Point de vue historique Un poil de dignité Les Parques, dans la

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Point de vue historique Un poil de dignité Les Parques, dans la
Point de vue historique
Un poil de dignité
Les Parques, dans la mythologie, décidaient de notre existence grâce à un
simple fil, et si, aujourd’hui, notre identité ne tenait qu’à un cheveu ? La
femme aurait les cheveux longs et l’homme une coupe courte, que pourrait,
selon les modes, accompagner une barbe virile. Ce cliché est peut-être
démenti aujourd’hui, mais il a justifié un rapport particulier à la chevelure :
entre érotisation et humiliation, le cheveu a été au centre des interrogations
du début du siècle dernier, jusqu’aux scènes de punition des « femmes
tondues de la libération ».
Garçon manqué, c’est souvent par ce terme que l’on a pu qualifier une personne de
sexe féminin portant les cheveux courts, comme si ces coupes étaient l’apanage des
hommes et qu’une femme se devait de posséder toujours de beaux et longs
cheveux. Petit à petit, nous acceptons que chacun puisse être libre d’exprimer son
identité personnelle à travers ses propres choix, sans que ceux-ci ne doivent
forcément signifier une quelconque appartenance sexuelle. Pourtant, le cheveu est
une partie du corps qui a souvent été fortement sexualisé. C’est pourquoi, j’entends
montrer la place qu’il a pu avoir dans les réflexions, principalement des deux derniers
siècles, sur son potentiel érotique et sur l’image sensuelle ou sexuelle à laquelle il
renvoie. Que ce soit à travers les premiers mouvements reconnus fétichistes, ou lors
des punitions, humiliations, qui ont suivi la libération, à la fin de la deuxième guerre
mondiale, le cheveu a été et reste au centre de nombreux questionnements et
agissements.
Suite aux publications médicales de la fin du XIXe siècle, le fétichisme devient un
objet de grandes considérations, tant médicales que sociales. Il fait l’objet d’un
certain nombre de catégorisations, parmi lesquelles, le fétichisme des cheveux.
Contrairement à d’autres fétichismes, celui-ci prend plus de place dans l’espace
public dans la mesure où les chevelures sont directement et plus facilement
accessibles. À la fin du XIXe siècle, des coupeurs de nattes sévissent, profitant de
l’essor des transports publics, entre autres. Certains hommes coupent les cheveux
des femmes afin de trouver dans le contact avec ces toisons la jouissance qu’ils ne
parviennent pas à trouver « simplement » [1]. Si ces cas relèvent plus d’une maladie,
la chevelure demeure un sujet d’intérêt, comme en témoigne le poème de
Baudelaire, La chevelure, véritable métaphore de la passion sexuelle [2].
De fait, le cheveu semble porteur d’une forte dimension sexuelle, et c’est à cette
dernière que souhaite s’attaquer ceux qui choisissent de punir des femmes en les
tondant. Pour Virgili, les tontes « sont une violence physique et symbolique, un acte
punitif » [3]. Mais il s’agit surtout d’une attaque portée contre les femmes. Même si le
cheveu ne distingue pas l’homme de la femme, contrairement à la barbe, les usages
de nos sociétés en font un point de différence. « Référence implicite aux poils
pubiens et à la distinction génitale entre les sexes, l’ambiguïté fait de la chevelure un
enjeu essentiel de l’apparence. » [3]. Virgili constate la récurrence du châtiment de la
tonte dans notre histoire, et ce principalement pour punir les femmes adultères. Si
d’autres punitions existent et que la tonte ne condamne pas toujours des vices
sexuels, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’humilier la femme, dans la plupart des
cas, pour condamner ses agissements [3].
C’est donc presque naturellement que ce châtiment est choisi pour punir les femmes
accusées de « collaboration horizontale » pendant l’occupation nazie. Si le
phénomène avait déjà été constaté après la Première Guerre mondiale, son ampleur
lors de la libération de 44 en fait un événement majeur de l’après-guerre. Sans que le
compte ne puisse être exact, c’est en tout cas 20’000 femmes qui subissent ces
humiliations publiques. Suspectées de s’être « données », volontairement ou non à
l’ennemi, il s’agit en s’en prenant à leurs corps « souillés » d’effacer l’atteinte faite à
la virilité d’une France qui doit déjà se relever de la capitulation « trop » rapide.
Qu’elles soient pratiquées par les résistants, contre celles qui ne les ont pas suivis,
ou par des foules de frustrés, il s’agit avant tout de rétablir l’honneur de la France et
ce, aux dépens de celui de ces individus. Ce faisant, les tondues sont tout d’abord
exposées à la vue de tous, et gardent longtemps la marque sur leurs visages de
cette humiliation, avec les conséquences sociales que l’on peut bien imaginer [3] [3’].
Si la chevelure conserve tout à fait son potentiel érotique, il n’en reste pas moins
qu’elle n’est plus aujourd’hui figée dans un cadre aussi strict que par le passé.
Chacun, et surtout chacune est libre de choisir sa coiffure, selon ses goûts
personnels, ou dans l’optique de plaire. Le cheveu court ou rasé n’est plus doublé du
caractère humiliant qu’il a pu revêtir. Que ce soit pour exprimer un ras-le-bol, comme
Britney Spears en 2007 [4], ou pour faire passer un message, le cheveu rasé devient
possible aujourd’hui pour les femmes. Le Huffingtonpost proposait même, l’an
dernier, un article sur les plus belles femmes aux cheveux rasées [5]. Si les coupes
rasées restent assez rares, les coupes courtes reviennent à la mode dans notre
société : une femme aux cheveux courts n’étant plus une femme punie, mais une
femme qui assume sa féminité en toutes circonstances. Chacun est libre d’avoir ses
préférences, les modes et les tendances jouant aussi un rôle, mais homme et femme
peuvent dorénavant exprimer leur identité, avec ou sans revendications personnelles
et sexuelles. Enfin, si la chevelure a fait l’objet de cet article, le rapport de l’homme à
la barbe et à l’idéal de virilité à laquelle celle-ci renvoie aurait pu faire l’objet d’un
même traitement. « Je pense que nous sommes à un moment où les hommes sont
en train de repenser ce que signifie être un homme, et la façon de se représenter ».
Dans son ouvrage qui questionne les périodes où la barbe a dominé, Christopher
Oldstone-Moore réfléchit aux raisons politiques, culturelles, sociales, voire
religieuses qui ont fait qu’épisodiquement la barbe ait été au centre des expressions
identitaires [6]. Ainsi, notre pilosité risque-t-elle de rester au coeur des attentions et
des modes pendant encore longtemps, à cette différence près que, désormais,
hommes et femmes semblent pouvoir partager des styles identiques sans que cela
vienne remettre en question leurs relations.
Alexis Jornod
[1] Voir entre autres Krafft-Ebing, http://psychanalyse-paris.com/1195-Le-fetichismedes-nattes-de.html
[2] https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Fleurs_du_mal/1868/La_Chevelure
[3] VIRGILI, Fabrice, La France « virile » : des femmes tondues à la Libération, Payot
et Rivages, Paris, 2000, p. 8, 230-234, entre autres.
FRANCOIS, Dominique, Femmes tondues : la diabolisation de la femme en 1944, Le
Coudray-Macouard : Cheminements, coll. « La guerre en mémoire », 2006.
[3’] Pour les fans de Game of thrones, ATTENTION SPOILER !!! On notera que
l’humiliation de Cersei Lannister correspond au même modèle, la tonte vient s’ajouter
à la nudité pour parfaire l’humiliation dans un dénuement total.
[4]
http://o.nouvelobs.com/people/20070219.OBS3150/la-boule-a-zero-de-britneyspears.html
[5]
http://quebec.huffingtonpost.ca/2015/06/11/femmes-cheveuxrases_n_7562614.html
[6] OLDSTONE-MOORE, Christopher, Of Beards and Men, the Revealing History of
Facial Hair, University of Chicago Press, 2015.