Elle est dans son âge, avec ses rides, son vécu, c`est comme ça qu

Transcription

Elle est dans son âge, avec ses rides, son vécu, c`est comme ça qu
Décalâge
Loin des clichés du petit jeune
vampirisé par une cougar,
trois hommes qui vivent avec
une femme plus âgée nous ont
raconté leur histoire
singulière… COMME TOUTES
LES HISTOIRES D’amour.
Par Isabelle Gravillon
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FemmeMajuscule ✽ m a r s - av r i l 2013 ✦ N o13
Les médias les appellent des « toy boys » ou des « lionceaux ». Drôle de
vocabulaire qui parle d’hommes-jouets, de bébés, en quelque sorte de
victimes sans défense. De qui ? Des fameuses cougars, ces femmes d’âge
mûr qu’on décrit le plus souvent comme des prédatrices aux appétits
sexuels dévorants et assoiffées de chair fraîche. Pourtant, c’est une réalité
tout autre et largement moins caricaturale que l’on découvre quand on
écoute ces hommes vivant avec des femmes plus âgées. Certes, cet écart
imprime des caractéristiques particulières à leur relation de couple.
Mais quel couple, quelle histoire d’amour n’a pas ses spécificités ? Ce qui
peut poser problème, ce ne sont pas les années qui les séparent mais plutôt le regard que la société porte sur eux. Un regard au mieux étonné, gêné,
mais aussi très souvent critique, voire égrillard. Pour nous aider à sortir
de ces clichés réducteurs, des hommes ont accepté de nous raconter leur
histoire. Un psychanalyste et une sociologue nous livrent également leur
analyse sur ces nouveaux couples, de plus en plus nombreux.
THOMAS JOUNANNEAU / SIGNATURES POUR FEMME MAJUSCULE
témoignageS
marc (47 ans)
en couple avec Élisabeth, 59 ans, depuis quatre ans
Je me suis marié une première
fois très jeune, à 18 ans. Quand
j’ai divorcé à 40 ans, j’ai fait
comme beaucoup d’hommes :
je suis sorti avec des femmes
plus jeunes que moi. Mais toutes
ces relations étaient vouées
à l’échec car tôt ou tard se posait
la question de l’enfant et j’étais
déterminé à ne plus en avoir
(j’ai une fille de mon premier
mariage). Par ailleurs, à ce
moment-là de ma vie, j’avais
envie de construire une relation
avec une femme ayant une
certaine maturité, la tête sur
les épaules, sachant ce qu’elle
voulait, qui soit mon égale
professionnellement et
intellectuellement. Elle s’est
« Elle est dans son âge,
avec ses rides, son vécu, c’est
comme ça qu’elle me plaît »
présentée à moi sous les traits
d’Élisabeth : elle est
pharmacienne dans la galerie
marchande où se trouve
l’hypermarché dans lequel je
travaille. Je suis moi-même
chef de rayon parfumerie. Quand
nous avons commencé à nous
fréquenter, elle avait 55 ans,
moi 43. Finalement, je revenais
à mes émois adolescents, quand
j’avais nettement tendance
à m’intéresser à des femmes
mûres ! C’est une très belle
femme, très sportive, mais elle ne
cherche pas à faire croire qu’elle
a 20 ans. Elle est totalement dans
son âge, avec ses rides, son vécu,
et c’est comme ça qu’elle me plaît.
Si un jour elle avait envie de
recourir à la chirurgie esthétique,
j’essayerais de l’en dissuader.
Avec elle, je me suis tout de suite
projeté dans une relation au long
cours, notre mariage en est la
preuve. Vieillir ensemble ne me
fait pas peur. Je pense seulement
qu’il faudra s’organiser pour
éviter que de gros décalages ne
s’installent entre nous : je suis
par exemple prêt à prendre
ma retraite plus tôt que prévu,
quitte à perdre un peu d’argent,
pour pouvoir m’arrêter en même
temps qu’elle et être dans
le même rythme de vie. Élisabeth
est déjà grand-mère, sa fille
aînée a un enfant. Cela ne me
gêne aucunement. La seule
chose que je ne veux pas : qu’on
m’appelle Papy. Je ne serai le
papy que de l’enfant de ma fille !
témoignages
ils ont choisi une femme plus agée
l’avis d’Alain Héril* psychanalyste et sexothérapeute
Et ces femmes qui forment un couple
avec des hommes plus jeunes, sont-elles
différentes des autres femmes ?
Ces hommes qui choisissent des amoureuses plus âgées ont-ils
un « profil » particulier, des attentes spécifiques ?
Évacuons tout d’abord une idée très répandue selon laquelle ils seraient
à la recherche inconsciente de l’image maternelle. Cet argument ne
peut tenir la route que s’il existe une différence très importante, d’au
moins 20 ans, de l’ordre d’une génération. Par ailleurs, tout homme,
quel que soit son âge et celui de sa compagne, peut être dans une quête
maternelle ; ce n’est pas spécifique aux hommes dont nous parlons.
À mon avis, c’est plutôt la maturité qu’ils semblent rechercher, à tout
point de vue. Ils espèrent que ces femmes de dix ou quinze ans leurs
aînées s’engageront dans la relation de manière plus posée, plus adulte,
plus constante et linéaire qu’une jeune fille. Ils veulent fuir les minauderies, les tergiversations, les comportements parfois un peu hystériques et inconstants. Probablement aussi qu’ils attendent une forme
d’expertise sexuelle, avec l’idée qu’une femme mûre aura derrière elle
un vécu lui ayant permis de lever certaines inhibitions. Enfin, il me
semble qu’ils apprécient chez ces femmes de 40 ou 50 ans le fait qu’elles
affirment leurs valeurs et leurs croyances, qu’elles se soient construites
au fil des ans un espace personnel solide et réfléchi. Côtoyer ces
femmes est pour eux une manière de grandir.
Une femme ne peut s’épanouir dans ce type de
relation que si elle accepte d’être dans une position d’initiatrice, de celle qui amène un homme
plus jeune dans un monde plus adulte, plus mature, plus posé. D’un autre côté aussi, elle trouve de nombreux bénéfices
à cette relation où elle peut puiser de la fougue, du dynamisme, une certaine légèreté. Une sorte de double accord s’installe entre les deux partenaires : elle lui apporte une assise, il lui apporte un grain de fantaisie !
Surtout, elle doit faire preuve d’un courage certain et d’une solidité à
toute épreuve pour accepter l’insécurité dans laquelle l’installe cette
relation avec un homme plus jeune, donc toujours susceptible un jour
de se tourner vers les femmes de son âge. Nul doute que cette relation
asymétrique l’amène en particulier à des questionnements plus aigus
que dans la configuration d’un couple conventionnel au moment de sa
ménopause. Tous les doutes autour de la métamorphose corporelle, des
capacités de séduction, de l’éventuelle baisse de libido vont en effet
prendre davantage de relief.
Pourquoi le regard de la société sur ces couples
est-il si souvent péjoratif, ne serait-ce que
dans l’utilisation de termes comme « cougar »
ou « toy boy » ?
Même si dans les faits il existe aujourd’hui toutes
sortes de configurations de couples, notre inconscient collectif reste pour l’instant bloqué sur
le schéma traditionnel qui a cours depuis des
siècles : un homme + une femme, à peu près du
même âge. Dès qu’un couple sort de cet archétype – sauf si c’est l’homme
qui est plus âgé, ce qui est plus facilement admis –, il provoque autour de
lui la gêne. Celle-ci peut se traduire par de vrais actes de rejet ou par une
tendance à la critique, la moquerie, la déconsidération. Ainsi, le regard
sociétal sur ces couples atypiques se résume très souvent au seul aspect
sexuel comme si on ne pouvait tolérer, ni même imaginer d’ailleurs, qu’un
vrai sentiment amoureux puisse exister malgré la différence d’âge, qu’un
vrai désir de bâtir un couple au long cours soit possible. Tant que ces
couples réunissant une femme mûre et un homme jeune ne concernaient
que les people, c’était d’une certaine manière plus acceptable. Aujourd’hui­que le phénomène touche de plus en plus souvent monsieur et
madame Tout-le-Monde, cela devient plus dérangeant. Mais il va bien
falloir que la société bouge et accepte ces nouveaux modèles de couples !
* Auteur de Femme épanouie, mieux dans son désir, mieux dans son plaisir, éd. Payot.
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FemmeMajuscule ✽ m a r s - av r i l 2013 ✦ N o13
patrick gherdoussi / DIVERGENCE IMAGES POUR FEMME MAJUSCULE
La femme
apporte
l’assise,
l’homme,
la fantaisie
Raymond (64 ans)
En couple avec Almut, 75 ans, depuis 30 ans
Quand j’ai rencontré Almut,
j’avais 30 ans, elle en avait 41.
Nous avions chacun des enfants
de notre côté. Nous travaillions
dans la même entreprise, j’étais
directeur commercial à l’export,
elle traductrice. Au départ,
ce sont surtout nos malheurs qui
nous ont rapprochés : son mari
était décédé d’une grave maladie,
je sortais d’un divorce
très éprouvant. Nous avons su
mutuellement nous comprendre
et nous soutenir. Du fait des
événements difficiles qu’elle avait
traversés, Almut avait beaucoup
de maturité et de force en elle :
cela la rendait plus consistante,
donc plus attirante à mes yeux
que nombre de femmes de mon
« Sa maturité et sa force
la rendaient à mes yeux
plus consistante
que les femmes de mon âge »
âge. Face à un tel cadeau de la vie,
je ne me suis franchement pas
posé la question de la différence
d’âge ! Quelle importance ? Mais
pour nos collègues de travail,
cela semblait en avoir : ils n’ont
pas hésité à faire courir des bruits
pour empêcher notre histoire.
Au fond, je crois qu’il y avait
beaucoup de jalousie de la part
de certains, plus âgés que moi
et furieux qu’un jeunot ait réussi
à susciter l’intérêt de cette
belle veuve qu’ils convoitaient.
Heureusement pour moi,
je gagnais très bien ma vie, sinon
ils m’auraient très certainement
taxé de profiteur. Les médisances
ont cessé devant notre
détermination à être heureux
ensemble… et c’est le cas depuis
30 ans ! Au quotidien, on ne
pense jamais à notre différence
d’âge. Almut est une femme très
sportive, très dynamique, nous
sommes sur un strict pied
d’égalité quant aux voyages et
aux activités que nous pratiquons
ensemble. Aujourd’hui, à 75 ans,
il est vrai qu’elle a plus de petits
soucis de santé que moi mais
elle les gère très bien. Parfois,
je me dis qu’elle partira peut-être
avant moi, ce serait la nature.
Si cela devait arriver, je ne
referais pas ma vie. J’aurais
déjà été très chanceux de toutes
ces années de bonheur.
témoignages
ils ont choisi une femme plus agée
L’avis de Christine Castelain-Meunier* sociologue
JEAN-MARC ARMANI / PICTURETANK POUR FEMME MAJUSCULE
Tout est
réuni pour
que le
phénomène
s’amplifie
stéphane (36 ans)
En couple avec Nathalie, 49 ans, depuis 13 ans
J’avais 23 ans et Nathalie 36
quand on s’est rencontrés
sur notre lieu de travail. Cela
n’a étonné personne dans mon
entourage que je tombe
amoureux d’une femme plus
âgée, c’était même une
évidence : depuis toujours,
on me disait que j’étais plus mûr
que mon âge ! Et c’est vrai
qu’à 23 ans, je trouvais peu
d’intérêt aux filles de 20 ans.
D’ailleurs, avant Nathalie,
je n’avais eu qu’une seule histoire.
À cette époque, j’étais déjà dans
la vie active depuis plusieurs
années. J’ai travaillé tout de suite
après le bac, je suis autodidacte.
Aujourd’hui, je suis chef
d’entreprise, Nathalie travaille
« Je ne me suis jamais senti
dans une position de petit
garçon par rapport à Nathalie »
avec moi en tant qu’assistante
comptabilité-gestion. Même le
fait qu’elle ait un enfant de 9 ans
au moment de notre rencontre
ne m’a pas arrêté ! Devenir
beau-père à 23 ans ne me faisait
pas peur. J’avais une petite sœur
de 20 ans de moins que moi
dont je m’étais beaucoup occupé,
j’avais l’habitude. Par contre,
je lui ai un peu mis la pression sur
la question des enfants. J’étais
sûr de moi, je savais que
je voulais faire un long bout
de chemin avec elle. Or je
n’envisageais pas ma vie sans
enfant et pour elle, l’horloge
biologique tournait : deux ans
après notre installation, nous
avons eu notre première fille,
puis la deuxième deux ans plus
tard. Je ne me suis jamais senti
dans une position de petit garçon
par rapport à Nathalie, même si
dans les débuts de notre relation,
elle avait une maturité que
je n’avais pas encore et donc la
capacité à m’aider dans ma vie
de tous les jours, ma psychologie,
ma façon d’aborder les choses.
Avec les années, cette différence
s’est atténuée. Nathalie va fêter
ses 50 ans dans deux mois et elle
le vit avec une certaine angoisse.
Sans doute à cause de ce chiffre
qui constitue une espèce de
barrière symbolique aux yeux
de beaucoup de gens. Pour moi,
ça ne change absolument rien.
Quant à la ménopause qui
se profile, je vois cela de manière
très positive, comme davantage
de liberté sexuelle.
Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
Ces couples unissant un homme jeune avec une femme plus âgée
constituent-ils réellement un phénomène nouveau ?
Le phénomène de la femme mûre initiant sexuellement un jeune
homme a toujours existé. Il est d’ailleurs très bien raconté dans le film
Louis, enfant roi [de Roger Planchon, 1993, ndlr] : on y voit le jeune Louis
XIV mis dans le lit d’une courtisane afin d’y apprendre la sexualité entre
des mains averties. Mais il faut savoir que la courtisane, une fois sa
tâche accomplie, devait impérativement disparaître de la cour afin que
l’adolescent ne s’attache pas à elle. On était dans le registre de l’éducation sexuelle, surtout pas de l’amour. Ce processus d’initiation sexuelle
du jouvenceau par une femme experte, au sens purement technique, a
été pendant longtemps un grand classique de la culture masculine. C’est
là que se situe la différence fondamentale avec les histoires que nous
évoquons aujourd’hui : désormais, il est aussi question d’amour et de
sentiments. Et il est fort probable que ce type d’union devienne de plus
en plus fréquent dans l’avenir.
Actuellement, beaucoup d’hommes se sentent
un peu en décalage par rapport aux femmes de
leur génération, se trouvent en porte-à-faux par
rapport à ce qu’elles attendent et exigent d’eux.
Face à des femmes qui souvent leur demandent tout et son contraire,
d’être à la fois virils et égalitaires, ils ne savent plus sur quel pied danser !
On comprend­finalement assez bien qu’ils puissent se tourner vers des
femmes plus matures. Celles-ci ont en effet tendance à compenser leur
âge, qu’elles vivent comme un handicap sur le marché de la séduction,
par plus de compréhension, de gentillesse et d’attention envers les
hommes. Et puis souvent, elles ont un vécu de couple(s) derrière elles
qui les conduit à s’inscrire moins dans la revendication abrupte et plus
dans la communication. Ces femmes ont connu des revers mais aussi
des événements magnifiques, tout cela leur donne une richesse intérieure que des jeunes filles n’ont pas encore eu l’occasion de construire :
cela peut séduire certains hommes. Ajoutons à cela que les femmes de
40 ou 50 ans aujourd’hui sont souvent très belles et très séduisantes,
qu’elles prennent énormément soin d’elles. Toutes les conditions sont
donc réunies pour que ce phénomène s’amplifie.
Si ces couples deviennent de plus en plus
nombreux, vont-ils réussir à faire sauter le tabou
qui pèse encore sur eux à l’heure actuelle ?
Ça n’est pas gagné. Ces couples dérangent car ils
transgressent un élément dont on sous-estime
sans doute la puissance symbolique : quand le
masculin et le féminin s’unissent, on attend de cette union qu’elle débouche sur la procréation. Qu’un couple puisse délibérément faire l’impasse sur la filiation, l’inscription dans une lignée, est vécu comme une
provocation. Or, très souvent, dans ces couples asymétriques en âge, la
femme n’est plus en âge de procréer ou n’en a plus envie si elle a déjà des
enfants d’unions précédentes. L’opprobre est d’autant plus important
que l’on observe actuellement une forte nostalgie pour la famille traditionnelle : ce modèle étant largement battu en brèche, une partie de la
société le pare de toutes les vertus et rejette tout ce qui n’y ressemble
pas. Mais il en faudra sans doute plus pour que ces hommes et ces
femmes renoncent. Car la transgression est toujours porteuse : quand
on ose l’originalité, quand on ose s’affranchir des normes et des pesanteurs, cela donne forcément des ailes ! ✦
* Auteure des Métamorphoses du masculin, Presses universitaires de France.
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