécutée l’année 1805 - et ce, même si l’on peut concevoir aussi des manières différentes en fonction des sujets (voir le thème des immortels, daté 1776(Musée National de Corée) voir aussi le portrait de So Chik-su, daté 1796 réalisé avec Yi Myong-gi (Musée National de Corée également). On retrouvera plus tard dans la série des scènes de la vie populaire diffusées par le peintre, le motif des voyageurs qui se croisent sur la route. Mais ceux-ci désormais se détachent sur un fond nu et vide, un fond de papier blanc, à la manière des estampes japonaises. Le sentiment d’une date relativement ancienne dans la carrière du peintre du paravent conservé à Paris est confirmé d’ailleurs à voir l’histoire de son montage. Pour des raisons de bonne conservation, le paravent de Kim Hong-do avait du subir une restauration générale - Il était aussi demandé en prêt à l’époque pour l’exposition de 1995(même si la demande sera finalement annulée du côté de Séoul, au tout dernier moment, apparemment pour des questions de budget propres à l’exposition). Avant restauration, le paravent était scindé en deux – deux fois quatre panneaux, même si l’attache entre les deux parties apparaissait visible. L’idée était donc de retrouver la pièce dans son intégrité et de pouvoir la présenter dans toute son ampleur–Jusque-là, quatre panneaux simplement étaient exposés dans les salles, les quatre autres restant à l’abri des réserves pour des questions de place, mais aussi du fait de quelques éraflures et d’incidents mineurs sur un ou deux panneaux. Cette restauration entreprise avec le concours de la Korea Foundation s’est très vite néanmoins heurté à un problème technique, un problème de 30 국립민속박물관 Un paravent de Kim Hong-do en France, Le paravent du Musée Guimet, à Paris… structure interne des panneaux, obligeant d’envisager une opération beaucoup plus ambitieuse, plus délicate aussi. Le montage coréen avait joué et le châssis interne en bois relativement léger s’était définitivement faussé, risquant à plus ou moins court terme de transpercer la soie et donc les peintures. D’où la nécessité de déposer celles-ci, afin de régler la stabilité de l’ensemble et d’assurer la bonne tenue du châssis en interne. Ce travail a priori banal a permis cependant un certain nombre de découvertes auxquelles on ne s’attendait pas. La dépose des peintures elles - mêmes a obligé à retirer les bordures de papier et de soie qui délimitaient chaque panneau, révélant la fraîcheur des couleurs initiales non seulement des peintures mais aussi de la soie–le montage d’origine était d’un bleu léger, extrêmement élégant, tirant légèrement vers des teintes marines, à l’harmonie très douce. Les scènes peintes quant à elles se détachaient sur un fond clair et même quasiment blanc où jouaient des coloris pastels, très différents de la tonalité sourde qu’a pris l’ensemble usé par par la lumière, abîmé par le temps. Plus inattendu était le fait que le montage coréen typique de la fin de Choson en dissimulait un autre, les traces de celui-ci étant beaucoup plus proche de ce qu’on voit sur certains paravents japonais du 18ème siècle (au musée Nezu par exemple). Alors que le dernier montage montrait les peintures placées tout en haut des panneaux, le montage plus ancien les installaient plus bas–la bande de soie encadrant chaque peinture étant ici dès lors beaucoup plus large en haut qu’en bas de chaque peinture. Le papier de fond avait en effet gardé trace de ce premier montage. Il gardait trace aussi d’un remontage relativement rapide qui s’était fait non sans brutalité–le papier gardant encore des fragments de peinture qui étaient restés collés au moment de la première dépose. Or, en suivant ces quelques éléments, ainsi que l’impression de chaque peinture sur le papier de fond, restée en négatif comme en ombre chinoise, on s’apercevait par ailleurs que le remontage s’était en fait en miroir. En er suivant un ordre toujours de gauche à droite, le fond papier du 1 panneau 31 국립민속박물관 한불수교120주년기념 / 120ème anniversaire des relations entre la France et la Corée correspondait à la peinture du 8ème panneau le fond papier du 2ème ème panneau le fond papier du panneau correspondait à la peinture du 7 ème ème 3 panneau correspondait à la peinture du 6 panneau…le 1er panneau peint devenait ainsi le 8 ème le 2 ème , le 7 ème ème le 3 ème , le 6 etc. donnant l’ordre suivant 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. Le gouverneur arrivant au village. Discussion dans une maison yangban Saltimbanques au bord de la rivière Les voyageurs qui se croisent sur la route Scène de musique et d’alcool Le cavalier à l’éventail Rencontre au pied de l’arbre mort Le pique-nique sous la muraille ème La signature du peintre se retrouvait dès lors àdroite, sur le 8 panneau, à l’exemple du paravent de 1778, «rencontre des lettrés dans le jardin de l’Ouest». A l’issue de la restauration, le paravent a donc été remonté en suivant ces indications afin de retrouver l’état le plus ancien–les peintures étant remontées sur un châssis de bois, un châssis de bois plein, extrêmement léger, commandé tout exprès au Japon (tout en conservant en réserve le châssis d’origine) le montage fut étant réalisé avec du papier coréen et des soies analogues, achetées à Séoul–celles-ci étant délibérément délavées pour retrouver l’équilibre des couleurs du à la patine et à l’usure du temps. Une simple restauration avait donc permis de retrouver l’état originel du paravent tel que l’avait voulu le peintre Kim Hong-do, montrant le déroulé exact des panneaux selon le rythme des saisons, mais aussi selon une conception d’ensemble, une conception visuelle qui porte la marque de l’artiste. Les panneaux se déploient ainsi sur un mode harmonieux où les groupes se répondent, l’artiste jouant des lignes de fuite, des personnages qui s’avancent selon des axes bien souvent divergents, des groupes ou bien des scènes qui scandent le paravent, sur un rythme quasiment musical - un 32 국립민속박물관 Un paravent de Kim Hong-do en France, Le paravent du Musée Guimet, à Paris… rythme où le naturel et la fluidité s’appuient sur des schémas complexes à la composition soigneusement étudiée. Dans un article publié par la suite, le Professeur Chong Pyong-mo suggère pourtant un ordre différent. L’argumentaire s’appuie sur l’ordre des saisons qu’il voit différemment–L’arrivée du gouverneur symbolisant l’automne se retrouve ainsi beaucoup plus loin à droite, avant le cavalier à l’éventail et comme le paravent se doit de commencer au printemps, il débute à gauche, selon lui, avec la scène des saltimbanques, sur le premier panneau. Si l’interprétation n’est pas sans intérêt, il n’en reste pas moins que les faits sont têtus–Le gouverneur finit le paravent de Paris, à droite avant restauration il le commence à gauche, après restauration, si l’on se fie du moins aux traces encore parfaitement lisibles laissées par la dépose des huit panneaux de soie à l’occasion du premier remontage. Certes, on peut toujours arguer du fait que les monteurs n’auraient pas à l’origine respecté l’ordre initial du peintre… et se seraient «trompés» lors du premier montage… Mais l’argument en soi parait quelque peu surprenant… Curieusement, il existe une réplique du paravent de Paris au Musée National de Corée, une réplique peint sur papier dans des teintes assez vives–un peu sur le même mode que la copie du paravent rapporté par Varat, peut-être de Kim Yang-ki, évoqué au début même si le travail ici est beaucoup plus plus grossier. Si la facture apparaît simplifiée sur ce «duplicata», bien souvent synthétique, les scènes sont identiques, tout au moins en partie, et il s’agit visiblement d’une copie d’après l’original–une copie peut-être d’atelier par des peintres qui ont eu accès au modèle initial, ou du moins qui en avaient le souvenir. Quatre panneaux sont présentés en 2002 lors l’exposition du Musée National de Corée sur les scènes de genre(Séoul, National Museum of Korea, Genre Painting of Joseon Dynasty). Ils sont présentés selon l’ordre suivant: 1. Le pique-nique sous la muraille 2. Rencontre au pied de l’arbre mort 33 국립민속박물관 한불수교120주년기념 / 120ème anniversaire des relations entre la France et la Corée 3. Saltimbanques au bord de la rivière 4. Discussion dans une maison yangban. L’année suivante, en 2003, les huit panneaux sont publiés dans un ordre légèrement différent(Séoul, The National Center for Korean Traditional Performing Arts, Joseon Dynasty genre scenes of Music II(Source Materials for Korean Musicology, volume 38): 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. Saltimbanques au bord de la rivière Jeunes filles parmi les cerisiers en fleur Discussion dans une maison yangban Kisaeng et lettrés dans la montagne Le gouverneur arrivant au village Le cavalier à l’éventail Rencontre au pied de l’arbre mort Le pique-nique sous la muraille. L’ordre toutefois relève de l’hypothèse puisque les panneaux apparemment n’ont pas été montés… Ici, le dessin est schématique, bien souvent maladroit, pour ne pas dire très «approximatif», mais la fraîcheur des couleurs et leur harmonie même suggèrent l’état initial du paravent conservé à Paris. A ème ème l’exception de deux panneaux(le 2 ou bien le 4 ), l’ensemble reprend les mêmes scènes, quitte à dénaturer l’équilibre de la composition de départ, comme si le copiste avait travaillé en réalité de mémoire. Les deux panneaux «supplémentaires», ou plus exactement les deux panneaux nouveaux, brodent quant à eux sur un répertoire qu’on attribue le plus souvent au peintre Shin Yun-bok, celui des Kisaeng, du monde des courtisanes (jeunes filles parmi les cerisiers en fleurs, panneau n°2 Kisaeng et lettrés dans la montagne, panneau n°4). Cette quasi-réplique confirme donc la répétition du paravent de Paris et ce dès la période Choson–le paravent est connu il est même recopié il confirme aussi ce sentiment étrange qui voit s’estomper peu à peu les frontières entre les deux artistes parmi les plus célèbres, dans le domaine 34 국립민속박물관 Un paravent de Kim Hong-do en France, Le paravent du Musée Guimet, à Paris… des scènes de genre sur la vie coréenne, Kim Hong-do d’un côté et Shin Yun-bok de l’autre. Sur le paravent de Paris, la scène de musique au milieu du jardin montre en effet Kim Hong-do déclinant le répertoire typique de Shin Yun-bok, celui des Yangbans devisant sur fond de musique et d’alcool au milieu des kisaengs. Les femmes portent la lourde coiffure propre à l’époque Choson et apparaissent gracieuses, élégantes, d’une distinction toute aristocratique– même si l’une est saisie en grande conversation, à l’extérieur de la propriété, dans une attitude beaucoup plus détendue, nettement plus familière. La perspective plongeante qu’utilise le peintre permet de saisir le jardin dans sa totalité, les murs qui le bordent, les grues au pied de l’arbre, le plan d’eau à gauche avec ses canards ou encore la muraille de feuillage qui protège l’ensemble, àla manière des parcs d’Occident à la période classique. Le musicien ici joue de la flûte traversière, assis sur les nattes au tressage végétal, quand les autres l’écoutent plus ou moins distraitement à côté d’une bouteille d’alcool un autre musicien attend avec son kayagum. Sur un autre panneau, l’artiste reprend le même procédé–perspective plongeante sur une maison yangban, jouant dans une même vision l’extérieur de la propriété, la rue ou bien la cour comme l’intérieur de la maison elle-même. La toiture se dessine au milieu des nuages qui coupent le panneau en bandes horizontales selon la convention des peintres japonais, renforçant encore plus l’effet de profondeur–effet qui rappelle aussi la «tradition» selon laquelle le peintre se serait rendu dans l’archipel nippon lors d’une mission secrète. (Sans aller jusque-là, on peut rappeler qu’il est donnécomme originaire de la ville de Kimhae, une cité guère éloignée de celle de Pusan où les japonais sont particulièrement nombreux). Mais l’humanité qui est dépeinte ici est propre à la Corée Choson, yangban de rang modeste, au cadre plus austère, sans le brio de la société décrite précédemment. Tout pourtant est décrit avec une extrême précision–les matelas sur le lit, les chaussures à l’entrée, le chien qui surgit de la porte. Dans la rue, un 35 국립민속박물관 한불수교120주년기념 / 120ème anniversaire des relations entre la France et la Corée officier est vu avec une jeune beauté, quand la réunion se poursuit au sein de la maison–réalisme à la coréenne, empreint d’un très grand naturel, qui ne détonnerait guère dans une peinture à l’Ouest, avec un sens aigu de la composition, alternant les scènes animées et les plages de calme. Sur d’autres panneaux, Kim Hong-do a d’ailleurs mêlé délibérément les genres ou les ambiances avec maestriaAu pied d’un arbre mort, un groupe d’élégantes rencontrent un hobereau de province en costume d’hiver, quand la perspective plongeante permet au peintre d’évoquer au 1 er plan, en bas, une chaumière de campagne avec ses habitants. La scène près du pont montre encore mieux l’extraordinaire palette des styles de Kim Hong-do. Dans une même composition l’artiste mêle en effet une vue de la ville avec ses toits de tuile, la rivière ombragée par les saules, oùflottent des canards, la jeune fille qui s’en va en traversant le pont, dans une attitude pleine de grâce, emportant sur la tête le repas, alors qu’au 1er plan à droite un groupe de saltimbanques complètement déchaînés fascinent les badauds par leur danse effrénée, leur spectacle débridéau son des tambourins. Ici, Kim Hong-do s’amuse visiblement, laissant libre cours à son sens de l’humour, son goût pour la caricature et son sens du mouvement. Bruit, animation, exubérance quasiment frénétique font écho sur un seul panneau au caractère élégiaque de l’arrière-plan en haut, où là tout est harmonie, élégance et silence. D’un côté, dans les masques grotesques, un écho du peintre Sharaku, l’artiste japonais encore énigmatique, actif à Edo l’espace d’une année, en 1794 de l’autre une ambiance proche de celle de Shin Yun-bok dans la délicatesse d’une silhouette féminine, à peine entraperçue … Le pique-nique à droite au pied de la muraille montre là encore ce mélange des genres et l’éclectisme du peintre. Dans un cadre extrêmement poétique, un rendez-vous particulièrement animé est rendu avec drôlerie, un sens aigu de la situation, comme saisie sur le vif. L’artiste fait preuve ici d’un réalisme presque à l’occidentale dans le sens du détail extraordinairement précis, mais aussi dans la composition et dans la mise en page. Il est sur le même plan que la scène qu’il décrit, et la montagne au loin suggère la perspective. 36 국립민속박물관 Un paravent de Kim Hong-do en France, Le paravent du Musée Guimet, à Paris… Dans ce cadre serein, volontiers romantique, l’artiste se plait à jouer le décalage. Il croque avec une ironie joyeuse les protagonistes de cette réunion improvisée à la clarté lunaire, des protagonistes saisis dans une attitude familière, emportés par la passion de la conversation. La précision est telle qu’on reconnaît les éléments du dîner sans guère d’hésitation, de la petite table basse où les aliments sont posés jusqu’à la plaque chauffante qui sert de brasero et où l’on fait revenir les morceaux de la viande. A revoir l’ensemble des panneaux sur le paravent de Paris, le rapprochement de certaines scènes avec Shin Yun-bok n’empêche ainsi, en aucune manière, les contrastes les plus vifs, les plus inattendus, voire une verve caustique qui semble appartenir en propre au peintre Kim Hong-do. Celui-ci apparemment parait aussi à l’aise à décrire les Kisaeng ou les aristocrates que des milieux nettement plus modestes et il n’hésite pas à faire du petit peuple l’objet de ses tableaux avec humour, une ironie qui n’est jamais cruelle. En ce sens, il évoque un peintre comme Kim Tuk-sin (1754-1822) ou bien encore Yun Yong(1708-1770) et rappelle l’extraordinaire dynamisme de la peinture à la fin de Choson. L’époque voit la Corée s’intéresser au monde avec l’école Silhak, redécouvrant la Nature et ses traditions propres - renouvelant par là-même le style pictural en explorant des voies complètement nouvelles. Kim Hong-do s’inscrit dans ce courant, mais il s’en détache aussi par un modernisme qui ne laisse pas de surprendre, ce goût de la synthèse, l’élégance également avec laquelle il concilie les facettes les plus diverses de la vie coréenne. La multiplicitédes approches, dans le paravent de Paris, en est un bon exemple. Elle en fait aussi une œuvre singulière dans l’art de la Corée et le parcours du peintre, tant les panneaux révèlent l’extrême diversitédes registres du peintre dans un cadre qui emprunte aux traditions du style de la cour, l’artiste renouvelant ici la tradition académique, lui insufflant une nouvelle dimension par son jeu sur les compositions, son sens du réalisme. L’absence de tout commentaire portésur la peinture, le nom de Kim Hong-do, et non pas de Tanwon, ou encore de Sannung, suggère une œuvre réaliséesans doute pour le roi, au tout début de la carrière du peintre. 37 국립민속박물관 한불수교120주년기념 / 120ème anniversaire des relations entre la France et la Corée Il est normal qu’elle ait frappéun amateur français, conquis par le charme de la vie coréenne et par son art de vivre il est heureux aussi qu’elle ait pu être copiée en 2004, d’après l’original, pour le National Folk Museum of Korea, par un artiste comme M. Kim Bum-su - car elle résume à elle seule tout un monde et toute une esthétique. Elle éclaire en même temps d’un jour beaucoup plus nuancé, beaucoup plus riche aussi la peinture coréenne, montrant que celle-ci a su puiser dans son fond personnel(dont on avait un écho déjà dans les bannières bouddhiques sous la période choson), tout en intégrant des influences venues de l’étranger et en les dépassant - influences japonaises ou bien occidentales par le biais de Pékin, à l’occasion de ces échanges d’ambassades qui rythment les relations entre les trois pays (tout fonctionnaire sous la Corée Choson étant aussi lettré et par là-même artiste). Si Kim Hong-do fait partie quant à lui de cette demi - noblesse qui intègre l’Académie de peinture et appartient à cette classe des peintres professionnels au service du Ministère des Rites (Ryei tjo), il n’en participe moins à l’idéologie lettrée. Grâce à lui, cependant, celle-ci s’ouvre à des courants nouveaux avec cette attention portée aux choses de la vie quotidienne, cette sympathie pour la société coréenne dans ses composantes les plus variées, les plus vivantes et les plus familières, faisant de son œuvre un témoignage de toute première main sur la Corée Choson. L’artiste sait en effet en saisir le décor avec une rare intelligence, un sens surprenant des nuances, mais il sait aussi en retranscrire l’esprit, fait de vivacité, de naturel et de simplicité… et il le fait avec une vraie délicatesse de pincau et de coeur comme le montre le paravent conservé à Paris… Poésie, humour et sens de la chose vue se combinent ici avec un sens très abouti de la composition, une recherche sur l’espace et sur la profondeur, tout cela avec une maîtrise qui frappe par son naturel même et par son élégance, une aisance surprenante, révélant un artiste bien plus complexe qu’on ne le dit souvent. Kang Se-hwang d’ailleurs n’avait pas de mots assez forts pour faire l’éloge d’un peintre qu’il avait protégé tout au long de sa vie: « Il excelle 38 국립민속박물관 Un paravent de Kim Hong-do en France, Le paravent du Musée Guimet, à Paris… à peindre les gens et les coutumes de notre pays, un lettré à son bureau, des commerçants se rendant à la foire, des voyageurs, des fermiers, des femmes, des tisserandes qui travaillent la soie, des maisons aristocratiques, des montagnes déchiquetées, des arbres dans les champs… Tout est rendu avec une telle fidélité que rien ne dévie du modèle. Un tel talent est sans précédent.» P.C., Paris, 08.05.2006 39 국립민속박물관