« Depuis les lois Jules Ferry de 1881
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« Depuis les lois Jules Ferry de 1881
UNIVERSITE de ROUEN U.F.R. de Psychologie, Sociologie et Sciences de l’Education MASTER de RECHERCHE en SCIENCES DE L’EDUCATION Elisabeth LEROUX LE SOCLE COMMUN DE CONNAISSANCES ET DE COMPETENCES Perceptions d’acteurs du système éducatif français sur ce dispositif Sous la direction de Monsieur Alain VERGNIOUX (Université de Caen) et Monsieur Henri-Michel FABRE (Université de Nantes) Octobre 2008 1 Remerciements Nos remerciements vont à Monsieur Vergnioux et à Monsieur Fabre, qui nous ont accompagnée et guidée tout au long de ce travail, avec patience et rigueur. Ils ont largement contribué à canaliser une pensée parfois « nomade ». Sans les apports de tous les interlocuteurs que nous avons sollicités (collègues enseignants, permanents des différents syndicats, inspecteurs de l’Education Nationale …), cette étude n’aurait pas pu voir le jour. Qu’ils soient ici remerciés pour leur disponibilité et leurs encouragements. Nous saluons également toutes les acteurs du bon fonctionnement de la plate-forme MARDIF1 : la qualité de la formation et l’extrême disponibilité de son secrétariat en particulier nous ont été, tout au long de ce cheminement, fort utiles et agréables. Enfin, un très grand merci à Charles, pour son soutien sans faille et à Elie, Anne, Claire, Siméon et Mathéo, qui ont peut-être un peu trop souvent vu leur maman « de dos », les yeux rivés sur l’écran… 1 Master de Recherche à Distance Francophone. 2 LE SOCLE COMMUN DE CONNAISSANCES ET DE COMPETENCES Perceptions d’acteurs du système éducatif français sur ce dispositif 3 Table des matières INTRODUCTION page 7 PREMIERE PARTIE : LA NOTION DE SAVOIR COMMUN ET SA GENESE 12 Chapitre 1 De Condorcet aux lois Ferry 13 A L’idéal condorcétien 13 B La loi Guizot du 28 Juin 1833 18 C L’œuvre de Ferdinand Buisson 23 D Les lois Ferry de 1881 et 1882 26 E Synthèse : des idéaux aux doutes 31 Chapitre 2 La fin du 20ème siècle et le début du 3ème millénaire 32 A Le contexte 33 B Les nouveaux textes fondateurs 37 a) Le rapport Meirieu 38 b) Le rapport Dubet : « le collège de l’an 2000 » 41 c) Le rapport Thélot 43 Chapitre 3 Le Socle Commun de Connaissances et de Compétences 44 A Le concept 44 B Le contexte 45 a) En termes d’enjeux économiques 45 b) En termes de défis sociaux à relever 48 c) En termes de représentations de l’Ecole 49 C La réorganisation proposée 51 D La redéfinition des contenus 52 Conclusion de la première partie 53 4 DEUXIEME PARTIE : COMMENT EST REÇU LE SOCLE COMMUN Chapitre 4 Méthodologie A Hypothèses de lecture 56 B Les choix opérés 57 C Les obstacles 59 D Les options retenues 61 E Les acteurs 61 Chapitre 5 Les syndicats enseignants 61 A Bref panorama historique 61 B Les syndicats d’enseignants aujourd’hui 65 a) SE-UNSA 65 b) SGEN-CFDT 66 c) SNUDI-FO 67 d) SNUIPP 68 e) SUD-Education 68 C Les convergences en faveur du SCCC 69 a) La démocratie : un enjeu majeur 71 b) L’approche par les compétences : une orientation à ne pas manquer 73 c) Une base pour un renouveau de l’Ecole 75 d) Un niveau d’exigence élevé 76 e) Une passerelle entre l’école élémentaire et le collège 77 f) L’obligation d’une évaluation renouvelée 78 g) Une indispensable refondation du métier d’enseignant 80 h) Un soutien marqué d’espoir et de doute 82 D Les convergences contre le SCCC 83 a) Un abaissement des exigences 84 b) Un dispositif qui va à l’encontre de ses objectifs 86 5 c) Une rhétorique qui interroge 86 d) Une atteinte à des valeurs fondamentales 87 e) Une sujétion à la suprématie de l’économie 88 f) Une critique qui va bien au-delà de l’aspect scolaire 91 E Synthèse des arguments qui fondent les divergences 92 Chapitre 6 Les Cahiers Pédagogiques 93 A Historique 94 B Des textes-clés et une ligne directrice 95 C Le SCCC : des réussites marquées 97 D Le SCCC : des réserves 102 E Le SCCC : des oppositions 105 F Synthèse des arguments pédagogiques 107 CONCLUSION 108 Confrontation entre les représentations politiques et les représentations pédagogiques à propos du SCCC 109 Retour sur les hypothèses 110 Limites de l’étude 116 Synthèse générale 118 ANNEXES 127 Bibliographie 128 Textes législatifs 133 Questionnaire envoyé aux enseignants 159 6 INTRODUCTION 7 « Depuis les lois Jules Ferry de 1881-1882 rendant l’École publique laïque, gratuite et obligatoire, les évolutions majeures de notre système éducatif ont toujours été marquées par de grands textes législatifs. Présentées par le Gouvernement et votées par le Parlement tous les dix à quinze ans, ces lois sont des étapes décisives pour les orientations de l’École de la République, d’où leur titre de lois d’orientation. La dernière grande loi d’orientation sur l’École date de juillet 1989. Depuis quinze ans, la société française a considérablement évolué, certains des objectifs de la loi de 1989 n’ont pas été atteints, les résultats de l’École ne progressent plus et reculent dans certains domaines. Le sens même de la mission éducative doit être redéfini pour le 21ème siècle. C’est pourquoi, Jacques Chirac, président de la République, s’est engagé à renouveler le contrat entre la Nation et son École. Le grand débat national sur l’avenir de l’École, mené sur plus d’un an en 2003-2004, a contribué à préparer cette ambition pour l’École de demain. Sur cette base, le gouvernement a préparé une nouvelle loi d’orientation, réactualisant celle de 1989 en relevant deux défis majeurs : celui de la qualité et celui de la justice2. » Ainsi est officiellement dressé le cadre de la loi d’orientation de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 et configuré sa double finalité. En effet, si l’on a assisté, tout au long du 20ème siècle, au mouvement sans précédent d’une scolarisation massive des jeunes, l'École du 21ème siècle est, elle, confrontée à de nouveaux enjeux : depuis plusieurs années, ses résultats marquent le pas et, en particulier, trop d’élèves quittent le système scolaire sans qualification et sans la maîtrise de compétences aussi fondamentales que la lecture, l'écriture ou le calcul. De plus, le pacte qui lie École et Nation semble mis à mal : l'École peine à remplir son rôle d'ascenseur social et les valeurs dont elle est porteuse sont souvent remises en cause, ou tout au moins, elles ne s’érigent plus nécessairement comme un contrat accepté par tous. « Pourquoi une nouvelle loi ? Historique de la loi d’orientation de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 », direction générale de l'enseignement scolaire, 14 septembre 2006 © Ministère de l'Éducation Nationale. http://www.eduscol.education.fr/D0230/historique.htm 2 8 Enfin, le contexte, tant économique que social ou culturel a, lui aussi, évolué, remodelant ainsi les contours des attentes à l’égard de l’Ecole : « Quinze ans après la loi de 1989, de nouveaux objectifs sont fixés qui tiennent compte des bouleversements qu'ont connus le monde, l'Europe, la société. L'École doit, dans ce nouvel environnement, se donner de nouvelles ambitions, élever le niveau de qualification et de connaissances et préparer, mieux qu'elle ne le fait, les générations futures à leur vie personnelle, professionnelle et de citoyens3. » C’est donc une triple demande qui est, ici, à l’œuvre : sociétale, nationale et internationale : ● sociétale, car l’Ecole, tendanciellement, parvient mal à mener les jeunes à un niveau de formation suffisant, laissant un nombre important d’entre eux sur « le bas-côté » ; ● nationale car les valeurs de la République que l’Ecole a mission de transmettre ne sont plus nécessairement perçues et vécues sous l’angle d’un contrat incontestable ; ● internationale enfin car les politiques européennes en particulier visent une certaine harmonisation à l’intérieur de la Communauté, à laquelle la France a adhéré, sans négliger, par ailleurs, le fait que les évaluations des différents systèmes éducatifs européens et les objectifs en termes de croissance économique ne sont pas absents du débat. C’est sur cette triple articulation que se présente le Socle Commun de Connaissances et de Compétences, mesure-clé de la loi du 23 avril 2005, dans son article 9, complété par l’article L.122-1-1 4 et qu’explicite l’annexe au décret n° 2006-830 du 11 juillet 2006 relatif au Socle Commun de Connaissances et de Compétences5 et modifiant le Code de l'Education. « L'établissement d'un socle commun des savoirs indispensables répond à une nécessité ressentie depuis plusieurs décennies en raison de la diversification des connaissances. L'article 9 de la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école en arrête le principe en précisant que « la scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l'acquisition d'un socle commun constitué d'un ensemble de connaissances et de compétences qu'il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec 3 Ibid. Loi n°2005-380 du 23 avril 2005 - art. 9 JORF 24 avril 2005. Cf. annexes. 5 SCCC à partir de maintenant 4 9 succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société. » Il est ici question de la première dimension. De plus, par l'article 2 de la même loi, « la nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République ». Pour toutes ces raisons, le socle commun est le ciment de la nation : il s'agit d'un ensemble de valeurs, de savoirs, de langages et de pratiques dont l'acquisition repose sur la mobilisation de l'école et qui suppose, de la part des élèves, des efforts et de la persévérance. » On retrouve sous ces lignes la seconde. « La définition du socle commun prend également appui sur la proposition de recommandations du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne en matière de « compétences clés pour l'éducation et l'apprentissage tout au long de la vie ». Elle se réfère enfin aux évaluations internationales, notamment au Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves (PISA), qui propose une mesure comparée des connaissances et des compétences nécessaires tout au long de la vie6. » La référence au cadre européen est ici sans ambiguïté. Nous retiendrons, à ce stade, trois axes de questionnement, qui constitueront les trois points d’ancrage de notre cadre théorique : ● Le premier, autour du fondement même de la notion de savoir commun, de ses origines à ses finalités : qu’entend-on par « savoir commun » et pour quoi faire ? Nous nous attacherons ici à la définition et à l’objet. ● Le second, à propos de la conjonction des trois entrées définies plus haut : en quoi la nature de leur légitimité spécifique rejoint-elle la configuration bipolaire –qualité et justice- du SCCC ? où se situent leur convergence ? s’agit-il d’une « collision », ou bien d’un ensemble porteur d’une cohérence intrinsèque ? Y a-t-il, à cet égard, et comme le texte le laisserait supposer, une hiérarchie, en l’occurrence la primauté d’une mission autour des valeurs 6 Ces trois citations sont issues du décret NOR: MENE0601554D, JORF n°160 du 12 juillet 2006, page 10396, texte n° 10. http://eduscol.education.fr 10 républicaines ? En d’autres termes, peut-on envisager le SCCC comme un espace de convergence d’origines, d’intérêts et de finalités si ce n’est divergents, pour le moins divers ? Nous chercherons ici à élucider les finalités. ● Le troisième enfin, avec une discussion de l’adéquation des moyens aux objectifs, et le jeu n’est pas seulement rhétorique : à quelles conditions le socle peut-il permettre de s’élever, d’accéder à une réalisation de soi 7 ? En vertu de quelles règles « le commun » constituerait-il « le terreau » de l’individuation et de l’unicité, caractéristiques par excellence de l’élève et de son parcours ? Nous procéderons ici à une mise en relation entre les éléments constitutifs du SCCC et les objectifs qu’il vise. De façon plus générale, il s’agira donc ici de s’interroger, dans une perspective historique, tant sur l’occurrence que sur la récurrence du concept de « savoir commun » et de tenter d’élucider la pertinence et la faisabilité de ses objectifs. Pour cela, nous étudierons, dans une première partie, ce qui a été considéré comme « savoir indispensable » depuis le siècle des Lumières jusqu’à aujourd’hui. Nous essaierons alors de repérer les invariants et les points discriminants au fil des siècles. C’est en extrapolant sur la nature de ce continuum que nous construirons notre problématique, articulée autour de la question suivante : à quelles conditions le Socle Commun des Connaissances et des Compétences peut-il représenter un dispositif doté d’une pertinence novatrice, dans le paysage éducatif français de ce début de 21ème siècle ? Pour traiter cette interrogation, nous utiliserons une double entrée : étude de revues pédagogiques et syndicales et questionnaire auprès des enseignants du premier degré de deux circonscriptions de l’Education Nationale. Nous confronterons et croiserons alors les résultats de ces deux pôles-ressources avec nos investigations théoriques et tenterons d’apporter une contribution nouvelle sur la pertinence du dispositif « SCCC ». Notons d’ores et déjà que nous nous focaliserons sur ce que les acteurs du système éducatif disent du Socle Commun de Connaissances et de Compétences et que nous nous intéresserons, en priorité, à leurs représentations. Nous nous situerons donc, dans cette étude, dans une posture d’observation et d’analyse. 7 Idée exprimée dans l’annexe au décret n° 2006-830 du 11 Juillet 2006, JO du 12 Juillet 2006. 11 PREMIERE PARTIE : LA NOTION DE SAVOIR COMMUN ET SA GENESE 12 L’entrée historique est ici privilégiée pour plusieurs raisons : ● La loi du 23 Avril 2005 fait explicitement référence à une « filiation » temporelle du SCCC et il convient de saisir la nature de cet héritage. ● Notre problématique s’inscrit dans une logique de compréhension et de perspective. Compréhension des dispositifs déjà éprouvés et réflexion sur l’avenir, puisque le SCCC devient la fondation du système éducatif. ● Cette disposition se prête par définition à l’étude de la succession des évènements et à leur modalité d’engendrement. Nous pensons qu’il y aura là matière à repérer les ruptures dont nous parlions plus haut. Or nous présupposons que ce sont ces points d’achoppement qui seront précisément générateurs de débat et d’avancée. Chapitre 1 : De Condorcet aux lois Ferry En ce début d’ère nouvelle, ouverte par la Révolution Française et déterminante au regard de l’évolution de l’Ecole en France, est-on déjà préoccupé par la définition d’un savoir commun ou bien s’agit-il d’un questionnement qui ne viendra que plus tard, l’essentiel étant ailleurs ? A L’idéal condorcétien Le concept, s’il apparaît bien avant Condorcet, prend toute sa dimension avec la mise en place de la République. Il devient, en effet, indispensable, pour le penseur et le politique qu’il est, d’installer un système d’enseignement qui permette d’asseoir le nouvel état de citoyen attaché au régime naissant. Ses Cinq mémoires sur l’instruction publique8, rédigés en 17911792, révèlent sa pensée et son projet, qui s’articulent autour de plusieurs axes majeurs : 8 Condorcet, (Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, dit Marquis de), Cinq mémoires sur l’instruction publique, GF-Flammarion, Paris, 1994, 380 pages. 13 L’instruction publique est la condition sine qua non de la perpétuation du régime républicain. Elle se doit d’en porter et d’en transmettre les valeurs. Elle est d’ailleurs pensée comme absolument indissociable de l’affirmation de l’égalité et des droits naturels en général. La perpétuation de la République est, de plus, étroitement liée à la nécessité de tirer l’homme du joug de l’ignorance, pour en faire un citoyen éclairé. Dans cette perspective, il est important qu’il exerce sa raison en toutes situations avant de songer à l’efficacité. « Plus les hommes sont disposés par éducation à raisonner juste, à saisir les vérités qu’on leur présente, à rejeter les erreurs dont on veut les rendre victimes, plus aussi une nation qui verrait ainsi ses lumières s’accroître de plus en plus, et se répandre sur un plus grand nombre d’individus, doit espérer d’obtenir et de conserver de bonnes lois, une administration sage et une constitution vraiment libre9. » L’instruction publique vise à réduire les inégalités inhérentes à la condition et à l’éducation de chacun, inégalités que les lois ne sont pas en mesure de faire disparaître et qui peuvent conduire à l’exercice néfaste de la domination. « Le devoir de la société, relativement à l’obligation d’étendre dans les faits, autant qu’il est possible, l’égalité des droits, consiste donc à procurer à chaque homme l’instruction nécessaire pour exercer les fonctions communes d’homme, de père de famille et de citoyen, pour en sentir, pour en connaître tous les devoirs10. » Il convient de définir les contenus des apprentissages . Comme il est impossible de tout enseigner à tous, Condorcet pose qu’il faut surtout enseigner à juger en remontant aux principes du jugement, d’où le concept de savoir élémentaire scolaire : « En formant le plan de ces études, comme si elles devaient être les seules, et pour qu’elles suffisent à la généralité des citoyens, on les a cependant combinées de manière qu’elles puissent servir de base à des études prolongées » […]11. En termes de modalités, Condorcet propose un cursus en trois parties : « De toutes ces réflexions, on voit naître la nécessité de trois espèces d’instruction très distinctes. D’abord, une instruction commune où l’on doit se proposer : 1 D’apprendre à chacun, suivant le degré de sa capacité et la durée du temps dont il peut disposer, ce qu’il est bon à tout homme de connaître, quels que soient leur profession et leur goût ; 9 Condorcet, op.cit, premier mémoire, p. 64. Ibid. 11 Condorcet, op. cit., second mémoire, pp. 130-131. 10 14 2 De s’assurer le moyen de connaître les dispositions particulières de chaque sujet, afin de pouvoir en profiter pour l’avantage général ; 3 De préparer les élèves aux connaissances qu’exige la profession à laquelle ils se destinent. La seconde espèce d’instruction doit avoir pour objet les études relatives aux diverses professions qu’il est utile de perfectionner, soit pour l’avantage commun, soit pour le bien particulier de ceux qui s’y livrent. La troisième enfin, purement scientifique, doit former ceux que la nature destine à perfectionner l’espèce humaine par de nouvelles découvertes ; et par là, faciliter ces découvertes, les accélérer et les multiplier12. » Dans le second mémoire « De l’instruction commune pour les enfants », il est défini, à l’intérieur même du cursus de base, trois degrés d’instruction dont le premier, qui durerait de la neuvième à la treizième année, s’organiserait autour de la lecture, l’écriture, la compréhension par l’explicitation du vocabulaire, l’éveil des sentiments moraux, la description des animaux et végétaux et l’exposition du système de numération décimale13. Il s’agit donc de l’instruction commune minimale à dispenser. Cette architecture part du postulat de base que Cordorcet, académicien, pose, à savoir que les savants doivent et peuvent déterminer l’élémentarisation de leur domaine d’étude, à la façon d’un Lavoisier. Cependant, et nous le verrons plus bas, le corollaire de cette élémentarisation est moins dans la dispersion que dans la convergence : le moindre savoir, le plus simple comme le plus humble, contribue, pour Condorcet, à la concorde et à l’émancipation générales. La visée de l’Instruction Publique n’est pas seulement scolaire : il s’agit aussi et in fine d’ouvrir l’élève et le futur citoyen à « l’Amour de l’Humanité ». Présentée dans L’esquisse et Le fragment sur l’Atlantide14, cette théorie universaliste et humaniste ouvre des perspectives bien plus larges : tout comme l’horizon de l’Ecole n’est pas seulement scolaire, l’horizon de la République n’est pas seulement politique. Il s’agit ici de dessiner l’histoire de la liberté humaine, de relier la quête du vrai et le souci du bien public, idéal condorcétien. 12 Condorcet, op. cit., premier mémoire, p. 74. Condorcet, op. cit. , second mémoire, p. 109. 14 Condorcet, op.cit., dans l’introduction présentée par Charles Coutel et Catherine Kinzler, p.9. 13 15 Si nous reprenons maintenant nos préoccupations de départ, nous constatons que la question d’un savoir commun, de base, est explicite dans la pensée de Condorcet. Il en trace d’ailleurs précisément les contours. Il s’agit d’un apport minimum, mais envisagé pour être dépassé, complété par tous ceux qui en auront et les dispositions et le temps. La demande de savoir est à la fois politique et philosophique : Condorcet ne se fait pas l’écho d’une société en manque d’instruction mais se positionne plutôt en tant que précurseur. Son discours est celui d’un politique, mais d’un politique éclairé, non opportuniste et dont les projets dépassent très largement la sphère du politique : Politique, donc, au sens où il établit un lien direct entre la détention du savoir et la capacité à accéder à une pensée libre et avisée. Or ceci est la base de la République. La République et l’Ecole se présupposent l’une l’autre : l’Instruction Publique est la condition d’existence et de développement de la République et, en même temps, l’un de ses organes. La relation de transitivité qui unit « Instruction Publique », « pensée libre » et « perpétuation de la République » n’est pas mise en débat : elle semble évidente. C’est parce que l’Ecole permet le développement d’une pensée affranchie que la République peut demeurer. De même, la République est à sauvegarder car elle est le seul régime garant d’une liberté de pensée en particulier, moyennant un certain nombre de conditions que Condorcet expose (statut des maîtres, défiance vis à vis du pouvoir…), liberté de pensée qui est, elle-même, conditionnée au savoir. Philosophique aussi, dans la lignée des penseurs des Lumières : Condorcet s’inscrit dans leur sillage en plaçant l’apprentissage des savoirs élémentaires au sein d’une histoire générale de la raison humaine, en revendiquant celui d’une citoyenneté éclairée et des Droits de l’Homme et en inscrivant, en surplomb, celui du sentiment d’humanité. La question des finalités de ce savoir est elle aussi posée. Il ne s’agit, en effet, rien de moins que de chercher à accéder, à l’égalité - ce qui ne veut pas dire uniformité - et à la critique avisée du pouvoir, objectifs intermédiaires mais incontournables, pour, en fin de compte, tendre vers la vérité et l’accomplissement de chacun. Là encore, la double perspective, politique et philosophique, est à l’œuvre. Politique car, comme nous l’avons vu plus haut, il en va de l’avenir de la République, à cette nuance près cependant que Condorcet exprime sa défiance à l’égard, non pas tant de la politique, que de ceux qui détiennent le pouvoir. Néanmoins, l’Instruction ne peut être que 16 publique et Condorcet met en garde contre tout autre mode d’administration ou de détention. Au total, l’Etat doit bien être un instrument au service du développement des Lumières mais ce n’est pas une fin en soi. Philosophique car l’instruction, si elle ne doit pas relever du politique, vise cependant à l’avènement d’un sujet politique autonome. Paradoxe s’il en est, mais qu’il convient de replacer dans un contexte plus large : la fin de l’instruction est, en effet, ailleurs : perfectionner l’humanité. Quant aux moyens d’accès à ce savoir, ils sont configurés par un certain nombre de dispositifs, clairement identifiés (nombre d’écoles, de maîtres, programmes… ) et par deux orientations fortes : En premier lieu, l’éducation, pour Condorcet, est un genre dont l’instruction n’est qu’une espèce. Eduquer concerne toutes les dimensions de la personne, tant intellectuelles qu’affectives ; instruire ne concerne que la construction des savoirs établis. C’est d’abord pour préserver le droit naturel des familles à éduquer que Condorcet plaide en faveur d’une limitation de l’éducation publique à l’instruction, expression réitérée de sa défiance à l’égard du pouvoir. La seconde orientation nous rappelle que l’instruction condorcétienne a à faire avec le juridique et non avec le social : puisqu’il s’agit d’une liberté publique, nécessaire à l’exercice de la souveraineté, c’est à la puissance publique qu’il convient d’en garantir l’homogénéité ; c’est la raison pour laquelle, et cela peut paraître paradoxal, il convient de l’encadrer par la loi, afin de s’affranchir de toute tentation de machination ou d’embrigadement et d’en assurer l’indépendance par rapport aux pouvoirs. Le contexte, les soubassements et les enjeux sont, et nous l’avons montré, bien spécifiques en cette fin de 18ème siècle. Il n’empêche que se pose déjà, dans l’enseignement devenu et affirmé affaire d’Etat, la question d’une base de savoirs communs, indispensables. 17 B La loi Guizot du 28 Juin 1833 De fait, l’évolution des événements liés à la Révolution malmènera quelque peu les idéaux condorcétiens. En 1793, la Convention établit l’obligation scolaire et la gratuité de l’enseignement primaire, mais le projet est très vite abandonné. La Constitution de l’an III (22 Août 1795) se contente, dans son article 296, d’indiquer : « Il y a dans la République des écoles primaires où les élèves apprennent à lire, à écrire, les éléments de calcul et ceux de la morale 15. » Les querelles de position se succèdent, les priorités sont ailleurs, l’argent et l’esprit démocratique manquent, si bien que l’enseignement primaire se retrouvera dans un état lamentable à la veille du coup d’état de Brumaire qui va porter Bonaparte au pouvoir. Ce dernier se souciera d’ailleurs bien peu de l’instruction du peuple. En revanche, il développera, avec les Lycées Impériaux, la formation des élites. Il faudra attendre la Monarchie de Juillet et Guizot, alors Ministre de l’Instruction Publique, pour que soit précisée, par la loi du 28 Juin 1833, la notion d’école publique primaire : « Celles qu’entretiennent en tout ou partie, les Communes, les Départements ou l’Etat 16 ». Cette définition signe l’acte de naissance de l’Ecole Communale. Guizot pense que le grand problème des sociétés de son temps est « le gouvernement des esprits » : « Ce n’est pas pour la commune seulement et dans un intérêt purement local que la loi veut que tous les Français acquièrent des connaissances indispensables à la vie sociale et sans lesquels l’intelligence languit et quelquefois s’abrutit : c’est aussi pour l’Etat lui-même et dans l’intérêt public… L’instruction primaire universelle est désormais une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale17. » Chaque commune de plus de 500 habitants est alors tenue d’avoir au moins une école primaire de garçons et chaque département a obligation d’entretenir une école normale pour la formation des instituteurs. L’école n’est pas obligatoire mais doit être gratuite pour les plus pauvres. (A noter que ce ne sera, de fait, qu’à la veille de la guerre 14-18 que le nombre des écoles ouvertes et pourvues d’un instituteur atteindra un niveau satisfaisant). 15 www.conseil-constitutionnel.fr/textes/constitution/c1795.htm http://www.19e.org/documents/enseignement/loiguizot1833/loi.htm 17 Claude Lelièvre, Histoire des Institutions scolaires (1789- 1989), extrait de la lettre de Guizot aux instituteurs primaires du 18 Juillet 1833, Repères pédagogiques, Paris, Nathan, 1990, p. 63. 16 18 L’Eglise garde un rôle marqué : l’instruction religieuse, « qui pourvoit à la dignité humaine… et à la protection de l’ordre social18 » est maintenue dans les programmes, mais il est précisé que le vœu du père de famille en ce qui concerne la participation de ses enfants sera respecté ; le principe de la coexistence d’écoles publiques et d’écoles privées est accepté. Mais Guizot se servira de cette liberté d’enseignement d’une manière singulière, en permettant aux frères des écoles chrétiennes et, de façon plus générale, aux congrégations, de compter autant dans l’enseignement privé que dans l’enseignement public. « L’Etat et l’Eglise sont, en fait d’instruction primaire, les seules puissances efficaces…C’est un fait historiquement démontré. Les seuls pays et les seuls temps où l’instruction populaire a vraiment prospéré ont été ceux où soit l’Eglise, soit l’Etat, soit mieux encore l’un et l’autre ensemble, s’en sont fait une affaire… 19. » L’article 1 de loi du 28 Juin 1833 définit les contours de l’enseignement à dispenser : « De l’instruction primaire et de son objet. L’instruction primaire et élémentaire comprend nécessairement l’instruction morale et religieuse, la lecture, les éléments de la langue française et du calcul, le système légal des poids et mesures. L’instruction primaire supérieure comprend nécessairement, en outre, les éléments de la géométrie et ses applications usuelles, spécialement le dessin linéaire et l’arpentage, des notions de sciences physiques et de l’histoire naturelle applicables aux usages de la vie, le chant, les éléments de l’histoire et de la géographie, et surtout de l’histoire et de la géographie de la France. Selon les besoins et les ressources des localités, l’instruction primaire pourra recevoir les développements qui seront jugés convenables. » La loi Guizot s’inscrit nettement dans un contexte de refondation : il y a lieu, après les plans révolutionnaires d’éducation nationale ou d’instruction publique où l’intervention effective de l’Etat est demeurée très limitée, après l’Empire qui n’a donné aucune impulsion à l’instruction primaire, de recentrer et les objectifs et les moyens : on retrouve ici – et Guizot le dit lui-même - cette volonté « de faire du ministère de l’Instruction Publique un rouage complet et régulier, capable de rendre à la société et au pouvoir, dans l’ordre intellectuel et moral, les services dont, aujourd’hui, moins que jamais, il ne saurait se passer20. » L’enjeu est ici politique et idéologique : il importe de gouverner les esprits car le désordre qui résulte de tout écart en ces domaines est bien pire que le désordre matériel. Et 18 Claude Lelièvre, op. cit., p. 64. Claude Lelièvre, op. cit., p. 65. 20 Claude Lelièvre, op. cit., p. 64. 19 19 c’est au gouvernement qu’il incombe d’imposer « les doctrines qui conviennent à sa nature et à sa direction21 ». Cette orientation vers un Etat centralisateur s’impose d’autant plus que le contexte politique est des plus tourmentés, avec les séditions républicaines et sociales, parisiennes et lyonnaises de 1831 et 1832. L’instruction, c’est donc l’outil premier pour l’Etat et l’intérêt public, au service de l’ordre et du bon fonctionnement. C’est aussi, dans l’esprit de Guizot, la garantie d’une perpétuation du régime en place. C’est encore le levier présenté à la fois comme éclairant et émancipateur, - « La liberté n’est assurée et régulière que chez un peuple assez éclairé pour écouter en toute circonstance la voix de la raison 22 » - mais aussi fort conformiste, en fait : il ne faut surtout pas que l’instruction vienne bousculer ou remettre en question ce qui est tenu comme établi et non discutable : « Comme tout, dans les principes de notre gouvernement, est vrai et raisonnable, développer l’intelligence, propager les lumières, c’est s’assurer l’empire et la durée de la monarchie constitutionnelle23. L’instruction est, dans cette perspective, instrumentalisée et orientée d’abord vers le pouvoir, la question de la formation de l’individu restant, quant à elle, secondaire, et pour ce qui concerne la masse, limitée à des rudiments, sans risques pour l’ordre établi. Ces recommandations se retrouvent d’ailleurs dans La lettre de Guizot aux directeurs d’Ecole normale du 11 Octobre 183424. Il y indique en effet qu’il convient de ne pas trop étendre l’enseignement, d’insister sur l’instruction morale et religieuse, fondamentale, et de développer l’esprit d’ordre. On se situe donc bien, ici, dans la sphère d’un savoir commun de base, la poursuite d’études étant reléguée au rang des éventualités et, de toute façon, limitée par les besoins et les ressources des communes. On est, de fait, en présence d’une orientation marquée non pas tant par la connaissance que par la soumission … Cette primauté nationale et unificatrice, même si elle n’ est qu’un compromis, est particulièrement visible. La stratégie éducative vise à fournir un bagage minimum, relevant de la compétence de l’Etat, et au delà de l’aspect matériel laissé à la charge des communes, c’est bien d’une centralisation administrative dont il s’agit, mais surtout d’une centralisation idéologique. 21 Claude Lelièvre, op. cit., p. 62. Claude Lelièvre, op. cit., p. 63. 23 Ibid. 24 Claude Lelièvre, op. cit., p. 79. 22 20 Conformes à ces finalités, les moyens mis en œuvre traduisent eux aussi la volonté d’un contrôle étatique : ce sera, par exemple, la mise en place de l’Inspection, des Ecoles normales de garçons et des manuels. Sur ce dernier point, Guizot s’est inspiré du philosophe et futur ministre de l’Instruction publique, Victor Cousin : « L’instruction peut et doit être unie d’un bout à l’autre de la France ; et cette unité ne sera pas son moindre bienfait par la force nouvelle qu’elle prêtera à l’unité nationale. Cette unité demande surtout un certain nombre d’ouvrages spéciaux sur chacun des objets de l’instruction primaire déterminés par le titre premier de la loi 25. » Unité encore dans le contenu des manuels26, résolument axé vers l’élémentaire et l’utilitaire : L’Alphabet et premier livre de lecture (dont l’un des auteurs est Antoine Rendu, collaborateur de Guizot) ne propose que des lectures « éducatives » : connaissances élémentaires (métaux, temps…), éducation religieuse (prières, maximes de la Bible…), éducation politique et morale (devoirs des enfants) ; La Petite Arithmétique raisonnée de Verdier traite de quelques mécanismes opératoires élémentaires et les problèmes d’application sont relatifs à la paie des ouvriers, au coût des achats obligatoires… La Petite Grammaire de Lorain et Lamotte s’appuie sur l’apprentissage par cœur, afin de mieux parler, écrire et surtout orthographier. Enfin, Les Premières leçons de géographie, chronologie et d’histoire de Letronne font l’éloge des valeurs de la Monarchie, fondatrice de l’unité nationale. Au total, avec les Lois de 1833, ce sont les prémisses de la centralisation qui caractérise le système éducatif actuel, l’apologie d’une école dont la mission est, avant tout, de former à l’unité nationale et peu à l’émancipation des esprits et un enseignement uniforme et utilitaire. Trois points cependant taillent une brèche dans cet édifice unificateur : la place de l’Eglise, le statut de l’instituteur et l’interrogation sur des degrés supérieurs d’enseignement primaire. ● Il semblerait que l’Eglise soit, dans la pensée de Guizot, davantage perçue comme une autorité capable de conforter l’œuvre de l’Etat, en matière d’ordre et d’unité, que comme une entité susceptible de contrecarrer des idéaux politiques. On resterait ainsi dans une perspective d’intérêt commun : « C’était sur l’action prépondérante et unie de l’Etat et de l’Eglise que je comptais pour fonder l’instruction primaire27. » 25 Claude Lelièvre, op. cit., p. 78. Ibid. 27 Claude Lelièvre, op. cit., p. 65. 26 21 ● La dépendance des maîtres à l’égard des autorités locales, élues et religieuses et des notables, pourrait être vue comme l’occasion privilégiée de discordes. Il en fut sûrement ainsi mais là encore demeure, avant tout, un point consensuel, structurant, à savoir la moralité que cette co-autorité était chargée de surveiller, conjointement, chez l’enseignant. ● Enfin, la proposition de Guizot d’instaurer un enseignement primaire supérieur se justifie par l’existence de classes moyennes dans la société, qui ne peuvent se satisfaire de l’enseignement de base, mais pour lesquelles il ne serait pas bon, non plus, d’envoyer leurs enfants au collège : « Ils y contracteraient des goûts et des habitudes incompatibles avec la condition modeste où il leur faudrait retomber28 »…crainte qui reprend la mise en garde de Victor Cousin, inspirateur de Guizot : « Ils deviendraient une race d’hommes inquiets, mécontents de leur position, des autres et d’eux-mêmes, ennemis d’un ordre social où ils ne se sentent pas à leur place29 ». L’heure n’est pas encore, loin s’en faut, à la conception d’une école jouant le rôle d’ascenseur social ; elle se doit avant tout, en ce début de 19ème siècle, de reproduire à l’identique l’équilibre de la société, préoccupation majeure de la loi Guizot : recherche de stabilité, puisque toute velléité de poursuivre des études est suspecte, surtout si l’on est issu des plus basses classes de la société, conservatisme aussi, puisqu’au positionnement social est obligatoirement associé un cursus scolaire, sujétion enfin, puisque l’élève est d’emblée catégorisé et, de façon générale, limité dans ses apprentissages. La recherche de la définition d’un savoir commun de base est, ici, de nouveau à l’œuvre. Dans un contexte d’instabilité politique, il est surtout envisagé comme le vecteur de valeurs susceptibles de maintenir l’ordre. On ne se situe pas dans une problématique de recherche d’égalité ni de justice sociale, on ne vise pas l’émancipation ou l’expression de la pensée, on se positionne résolument dans une perspective d’instruction morale et de savoirs efficients, susceptibles de forger des mains besogneuses et des esprits dociles. 28 29 Claude Lelièvre, op. cit., p. 109. Claude Lelièvre, op. cit., p. 108. 22 C L’œuvre de Ferdinand Buisson C’est dans un climat de séditions, d’inconstance politique, de dualité public-privé et de revendications autour de l’école que Ferdinand Buisson, né en 1841, apportera une contribution des plus marquées à la réflexion pédagogique. Deux de ses textes retiendront plus particulièrement notre attention ici : la définition de l’enseignement primaire dans le Dictionnaire d’Instruction et de Pédagogie primaire de 188230 et le discours à l’Association Polytechnique du 24 Juin 188331. Ardent collaborateur de la mise en place des Lois de 1881-1882, Buisson y voit l’expression d’une conception nouvelle de l’Ecole : « La loi qui est en ce moment (1882) devant le Sénat et qui sera sans doute votée dans un très court délai consacre cette manière d’entendre l’enseignement primaire ; et, bien qu’elle ne distingue plus les matières obligatoires des matières facultatives, celles de l’enseignement primaire élémentaire de celles de l’enseignement primaire supérieur, l’énumération qu’elle contient dans son article 1er indique assez que nous sommes loin du temps où l’on cherchait des garanties contre l’extension excessive de l’enseignement ». Buisson cite ensuite l’article 1er de la Loi du 28 Mars 1882 et poursuit : « Bien que la plupart des textes que nous venons de passer en revue aient trait surtout à l’indication des matières qu’il comprend, ce n’est nullement par l’étendue de cette liste énumérative que nous entendons définir et apprécier l’enseignement primaire. Le nombre des matières enseignées n’est pas indifférent sans doute et il permet déjà de préjuger en une certaine mesure ce que sera et ce que vaudra l’instruction primaire ; mais ce qui importe plus encore, c’est la manière de donner cette instruction, c’est l’esprit qu’on y met, l’intention qui l’anime, le rôle que les lois et les mœurs assignent à l’école, à l’instituteur, à l’enseignement ». S’ensuit un plaidoyer en faveur d’une école qui, au-delà de l’instruction, a tâche d’éducation : « […] C’est en vue de constituer un enseignement véritablement éducateur, en vue de faire de l’école une maison d’éducation et non plus simplement un instrument de discipline que, spontanément, de toutes parts, dans l’administration et en dehors d’elle, on ajoute à l’enseignement fondamental et traditionnel du « lire, écrire et compter » une foule d’accessoires qui semblent au premier abord quelque peu exagérés, des études qu’on jugerait volontiers trop variées : les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, les promenades scolaires, le travail manuel de l’atelier placé à côté de l’école, le chant, la 30 31 www.gallica.bnf.fr Ferdinand Buisson, Education et République, Paris, Editions Kimé, 2003, p. 83. 23 musique chorale, qui y pénétreront à leur tour. Pourquoi tous ces accessoires ? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce qu’ils font aimer l’école, parce qu’en eux réside la vertu éducative, parce que ces accessoires font de l’école primaire, de l’école du moindre hameau, du plus humble village, une école d’éducation libérale32 ». Affranchie de ce carcan qui, encore largement présent dans la loi Falloux de 1850, s’évertuait à limiter le plus possible les programmes, l’Ecole vue par Buisson revêt une fonction beaucoup plus large que le seul accès aux bases du « lire-écrire-compter », fonction qui ne se mesure plus désormais à l’aune des matières enseignées. On ne se situe donc plus dans une configuration quantitative, ou tout au moins exclusivement quantitative : l’accent est davantage mis sur la façon de transmettre les savoirs que sur la liste des connaissances à inculquer. Une autre nouveauté réside dans le rôle assigné à ce que l’on pourrait qualifier d’accessoires. Il s’agit là, pour Buisson, du principal, de ce qui nourrit l’intérêt de l’enfant pour le savoir, de ce qui lui fait aimer l’école, condition tout à fait indispensable et première à tout apprentissage … Prononcé à l’occasion de la distribution des prix aux élèves de l’Association Polytechnique et plusieurs fois édité, le texte suivant conforte la thèse d’une école non seulement émancipatrice mais aussi fondatrice et préfiguratrice du devenir de chacun. « Ce qui se fait en ce moment-ci d’un bout de la France à l’autre, de Paris à la plus humble commune, peut se résumer en un mot : c’est une tentative qui a pour objet de fonder dans ce pays une instruction nationale. Tout est là et rien que là. Et qu’est-ce qu’une instruction nationale ? C’est tout d’abord une instruction qui s’adresse à tous les hommes et c’est une instruction qui embrasse dans chaque homme l’homme tout entier33. Buisson fait ensuite l’apologie d’une pédagogie active, qui se substituerait à une discipline sans discernement, et poursuit sur les contenus de l’enseignement : « Nous savons bien qu’il n’y a pas moyen de supprimer l’enseignement de la lecture, de l’écriture et du calcul, et qu’il restera toujours beaucoup de difficulté[…]. Buisson, après avoir réaffirmé la nécessité de ces enseignements « de base » et prôné un enseignement « avenant et stimulant », pose la question des « arts d’agrément ». « Pour ce qui est du dessin, il n’est pas besoin de nous justifier : il y a dans cette assemblée des centaines de personnes qui, mieux que moi, pourraient dire, au nom de leur expérience professionnelle, combien il est absurde de ne voir dans le dessin qu’un art 32 33 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24232h.pagination (page 872 partie1, tome 1). Ferdinand Buisson, op. cit., pp. 83 à 85, pour toutes les citations de cette page et de la suivante. 24 de luxe, un amusement, et de n’y pas voir ce qu’il est avant tout : une des premières nécessités de notre industrie, un des éléments principaux de notre capital social. »[…] « Mais le chant, à quoi cela sert-il ? A rien, et c’est précisément pour cela qu’il faut l’enseigner dans l’école primaire. » Et Buisson de s’insurger contre la commission scolaire qui a donné raison à un père mécontent de voir son fils apprendre à chanter à l’école. « Est-ce que par hasard les arts sont un privilège de grands seigneurs ? »[…] « Et d’ailleurs, n’as-tu pas compris (s’adressant à « Jacques Bonhomme », métonymie de l’homme du peuple) que si l’on s’applique à lui faire parler un peu cette langue divine de la musique, ce n’est pas seulement pour sa propre satisfaction, c’est qu’il est Français, c’est qu’il faut qu’il puisse tenir sa place dans le concert et dans le chœur de la nation : ce qui fait l’âme d’une nation, ce sont des sentiments collectifs qui ne se développent et s’entretiennent que s’ils s’expriment en commun et ils ne s’expriment que par la musique ». Au delà d’un savoir commun, nécessaire, c’est en fait ce qui le fait vivre et lui donne réellement corps qui est ici pointé, et cela ne passe pas nécessairement ou exclusivement par l’apprentissage traditionnel des rudiments et en tout cas, cela ne s’y réduit pas. Pour Buisson, produit un sentiment d’appartenance commune ce qui émane à la fois d’une satisfaction propre, d’une distanciation de l’utilitarisme et aussi d’un sens commun, « sens » étant à la fois pris comme « sentiment » et comme « signification ». Et là encore, l’épaisseur des savoirs n’est pas forcément là où on l’attend. Avec la pensée très féconde de cet intellectuel militant - il sera nommé en 1879 directeur de l’enseignement primaire par Jules Ferry et deviendra le confident du ministre et le maître d’œuvre des grandes lois scolaires de 1881 et 1882 -, on accède à une conception nouvelle de l’éducation : on n’est plus dans une vision mécaniste, où l’élève est censé transformer en connaissance les apports qu’il reçoit dans une relation bijective au sens mathématique du terme ; on quitte aussi le strict domaine des savoirs indispensables, tels qu’ils étaient jusqu’alors définis, et l’on tend à une éducation vectrice de satisfaction et d’accomplissement de soi. Opposant irréductible à l’Empire, Buisson le fut, et ardent républicain mais surtout dans le sens d’enraciner une république toujours plus ouverte aux revendications démocratiques. On ne se situe donc pas tant dans un besoin de justifier encore la nécessité de la République et sa primauté, mais dans une perspective plus aboutie, celle de la perfectionner afin qu’elle contribue au mieux au progrès humain. Le rôle de l’Ecole demeure certes lié à un 25 idéal politique, mais dans son acception la plus large : des lendemains de la Révolution, où il fallait établir la République, en tant qu’outil de pouvoir en quête de légitimité, on parvient, à la fin du 19ème siècle, à une réflexion beaucoup plus orientée vers l’Homme, envers lequel le politique est redevable. D Les lois Ferry de 1881 et 1882 Dans un contexte de reconstruction d’une identité nationale, d’inquiétude tant chez les Républicains que chez les Libéraux et, en matière de scolarisation, d’inégalités entre garçons et filles et d’affrontement à l’autorité de l’Eglise, il fallut bien toute la détermination de Jules Ferry et de son successeur Goblet pour mettre en place un projet cohérent : ainsi, la loi du 28 Mars 1882, qui rend l’Enseignement primaire obligatoire et institue la laïcité de l’enseignement primaire public, stipule-t-elle de façon particulièrement précise les règles de l’Enseignement Primaire et en particulier la liste des disciplines fondamentales qui doivent être enseignées à tous, à l’école élémentaire 34: Article premier L’enseignement primaire comprend : L’instruction morale et civique ; La lecture et l’écriture ; La langue et les éléments de la littérature française ; La géographie, particulièrement celle de la France ; L’histoire, particulièrement celle de la France jusqu’à nos jours ; Quelques leçons usuelles de droit et d’économie politique ; Les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques, leurs applications à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ; 34 Les éléments du dessin, du modelage et de la musique ; La gymnastique ; Pour les garçons, les exercices militaires ; Pour les filles, les travaux à l’aiguille. Loi n° 11 696 du 28 Mars 1882, promulguée au Journal Officiel du 29 Mars 1882. 26 Article 4 L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes de six ans révolus à treize ans révolus. Elles peut être donnée dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou toute autre personne qu’il aura choisie. Les enjeux de cette loi sont multiples : politiques, idéologiques et sociaux. ● Politiques donc. Il est nécessaire ici de se remémorer le contexte et, en particulier, le courant d’opinion qui porte l’élan républicain de ce dernier quart de 19ème siècle : l’instruction est en effet vue, à cette époque, comme un idéal collectif. « De même qu’aujourd’hui, la majorité des membres de notre société admet que la croissance économique est l’objectif essentiel de la collectivité, dans la seconde moitié du 19ème siècle, on croyait à l’instruction35 ». L’école, pensait-on, allait remédier à l’injustice sociale ; elle était perçue comme toute puissante et nul ne songeait à remettre en cause ce qu’elle incarnait. Dans ce cadre, le premier chantier consiste à constituer l’instruction en service public. Trois idées maîtresses présideront à cette opération : l’égalité entre les enfants, avec, comme principal corollaire, la gratuité, l’obligation de scolarisation et la laïcité. Si les deux premières s’accordent relativement bien à un idéal de justice et à une foi dans une instruction émancipatrice, la troisième a trait à l’exigence de liberté de conscience inhérente à l’élaboration d’un service public - ce sont du moins l’idéal et l’argumentaire développés pour la justifier -. Enfin, le souvenir de la guerre de 1870 est encore très présent. « Pour les républicains, la cause de la défaite est l’insuffisante instruction du peuple : c’est l’instituteur prussien qui a gagné la guerre36 ». Le redressement national passe alors par l’extension de l’école, gratuite et obligatoire. Au total, on est ici en présence d’une conjonction de tensions, qui voient toutes en l’école, mais pour des raisons différentes, le moyen d’améliorer et la condition de chacun et le sentiment d’appartenance à une entité collective. En termes de réalisations pour parvenir à ce double objectif, le chantier est immense. 35 36 Antoine Prost, L’enseignement en France 1800-1960, Paris, Armand Colin, 1970, p. 191. Antoine Prost, op. cit., p. 184. 27 Il y a lieu, tout d’abord, de s’emparer de l’éducation féminine. Le discours de Jules Ferry, à la salle Molière, en 1870, et qui constitue sa profession de foi en matière d’éducation, se termine ainsi37 : « Celui qui tient la femme, celui-là tient tout, d’abord parce qu’il tient l’enfant, ensuite parce qu’il tient le mari…C’est pour cela que l’Eglise veut retenir la femme, et c’est aussi pour cela qu’il faut que la démocratie la lui enlève… sous peine de mort ». De fait, ce qui est en jeu ici, fondamentalement, et parce que le contexte évolue, c’est bien l’affermissement de la République : certes les femmes ne votent pas, mais les républicains sont convaincus que si les hommes font les lois, ce sont les femmes qui font les mœurs … et les fils républicains. L’accès au savoir par le plus grand nombre et en particulier par ceux qui semblent, en première approche, les plus éloignés des sphères de décision, est donc envisagé comme un moyen de s’assurer, à terme, de la pérennité du régime en place. Il n’est pas question ici d’associer les femmes à l’appareil politique, tout au plus de les empêcher d’y nuire, et si possible de préparer, quasiment subrepticement, si ce n’est avec leur appui, les fondements républicains du 20ème siècle. ● De plus, et c’est le deuxième enjeu, il convient de mettre à distance, nous l’avons vu, l’influence marquée de l’Eglise et de s’ériger, en tant que force politique, au statut d’Autorité. Le politique se teinte ici d' une idéologie non masquée… Car, en définitive, cette posture reste à construire. Et si, sur ce point précisément, la substitution de l’enseignement moral et civique au catéchisme n’est nullement fortuite, il est un autre danger que redoutent les Républicains, celui du socialisme grossier et malsain38. L’urgence est donc double : réaffirmer l’idéal laïc - la vérité n’est pas d’essence divine et la raison ne saurait se confondre avec la foi -, et conforter la 3ème République contre les risques des « orages ». « Un enseignement mieux compris et plus étendu de l’histoire et de la géographie, auquel s’ajoutent des notions de droit usuel et d’économie politique, développe les jeunes intelligences et, en y gravant les connaissances indispensables à tous les hommes, les prémunissent contre les dangers de l’ignorance et de l’utopie39 ». La demande est donc des plus pressantes et la subordination de l’école publique aux doctrines du gouvernement s’exprimera de façon nette en instruction civique et morale. On se situe donc ici face à un savoir adapté aux exigences du pouvoir, sous le couvert de la protection et de la paix. 37 Claude Lelièvre, op. cit., p. 92, citant P.Robiquet, Discours et opinions de Jules Ferry, Colin, Tome 1, p. 303. Claude Lelièvre, op. cit., p. 98, citant un extrait du Progrès de la Somme, journal appartenant à René Goblet. 39 Claude Lelièvre, op. cit., p.99, Discours du ministre de l’Instruction publique à la distribution des prix des écoles communales d’Amiens, Progrès de la Somme, 17 Août 1886. 38 28 L’école se trouve ainsi, de fait, investie d’une double mission : celle d’entériner la défaite du camp cléricalo-monarchiste, visible notamment aux élections législatives de 1876 et celle de s’ériger contre les tenants du socialisme. Au plan des savoirs, nous l’avons vu, ce double front a des conséquences : […] « A la résignation sombre à des nécessités incomprises » doit se substituer « une adhésion raisonnée et volontaire à la loi naturelle des choses40 » : appel urgent à la rationalité. [ …] « Chez un peuple ayant sur ces matières (l’économie politique, la connaissance de l’offre et de la demande…) deux ou trois notions justes, les ouvriers n’invoqueront plus à tout propos et hors de propos l’intervention du gouvernement41. » : lutte anticipative contre le désordre social. « Apprendre à l’ouvrier, d’abord les lois naturelles avec lesquelles il se joue dans l’exercice de son métier, mais lui apprendre également la loi sociale, lui découvrir les phénomènes économiques, lui donner des notions justes sur les problèmes sociaux, c’est avancer beaucoup la solution. »42 : engagement à une « conformité éclairée ». ● Et nous touchons du doigt ici un troisième enjeu : celui de la nécessité de l’ordre social. « Conformité », car le gouvernement a bien saisi le rôle que pouvait endosser l’Ecole pour diriger les savoirs en fonction des orientations politiques souhaitées, « éclairée », car cette généralisation de l’instruction primaire obligatoire peut laisser supposer une velléité désintéressée de diffusion émancipatrice du savoir. Pourtant, le contexte n’est pas si simple : il s’agit, en fait, de négocier au mieux le passage d’une société rurale et paysanne à une société qui s’industrialise. Il convient aussi de convaincre le peuple de la légitimité du nouveau contrat social, c’est-à-dire l’amener à avoir foi dans le développement industriel, qui garantira à tous, en échange du travail et de la discipline, la sécurité, la justice, l’égalité et des perspectives illimitées de progrès matériel et social. « La foi en la science et en la raison constituera le ciment de cette idéologie naissante et créera le sentiment d’appartenir à un ensemble plus vaste et plus solidaire dans lequel tout individu peut avoir son rôle à jouer 43 ». 40 Claude Lelièvre, Ibid., citant le discours de Jules Ferry, à l’inauguration de l’école professionnelle supérieure de Vierzon, Progrès de la Somme, 3 Mai 1883. 41 Claude Lelièvre, Ibid., citant le Progrès de la Somme du 14 0ctobre 1878. 42 Claude Lelièvre, Ibid., citant le discours de Jules Ferry, à l’inauguration de l’école professionnelle supérieure de Vierzon, Progrès de la Somme, 3 Mai 1883. 43 Jean Foucambert, L’école de Jules Ferry, Paris, Retz, 1986, p. 33. 29 Il y a donc, de fait, dans la loi de 1882, tant des visées économiques et politiques qu’un certain nombre d’aspirations humanistes et en particulier un idéal d’unicité du corps social. Cette unicité est symbolisée par le fait que chacun pourra s’élever socialement grâce à l’école accessible à tous. Le savoir, envisagé comme potentiellement universel puisque toute personne peut désormais le partager, est alors la garantie contre les oppositions sociales et la révolte des opprimés. Ceci ne signifie pas que la société devient tout à coup égalitaire, mais, que, par l’éducation, chacun peut désormais se forger un devenir, même s’il doit s’inscrire dans une intériorisation de l’inégalité … « Il apparaît urgent et nécessaire que chacun soit assigné ‘rationnellement’ à sa place44 ». Dans la loi de 1882, la volonté de favoriser un égal accès des enfants au savoir est manifeste tant par l’obligation qui est faite aux familles d’y pourvoir (et la loi, dans ses articles suivants, prévoit une série de modalités de contrôles) que par la définition des matières à enseigner. Il s’agit de dispenser avant tout un savoir pratique et utilitaire, destiné essentiellement à la gestion pratique du quotidien, surtout domestique et sans marque d’une orientation professionnalisante nette, mais aussi, sans parler encore de s’approprier un savoir savant, de valoriser des activités que l’on pourrait considérer comme ne relevant pas de la première nécessité. L’influence de Buisson est ici à l’œuvre . « Jules Ferry entendait en effet que l’école dispense non des rudiments de connaissance à l’usage du « simple peuple » mais les éléments premiers d’un savoir émancipateur 45 ». Il est question, de fait, de tendre non vers des bribes de savoir, mais vers une posture d’apprenant et de citoyen, que Ferry considère indispensable, conscient qu’il est des insuffisances du « lire-écrire-compter ». Car, si la trame d’un savoir commun est ici explicite, il est à noter qu’elle est davantage subie que choisie. On se situe bien, en effet, dans le cadre d’une école duale : la majorité des enfants, issue des classes défavorisées, s’arrête au primaire, à 12 ans, au niveau du certificat d’études, tandis qu’une minorité d’élèves, plus privilégiés tant socialement qu’économiquement, suit les cours du secondaire. Et étendre l’enseignement primaire bien audelà des rudiments, c’est, d’une certaine manière et dans l’idéal, enrichir le cursus de ceux qui n’accèderont jamais à l’enseignement secondaire. « Ce nouvel enseignement pourra se répandre sur les domaines divers qui sont en dehors du cercle de l’enseignement primaire, de façon à revêtir le caractère d’un enseignement secondaire au petit pied. Désormais, entre l’enseignement secondaire et l’enseignement primaire, plus d’abîme infranchissable[…] et l’on 44 45 Claude Lelièvre, op. cit., p. 99. Claude Lelièvre, Cahiers pédagogiques N°439, Janvier 2OO6, p.10. 30 peut dire que, dès le premier et le plus humble échelon, c’est une éducation libérale qui commence pour la nation toute entière 46 . » Si la demande d’un savoir « de base » institutionnalisé s’est traduite de façon effective par les lois de 1882 , elle n’a pas pour autant signé définitivement la fin des questionnements sur les contours à donner au « bagage minimum des connaissances ». Au contraire même, puisqu’avec Ferry surgissent de nouvelles questions, en particulier celle d’un primaire qui ne soit pas rudimentaire et celle de la liaison primaire-secondaire, le tout dans un contexte où la menace de contre-pouvoirs potentiels marque de son empreinte les finalités de l’Ecole. E Synthèse : des idéaux aux doutes Si nous examinons nos interrogations de départ à la lumière de ce détour historique, plusieurs constatations surgissent : En premier lieu, si la question des connaissances de base est très tôt posée, celle de leur contribution à l’élaboration d’un « savoir commun » n’est pas la priorité, ou tout au moins, elle n’est pas exposée comme telle. Le savoir est davantage perçu, sur la période que nous venons de parcourir, comme la condition sine qua non d’un mode d’organisation et comme un possible éclaireur de conscience. Ce qui est recherché, in fine, en termes de « compétence commune », c’est une adhésion au régime politique et à l’ordre économique, ce n’est pas le savoir en tant que tel. Le savoir n’est donc pas vu comme une fin, mais comme un moyen. L’urgence, semble-t-il, ce n’est pas tant que chaque être se forme et, de ce fait, grandisse en pensée et en humanité, - même si cette finalité est présente en filigrane - c’est surtout ce que l’instruction massive va produire et empêcher. Or ceci est conçu et instrumentalisé par une minorité experte, extérieure, qui met ainsi en œuvre son projet de société et tente de donner corps à une entité unie et unificatrice. La posture est donc intentionnelle et utilitariste. Elle pose parallèlement la question, pour l’individu, de la construction de son rapport au savoir, puisqu’il est, dans ces années de lancement massif de l’instruction, quelque peu dépossédé des tenants de son parcours. 46 Claude Lelièvre, Ibid., citant le discours de Jules Ferry au congrès pédagogique des instituteurs et institutrices de France du 19 avril 1881. 31 Ensuite, force est de constater que si ce savoir de base libère du joug de l’ignorance, il n’est pas suffisant, en revanche, pour permettre de s’affranchir du joug politique : le pouvoir devenu tout puissant en matière d’enseignement, bafouant l’idéal de Condorcet, réinstaure, en effet, une autre sujétion, sans doute plus diffuse. Nous retrouvons ici l’une de nos questions de départ, que nous reformulons désormais ainsi : existe-t-il un stade à partir duquel le savoir permet de lever l’état de sujétion ? question qui interroge elle-même sur « la mesure » du savoir et en particulier sur la place du quantitatif et celle du qualitatif. De plus, la question d’une organisation des apprentissages qui, de fait, entérine, en tendance, les inégalités sociales et va à l’encontre des préceptes de Condorcet, alors même que l’on se situe, avec Buisson et Ferry, dans une perspective humaniste, pose la question de la distance entre ce qui est pensé comme idéal et ce qui est réalisé et produit. Qu’advient-il, en définitive, de ce savoir de base commun ? Reproduit-il à l’identique les différences, à cette distinction près que « chacun a gravi un échelon » ? Ou est-il suffisant pour permettre un accès massif à un degré supérieur ? Et, si cette dernière éventualité est plausible, que génère-t-elle ? Peut-on émettre l’idée de l’émergence d’une culture commune, envisagée comme finalité, si ce n’est ultime, tout au moins surplombante ? Chapitre 2 : la fin du 20ème siècle et le début du 3ème millénaire C’est justement cette question du lien école - culture, devenant de plus en plus objet de débats sur le dernier quart du vingtième siècle, qui nous amène à poursuivre notre recherche en l’approfondissant précisément à ce stade historique. Pour Antoine Prost, l’école s’écarte peu à peu de sa signification du 19ème siècle : « On ne sépare plus seulement ceux qui ont, et ceux qui n’ont pas accès à l’instruction, mais ceux qui reçoivent telle ou telle forme de culture47 ». Le statut de l’école a aujourd’hui évolué dans une nation devenue instruite et l’institution scolaire se doit désormais « de donner aux enfants et aux adolescents la formation initiale qui fournira aux acquisitions ultérieures leur soubassement le plus solide. On insiste ainsi sur le caractère opératoire, fonctionnel de la formation scolaire, aux dépens de ses aspects idéologiques, et il est en effet conforme à 47 Antoine Prost, op. cit., p. 492. 32 l’évolution même de notre société de chercher davantage l’unité des formes de pensée technique, l’efficacité des processus de production et des modèles de consommation, que la communauté des valeurs48 ». A Le contexte Nous reprendrons ici des éléments de la synthèse historique réalisée par l’Institut National de la Recherche Pédagogique sur la notion de culture commune49. Dès 1974, Giscard d’Estaing, président de la République, propose de définir un savoir commun, une culture commune qui rende aux Français leur unité culturelle. Il évoque également l’idée d’une culture minimale pour tous : lors de sa première conférence de presse à l’Elysée, le 25 Juillet 1974, lançant les fondements du collège unique, il déclare : « Le premier objectif, c’est l’élévation du niveau de connaissances et de culture des Français [...]. On peut se poser la question de savoir si, à côté de l’obligation de scolarité jusqu’à seize ans, il ne faudrait pas imaginer une autre obligation qui serait de donner à chaque Française et à chaque Français un savoir minimal 50». Lors des élections de 1981, il relance ce projet, mais à gauche et à droite, il est accusé de vouloir « minimiser les savoirs » et de poser les bases d’ « un nivellement par le bas ». Quoi qu’il en soit, on notera ici la volonté de distinguer l’obligation de scolarité de « l’épaisseur » du savoir, comme si la relation entre les deux n’était pas si évidente, ou tout au moins comme s’il ne suffisait pas d’aller à l’école un certain nombre d’années pour que soit assurée la maîtrise d’un savoir considéré comme indispensable. En 1975, la loi Haby du 11 Juillet crée le collège unique, qui a pour mission d’être une école rassemblant des jeunes de toutes origines, de tous les niveaux, pour leur transmettre une même culture de base et préparer leur orientation. Pour René Haby, il y a des inégalités d’aptitudes, d’origine sociale ou non, et il y a lieu d’adapter la pédagogie à la variété des esprits et des capacités. Le collège doit donc être unique, donner de mêmes chances à tous […] 51». Terminant le processus de démocratisation de l’enseignement initié par les lois votées sous Jules Ferry, le texte se fixe comme objectif l’augmentation du niveau de connaissances et de culture de chaque jeune, avec un souci d’homogénéisation des connaissances, en lien avec l’harmonisation du contenu des disciplines. L’article premier précise que « la formation 48 Antoine Prost, op. cit., p. 493. Service de veille scientifique et technologique, INRP, http://www.inrp.fr/vst/Dossiers/Standards/France/culture_commune.htm 50 Cité par Claude Lelièvre, janvier 2006 http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2093 51 Claude Lelièvre, op. cit., p. 188. 49 33 scolaire favorise l’épanouissement de l’enfant, lui permet d’acquérir une culture, le prépare à la vie professionnelle et à l’exercice de ses responsabilités d’homme et de citoyen 52 ». L’article 3 de la loi stipule que « la formation primaire est donnée dans les écoles élémentaires suivant un programme unique réparti sur cinq niveaux successifs […] La formation primaire assure l’acquisition des instruments fondamentaux de la connaissance ». Dans l’article 4, il est fait état du collège unique, accessible à tous, qui a mission de donner aux élèves « une culture accordée à la société de leur temps ». Giscard d’Estaing précise alors : « La mise en place d’un système de collèges pour tous les Français […] devra s’accompagner, sur le plan des programmes, de la définition d’un « savoir commun », variable avec le temps, exprimant notre civilisation particulière53 ». Le système scolaire se trouve alors dans l’obligation théorique d’assurer l’accès à un savoir minimum, mais les contours ne sont pas clairement définis ; de plus, moyens et formation des enseignants ne sont pas ajustés aux nouveaux enjeux, de sorte que le collège unique peinera très rapidement à assurer sa mission d’enseignement pour tous et de recomposition du lien social. Car, comme le souligne Christian Beullac, successeur de René Haby, « le collège unique, ce n’est pas le collège uniforme54 ». Dans les années 80, avec un glissement de la notion de savoir à celle de compétence, le débat est animé entre les partisans de la fonction culturelle de l’école et ceux qui prônent avant tout sa fonction instrumentale. La question du « savoir-plancher » continue à se poser à plusieurs reprises par la suite, mais reste sans réponse. En 1984, à la demande de François Mitterand, Pierre Bourdieu rend un rapport qui prône la définition d’un minimum culturel commun : « Des programmes nationaux devraient définir le minimum culturel commun, c’est-à-dire le noyau de savoirs et de savoir-faire fondamentaux et obligatoires que tous les citoyens devraient posséder. Cette formation élémentaire ne devrait pas être conçue comme une sorte de formation achevée et terminale mais comme le point de départ d’une formation permanente. Elle devrait donc mettre l’accent sur les savoirs fondamentaux et sur la disposition à acquérir des savoirs (adaptabilité intellectuelle, ouverture de l’esprit …)55. 52 Loi N° 75-620 du 11 Juillet 1975, JO du 12 Juillet 1975 – Pages 7180 à 7182. Cité par Claude Lelièvre, janvier 2006, http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2093 54 Claude Lelièvre, op. cit., p. 190. 55 Pierre Bourdieu, Propositions pour l’Enseignement de l’avenir, rapport du Collège de France, Paris, Minuit, 1985, 48 pages. Texte intégralement reproduit dans Le Monde de l’Education, N° 116, Mai 1985, pp. 61 à 68. Citation extraite de la page 64. 53 34 Mais dans les faits, cette idée d’un savoir commun, malmenée de tous côtés, peine à se hisser au delà du statut d’objet de réflexion pour des commissions d’étude : En 1989, la loi d’Orientation débattue et votée à l’initiative de Lionel Jospin, ministre de l’Education Nationale, a pour ambition de constituer une référence pédagogique et de fixer au système une obligation de résultats. S’y trouve de façon explicite l’idée d’un savoir de base incontournable : « Tout élève qui, à l’issue de la scolarité obligatoire, n’a pas atteint un niveau de formation reconnu, doit pouvoir poursuivre ses études afin d’atteindre un tel niveau », lit-on dans l’article 3 de cette loi N° 89-486 du 10 Juillet 198956. L’article premier stipule, quant à lui, que « le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. L’acquisition d’une culture générale et d’une qualification reconnue est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou géographique57. Cette loi, dite Loi Jospin, oriente, de plus, vers un accès le plus large possible au diplôme du baccalauréat, vers la réduction des décisions d’orientation mal acceptées par les élèves ou les familles et, de façon générale, vers la reconnaissance législative de l’équipe pédagogique, du projet d’établissement… Outre la naissance de deux institutions, le Conseil National des Programmes et les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, et parallèlement à une nouvelle organisation de la scolarité, elle réaffirme et met en exergue deux principes : celui de l’égalité et celui de la citoyenneté : il s’agit d’aller dans le sens d’une individualisation des parcours et d’une autonomie des établissements. Elle édicte aussi que « le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants58 », ce qui peut paraître évident mais n’en marque pas moins une évolution profonde des bases mêmes de l’Institution… L’on peut dès lors se poser la question des points de ralliement possibles entre ces aspirations à tendance centrifuge et la recherche du « commun ». En Mai 1993, François Dubet 59 souhaite que soient définies les compétences et les connaissances qui doivent composer « le socle commun »60. 56 http://www.education.gouv.fr/botexte/sp10020425/MENE0200681C.htm Même source. 58 Même source. 59 François Dubet est sociologue, professeur à l’Université Bordeaux II. 60 http://www.inrp.fr/vst/Dossiers/Standards/France/culture_commune.htm veille scientifique et technologique de l’Institut National de la Recherche Pédagogique. 57 35 En 1994, Luc Ferry, président du Conseil National de Programmes, pense qu’il serait nécessaire de réactiver l’idéal républicain d’un socle commun de connaissances et de compétences. François Bayrou, destinataire du rapport défendant cette idée, se limite à un glissement sémantique en parlant « du collège pour chacun et non plus du collège pour tous ». . Les commissions se suivent : ainsi celle de Roger Fauroux61 mise en place par François Bayrou, ministre de l’Education nationale en 1995 et dont le rapport fut remis le 20 Juin 1996 : on y trouve un exposé des difficultés de l’école (manque de connaissances de base à l’entrée au collège, ascenseur social en panne, nombre excessif de matières enseignées, rythmes scolaires…) et … une définition des savoirs primordiaux dont l’acquisition doit être garantie à tous les jeunes de 16 ans : - lire, écrire et parler correctement le français ; - calculer, connaître les figures et les volumes, être familier de la proportionnalité et savoir apprécier les ordres de grandeur ; - se situer dans l’espace et dans le temps et d’abord dans son environnement immédiat ; - observer les choses et les êtres vivants, construire et manipuler des machines simples ; - éduquer son corps, sa sensibilité artistique ; - acquérir des comportements pratiques et faire siennes les valeurs qui sont au fondement de notre démocratie ; - respecter l’autre et se respecter, manifester de la solidarité avec tout homme et d’abord avec son concitoyen. La Commission présidée par Roger Fauroux avait, en effet, fait le constat « de l’enflure des programmes que nul mécanisme ne paraît en mesure d’endiguer : c’est l’offre des disciplines doublée de l’impuissance des experts à réguler l’augmentation - réelle - des savoirs qui détermine aujourd’hui le volume des connaissances que l’élève doit assimiler. L’école primaire elle-même est obsédée par le souci de munir les enfants, avant qu’ils ne s’émancipent, d’un ultime viatique, alors qu’elle n’est que le premier échelon d’une scolarité initiale qui s’étalera encore sur une dizaine d’années au cours desquelles les élèves auront le temps d’apprendre, d’oublier et de réapprendre encore. L’excès de matières enseignées exerce donc 61 Pour l’école, rapport de la Commission présidée par Roger Fauroux, La documentation française, Calmann Lévy, 1996. 36 un effet de trop-plein qui conduit à pratiquer l’oubli plus encore que la mémoire et qui explique, au moins pour partie, les ignorances constatées dans des domaines essentiels dès l’entrée au collège et, plus tard, jusqu’au seuil de l’université62 ». Réaction vive des syndicats avant la parution du rapport, puis silence par la suite, scepticisme de la presse, peu d’empressement du ministre à soutenir la commission, résistance de la profession, remise en cause des dépenses que les réformes préconisées génèreraient… et au final, pas de changements… Et une interrogation récurrente : comment se fait-il que l’on ne s’empare pas davantage de ces travaux tant de fois reformulés, améliorés, passés au crible ? Qu’est ce qui bloque le passage à la concrétisation ? Est-on dans une utopie telle qu’il est illusoire de chercher dans les seules réformes un quelconque effet ? Est-ce la grande méfiance de l’Ecole vis-à-vis de l’Entreprise qui provoque tollé ou immobilisme dès lors qu’il est question de professionnaliser les apprentissages et de limiter la formation générale à un bagage minimum ? Le rôle de l’obligation de résultats désormais explicite constitue-t-il un frein supplémentaire dans une institution qui revendique la connaissance comme non monnayable ? Autant d’interrogations et, en définitive, une situation de statu-quo. B Les nouveaux textes « fondateurs » Plusieurs publications de première importance paraissent dans la décennie 1995-2005. En effet, on fait le constat, dès le milieu des années 90, d’un palier dans les indicateurs et de l’exacerbation de nouveaux problèmes liés au fonctionnement du système éducatif. Il y a donc lieu de tenter d’éclairer cette stagnation et ce malaise. a) Le rapport Meirieu Initiée par Claude Allègre, Ministre de l’Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie, la consultation sur la question « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? », 62 Pour l’école, op.cit, préface. 37 confiée à un Comité présidé par Philippe Meirieu63, donne lieu à un rapport qui paraîtra en Mai 1998. Il s’agissait, en fait, de faire le point sur la situation du lycée en cette fin de vingtième siècle et sur les attentes tant chez les enseignants, les élèves que chez les parents et de présenter ainsi un ensemble de réflexions susceptibles de nourrir un vrai débat démocratique sur ce que la Nation entière attend de son lycée. Un certain nombre de priorités sont réaffirmées et notamment la volonté d’une unité du lycée dans un projet commun de formation et le refus de « programmes-maisons », une transmission des savoirs orientée vers l’apprentissage de la citoyenneté, un positionnement déterminant et éclairant entre la scolarité obligatoire et l’enseignement supérieur, la formation à une culture commune. Au service de ces axes sont édictés des principes, dont nous ne retiendrons ici que le ème 4 et le 7ème . Principe 4 : « Le lycée est une institution qui occupe une place charnière dans le système scolaire. […]Il articule deux éléments constitutifs : d’une part, une culture commune à laquelle doivent accéder tous les élèves, quels que soient leur filière, leur série et le choix de leurs options, d’autre part des cursus de formation, dont la lisibilité et la cohérence doivent être renforcés[…] 64 ». Principe 7 : « Une culture commune est définie nationalement sur proposition du Conseil National des Programmes pour tous les élèves de lycée, quels que soient leur filière, leur série et le choix de leurs options. Elle est formulée en termes d’objectifs de fin de lycée et constitue une référence unique pour tous les établissements[…]. Elle comporte des connaissances fondamentales pour la compréhension du monde et l’exercice de la citoyenneté, des compétences techniques requises pour faire face aux exigences communes de la vie sociale, des capacités méthodologiques permettant l’accès immédiat ou différé à des formations supérieures et des qualités intellectuelles exigées par l’exercice de la démocratie ellemême65 ». 63 Philippe Meirieu est professeur en Sciences de l’Education à l’université Lyon II. Rapport final du Comité d’Organisation « Quels savoirs enseigner au lycée ? » dirigé par Philippe Meirieu, Lyon, 11 Mai 1998, p.4. 65 Philippe Meirieu, op. cit., p.7. 64 38 La définition des contours de cette culture commune est considérée comme une priorité par la Conseil National des Programmes et elle est clairement explicitée dans le rapport Meirieu, qui lui attribue une responsabilité sans équivoque : « Construisant les éléments constitutifs d’une véritable citoyenneté, elle contribue à la cohésion sociale et à la lutte contre l’exclusion66 ». Elle comporte le français, l’histoire-géographie, l’éducation civique, juridique et politique, l’éducation physique et sportive, l’expression artistique, le tout étant pensé dans une perspective non techniciste, mais de compréhension, de mise en débat, de transdisciplinarité… Une culture de base scientifique est obligatoire dans toutes les filières et dans toutes les séries, de même qu’un approfondissement de l’apprentissage systématique de l’informatique, l’apprentissage des langues vivantes, un accès à la réflexion philosophique et une formation à la recherche documentaire. Ainsi, les outils sont-ils listés et la perspective annoncée. Si la méthodologie utilisée lors de cette consultation a généré spontanéité et enthousiasme en particulier chez les lycéens eux-mêmes, force est de constater que les propositions présentées dans ce rapport ne s’alignent qu’imparfaitement sur les sentiments et les demandes des acteurs du lycée. Il y a en particulier, et c’est un exemple symptomatique, un décalage sur l’exigence réaffirmée par les jeunes d’une maîtrise avancée de l’informatique et sa place, relativement mineure, au milieu des autres disciplines. De plus, si cette demande traduit, en arrière plan mais fondamentalement, le sentiment que c’est l’accès à l’information et son traitement qui constituent la pierre angulaire de la réussite, on ne peut que s’interroger sur les moyens mis en œuvre pour y parvenir : la maîtrise de l’ordinateur n’est pas une fin en soi mais un moyen, à manipuler avec soin d’ailleurs ; d’autre part, l’initiation à la recherche documentaire, si elle est effectivement spécifiée comme indispensable, ne semble pas pour autant être priorisée. Il y aurait donc un chaînon manquant, ce qui n’est toutefois pas une surprise car le traitement de l’information n’est pas une opération intellectuelle qui se décrète une fois pour toutes et rentre dans un cadre rigide : de fait, ce n’est pas parce que l’on aura amplifié l’accès aux ordinateurs et aux Centres de Documentation et d’Information que le problème sera réglé. Nous nous retrouvons donc ici, une fois de plus, face à des apports théoriques fiables, confirmés par les acteurs, mais où les moyens semblent inadéquats, soit parce que l’on met sur un même plan des savoirs qui ne se prêtent pas du tout aux mêmes processus d’appréhension, soit parce que l’illusion des moyens masque les objectifs, soit encore parce que la nécessité 66 Op. cit., principes 8 et 9, pp. 8 et 9. 39 d’efficacité et d’opérationnalité amène forcément à trouver des solutions tangibles, là où ce n’est pas tant le mesurable et le visible qui seraient les plus pertinents . Pour poursuivre sur la même idée, Edgar Morin, intervenant au colloque de Lyon les 28 et 29 Avril 1998, dans le cadre justement de la consultation sur le lycée 67, pose sans ambages comme axe essentiel la capacité à articuler les savoirs : « L’information est une matière première que la connaissance doit maîtriser et intégrer.[…] Paradoxalement, le développement d’une énorme machine scientifique-technique-bureaucratique produit de l’ignorance chez les citoyens, tenus à l’écart des connaissances, devenues ésotériques et concentrées dans des banques de données réservées à la caste savante et aux experts. Ceux-ci du reste, et nous y reviendrons, sont de moins en moins capables d’appréhender les problèmes fondamentaux et globaux. Ainsi, tandis que l’expert perd l’aptitude à concevoir le global et le fondamental, le citoyen est dépossédé du droit de la connaissance ». Sur le même registre, il poursuit, dans un entretien, accordé au Monde de l’Education, en Mai 200768 : « J’aime cette formule de l’Emile de Jean- Jacques Rousseau qui dit de son élève : « Je veux lui apprendre à vivre ». C’est cela l’éducation : donner à un enfant la capacité d’affronter les problèmes vitaux, fondamentaux et globaux, qu’il rencontrera dans sa vie d’individu, de citoyen, d’être humain à l’ère planétaire. Ces questions sont désintégrées dans nos systèmes d’enseignement, où les disciplines morcellent les problèmes jusqu’à les rendre invisibles… ». Il y aurait donc un hiatus entre la culture, prise au sens large du terme, comme ensemble complexe d’éléments qui forgent, nourrissent et entretiennent l’apprentissage de la vie, et la culture scolaire. L’une unit et l’autre parcellise. Dans ces conditions, le postulat qui fait de l’école l’institution majeure pour favoriser l’émergence et l’adhésion à une culture commune est-il valide, et si oui et à quelles conditions ? C’est plus globalement la question du transfert qui est posée ici : qu’est-ce qui fait obstacle au passage de la posture d’élève à la posture d’Homme intégré à la Cité et partie intégrante de celle-ci ? Une piste ne résiderait-elle pas dans cette idée, exprimée dans la synthèse du rapport Meirieu ? « Au total, il est particulièrement évident que les élèves ne récusent nullement les savoirs enseignés au lycée, ils disent simplement qu’ils veulent vivre ces savoirs. Ils affirment ainsi, à leur manière, la place éminente que doit avoir la pédagogie69 ». En d’autres termes, la demande est exprimée d’une 67 Edgar Morin avait été chargé par Claude Allègre de recueillir l’avis de grands intellectuels et scientifiques sur la structuration souhaitable pour l’avenir des savoirs en vastes champs disciplinaires. 68 Edgar Morin, « C’est la pensée qu’il faut réformer », Le Monde de l’Education, N° 358, Mai 2007, p. 13. 69 Op. cit., p.7. 40 prise en charge et d’une mise en débat des savoirs par les élèves eux-mêmes, plus que ne sont exposées des revendications sur les contours disciplinaires de ces savoirs. Comme si c’était cette dimension qui était perçue défaillante, dans un enseignement français largement orienté vers le cours magistral, notamment au collège et au lycée. Faut-il voir ici une cause possible de cette rupture que nous évoquions plus haut ? Ce pourrait être parce que les élèves ne sont pas suffisamment acteurs de leurs savoirs, qu’ils ne disposent pas d’assez d’opportunités pour les intérioriser, les discuter, les utiliser sous des formes différentes… bref qu’ils demeurent relativement extérieurs à ce qu’on leur « sert », qu’ils ne sont pas mis en position de se forger leur propre système de référence et que par la suite, ce qu’ils « emportent » de l’école n’est pas suffisamment structurant, approprié, habité, pour qu’ils s’y réfèrent et continuent de s’en nourrir une fois adultes. La consultation Meirieu a amené un certain nombre de changements, au lycée (Travaux Personnels Encadrés, Projets Pluridisciplinaires à Caractère Professionnel, Education Civique Juridique et Sociale, aide individualisée, conseils de vie lycéenne), apportant ainsi des dispositions-réponses aux interrogations soulevées. Ces ajustements ne lèvent cependant pas pour autant la question d’une autre façon d’enseigner et celle des conditions du continuum entre l’école et l’après. b) Le rapport Dubet : « le collège de l’an 2000 » Initié en Décembre 1998 par Ségolène Royal, alors ministre déléguée, chargée de l’Enseignement scolaire, ce rapport, confié à un comité de pilotage70 présidé par François Dubet, est centré sur le Collège à un moment où l’on fait le constat que celui-ci demeure « le maillon faible » du système éducatif et qu’il importe de le relancer. Synthèse de renseignements collectés à partir de grilles d’entretien, envoyées dans tous les collèges, il juge le collège globalement efficace mais constate des difficultés qui seraient le résultat de demandes opposées, ayant trait notamment à cette ambivalence entre l’accueil de toute une classe d’âge et la prise en charge de profils et de projets très divers. L’attachement à un collège qui accueille tout le monde est réaffirmé, au travers des compétences communes : « Il va de soi que, pour la plupart des enseignants, le collège doit offrir à tous les élèves, un ensemble de connaissances et de compétences communes. […] Il va 70 Ce comité de pilotage rassemble Alain Bregounioux, inspecteur général, Marie Duru-Bellat, professeur à l’université de Dijon et Roger-François Gautier, directeur général du Centre National de Documentation Pédagogique. 41 de soi que les mécanismes de la sélection ne peuvent pas mettre en cause cet objectif visant à garantir que toute une classe d’âge, possède, au minimum, un fonds culturel commun71. » A la question « Quels sont les compétences et les savoirs indispensables et communs attendus de tous les élèves à la sortie du collège » ?, les communautés éducatives placent en premier lieu « lire-écrire-compter », puis, dans l’ordre, l’expression orale et la capacité à argumenter en public, la compréhension d’une consigne et d’un énoncé et enfin les capacités à résumer, synthétiser, commenter, rédiger un texte. La maîtrise des démarches de la vie courante, la capacité à mémoriser, la maîtrise d’une langue étrangère et le repérage dans l’espace et dans le temps sont moins mis en avant. Dans la « catégorie » des méthodes et des attitudes, c’est l’autonomie qui apparaît la plus importante, suivie de l’esprit critique, le respect des règles sociales, la maîtrise d’un raisonnement et enfin la capacité d’abstraction. Une place moins prioritaire est accordée aux compétence suivantes : utiliser des outils documentaires, se concentrer sur une tâche, mettre en œuvre des démarches actives, mobiliser ses connaissances, faire preuve de confiance en soi, vivre et travailler en groupe, réfléchir à ses orientations, exprimer une réaction personnelle, développer la connaissance de soi et faire preuve de solidarité. Si l’on s’intéresse maintenant aux savoirs, compétences et attitudes jugés indispensables mais dont le collège ne se préoccupe pas assez, les savoir-faire élémentaires arrivent largement en tête (techniques d’information et de communication, capacité à traiter l’information) puis des préoccupations d’ordre méthodologique (décloisonnement des disciplines, capacité à apprendre, chercher et travailler personnellement), largement avant ce qui a trait au « vivre ensemble » - respect et écoute des autres, solidarité -. Sans se livrer à une comparaison fine des travaux de Meirieu et de ceux de Dubet, il est cependant aisé de repérer les invariants entre les deux recherches : il en est ainsi, au delà des savoirs disciplinaires, des aspects méthodologiques (quelle information ? comment la traiter ? comment apprendre ?) et pédagogiques et didactiques, avec notamment la question des liens entre les disciplines et celle du savoir vivant. Les préoccupations relatives à « la vie scolaire » ne sont pas éludées, certes, mais elles n’apparaissent pas prioritaires, alors que ce sont surtout elles qui font peser nombre d’inquiétudes sur le collège en particulier. Ce serait un peu comme si les problèmes de respect, politesse, savoir-être en groupe … étaient perçus soit comme ne relevant pas de la compétence spécifique des établissements de formation, soit 71 François Dubet, Le collège de l’an 2000, Paris, La documentation Française, 1999, p. 48. 42 comme mineurs relativement aux attentes des jeunes en termes d’accès au savoir, soit comme consécutifs aux dysfonctionnements de l’axe des apprentissages, auquel cas c’est bien sur cet axe qu’il convient de se focaliser. D’ailleurs, en 2001, Jack Lang, Ministre de l’Education Nationale, s’inspirera, entre autres, de ces travaux pour instaurer la mise en place des Itinéraires De Découverte au collège, les objectifs étant de lutter contre l’ennui, lutter contre l’échec scolaire, innover. Ce qui signifie que l’on prend peut-être acte, à ce moment-là en particulier, de l’importance du sens à donner aux apprentissages et de sa nécessaire appropriation par l’élève. Mais « s’approprier », c’est « rendre propre » à chacun, et comme chacun est différent, est-il illusoire ou au contraire indispensable de viser « le commun ? » c) Le rapport Thélot Le 20 Novembre 2003, le président de la République, Jacques Chirac, déclare : « Le moment est venu, je pense, pour notre pays de se rassembler autour de ce qu’il désire pour sa jeunesse et renouveler le pacte qui le lie à son Ecole. Tel est le sens du débat que j’appelle de mes vœux, et qu’a engagé le Gouvernement, débat sur l’avenir de notre système éducatif. Un débat ouvert bien sûr à toutes et à tous, aux praticiens de l’Ecole naturellement, mais aussi à toutes les familles, à toutes les professions, à tous les Français. Un débat, je le souhaite, exemplaire, par sa méthode et son ampleur, qui marquera une étape dans la modernisation de notre vie politique72 ». Cette orientation volontariste répond à plusieurs aspirations : questionnement sur la place de la France dans le monde, en termes économiques, sociaux et culturels, interrogations par rapport à un système éducatif dont la réussite, nous l’avons déjà évoqué, tend à plafonner, importance des départs en retraite en cette première décennie du troisième millénaire et donc nécessité de repréciser les missions de l’Ecole. Il s’ensuivra une vaste consultation durant l’automne et l’hiver 2003 - 2004, dont le déroulement et les conclusions, orchestrés par une commission présidée par Claude Thélot, 72 Les Français et leur école, le miroir du débat, Paris, Dunod, 2004, p.1. 43 seront consignées dans l’ouvrage « Les Français et leur Ecole ; le miroir du débat73 » . Il en découlera aussi l’élaboration d’un rapport par cette commission, qui sera remis au Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin, en Octobre 2004 : « Pour la réussite de tous les élèves74 ». Ce document, communément nommé rapport Thélot, trace les grandes lignes de la loi du 23 Avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, qui officialise la notion même de « Socle Commun de Connaissances et de Compétences ». C’est lui qui fera désormais l’objet de notre attention. Chapitre 3 : Le Socle Commun de Connaissances et de Compétences A Le concept Se présentant comme résolument axé sur la nécessité de « la réussite pour tous » - écho à l’exigence de qualité et de justice exprimée par Jacques Chirac75- , le rapport Thélot tente tout d’abord de circonscrire la notion, avant de présenter un programme d’action en huit points. « Réussite pour tous », cela ne signifie pas, bien sûr, mener tous les élèves aux qualifications les plus élevées ; il s’agit davantage d’ « armer tous les élèves et les futurs citoyens de connaissances, de compétences et de règles de comportement jugées aujourd’hui indispensables à une vie sociale et personnelle réussie. C’est pour cela que le rapport propose que soit définie une culture commune, mais aussi plus précisément, en son sein, un socle commun des indispensables, destiné à être maîtrisé par tous, indépendamment des parcours et des dispositions des élèves76 ». L’Ecole de la réussite est de plus une Ecole utile aux élèves, qui doit leur permettre de choisir avec pertinence une orientation conforme à leurs aptitudes et à leurs aspirations ; c’est aussi une Ecole qui envisage la réussite aux plans du développement individuel et de l’intégration dans les espaces communs : « L’Ecole doit être une espace pacifié 73 Claude Thélot (présidé par), Commission du débat national sur l’avenir de l’Ecole, « Les Français et leur Ecole, le miroir du débat », Paris, Dunod, 2004. 74 Claude Thélot ( présidé par), Commission du débat national sur l’avenir de l’Ecole, « Pour la réussite de tous les élèves », La documentation Française, Paris, 2004. 75 Cf page 8. 76 Claude Thélot, Rapport Thélot, p. 32. 44 à l’intersection de l’individuel et du collectif77 ». C’est encore une Ecole qui promeut l’égalité des chances. C’est enfin une Ecole efficace, « qui mobilise ses ressources de façon rationnelle et maîtrisée ». Au rang des huit priorités du rapport, en termes de mise en œuvre, le Socle Commun de Connaissances et de Compétences figure comme pierre maîtresse. « L’accord se fait facilement aujourd’hui sur cette question de principe : la scolarité obligatoire qui se poursuit jusqu’à l’âge de 16 ans devrait garantir à tous l’acquisition d’un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être. Ce socle commun ne constitue pas la totalité de ce qui est enseigné à l’école et au collège, mais doit contenir ce qui est indispensable pour réussir sa vie au 21ème siècle78 ». Le ton est des plus affirmatifs comme si la question de la pertinence d’un SCCC n’avait plus lieu d’être. Il est toutefois singulier de noter que, lors du débat national de 2003-2004, la question de la nécessité d’un Socle Commun n’était pas la priorité : les équipes éducatives l’avaient en effet placée en cinquième position, derrière des questionnements ayant tous trait à autre chose qu’aux savoirs en tant que tels (méthodologie, gestion de la diversité, vivre ensemble)79. Ce ne sont donc pas tant les missions et les valeurs de l’Ecole qui faisaient problème que sa capacité à gérer le « comment ». Il est par conséquent curieux que ce SCCC arrive ainsi en tant qu’objet premier, incontournable et investi de missions aussi diverses que larges. Cette situation laisse supposer qu’au delà des retombées de la consultation, que nous ne mettons nullement en cause, d’autres leviers ont joué pour hisser ainsi le SCCC au rang d’objet d’une loi. Un objectif de réussite pour tous, certes, mais pas seulement… B Le contexte a) En termes d’enjeux économiques Au plan communautaire, les chefs d’état Européens s’assignent, en mars 2000, un nouvel enjeu stratégique pour 2010 : l’objectif est de devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’ une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi[…] 80 ». 77 Claude Thélot, op.cit., p. 33. Claude Thélot, op.cit., p. 38. 79 Claude Thélot, Les Français et leur école, Le miroir du débat, p. 17. 80 http://www.consilium.europa.eu/ueDocs/cms_Data/docs/pressData/fr/ec/00400-r1.%20ann.f0.htm 78 45 Concomitamment à un ensemble de dispositions telles l’harmonisation des diplômes de l’enseignement supérieur, la validation des acquis de l’expérience, la formation tout au long de la vie, le Conseil Européen de Lisbonne préfigure le Socle Commun de Connaissances et de Compétences : les pays de la Communauté se fixent en effet des critères de référence communs et, en particulier, une réduction de 20% du pourcentage des élèves de 15 ans ayant de faibles compétences en lecture ; des compétences-clés sont énoncées (langue maternelle, langues étrangères, lecture, mathématiques et Techniques d’Information et de Communication, civisme et relation entre personnes, apprendre à apprendre, esprit d’entreprise, expression culturelle). La France, à travers le contenu du SCCC, reprend en grande partie les orientations définies au niveau communautaire. Cette adhésion à la stratégie de Lisbonne génère un certain nombre d’interrogations : Elle repose, pour l’essentiel, sur une approche par les compétences : il ne suffirait pas tant d’engranger des connaissances, encore faudrait-il être capable de les utiliser, l’objectif étant que les individus puissent alors mobiliser leurs acquis pour s’adapter à des situations diverses, complexes et imprévisibles. Hérité du monde de l’Entreprise et du contexte de la formation professionnelle, adopté également dans le cadre de référence européen, le terme de « compétence » revêt ici un caractère englobant, utilitaire et opérationnel, qu’il nous faudra croiser avec un système éducatif actuel qui, globalement, privilégie souvent le savoir strictement intellectuel, la culture scripturale… On ne pourra donc faire l’économie d’un réel débat de fond tant sur la question des contenus et que sur celle des approches. Il nous faudra aussi nous interroger sur ce qui, dans le Socle Commun, permettra ce transfert des savoirs, des connaissances aux compétences, et identifier ce qui, dans le système actuel, l’inhibe. Quelle est, par ailleurs, la validité de la corrélation avancée entre la connaissance, la croissance économique et l’évolution de l’emploi ? Question qui taraude tant les instances internationales que les logiques françaises : « La maîtrise du Socle Commun est un but : but individuel pour chaque jeune, puisque sa réussite commence par là, mais aussi but collectif, car, devenant effective pour tous (ce qu’elle n’est pas aujourd’hui), elle aura pour effet d’élever le niveau d’ensemble du pays […]81 ». En 2006, une communication de l’OCDE (Organisation de Coopération et de 81 Claude Thélot, Rapport Thélot, p. 38. 46 Développement Economique) par son secrétaire général Angel Gurria confirme que « l’éducation est une source majeure de productivité et de croissance ». De récentes analyses montrent qu’« une année supplémentaire de scolarité, pour les actifs, en moyenne, dans un pays de l’OCDE, augmente la production à long terme par personne, de 4 à 7 %, compte tenu d’un gain de productivité, des méthodes de travail et des progrès technologiques82 ». Cependant, et sur ce même registre, l’UNESCO (United Nations Educational Scientific and Cultural Organization) stipule, dans une publication de 2003, qu’il existe certes « une corrélation entre éducation et croissance économique mais qu’une corrélation n’est pas une relation de cause à effet[…]. Comment, en effet, expliquer que certains états font mieux que leurs voisins sur le plan de l’éducation, alors qu’ils sont moins performants économiquement83» ? Si le lien est si évident, comment expliquer, par ailleurs, que certains états n’aient pas encore opté pour l’Education pour tous ? Et si, comme le laisse penser cette même publication de l’UNESCO, la croissance économique ne donnait qu’une idée imprécise de la réussite d’une société ? La question n’est pas de remettre en cause une théorie largement partagée et observée mais de pointer le fait que la liaison « maîtrise du socle commun – amélioration de la situation économique », présentée comme évidente, aurait sans doute à être observée de plus près. L’INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques), dans son enquête de l’emploi 2005, parue en Mars 2006, indique que les personnes sans diplôme ou titulaires du certificat d’études restent, de loin, les plus touchées par le chômage, 15% en moyenne en 2005, soit deux fois et demie plus que les diplômés de l’enseignement supérieur84. Là encore, l’on aurait presque tendance à dire qu’il s’agit d’une banalité, la question étant cependant de savoir si la maîtrise du seul socle commun pourra effectivement s’apparenter à une amélioration des compétences : dans un monde en perpétuelle mutation et où l’évolution des savoirs est en croissance exponentielle, ne peut-on craindre, pour l’avenir, que les exclus soient, de fait, ceux qui ne maîtriseront « que » le socle commun ? Ou bien le socle commun permettra t-il justement de fournir ce qui, justement, fait défaut aujourd’hui aux chômeurs de longue durée par exemple ? La question du rôle que l’on souhaite assigner à l’éducation sera aussi à revisiter, en particulier à travers son statut, dans cette consubstantialité affichée ici avec la sphère et les objectifs économiques : éducation au service des défis économiques, des enjeux de la 82 http://www.oecd.org/document/46/0,3343,fr_2649_37415_37831214_1_1_1_1,00.html, discours prononcé par Angel Gurria, le 12 Décembre 2006, devant l’Institut Aspen France, qui a pour vocation d’encourager la discussion et le débat avec le but de mieux identifier les grands défis mondiaux et d’y apporter des solutions. 83 Bulletin de l’Education aujourd’hui, UNESCO, Juin-Septembre 2003. 84 Ketty Attal-Toubert, Henri Lavergne, Insee Première, N° 1070, Mars 2006. 47 mondialisation, de la compétition, de la libéralisation ? éducation pour mieux comprendre et analyser ces phénomènes ? éducation calculatrice ? éducation émancipatrice ? Au delà du consensus européen, auquel elle a adhéré, la France, aux prises avec des interrogations sur son système scolaire, au plan interne, aura donc, dans ce nouveau cadre du SCCC, à se positionner sur ses spécificités et sur ses velléités. La multiplicité des acteurs en lice, la diversité des axes de lecture de ce Socle Commun, la question aussi des moyens à mettre en œuvre pour qu’il ne reste pas lettre morte, comme ce fut maintes fois le cas par le passé pour des propositions de la même sorte, seront autant d’atouts, mais aussi de limites, pour qu’il soit réellement signifiant. b) En termes de défis sociaux à relever La France apparaît confrontée à de multiples difficultés en termes de réalisation de son unité : les signes de fractures sont multiformes, qu’ils soient relatifs à l’accès au travail, au logement, à la nationalité… De plus en plus de personnes sont qualifiées d’« exclues » et le ressentent ainsi. Or l’amendement qualitatif des conditions de vie et l’amélioration de la cohésion sociale sont deux thèmes que l’on retrouve de façon marquée et récurrente, au rang des objectifs assignés à la mise en place du SCCC : on peut alors s’interroger sur la place du Savoir et des apprentissages en la matière. La question de la cohésion sociale est, en tant qu’objectif national, présentée comme liée à l’économie de la connaissance et posée comme conséquence évidente de la maîtrise du Socle Commun (On notera le futur de l’indicatif, sans ambiguïté, du rapport Thélot). La notion est encore présente dans l’annexe au décret du 11 Juillet 200685, cette fois au plan de chaque individu, sous l’expression « réussir sa vie en société ». Là encore, les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît : si l’on se réfère de nouveau à la communication de la secrétaire générale de l’OCDE du 12 décembre 2006, on lit : « [L’éducation] est la meilleure façon de réaliser la cohésion sociale et de préparer les individus à devenir des citoyens. L’éducation est essentielle pour consolider la démocratie ». 85 Bulletin Officiel N°29 du 20 Juillet 2006, Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Cf annexe. 48 Cependant, la réflexion se termine ainsi : « Beaucoup avaient espéré qu’une offre éducative plus large constituerait une base solide pour une société plus juste, dans laquelle les chances de chacun, dans la vie, dépendraient moins de ses origines sociales. La politique éducative peut, de fait, contribuer à l’équité et la cohésion sociale, mais elle ne peut les garantir. En dépit de grands progrès enregistrés sur le plan de l’éducation, les inégalités se sont même accentuées en certains endroits. Combattre les inégalités est un défi important à relever, et la politique éducative ne peut suffire à elle seule pour le résoudre ». Même si le champ de référence est ici international et la problématique légèrement différente, la question d’un lien irréductible entre éducation et cohésion sociale ne mérite pas moins d’être débattue. Un certain nombre de travaux, majoritairement sociologiques, et qui se sont penchés sur les relations entre école et société, abondent d’ailleurs dans ce sens : Dans « Les héritiers », Bourdieu et Passeron montraient, dès 1964, que le milieu social est un déterminant majeur de la réussite scolaire : l’école entérine les inégalités sociales en transformant le capital social en capital scolaire. En 1971, Baudelot et Establet montraient, dans « L’école capitaliste en France » qu’à la division de la société en classes correspond une école à plusieurs vitesses. Ne serait-on pas ici, de fait, aux prises avec la crise de la culture scolaire, c’est-à-dire avec une lame de fond beaucoup plus prégnante et profonde, et où la question de ce qu’il faut apprendre ou non à l’école ne serait qu’un épiphénomène ? C’est d’ailleurs, en tendance, ce qui ressortait de la « Consultation Meirieu ». On est alors en droit de se poser la question de l’adéquation moyens-finalités, quand le SCCC est présenté comme indubitable vecteur de cohésion sociale. c) En termes de représentations de l’Ecole Les publications foisonnent sur les résultats de l’école française, chacun se sentant autorisé et légitimé à produire chiffres et analyses sur l’institution « Education Nationale » et rares sont les contributions qui font état de ses bons résultats. On se focalise beaucoup plus sur ce qui ne va pas et il est vrai que les sujets d’inquiétude ou de remise en cause ne manquent pas : 49 Depuis 1995, la proportion de détenteurs, dans une génération, du baccalauréat général a baissé : 37,2 % en 1995, 32,9 % en 2000, 33,7 % en 200586. On parle de plus en plus d’échec scolaire : des élèves sortent du système sans diplôme, certains décrochent. Les projections pleuvent : un élève qui redouble le Cours Préparatoire a une chance sur six d’atteindre le bac. Les statistiques abondent : 20% de chaque génération serait en difficulté… De nombreux jeunes sont exclus des savoirs de base et, selon le Haut Conseil de l’Education87, 15% des élèves de fin de troisième n’ont aucune maîtrise des compétences générales attendues à la fin du collège, auxquels s’ajoutent près de 30% qui connaissent des difficultés importantes. De plus, le contexte change, tout comme sa perception : ● La société est en crise. ● La masse des connaissances augmente et donc la nécessité d’apprendre revêt une importance cruciale. Echouer à l’école est considéré comme une hypothèque sur l’avenir. ● Ce qu’il faut apprendre se situe de plus en plus « hors école, élémentaire et secondaire » : l’école a perdu son rôle de source unique de savoir. Ceci est particulièrement net avec le développement des Technologies de l’Information et de la Communication. ● Les idées sur ce qu’est « apprendre » évoluent et ébranlent les certitudes. ● Les postures des acteurs de l’école ont évolué : autrefois, et pour ne prendre que cet exemple, l’ennui à l’école existait déjà mais il ne se disait pas. Aujourd’hui, il est courant de reprocher au professeur de ne pas prendre suffisamment en compte les questions des élèves, les vrais problèmes, de vrais projets… La place des parents a, elle aussi, changé. Discours globalement morose et pessimiste sur l’Ecole, porté de l’intérieur et de l’extérieur : au regard de l’indice PISA88, la France obtient en effet des résultats moyens en lecture (compréhension de l’écrit), mathématiques et sciences. Et l’on lit, dans le cadre des recommandations pour le Socle Commun du 23 mars 2006 : « Cette situation a des 86 Références statistiques 2006 sur les enseignements, la formation et la recherche, Ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2006, p. 233. 87 http://www.hce.education.fr/gallery_files/site/19/26.pdf 88 « Le Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves, mené sous l’égide de l’OCDE, a pour vocation de déterminer dans quelle mesure les élèves qui arrivent au terme de leur scolarité obligatoire ont acquis les savoirs et savoir-faire indispensables pour participer pleinement à la société de la connaissance ». www.oecd.org 50 conséquences graves sur le niveau de formation de la Nation, déterminant pour l’avenir de notre pays, comme sur les conditions d’accès et de réussite dans l’enseignement supérieur ». Deux grandes tendances rhétoriques sont à l’œuvre ici : celle qui met l’accent sur le désordre de la maison « Education Nationale », insistant sur le flou qui y règne et sur son impuissance et celle qui profère les risques inhérents à cette situation quant à la position de la « Nation France » par rapport à l’étranger. Au total, un discours qui appellerait à une nécessaire reprise en main, à une refondation ( socle ? ) solide… Car ce qui est présenté comme menacé n’est rien moins que l’intégrité de la République, d’une République qui reste fondamentalement ancrée dans les valeurs de la 3 ème . Alors que cette velléité d’identification ne fait plus nécessairement consensus ni sens pour une frange de la population, l’Ecole, emblème majeur s’il en est, apparaît comme le dernier bastion susceptible de porter et d’instiller les idéaux fondateurs. Cette perspective ne manque pas de susciter des questions : quelle place pour l’école entre une nostalgie rassurante et une réalité différente ? quel espace pour la libre pensée et la construction de l’individu dans un espace que l’on perçoit contingenté ? Ne conviendrait-il pas, enfin, de reformuler les points d’ancrage et les valeurs de la République de ce début de 21 ème siècle ? C La réorganisation proposée Le décret du 11 Juillet 2006, nourri des réflexions de la Commission Thélot, définit les connaissances et compétences que tout élève doit posséder à l’issue de sa scolarité obligatoire. « Il existerait un accord sur une question de principe : la scolarité obligatoire qui se poursuit jusqu’à l’âge de 16 ans devrait garantir à tous l’acquisition d’un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être. Ce socle commun ne constitue pas la totalité de ce qui est enseigné à l’école et au collège, mais doit contenir ce qui est indispensable pour réussir sa vie au 21ème siècle89 ». 89 www.inrp.fr/vst/Dossiers/Standards/France/curricula.htm 51 La Loi du 23 Avril 2005 institue également le Haut Conseil de l’Education et son installation est officialisée le 9 Novembre 2005 : cet organisme, consultatif, se substituant au Conseil National des programmes, né en 1990, et au Haut Conseil de l’évaluation de l’école, a pour mission de formuler des propositions, à la demande du ministre, sur la pédagogie, les programmes, l’organisation du système éducatif et la formation des enseignants. Cette instance est aussi chargée de définir le contenu du Socle Commun. Elle doit enfin présenter au Président de la République, chaque année, un bilan des résultats du système éducatif et des expérimentations menées sur le terrain. Enfin, le Conseil d’Orientation des Programmes, installé le 18 0ctobre 2006 par Gilles de Robien, est chargé d’adapter les programmes au socle commun, défini par le Haut Conseil de l’Education. Au total, une organisation pyramidale, dont les moyens sont présentés comme étant à la hauteur des ambitions, en termes de mise en œuvre et de suivi. D La redéfinition des contenus La question des constituants du SCCC s’inscrit dans la logique du cadre de référence européen, qui semble ainsi se substituer largement aux recommandations émanant des commissions et dispositifs nationaux, même s’il est vrai que les deux modèles ne se superposent pas à l’identique. « La France a décidé de prendre part à l’harmonisation des systèmes éducatifs européens. La Loi d’Orientation et de Programme pour l’avenir de l’Ecole d’avril 2005 est pleinement compatible avec le projet de cadre européen. Le Haut Conseil préconise en conséquence de s’inscrire dans ce projet de cadre, tout en l’adaptant aux particularités françaises, telles que l’ambition de culture humaniste90 ». Présenté comme devant être l’outil de la réussite pour tous, le SCCC est donc essentiellement la déclinaison d’un dispositif beaucoup plus large et dont on ne saisit pas nécessairement le lien direct avec la difficulté scolaire identifiée en France. Sensé être né des observations de terrain, relayées par de nombreux rapports, dans une structure ascendante, il apparaît maintenant comme étant le fruit d’une volonté globalisante, harmonisante, qui prend la forme d’un dispositif descendant, imposé. Où l’on passe du couvercle baudelairien au socle 90 HCE, Recommandations pour le Socle Commun, 23 Mars 2006, www.hce.education.fr/gallery_files/site/19/26.pdf 52 fondateur … Nous devrons nous interroger sur les conséquences de ce hiatus, de cette inversion majeure de trajectoire … L’acquisition de chaque compétence requiert la contribution de plusieurs disciplines, et, réciproquement, une discipline contribue à l’acquisition de plusieurs compétences. Chaque compétence est décrite clairement, suivant le schéma du cadre européen : objectif, connaissances, capacités et attitudes correspondantes, mise en relation avec les programmes et outils d’évaluation. Le SCCC s’organise en sept compétences : cinq font écho aux actuels programmes d’enseignement - maîtrise de la langue française, pratique d’une langue vivante étrangère, principaux éléments de mathématiques et culture scientifique et technologique, techniques usuelles de l’information et de la communication, culture humaniste - , deux autres, présentées comme ne faisant pas encore l’objet d’une attention suffisante au sein de l’institution scolaire, visent le développement, d’une part, des bases sociales et civiques et, d’autre part, celui de l’autonomie et de l’initiative des élèves. Un livret personnel permettra à chacun des acteurs - élève, famille, enseignants - de suivre l’acquisition progressive des compétences. Sept piliers, donc, dont deux ont un statut spécifique, et au service d’une logique qui oscille entre exigences internes et contingences externes. Conclusion de cette première partie La notion de « savoir commun » traverse les décennies et le SCCC, dernier outil de la panoplie, ne fait pas, nous l’avons vu, consensus. Les axes du débat qu’il soulève peuvent être regroupés sous trois chapitres, où s’exercent trois conflits dialectiques : ● celui de la quantité et celle de la qualité : c’est notamment tout le débat autour du contenu du socle (combien ?), qui semble être privilégié, au détriment de la façon dont les savoirs sont enseignés, reçus, traités, rendus signifiants…(comment ?) ; ● celui du « commun » et de l’« individu » : le parti pris est celui de la construction d’une culture commune, que l’on charge de nombreuses missions, alors que l’individu apprenant 53 paraît le grand absent, dans sa posture d’être pensant, qui serait producteur de nouveaux savoirs ; ● celui de l’humanisme et de l’utilitarisme : le SCCC a des fins nettement identifiées : il est envisagé comme devant préparer au mieux à l’emploi, dans la perspective d’une nation d’excellence économique, et à la réaffirmation des valeurs de la République. Le lien entre ces deux priorités marquées et la réussite pour tous, objectif affiché du SCCC, reste à établir. 54 DEUXIEME PARTIE : COMMENT EST REÇU LE SOCLE COMMUN 55 Chapitre 4 : Méthodologie A quelles conditions le Socle Commun des Connaissances et des Compétences peut-il représenter un dispositif doté d’une pertinence novatrice, dans le paysage éducatif français de ce début de 21ème siècle ? Telle était notre question centrale. Nous avons perçu au fil du déroulement qui précède que le SCCC est, de fait, l’objet et le sujet de multiples enjeux, qu’il nous appartient à présent de synthétiser et d’organiser, afin d’être en mesure d’évaluer : ● sa logique et sa cohérence, tant internes qu’externes (Est-il vécu comme pertinent au plan des attendus tant scolaires que sociétaux ? Comment réalise- t-il l’articulation des points d’opposition que nous venons de soulever ? ). ● son aptitude à être véritablement « acte refondateur », alors que tant de tentatives de réformes l’ont précédé, sans réussite manifeste (En quoi le SCCC est-il perçu comme novateur ? ). ● la façon dont il est reçu par les acteurs de l’éducation, maillons entre le texte de loi et les élèves (Quel type de représentation génère-t-il chez les acteurs du système éducatif ?). A Hypothèses de lecture Au terme de ce cheminement historique, en conjonction avec les nœuds de questionnements qui en émanent et en écho à notre question centrale, nous nous arrêtons sur l’ensemble de propositions suivant, que nous pensons être en mesure de valider, à la lumière de ce que nous collecterons : A propos de la « philosophie » du SCCC, tant sur la légitimité de son origine que sur ses finalités : ● La qualification d’« acte refondateur », attribuée au SCCC, reste à établir, tant au sens « initiateur » que « reconstructeur ». Nous testerons la validité de cette affirmation en nous centrant sur ce qui pourrait être analysé comme conférant au dispositif un caractère novateur, tant au plan des objectifs que des contenus et des moyens. 56 ● L’objectif de l’élaboration d’une culture commune semble contradictoire avec les moyens préconisés dans le SCCC. Il nous faudra ici tenter d’évaluer comment la place de l’individu et de son savoir est pensée et perçue, dans un ensemble défini comme « contenant » et « convergent ». A propos du dispositif en lui-même et de la façon dont il cherche justement à lier son origine et ses finalités : ● La seule détention de savoirs ne structurant pas derrière elle une posture d’acteur dans la société, qu’elle soit économique ou civique, le septième pilier du SCCC - autonomie et initiative - est identifié comme revêtant un statut fondamental. Il sera ici question de chercher à pointer l’éventuelle spécificité de statut de cette orientation et de s’interroger sur le fait qu’il ait été besoin justement de l’identifier de façon particulière. Nous présupposons également que ce seront précisément les points de polémique à propos du SCCC qui seront les plus à même de nourrir un débat argumenté sur sa pertinence, de même, qu’au delà du caractère obligatoire du texte qui le porte, nous pensons que le ressenti qu’auront les acteurs du système éducatif sur le SCCC sera déterminant dans la façon dont il sera pris en compte et utilisé. Nous essaierons, dans cette perspective, de relever les débats dialectiques en particulier et, comme nous l’avons déjà mentionné, nous nous appuierons avant tout sur une reprise fidèle des dires des acteurs. B Les choix opérés Nous arrêtons ici un certain nombre d’options : 57 Un texte de référence ● La multiplicité des textes relatifs à l’établissement d’un savoir commun est, nous l’avons vu, importante. Nous ferons cependant le choix, ici, de nous limiter strictement à un approfondissement de la Loi d’Orientation de Programmation pour l’Avenir de l’Ecole du 23 avril 2005, qui officialise le Socle Commun de Connaissances et de Compétences. Son actualité nous semble propice à l’observation des polémiques qu’elle suscite, des convergences qu’elle cristallise : nous optons donc pour l’analyse synchronique - même si elle est toute relative - comme moment privilégié de recueil de données, au détriment d’une approche rétrospective : l’actualité du sujet génère une posture de réponse spécifique, caractérisée par une certaine spontanéité, une réaction « en temps réel », qui disparaissent nécessairement avec le temps, pour devenir autres. Trois sources de données ● Comme les enseignants sont les principaux intéressés en termes de mise en œuvre du dispositif, c’est vers eux que se portera d’abord notre investigation. Ces acteurs de terrain, aux prises avec des publics d’élèves variés, mais aussi fonctionnaires d’Etat, et de ce fait, soumis à un certain nombre d’obligations, nous semblent personnes-ressources pour tenter de saisir la façon dont le SCCC est appréhendé et mis en œuvre. En l’occurrence, la population de référence sera constituée de l’ensemble des enseignants des cycles 2 et 3 de deux circonscriptions de l’Education Nationale du département de l’Ain (Bourg III et Bresse). ● Nous nous tournerons également vers les syndicats d’enseignants : leurs apports en tant qu’« acteurs réactifs » du débat d’idées nous permettra de saisir ce qui émane d’une analyse et d’une interprétation de la loi. Les convergences tout comme les divergences entre les différentes parties seront à examiner finement. Nous mènerons ce travail, en l’occurrence, auprès des syndicats suivants, cités ici par ordre alphabétique : SE UNSA SNUIPP SGEN CFDT SUD-Education SNUDI-FO 58 ● Enfin, nous nous intéresserons à la position de divers acteurs reconnus dans le monde de l’Education et dont les contributions sont rassemblées dans la publication « Cahiers Pédagogiques ». Pour ces trois sources, nous ferons le choix de nous positionner en tant que « témoin » de leurs dires, de nous centrer sur leurs représentations et de tenter une analyse et une mise en écho de ce qui sera exprimé. Trois procédures de collectes des données ● Avec les enseignants, nous procéderons par questionnaire, envoyé par courrier électronique aux directeurs/ directrices des écoles, qui auront mission de les transmettre à leurs adjoints. Un courrier classique complètera ce premier envoi en cas de réponses numériquement insuffisantes. Ce choix méthodologique est lié au grand nombre d’interlocuteurs. ● Nous rencontrerons les permanents de chacun des syndicats précités dans un entretien semi-directif. Nous entendons par cette démarche le fait de laisser largement la parole à la personne rencontrée, mais de guider néanmoins l’entretien par un certain nombre de questions considérées comme majeures. Ce sera aussi l’occasion de demandes de précisions, d’explicitations… ● Nous procéderons enfin à l’analyse des documents écrits, en nous efforçant de respecter au mieux les intentions de leurs auteurs, qu’il s’agisse des Cahiers Pédagogiques ou de revues syndicales. C Les obstacles Autant les entretiens auprès des permanents syndicaux ne posèrent-ils aucun problème en termes de disponibilité des interlocuteurs et d’intérêt pour le sujet (fourniture de documentation, mise en relation avec l’échelon national…), autant le retour des questionnaires envoyés aux enseignants fut-il difficile : après une double sollicitation par courrier électronique adressé aux écoles, accompagnée d’une explication du cadre de l’étude à destination des 59 directeurs d’école, puis d’un courrier postal à chacun des établissements concernés, seules 18 réponses nous sont parvenues sur 500 envoyées. Plusieurs facteurs explicatifs pourraient permettre de mieux saisir ce faible pourcentage de retour : ● La fin de l’année (questionnaires envoyés les derniers jours de mai) n’est pas la période la plus favorable car elle correspond à un surcroît de travail pour de nombreux enseignants (sorties scolaires, projets à terminer, dossiers scolaires à remplir, commandes à effectuer, nouvelles affectations à prévoir…). Il est à noter cependant que le questionnaire envoyé était conçu de manière à ne pas mobiliser outre mesure (quelques minutes…). ● Lors d’une conférence pédagogique où nous nous sommes permis de « relancer » les collègues présents, il nous a été rétorqué que « le Socle Commun n’était plus d’actualité puisque les nouveaux programmes 2008 étaient entrés en vigueur ». Il semblerait donc qu’il y ait un certain amalgame, pour nombre d’enseignants, entre ce qui relève de la loi d’Orientation et de Programmation pour l’Ecole de 2005 et les Instructions Officielles de 2008. ● Nous avons, par ailleurs, senti à nouveau cette confusion dans le fait que le ressenti des enseignants vis-à-vis de ces Nouveaux Programmes a quelque peu terni l’intérêt pour le SCCC, la réaction de nombreux enseignants étant pour le moins des plus réservées par rapport aux orientations de 2008 : il s’est agi, en quelque sorte, plus que d’un refus de coopération, de l’expression d’une lassitude désabusée. Cette attitude de repli s’est d’ailleurs traduite, au plan des Inspections de l’Education Nationale, par de grandes difficultés à mobiliser les enseignants sur des sujets et documents qui devaient être traités pour la fin de l’année scolaire. Il reste que les réponses, pour peu nombreuses qu’elles aient été, n’en demeurent pas moins sources d’information. Même si elles ne sauraient être tenues pour représentatives, il nous arrivera d’y faire référence, si besoin, pour confirmer ou infirmer les positions émises par les autres acteurs. 60 D Les options retenues Une fois une brève analyse posée sur cet obstacle, nous prenons l’option, non de différer notre travail -la majorité des éléments de blocage ne nous semblant pas relever de la variante temporelle - , mais de nous focaliser sur ce qui est dit du SCCC dans les documents écrits. Nous choisissons à dessein de ne pas nous livrer à une étude exhaustive : la référence aux syndicats d’enseignants et au mouvement porté dans les Cahiers Pédagogiques constitue, en effet, un parti pris. Ce que nous viserons ici, c’est l’analyse de la perception d’un certain nombre d’acteurs du système éducatif sur le SCCC, sans chercher à atteindre une représentativité, l’essentiel pour nous étant le débat d’idées soulevé et l’émergence éventuelle de pistes de réflexion. De plus, la collecte d’informations tant auprès des syndicats qu’au travers de leurs revues respectives et des Cahiers pédagogiques nous semble susceptible de présenter des positions à la fois argumentées, réfléchies et issues tant d’une écoute des acteurs de terrain que de réflexions touchant moins à la pratique qu’aux enjeux politiques, sociétaux… en lice. Au total, nous espérons accéder à une synthèse issue de la diversité et alimentée, en particulier, par ce qui fait divergence. E Les acteurs Qui sont-ils et quel est leur poids dans le paysage éducatif ? Telles seront, à présent, nos préoccupations. Chapitre 5 : Les syndicats enseignants A Bref panorama historique Dans l’enseignement, le syndicalisme est né dans l’illégalité puisque les fonctionnaires 61 étaient exclus de ce droit. Ce sont cependant les instituteurs, à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, qui en seront les promoteurs. En 1920, le Syndicat National des Instituteurs (SNI) se crée et adhère à la Confédération Générale du Travail (CGT). Il sera à l’origine de la formation, le 23 décembre 1928, au sein de la CGT, de la Fédération Générale de l’Enseignement (FGE), qui regroupera progressivement enseignants du primaire, du secondaire, du supérieur ainsi que des personnels non-enseignants. En 1946, à l’intérieur même de la CGT, la FGE prend le nom de Fédération de l’Education Nationale (FEN), affirmant ainsi sa vocation à rassembler les personnels de toutes catégories. En 1947, des tensions croissantes provoquent l’éclatement de la CGT : à l’origine du conflit se trouve la politisation du syndicat et en particulier l’influence qu’y joue le Parti Communiste (PC). Ceux qui refusent cette soumission au PC créent alors la CGT-Force Ouvrière (CGT-FO). La FEN, quant à elle, refuse cette scission entre la CGT et la CGT-FO : en effet, si elle ne cautionne pas une CGT sous influence, elle craint les déchirements que ne manquerait pas de provoquer une adhésion à FO. Après consultation de ses adhérents, elle décide, en mars 1948, de rester autonome dans l’attente d’une possible réunification. Cette décision sera soutenue par la majorité fédérale et le courant Ecole Emancipée (EE). Les militants communistes la combattront, souhaitant rester à la CGT. L’unité syndicale maintenue comporte cependant une contrepartie : la reconnaissance du droit de tendance, qui permet, à l’intérieur même de le FEN, l’expression de courants de pensée différents. Trois tendances principales se côtoieront en effet au sein de la FEN jusqu’en 1992 : les « autonomes majoritaires » (dits ultérieurement UID, Union, Indépendance et Démocratie) favorables à l’unité de la FEN, l’« Ecole Emancipée », qui regroupait essentiellement des militants d’extrême gauche et les « cégétistes » (qui deviendront UA, Unité et Action), favorables au rapprochement avec la CGT. Les cégétistes s’opposeront d’ailleurs à la reconnaissance de ce droit de tendance et conserveront, jusqu’en 1954, une double affiliation avec la CGT. Seule une décision du bureau politique du Parti Communiste Français, en date du 4 Janvier 1954, les contraindra à mettre fin à cette ambiguïté. Devenue autonome pour sauvegarder son unité, la FEN gardera vivace son attachement au syndicalisme interprofessionnel et sa volonté de le voir se recréer autour d’elle. 62 En 1957, une initiative « Pour un Mouvement Syndical Uni et Démocratique » (PUMSUD) est prise par Denis Forestier, secrétaire général du SNI, et des militants de la CGT et de la CGT-FO. Son objectif de réunification syndicale se heurte à l’hostilité des confédérations. Malgré un succès certain, cette initiative s’éteindra au début des années 60. En 1958, la FEN s’opposera à l’action gaulliste. Elle appellera à la grève générale le 30 Mai 1958. La FEN, au cours de ces années, va se développer sous l’influence de plusieurs facteurs : l’attrait de son caractère unitaire dans un syndicalisme français divisé, l’extension de son champ de syndicalisation à tous les personnels de l’Education, de l’Education populaire, des Sports, de la Recherche, de la Culture et de la Justice, l’expansion de ce champ de syndicalisation de par la « massification » de l’enseignement. Au cours des évènements de mai 1968, la FEN émergera et jouera un rôle majeur dans deux domaines : elle sera l’artisan d’une convergence improbable entre le mouvement étudiant et le mouvement ouvrier, elle jouera un rôle central dans les négociations de la Fonction Publique qui s’ouvriront parallèlement aux négociations interprofessionnelles de Grenelle auxquelles elle participe également. Au fil des ans, l’activité de la FEN est restée particulièrement marquée sur quatre terrains : La laïcité : c’est son engagement identitaire. La défense de l’école publique laïque et, plus largement, de la laïcité de l’Etat et de la société, fonde sa démarche. Les droits et libertés. C’est un combat permanent de la FEN, en France comme dans le monde. La transformation du système éducatif. Plusieurs projets éducatifs témoignent de cet engagement, et en particulier : 63 « L’Ecole de l’éducation permanente » en 1977 appuyée sur le projet d’« Ecole Fondamentale » du SNI de 1973. « l’Ecole de l’an 2000 » au Congrès de La Rochelle en 1988. La revalorisation de la situation des personnels. C’est l’un de ses principaux chevaux de bataille. A l’origine des négociations dans la fonction publique à partir de 1968, la FEN les a développées par une pratique régulière et la signature de nombreux accords. Elle a également impulsé la revalorisation des diverses catégories dans la fonction publique, en particulier lors de l’accord Durafour en 1990. Cet ensemble de démarches s’est néanmoins accompagné d’une dégradation progressive de sa vie interne, au travers notamment des attaques de plus en plus vives de sa principale minorité, « Unité et Action ». Ces conflits, qui vont en s’amplifiant, se cristallisent, en particulier, autour de deux conceptions du syndicalisme - réformiste ou protestataire – et de deux conceptions du système éducatif – transformation ou conservation. Cette tension culminera au moment des négociations de 1988-1989 en particulier sur la Loi d’Orientation de l’Education Nationale. Une rupture publique apparaîtra au grand jour entre la FEN et ceux qui, en son sein, se regroupent autour du SNES (Syndicat National des Syndicats du Second degré). Le congrès de Créteil, en octobre 1992, entérinera cette rupture. Le SNES et le SNEP, (Syndicat National d’Education Physique) de tendance Unité et Action, quitteront la FEN, entraînant avec eux une partie des adhérents d’autres syndicats nationaux, principalement chez les enseignants, pour créer la Fédération Syndicale Unitaire (FSU). Cette rupture eut certes un coût indéniable en terme de syndicalisation. Mais elle fut aussi, pour la FEN, l’occasion d’une refondation de son potentiel de propositions, d’interventions et d’actions. Libérée des conflits de tendance, elle le concrétisera, au plan interprofessionnel, avec la création de l’Union Nationale des Syndicats Autonomes (UNSA) et au plan fédéral, avec l’élaboration d’un nouveau projet éducatif, « Pour une société éducative ». La FSU, de son côté, est officialisée au printemps 93. Sa principale préoccupation sera de veiller à ce que ne se reproduise pas ce qui avait été reproché à la FEN, c’est-à-dire l’hégémonie d’un syndicat ou d’une tendance. Malgré le retrait de l’un de ses syndicats fondateurs, le SNETAA (Syndicat National de l’Enseignement Technique Action Autonome), 64 en 2001, la FSU est rapidement devenue la première fédération de la Fonction Publique d’Etat. Elle s’est notamment mobilisée, ces dernières années, contre la réforme des retraites et la décentralisation. B Les syndicats d’enseignants aujourd’hui a) SE-UNSA L’Union Nationale des Syndicats Autonomes est une union syndicale, qui a été créée en 1993 par cinq organisations syndicales alors non confédérées : la Fédération de l’Education Nationale, la Fédération Générale des Salariés des Organisations de l’Agroalimentaire, la Fédération Autonome des Transports, la Fédération Maîtrise et Cadres des Chemins de Fer, la Fédération Générale Autonome des Fonctionnaires. Elle a pour objectif affiché de rassembler les syndicats « dans une démarche réformiste et revendicative, fondée sur l’indépendance syndicale pour un syndicalisme rénové et démocratique91 ». Au congrès de Pau, en 2000, la Fédération de l’Education Nationale (FEN), qui était restée la fédération de ralliement du SE-UNSA, prend le nom d’ « UNSA Education ». L’UNSA Education est donc une fédération de branche de l’UNSA et elle est présente dans tous les secteurs de l’éducation, de l’éducation populaire, de la recherche, de la culture. Le SE-UNSA, qui nous intéresse ici en particulier, initialement dénommé SE-FEN, regroupe, quant à lui, des enseignants du premier et du second degré de l’enseignement public. Il est issu de la transformation, au congrès d’Orléans en 1992, du Syndicat National des Instituteurs et Professeurs d’Enseignement Général de Collège, rejoints par la tendance alors majoritaire de la FEN « Unité, Indépendance, Démocratie », réputée proche des socialistes. Actuellement deuxième syndicat d’enseignants en France, il présente un projet qui prône « la continuité éducative », c’est-à-dire la prise en compte de l’élève sur la totalité de sa scolarité et pas seulement en fonction de l’établissement où il se trouve. Il insiste également sur la nécessité d’une Ecole plus juste, qui se soucie d’abord du sort des plus faibles. 91 Charte de l’UNSA www.idies.org/index.php?post/LUnion-nationale-des-syndicats-autonomes-Unsa 65 b) SGEN-CFDT Il faut remonter au syndicalisme chrétien, en 1887, pour retrouver le filiation de la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT). En novembre 1919 naît la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC) qui regroupe plus de 300 syndicats et se réclame de l’encyclique Rerum Novarum92. Son objectif est, entres autres, de s’opposer à la toute puissance de la CGT dans le monde ouvrier. Dissoute en 1940 par le gouvernement de Vichy, elle demeure reconnue, en raison de son rôle dans la Résistance, comme organisation syndicale représentative, malgré l’opposition de la CGT. En 1964, une majorité de la CFTC (tendance « Reconstruction ») décide de la déconfessionnalisation et du choix de la lutte des classes pour donner naissance à la CFDT. La CFDT, confédération interprofessionnelle, regroupe vingt fédérations, dont celle des Syndicats Généraux de l’Education Nationale et de la Recherche Publique. Le SGEN (Syndicat Général de l’Education Nationale) a, pour sa part, été fondé dès 1937, par trois universitaires, qui, refusant de rejoindre la CGT, adhèrent à la CFTC, même si, dès l’origine, le SGEN fut statutairement laïc. Les militants du SGEN furent d’ailleurs parmi les principaux artisans de la revendication de déconfessionnalisation du syndicat. La démocratisation du système éducatif reste l’objectif permanent du SGEN, qui se prononce pour la prise en compte des conditions économiques et sociales qui entourent l’élève. Il lancera ainsi l’idée de donner plus à ceux qui ont moins, ce qui se traduira par la mise en place des Zones d’Education Prioritaire. Il est aujourd’hui actif en particulier sur le chapitre de l’évolution des métiers de l’éducation, qui doivent prendre en compte une plus grande hétérogénéité des publics et des attentes sociales renforcées. Il met aussi les défis que l’Ecole doit relever au rang d’enjeu démocratique majeur : « Le besoin d’élévation des compétences en France ne cesse d’augmenter et il faut permettre à une classe d’âge de vivre ensemble, d’acquérir des valeurs fondamentales et d’éviter l’exclusion93 ». 92 L’encyclique Reum Novarum, publiée le 15 Mai 1891, est l’oeuvre du pape Léon XIII. Dans un climat de misère sociale, elle dénonce les excès du capitalisme tout comme ceux du socialisme et encourage le syndicalisme chrétien et le développement pour un mouvement social. 93 Intervention d’Annie Thomas, secrétaire nationale de la CFDT, au congrès du 24 Octobre 2004 à Paris, intitulé « Le Socle Commun, une ambition pour la démocratie ». 66 c) SNUDI-FO Force Ouvrière (FO) est un syndicat qui puise son origine dans la première Confédération Interprofessionnelle, créée en 1895 à Limoges, et qui, nous l’avons déjà évoqué, se nomme alors « Confédération Générale du Travail ». Proclamant son indépendance, la CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat94 ». La Charte d’Amiens, en 1906, confirme cette opposition avec la théorie du syndicat « courroie de transmission de l’action politique ». Cependant, la guerre de 1914-1918 montre les premières divergences entre une majorité (dont la direction) ralliée à l’Union Sacrée et à l’effort de guerre et une minorité pacifiste. Par la suite, c’est surtout la question de l’allégeance au Parti Communiste qui fera débat : la scission, en lien précisément avec cet aspect, a lieu, rappelons-le, en Décembre 1947. FO historiquement et juridiquement CGT-FO - naît le 12 Avril 1948. Depuis lors, réaffirmant son indépendance à l’égard de tout pouvoir politique, FO s’est surtout engagé dans la défense du service public, du statut des personnels et de droits égaux pour les citoyens, en cohérence avec les valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité, laïcité). Constitué en confédération et s’adressant à tous les corps de métiers, FO n’est donc pas, à l’origine, spécifiquement un syndicat enseignant : le Syndicat National Unifié des Directeurs, Instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public Force Ouvrière - SNUDI-FO -, né en 1983, représente toutefois cette branche et s’inscrit comme troisième syndicat représentatif des enseignants du premier degré95. Son origine est à relier à l’arrivée, en 1981, des socialistes au pouvoir : en effet, l’appel à la rigueur lancé par le Premier Ministre Pierre Mauroy et par Charles Fiterman, ministre communiste des Transports, est vécu de façon contrastée par la FEN et l’invitation à rejoindre FO, faite aux enseignants par André Bergeron, secrétaire général, amène la création du SNUDI. Essentiellement positionné sur la défense du statut des enseignants et sur le nombre de postes, le SNUDI-FO n’a pas vocation à « se prononcer sur les programmes d’enseignement », sous l’argument qu’il n’a « pas compétence pour apprécier les bien-fondés ou non de propositions faites dans ce domaine »96. Il ne se soustrait cependant nullement à la discussion sur le sujet qui nous intéresse : « Nous luttons pour une école démocratique, laïque, comme nous luttons pour une société où, par exemple, la 94 Article 2 de la Charte d’Amiens www.pointsdactu.org/article.php3?id_article=620 www.fo-snudi.fr/spip.php?article282 96 Intervention du représentant de la CGT FO au Conseil Supérieur de l’Education le 22 Mai 2008. 95 67 liberté syndicale est respectée, une société démocratique, sans nous prononcer sur les formes précises qu’une telle école et une telle société doivent revêtir. Mais nous ne pouvons être indifférents à ces formes lorsqu’elles mettent en cause les libertés nécessaire au maintien d’un régime démocratique et nous considérons comme principe de démocratie le droit à l’instruction97 ». d) SNUIPP Nous l’avons vu plus haut, en 1992, des conflits éclatent entre tendances à l’intérieur de la FEN, traduisant des désaccords historiques. Le fait que l’ensemble des militants ne se retrouve pas dans le SE, tout juste créé, que soit décidée l’exclusion, hors de la FEN, du SNES, du SNEP et du SNETAA et qu’enfin des décisions judiciaires soient prononcées à l’encontre des « dissidents » amène à une « recomposition-refondation » syndicale, prenant appui sur le SNES et sur les courants « Ecole Emancipée » et « Unité et Action », majoritaire, pour ce dernier, dans une trentaine de sections départementales : ainsi naît le SNUIPP (Syndicat National Unitaire des Instituteurs, Professeurs des écoles et PEGC), en Mars 1993. La FSU, Fédération Syndicale Unitaire, qui regroupe, quant à elle, le SNUIPP, le SNES et le SNEP voit le jour, nous l’avons vu, en Avril de la même année. Dès 1996, c’est à dire quatre ans après sa formation, le SNUIPP devient le premier syndicat français dans l’enseignement primaire. Cet état de fait serait à relier à une organisation très performante tant de la direction nationale que des relais départementaux et à une dynamique spécifique, issue d’un renouveau et d’une liberté d’action exacerbés par les exclusions mal vécues hors de la FEN98. e) SUD-Education99 En Décembre 1981, dix syndicats autonomes, jugent nécessaire un rapprochement entre toutes les organisations syndicales, afin de peser sur le nouveau gouvernement dans le sens du progrès social. Face au peu d’empressement des grandes centrales syndicales pour ce projet, 97 Idem. D’après un entretien avec Jean-Claude Péron, SNUIPP de l’Ain. 99 SUD : Solidaires, Unitaires, Démocratiques. 98 68 les « Dix » s’organisent. Au fil du temps, ils seront rejoints par plusieurs syndicats et en particulier SUD-PTT, en 1989. C’est le mouvement social de 1995 qui marquera plus particulièrement l’entrée sur la scène syndicale de SUD, par le biais notamment de SUD-Rail. SUD-Education naîtra en 1996. Au plan général, les mots d’ordre de cette fédération de syndicats locaux sont les suivants : réinstaurer le débat syndical, réintroduire la primauté de la mobilisation à la base face à une institutionnalisation croissante et générale, laisser le temps de la maturation des idées pour parvenir au mieux au consensus. A l’intérieur de SUD-Education, cela se traduit, entre autres, par la remise en cause du fonctionnement de l’Education Nationale, qui est perçue comme favorisant les corporatismes et la hiérarchisation des personnels. Préoccupé par les enjeux sociétaux liés à la mondialisation, SUD confirme son engagement dans ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions pour l’Aide aux Citoyens) en Novembre 2002. A SUD-Education, cette tendance s’exprime dans le slogan « Une autre école, une autre société » et par une critique vive d’une « marchandisation » de l’Ecole. Ainsi, en réaction à l’objectif, issu de la Stratégie de Lisbonne100, de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde 101 », lit-on dans la publication SUD Education de Janvier 2007 : « La société se déresponsabilise de l’éducation collective, elle doit juste créer les conditions de « l’égalité des chances », c’est à dire organiser la compétition entre les individus102 ». Au terme de ce rapide tour d’horizon historique, nous nous proposons à présent d’étudier les positions respectives défendues par ces différentes tendances. C Les convergences en faveur du SCCC Elles émanent des deux syndicats qui se sont, depuis longtemps, exprimé en faveur du principe d’un Socle Commun : le SGEN-CFDT et le SE-UNSA. 100 Cf. p. 43. http://ec.europa.eu/education/policies/2010/et_2010_fr.html 102 www.sudeducation.org/article1850.html 101 69 Le SGEN-CFDT, lors de son 8ème congrès fédéral à Illkirch, du 10 au 14 Mai 2004, affirme clairement sa position, qui sera entérinée par un vote pour la résolution « L’Ecole de tous, le socle commun », à hauteur de 73,23 % (« contre » à 9,38 % et abstentions à 17,39 %) : « La mission de l’Ecole obligatoire - L’Ecole de tous - doit être définie en termes de ‘ formation fondamentale’ pour tous, en termes d’obligation pour l’Etat de faire acquérir à tous les connaissances et compétences, les savoirs, savoir-faire, savoir-être indispensables à tout citoyen du 21ème siècle pour comprendre le monde et savoir porter sur lui un regard critique, agir sur sa vie personnelle, sociale et professionnelle103 ». S’en suivra un colloque intitulé « Le Socle Commun, une ambition pour la démocratie », le 23 Novembre 2004, à Paris. Le SE-UNSA, quant à lui, revendique l’adhésion au projet depuis les années 70, avec notamment son concept d’Ecole Fondamentale104. Son orientation, tournée vers la continuité éducative, trouve, dans le Socle Commun, « un symbole identitaire », car il marque « la continuité de l’école au travers des différents âges des élèves 105 ». Là encore, deux colloques seront organisés autour du SCCC : celui du 16 Janvier 2008, à Paris, « L’école au défi du socle commun » et celui d’Arras, le 27 Mai 2008, intitulé « Socle commun : Passeport pour l’avenir ? » avec une large partie consacrée à l’évaluation et à sa mise en oeuvre. « Pour nous qui en sommes des militants anciens, le principe d’une Socle Commun de Connaissances et de Compétences à faire acquérir à tous les jeunes fréquentant l’Ecole obligatoire est fondamental. Il est d’abord fondamental pour tous ceux qui veulent prendre au sérieux la promesse démocratique de l’Ecole publique, libératrice par sa capacité à donner à chacun les moyens de son autonomie, libératrice aussi par son partage de la culture et des principes républicains sans lesquels aucune société ne peut former collectivement106. Si, comme nous le verrons, les axes de réflexion des deux syndicats ici à l’étude se distinguent notamment en matière de priorité à établir dans la mise en oeuvre, ils se retrouvent autour de conceptions relativement identiques autour des finalités fondamentales qu’ils assignent au dispositif. 103 Compte-rendu du Congrès d’Illkirch, du 10 au 14 Mai 2004. L’école Fondamentale, concept porté par le Syndicat National des Enseignants, repose sur l’importance d’une unité et d’une continuité de l’action éducative, de la maternelle à la fin de la 3 ème, moment de la première orientation des adolescents. Au plan des méthodes, elles prône l’individualisation des parcours, sans focalisation sur l’âge, les concertations aux niveaux-charnières. Au plan des contenus, elle met l’accent sur la réflexion, l’envie d’apprendre, l’expression de la sensibilité personnelle, dans la perspective d’une éducation permanente. Au plan des objectifs, elle vise à former des « hommes de goût et d’un jugement sûr ». Synthèse effectuée à partir de « l’Ecole Fondamentale », SNI, Editions SUDEL, s.l., 1973, 95 pages. 105 Intervention de Claire Krepper, secrétaire nationale du SE-UNSA, au colloque du 16 Janvier 2008, à Paris, citée sur www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/17012008_Lecoleaudefidusocle.aspx 106 Discours de clôture du colloque national le l’UNSA du 16 Janvier 2008, par Luc Berille, secrétaire général du SE-UNSA. 104 70 a) La démocratie : un enjeu majeur Pour le SGEN-CFDT, il s’agit, de fait, de définir, grâce au SCCC, les missions de l’Ecole dans la perspective de davantage de démocratie. Plusieurs mobiles sont énoncés, qui concourent à cette priorité : ● De trop nombreux jeunes se retrouvent chaque année sans qualification, à leur sortie du système éducatif, et ce, de façon régulière et récurrente, tandis que l’augmentation du nombre de jeunes d’une même classe d’âge accédant au baccalauréat s’est arrêtée. Or « il faut permettre à l’ensemble d’une classe d’âge de vivre ensemble, d’acquérir des valeurs fondamentales et d’éviter l’exclusion107 ». ● Le système scolaire actuel est plus soucieux de préparer une élite que de former tous les jeunes : les « disqualifiés » « échouent dans une compétition qu’on leur présentait comme ouverte108 ». ● Le fonctionnement démocratique de notre société devenue multiculturelle se complexifie et est régulièrement l’objet de débats. Il importe de développer au mieux « des capacités citoyennes, autonomes et libres, capables de s’inscrire dans un projet collectif, multiple et solidaire109 ». ● Le système scolaire et en particulier le collège « doit offrir aux jeunes les moyens de poursuivre l’acquisition de références communes, d’une culture commune, d’une culture qui relie l’individu à la société dans laquelle il vit, qui lui permette de s’inscrire dans son histoire, la comprendre, y être acteur. Cette culture intègre le principe que la diversité fait partie du ‘ commun’ et que le dialogue est un élément essentiel du rapprochement des valeurs110 ». C’est en s’appuyant sur l’ensemble de ces éléments que le SGEN-CFDT légitime le SCCC, qui devra être acquis par tous pendant la scolarité obligatoire, permettre à chacun d’aller le plus possible à son rythme et selon ses compétences, garantir l’appropriation des valeurs fondamentales d’une société démocratique et aboutir à l’acquisition d’une culture commune. S’appuyant sur les conclusions du débat national sur l’Ecole qui est présenté comme plébiscitant largement un SCCC, et arguant du fait que ce n’est pas aux seuls professionnels de l’Education qu’incombe la définition d’un savoir commun mais à la Nation entière, le SGENCFDT revendique un engagement de la Nation dans ce projet, institutionnel certes mais aussi en termes de contenu et de garantie de sa maîtrise. 107 Annie Thomas, colloque du 24 Octobre 2004. Congrès d’Illkirch, du 10 au 14 Mai 2004. 109 Même source. 110 Même source. 108 71 L’ancrage « Démocratie » est, par conséquent, multiforme : il s’agit, à la fois, de l’enjeu, du cadre de référence, de l’engagement et du droit de regard politiques qu’elle porte en elle. Multiforme et exigeant. Or, lors du Conseil Supérieur de l’Education extraordinaire du 8 Juin 2006, Jean-Luc Villeneuve, secrétaire général, face à ce qu’il décrit, avec d’autres centrales syndicales, comme un projet qui ne répond que « très partiellement et imparfaitement » aux objectifs d’origine, déclare : « [Monsieur le Ministre] …Evitons donc ce gâchis, évitons de passer à côté de l’essentiel. Ne manquons pas cette étape historique […]. Tensions s’il en est, mais aussi volonté on ne peut plus explicite, pour le SGEN, d’inscrire le SCCC au rang des évènements marquants de l’histoire de l’Education en France. Aux termes d’« ambition pour la démocratie111 » du SGEN, le SE-UNSA préfère, quant à lui, celui de « promesse démocratique112 ». Tout d’abord, le SE-UNSA rappelle la valeur juridique du principe d’un SCCC, inscrit dans la loi en 2005, aboutissement de rudes et longues discussions, mais de fait entériné et donc légitimé. Cette configuration n’est pas anodine et, en tout état de cause, fait du SCCC un objet observé, surveillé, le défi étant en effet qu’il tienne ses engagements et n’en reste pas à son seul statut de texte. De plus, les déterminants de la démocratie, que nous avons cités plus haut avec le SGEN, sont également présents dans les atouts potentiels que le SE-UNSA voit au SCCC : favoriser l’autonomie, partager une culture et respecter les principes de la République… Cependant, la « promesse » est soumise à des soubresauts que Luc Bérille, secrétaire général du SE-UNSA, exprime ainsi : « […] Mais qu’attend-on ? Que dans une société où les inégalités se creusent peut-être plus que jamais, une Ecole démocratique jaillisse comme ça, d’un coup ?[…] Le Socle Commun tel que nous le concevons dans son contenu, sa logique et ses conséquences sur l’ensemble du système éducatif, de l’école au lycée, entre tout simplement dans la catégorie des grands objectifs démocratiques. Et l’histoire nous montre qu’il n’existe aucun acquis démocratique qui n’ait été l’objet de combats, et souvent d’une longue série de combats113 ». Alignement sur un idéal démocratique, confiance dans le principe même d’un Socle Commun, certes, mais aussi questionnements et en particulier celui-ci, que partagent les deux syndicats qui nous intéressent jusqu’alors : comment passer du texte et des intentions à la réalité et l’efficacité ? puisque d’efficacité il est question : « La démarche consistant à mettre en place dans notre système éducatif un Socle Commun de Connaissances et de Compétences 111 Intitulé du colloque du 24 Octobre 2004, à Paris, organisé par le SGEN-CFDT. Luc Bérille, dans son discours de clôture du colloque du 16 Janvier 2008 à Paris « L’Ecole au défi du socle ». 113 Idem. 112 72 pour tous les jeunes de notre pays […] est à la fois une exigence démocratique et un gage d’efficacité pour améliorer notre système éducatif114 ». b) L’approche par les compétences : une orientation à ne pas manquer Le SE-UNSA et le SGEN-CFDT en font leur cheval de bataille, dans la perspective de la mise en œuvre effective du SCCC, prenant appui sur un argumentaire triple : Tout d’abord, comme le souligne Pascaline Perrot, Responsable Nationale du SEUNSA, « sous l’impulsion des grandes orientations stratégiques en matière d’Education prises dans une majorité de pays, la déclinaison des standards nationaux et des curricula en termes de compétences se met en place pratiquement partout, à des rythmes cependant variés et suivant des modalités différentes. Dans toutes les expériences et expérimentations conduites au niveau national ou international depuis plusieurs décennies, la notion de compétence apparaît comme le point d’appui de toute rénovation des systèmes de formation115 ». Orientation politique et d’uniformisation pour ce premier argument : il paraît logique et opportun de se rallier à ce qui semble faire autorité en matière d’Education, au plan international. Ensuite, s’en référer aux compétences et non plus aux seules connaissances, c’est, pour le SGEN-CFDT, le moyen privilégié de répondre au mieux aux trois missions de l’Ecole qu’il identifie, à savoir « sociale et culturelle, économique et démocratique », en s’inscrivant sur un axe « finalités, objectifs, contenus ». Avec une approche par les compétences, il s’agit « d’échapper au cloisonnement disciplinaire et à la surenchère des différentes disciplines116 ». « Si l’on veut que le Socle Commun ne soit pas ‘un empilement de savoirs disciplinaires’ dans un agencement hérité du 21ème siècle et échappe aux visées encyclopédiques, il faut le définir en termes de compétences transversales, traduisant la capacité de l’élève à réutiliser ses connaissances, à mettre en œuvre savoirs, savoir-faire, savoir-être117 ». L’approche par les compétences est ici revendiquée, et le SE-UNSA, partage d’ailleurs cette position, comme un moyen pour redonner du sens aux apprentissages, pour agir en utilisant ses savoirs et ses capacités, pour accéder à la compréhension de la complexité. 114 Déclaration commune du SGEN-CFDT, du SE-UNSA et de plusieurs autres organismes syndicaux et autres, au Conseil Supérieur de l’Education du 8 Juin 2006. 115 « D’un pays à l’autre », Hors série du journal du SE-UNSA, « L’enseignant, l’école libératrice », N° 118, Septembre 2008, Paris, p. 26. 116 Congrès fédéral d’Illkirch, du 10 au 14 Mai 2004. 117 Jean-Luc Villeneuve, secrétaire général du SGEN-CFDT, « Lettre ouverte » à Gilles de Robien, Ministre de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 13 Avril 2006, Paris. 73 Les deux syndicats se distinguent toutefois sur la définition des compétences indispensables : « Pour le SE-UNSA, le Socle Commun devrait être constitué, d’une part, de compétences et connaissances de base et, d’autre part, d’un ensemble de comportements, attitudes et représentations éthiques caractérisant la conduite citoyenne. Il doit également faire une place significative à l’éducation, à l’orientation et à la découverte professionnelle118 ». Contrairement aux recommandations de la Commission Thélot, le SE-UNSA pense que l’on ne doit pas conditionner l’accès d’un domaine à la maîtrise de l’autre : les compétences de base peuvent et doivent s’acquérir à travers tous les champs mis en relation dans des projets transdisciplinaires, porteurs de sens et accessibles à tous. Le SGEN-CFDT, s’il décline de façon très précise ses souhaits dès le Congrès d’Illkirch en 2004, semble aussi mettre davantage l’accent, au-delà de fondamentaux relativement consensuels, sur l’exploration des domaines artistiques les plus variés, sur le déchiffrage des grandes lignes de l’économie, sur la connaissance de quelques concepts juridiques. Il est à noter que les propositions en termes « d’attitudes citoyennes » - et nous garderons à dessein cette expression quelque peu galvaudée mais cependant englobante et synthétique - sont très voisines pour ces deux syndicats, et nombreuses, le SE-UNSA insistant peut-être un peu plus sur la nécessité d’« un fonctionnement individuel équilibré et efficace : travail, effort, rigueur, créativité119 », là où le SGEN-CFDT prône prioritairement la connaissance de soi et l’aptitude à faire des choix. Au total et pour clore ce deuxième argument en faveur de l’approche par les compétences, il y a consensus sur leur supposée pertinence en termes de cohérence des enseignements et d’appropriation par les élèves. En troisième lieu, faire le choix d’une entrée par les compétences, c’est aussi opter pour des modes d’enseignement et d’évaluation différents. Et sur ces points, l’attente est forte. Estce parce que l’approche par les compétences devrait obligatoirement générer de nouvelles façons d’enseigner et d’évaluer qu’elle est l’objet d’un tel engouement, ou bien l’est-elle pour elle-même, en tant que concept répondant à un idéal éducatif abouti ? Nous ne nous hasarderons pas sur ce terrain, qui serait l’objet d’une autre réflexion, mais ne pouvons que constater l’attente forte d’un renouvellement des pratiques pédagogiques. 118 « Définir enfin le socle commun », Hors série du journal du SE-UNSA, « l’enseignant, l’école libératrice », N° 88, Octobre 2005, Paris, p. 9. 119 Même source. 74 c) Une base pour un renouveau de l’Ecole Le SGEN-CFDT pose que la maîtrise du Socle Commun doit permettre à chacun d’être capable de poursuivre son parcours de formation, de porter un regard critique sur un monde complexe, d’avoir un réel pouvoir sur son propre devenir et de devenir un citoyen à la fois solidaire et responsable et que ces finalités ne peuvent être atteintes que par une redéfinition des pratiques et des rôles des adultes intervenant dans la formation du jeune. A ces fins, il réactive l’idée de « l’élève au centre du système éducatif » - « Il faut tenir compte des histoires personnelles et sociales de chaque élève si l’on est décidé à permettre à tous de s’approprier les savoirs, savoir-faire et savoir-être du socle commun120 ». -, insiste sur la nécessité de pratiques pédagogiques diversifiées, de démarches de projet, d’une articulation concret-abstrait, de respect des rythmes cognitifs de chacun, de mise au cœur des apprentissages des démarches socialisantes. Il insiste aussi sur le développement du travail en équipe. Ces priorités sont, de façon générale, partagées par le SE-UNSA : « […] Car, plus que le Socle en lui-même, c’est la pédagogie devant l’accompagner qui est essentielle. Mettre en avant les compétences conçues comme l’utilisation des savoirs et des capacités pour agir, sortir de la logique disciplinaire, prendre mieux en compte les différences entre élèves, évaluer autrement, assumer une vraie démarche éducative, voilà les dimensions incontournables. Inutile de tout réinventer121 ». Consensus encore pour les deux syndicats quant à l’exigence de temps et de moyens pour parvenir à de telles fins. ». « La mise en œuvre de ce Socle nécessite un travail collectif important pour accompagner les élèves dans leurs apprentissages […]. L’enjeu est de taille. Nous ne sommes pas à quelques mois près. Monsieur le Ministre, nous vous demandons solennellement de donner du temps pour que nous poursuivions le travail sur la définition du Socle122 ». « Il nous faut du temps pour réfléchir, nous concerter et bâtir en équipe des approches cohérentes, voir et impliquer les parents. Il nous faut des moyens pour être plus disponibles avec tous nos élèves et pouvoir mettre en œuvre dans le temps scolaire l’aide et les activités individualisées dont ils ont besoin.123 Comme le souligne Florence Robine, Inspectrice Générale de l’Education Nationale, dans son intervention au colloque organisé par le SE-UNSA « L’école au défi du socle », en 16 Janvier 2008, le terme de « compétences » connaît un succès indéniable, car « il cristallise le 120 Congrès d’Illkirch. Claire Krepper, secrétaire nationale du SE-UNSA , « Socle commun, relevons le défi », Hors série du journal du SE-UNSA, « l’enseignement, l’école libératrice », N° 118, Septembre 2008, Paris, p. 3. 122 Jean-Luc Villeneuve, secrétaire général du SGEN-CFDT, intervention au CSE du 8 Juin 2006. 123 Luc Bérille, dans son discours de clôture du colloque du 16 Janvier 2008 à Paris « L’Ecole au défi du socle ». 121 75 souci de dépasser les modes usuels de formation, en particulier ceux qui visent uniquement à la transmission des savoirs institutionnalisés ». Elle ajoute qu’il invite aussi à se pencher de façon plus attentive à la façon dont chacun apprend et utilise ses connaissances. Selon elle, le caractère polysémique du terme « compétences » n’est pas non plus étranger au fait qu’il renvoie à une certaine complexité, aussi bien entendue comme « difficulté, obstacle », que comme « tendance à la transversalité, à la globalité ». Dans ce contexte, si le Socle Commun apparaît comme une perspective pertinente, c’est avant tout par le caractère novateur que porterait en elle l’approche par les compétences telle qu’elle est présentée dans le SCCC et par le défi que constituerait, en termes de déclinaison pédagogique, sa mise en œuvre effective. d) Un niveau d’exigence élevé Face à l’argument souvent entendu que la maîtrise du Socle Commun s’apparenterait à l’obtention d’un niveau basique, le SE-UNSA et le SGEN-CFDT réagissent de concert. Et à l’argument d’un « SMIC124 culturel », Luc Bérille, secrétaire général du SE-UNSA, déclare sans ambages : « Oh, j’entends bien ces critiques, formulées sur un ton traduisant l’effroi ou le mépris, de celles et ceux qui voient dans le ‘commun à tous’ l’horreur d’un abaissement généralisé, voire même puisqu’ils emploient la formule d’un SMIC, une sorte de salaire minimum culturel. Oh, je sais bien que, pour beaucoup de nantis, l’idée même que l’on puisse donner quelque chose à tous déclenche une peur irrépressible que cela ne leur enlève quelque chose. Que voulez-vous ? L’égoïsme des possédants est sans doute le point commun entre les bourgeoisies d’argent et les bourgeoisies du savoir. Elles tolèrent mal que l’on puisse donner ‘ de la confiture aux cochons’ et que, les écarts se réduisant, l’élite ne finisse par être rattrapée par la plèbe125 ». Le SGEN-CFDT, quant à lui, explicite ainsi sa position sur ce même point : certains jeunes, et ils sont nombreux, sortent sans diplôme. On ne sait donc pas du tout ce qu’ils ont acquis. Ils n’ont donc « même pas le SMIC ». Avec le Socle Commun, on ira plus loin et personne ne pourra sortir du système sans avoir fait la preuve qu’il maîtrise les fondamentaux. Ce sera donc un « plus ». Et d’ailleurs, « qu’a-t-on contre le SMIC ? », s’interroge-t-il. De plus, le fait que n’était pas défini jusqu’alors le niveau où chacun devait au moins parvenir 124 125 Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance. Discours de clôture du colloque du 16 Janvier 2008 à Paris « L’Ecole au défi du socle ». 76 constitue un obstacle majeur car cela valide le fait que l’hétérogénéité est un obstacle plus qu’une dynamique. De ce fait, le Socle Commun constitue pour le SGEN-CFDT « un véritable levier de transformation 126», à une heure où la France a impérieusement besoin « d’un accroissement du niveau initial de formation, d’une formation générale ambitieuse et de l’enrichissement tout au long de la vie de cette formation initiale127 ». Levier aussi, pour le SE-UNSA, mais cette fois-ci de « réduction des inégalités », par la voix de Claire Krepper, lors de l’ouverture du colloque « L’école au défi du socle », le 16 Janvier 2008, à l’heure où « les évaluations internationales récentes (PIRLS 2006 et PISA 2006128) mettent en évidence, une fois de plus, la très forte dispersion des résultats des élèves Français, dispersion plus fortement liée aux origines sociales que dans d’autres pays ». Au fil des mois, le SE-UNSA se positionnera d’ailleurs en qualifiant le Socle Commun de « trop ambitieux129 », ce qui comporte au moins autant de risques que l’inverse, en termes de réalisation et de mise en œuvre, tandis que le SGEN-CFDT, si l’on se limite au seul critère quantitatif, notera, comme lors du CSE du 8 Juin 2006, que « les ambitions apparaissent démesurées dans nombre d’endroits, et particulièrement dans la culture humaniste, mais pas seulement » et soulignera que l’on quitte ainsi peu à peu la problématique du socle qui demeurera, dans ces conditions, inaccessible aux jeunes en difficulté. e) Une passerelle entre l’école élémentaire et le collège Le collège, souvent perçu comme le « maillon faible » du système éducatif français et objet de nombreux travaux et rapports, nous l’avons vu, retrouverait-il, avec le SCCC, une voie de salut ? Le SGEN-CFDT considère positif le fait que le rapport Thélot mette l’accent sur une meilleure continuité éducative entre l’école et le collège. Il constate que le collège est l’endroit où se cristallisent souvent les difficultés des adolescents tant en termes d’apprentissage que de socialisation et que, jusqu’alors, il est principalement « piloté » par son aval, c’est-à-dire aux 126 Raymonde Piecuch, secrétaire générale adjointe du SGEN-CFDT, colloque du 23 Novembre 2004 à Paris, « Le Socle Commun, une ambition pour la démocratie ». 127 Congrès d’Illkirch, 10 au 14 Mai 2004. 128 PIRLS : Progress in International Reading Literacy Study (Programme International de Recherche en Lecture Scolaire). PISA: Program for International Student Assessment (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves). 129 Entretien avec Pascaline Perrot, Juillet 2008. 77 prises avec la pesanteur de l’orientation-sélection. Par son concept d’« Ecole moyenne » affecté au collège, le SGEN revendique un continuum sans rupture, permettant l’acquisition de références communes. Cette position s’oppose donc autant à la sélection qu’à l’engagement dans la voie professionnelle au collège. Le 8 Juin 2006, Luc Villeneuve fera part, lors du CSE, de sa désapprobation face au maintien d’une politique d’orientation précoce, contraire à la maîtrise par tous du Socle Commun. Cette volonté que tous les élèves apprennent ensemble jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire est portée par le SE-UNSA comme « le principal capital pour assurer la cohésion et la justice sociale130 ». Appelant à renoncer définitivement aux deux solutions généralement préconisées pour prendre en charge la difficulté scolaire, à savoir l’orientation vers la voie professionnelle et le redoublement, le SE-UNSA demande que soient définis, pour le collège, des objectifs, des contenus et des modes d’évaluation qui garantissent à tous l’acquisition du SCCC. Il revendique aussi que soit incluse dans le socle une éducation aux choix et à l’orientation ainsi que la prise en considération des différentes formes d’intelligence. Face à ces demandes de 2005, Pascaline Perrot dresse, trois ans plus tard, l’état d’avancement de la démarche : « Au collège, des programmes sans cesse reportés, un livret de compétences fantomatique dépourvu des repères d’évaluation et des outils pédagogiques nécessaires, une note de vie scolaire aberrante131 ». Sans entrer, pour l’instant, davantage dans les détails, il ressort que ce qui est proposé au collège, par le SCCC, semble inadapté aux besoins et pour le moins, très en deçà des attentes. f) L’obligation d’une évaluation renouvelée Le SE-UNSA et le SGEN-CFDT s’accordent pour dire que l’expérience du SCCC n’a de sens que si les pratiques d’évaluation changent, car l’introduction de la notion de compétence doit nécessairement conduire à une rénovation et à une remise en cause de l’existant. Le SE-UNSA, qui a réalisé un important travail sur les systèmes éducatifs et en particulier d’évaluation à l’étranger, note qu’en France, les pratiques traditionnelles privilégient les aspects sélectifs de l’évaluation, ont trop généralement recours à l’écrit et sont souvent 130 « Inventer l’orientation positive », Hors série du journal du SE-UNSA L’enseignant, l’école libératrice, N °118, Octobre 2005, p.20. 131 Pascaline Perrot, « Mise en œuvre, où en sommes-nous ? », L’enseignant, l’école libératrice, Hors-série N°118, Septembre 2008, p.12. 78 perçues comme une sanction par l’élève. Elles sont avant tout rassurantes et confortables pour l’Institution, qui n’ignore pourtant pas les recherches en docimologie et les nombreuses discordances à l’œuvre dans les pratiques de notation. Dans ce contexte, Claire Krepper cite cinq conditions pour que l’évaluation soit en phase avec la volonté d’élever le niveau de connaissances et de compétences de tous et la promotion de la réussite du plus grand nombre : ● « Elle doit être centrée sur la seule fonction de vérification de l’acquisition de connaissances et compétences dans un contrat fondé sur la confiance. ● Elle doit permettre la prise en compte et la résolution des difficultés spécifiques à chaque élève, en étant un outil diagnostic et formatif qui aide l’enseignant à mettre au point une pédagogie différenciée. ● Elle ne doit plus se faire sur des critères implicites […]. ● Elle doit prendre des formes variées, ne pas privilégier systématiquement les contrôles écrits et évaluations de productions individuelles, mais prendre également en compte la communication orale et les travaux en coopération. ● Elle doit permettre aux élèves de développer leurs capacités d’auto-évaluation, compétences indispensables pour gérer leurs apprentissages tout au long de la vie132 ». Dans la mouvance de la pédagogie par objectifs, l’élan a, semble-t-il, été donné dans un certain nombre de champs disciplinaires, tels l’Education physique et les Sciences et Techniques Industrielles au lycée. Plus récemment, les Sciences de la Vie de la Terre, la Physique et la Chimie ont embrayé le pas. Cependant, l’évaluation des compétences globales, complexes ou à la méthodologie difficilement identifiable, pose encore problème et de nombreuses disciplines restent en marge. Le SGEN-CFDT pense, quant à lui, que c’est l’évaluation qui aurait dû fonder la démarche constitutive du socle et non arriver en fin de réflexion. Formative et progressive, elle doit être au service de la dynamique de réussite et accompagner les élèves dans leurs apprentissages. Le SGEN rappelle aussi qu’il n’a cessé d’interpeller le Ministère sur le changement d’attitude que suppose le Socle. Avec l’évaluation, c’est la « philosophie même » du SCCC qui est en débat et l’on saisit que ce point constitue un enjeu majeur, sur lequel les syndicats se montreront particulièrement vigilants : ainsi, le SGEN-CFDT et le SE-UNSA réagiront tous les deux de façon virulente à l’annonce des pratiques d’évaluation émanant du Ministère, le SGEN insistant surtout sur le fait que le livret d’évaluation, expérimenté en 2007-2008, n’est pas conforme à ce que devrait 132 Claire Krepper, « La complexité de l’évaluation », L’enseignant, l’école libératrice, Hors-série N°118, Septembre 2008, p.24. 79 être l’esprit du socle, doutant fortement du bien-fondé d’un outil que l’on ne sortira que quatre fois dans la scolarité obligatoire et qui, de ce fait, ne peut en aucun cas, être un véritable outil, que ce soit pour l’élève ou sa famille et déplorant le manque de transparence relatif aux modalités d’expérimentation de ce livret. Le SE-UNSA s’insurgera, quant à lui, sur les délais irréalistes qui ont empêché une véritable adaptation des programmes et la production de repères pour l’évaluation et « les conditions calamiteuses133» qui ont accompagné le lancement de l’expérimentation du livret personnel de compétences (abord difficile, délais trop courts, exigence en temps…). Pour le SE-UNSA, il manque des échelles de compétences, des banques d’outils d’évaluation et du temps de formation pour les enseignants. Au total, et c’est une constatation récurrente, un accueil plus que mitigé par les enseignants : « Quant aux enseignants, leur scepticisme à l’égard d’un socle bouclé à la hâte grandit, d’autant que, sur le terrain, le pilotage et l’accompagnement sont pour l’instant inexistants134 ». « La présentation de ce livret comme un travail supplémentaire, parfois sans lien nécessaire avec l’évaluation que les enseignants pratiquent au quotidien, a exacerbé les oppositions prévisibles dans les collèges, mais aussi dans les écoles135 ». g) Une indispensable refondation du métier d’enseignant Quels que soient le statut et la forme que le SCCC est appelé à prendre, les principaux acteurs de sa mise en œuvre demeurent les enseignants, pour lesquels une formation plus adaptée paraît indispensable. C’est en tous cas une revendication que mènent, avec l’arrivée du SCCC, le SGEN-CFDT et le SE-UNSA. Le SGEN énonce, dès le congrès d’Illkirch en 2004, la nécessité, au vu des pratiques pédagogiques et éducatives qui devraient accompagner la mise en oeuvre du SCCC, d’une redéfinition des différents acteurs de l’Ecole, qu’ils soient enseignants ou non, notamment par l’introduction, dans le temps de service, de créneaux pour la concertation et le travail en équipe, en vue d’un suivi individualisé des élèves et de la cohérence de leur cursus. Il justifie d’autant plus cette position que le rôle de l’Ecole se complexifie progressivement : elle est, en effet, chargée d’assurer conjointement la formation intellectuelle des élèves, le développement de leurs aptitudes de futurs citoyens et leur épanouissement personnel. Or, aujourd’hui, ni la 133 Pascaline Perrot, « Mise en œuvre, où en sommes-nous ? », L’enseignant, l’école libératrice, Hors-série N°118, Septembre 2008, p.12. 134 Même source. 135 Communiqué du 28 Mars 2008, http://sgen-cfdt.net/article1593.html. 80 définition du métier d’enseignant ni l’organisation du Système Educatif français ne sont véritablement en phase avec cet idéal. En particulier, s’il est question, avec le SCCC, de viser la construction d’un sens commun, des instances et du temps pour le débat, pour l’élaboration de nouvelles pratiques ainsi que pour l’analyse des situations tant pédagogiques qu’éducatives devraient devenir obligatoires. S’il revendique de même une redéfinition du métier d’enseignant, dont les multiples fonctions requièrent une diversité sans cesse accrue de compétences - et en particulier celle d’organisateur -, le SE-UNSA, pointe, avec l’urgence du SCCC, la nécessité de dégager du temps et de se former à des dispositifs de « mise en projet » : même s’ils ne peuvent se substituer à un réelle appropriation de l’approche par les compétences, ils en constituent une première ébauche. De plus, la formation à l’évaluation, pièce maîtresse du SCCC, reste à bâtir : « La mise en œuvre du Socle Commun s’accompagne d’un renouvellement du regard porté sur la performance scolaire des élèves. Il ne s’agit plus seulement de noter, mais d’apprécier dans un continuum pédagogique la progressivité dans la maîtrise des connaissances et des compétences. Il devra s’ensuivre un renouvellement des pratiques d’évaluation pour lesquelles les enseignants devront être formés136 ». Et dans ce domaine, il y a fort à faire, si l’on en croit le SE-UNSA, qui cite, par exemple, le cas d’enseignants continuant à mettre des notes dans le livret d’évaluation expérimental, simplement parce qu’ils ne sont pas formés à l’évaluation des compétences et ne savent pas ce qu’il convient d’observer. Qu’il s’agisse de mettre l’accent sur de nouvelles pratiques en classe, sur une autre façon de travailler en équipe ou sur des modalités d’appréciation de compétences neuves, il transparaît que l’enjeu dépasse largement la stricte sphère de la pédagogie ou de la didactique. Car, au delà du SCCC, c’est d’une profonde remise en question dont il s’agit : en effet, si l’on n’a eu de cesse, depuis Jules Ferry, que de développer, au fil des ans et des réformes, un accès toujours plus massif à la formation, c’est maintenant davantage de l’expression de valeurs fondamentales que de quantité de savoir dont il s’agit. C’est du moins ce que supposent les textes qui régissent le SCCC : « Le socle commun est le ciment de la Nation »[…] « C’est un acte refondateur de notre système éducatif ». […] « Il sera la base culturelle commune à tous les Français137 ». 136 Audition de l’UNSA-Education, le 3 Octobre 2007, à la Commission sur le métier d’enseignant, dite « Commission Pochard ». 137 Projet de décret sur le socle commun des connaissances, présenté par Gilles de Robien, Ministre de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le 10 Mai 2006. www.education.gouv.fr/cid778/installation-du-haut-conseil-de-l-education.html 81 h) Un soutien marqué d’espoir et de doute Si l’approbation du principe même d’un Socle Commun, comme perspective structurante du Système Educatif français ne fait aucun doute pour les deux syndicats que nous venons d’étudier, elle semble davantage porter sur sa pertinence au regard des enjeux sociétaux d’aujourd’hui que sur son caractère novateur : le SE-UNSA, en particulier, se reconnaît largement dans les principes de l’Ecole Fondamentale des années 70. Le SGEN-CFDT, quant à lui, avec les résolutions de Brest en 1998 sur l’Ecole Initiale, et de Libourne en 2001, sur le collège, Ecole Moyenne, s’inscrit déjà dans l’idée d’une Ecole « qui accueille tous les individus d’une classe d’âge pour leur faire acquérir ensemble - dans un lieu commun - la formation adaptée aux exigences de la société, expression du droit de tous à l’éducation, sans discrimination138 » et revendique un collège qui soit « la dernière étape d’une scolarité commune, accueillant tous les jeunes avant toute orientation139 » . Dispositif revendiqué et plébiscité donc, tout au moins dans ses grandes lignes et surtout ses principes, par deux syndicats qui, s’ils se distinguent par ailleurs, se retrouvent, en ce qui concerne le SCCC, sur des positions relativement identiques. Or ces mêmes syndicats se définissent ici, tous les deux, comme particulièrement préoccupés par la question des élèves les plus défavorisés - ce qui ne veut pas dire, néanmoins, que les autres ne s’attachent pas à cela -. Une voie explicative pourrait être cette volonté de faire en sorte qu’avec le Socle Commun, même les plus faibles soient « équipés » : de ce fait, le SCCC serait envisagé comme un bagage loin d’être minimal car, pour des jeunes en difficulté ou en échec scolaires, il pourrait représenter le maximum de ce qu’ils peuvent effectuer à un moment donné de leur scolarité. Cette piste validerait aussi le fait qu’aucun des deux syndicats étudiés ne se reconnaisse dans les concepts de « SMIC culturel », « formation au rabais », « B A ba des connaissances » parfois attribués au SCCC. L’enjeu est de taille, car il n’ambitionne rien moins que la réduction des fractures multiples qui émaillent la société de ce début de troisième millénaire et se positionne comme une possible voie vers des idéaux majeurs, tels la justice, la recherche d’égalité. Cependant, la vigilance est à la hauteur des attentes et rend le SGEN-CFDT et le SEUNSA particulièrement réactifs, en particulier sur la mise en œuvre du SCCC. Car c’est bien ici que se situent, pour eux, les risques : pour accéder au mieux à la réalisation d’objectifs aussi imposants que ceux que nous venons de citer, se donner du temps, de la réflexion par la 138 139 Congrès fédéral d’Illkirch, du 10 au 14 Mai 2004. Même source. 82 formation et les échanges paraît être une exigence minimale. Faute de quoi, le socle perdrait toute fondation. C’est donc essentiellement sur un discours structuré autour de la notion de « TEMPS », dans ses multiples composantes, que s’organisent les critiques du SE-UNSA et du SGENCFDT : ne pas brûler les étapes, ne pas faire les choses à l’envers, accepter que la réflexion demande de la maturation et peut-être plus de temps que prévu, engager un lent processus de transformation des pratiques, se préparer à des suivis curriculaires, admettre que telle compétence ne sera acquise que plus tard, car c’est parfois avec la durée ou la répétition ou encore le différé que la progression s’amorce, renoncer à la toute-puissance de l’instantanéité… Il importe, en effet, que « le socle dure », les idéaux qu’il vise ne s’apparentant ni à la discontinuité ni à la rupture. Il s’agit là d’une condition sine qua non, faute de quoi le socle pourrait bien s’effriter. D Les convergences contre le SCCC Trois syndicats sont opposés au principe même de Socle Commun, à savoir le SNUDIFO, le SNUIPP et SUD-Education. Le SNUDI-FO s’est positionné précocement contre la démarche, déclarant le rapport Thélot « issu d’un pseudo grand Débat140 » et refusant de le cautionner. Pour ce syndicat, « enseigner, c’est d’abord instruire ». Or, le Socle Commun, pour le SNUDI-FO, participe à la mise en place d’exigences minimales : cela pose problème, dès le départ, car ce sont de « vraies connaissances » dont on a besoin. Il s’agit donc ici de la critique d’une base de savoirs étriquée, que l’on conçoit difficilement génératrice d’un large éventail de compétences141. Ce sont aussi, bien sûr, les conséquences de cette situation qui sont considérées comme les plus préjudiciables. Le SNUIPP remet, de même, en cause le rapport Thélot, dès son origine, car il considère qu’il n’a pas du tout tenu compte des avis donnés par les enseignants et les parents lors du grand débat pour l’école, et que tout était préparé d’avance. Sa principale objection à propos du Socle Commun est qu’« il représente le renoncement à la réussite de tous les élèves, considérant comme acquis que tous ne sont pas capables et que, de toute façon, puisqu’ il n’y a 140 141 Résolution revendicative du 7 Octobre 2004, www.fo-snudi.fr/spip.php?article94 Entretien avec Nicolas Dufiller, du SNUDI-FO de l’Ain. 83 pas assez de place pour tout le monde, mieux vaut se contenter de peu pour le plus grand nombre142 ». Pour SUD-Education, le problème majeur réside dans le fait que le Socle Commun est une marque supplémentaire de la dérive « néolibérale143» de l’Ecole : il représente « un formatage des individus144 », essentiellement au service d’intérêts économiques. On l’aura saisi, le débat est largement idéologique. Cependant, et en dépit de sa complexité et des multiples voies qu’il explore, nous tenterons, comme plus haut, de repérer les invariants, qui, cette fois-ci, font chorus à l’encontre du SCCC. a) Un abaissement des exigences. Pour ces syndicats, c’est un discours récurrent, qui se nourrit de nombreux arguments et qui, de ce fait, occupe un poids prépondérant sur la scène des critiques, tant il semble établi que le niveau doive, au contraire, s’élever. Pour FO, les qualifications ne manquent pas pour dénoncer le SCCC, vu comme « un SMIC scolaire145 », « un affaissement généralisé des connaissances146 », « une opération de nivellement par le bas, un kit de survie147 »… En effet, pour ce syndicat, si l’on veut permettre à tous les jeunes un accès aux connaissances, il ne sert à rien de définir des compétences (autonomie, persévérance…), car ce sont les connaissances qui mènent aux compétences et non l’inverse. L’urgence est donc de rétablir du temps pour l’accès aux connaissances, qui sont premières, et des heures, telles celles qui ont été supprimées au fil des années, au collège notamment dans des matières comme le français. Selon FO, le corollaire de cette situation est que ce sont les parents qui vont devoir faire les frais de cette baisse des exigences, en équipant notamment leurs enfants de ressources pédagogiques hors école, extériorisant ainsi le désengagement de la Nation. Très grande méfiance encore de FO vis-à-vis de la poursuite de la formation et en particulier de la formation tout au long de la vie, inhérente à l’esprit du SCCC : appuyer cette option légitime le fait que les jeunes puissent se contenter d’une « socle » car on les assure de la possibilité d’un cursus ultérieur, qui les hissera au-delà de ce minimum. Le 142 Communication du SNUIPP-Paris. « La marchandisation à marche forcée », Sud-Education , 5 Janvier 2007. 144 Même source. 145 Intervention au Conseil Supérieur de l’Education, le 22 Mai 2008. 146 Conseil supérieur de l’Education, 3 Juillet 2008. 147 Entretien avec le SNUDI-FO de l’Ain, le 26 Juin et 7 Juillet 2008. 143 84 SNUIPP confirme cette défiance en argumentant, de son côté, sur le fait que toutes les études montrent, sur ce point précis, la nécessité de détenir une solide formation initiale. En corollaire à la maigre « distribution » des savoirs, évoquée plus haut, le même SNUIPP conteste l’idée de « sélection et de priorisation » des savoirs contenue, pour lui, dans le SCCC: « C’est l’ensemble des disciplines, des activités qui concourt à la maîtrise des savoirs et à la réussite de tous148 ». Il déplore, de plus, le manque d’ambition du SCCC et notamment l’absence de clés pour accéder à une lisibilité de la complexité du monde : « Cette exigence éducative et culturelle de haut niveau pour tous ne se retrouve pas dans la logique du Socle Commun, conçu plus comme un minimum, plancher de savoirs à faire acquérir aux élèves149 ». Les choix des contenus sont perçus comme étant contestables : ils négligeraient, entre autres, la compréhension des transformations de la société et l’accès à une culture artistique large. Dans un quatrième argument, le SNUIPP reproche au SCCC de mettre bien plus l’accent sur les automatismes et la seule détention d’outils que sur la réflexion et la mise en relation des savoirs : cette approche techniciste serait très réductrice, occultant complètement la nécessité d’apprentissages porteurs de sens, effaçant plus de vingt années de recherches pédagogiques et réduisant l’enseignant à des tâches d’exécution. Enfin, avec le principe du « socle », il est à craindre que, devant la difficulté scolaire, on choisisse d’abaisser les exigences, et ce pour tous les élèves. A travers ses publications, Sud-Education ne s’exprime que peu directement sur le sujet qui nous intéresse ici. Visiblement, ce n’est pas tant cette question qui préoccupe ce syndicat que ce que la tendance d’un « marché à la baisse » pour l’Ecole augure, de façon générale, quant à l’avenir. Le manque d’ambition du SCCC, ou tout au moins son absence d’adaptation au cadre français, est cependant sous-jacent : s’exprimant sur la mise en place de la Stratégie de Lisbonne et sur sa déclinaison nationale, Sud-Education constate que « le copier-coller fonctionne très bien entre le Ministère de l’Education Nationale et les recommandations européennes 150». L’argument d’une baisse des exigences avec la mise en place du SCCC est, on le constate, centrale pour les syndicats opposés au dispositif. Il se pourrait que, sous un couvert de critiques « simples à saisir » et exprimées au grand jour, il cristallise, en réalité, des préoccupations beaucoup plus profondes qu’il n’y paraît, autour de la finalité des savoirs, des choix de société, des orientations politiques … pour ne citer que ces exemples. 148 « Le Socle Commun », Kisaitou ou presque, mémento administratif du SNUIPP,Section A-3-1-4, 2008. « La notion de compétence à l’Ecole », Fenêtres sur.cours, publication du SNUIPP, N° 304, 12 Novembre 2007, p. 55. 150 Sud Education , Janvier 2007. www.sudeducation.org/article1850.htlm 149 85 b) Un dispositif qui va à l’encontre de ses objectifs Le SNUIPP, qui, rappelons-le, est le premier syndicat enseignant du premier degré, pointe un paradoxe de taille, en affirmant que le SCCC ne peut qu’accroître les différences entre les élèves, paradoxe s’il en est, puisqu’il vise, à l’inverse, « la réussite pour tous ». En effet, sa définition et son principe ouvriraient, intrinsèquement, la voie à une différenciation de parcours, entre les élèves qui ne viseront que la maîtrise du socle et ceux pour qui le socle permettra d’aller au-delà. « Le risque est trop important que l’objectif plancher pour tous les élèves devienne l’objectif plafond pour certains 151». Par ailleurs, l’établissement du socle est perçu comme générant des discriminations entre les domaines : « A côté du raisonnement et de la réflexion intellectuelle, le sens de l’observation, le goût de l’expérimentation, la sensibilité et l’imagination créatrice doivent être développées152 ». Le SNUIPP pose alors cette question : « Un savoir minimal contre l’accès à une culture partagée de haut niveau ? Lire-écrire-compter pour les plus défavorisés et les loisirs culturels, artistiques, sportifs, scientifiques…pour les enfants dont les parents peuvent les leur offrir153 » ? Outre le fait que l’on s’écarte ici, pour le SNUIPP, de l’idéal d’une Ecole égalitaire, c’est aussi toute la diversité des voies d’accès au savoir qui est négligée, sans parler des enjeux de la construction d’« une vraie citoyenneté pour tous154 » . De plus, poursuit ce syndicat, on ne peut qu’être frappé par l’absence, dans le texte, « de l’élève en tant que sujet actif de son apprentissage155 ». La question de la linéarité des apprentissages, sans prise en compte des allers et retours sur les acquis antérieurs, pose problème, pour un projet qui vise à mettre l’élève au centre du système. c) Une rhétorique qui interroge Au plan du discours, le SCCC est perçu, en particulier par le SNUIPP et par le SNUDIFO, comme porteur de distorsions. Elles s’expriment tant sur la faisabilité du projet que sur sa cohérence ou encore sur « les effets d’annonce » qui ont jalonné son parcours. Ainsi la première critique voudrait-elle souligner le fait « qu’en réalité, les choses ne sont pas si simples ». « Le socle est abusivement présenté en termes de compétences et se 151 SNUIPP des Alpes Maritimes. Programmes de l’Ecole primaire, préambule, BO n°5, 12 Avril 2007, p.12. 153 SNUIPP des Alpes Maritimes. 154 Même source. 155 Réaction au projet de décret sur le SCCC soumis au HCE, 10 Mai 2006, Paris. 152 86 réduit souvent à une liste de connaissances, capacités et attitudes dont la simple addition ne rend pas compte de la complexité de la formation de la personne156 ». Car il est une question fondamentale : « La seule définition d’un socle de connaissances ne peut transformer l’Ecole en lieu de réussite. Il faut dire comment on fait pour que tous les élèves acquièrent les compétences jugées nécessaires157 ». Il importe, de plus, de ne pas surestimer le SCCC : « Laisser croire aux parents que le socle sera la solution magique à la lourde question de la difficulté scolaire relève d’une imposture158 ». La seconde réserve, et elle émane de SUD, concerne le texte-même, instituant le SCCC. « [Il] est truffé d’expressions dégoulinant de bons sentiments républicains ». Et SUD d’en citer pas moins d’une vingtaine, dont « droits de l’Homme, engagement, culture humaniste, résoudre pacifiquement les conflits …». « Un tel acharnement sémantique cherche à cacher, sans y parvenir, une réalité bien différente159 ». Ce qui est en discussion ici, c’est le ton à la fois fort assuré et ambitieux du texte : pour ses détracteurs, confrontés quotidiennement à une réalité moins optimiste, il y a lieu d’être infiniment prudent : un texte reste un texte, il ne peut tout régler, car en matière d’Education en particulier, il est des éléments qui ne se décrètent pas. La recherche d’articulation du pédagogique au politique est aussi on ne peut plus explicite et, si pour SUD, il s’agit d’un cheval de bataille, il est bien question, avec le SCCC, de s’interroger, plus largement, sur les conditions de développement d’une citoyenneté éclairée. d) Une atteinte à des valeurs fondamentales Ce sont principalement le SNUDI-FO et SUD-Education qui s’expriment sur ce point. Lors de son congrès du 15 Mars 2008, le premier redira ainsi son opposition au livret de compétences, arguant de deux raisons principales : « Le livret de compétences est un outil à caractère pédagogique. A ce titre, son utilisation relève du principe de la liberté pédagogique définie par la circulaire n°87-319 du 14 Octobre 1987 : (…) selon les principes les plus constants de la tradition française, les choix des démarches, méthodes et outils pédagogiques relèvent de la responsabilité de l’enseignant, pourvu qu’ils soient efficaces et adaptés à l’objet 156 Idem. Réaction du SNUIPP-FSU, citée sur le site www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/r2006_gen2.aspx 158 Communiqué de presse du SNUIPP, le 4 Avril 2006, suite à la présentation, par le HCE, des recommandations pour le SCCC, le 23 Mars 2006. 159 Discours liminaire au Conseil Supérieur de l’Education, 8 Juin 2006. 157 87 de l’enseignement. […] Le Congrès demande que la liberté pédagogique soit respectée et qu’à ce titre aucun livret de compétences ne soit imposé. Le Congrès exige l’abrogation du décret 2007-860 du 14 Mai 2007, instaurant les livrets individuels de compétences ». Deuxième argument : « Il existe un lien direct entre la mise en place de Base-Elèves, le livret de compétences intégrant le B2I et la décision N°5 du rapport Attali sur « l’évaluation des professeurs sur leur capacité à faire progresser tous les élèves dont les résultats devraient être rendus publics ».[…] Pour SUD, dont le slogan est, rappelons-le, « Une autre Ecole, une autre Société », « le paquet-cadeau du Socle Commun des Connaissances160 » signe la confirmation d’« une Ecole de la soumission, de l’individualisme et de la consommation 161 ». Nous reviendrons plus bas en particulier sur le dernier terme, mais notons déjà l’engagement fort exprimé ici, à l’endroit de ce qui est identifié tant comme un dysfonctionnement démocratique que comme une dérive dont l’Ecole, dans l’idéal, devrait être épargnée. Ce n’est donc pas tant l’objet « SCCC » qui est ici visé que ce qu’il porte en lui, et en l’occurrence, la remise en question de valeurs fondatrices et supposées inébranlables du système éducatif et la crainte d’un engrenage non maîtrisable. e) Une sujétion à la suprématie de l’Economie S’il est un sujet qui exemplifie sans ambiguïtés ce qui précède, c'est bien l’entrée en scène des forces économiques, dont le SCCC est taxé d’être porteur. Cette critique s’exprime dans plusieurs directions : Tout d’abord, la référence explicite à l’Economie, si elle n’est pas nouvelle, semble interpeller de façon particulière aujourd’hui. En effet, l’Ecole, inscrite dans la construction européenne, se voit investie de missions nouvelles, et en particulier, nous l’avons déjà indiqué, celle de contribuer à faire de l’Union « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde 162». Le SNUIPP s’inquiète de l’utilisation de telles expressions, qu’il considère opaques et réservées aux initiés : que signifie, demande-t-il, la phrase suivante, issu du rapport Thélot : « L’accélération des processus de destruction créative des métiers 160 Intervention au Conseil Supérieur de l’Education du 8 Juin 2006. Idem. 162 Rapport Thélot, p. 22. 161 88 dans le monde économique moderne accroît la déconnexion entre l’avenir professionnel des jeunes et leur formation initiale[…]163 » ? Au delà du discours, le SNUDI-FO en particulier voit dans le SCCC et l’approche par les compétences l’occasion de justifier des restrictions budgétaires. Ainsi, et pour ne prendre que cet exemple, si, comme le précise le Haut Conseil de l’Education, « la maîtrise de la langue est du ressort de toutes les disciplines, pas seulement du ‘français’ », on peut s’attendre à des diminutions de postes, puisque l’on pourra demander à tout professeur d’intervenir sur des domaines où il ne sera pas spécialisé. Le SNUDI-FO ajoute que les exigences minimales, portées par le SCCC, vont également dans le sens d’une réduction des effectifs et des moyens. Cependant, la critique la plus vive sur le point qui nous occupe ici a trait à ce qui est qualifié, en particulier par SUD, de mainmise de l’économie libérale sur l’Ecole. Deux aspects majeurs sont ainsi évoqués : ● L’Ecole au service de la marchandisation : s’inscrivant dans la mouvance du premier forum de l’Education, à Porto Alegre, en Octobre 2001, SUD-Education insiste sur le fait que l’Education est un droit inaliénable. Et si ce syndicat juge nécessaire de redire l’importance de ce principe, c’est que, de fait, il s’insurge contre la politique européenne, entre autres en matière d’éducation. Celle-ci est consignée dans des rapport, tel celui du Conseil de l’Union Européenne du 26 Février 2004, intitulé : « L’urgence des réformes pour réussir la stratégie de Lisbonne », où l’on lit : « Les ressources humaines constituent la principale richesse de l’Union Européenne. Elles sont au cœur de la création et de la transmission des connaissances et sont un élément décisif du potentiel d’innovation de chaque société. L’investissement dans l’éducation et la formation est un facteur déterminant en matière de compétitivité, de croissance durable et d’emploi dans l’Union et constitue de ce fait un préalable pour atteindre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux que l’Union Européenne s’est fixés à Lisbonne. De même, il est essentiel de renforcer les synergies et la complémentarité entre l’éducation et les autres domaines d’action tels l’emploi, la recherche et l’innovation et la politique macro-économique164 ». SUD lit cette recommandation comme une orientation explicite de la formation, celle qui permet la meilleure adaptation possible aux changements économiques. Le SCCC, qui s’inscrit dans la logique de la stratégie de Lisbonne, n’échapperait à cette dérive : ainsi, s’il ne comporte pas, en tant que tel, « l’esprit d’entreprise », son pilier « autonomie et initiative » constituerait, quant à lui, une reprise à 163 164 Rapport Thélot, p. 127. http://ec.europa.eu/education/policies/2010/doc/jir_council_fr.pdf 89 peine voilée des compétences de base « pour devenir un parfait chef d’entreprise165 ». Le SNUDI-FO, mobilisé, nous l’avons vu plus haut, sur la question de l’évaluation, rappelle que « les enseignants ne sont pas chargés de remplir des bilans de compétences pour les entreprises locales, mais de permettre à leurs élèves d’accéder aux diplômes nationaux 166 ». Le SNUIPP, qui s’exprime de même sur ce sujet, pense que les compétences-clés ne visent qu’à la conformation de l’individu aux exigences économiques en particulier : l’esprit d’initiative, les nouvelles technologies, l’accent mis sur l’apprentissage des langues vivantes… participent de ce mouvement utilitariste, qui sera d’ailleurs surtout le lot des élèves les plus en difficulté, écho à la critique évoquée plus haut, à savoir l’accroissement des inégalités par le SCCC. Ce qui est mis en cause ici est donc de double nature : on s’éloignerait, par le SCCC, de l’ambition d’une véritable formation pour tous : plus que de développement de l’esprit critique et d’accomplissement de la personne, il est question de préparation au monde du travail. De plus, la perspective proposée est considérée comme dangereuse : elle amène l’Ecole au service d’une politique économique, ce qui ne devrait, en aucun cas, être possible, et, qui plus est, d’une politique économique décrite comme exacerbant l’individualisme, la compétition, la productivité effrénée… Dans ce contexte, le Socle Commun peut être analysé comme un élément, parmi d’autres, constitutif d’une politique générale, bien plus globale. Il revêt cependant une importance particulière car il est emblématique d’une institution, scolaire, qui, de longue date, a cherché à s’affranchir le plus possible des doctrines économiques. ● Le démantèlement du service public : pour SUD-Education, le SCCC, par son vocabulaire et son esprit issus de la sphère économique, s’inscrit parfaitement dans une logique de destruction du service public d’Education Nationale « pour l’abandonner au secteur marchand. Les lobbies patronaux sont prêts à investir dans l’éducation et la recherche une infime part de leurs pharaoniques profits pour que l’école soit, avant tout, pourvoyeuse de salariés dociles et de consommateurs effrénés167. Et SUD de citer l’exemple d’écoles publiques du Royaume-Uni dont le conseil d’administration est contrôlé par un investisseur majoritaire. Si cette logique est vue comme un moyen pour réduire la participation de l’Etat au budget de l’Education Nationale, elle est aussi et surtout analysée comme « un sacrifice des ambitions démocratiques sur l’autel du capitalisme libéral168 ». 165 SUD Education, Janvier 2007. L’école syndicale, publication du SNUDI-FO de l’Eure, 16 Janvier 2008. 167 Discours liminaire au Conseil Supérieur de l’Education, 8 Juin 2006, SUD Education, 10 Juin 2006. 168 Idem. 166 90 Au delà de l’aspect strictement budgétaire, c’est une réelle question de déontologie qui est ici posée. Le fait que certains domaines ne soient pas considérés comme indispensables, tels l’éducation artistique ou l’éducation physique, pose aussi problème. Ainsi, on lit, dans le décret officialisant le SCCC169 : « La culture humaniste que dispense l’école donne aux élèves des références communes. Elle donne aussi l’envie d’avoir une vie culturelle personnelle par la lecture, par la fréquentation des musées, par les spectacles […], par la pratique d’une activité culturelle, artistique ou physique. Ceci est interprété non pas tant comme le fait qu’elles ne seront plus proposées aux enfants que comme une orientation pour qu’elles ne soient plus partie prenante des missions de l’Education Nationale. Après avoir relaté « le plan de cinq ans pour les arts à l’école », lancé par Catherine Tasca et Jack Lang, le SNUIPP déplore que l’éducation artistique soit désormais considérée comme « complémentaire ». « Les régions pourront-elles ou auront-elles la volonté de prendre le relais et de maintenir une politique d’éducation artistique ambitieuse ? Donneront-elles la garantie d’une égalité d’accès à ces enseignements »170 ? Le SNUDI-FO est, quant à lui, plus critique, dans une démarche qu’il veut globale : pour ce syndicat, on assiste à une « externalisation-privatisation », c’est-à-dire à la délégation de missions de service public aux collectivités territoriales, aux associations et à la sphère privée …L’Education Nationale n’échappe pas à la règle 171, nous l’avons déjà écrit, et cela est perçu comme s’opposant tout-à-fait à l’idée de réussite pour tous. f) Une critique qui va bien au-delà de l’aspect scolaire. Si les trois syndicats que nous venons d’étudier se distinguent, y compris dans leur critique du SCCC, orientés davantage pour le SNUIPP sur la perspective d’une augmentation des inégalités, pour le SNUDI-FO sur la baisse des exigences et la remise en cause d’une certaine conception du métier d’enseignant et pour SUD Education sur la sujétion de l’Ecole à une mouvance économique qualifiée de « libérale », le point commun qui les relie, sur le sujet qui nous intéresse, est une posture d’opposition qui dépasse largement son objet originel. Le SCCC apparaît, en effet, comme le révélateur d’une politique globale, qui interroge et provoque des réactions, bien au-delà de la seule question scolaire. C’est, en quelque sorte, « l’arbre qui cache la forêt ». 169 Bulletin Officiel N°29 du 20 Juillet 2006. SNUIPP des Alpes Maritimes. 171 Résolution générale, Congrès national du SNUDI-FO, à Marly-le-Roi, 20 au 22 Mars 2007. 170 91 Or, ces trois syndicats s’accordent pourtant pour dire qu’il y a besoin de changements à l’Ecole. Leur opposition au SCCC s’en trouve exacerbée car, non seulement ils considèrent que ce dispositif n’apporte rien de positif sur ce qui est son terrain d’application spécifique, mais aussi, et surtout peut-être, qu’il est dangereux par l’idéologie qui le sous-tend. Un rapide détour par l’idéal Républicain, qui a constitué, nous l’avons vu en première partie, le terreau de l’Ecole telle que nous la connaissons aujourd’hui, pourrait constituer le fil conducteur, pour tenter de comprendre ce qui catalyse les oppositions au SCCC : La devise « liberté, égalité, fraternité » apparaît en effet fissurée, et si cela n’est pas nouveau, la mise en place du SCCC réactive, en tous cas, cette fragilité : il est perçu, nous l’avons étudié, comme obstacle à la liberté, par ses implications sur le métier d’enseignant et par les distorsions qu’il est taxé d’instaurer ; il est considéré comme inégalitaire, tant par les choix qui ont présidé à son émergence que par les effets qu’il est suspecté de produire ; on lui reproche enfin de se situer aux antipodes de la solidarité, en particulier au travers de sa « collusion » avec la recherche d’excellence économique. Dans ces conditions, alors qu’avec lui, « le Ministère de l’Education Nationale renoue avec les lois de Jules Ferry172 », qu’il est présenté comme « le ciment de la Nation », et comme « un acte refondateur », le SCCC apparaît empreint d’un paradoxe fondamental. E Synthèse des arguments qui fondent les divergences Les différences de vue qui alimentent la polémique syndicale autour du SCCC s’articulent autour de deux axes, en particulier : Tout d’abord, là où les tenants du dispositif se sont focalisés sur l’aspect scolaire, évoquant, pour ne citer que quelques exemples, l’importance de la transversalité des savoirs, la continuité des apprentissages, l’élan nouveau sur les pratiques et l’évaluation, ses détracteurs se sont, au contraire, relativement peu exprimé sur le sujet, si ce n’est pour s’insurger contre la baisse des exigences. Il y a, ici, en effet, un hiatus de taille : pour les uns, le SCCC serait très, voire trop ambitieux, pour les autres, il ne représenterait qu’un minimum basique. Est-ce l’accumulation des compétences, présentées conjointement, qui donnent au Socle son « volume », là où l’on 172 Discours de Gilles de Robien, lors de l’installation du Comité d’Orientations sur les Programmes du 18 Octobre 2006, www.education.gouv.fr/cid4083/installation-du-comite-d-orientation-sur-les-programmes-par-gilles-derobien.html 92 avait jusqu’alors pour habitude de lire les programmes année par année ou cycle par cycle, auquel cas on serait dans le formel simplement ? ou bien, et pour rester sur le même axe, est-ce le fait que soient présentées à la fois des connaissances, des compétences, des attitudes ? Se situe-t-on effectivement sur un gradient quantitatif supérieur, avec le SCCC, par rapport aux exigences actuelles demandées à un élève de fin de collège ? Ou bien, et ce pourrait être l’analyse des opposants au SCCC, cette accumulation n’est-elle qu’illusion, redondance…et l’on retrouverait ici la critique qu’ils émettaient sur un SCCC plus empreint de rhétorique que de contenu ? Qu’est-ce qui y fait défaut par rapport aux ambitions antérieures ? Peut-être suppose-t-on ici que les connaissances et les compétences présentes dans le SCCC ne sont pas nécessairement celles dont on a le plus besoin aujourd’hui ? Nous tenterons, à la lumière des Cahiers Pédagogiques, d’avancer sur ces différentes interprétations, qui constituent aussi un point central de nos hypothèses. Nous l’avons déjà souligné – et ce sera là notre deuxième point - les divergences de vues sont largement affaire de « focale ». Pour les uns, le SCCC reste essentiellement un dispositif scolaire, plutôt positif, pour les autres, il engage beaucoup plus et est largement rejeté : s’il est cependant un point commun entre tous, c’est la vigilance indispensable par rapport aux idéaux démocratiques, mais là encore, les critiques des uns restent nuancées, là où celles des autres sont extrêmement vives. Ne peut-on voir dans ces divergences de vues l’expression d’attentes pour l’Ecole nettement distinctes : les partisans du SCCC inscriraient plutôt l’Ecole dans une perspective où elle doit, avant tout , répondre aux exigences de la société d’aujourd’hui alors que ses détracteurs la considèrent, non pas tant comme une sphère « à part », mais tout au moins comme une institution qui se doit de prendre de la distance et d’être garante d’une indépendance, par rapport aux orientations de son environnement. Au risque d’une trop grande simplification, on pourrait s’interroger sur le positionnement des deux conceptions opposées à propos du SCCC sur un axe « utilitarisme/ humanisme ». Nous essaierons de déceler, dans les Cahiers Pédagogiques, le degré de pertinence de cette proposition. Chapitre 6 : Les Cahiers Pédagogiques Le choix de se référer à cette revue est lié à plusieurs facteurs, outre le fait que nous ne recherchons pas l’exhaustivité. En particulier, nous restons intéressée par ce qui est dit du 93 SCCC, par ceux qui ont mission à le mettre en œuvre, et, à ce titre, la rédaction des Cahiers Pédagogiques répond à la demande, puisqu’elle est composée de praticiens exerçant dans tous les secteurs de l’Ecole, du primaire au supérieur, de la formation à la direction en passant par la vie scolaire. A Historique L’essentiel de cette partie est issue du « Panorama historique sur notre héritage », que nous a très aimablement communiqué Jean-Michel Zakhartchouk, rédacteur aux Cahiers Pédagogiques. A la Libération, une idée s’impose, celle de reconstruire le système scolaire. Il importe, en effet, de tenir compte de l’évolution du monde, des rythmes de l’enfant, que l’on commence à mieux connaître et puis, « cette merveilleuse école de la 3ème République173 » n’a, semble-t-il, pas toujours formé les citoyens dont la France avait besoin… Cependant, l’urgence est à la reconstruction et seules quelques expérimentations voient alors le jour, telle celle des lycéespilotes et des classes nouvelles. Mais ces innovations, considérées comme trop coûteuses, sont supprimées à partir de 1952. Cependant, pour ne pas que disparaisse en même temps l’esprit qui animait ces classes, leurs enseignants créent une revue « Les Cahiers Pédagogiques », afin de diffuser largement les fruits de leurs pratiques. Les articles sont écrits, pour la plupart, par « des enseignants de base », et quelques Inspecteurs Généraux, sur des thèmes pédagogiques, « mais avec une forte coloration politico-humaniste. Les rédacteurs veulent permettre à tous les enfants, quel que soit leur milieu d’origine, d’accéder au ‘ meilleur de la culture’, au latin, aux grandes œuvres, à l’art. Il souhaitent la démocratisation, mais n’en mesurent sans doute pas d’avance toutes les conséquences174 ». En 1963, les rédacteurs des Cahiers Pédagogiques ne supportent plus les orientations prises par le Ministère de l’Education Nationale et rédigent « Le manifeste ». Ce texte revendique une Ecole humaniste, qui doit servir les progrès de la société, un enseignement de qualité du primaire à l’université, une formation accrue des maîtres, la mise en place de la formation permanente… Il demande en particulier une rénovation de l’enseignement, avec une pédagogie renouvelée (méthodes actives, groupes de travail, coopération…), qui s’appuie sur les connaissances de la psychologie de l’enfant. 173 « Panorama historique sur notre héritage », document transmis par Jean- Michel Zakhartchouk, rédacteur aux Cahiers Pédagogiques. 174 Même source. 94 C’est ce « Manifeste » qui inscrira l’histoire des Cahiers Pédagogiques dans celle du CRAP, Cercle de Recherche et d’Action Pédagogique. A cela, deux raisons : tout d’abord, après l’enthousiasme suscité par « le Manisfeste » émerge la demande de constitution d’une structure pour « passer du texte à l’action ». De plus, face à la menace d’une récupération politique et idéologique de la revue, il apparaît opportun de se doter d’une structure juridique qui en soit propriétaire. Fonctionnant d’abord comme une fédération de cercles locaux, le CRAP deviendra, au fil du temps et avec la chute du militantisme, un cercle national, dont l’activité principale, parallèlement à la publication de la revue, est l’organisation de Rencontres d’Eté. De 1963 à 1972, les Cahiers Pédagogiques deviennent progressivement une revue d’opposition, contestant l’orientation et la politique de l’Education Nationale et en 1972, cela se traduit par la rupture de contrat avec l’Institut Pédagogique National, éditeur et gestionnaire. Si des prétextes de contenus « dérangeants » sont évoqués, il semble que la raison soit davantage à rattacher à la remise en cause du soutien de l’Etat à une revue opposée au gouvernement. Dans cette situation de crise, les Cahiers Pédagogiques refusent de se livrer à une maison d’édition privée et décident de collaborer avec l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne - Pédagogie Freinet -, ceci pour la partie édition et impression, la rédaction restant à effectuer bénévolement. Ce fonctionnement perdure encore aujourd’hui. B Des textes-clés et une ligne directrice Nous nous référerons essentiellement au texte voté par l’Assemblée Générale du CRAP-Cahiers Pédagogiques, le 1er Novembre 2005, ainsi qu’au N° 439 de Janvier 2006 intitulé « Quel socle commun ? « et au dossier « Le Socle Commun, mais comment faire ? », de Novembre 2007. « Les dix principes pour un vrai ‘socle commun’ de la scolarité obligatoire », approuvés lors de l’Assemblées Générale du CRAP-Cahiers Pédagogiques du 1er Novembre 2005, constitueront, de plus, le point de départ de notre réflexion : « Le mouvement CRAP-Cahiers pédagogiques veut, à travers ces propositions, apporter sa contribution à la définition et la mise en œuvre de ce que la Loi d’orientation nomme « le 95 socle commun de connaissances et compétences ». Si on prend au sérieux l’idée selon laquelle chaque élève devra avoir acquis, dès l’issue de la scolarité obligatoire à seize ans, le bagage indispensable pour être demain un citoyen actif et conscient, il s’agit alors d’un défi majeur pour l’Ecole, qui aura des conséquences sur tout son fonctionnement. Il faut aller au-delà des mots et des slogans ! 1. Pour ne pas réduire le socle commun à un empilement de savoirs, il convient de le définir en termes de compétences qui traduisent la capacité de l’élève à réutiliser ses connaissances. 2. Les programmes 2002 de l’école primaire énoncent des compétences « essentielles » à développer. Ils peuvent servir d’exemple à la rédaction du socle pour la scolarisation obligatoire. On y ajoutera de nouvelles compétences formulées par niveaux d’exigence valables jusqu’à la fin de la troisième. 3. Pour que l’« essentiel » ne soit pas un savoir au rabais, il doit contenir une dimension culturelle qui resitue les savoirs enseignés dans l’histoire de l’humanité et une dimension citoyenne qui prépare à l’insertion sociale, économique et politique. 4. Pour construire le socle commun, l’école prend en compte autant la demande sociale que les idéaux et les valeurs fondatrices de la République. Cela implique de développer chez tous les élèves la capacité à s’informer et à se forger un esprit critique envers les différentes sources d’information (médias, internet). Le socle ne peut se réduire en tout cas à un simple « lire, écrire, compter » pas plus aujourd’hui qu’au temps de l’école de Jules Ferry. 5. Pour la nation, le socle commun est ce que l’école doit faire acquérir à chaque élève. Il ne peut donc pas exister de mise à l’écart durable de certains élèves, mais au contraire un accompagnement et une aide indispensables, en priorité au sein de la classe, dans le travail commun à tous les élèves. Nous affirmons fermement que le socle n’est pas un préalable à la poursuite d’études, mais un objectif valable pour tous. 6. Pour que tous les élèves puissent acquérir les compétences définies dans le socle commun, toutes les ressources de la pédagogie doivent être utilisées. Il est nécessaire de mettre en œuvre une pédagogie variée et différenciée qui prenne en compte les élèves tels qu’ils sont pour les 96 amener à des progrès significatifs, tout en les rendant actifs, par exemple dans une logique de projet. 7. La question de l’évaluation est capitale. Dans une première phase, elle doit être un outil accompagnant l’élève dans sa progression et l’informant sur ses acquisitions progressives. Elle doit, dans un deuxième temps permettre une validation, qui prendra des formes les plus diverses, telle la présentation de projets ou de dossiers (les TPE ou les Itinéraires de découverte fournissent des exemples , à adapter à l’âge de l’élève). 8. L’accompagnement et le suivi des élèves nécessitent un vrai travail collectif dans les établissements scolaires, ce qui entraîne nécessairement la transformation du métier même d’enseignant (tutorat, concertations, suivi) 9. Pour prendre en compte l’objectif du socle, l’indispensable formation initiale et continue des enseignants doit développer des modes de travail en commun (liaison école-collège, réflexion interdisciplinaire...) pour assurer la continuité dans la scolarité obligatoire. C’est l’aide aux apprentissages qui doit être le cœur de la formation. 10. La place des familles dans l’institution scolaire doit être réaffirmée et renforcée. Les parents doivent être associés aux projets mis en place dans les établissements en vue de la réussite de tous les élèves, à adapter à l’âge de l’élève175 ». Au total, une approbation sur le principe-même d’un Socle Commun et l’accent mis sur la nécessité d’une pédagogie active et diversifiée et d’un réel travail en commun au sein des équipes enseignantes et en direction tant des autres établissements que des parents. C Le SCCC : des réussites marquées Les Cahiers Pédagogiques relatent les expériences réussies et les ressentis positifs de plusieurs enseignants et chercheurs, de l’école maternelle à l’université, à propos du SCCC et des pratiques d’approche par les compétences. Là encore, nous ne chercherons pas l’exhaustivité mais nous nous attacherons prioritairement à l’analyse des arguments mis en avant. 175 www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=1976 97 Le premier a trait à la clarification des notions de « minimum/ maximum » : « J’aime bien cette notion de socle qui permet d’indiquer une limite minimale mais qui ne parle pas de limite maximale. Depuis sept ans que je suis en Grande Section maternelle, j’ai toujours vu au moins un élève quitter la classe en sachant lire, sans que j’y sois directement impliqué176 ». Frédéric Monnet, professeur des écoles à Paris, en ZEP, pose les exigences minimales comme critère qui pourrait décider du passage d’un élève au niveau supérieur et les exigences maximales comme une voie, invitant à aller le plus loin possible, vers le savoir adulte. Pour Bruno Devauchelle, formateur et chercheur au CEPEC - Centre d’Etudes Pédagogiques pour l’Expérimentation et le Conseil, Lyon -, qui s’exprime sur le même sujet, la notion de « socle » est clarifiante, car elle exige de définir ce qui doit être garanti. On s’éloigne ainsi du flou lié aux programmes et à l’évaluation sommative : de nombreux enseignants butent, en effet, sur la question des priorités et du « non négociable » en particulier, ce qui ne les empêche pas de considérer « le dix sur vingt » comme acceptable. Le socle commun fixe donc un cadre d’exigence, ce qui n’empêche que l’on peut discuter la pertinence du « 100% » de réussite. Sans avoir attendu le Socle Commun, l’équipe d’enseignants de mathématiques, autour de Robert Guichenuy, au collège Rouget de Lisle de Schiltigheim (67), a défini un certain nombre de « composantes 100 % » : il s’agit de composantes incontournables, que les élèves acquièrent à leur rythme, ce qui va de pair, bien sûr, avec une individualisation des parcours. Précurseur en la matière, Robert Guichenuy insiste sur la spécificité de la démarche : « Ces composantes, pour être 100%, doivent s’appuyer sur les représentations mentales de chacun des élèves si l’on ne veut pas que le savoir ou l’apprentissage ne soient que de la « phonétique » vide de sens. La composante 100 % n’est pas un texte académique appris par cœur. Quelle que soit l’imagerie de l’élève, elle s’appuie sur ses représentations. Quels que soient les détours qu’il pourra prendre, l’important est qu’il se construise un concept juste, fonctionnel, lui permettant de communiquer avec et dans le groupe, d’avancer dans ses apprentissages, de les mémoriser et de les exploiter177 ». Le Socle Commun et l’approche par les compétences qui lui est attachée sont donc ici perçus positivement essentiellement en tant qu’outils, permettant de se positionner sur ce que l’on considère indispensable. Mais au delà de l’aspect formel, c’est véritablement d’un travail 176 Dominique Moinard, « En maternelle aussi… et surtout », Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, pp. 29-30. 177 « Les apprentissages 100% : un exemple en mathématiques », Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, pp. 39-40. 98 de conception et de réflexion en équipe dont il s’agit, que le SCCC rendrait obligatoires en quelque sorte. Le second intérêt à travailler « dans l’esprit du SCCC » est relatif justement à ce questionnement préalable, de la part des enseignants et en vue de l’appropriation par les élèves, « des concepts essentiels », pour reprendre l’expression de Patrice Brice, professeur d’histoire-géographie, au collège Elsa Triolet de Vénissieux (69). Cet enseignant s’appuie, en effet, non sur une progression chronologique des évènements mais sur une approche thématique et comparative, plus apte, selon lui, à construire des clés de compréhension. Il en ressort ainsi une capacité accrue à repérer les déterminants des organisations humaines, pour ne citer que cet exemple, et des compétences transposables et indispensables, selon l’enseignant, pour de futurs citoyens. Cette mise en place, qui s’effectue graduellement et se complexifie au cours de l’année, donne aussi la possibilité d’un approfondissement à ceux qui se sentent à l’aise à l’école. Cette réflexion sur la définition de « l’indispensable » est justement porteuse de questionnements fertiles, qui ne peuvent avoir lieu qu’en équipe : s’agit-il, comme le propose Cécile Delannoy, professeur à la retraite, de « se demander à quelles conditions quelqu’un peut être autonome dans la société 178», ou de faire en sorte que l’école donne aux enfants ce qu’ils ne pourront pas trouver facilement à l’extérieur, ce qui suppose la mise en place de compétences complexes, proposition de Marcelin Hamon, professeur des écoles à Val-de-Reuil (27) ? En résumé, et comme nous le mentionnions plus haut, le SCCC redonnerait et de nouvelles exigences et un nouvel attrait pour le travail en commun des enseignants - mais on imagine mal qu’il s’agisse là de sa seule légitimation -. Il est perçu, plus vraisemblablement, comme portant fondamentalement en lui une proposition de redéfinition des attendus de l’Ecole et, à ce titre, il représente, pour un certain nombre d’enseignants, une voie pour initier de nouvelles perspectives et réduire les dysfonctionnements que connaît aujourd’hui l’institution. Il apporterait ainsi une première réponse à la question majeure que se posent de nombreux enseignants, comme nous l’avons déjà indiqué, à savoir : « Quelles connaissances l’Ecole doit-elle fournir » ? Un troisième intérêt, parachevant les aspects opérationnel et méthodologique que nous venons de pointer, est qu’il est vu, et c’est peut-être sa composante la plus complexe, comme une orientation possible pour échapper à un empilement toujours plus imposant de ce qu’il faut aborder à l’école : prévention routière, éducation à la santé, à l’environnement, langues 178 « L’essentiel et l’indispensable », Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, p. 23. 99 étrangères…et ainsi redonner une cohérence au système. A ce titre, le Brevet Informatique, plus connu sous le nom de B2i179, exemplifie une mise en place plutôt réussie du socle commun. Dès l’origine, le choix de l’entrée par les compétences s’y est imposé, pour plusieurs raisons : « l’objet même de l’apprentissage, qui est une pratique sociale très répandue, la prise en compte de l’approche par les usages et non par les savoirs, le refus de désigner une discipline nouvelle, une conception transdisciplinaire de l’intégration des TIC - Technologies de l’Information et de la Communication -, le développement de l’approche par les compétences en éducation180 ». Face à l’argument qui ferait disparaître, dans le SCCC, les connaissances au profit des compétences, Bruno Devauchelle rétorque que c’est au contraire l’occasion de vérifier comment l’élève articule « connaissances » et « contexte d’usage » : c’est, en effet, par le croisement de ces deux composants que s’exprime la compétence. L’enseignant est amené à prévoir une observation fine de la prestation de l’élève, qui, quant à lui, exprime la maîtrise d’un ensemble complexe et doté de sens. Au total émane de ces enseignants, convaincus par avance de l’intérêt d’une approche par les compétences, une vision positive du SCCC, envisagé tant dans ses finalités et ses moyens que par les obligations qu’il ne manquera pas de susciter … Plusieurs chercheurs viennent conforter cette position optimiste : Christian Baudelot181 et Roger Establet182, notamment sur la question du « minimum/maximum », Claude Lelièvre183 sur la pertinence du débat sur la définition du « Socle » et Philippe Perrenoud184 sur « l’approche par les compétences ». Pour les premiers, l’histoire montre que l’élévation générale du niveau enregistrée depuis cinquante ans n’a exercé aucun effet d’entraînement sur le bas. Une chose est sûre : laissée à elle-même, la logique de fonctionnement de notre école rend illusoire d’espérer que la hausse du plafond s’accompagne mécaniquement d’une hausse du plancher185 ». L’idée d’un SCCC, constitue donc, selon eux, une rupture car elle oblige à ne plus considérer l’Ecole depuis son sommet mais depuis sa base. Elle introduit, de plus, « une reconnaissance des droits des plus faibles dans un univers régi par la loi du plus fort ». Et de citer les exemples de 179 Brevet Informatique et Internet. Bruno Devauchelle, « Le brevet informatique, précurseur du socle ? », Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, p.32. 181 Sociologue, spécialiste de l’éducation et de la sociologie du travail, professeur à l’Ecole Nationale Supérieure. 182 Sociologue, spécialiste des questions d’éducation, professeur à l’université de Provence. 183 Spécialiste de l’évolution du système éducatif français, professeur à la Sorbonne. 184 Sociologue, professeur à la faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation à l’Université de Genève. 185 « Pour un SMIC scolaire et culturel », Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, pp. 26 et 27, 180 100 plusieurs pays, dont les pays scandinaves, qui se sont évertués à « conduire d’un même pas toute une génération d’enfants à un même niveau scolaire186 ». Pour le professeur de l’histoire de l’éducation qu’est Claude Lelièvre, la question de la définition d’un socle est des plus cruciales, puisqu’elle alimentait déjà la polémique, avant même la Révolution, entre ceux qui pensaient que l’Ecole devait fournir un viatique, pour affronter la vie courante, et ceux qui défendaient la thèse d’une Ecole formant de futurs citoyens, capables de s’adapter. Les termes de l’équation n’ont pas bougé et comme on ne sait toujours pas ce que les élèves « n’ont pas le droit d’ignorer187 », « chacun fait comme il peut… ou comme il veut. Les priorités n’étant pas explicites, chaque enseignant adapte188 ». Claude Lelièvre corrobore donc la nécessité évoquée plus haut par les enseignants du primaire et du secondaire de s’interroger sur ce que doit comporter ce « Socle », même si, pour lui, in fine, c’est une décision éminemment politique et qui doit relever du politique : « […] Ce ne peut être défini à l’intérieur du monde scolaire. Il est impossible que le monde scolaire, et en particulier le monde du secondaire, qui se définit par les disciplines existantes, puisse être un lieu définissant un socle commun de base. […] C’est au pouvoir politique, à ses représentants, de décider, via des missions parlementaires ou un haut conseil à l’éducation189 ». C’est effectivement ce qui sera fait, mais cet argument méritait d’être cité eu égard aux très nombreuses réactions des enseignants vis-à-vis du SCCC. Il importe en effet, pour Claude Lelièvre, de replacer chaque sphère face à ses attributs, même si le débat - et rien que le débat est effectivement des plus nécessaires. Philippe Perrenoud pose, quant à lui, que l’approche par les compétences renoue avec une évidence : « Les savoirs sont certes des « conquêtes de l’humanité, mais ils ont d’autant plus de valeur qu’on peut s’en servir pour donner du sens au monde et guider l’action190 ». Il poursuit en indiquant qu’il n’y a rien de répréhensible à se servir de ses savoirs pour agir, mais qu’il importe d’apprendre à le faire : le transfert n’a, en effet, rien d’inné. Et l’un des moyens pour apprendre à utiliser ses propres ressources est la confrontation avec des situations complexes, des choix à opérer, des projets à mener. S’investir ainsi ne dévalorise nullement les savoirs mais, au contraire, les transcende, conclusion que tiraient aussi les enseignants du primaire un peu plus haut. 186 Même source, pour cette citation et la précédente. Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff et cités dans le quotidien « Libération » du 15 Mars 2004. 188 Même source. 189 Retranscription d’un dialogue avec Claude Lelièvre en direct du débat national pour l’école, du 28 Janvier 2004. 190 « Mobiliser les savoirs », Cahiers Pédagogiques, Novembre 2007, p. 218. 187 101 Le consensus entre les différents acteurs convoqués ici est éloquent : il trace trois lignes directrices, en faveur du SCCC, que nous synthétiserons ainsi : ● Le SCCC introduit une exigence de savoir minimal clarifiée et équitable. ● Il réactive l’impérieuse nécessité de répondre à la question des finalités de l’Ecole. ● Au travers de l’approche par les compétences, il inaugure une détention de savoirs « vivants ». Un tel optimisme n’est, bien sûr, pas partagé par tous les enseignants. D Le SCCC : des réserves Ces réserves sont à relier à trois éléments identifiés comme principaux et récurrents : la pédagogie, les objectifs et les moyens. Pour ce qui est du premier élément, la rédaction des Cahiers Pédagogiques note : « Tout ce qui précède - i. e. la mise en place du SCCC - ne peut avoir la moindre chance de réalisation sérieuse que si les enseignants intègrent dans leurs pratiques la nécessaire prise en compte des élèves dans leur diversité, leurs talents comme leurs points faibles191 ». L’avertissement est sans appel… Frédéric Monnet, cité plus haut, insiste sur le fait que les exigences minimales ne suffisent pas : il faut aussi déterminer un environnement éducatif. Celui-ci tient tant à la nature des activités proposées en classe qu’à la relation pédagogique. Pour cet enseignant, il importe de répartir équitablement l’analyse et la synthèse, l’oral et l’écrit, la réception et la production des messages …Et surtout, « pour créer un lien vivant entre lui et ses élèves et donc pour se mettre à leur niveau - et particulièrement au niveau de ceux qui ont le plus de difficultés - il est nécessaire que l’enseignant leur propose quelque chose qui ait un sens et éveille leur curiosité, leur imagination, leur besoin de comprendre et de rationaliser. On ne peut séparer les rigueurs de l’effort de mémorisation et d’apprentissage, du plaisir de la découverte. C’est pourquoi il paraît essentiel d’inscrire le socle commun des connaissances dans le cadre d’un culture, qui, parce qu’elle est commune, fait que nous avons plaisir à vivre et à connaître ensemble 192 ». Notons que cette attitude de quête d’une pédagogie renouvelée, sans leur appartenir en exclusivité, est, par définition, fortement répandue chez les enseignants s’inscrivant dans la mouvance des Cahiers Pédagogiques. 191 192 Cahiers Pédagogiques, Novembre 2007, p. 218. « Exigences maximales, exigences minimales », Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, p.31. 102 Nous l’avons déjà vu, la question des objectifs du SCCC, pour initiale et résolue qu’elle aurait dû être, n’en demeure pas moins prégnante, tant il paraît, que, même après de années de discussion, la réponse ne soit pas univoque. Si le débat, en tant que tel, procure une certaine émulation positive et génératrice d’initiatives, le fait que le cap ne soit pas clairement dessiné est problématique. Spécialiste des savoirs scientifiques, Maryline Coquidé193 s’interroge ainsi : « La tension principale, relative aux perspectives de fondamentaux, concerne les visées et les usages. S’agit-il d’envisager un socle « commun » ou bien un socle « pour tous » ? D’envisager les savoirs et les compétences élémentaires utiles pour la vie de tout collégien ? ou plutôt de réfléchir aux fondamentaux scientifiques et techniques pour que tout citoyen puisse prendre des décisions éclairées dans la vie quotidienne ? […] La visée principale estelle plutôt utilitaire et pour l’insertion dans le monde du travail ou bien démocratique ou citoyenne ? Est-ce une ambition de généralisation, de culture commune et partagée ou plutôt une ambition de norme à atteindre194 » ? A ses yeux, rien, dans le rapport Thélot, ne permet de vraiment trancher entre ces alternatives, qui sont pourtant, chacunes, lourdes de conséquences, tout comme rien de réellement abouti n’a jailli, dans le passé, des multiples commissions qui s’y sont penchées. Nous noterons ici, pour mémoire, que sur 18 enseignants ayant répondu à notre enquête, 5 voient dans le SCCC un dispositif « qui questionne », « qui est unifié et cohérent », 4 font état « de retour en arrière », « de bonnes vieilles méthodes », et 9 ne perçoivent pas de différence avec les programmes actuels. Ils sont également plusieurs, et cela constitue un point original, à déplorer le fait que l’Ecole soit considérée comme la seule voie de « salut », confrontés qu’ils sont, régulièrement, à des familles qui ne s’impliquent pas dans la scolarité de leurs enfants, et ce, quel que soit leur classe socio-professionnelle. Dans ce cadre, le SCCC est alors surtout vu comme un dispositif qui, loin de faire valoir toutes les formes d’intelligence, cloisonne et hiérarchise, de fait, les disciplines et s’éloigne, par conséquent, de son objectif premier : la réussite pour tous. Au total donc, une attitude globalement circonspecte. Le troisième point semble englober tous les autres, tant il paraît indispensable que d’importants moyens soient mis en place pour que le SCCC soit réellement efficient. Que l’accompagnement de chacun dans sa scolarité passe par de profonds changements de perspectives et de pratiques, par un accompagnement plus spécifique, par une organisation remaniée, par une évaluation revisitée, la question des moyens reste déterminante, qu’il 193 Professeur à l’Unité Mixte de Recherche Sciences Techniques Education Formation de l’Ecole Nationale Supérieure de Cachan. 194 « L’indispensable en sciences », Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, p.38. 103 s’agisse de temps, de personnels ou d’investissements matériels… L’immense majorité des projets et réalisations présentés dans les Cahiers Pédagogiques est collective et nécessite un travail d’équipe considérable (« Collège autrement » à la Chapelle Saint-Luc195, Collège expérimental de Clisthène, à Bordeaux196…) et la seule écriture du SCCC ne permettra pas d’aller plus loin. Les enseignants qui nous ont répondu notent, de leur côté, la nécessité de conforter les équipes par « davantage d’AVS197, de personnels affectés aux RASED198, un maître de plus par groupe scolaire » de manière à permettre « le travail en petits groupes car en groupe-classe, certains enfants sont noyés, submergés ». Comme plus haut, plusieurs chercheurs s’expriment, mais cette fois-ci, pour traduire un enthousiasme mitigé. Philippe Perrenoud revient sur la question des objectifs visés par la maîtrise du SCCC. Si, pour lui, « l’idée de donner à chacun une culture de base n’est pas absurde199 », il s’interroge, à l’instar de Maryline Coquidé, sur les priorités : « Pour concevoir une éducation de base qui préparerait à la vie, il importerait d’ancrer le curriculum dans une analyse des pratiques sociales ordinaires pour répondre à la question décisive : de quelles connaissances et de quelles compétences les jeunes de demain auront-ils besoin pour être des citoyens à part entière dans la société, résoudre les problèmes qui les attendent, prendre en connaissance de cause les décisions qui affectent leur vie et celles de leurs proches ? Le socle de connaissances et de compétences en découlerait. Ce socle serait celui de la statue du citoyen lambda. Or le curriculum actuel joue le rôle de socle pour une autre statue, celle des études longues, de la formation d’une élite200 ». Et l’état de questionnement demeure, alors même, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, que le SCCC est mis en œuvre… Dominique Raulin, qui a participé aux travaux du Conseil National des Programmes et est actuellement directeur du Centre Régional de Documentation Pédagogique d’OrléansTours, pointe un certain nombre de faiblesses dans le dispositif actuel, sur les champs qui nous intéressent ici : ● Pour ce qui est relatif à la pédagogie, il note que, dans le passé, et sans aller chercher très loin, ont eu lieu des essais de prise en charge collective et transversale (éducation à la citoyenneté, maîtrise de la langue…) sans beaucoup de succès ; 195 196 197 198 199 200 « Réponse d’équipe ? », Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, p.46. Cahiers Pédagogiques, Novembre 2007, pp. 26 à 31. Auxiliaire de Vie Scolaire. Réseau d’Aide et de Soutien aux Enfants en Difficulté. « Le socle et la statue », Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, pp. 16 à 18. Même source. 104 ● « On ne peut faire du neuf avec du vieux201 », et il est à craindre, par exemple, que la référence explicite aux disciplines remette en cause certaines spécificités du SCCC. ● Pour ce qui est des moyens, « on ne peut attendre des seules équipes éducatives ou pédagogiques ou des corps d’inspection qu’ils fassent seuls le travail de création et de réflexion sur de nouvelles pratiques et de nouveaux outils 202». ● Le changement de mentalité des enseignants n’a de chances de se faire que s’ils y trouvent, eux-mêmes, un réel intérêt et que s’ils constatent une réelle évolution dans l’efficacité de leur travail. Un consensus de réserve est donc observé : au delà d’aspects positifs perçus comme indéniables, l’avenir du SCCC demeure lié à une grande absente, à savoir une définition arrêtée de ce qu’il vise réellement, et à deux variables aléatoires : la façon dont les enseignants vont se lancer dans de nouvelles pratiques pour accompagner ce nouveau dispositif et les moyens, tant humains que financiers, qui seront dévolus à cette cause. E Le SCCC : des oppositions Nous ne pourrons citer d’enseignants rédacteurs des Cahiers Pédagogiques opposés au SCCC, puisque la ligne éditoriale de cette revue la place du côté des partisans du dispositif. Nous nous réfèrerons cependant à deux contributions critiques parues dans les CP, à savoir « Tout savoir doit être enseigné comme culture203 » de Philippe Meirieu et « Conjuguer ambition de culture et ambition de justice sociale204 » de Jean-Yves Rochex205. Toutes les deux avancent sur la pièce manquante du puzzle, à savoir la définition des finalités de l’Ecole et émettent de vifs arguments à l’encontre d’un dispositif, qui, selon eux, s’affranchit de leur représentation de la culture. Pour le premier, mis à part le fait que le « socle » soit un terme fort mal choisi car renvoyant aux bases, à la linéarité des apprentissages, « à une vision béhavioriste de la pédagogie de la maîtrise », il représente une impasse pédagogique, car il est contraire à l’idée d’un référentiel final de la scolarité obligatoire. « Toute la difficulté vient du fait qu’on affirme simultanément : ‘ Tout le monde doit maîtriser le socle’ et ‘ le socle n’est pas superposable 201 Cahiers Pédagogiques, Novembre 2007, pp. 23 à 25. Même source. 203 Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, pp.14 à 16. 204 Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, pp.16 à 18. 205 Professeur en Sciences de l’Education à l’université Paris VIII Saint-Denis. 202 105 avec les objectifs finaux de la scolarité obligatoire’. Le ‘ socle’ serait donc ‘quelque chose’ au sein de ces objectifs …Or, quoi précisément » ? Pour Philippe Meirieu, il faudrait déterminer « les champs de savoir que l’on considère comme décisifs pour chacun de nos élèves personnellement ainsi que pour leur avenir collectif ». La réalisation de tâches relatives à ces domaines, en fin de scolarité obligatoire, attesterait d’une maîtrise suffisante. Des projets adaptés en fonction des cycles seraient, dans le même esprit, proposés aux plus jeunes. Cette perspective ne signerait pas la disparition des connaissances disciplinaires, utiles au contraire, mais qui seraient enseignées « au regard de ce que l’on exige d’un citoyen ». Pour y parvenir, poursuit-il, il importe de considérer la culture « comme une dimension nécessaire de tout savoir et de tout apprentissage206 » et non comme quelque chose que l’on gagnerait après avoir effectué un parcours expiatoire. Jean-Yves Rochex s’insurge contre la vision qui attribue au SCCC une fonction de viatique, limitée. Il prône au contraire une culture commune propédeutique, capable de développer le dialogue, l’échange… Sept « raisons », au sens cordorcétien du terme, contribueraient à sa construction, avec le constant souci de faire en sorte que les supports et moyens utilisés « ouvrent et forment les esprits à autre chose qu’à eux-mêmes », et permettent ainsi aux élèves d’aller « au- delà d’eux-mêmes et de leur expérience ». Le SCCC serait loin de cet idéal, car minimaliste et utilitariste. Il négligerait ainsi, en particulier, la nécessaire prise en compte de la pluralité du patrimoine, entendu au sens large, gage, selon Jean-Yves Rochex, de l’appropriation d’une culture non aseptisée. Enfin, face à un SCCC, qui, à vouloir permettre à chacun de trouver sa voie, ne fait qu’entériner, de fait, les inégalités, il revendique que « l’appropriation des savoirs et des outils intellectuels constitutifs d’une culture commune participe, pour tous, du développement personnel ». Car plus que « d’expression des talents et des mérites » et plus que « d’éclosion des excellences207 », ce serait de formation et de développement dont on aurait, avant tout, besoin. Même si nous en sommes restée au stade des généralités, c’est une critique consensuelle sur le caractère « étriqué » du socle qui se fait jour ici, de même qu’une revendication des plus marquées pour une place spécifique dédiée à la culture : ce ne serait pas quelque chose en plus mais une façon d’apprendre, omniprésente et constitutive même des 206 Citation issue, comme toutes celles de ce paragraphe, de « Tout savoir doit être enseigné comme culture », Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, pp.14 à 16. 207 Citation issue, comme toutes celles de ce paragraphe, de « Conjuguer ambition de culture et ambition de justice sociale », Cahiers Pédagogiques, N°439, Janvier 2006, pp.16 à 18. 106 apprentissages. Ce qui nécessite non des ajustements par rapport à ce qui existe aujourd’hui mais un changement radical de paradigme … F Synthèse des arguments pédagogiques Le débat sur le SCCC, tel qu’il ressort des réflexions issues des Cahiers Pédagogiques, place le curseur sur un axe de ruptures : minimum/maximum, indispensable/facultatif, neuf/vieux, connaissances/compétences, programmes/ SCCC, viatique/ propédeutique… Dans cet enchevêtrement, la culture, terme polysémique s’il en est, n’échappe pas à la règle et nous ne sommes pas loin de penser que c’est l’ambiguïté même qui l’entoure qui est la source des différences d’appréciation portées sur le SCCC. Au total, le SCCC ne serait que le révélateur d’une insuffisance de détermination et d’une absence de consensus sur ce qui est à la fois prérequis et finalités de l’Education. C’est dire si les fondations sont instables… 107 CONCLUSION 108 On l’aura noté, le cheminement est sinueux, qui mène du savoir commun de Condorcet à la loi du 23 Avril 2005 : les concepts sont polysémiques, les contextes évolutifs, les enjeux pluriels… Au terme de cette étude, il importe, à présent, de tenter de d’éclaircir la complexité, de rassembler les invariants et d’élucider les discordances afin, - et c’était notre objectif - de contribuer à une investigation prospective sur le SCCC. Pour cela, nous procéderons par étapes : nous mettrons en présence les représentations collectées tant du côté des syndicats que des enseignants des Cahiers Pédagogiques et les analyserons à la lumière des hypothèses de lecture que nous avions formulées. Puis, après un retour sur les limites de ce travail, nous conclurons par une mise en perspective du SCCC, écho à ce qu’il suscite et regard sur ce qu’il pourrait produire. Confrontation entre les représentations politiques et les représentations pédagogiques à propos du SCCC Nous utilisons à dessein le terme « politique » pour désigner l’expression des syndicats enseignants, non qu’il soit de notre propos d’associer l’un ou l’autre d’entre eux à quelque parti politique que ce soit, mais parce que nous l’entendons, dans son acception la plus large, au sens de l’expression et de l’argumentation collectives d’une idée dans le but d’exercer une influence. Et c’est bien de cela dont il est question au plan syndical. Si les deux sources se retrouvent conjointement sur un certain nombre de points (approche par les compétences, rôle majeur des équipes enseignantes…), leur lecture respective dessine deux tendances lourdes, l’une autour de la notion de « POUVOIR », l’autre autour du concept de « CULTURE ». Sans être exclusifs ou totalement issus de l’une ou de l’autre, ces deux axes tracent des perspectives fortes et complémentaires pour l’avenir du SCCC : Pour le « pouvoir », ce qui est en jeu est multiforme : garanties de démocratie avec le SCCC, valeurs fondamentales, fonction de « ciment de la nation », service public, place des entreprises, inégalités, cohésion sociale, levier de transformation… Pour la « culture », les questions sont tout aussi diverses : quelle place pour elle dans le SCCC et plus globalement à l’Ecole ? quel contenu ? que met-on sous l’expression « culture commune »? que garantit une culture commune ? … Au delà de sa mise en œuvre, on saisit ici que les enjeux de la loi du 23 Avril 2005 sont capitaux et que la teneur des confrontations qu’ils ont suscitées dépasse largement la 109 question du « pour ou contre ». C’est à la lumière de ce débat non abouti, si l’on en croit les multiples réactions qui s’expriment encore aujourd’hui, mais dont la richesse est indéniable, que nous tenterons à présent de valider la pertinence de nos hypothèses de lecture. Retour sur les hypothèses Les deux dernières remarques que nous avions formulées semblent les plus aisées à vérifier : ● Ce sont précisément les points de polémique à propos du SCCC qui sont les plus à même de nourrir un débat argumenté sur sa pertinence. Le cheminement qui précède atteste sans conteste cette affirmation : ce sont, de fait, les éléments qui génèrent des avis contraires qui permettent le plus de développements : ainsi, se demander si le SCCC participe à une augmentation ou au contraire à une diminution des exigences, s’il accroît ou réduit les inégalités, s’il réactive les valeurs fondamentales de la nation ou en fait fi …, c’est donner au débat tout son contenu politique, au sens reprécisé plus haut et c’est inscrire la démarche là où elle doit se situer, en l’occurrence pour le SCCC, au statut de loi puis de décret. Dans un idéal démocratique, ce formalisme ne devrait nullement exclure la participation et l’expression « de la société civile ». Ce fut certes fait, en amont, mais pas suffisamment, trop dans l’urgence et trop superficiellement, aux yeux de nombreux protagonistes, nous l’avons vu… Au delà de la qualité même du débat, c’est donc bien davantage sur ce dernier point que l’on peut se questionner. ● Au delà du caractère obligatoire du texte qui le porte, le ressenti qu’ont les acteurs du système éducatif du SCCC est déterminant dans la façon dont il sera pris en compte et utilisé. En première approche, nous pensons avoir démontré cette assertion. Tout d’abord, il y a eu une forte mobilisation autour du thème du SCCC : les syndicats enseignants notamment se sont beaucoup impliqués sur la question, les enseignants ont, dans certaines circonscriptions, eu une conférence pédagogique sur ce thème spécifique… Au total, une information plutôt bien relayée. Mais cette information n’est qu’un préalable à la perception, point qui nous intéresse 110 ici. Nous avons noté des critiques autour de la rhétorique du texte, un ensemble de remarques sur le choix même du terme « socle » et plus globalement des interrogations multiples et profondes sur l’Ecole et sur sa place dans la société de demain. S’il est une évidence, c’est que ce SCCC n’est pas unanimement perçu positivement, loin s’en faut même. A cela plusieurs raisons, que nous ne citerons pas toutes : - les conditions floues de son origine : obligation européenne ou réelle nécessité du système éducatif français ? - ses objectifs suspectés d’être réducteurs, voire dangereux pour la démocratie et l’Ecole Publique… - les menaces qu’il fait peser sur le métier d’enseignant - l’insuffisante prise de distance qui a présidé à sa mise en place… Au total, et même si de nombreuses voix se sont élevées, au début, en faveur de ce dispositif, il ressort globalement du débat un sentiment d’insatisfaction, ou tout au moins de questionnement dubitatif. Ce climat est d’ailleurs exacerbé par la parution des programmes de 2008, qui suscitent globalement des réactions négatives et font passer le SCCC à un rang subalterne. Cohérence donc entre la perception et les conditions de mise en œuvre. Il reste cependant que ce Socle a force de loi et qu’il est présenté comme ossature des nouveaux programmes, que les enseignants ont obligation de respecter. Dans le contexte que nous venons de repréciser, sa mise en œuvre, pour non négociable qu’elle apparaisse, ne sera pas nécessairement synonyme d’adhésion ou d’enthousiasme. Les trois propositions que nous avions formulées appellent davantage de discussion : ● La qualification d’« acte refondateur », attribuée au SCCC, reste à établir, tant au sens « initiateur » que « reconstructeur ». Il y a, dans le qualificatif « refondateur », trois acceptions, qui se complètent d’ailleurs. Tout d’abord, il emprunte à « fondation » son caractère premier : de la même façon que les fondations précèdent la construction, le SCCC est présenté comme un dispositif « pionnier », précurseur, pour redéfinir les orientations de l’Ecole. « Fondateur » a aussi à voir avec « fondement », « fondamental », et, en ce sens, le SCCC s’inscrit immanquablement dans « l’essentiel », « la nécessité absolue » de s’approprier tant des savoirs que des valeurs. Enfin, 111 le préfixe « re » marque la volonté d’un renouveau, d’une inflexion de tendance, à défaut de rupture. Nous tenterons ici d’observer si ces caractéristiques sont effectivement vérifiées. En termes de finalités, les attributs du SCCC sont multiformes, ce qui, loin d’introduire de la stabilité, confine, nous l’avons vu, plutôt à la défiance : entre l’alignement sur les politiques européennes, la nécessité de relancer l’économie de la France, la volonté de remettre en exergue les valeurs fondamentales de la République, le souhait que chacun réussisse, l’obligation de réduire le plus possible les sorties du système scolaire sans diplôme, les velléités que la France progresse dans les évaluations internationales…, on se situe sur des axes très distants les uns des autres, on saisit mal les priorités, on peine à identifier des interlocuteurs … et l’on parle, en fait, très peu d’Ecole. C’est peut-être dans cette apparente confusion que se situe, d’ailleurs, une forme de novation : les finalités du SCCC sont plurielles et des plus ambitieuses. La détention de savoirs, si elle semble occuper le devant de la scène, n’est qu’un épiphénomène, au regard des défis qu’elle est censée relever. Sans doute pourraiton interpréter cela comme une tentative de réponse aux multiples attaques dont est victime l’Ecole (« elle ne permet plus l’ascension sociale, elle ne prend pas assez en compte la difficulté scolaire, elle laisse partir au collège des élèves qui ne savent pas lire, elle n’éduque pas assez à la politesse, au respect…, elle impose des savoirs inutiles, elle forme mal à l’apprentissage des langues étrangères, elle fait la part belle à l’enseignement général, elle méprise les voies professionnelles… »). Face à un avenir scolaire vu comme disloqué, le SCCC tenterait de redonner une cohérence d’ensemble et, en ce sens, il pourrait être interprété comme une « initiative fondatrice ». En termes de contenus, le SCCC est avant tout présenté comme une somme de savoirs, ceux que l’on ne peut ignorer en sortant de la scolarité obligatoire. Il trace un cadre quantitatif, délimite des paliers, prévoit des évaluations à des stades précis…, ce qui, somme toute, ne peut être considéré comme une innovation majeure. De la même façon, les savoirs visés, en tant que tels, ne paraissent nullement, bouleversés par rapport aux exigences antérieures. Quant aux moyens, même si l’élève est sensé occupé le centre des apprentissages, ce qui, somme toute, ne serait que légitime, c’est le grand absent du SCCC. Il est davantage perçu comme « réceptacle » ou encore comme « sujet absorbant » que comme personne en cheminement et en construction. Quand Jean-Yves Rochex pointe que le développement personnel est partie si ce n’est préalable, tout au moins complètement inhérente au processus d’appropriation des connaissances, quand Philippe Meirieu s’insurge contre un SCCC 112 « béhavioriste », ils traduisent de fait le vécu de tous les enseignants, qui, confrontés à une classe de moyenne section ou de terminale, savent bien que la meilleure des séances, entendue au plan didactique, avec ses objectifs et ses dispositifs bien construits, n’est pas une garantie totale, et que, bon an, mal an , il y a toujours, quatre ou cinq élèves, soit, en gros, ces fameux 15% évoqués plus haut, qui, sur une classe de trente, seront en difficulté plus ou moins grande. Certains syndicats enseignants ont aussi largement mis en avant le fait qu’un texte reste un texte. Est-ce par l’approche par les compétences que le SCCC entend développer cette relation pédagogique ? Le triangle de Houssaye208 répondrait que l’on n’est pas sur le bon axe : avec l’approche par les compétences, on se situe sur l’axe « élève-savoir », non sur l’axe « élèveenseignant ». Nous ne saurions tirer quelque généralité du peu de questionnaires que nous avons reçus des enseignants, mais à l’unanimité, la réponse fut « non » à la question « Pensezvous que le SCCC présente des atouts spécifiques pour lutter contre l’échec scolaire » ?, plus de la moitié, ajoutant dans les commentaires, qu’il faudrait plus de maîtres que de classes de manière à ce que chaque élève soit mieux suivi, que le travail en petits groupes soit favorisé… Dans le même ordre d’idée, si l’on s’intéresse maintenant de plus près au sigle « SCCC », on note, de même, cette absence totale de référence à la relation pédagogique et à la question du « comment faire ? » : Socle : base, fondements… Commun : pour tous de Connaissances : savoirs et de Compétences : savoir-faire. L’art d’enseigner serait-il inné ou considéré comme évident ? Nous ne nous lancerons pas dans le débat, mais noterons seulement que la recherche en pédagogie est loin d’attester cela et que, justement ces 15% d’élèves qui décrochent pourraient précisément être ceux-là mêmes qui demanderaient une prise en charge pédagogique différente. Et il y avait bien, à l’origine du SCCC, cette ambition primordiale de favoriser la réussite de tous… Là encore, point de renouveau à l’horizon… 208 Jean Houssaye, Le triangle pédagogique, Bern, Peter Lang, 1992, 267 pages. 113 ● L’objectif de l’élaboration d’une culture commune semble contradictoire avec les moyens préconisés dans le SCCC. Nous touchons du doigt, avec cette proposition, l’insuffisance de la définition du mot « culture », qui transparaît tant dans le texte de la loi du 23 Avril 2005 que dans les apports des syndicats enseignants ou dans les textes des acteurs de la pédagogie. Insuffisance, voire absence, ce qui est problématique pour un terme aussi polysémique. On ne sait pas toujours ce dont on parle et nous reviendrons sur cet obstacle plus bas. En l’occurrence, ce qui est en jeu dans cette hypothèse, c’est, tout d’abord, l’apparente distorsion entre l’idée de socle et le but d’atteindre rien moins que la cohésion sociale, la réussite pour tous … C’est en quelque sorte la métaphore de « l’entonnoir ». Faut-il partir d’une base, contingentée, pour accéder à des objectifs larges ou bien faut-il « se nourrir » de la pluralité pour construire ce que l’on considère essentiel ? Si la question n’a pas été nécessairement posée en ces termes, la préoccupation a surgi, à maintes reprises, au travers d’expressions telles « kit de survie, culture au rabais, exigences minimales… » mais aussi « levier de transformation, promesse démocratique, … ». Un second dilemme porterait sur la place de l’individu et de son rapport au savoir. Si, pour de nombreux acteurs, nous l’avons vu, oeuvrer pour l’élaboration d’une culture commune, est entendu, avant tout, comme « œuvrer pour la détention d’un minimum d’acquis scolaires », la question reste ouverte du passage d’une sphère à l’autre. En d’autres termes, comment la mise en commun des savoirs peut-elle contribuer à l’émergence des savoirs individuels, à la construction d’un rapport réussi au savoir, dont on peut penser qu’il est indispensable pour réussir sa vie personnelle et sociale ? Le SCCC donne peu d’indications sur cette interrogation. Un troisième point de discussion, qui semble d’ailleurs faire consensus, s’articule autour de l’idée que le SCCC préparerait à l’adaptation aux besoins de la société, que l’on trouve cela positif ou que l’on ne puisse que le déplorer comme état de fait : pour les uns, c’est, en effet, le rôle de l’Ecole de préparer avant tout à l’emploi, pour les autres, en revanche, il importe surtout que l’Ecole participe à la construction de l’Homme et du Citoyen. Et pour ces derniers, le SCCC oriente majoritairement vers une conformité aux besoins d’une société fonctionnant largement sur des ressorts économiques. Cela suffit-il à définir une culture commune ? On peut en douter… 114 Dans ce contexte, et pour en revenir à notre hypothèse, si l’on s’en tient à une culture commune entendue comme convergente, au sens de « l’intersection » dans la théorie des ensembles en mathématiques, on peut penser que le SCCC serait effectivement un outil pertinent. Si l’on envisage la culture commune au contraire comme résultante plurielle, au sens de « l’union » mathématique, on ne peut que s’interroger sur son bien-fondé. Cela pose la question, beaucoup plus large, de la définition d’un projet de société et des détenteurs de pouvoir en la matière. Le rôle du politique est, nous l’avons vu, éminemment présent dans ce projet de SCCC et il aura à se poser cette question, que nous empruntons à Antoine Prost, historien de l’éducation : «[…] Enfin, il s’agit de savoir si nous tenons à construire une identité nationale commune, un système de références. Est-ce que nous voulons que tout le monde sache qu’il y a eu une Déclaration des Droits de l’Homme en 1789, que tout le monde connaisse « le Corbeau et le Renard » ? Est-ce que, pour vivre ensemble, nous tenons à avoir une culture commune ou pas209 » ? Question on ne peut plus fondamentale… ● La seule détention de savoirs ne structurant pas derrière elle une posture d’acteur dans la société, qu’elle soit économique ou civique, le septième pilier du SCCC - autonomie et initiative - est identifié comme revêtant un statut fondamental. Si ce septième pilier n’est pas présenté nommément comme capital - ce qui n’est pas une surprise puisque, par définition, tous les piliers sont considérés comme également importants -, le fait que la très grande majorité des acteurs revendique l’importance de la recherche de sens, de la capacité à créer des liens entre les connaissances, de l’aptitude du transfert des savoirs atteste bien la nécessité d’une prise en charge personnelle des apprentissages et l’intérêt qui y est porté. Cet aspect serait même présenté comme l’une des spécificités du SCCC. Au plan de la réalisation concrète, cependant, la question reste posée, nous l’avons vu, des conditions qui vont éventuellement permettre l’éclosion et le développement de cette autonomie et de cet esprit d’initiative et nous en revenons aux interrogations sur la pédagogie et les moyens. Il ne suffit pas, en effet, de décréter. 209 Extrait de l’intervention d’Antoine Prost, lors du débat du comité de parrainage des Cahiers Pédagogiques en Janvier 2005. 115 Trois éléments de fond posent cependant encore question : ● Premièrement, « comment faisait-on auparavant ? » car l’idée d’une Ecole, qui, jusqu’au 21ème siècle, aurait négligé « l’envie de faire » des élèves et leur capacité à se prendre en charge, fait quelque peu frémir. L’analyse historique nous a aussi montré que le passage d’une recommandation à une obligation, sous la forme d’un texte de loi, ne suffit pas. ● Deuxièmement, quel est le sens d’un tel pilier ainsi « isolé », - et la métaphore d’un empilement a été utilisée à de nombreuses reprises - même si l’on insiste sur la transversalité des compétences ? L’autonomie et l’esprit d’initiative ne sont-ils pas préalables et consubstantiels de tout apprentissage, quel que soit le domaine considéré ? Ne peut-on pas avancer, en nous appuyant sur la thèse de Philippe Meirieu, pour qui tout savoir doit être enseigné comme culture, que ces deux attitudes sont, de fait, justement, les conditions nécessaires à l’élaboration d’une culture ? ● Troisièmement, et nous reprenons ici les propos de Jean-Yves Rochex, « le développement personnel » est la condition sine qua non de tout apprentissage et plus largement d’une politique ambitieuse de réussite pour tous. Ce développement personnel ne passe-t-il que par l’autonomie et l’esprit d’initiative ? La terminologie de ces deux attitudes, que Jean-Yves Rochex qualifie, dans un ensemble plus large, de « révélatrice », introduit le doute… Au total, un pilier largement reconnu comme spécifique, un contenu majoritairement plébiscité, mais des incertitudes tant sur les modalités d’acquisition que sur la légitimité et, en conséquence, une hypothèse que nous ne sommes pas en mesure de valider en l’état. Limites de l’étude Parvenue au terme du travail que nous nous étions fixé, nous pensons avoir modestement contribué à étoffer la réflexion autour du SCCC, réflexion, il est vrai, déjà fort nourrie. 116 Un certain nombre de points n’ont cependant pas donné lieu au développement que nous avions envisagé : ● Au plan méthodologique, le fait de ne pas avoir pu utiliser comme nous l’aurions souhaité les questionnaires envoyés directement aux enseignants a ôté un échelon dans la consultation et nous a sans doute privée d’arguments nouveaux et directement en prise avec les pratiques. Nous avons tenté de compenser ce manque par un travail approfondi auprès des syndicats d’enseignants. L’attente vaine de réponses a aussi eu des répercutions sur le déroulé de notre travail, engendrant ainsi, par la suite, une certaine précipitation, qui n’est jamais favorable. Au delà d’un défaut de méthode qui nous est sans doute imputable, nous souhaiterions toutefois indiquer que l’année scolaire 2007-2008 ne fut pas sereine globalement et que l’annonce des nouveaux programmes a véritablement occupé le devant de la scène, masquant ainsi le SCCC, qui, selon toute logique, devrait pourtant constituer la référence. ● Nous avons fait le choix de nous limiter à une seule publication, les Cahiers Pédagogiques, lors de la phase empirique. Même si, dès le départ, notre perspective était claire, à savoir de ne nullement chercher à atteindre une quelconque exhaustivité, tout choix est, par définition, exclusif, et l’on pourra nous reprocher celui-ci. Devant la masse des documents possibles, nous avons opté pour un titre, qui ne présente, dans sa quasi totalité, que des articles signés par des enseignants. Il n’est bien sûr pas dans notre propos de rejeter les contributions des journalistes mais notre priorité ici était de « rencontrer des personnes de terrain ». ● Nous n’avons pas travaillé sur la façon dont le Socle Commun est utilisé et perçu dans les pays où il est mis en œuvre. Cet élargissement aurait sans doute enrichi le débat et peut-être permis de vérifier la typicité du contexte français. A l’exception de lectures, nous n’avons cependant pas choisi d’approfondir cet axe, car le choix de travailler sur les perceptions des acteurs amenait automatiquement à s’intéresser avant tout à leur propre cadre de référence. ● En ce qui concerne le cadre théorique de l’étude, nous avons parfois eu des difficultés à nous centrer sur l’essentiel. Il nous importait à la fois d’inscrire la logique du SCCC dans un cursus historique et de nous intéresser à ce qu’il est aujourd’hui, sans faire de cette étude seulement un travail sur les politiques et circonstances qui l’ont précédé et sans sombrer non plus dans la seule analyse des perceptions de 2008. De ce choix délibéré de croiser et les 117 références et les modalités d’obtention des informations émane un écrit manquant parfois de limpidité … à l’image même de notre objet d’étude … ● Enfin, comme nous l’indiquions plus haut, il nous a manqué, tout au long de ce travail, de l’exigence autour de la définition du terme « culture ». Il est employé avec des acceptions différentes par les uns et les autres, qui, précisons-le, ne définissent généralement ni leur cadre de référence ni leur point de vue. Il en ressort une imprécision, avec laquelle nous avons cependant composé. Un travail complémentaire s’imposerait ici … Synthèse générale « A quelles conditions le Socle Commun de Connaissances et de Compétences peutil représenter un dispositif doté d’une pertinence novatrice, dans le paysage éducatif de ce début de 21ème siècle » ? Telle était la question centrale que nous nous posions au terme de notre exploration historique. Cette question est, de fait, porteuse de deux préoccupations majeures, que nous énoncerons ainsi, de façon synthétique : « Que transmettre ? » et « Comment transmettre ? ». Ces deux interrogations, qui constituaient d’ailleurs l’ossature de nos deux premières hypothèses, ont aussi tracé une sorte de ligne de démarcation entre les différents acteurs convoqués dans cette étude : les partisans du SCCC se sont retrouvés, en effet, majoritairement, sur un questionnement autour des moyens à imaginer et à mettre en place pour que le SCCC soit réellement efficace (Comment transmettre ?), là où ses détracteurs ont placé le débat bien en amont, interrogeant les finalités mêmes de l’Ecole (Que transmettre ?). S’il dépasse largement le cadre du SCCC, ce dernier questionnement est capital. Prenant à témoins les nombreuses tentatives de transformation qui ont précédé le SCCC, l’on serait tenté de répondre très simplement que tout débat et toute réforme sont vains et d’emblée voués à l’échec tant que la question de ce que doit transmettre l’Ecole n’est pas davantage tranchée. En première approche, le Socle Commun semble échapper à la règle, puisqu’il liste avec précision un ensemble de connaissances, de compétences et d’attitudes, considérés comme indispensables pour vivre au 21ème siècle. Cependant, cette apparence masque et un 118 vice de fond et un vice de forme : en effet, elle fait l’impasse sur les débats premiers et pose comme axiome la prééminence du « commun » et de l’« utile », le tout étant jaugé à l’aune d’un ensemble mesurable d’items. Les syndicats d’enseignants opposés au SCCC étaient d’ailleurs unanimes sur la nécessité d’un travail de fond autour de cette interrogation, afin, entre autres, d’éviter les glissements vers une Ecole qui serait l’antichambre de lobbies économiques ou autres. La question du statut de l’Ecole et des savoirs qu’elle doit léguer reste entière, et le SCCC n’y apporte qu’une réponse apparente : ses détracteurs avaient d’ailleurs bien saisi cet enjeu, portant davantage le débat sur un plan idéologique que sur des préoccupations strictement scolaires. Le chantier reste à poursuivre… Toutefois, il importe, d’ores et déjà, d’essayer d’identifier ce qui, justement, fait barrage à ce questionnement de fond. Premièrement, tenter de définir les finalités de l’Ecole, c’est se heurter à une réalité extrêmement complexe : nous rappelions, en effet, que les axes de débat sous-jacents au SCCC étaient porteurs de trois conflits dialectiques : « quantité et qualité » (de connaissances), « commun et individuel », « humanisme et utilitarisme ». Or ces six éléments, une fois recomposés, constituent un panorama certes un peu caricatural, mais néanmoins instructif : ainsi, l’on mettrait ensemble « quantité, individu et utilitarisme » et l’on obtiendrait une image à peine exagérée de la société d’aujourd’hui. D’un autre côté, on associerait « qualité, commun, humanisme », et l’on pourrait leur donner comme titre « une société idéale »… ou encore « les attendus de l’Ecole ». Or, et nous citerons ici Claude Lelièvre, « le libéralisme est à l’intérieur de l’école, même si la mode est actuellement de désigner des facteurs exogènes comme la ‘marchandisation’ ou la ‘mondialisation’ 210». C’est donc à la quadrature du cercle que l’on se heurte ici : une société qui est ce qu’elle est, une Ecole qui tente de maintenir le cap des valeurs fondamentales mais qui est, en même temps, marquée par « le monde » - au sens d’Annah Arendt -, et à l’intérieur de cette Ecole, un dispositif, nommé Socle Commun, chargé de faire le lien, c’est à dire de préparer au « monde », tout en étant garant d’un héritage historique. C’est là un premier obstacle et il n’est pas moindre. Deuxièmement, la France présente justement une configuration bien spécifique à cet égard : c’est en effet dans sa tradition de charger l’Ecole de construire l’identité politique et 210 Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff et cités dans le quotidien « Libération » du 15 Mars 2004. 119 morale de la nation. Or le modèle de la 3ème République, avec ses normes de comportement allant de soi, ne semble plus adapté à une société devenue « agrégat diffus de feuilles volantes composées d’individus », pour reprendre l’expression du sociologue Ulrich Beck211. L’Ecole, qui demeure l’institution où le problème de l’articulation « individu/collectif » est le plus mis à l’épreuve, est par conséquent accusée de tous les maux et relativement esseulée, nous l’avons vu, dans sa mission d’Education. Quand le SCCC tente de redonner une place plus marquée aux apprentissages dits fondamentaux et aux compétences civiles et sociales, c’est, de fait, la reconnaissance d’un dysfonctionnement et d’une incapacité à atteindre les valeurs fondatrices de la République : le système scolaire a, en effet, plutôt tendance à reproduire les inégalités sociales qu’à les aplanir, l’égalité des chances demeure un mythe, la justice n’est pas toujours de mise… Le SCCC tente donc l’improbable pari de réunir « savoirs et valeurs », alors que la demande sociale est largement teintée d’utilitarisme…et peu orientée vers le « commun ». Comme cela fut déjà exprimé, l’autorité des valeurs ne repose pas sur des principes décrétés et inviolables, mais sur la capacité que l’on a, collectivement et en tant qu’individu, à les argumenter. Il en va ainsi du SCCC, qui ne pourra, dans les faits, rien imposer qui ne soit partagé, discuté, négocié. Son ancrage dans des principes républicains fondamentaux ne saurait suffire à le légitimer : comme l’ont exprimé les enseignants au cours de cette étude, c’est réellement d’une nouvelle forme d’éducation aux valeurs dont il est besoin alors que l’image du hussard noir continue d’opérer une certaine résistance… Troisièmement, c’est la place de l’Ecole, en tant que courroie de transmission qui est soumise à la discussion, et, en l’occurrence, pour le SCCC, la question du lien « politique/culture » est prégnante : de la même façon - et nous prendrons à dessein un exemple concret - que le fait d’imposer le tri sélectif ne produit pas nécessairement une conscience de la nécessité de la protection de la planète et l’adhésion à cette « culture », il n’est nullement établi que l’obligation de détenir le SCCC génèrera une culture de la Connaissance, une soif de savoir. Vraisemblablement était-ce ce qui était signifié dans la crainte, plusieurs fois exprimée, d’un SCCC synonyme de savoir plafond ou encore dans celle d’un savoir essentiellement utilitaire. Revu sous cet angle, le SCCC apparaît donc davantage comme l’outil d’une politique, au même titre que d’autres, ne résolvant pas plus et pas moins que d’autres la question du passage à l’élaboration d’une appropriation, d’une culture individuelle. Et, en conséquence, là encore, il ne saurait ici s’apparenter à une quelconque innovation … Il reste que cette appréciation est insuffisante car elle suppose que, quoi que l’on fasse, le lien politique/culture 211 Sandrine Tolotti, « Quelles valeurs doit transmettre l’Ecole ? », dans Alternatives internationales, N°37, p. 49, Décembre 2007. 120 est, par définition, voué à l’échec ou tout au moins soumis à des résistances telles de l’individu, qu’elles hypothèqueront toute mise en œuvre rapide ou complète. Or ceci mérite d’être analysé : de nombreux exemples pourraient en effet montrer que la façon dont une politique est menée et dont ses outils sont construits et proposés influe beaucoup sur la manière dont elle est perçue et appliquée. De plus, à la question du lien « politique/culture » s’adjoint celle du lien « savoir/culture ». Si, pour répondre à l’une de nos préoccupations de départ, nous pensons avoir circonscrit les contenus des « Savoirs Communs » attendus, au fil des siècles et en particulier aujourd’hui, nous n’avons guère avancé sur des questions plus fondamentales, telles : pourquoi viser un savoir commun ? qu’est ce qui est sous-jacent à cette quête ? qu’est-il légitime d’en attendre ? Or, si ces questions demeurent largement sans réponse, c’est essentiellement, pour l’objet qui nous intéresse, parce que la réflexion qui a entouré la mise en place du SCCC ne les a pas abordées suffisamment. Et l’on se retrouve une fois de plus face au constat de la primauté de l’opérationnel sur le réflexif, critique qui semble avoir été récurrente au fil de notre étude … Quatrièmement, et pour demeurer sur le plan des politiques, il faut reconnaître que la France ne fait pas des choix simples : on ne peut, en effet, que se demander à quelle politique se réfère le SCCC : « Ciment de la nation » et à la fois « référence aux évaluations internationales »… « Faire partager aux élèves les valeurs de la République » et en même temps les inscrire dans une course vers « l’excellence éducative »…Un ministère pour l’Education Nationale, un autre pour le Travail, les Relations sociales, la Famille et la Solidarité, un troisième pour la Santé, la Jeunesse, les Sports et la Vie associative, un quatrième pour la Culture et la Communication sans parler de l’Enseignement Supérieur ou du secrétariat d’Etat de la politique de la ville… Comme nous le supposions au tout début de notre étude, c’est d’un jeu de tensions permanentes dont il s’agit, d’un enchevêtrement des compétences et des stades décisionnels ainsi que de l’absence d’une ligne directrice univoque. Et, en l’occurrence, le SCCC ne semble guère doté d’attributs spécifiques pour donner une cohérence nouvelle à la dispersion. « La conception d’un espace public dévolu à l’universel et affranchi des particularités est aussi confrontée à celle d’un espace public ouvert aux particularités culturelles, linguistiques ou religieuses212 ». Nous nous tournerons ici vers Nathalie Mons, dont 212 In « Universalisme et pluralité des cultures », par Jacqueline Gautherin, professeur à l’université Lyon II, http://ep.inrp.fr/EP/recherche/des_questions_sociales 121 l’ouvrage « Les nouvelles politiques éducatives, La France fait-elle les bons choix ?213 » est des plus éclairants. « Au milieu du gué, confrontée à la persistance d’un échec scolaire prégnant qui la singularise désormais par rapport à la majorité des pays de l’OCDE, la France ne peut demeurer dans ce statut quo de façade, dans ce no man’s land de la réforme. Face aux deux modèles d’avenir qui se dessinent - l’école de la différenciation intégrée214 ou l’école de la différenciation désarticulée215 -, le pays devra choisir216 ». Si le premier modèle cité pourrait servir de point de mire à la France, plusieurs obstacles surgissent, dont deux que nous développerons en particulier : il conviendrait d’abord de reconsidérer la place des partenaires extérieurs à l’Ecole : Nathalie Mons montre ainsi, de façon convaincante, que « les collectivités territoriales s’érigent en championnes de lutte contre les inégalités scolaires et sociales. Face à une éducation de masse incarnée par l’Etat, face à un système éducatif monolithique qui exclurait les jeunes des milieux défavorisés, les collectivités territoriales, plus proches des élèves, seraient davantage aptes à définir des parcours personnalisés, garants de réussite scolaire et sociale217 ». C’est bien cette dernière que vise le SCCC, mais sur la question des collaborations d’acteurs extérieurs à l’institution, la réticence enseignante, nous l’avons pointé, reste importante. Il faudrait ensuite une ambition politique forte. S’exprimant sur le SCCC, Nathalie Mons écrit : « […] Cependant, à la fin de la dernière législature, cette réforme, pensée par la haute administration, n’a pas été soutenue par un message politique fort, voire s’est trouvée contrariée par des mesures, comme la création de l’apprentissage junior, qui montrent clairement que le concept d’éducabilité ne fait pas partie du ‘modèle politique d’éducation‘ français218 ». De même, l’annonce des programmes 2008, outre le fait qu’elle a suscité de nombreuses polémiques et réactions hostiles, a complètement occulté le SCCC, nous l’avons déjà constaté. Au total, c’est surtout une communication opaque, un manque de 213 MONS Nathalie, Les nouvelles politiques éducatives, la France fait-elle les bons choix ?, PUF, Paris, Novembre 2007, 202 pages. 214 L’école de la différenciation intégrée se caractérise par une décentralisation relative des pouvoirs en direction et des collectivités locales et des établissements scolaires et par un privé relativement important mais très contrôlé. Elle remet en cause le rôle monopolistique de l’Etat en matière d’éducation et laisse une large place à de nouveaux acteurs dont les parents. Cependant, l’Etat central y garde un pouvoir important, au travers notamment d’un système d’évaluation nationale fortement encadré. Au plan pédagogique, sa spécificité réside dans une personnalisation des contenus d’enseignement et dans la reconnaissance de la valeur de différentes stratégies cognitives, vues comme complémentaires, qu’elles émanent des sphères institutionnelle, locale ou parentale… Les pays nordiques fonctionnent selon ce mode ainsi que, dans une moindre mesure, le Japon et la Corée. 215 L’école de la désintégration désarticulée conteste, elle aussi, la prédominance de l’Etat central mais s’appuie beaucoup sur des initiatives et des financements privés, avec une réelle différenciation des établissements scolaires, l’autonomisation de communautés politiques et un poids des parents extrêmement fort. C’est la voie empruntée par exemple par la Belgique, le Hongrie, la République Tchèque… Cependant, ce modèle, d’après Nathalie Mons, ne s’inscrit ni dans la stabilité ni dans la pérennité. 216 Op. cit. p. 184. 217 Op. cit. p. 43. 218 Op. cit. p. 184. 122 cohérence et une ambition politique sans envergure qui marquent les esprits, avec, pour conséquence, au mieux l’indifférence de la part des équipes pédagogiques et plus généralement une franche résistance. Denis Meuret, professeur à l’Université de Bourgogne, va même plus loin en affirmant que l’éducation française est administrée mais qu’elle n’est plus gouvernée… ce qui laisse dubitatif face aux objectifs de base qui étaient ceux de la qualité et de la justice. Quand nous énoncions, à titre d’hypothèse, la contradiction entre les moyens et les objectifs du SCCC, c’était aussi de ce débat politique dont il était question. Et dans ce cadre, le fait que le SCCC soit considéré comme trop ambitieux ou comme trop léger, qu’il favorise plus tel domaine que tel autre… ne changerait rien à l’affaire, ces questions devenant même des préoccupations mineures. On l’aura bien saisi, les enjeux dont le SCCC est l’objet ne se jouent pas dans la salle de classe. Cinquièmement, la dimension politique du projet n’a fait l’objet d’aucune « pédagogie » auprès des « acteurs de terrain », ce qui a provoqué globalement réticence et incompréhension. Nous avons déjà évoqué les multiples réactions qui ont suivi la parution du texte régissant le SCCC, et en particulier le fait que soient déplorés le manque de temps et le manque de concertation, surtout auprès des enseignants. Cela s’est traduit par une appréciation globalement négative du dispositif, dont on peut penser, au delà des multiples arguments qui ont été relevés, qu’elle est, avant tout, à mettre en relation avec une ambiguïté majeure : le SCCC n’a pas été élaboré pour être discuté par les acteurs du système éducatif, il a « simplement » force de loi. On ne se situe plus dans la dynamique qui avait précédé la mise en place des programmes de 2002 par exemple, mais dans une mouvance plus radicale, émanant d’une volonté politique forte. Il s’agit, en fait, du cheminement classique d’un texte législatif, à cette nuance près que le débat préalable à l’établissement du SCCC avait initié une démarche de concertation et donc généré l’attente d’une collaboration. La question du politique est éminemment présente ici, tout comme celle de l’attachement à la démocratie, à la justice et aux valeurs de la République : en l’occurrence, il semblerait que ce soit le déroulé de la démarche qui soit ici sujet à caution : que l’on s’inscrive dans un continuum « consultation – élaboration du texte de loi – consultation parlementaire – vote », que l’on opte pour une approche référendaire ou pour un fonctionnement de démocratie participative, il importe que les choix soient clairement énoncés à l’avance, tout comme il est fondamental que soient bien distingués les domaines de compétences entre experts et politiques, deux conditions qui, manifestement, n’ont pas été pleinement remplies pour l’objet qui nous intéresse. 123 En conséquence, la représentation qu’ont les enseignants notamment, sur le SCCC, est, nous l’avons vu, empreinte d’un scepticisme, si ce n’est d’une franche hostilité, et pour conclure sur la remarque que nous émettions plus haut, à propos justement des implications de cette représentation, il est vraisemblable qu’elle ne jouera pas un rôle de levier ou de catalyseur. Par ailleurs, - et nous quittons ici le champ politique -, les blocages se situent aussi dans le passage de la culture individuelle à la culture commune et vice versa. Nous avons, à maintes reprises, souligné le flou qui entoure cette notion de « culture commune » : s’agit-il d’une culture pour tous, d’une culture reconnue par tous, d’une culture apprise par tous… ? En conséquence, le SCCC ancre sa légitimité à un concept insuffisamment défini, et, en l’occurrence, qui ne saurait se réduire à un lien de cause à effet évident : les savoirs ne sont pas les seuls constitutifs des individus et des sociétés, ils ne les rapprochent pas nécessairement, ou tout au moins, leurs pré-requis tout comme leurs implications ne se limitent pas à l’objet théorique que représente la culture commune. A ce titre, la présence du septième pilier du SCCC est évocatrice si ce n’est d’un certain malaise, tout au moins d’une imprécision certaine et l’artifice qu’il représente ne saurait masquer les manques qu’il est censé combler. « Du discours syndical ressort globalement une réflexion autour du POUVOIR, du discours pédagogique émane en tendance une interrogation à propos de la CULTURE », voilà ce que nous écrivions au terme de notre recherche empirique. Et c’est encore sur ces deux enjeux majeurs que s’ancrent, nous venons de le voir, les deux questions centrales de notre étude : « Qu’enseigner ? et Comment ? », confirmation, s’il en est, de la place structurante et première qu’elles auraient dû prendre dans le débat qui a précédé l’élaboration du SCCC. Il reste que le dispositif est en place et que sa mise en œuvre passera nécessairement par une prise en compte des moyens, qu’ils soient politiques, pédagogiques ou financiers, car la question du « Comment enseigner » ?, même si elle est seconde par rapport à celle du « Qu’enseigner » ? n’en demeure pas moins essentielle : Tout d’abord, on ne peut qu’être frappé par l’identité de discours qui a trait d’une part au SCCC et d’autre part à la « pédagogie » : en effet, toute pédagogie jette sur l’enseignement le soupçon d’inculcation, d’endoctrinement, de formatage, précisément parce que ce dernier va 124 contre la nature des élèves et la pente de la société219 ». Ne peut-on dès lors se poser la question suivante : n’y aurait-il pas une identité de configuration entre un Socle Commun sensé faire le lien entre l’Ecole et la Société et la pédagogie supposée construire une relation entre l’Elève et le Savoir ? Et surtout n’y aurait-il pas nécessité d’une consubstantialité entre le SCCC et les pratiques pédagogiques ? C’est là une des grandes lacunes que nous avons identifiées lors de notre étude, c’est probablement l’un des piliers majeurs de l’Ecole de demain, c’est en tout cas, assurément, un domaine qu’il faudrait continuer d’explorer : Philippe Meirieu trace les premiers contours de cette urgence, dans un entretien accordé au « Monde de l’Education », en Juillet-Août 2007 et intitulé « La pédagogie, outil pour les défis d’aujourd’hui ». Cet article se termine ainsi : « En réalité, rien n’est plus actuel que la pédagogie : en marge des grands systèmes institutionnels et philosophiques, elle a élaboré des pensées braconnières, défriché des chemins nouveaux, proposé d’inventer des alternatives pour sortir des oscillations infernales : nature et culture, inné et acquis, autorité et liberté, prise en compte du donné et nécessité de le dépasser, etc. Face à un monde où l’individualisation semble un mouvement irréversible et où, en même temps, le besoin de (re)construire du collectif est plus que jamais nécessaire, il est possible, après tout, que ce soit dans la pédagogie qu’il faille chercher quelques pistes220 ». En lien avec le point précédent, la prise en compte réelle de l’élève en tant que sujet spécifique ne pourra sans doute être longtemps encore considérée comme secondaire ou consécutive. Si l’on reprend l’enquête de François Dubet ou encore la consultation Meirieu221, le principal reproche qu’adressent les élèves à leurs professeurs est de ne pas assez les considérer comme des personnes. Or, -et les principaux intéressés le confirment -, le SCCC, pas plus que les dispositifs précédents, ne prend en considération cet aspect pourtant récurrent et essentiel. Il est vrai que le fait de s’intéresser aux individualités et aux subjectivités peut être perçu comme s’opposant à la raison, aux velléités unificatrices, aux espoirs de cohésion sociale et de culture commune. Ce qui n’est peut-être qu’apparence car la citoyenneté ne peutelle pas se nourrir aussi des valeurs positives de l’individualisme et de la subjectivité ? Tout autant que d’une Nième réforme sur contenus dont le SCCC est un exemple, ne serait-il pas temps de se poser la question du « goût d’apprendre », sans lequel rien n’est possible ? Cela renvoie, entre autres, aux travaux actuels sur la motivation222 et sur les représentations émises 219 Denis Meuret, « Echapperons-nous à la corruption d’une belle idée ? », Cahiers Pédagogiques, Novembre 2007, pp. 261 à 263. 220 « Le Monde de l’Education », Juillet-Août 2007, pp 70 à 73. 221 Cf. pp. 35 à 41. 222 Nous renvoyons en particulier aux recherches de Fabien Fenouillet, de l’université Lille III. 125 par la famille et le milieu social sur l’école. Mais promouvoir « une école du sujet », c’est aussi prendre acte des exigences majeures que représente le métier d’enseignant. Dans la perspective d’un Socle Commun qui tente d’intégrer connaissances, compétences et attitudes, enseigner est appelé à devenir de plus en plus un engagement personnel : on attendra de plus en plus du professeur qu’il soit à la fois un enseignant (compétence) et une personne (relation). Et là encore, il est question de subjectivité… mais peut-être faut-il en passer par là pour un enseignement de qualité. Force est de constater que nous n’en sommes pas là, et Denis Meuret, qui vient de publier une étude sur le système français et le système américain, le confirme : […] De façon bien française, le décret 2006-830 ne prévoit rien pour ces professeurs ou ces écoles qui auraient par trop d’élèves en difficulté223… ». Plus globalement, c’est sur les limites de l’expertise didactique qu’il conviendrait de s’interroger … Nous n’avons ici ni l’ambition ni la compétence de donner ne serait-ce que les bases d’une voie qui serait toute dessinée. Nous pensons seulement avoir mis en évidence des blocages majeurs, qui, vraisemblablement, pénaliseront, retarderont ou dénatureront le Socle Commun de Connaissances et de Compétences, et s’il fallait apporter une dernière perspective, ce serait de se replonger dans Durkheim, Dewey et Morin… 223 Denis Meuret, « Echapperons-nous à la corruption d’une belle idée ? », Cahiers Pédagogiques, Novembre 2007, p 262. 126 ANNEXES 127 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages ANDREANI Eveline et al. (sous la direction d’Edgar Morin), Relier les connaissances, le défi du XXIe siècle, Paris, Seuil, 1999, 477 pages. ARENDT Hannah, La crise de la culture, s.l., Gallimard, 2000, 380 pages. AUDUC Jean-Louis, Le système éducatif, Paris, Hachette Education, 2005, 381 pages. AUDUREAU Pierre et al. (sous la direction de Jean Houssaye), Education et philosophie, Paris, ESF, 1999, 302 pages. BAILLEUX Marie et al. 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JO du 24-4-2005 NOR : MENX0400282L RLR : 190-1 à 190-9 MEN - DESCO L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté, Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2005-512 DC du 21 avril 2005 ; Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit : Article 1 Les livres Ier, II, III, IV, VI, VII et IX du code de l’éducation sont modifiés conformément aux dispositions des titres Ier et II de la présente loi. TITRE I - DISPOSITIONS GÉNÉRALES Chapitre Ier - Principes généraux de l’éducation Article 2 I - Après le premier alinéa de l’article L. 111-1 du code de l’éducation, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés : “Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Dans l’exercice de leurs fonctions, les personnels mettent en œuvre ces valeurs.” II - Le troisième alinéa du même article est ainsi rédigé : “Pour garantir ce droit dans le respect de l’égalité des chances, des aides sont attribuées aux élèves et aux étudiants selon leurs ressources et leurs mérites. La répartition des moyens du service public de l’éducation tient compte des différences de situation, notamment en matière économique et sociale.” Article 3 L’article L. 111-3 du code de l’éducation est ainsi rédigé : “Art. L. 111-3 - Dans chaque école, collège ou lycée, la communauté éducative rassemble les élèves et tous ceux qui, dans l’établissement scolaire ou en relation avec lui, participent à l’accomplissement de ses missions. 134 Elle réunit les personnels des écoles et établissements, les parents d’élèves, les collectivités territoriales ainsi que les acteurs institutionnels, économiques et sociaux, associés au service public de l’éducation.” Article 4 Le dernier alinéa de l’article L. 113-1 du code de l’éducation est complété par les mots : “et dans les régions d’outre-mer”. Article 5 Dans la deuxième phrase de l’article L. 121-1 du code de l’éducation, après le mot : “favoriser”, sont insérés les mots : “la mixité et”. Article 6 La deuxième phrase de l’article L. 121-1 du code de l’éducation est complétée par les mots : “notamment en matière d’orientation”. Article 7 I - L’article L. 122-1 du code de l’éducation devient l’article L. 131-1-1. II - [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2005-512 DC du 21 avril 2005.] Article 8 I - Dans les articles L. 131-10, L. 312-15, L. 442-2 et L. 442-3 du code de l’éducation, la référence : “L. 122-1” est remplacée par la référence : “L. 131-1-1”. II - Au second alinéa de l’article 227-17-1 du code pénal, les mots : “l’article L. 131-10” sont remplacés par les mots : “les articles L. 131-1-1 et L. 131-10”. Article 9 Après l’article L. 122-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 122-1-1 ainsi rédigé : “Art. L. 122-1-1 - La scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société. Ce socle comprend : - la maîtrise de la langue française ; - la maîtrise des principaux éléments de mathématiques ; - une culture humaniste et scientifique permettant le libre exercice de la citoyenneté ; - la pratique d’au moins une langue vivante étrangère ; - la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication. Ces connaissances et compétences sont précisées par décret pris après avis du Haut Conseil de l’éducation. L’acquisition du socle commun par les élèves fait l’objet d’une évaluation, qui est prise en compte dans la poursuite de la scolarité. Le Gouvernement présente tous les trois ans au Parlement un rapport sur la manière dont les programmes prennent en compte le socle commun et sur la maîtrise de celui-ci par les élèves au cours de leur scolarité obligatoire. Parallèlement à l’acquisition du socle commun, d’autres enseignements sont dispensés au cours de la scolarité obligatoire.” Article 10 L’article L. 122-2 du code de l’éducation est complété par deux alinéas ainsi rédigés : “Tout mineur non émancipé dispose du droit de poursuivre sa scolarité au-delà de l’âge de seize ans. Lorsque les personnes responsables d’un mineur non émancipé s’opposent à la poursuite de sa scolarité au-delà de l’âge de seize ans, une mesure d’assistance éducative peut être ordonnée dans les conditions prévues aux articles 375 et suivants du code civil afin de garantir le droit de l’enfant à l’éducation.” Article 11 L’article L. 131-2 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé : “Un service public de l’enseignement à distance est organisé notamment pour assurer l’instruction des enfants qui ne peuvent être scolarisés dans une école ou dans un établissement scolaire.” Article 12 [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2005512 DC du 21 avril 2005.] Chapitre II - L’administration de l’éducation Article 13 Dans la seconde phrase de l’article L. 216-4 du code de l’éducation, les mots : “désigne la collectivité” sont 135 remplacés par les mots : “désigne, en tenant compte du nombre d’élèves à la charge de chacune de ces collectivités, celle”. Article 14 Au début du titre III du livre II du code de l’éducation, il est inséré un chapitre préliminaire ainsi rédigé : “Chapitre préliminaire - Le Haut Conseil de l’éducation Art. L. 230-1 - Le Haut Conseil de l’éducation est composé de neuf membres désignés pour six ans. Trois de ses membres sont désignés par le président de la République, deux par le président de l’Assemblée nationale, deux par le président du Sénat et deux par le président du Conseil économique et social en dehors des membres de ces assemblées. Le président du haut conseil est désigné par le président de la République parmi ses membres. Art. L. 230-2 - Le Haut Conseil de l’éducation émet un avis et peut formuler des propositions à la demande du ministre chargé de l’éducation nationale sur les questions relatives à la pédagogie, aux programmes, aux modes d’évaluation des connaissances des élèves, à l’organisation et aux résultats du système éducatif et à la formation des enseignants. Ses avis et propositions sont rendus publics. Art. L. 230-3 - Le Haut Conseil de l’éducation remet chaque année au Président de la République un bilan, qui est rendu public, des résultats obtenus par le système éducatif. Ce bilan est transmis au Parlement.” Article 15 L’article L. 311-5 du code de l’éducation est abrogé à compter de l’installation du Haut Conseil de l’éducation. Chapitre III - L’organisation des enseignements scolaires Article 16 Après l’article L. 311-3 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 311-3-1 ainsi rédigé : “Art. L. 311-3-1 - À tout moment de la scolarité obligatoire, lorsqu’il apparaît qu’un élève risque de ne pas maîtriser les connaissances et les compétences indispensables à la fin d’un cycle, le directeur d’école ou le chef d’établissement propose aux parents ou au responsable légal de l’élève de mettre conjointement en place un programme personnalisé de réussite éducative.” Article 17 L’article L. 311-7 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé : “Au terme de chaque année scolaire, à l’issue d’un dialogue et après avoir recueilli l’avis des parents ou du responsable légal de l’élève, le conseil des maîtres dans le premier degré ou le conseil de classe présidé par le chef d’établissement dans le second degré se prononce sur les conditions dans lesquelles se poursuit la scolarité de l’élève. S’il l’estime nécessaire, il propose la mise en place d’un dispositif de soutien, notamment dans le cadre d’un programme personnalisé de réussite éducative.” Article 18 Dans la première phrase du premier alinéa de l’article L. 312-15 du code de l’éducation, après les mots : “une formation”, sont insérés les mots : “aux valeurs de la République,”. Article 19 Après la section 3 bis du chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code de l’éducation, il est inséré une section 3 ter ainsi rédigée : “Section 3 ter - L’enseignement des langues vivantes étrangères Art. L. 312-9-2 - Il est institué, dans chaque académie, une commission sur l’enseignement des langues, placée auprès du recteur. Celle-ci comprend des représentants de l’administration, des personnels et des usagers de l’éducation nationale, des représentants des collectivités territoriales concernées et des milieux économiques et professionnels. Cette commission est chargée de veiller à la diversité de l’offre de langues, à la cohérence et à la continuité des parcours de langues proposés, de diffuser une information aux établissements, aux élus, aux parents et aux élèves sur l’offre linguistique, d’actualiser cette offre en fonction des besoins identifiés et de vérifier l’adéquation de l’offre de langues avec les spécificités locales. Chaque année, la commission établit un bilan de l’enseignement et peut faire des propositions d’aménagement de la carte académique des langues.” Article 20 Le premier alinéa de l’article L. 312-10 du code de l’éducation est ainsi rédigé : “Un enseignement de langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l’État et les collectivités territoriales où ces langues 136 sont en usage.” Article 21 Dans le premier alinéa de l’article L. 313-1 du code de l’éducation, les mots : “et sur les professions “ sont remplacés par les mots : “, sur les professions ainsi que sur les débouchés et les perspectives professionnels” . Article 22 L’article L. 312-8 du code de l’éducation est ainsi modifié : 1° Dans le premier alinéa, les mots : “Haut Comité des enseignements artistiques” sont remplacés par les mots : “Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle” ; 2° Dans le premier et le deuxième alinéa, les mots : “des enseignements artistiques” sont remplacés par les mots : “de l’éducation artistique et culturelle”, et dans le deuxième et le troisième alinéa, les mots : “Haut Comité” sont remplacés par les mots : “Haut Conseil”. Article 23 Le second alinéa de l’article L. 313-1 du code de l’éducation est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés : “L’orientation et les formations proposées aux élèves tiennent compte de leurs aspirations, de leurs aptitudes et des perspectives professionnelles liées aux besoins prévisibles de la société, de l’économie et de l’aménagement du territoire. Dans ce cadre, les élèves élaborent leur projet d’orientation scolaire et professionnelle avec l’aide des parents, des enseignants, des personnels d’orientation et des autres professionnels compétents. Les administrations concernées, les collectivités territoriales, les organisations professionnelles, les entreprises et les associations y contribuent.” Section 1 - Enseignement du premier degré Article 24 Le premier alinéa de l’article L. 321-2 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée : “La mission éducative de l’école maternelle comporte une première approche des outils de base de la connaissance, prépare les enfants aux apprentissages fondamentaux dispensés à l’école élémentaire et leur apprend les principes de la vie en société.” Article 25 Dans la deuxième phrase du dernier alinéa de l’article L. 321-3 du code de l’éducation, après les mots : “Elle offre”, sont insérés les mots : “un premier apprentissage d’une langue vivante étrangère et”. Article 26 Après les mots : “éducation morale et”, la fin de la dernière phrase du dernier alinéa de l’article L. 321-3 du code de l’éducation est ainsi rédigée : “offre un enseignement d’éducation civique qui comporte obligatoirement l’apprentissage de l’hymne national et de son histoire.” Article 27 L’article L. 321-4 du code de l’éducation est ainsi rédigé : “Art. L. 321-4 - Dans les écoles, des aménagements particuliers et des actions de soutien sont prévus au profit des élèves qui éprouvent des difficultés, notamment les élèves atteints de troubles spécifiques du langage oral et/ou écrit, telle la dyslexie. Lorsque ces difficultés sont graves et permanentes, les élèves reçoivent un enseignement adapté. Des aménagements appropriés sont prévus au profit des élèves intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières, afin de leur permettre de développer pleinement leurs potentialités. La scolarité peut être accélérée en fonction du rythme d’apprentissage de l’élève. Des actions particulières sont prévues pour l’accueil et la scolarisation des élèves non francophones nouvellement arrivés en France. Pour l’application des dispositions du présent article, des établissements scolaires peuvent se regrouper pour proposer des structures d’accueil adaptées.” Section 2 - Enseignement du second degré Article 28 Après le deuxième alinéa de l’article L. 331-1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : “Les jurys des examens conduisant à la délivrance du diplôme national du brevet option internationale et du baccalauréat option internationale peuvent comprendre des membres de corps d’inspection ou d’enseignement étrangers. Les jurys des baccalauréats binationaux peuvent comprendre des membres de corps d’inspection ou d’enseignement des pays concernés.” Article 29 Le troisième alinéa de l’article L. 331-1 du code de l’éducation est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés : “En vue de la délivrance des diplômes, il peut être tenu compte, éventuellement en les combinant, des 137 résultats d’examens terminaux, des résultats des contrôles en cours de formation, des résultats du contrôle continu des connaissances, et de la validation des acquis de l’expérience. Lorsqu’une part de contrôle continu est prise en compte pour la délivrance d’un diplôme national, l’évaluation des connaissances des candidats s’effectue dans le respect des conditions d’équité.” Article 30 La deuxième phrase du dernier alinéa de l’article L. 331-7 du code de l’éducation est complétée par les mots : “, en liaison avec les collectivités territoriales”. Article 31 L’article L. 332-4 du code de l’éducation est complété par trois alinéas ainsi rédigés : “Des aménagements appropriés sont prévus au profit des élèves intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières, afin de leur permettre de développer pleinement leurs potentialités. La scolarité peut être accélérée en fonction du rythme d’apprentissage de l’élève. Des actions particulières sont prévues pour l’accueil et la scolarisation des élèves non francophones nouvellement arrivés en France. Pour l’application des dispositions du présent article, des établissements scolaires peuvent se regrouper pour proposer des structures d’accueil adaptées.” Article 32 Après l’article L. 332-5 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 332-6 ainsi rédigé : “Art. L. 332-6 - Le diplôme national du brevet sanctionne la formation acquise à l’issue de la scolarité suivie dans les collèges ou dans les classes de niveau équivalent situées dans d’autres établissements. Il atteste la maîtrise des connaissances et des compétences définies à l’article L. 122-l-1, intègre les résultats de l’enseignement d’éducation physique et sportive et prend en compte, dans des conditions déterminées par décret, les autres enseignements suivis par les élèves selon leurs capacités et leurs intérêts. Il comporte une note de vie scolaire. Des mentions sont attribuées aux lauréats qui se distinguent par la qualité de leurs résultats. Des bourses au mérite, qui s’ajoutent aux aides à la scolarité prévues au titre III du livre V, sont attribuées, sous conditions de ressources et dans des conditions déterminées par décret, aux lauréats qui obtiennent une mention ou à d’autres élèves méritants.” Article 33 Après le deuxième alinéa de l’article L. 335-1 du code de l’éducation, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés : “Un label de “lycée des métiers peut être délivré par l’État aux établissements d’enseignement qui remplissent des critères définis par un cahier des charges national. Ces établissements comportent notamment des formations technologiques et professionnelles dont l’identité est construite autour d’un ensemble cohérent de métiers. Les enseignements y sont dispensés en formation initiale sous statut scolaire, en apprentissage et en formation continue. Ils préparent une gamme étendue de diplômes et titres nationaux allant du certificat d’aptitude professionnelle aux diplômes d’enseignement supérieur. Ces établissements offrent également des services de validation des acquis de l’expérience. Les autres caractéristiques de ce cahier des charges, ainsi que la procédure et la durée de délivrance du label de “lycée des métiers sont définies par décret. La liste des établissements ayant obtenu le label est régulièrement publiée par arrêté du ministre chargé de l’éducation nationale.” Chapitre IV - Dispositions relatives aux écoles et aux établissements d’enseignement scolaire Article 34 I - Au début du livre IV du code de l’éducation, il est inséré un titre préliminaire ainsi rédigé : “Titre préliminaire - Dispositions communes Art. L. 401-1 - Dans chaque école et établissement d’enseignement scolaire public, un projet d’école ou d’établissement est élaboré avec les représentants de la communauté éducative. Le projet est adopté, pour une durée comprise entre trois et cinq ans, par le conseil d’école ou le conseil d’administration, sur proposition de l’équipe pédagogique de l’école ou du conseil pédagogique de l’établissement pour ce qui concerne sa partie pédagogique. Le projet d’école ou d’établissement définit les modalités particulières de mise en œuvre des objectifs et des programmes nationaux et précise les activités scolaires et périscolaires qui y concourent. Il précise les voies et moyens qui sont mis en œuvre pour assurer la réussite de tous les élèves et pour associer les parents à cette fin. Il détermine également les modalités d’évaluation des résultats atteints. Sous réserve de l’autorisation préalable des autorités académiques, le projet d’école ou d’établissement peut prévoir la réalisation d’expérimentations, pour une durée maximum de cinq ans, portant sur l’enseignement des disciplines, l’interdisciplinarité, l’organisation pédagogique de la classe, de l’école ou de l’établissement, la coopération avec les partenaires du système éducatif, les échanges ou le jumelage avec des établissements étrangers d’enseignement scolaire. Ces expérimentations font l’objet d’une évaluation annuelle. Le Haut Conseil de l’éducation établit chaque année un bilan des expérimentations menées en application 138 du présent article. Art. L. 401-2 - Dans chaque école et établissement d’enseignement scolaire public, le règlement intérieur précise les conditions dans lesquelles est assuré le respect des droits et des devoirs de chacun des membres de la communauté éducative.” II - L’article L. 411-2 du même code est abrogé. Article 35 Après la première phrase de l’article L. 411-1 du code de l’éducation, il est inséré une phrase ainsi rédigée : “Un décret en Conseil d’État fixe les conditions de recrutement, de formation et d’exercice des fonctions spécifiques des directeurs d’école maternelle et élémentaire.” Article 36 L’article L. 421-4 du code de l’éducation est complété par deux alinéas ainsi rédigés : “4° Il se prononce sur le contrat d’objectifs conclu entre l’établissement et l’autorité académique, après en avoir informé la collectivité territoriale de rattachement. Le conseil d’administration peut déléguer certaines de ses attributions à une commission permanente.” Article 37 Le second alinéa de l’article L. 421-7 du code de l’éducation est ainsi rédigé : “Les collèges, lycées et centres de formation d’apprentis, publics et privés sous contrat, relevant de l’éducation nationale, de l’enseignement agricole ou d’autres statuts, peuvent s’associer au sein de réseaux, au niveau d’un bassin de formation, pour faciliter les parcours scolaires, permettre une offre de formation cohérente, mettre en œuvre des projets communs et des politiques de partenariats, en relation avec les collectivités territoriales et leur environnement économique, culturel et social.” Article 38 L’article L. 421-5 du code de l’éducation est ainsi rédigé : “Art. L. 421-5 - Dans chaque établissement public local d’enseignement, est institué un conseil pédagogique. Ce conseil, présidé par le chef d’établissement, réunit au moins un professeur principal de chaque niveau d’enseignement, au moins un professeur par champ disciplinaire, un conseiller principal d’éducation et, le cas échéant, le chef de travaux. Il a pour mission de favoriser la concertation entre les professeurs, notamment pour coordonner les enseignements, la notation et l’évaluation des activités scolaires. Il prépare la partie pédagogique du projet d’établissement.” Article 39 Sur proposition de leur chef d’établissement, les lycées d’enseignement technologique ou professionnel peuvent mener, pour une durée maximum de cinq ans, une expérimentation permettant au conseil d’administration de désigner son président parmi les personnalités extérieures à l’établissement siégeant en son sein. Cette expérimentation donnera lieu à une évaluation. Article 40 Le dernier alinéa (5°) du I de l’article L. 241-4 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée : “Toutefois, les délégués départementaux de l’éducation nationale ne peuvent exercer leur mission que dans des établissements autres que ceux de leur commune ou, à Paris, Lyon et Marseille, de leur arrondissement de résidence.” Article 41 L’article L. 422-3 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé : “L’École supérieure des arts appliqués aux industries de l’ameublement et d’architecture intérieure (Boulle), l’École supérieure des arts appliqués (Duperré) et l’École supérieure des arts et industries graphiques (Estienne) sont transformées en établissements publics locaux d’enseignement, conformément aux dispositions de l’article L. 421-1, à la demande de la commune de Paris. Par dérogation aux dispositions de l’article L. 214-6, la commune de Paris assume la charge de ces établissements. Elle exerce au lieu et place de la région les compétences dévolues par le présent code à la collectivité de rattachement.” Chapitre V - Dispositions relatives aux formations supérieures et à la formation des maîtres Article 42 Le premier alinéa de l’article L. 614-1 du code de l’éducation est complété par les mots : “, et du respect des engagements européens”. Article 43 I - L’intitulé du titre II du livre VI du code de l’éducation est ainsi rédigé : “Les formations universitaires 139 générales et la formation des maîtres”. II - Le même titre est complété par un chapitre V ainsi rédigé : “Chapitre V - Formation des maîtres Art. L. 625-1 - La formation des maîtres est assurée par les instituts universitaires de formation des maîtres. Ces instituts accueillent à cette fin des étudiants préparant les concours d’accès aux corps des personnels enseignants et les stagiaires admis à ces concours. La formation dispensée dans les instituts universitaires de formation des maîtres répond à un cahier des charges fixé par arrêté des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale après avis du Haut Conseil de l’éducation. Elle fait alterner des périodes de formation théorique et des périodes de formation pratique.” Article 44 Dans la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 713-9 du code de l’éducation, après les mots : “personnalités extérieures”, sont insérés les mots : “, dont un ou plusieurs représentants des acteurs économiques”. Article 45 I - Les deux premiers alinéas de l’article L. 721-1 du code de l’éducation sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés : “Les instituts universitaires de formation des maîtres sont régis par les dispositions de l’article L. 713-9 et sont assimilés, pour l’application de ces dispositions, à des écoles faisant partie des universités. Des conventions peuvent être conclues, en tant que de besoin, avec d’autres établissements d’enseignement supérieur. D’ici 2010, le Comité national d’évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel procède à une évaluation des modalités et des résultats de l’intégration des instituts universitaires de formation des maîtres au sein des universités, notamment au regard des objectifs qui leur sont fixés.” II - L’article L. 721-3 du même code est abrogé. Article 46 Dans l’article L. 721-2 du code de l’éducation, après les mots : “peuvent organiser”, les mots : “, à titre expérimental,” sont supprimés. Chapitre VI - Dispositions relatives au personnel enseignant Article 47 L’article L. 912-1 du code de l’éducation est ainsi modifié : 1° Le deuxième alinéa est complété par les mots : “et aux formations par apprentissage” ; 2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : “Ils contribuent à la continuité de l’enseignement sous l’autorité du chef d’établissement en assurant des enseignements complémentaires.” Article 48 Après l’article L. 912-1 du code de l’éducation, sont insérés trois articles L. 912-1-1 à L. 912-1-3 ainsi rédigés : “Art. L. 912-1-1 - La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection. Le conseil pédagogique prévu à l’article L. 421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté. Art. L. 912-1-2 - Lorsqu’elle correspond à un projet personnel concourant à l’amélioration des enseignements et approuvé par le recteur, la formation continue des enseignants s’accomplit en priorité en dehors des obligations de service d’enseignement et peut donner lieu à une indemnisation dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Art. L. 912-1-3 - La formation continue des enseignants est prise en compte dans la gestion de leur carrière.” Article 49 Le premier alinéa de l’article L. 913-1 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée : “Ils jouent un rôle éducatif en liaison avec les enseignants.” Article 50 L’article L. 932-2 du code de l’éducation est ainsi rédigé : “Art. L. 932-2 - Dans les établissements publics locaux d’enseignement, il peut être fait appel à des professeurs associés. Les professeurs associés sont recrutés à temps plein ou à temps incomplet. 140 Ils doivent justifier d’une expérience professionnelle d’une durée de cinq ans. Ils sont recrutés par contrat, pour une durée limitée, dans des conditions fixées par décret. Celui-ci détermine les conditions de priorité accordée aux demandeurs d’emploi de plus de trois mois.” Chapitre VII - Dispositions applicables à certains établissements d’enseignement Section 1 - Établissements d’enseignements privés sous contrat Article 51 L’article L. 442-20 du code de l’éducation est ainsi modifié : 1° Les références : “L. 311-1 à L. 311-6” sont remplacées par les références : “L. 131-1-1, L. 230-1, L. 230-2, L. 230-3, L. 311-1 à L. 311-4, L. 311-6, L. 311-7” ; 2° Après la référence : “L. 332-4,”, est insérée la référence : “L. 332-6,”. Section 2 - Établissements français d’enseignement à l’étranger Article 52 L’article L. 451-1 du code de l’éducation est ainsi rédigé : “Art. L. 451-1 - Des décrets en Conseil d’État fixent les conditions dans lesquelles les dispositions du présent code sont appliquées aux établissements scolaires français à l’étranger, compte tenu de leur situation particulière et des accords conclus avec des États étrangers.” TITRE II - DISPOSITIONS RELATIVES À L’OUTRE-MER Chapitre Ier - Application dans les îles Wallis-et-Futuna Article 53 La présente loi est applicable dans les îles Wallis-et-Futuna, à l’exception des articles 4, 10, 13, 19, 20, 22, 33, 36, 38, 41, 46, 50 et 89. Article 54 Le premier alinéa de l’article L. 161-1 du code de l’éducation est ainsi modifié : 1° Les mots : “et cinquième” sont remplacés par les mots : “, quatrième, cinquième et septième”; 2° Après la référence : “L. 122-1,”, est insérée la référence : “L. 122-1-1,”, et après la référence : “L. 123-9,”, est insérée la référence : “L. 131-1-1,”. Article 55 À l’article L. 261-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 216-10,”, sont insérées les références : “L. 230-1 à L. 230-3,”. Article 56 L’article L. 371-1 du code de l’éducation est ainsi modifié : 1° La référence : “L. 311-6” est remplacée par les références : “L. 311-4, L. 311-7” ; 2° Après la référence : “L. 332-5,”, est insérée la référence : “L. 332-6,”. Article 57 L’article L. 491-1 du code de l’éducation est ainsi rédigé : “Art. L. 491-1 - Sont applicables dans les îles Wallis-et-Futuna les articles L. 401-1, L. 401-2, L. 411-1 et L. 411-3, L. 421-7 à L. 421-10 et L. 423-1 à L. 423-3.” Article 58 À l’article L. 681-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 624-1,”, est insérée la référence : “L. 625-1,”. Article 59 À l’article L. 771-1 du code de l’éducation, la référence : “L. 721-3,” est supprimée. Article 60 À l’article L. 971-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 912-1,”, sont insérées les références : “L. 912-1-1, L. 912-1-2, L. 912-l-3,”. Chapitre II - Application à Mayotte Article 61 La présente loi est applicable à Mayotte, à l’exception des articles 3, 4, 13, 19, 20, 22, 33, 36, 38, 41, 42, 44, 50 et 89. Article 62 L’article L. 162-1 du code de l’éducation est ainsi modifié : 141 1° Les mots : “et cinquième” sont remplacés par les mots : “, quatrième, cinquième et septième” ; 2° Après la référence : “L. 122-1,”, est insérée la référence : “L. 122-1-1,”, et après la référence : “L. 131-1,”, est insérée la référence : “L. 131-1-1,”. Article 63 À l’article L. 262-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 216-10,”, sont insérées les références : “L. 230-1 à L. 230-3,”. Article 64 L’article L. 372-1 du code de l’éducation est ainsi modifié : 1° La référence : “L. 311-6” est remplacée par les références : “L. 311-4, L. 311-7” ; 2° Après la référence : “L. 332-5,”, est insérée la référence : “L. 332-6,”. Article 65 L’article L. 492-1 du code de l’éducation est ainsi rédigé : “Art. L. 492-1 - Sont applicables à Mayotte les articles L. 401-1, L. 401-2, L. 411-1, L. 411-3, L. 421-7 à L. 421-10, L. 423-1 à L. 423-3, L. 442-6, L. 442-7 et L. 463-1 à L. 463-7.” Article 66 À l’article L. 682-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 624-2,”, est insérée la référence : “L. 625-1,”. Article 67 À l’article L. 772-1 du code de l’éducation, la référence : “à L. 721-3” est remplacée par la référence : “et L. 721-2”. Article 68 À l’article L. 972-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 912-1,”, sont insérées les références : “L. 912-1-1, L. 912-1-2, L. 912-1-3,”. Chapitre III - Application en Polynésie française Article 69 La présente loi, à l’exception des articles 4, 10, 13, 16, 17, 19, 22, 24 à 27, 30, 31, 33 à 41, 46, 50 et 89, est applicable en Polynésie française. Le dernier alinéa de l’article 32 est applicable en Polynésie française sans préjudice de l’exercice de leurs compétences par les autorités locales. Article 70 L’article L. 163-1 du code de l’éducation est ainsi modifié : 1° Les mots : “et cinquième” sont remplacés par les mots : “, quatrième, cinquième et septième” ; 2° Après la référence : “L. 122-1,”, est insérée la référence : “L. 122-1-1,”, et après la référence : “L. 131-1,”, est insérée la référence : “L. 131-1-1,”. Article 71 À l’article L. 263-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 216-10,”, sont insérées les références : “L. 230-1 à L. 230-3,”. Article 72 L’article L. 373-1 du code de l’éducation est ainsi modifié : 1° Après la référence : “L. 331-4”, sont insérés les mots : “, les trois premiers alinéas de l’article L. 3326” ; 2° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé : “Le dernier alinéa de l’article L. 332-6 est applicable en Polynésie française sans préjudice de l’exercice de leurs compétences par les autorités locales.” Article 73 À l’article L. 683-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 624-1,”, est insérée la référence : “L. 625-1,”. Article 74 À l’article L. 773-1 du code de l’éducation, la référence : “L. 721-3,” est supprimée. Article 75 À l’article L. 973-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 912-1,”, sont insérées les références : “L. 912-1-1, L. 912-1-2, L. 912-1-3,”. 142 Chapitre IV - Application en Nouvelle-Calédonie Article 76 La présente loi, à l’exception des articles 4, 10, 13, 19, 20, 22, 33, 35, 36, 38, 40, 41, 46, 50 et 89, est applicable en Nouvelle-Calédonie sous réserve des dispositions suivantes : 1° Les articles 16 et 17 sont applicables dans les établissements d’enseignement publics et privés du second degré et dans les établissements privés du premier degré relevant de la compétence de l’État en vertu du III de l’article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ; 2° Les articles 24 à 27 sont applicables dans les établissements privés du premier degré relevant de la compétence de l’État en vertu du même III ; 3° Le dernier alinéa de l’article 32 est applicable sans préjudice de l’exercice de leurs compétences par les autorités locales ; 4° L’article 34 est applicable dans les établissements d’enseignement publics du second degré relevant de la compétence de l’État en vertu du même III. Article 77 L’article L. 164-1 du code de l’éducation est ainsi modifié : 1° Les mots : “et cinquième” sont remplacés par les mots : “, quatrième, cinquième et septième” ; 2° Après la référence : “L. 122-1,”, est insérée la référence : “L. 122-1-1,”, et après la référence : “L. 131-1,”, est insérée la référence : “L. 131-1-1,”. Article 78 À l’article L. 264-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 216-10,”, sont insérées les références : “L. 230-1 à L. 230-3,”. Article 79 L’article L. 374-1 du code de l’éducation est ainsi modifié : 1° Au premier alinéa, après la référence : “L. 332-5,”, sont insérés les mots : “les trois premiers alinéas de l’article L. 332-6, les articles” ; 2° Au deuxième alinéa, les références : “L. 311-3, L. 311-5” sont remplacées par la référence : “L. 311-3-1” ; 3° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé : “Le dernier alinéa de l’article L. 332-6 est applicable en Nouvelle-Calédonie sans préjudice de l’exercice de leurs compétences par les autorités locales.” Article 80 L’article L. 494-1 du code de l’éducation est ainsi modifié : 1° Les références : “L. 421-5 à L. 421-7” sont remplacées par les références : “L. 421-6, L. 421-7” ; 2° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé : “L’article L. 401-1 n’est applicable en Nouvelle-Calédonie qu’en tant qu’il concerne les établissements d’enseignement publics du second degré.” Article 81 À l’article L. 684-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 624-1,”, est insérée la référence : “L. 625-1,”. Article 82 À l’article L. 774-1 du code de l’éducation, la référence : “L. 721-3,” est supprimée. Article 83 À l’article L. 974-1 du code de l’éducation, après la référence : “L. 912-1,”, sont insérées les références : “L. 912-l-1, L. 912-1-2, L. 912-1-3,”. TITRE III - DISPOSITIONS APPLICABLES À L’ENSEIGNEMENT AGRICOLE Article 84 Dans l’article L. 810-1 du code rural, les mots : “des principes définis au” sont remplacés par le mot : “du”. TITRE IV - DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES Article 85 Dans un délai maximum de trois ans à compter de la publication de la présente loi, les instituts universitaires de formation des maîtres sont intégrés dans l’une des universités auxquelles ils sont rattachés par décret pris après avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce décret précise la date à laquelle prend effet l’intégration. 143 Une convention passée entre le recteur d’académie et cette université précise en tant que de besoin les modalités de cette intégration. Article 86 À compter de la date de son intégration, les droits et obligations de l’institut universitaire de formation des maîtres sont transférés à l’université dans laquelle il est intégré. Ces transferts ne donnent lieu à aucune indemnité, droits, taxes, salaires ou honoraires. Les personnels affectés à l’institut sont affectés à cette université. Article 87 Les articles L. 721-1 et L. 721-3 du code de l’éducation demeurent applicables, dans leur rédaction antérieure à la présente loi, aux instituts universitaires de formation des maîtres jusqu’à la date de leur intégration dans l’une des universités de rattachement. Article 88 L’article 3 et l’article 29 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation sont abrogés. Article 89 L’article 89 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales est complété par un alinéa ainsi rédigé : “La contribution par élève mise à la charge de chaque commune ne peut être supérieure, pour un élève scolarisé dans une école privée située sur le territoire d’une autre commune, au coût qu’aurait représenté pour la commune de résidence ce même élève s’il avait été scolarisé dans une de ses écoles publiques ou, en l’absence d’école publique, au coût moyen des classes élémentaires publiques du département.” [Le rapport annexé à la loi n’est pas promulgué en conséquence de la déclaration de non-conformité à la Constitution de l’article 12 de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école par la décision du Conseil constitutionnel n° 2005-512 DC du 21 avril 2005.] La présente loi sera exécutée comme loi de l’État. Fait à Paris, le 23 avril 2005 Jacques CHIRAC Par le président de la République : Le Premier ministre Jean-Pierre RAFFARIN Le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche François FILLON Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie Thierry BRETON Le ministre de la fonction publique et de la réforme de l’État Renaud DUTREIL Le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et de la ruralité Dominique BUSSEREAU La ministre de l’outre-mer Brigitte GIRARDIN Travaux préparatoires • Assemblée nationale : - Projet de loi n° 2025 ; - Rapport de M. Frédéric Reiss, au nom de la commission des affaires culturelles, n° 2085 ; - Discussion les 15 à 18 février 2005 et adoption, après déclaration d’urgence, le 2 mars 2005. • Sénat : - Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, n° 221 (2004-2005) ; - Rapport de M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission des affaires culturelles, n° 234 (2004-2005) ; - Avis de M. Gérard Longuet, au nom de la commission des finances, n° 239 (2004-2005) ; - Discussion et adoption les 15, 16, 17, 18 et 19 mars 2005. • Assemblée nationale : - Projet de loi, modifié par le Sénat en première lecture, n° 2166 ; - Rapport de M. Frédéric Reiss, au nom de la commission mixte paritaire, n° 2167 ; 144 - Discussion et adoption le 24 mars 2005. • Sénat : - Rapport de M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission mixte paritaire, n° 259 (2004-2005) ; - Discussion et adoption le 24 mars 2005, texte définitif n° 90 (2004-2005). Conseil constitutionnel Décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005. JO du 24-4-2005. Ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche 145 accueil bulletin officiel [B.O.] n° 29 du 20 juillet 2006 - sommaire MENE0601554D Encart SOCLE COMMUN DE CONNAISSANCES ET DE COMPÉTENCES D. n° 2006-830 du 11-7-2006 JO du 12-7-2006 NOR: MENE0601554D RLR : 191-1 MEN - DGESCO A1-4 Vu code de l’éducation, not. art. L. 122-1-1 ; avis du Haut Conseil de l’éducation du 22-5-2006 ; avis du CSE du 8-6-2006 Article 1 - La partie réglementaire du code de l’éducation est modifiée conformément aux dispositions des articles 2 à 4 ci-après. Article 2 - Les articles suivants sont insérés à la section 1 du chapitre II du titre II du livre Ier : “Art. D. 122-1 : Le socle commun prévu à l’article L. 122-1-1 est défini à l’annexe à la présente section.” 146 “Art. D. 122-2 : Les programmes d’enseignement sont adaptés par arrêté du ministre de l’éducation nationale, en tenant compte des prescriptions de l’annexe à la présente section ; en vue d’assurer la maîtrise du socle commun par les élèves, les objectifs de chaque cycle sont précisés ainsi que les repères annuels prioritaires.” “Art. D. 122-3 : Des arrêtés du ministre de l’éducation nationale définissent les modalités d’évaluation indissociables de l’acquisition progressive du socle commun et précisent en tant que de besoin la nature des mesures qui peuvent être mises en œuvre pour aider les élèves qui éprouvent des difficultés dans cette acquisition conformément aux articles D. 321-3 et D. 332-6.” Article 3 - I - L’annexe au présent décret est insérée en annexe à la section 1 du chapitre II du titre II du livre Ier. II - Les articles D. 122-1 à D. 122-7 deviennent les articles D. 122-4 à D. 122-10. Article 4 - I - À l’article D. 161-1, après les mots : “les articles” sont ajoutés les mots : “D. 122-1 à D. 122-3”. II - Au chapitre II du titre VI du livre Ier, est ajouté un article D. 161-2 ainsi rédigé : “Art. D. 161-2 : Sont applicables à Mayotte les articles D. 122-1 à D. 122-3”. III - À l’article D. 163-1, après les mots : “les articles”, est insérée la mention : “D. 122-1,”. IV - À l’article D. 164-1, après les mots : “les articles”, est insérée la mention : “D. 122-1,”. V - À l’article D. 164-1 est ajouté un second alinéa ainsi rédigé : “Les articles D. 122-2 et D. 122-3 sont applicables en Nouvelle-Calédonie sauf en ce qui concerne l’enseignement public du premier degré”. Article 5 Le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et le ministre de l’outre-mer sont chargés de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française. Fait à Paris, le 11 juillet 2006 Dominique de VILLEPIN Par le Premier ministre : Le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche Gilles de ROBIEN Le ministre de l’outre-mer François BAROIN Annexe L’établissement d’un socle commun des savoirs indispensables répond à une nécessité ressentie depuis plusieurs décennies en raison de la diversification des connaissances. L’article 9 de la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école en arrête le principe en précisant que “la scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société”. De plus, par l’article 2 de la même loi, “la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République”. Pour toutes ces raisons, le socle commun est le ciment de la Nation : il s’agit d’un ensemble de valeurs, de savoirs, de langages et de pratiques dont l’acquisition repose sur la mobilisation de l’école et qui suppose, de la part des élèves, des efforts et de la persévérance. La définition du socle commun prend également appui sur la proposition de recommandation du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne en matière de “compétences-clés pour l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie”. Elle se réfère enfin aux évaluations internationales, notamment au Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) qui propose une mesure comparée des connaissances et des compétences nécessaires tout au long de la vie. Cinq générations après les lois scolaires fondatrices de la IIIe République, une génération après l’instauration du collège unique, le socle constitue une référence commune, pour tous ceux qui confient leurs enfants à l’école, mais aussi pour tous les enseignants. L’enseignement obligatoire ne se réduit pas au socle commun. Bien que désormais il en constitue le fondement, le socle ne se substitue pas aux programmes de l’école primaire et du collège ; il n’en est pas non plus le condensé. Sa spécificité réside dans la volonté de donner du sens à la culture scolaire fondamentale, en se plaçant du point de vue de l’élève et en construisant les ponts indispensables entre les disciplines et les programmes. Il détermine ce que nul n’est censé ignorer en fin de scolarité obligatoire sous peine de se trouver marginalisé. L’école doit offrir par ailleurs à chacun les moyens de développer toutes ses facultés. 147 Maîtriser le socle commun, c’est être capable de mobiliser ses acquis dans des tâches et des situations complexes, à l’école puis dans sa vie ; c’est posséder un outil indispensable pour continuer à se former tout au long de la vie afin de prendre part aux évolutions de la société ; c’est être en mesure de comprendre les grands défis de l’humanité, la diversité des cultures et l’universalité des droits de l’homme, la nécessité du développement et les exigences de la protection de la planète. Le socle commun s’organise en sept compétences. Cinq d’entre elles font l’objet, à un titre ou à un autre, des actuels programmes d’enseignement : la maîtrise de la langue française, la pratique d’une langue vivante étrangère, les compétences de base en mathématiques et la culture scientifique et technologique, la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication, la culture humaniste. Deux autres domaines ne font pas encore l’objet d’une attention suffisante au sein de l’institution scolaire : il s’agit d’une part des compétences sociales et civiques et, d’autre part, de l’autonomie et de l’initiative des élèves. Chaque grande compétence du socle est conçue comme une combinaison de connaissances fondamentales pour notre temps, de capacités à les mettre en œuvre dans des situations variées, mais aussi d’attitudes indispensables tout au long de la vie, comme l’ouverture aux autres, le goût pour la recherche de la vérité, le respect de soi et d’autrui, la curiosité et la créativité. Le socle commun s’acquiert progressivement de l’école maternelle à la fin de la scolarité obligatoire. Chaque compétence qui le constitue requiert la contribution de plusieurs disciplines et, réciproquement, une discipline contribue à l’acquisition de plusieurs compétences. À l’école et au collège, tous les enseignements et toutes les disciplines ont un rôle à jouer dans l’acquisition du socle. Dans ce cadre, les pratiques scolaires artistiques, culturelles et sportives y contribuent pleinement. L’exigence de contenu du socle commun est indissociable d’une exigence d’évaluation. Des paliers intermédiaires, adaptés aux rythmes d’apprentissage définis par les cycles, sont déterminés dans la maîtrise du socle. Des outils d’évaluation, correspondant notamment aux exigences des différents paliers de maîtrise du socle commun, sont mis à la disposition des enseignants. Un livret personnel permettra à l’élève, à sa famille et aux enseignants de suivre l’acquisition progressive des compétences. Afin de prendre en compte les différents rythmes d’acquisition, les écoles et les collèges organiseront un accompagnement adapté : études surveillées, tutorat, accès aux livres, à la culture et à internet. Les élèves qui manifestent des besoins particuliers quant aux acquisitions nécessaires à chaque palier se voient proposer un programme personnalisé de réussite éducative. 1- La maîtrise de la langue française Savoir lire, écrire et parler le français conditionne l’accès à tous les domaines du savoir et l’acquisition de toutes les compétences. La langue française est l’outil premier de l’égalité des chances, de la liberté du citoyen et de la civilité : elle permet de communiquer à l’oral comme à l’écrit, dans diverses situations ; elle permet de comprendre et d’exprimer ses droits et ses devoirs. Faire accéder tous les élèves à la maîtrise de la langue française, à une expression précise et claire à l’oral comme à l’écrit, relève de l’enseignement du français mais aussi de toutes les disciplines. Chaque professeur et tous les membres de la communauté éducative sont comptables de cette mission prioritaire de l’institution scolaire. La fréquentation de la littérature d’expression française est un instrument majeur des acquisitions nécessaires à la maîtrise de la langue française. Connaissances L’expression écrite et l’expression orale doivent être travaillées tout au long de la scolarité obligatoire, y compris par la mémorisation et la récitation de textes littéraires. L’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire doit conduire les élèves à saisir que le respect des règles de l’expression française n’est pas contradictoire avec la liberté d’expression : il favorise au contraire une pensée précise ainsi qu’un raisonnement rigoureux et facilement compréhensible. L’élève doit maîtriser suffisamment les outils de la langue que sont le vocabulaire, la grammaire et l’ortho graphe pour pouvoir lire, comprendre et écrire des textes dans différents contextes. L’apprentissage de la grammaire et de l’orthographe requiert des exercices spécifiques distincts de l’étude des textes. • Le vocabulaire Enrichir quotidiennement le vocabulaire des élèves est un objectif primordial, dès l’école maternelle et tout au long de la scolarité obligatoire. Les élèves devront connaître : - un vocabulaire juste et précis pour désigner des objets réels, des sensations, des émotions, des opérations de l’esprit, des abstractions ; - le sens propre et le sens figuré d’une expression ; - le niveau de langue auquel un mot donné appartient ; - des mots de signification voisine ou contraire ; 148 - la formation des mots, afin de les comprendre et de les orthographier. • La grammaire Les élèves devront connaître : - la ponctuation ; - les structures syntaxiques fondamentales ; - la nature des mots et leur fonction ; - les connecteurs logiques usuels (conjonctions de coordination, conjonctions de subordination, adverbes) ; - la conjugaison des verbes ; - le système des temps et des modes. • L’orthographe Il est nécessaire d’atteindre une maîtrise correcte de l’orthographe, dans les écrits spontanés des élèves, dès la fin de l’école primaire. Le perfectionnement de l’orthographe jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire est cependant une nécessité. Pour cela, la dictée est un outil indispensable d’apprentissage et d’évaluation, mais c’est par une vigilance particulière dans toutes les situations d’enseignement que cette maîtrise pourra être acquise. Les élèves devront connaître les principales règles d’orthographe lexicale et grammaticale (mots invariables, règles d’accord, orthographe des formes verbales et des pluriels). Capacités • Lire Au terme de la scolarité obligatoire, tout élève devra être capable de : - lire à haute voix, de façon expressive, un texte en prose ou en vers ; - analyser les éléments grammaticaux d’une phrase afin d’en éclairer le sens ; - dégager l’idée essentielle d’un texte lu ou entendu ; - manifester sa compréhension de textes variés, qu’ils soient documentaires ou littéraires ; - comprendre un énoncé, une consigne ; - lire des œuvres littéraires intégrales, notamment classiques, et rendre compte de sa lecture. • Écrire La capacité à écrire suppose de savoir : - copier un texte sans faute, écrire lisiblement et correctement un texte spontanément ou sous la dictée ; - répondre à une question par une phrase complète ; - rédiger un texte bref, cohérent, construit en paragraphes, correctement ponctué, en respectant des consignes imposées : récit, description, explication, texte argumentatif, compte rendu, écrits courants (lettres...) ; - adapter le propos au destinataire et à l’effet recherché ; - résumer un texte ; - utiliser les principales règles d’orthographe lexicale et grammaticale. • S’exprimer à l’oral Il s’agit de savoir : - prendre la parole en public ; - prendre part à un dialogue, un débat : prendre en compte les propos d’autrui, faire valoir son propre point de vue ; - rendre compte d’un travail individuel ou collectif (exposés, expériences, démonstrations...) ; - reformuler un texte ou des propos lus ou prononcés par un tiers ; - adapter sa prise de parole (attitude et niveau de langue) à la situation de communication (lieu, destinataire, effet recherché) ; - dire de mémoire des textes patrimoniaux (textes littéraires, citations célèbres). • Utiliser des outils L’élève devra être capable d’utiliser : - des dictionnaires, imprimés ou numériques, pour vérifier l’orthographe ou le sens d’un mot, découvrir un synonyme ou un mot nécessaire à l’expression de sa pensée ; - des ouvrages de grammaire ou des logiciels de correction orthographique. Attitudes L’intérêt pour la langue comme instrument de pensée et d’insertion développe : - la volonté de justesse dans l’expression écrite et orale, du goût pour l’enrichissement du vocabulaire ; - le goût pour les sonorités, les jeux de sens, la puissance émotive de la langue ; - l’intérêt pour la lecture (des livres, de la presse écrite) ; - l’ouverture à la communication, au dialogue, au débat. 2 - La pratique d’une langue vivante étrangère Il s’agit soit de la langue apprise depuis l’école primaire, soit d’une langue dont l’étude a commencé au collège. La communication en langue étrangère suppose la capacité de comprendre, de s’exprimer et d’interpréter des pensées, des sentiments et des faits, à l’oral comme à l’écrit, dans diverses situations. Elle implique également la connaissance et la compréhension des cultures dont la langue est le vecteur : elle permet de dépasser la vision que véhiculent les stéréotypes. 149 Le “cadre européen commun de référence pour les langues”, conçu par le Conseil de l’Europe, constitue la référence ondamentale pour l’enseignement des langues vivantes, les apprentissages et l’évaluation des acquis. La maîtrise du niveau A2 (niveau de l’utilisateur élémentaire) correspond au niveau requis pour le socle commun. La maîtrise des langues vivantes s’acquiert par une pratique régulière et par l’entraînement de la mémoire. Cinq types d’activités la rendent possible : la compréhension orale, l’expression orale, l’interaction orale, la compréhension écrite et l’expression écrite. Connaissances Pratiquer une langue vivante étrangère, c’est d’abord s’approprier un code linguistique : il faut connaître les formes écrites et sonores permettant de comprendre ou de produire des messages corrects et significatifs dans le contexte de la vie courante. Cela suppose une connaissance du vocabulaire, de la grammaire, de la phonologie et de l’orthographe. Il s’agit donc de : - posséder un vocabulaire suffisant pour comprendre des sujets simples ; - connaître les règles grammaticales fondamentales (catégorie du nom, système verbal, coordination et subordination dans leur forme élémentaire) et le fonctionnement de la langue étudiée en tenant compte de ses particularités ; - connaître les règles de prononciation ; - maîtriser l’orthographe des mots ou expressions appris en comprenant le rapport phonie-graphie. Pour certaines langues, l’apprentissage du système graphique constitue une priorité compte tenu de la nécessaire familiarisation avec des caractères spécifiques. Capacités Pratiquer une langue vivante étrangère, c’est savoir l’utiliser de façon pertinente et appropriée en fonction de la situation de communication, dans un contexte socioculturel donné. On attend de l’élève qu’il puisse communiquer de manière simple mais efficace, dans des situations courantes de la vie quotidienne, c’està- dire qu’il sache : - utiliser la langue en maîtrisant les codes de relations sociales associés à cette langue : . utiliser des expressions courantes en suivant les usages de base (saluer, formuler des invitations, des excuses...) ; . tenir compte de l’existence des différences de registre de langue, adapter son discours à la situation de communication. - comprendre un bref propos oral : identifier le contenu d’un message, le sujet d’une discussion si l’échange est mené lentement et clairement, suivre un récit ; - se faire comprendre à l’oral (brève intervention ou échange court) et à l’écrit, avec suffisamment de clarté, c’est-à-dire être capable : . de prononcer correctement ; . de relier des groupes de mots avec des connecteurs logiques ; . de donner des informations et de s’informer ; . d’exprimer simplement une idée, une opinion ; . de raconter une histoire ou de décrire sommairement ; - comprendre un texte écrit court et simple. Attitudes L’apprentissage d’une langue étrangère développe la sensibilité aux différences et à la diversité culturelle. Il favorise : - le désir de communiquer avec les étrangers dans leur langue, de lire un journal et d’écouter les médias audiovisuels étrangers, de voir des films en version originale ; - l’ouverture d’esprit et la compréhension d’autres façons de penser et d’agir. 3 - Les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et technologique Il s’agit de donner aux élèves la culture scientifique nécessaire à une représentation cohérente du monde et à la compréhension de leur environnement quotidien ; ils doivent saisir que la complexité peut être exprimée par des lois fondamentales. Des approches concrètes et pratiques des mathématiques et des sciences, faisant notamment appel à l’habileté manuelle (par exemple, travailler un matériau, manipuler des volumes, en réaliser), aident les élèves à comprendre les notions abstraites. Les mathématiques, les sciences expérimentales et la technologie favorisent la rigueur intellectuelle constitutive du raisonnement scientifique. A - Les principaux éléments de mathématiques Dans chacun des domaines que sont le calcul, la géométrie et la gestion des données, les mathématiques fournissent des outils pour agir, choisir et décider dans la vie quotidienne. Elles développent la pensée logique, les capacités d’abstraction et de vision dans le plan et dans l’espace par l’utilisation de formules, de modèles, de graphiques et de diagrammes. Il s’agit aussi de développer le raisonnement logique et le goût de la démonstration. La maîtrise des principaux éléments de mathématiques s’acquiert et s’exerce essentiellement par la résolution de problèmes, notamment à partir de situations proches de la réalité. Les compétences acquises en mathématiques conditionnent l’acquisition d’une culture scientifique. Connaissances Il est nécessaire de créer aussi tôt que possible à l’école primaire des automatismes en calcul, en particulier la maîtrise des quatre opérations qui permet le calcul mental. Il est aussi indispensable 150 d’apprendre à démontrer et à raisonner. Il faut aussi comprendre des concepts et des techniques (calcul, algorithme) et les mémoriser afin d’être en mesure de les utiliser. Les élèves doivent connaître : • pour ce qui concerne les nombres et le calcul : - les nombres décimaux, les nombres relatifs, les fractions, les puissances (ordonner, comparer) ; - les quatre opérations et leur sens ; - les techniques élémentaires du calcul mental ; - les éléments du calcul littéral simple (expressions du premier degré à une variable) ; - le calcul de la valeur d’une expression littérale pour différentes valeurs des variables ; - les identités remarquables. • pour ce qui concerne l’organisation et la gestion de données et les fonctions : - la proportionnalité : propriété de linéarité, représentation graphique, tableau de proportionnalité, “produit en croix” ou “règle de 3”, pourcentage, échelle ; - les représentations usuelles : tableaux, diagrammes, graphiques ; - le repérage sur un axe et dans le plan ; - les notions fondamentales de statistique descriptive (maximum, minimum, fréquence, moyenne) ; - les notions de chance ou de probabilité. • en géométrie : - les propriétés géométriques élémentaires des figures planes et des solides suivants : carré, rectangle, losange, parallélogramme, triangle, cercle, cube, parallélépipède rectangle, cylindre, sphère ; - les notions de parallèle, perpendiculaire, médiatrice, bissectrice, tangente (à un cercle) ; - les transformations : symétries, agrandissement et réduction ; - des théorèmes de géométrie plane : somme des angles d’un triangle, inégalité triangulaire, Thalès (dans le triangle), Pythagore. Il faut aussi savoir interpréter une représentation plane d’un objet de l’espace ainsi qu’un patron (cube, parallélépipède rectangle). • pour ce qui concerne les grandeurs et les mesures : - les principales grandeurs (unités de mesure, formules, calculs et conversions) : longueur, aire, contenance, volume, masse, angle, durée, vitesse, masse volumique, nombre de tours par seconde ; - les mesures à l’aide d’instruments, en prenant en compte l’incertitude liée au mesurage. Capacités À la sortie de l’école obligatoire, l’élève doit être en mesure d’appliquer les principes et processus mathématiques de base dans la vie quotidienne, dans sa vie privée comme dans son travail. Pour cela, il doit être capable : - de raisonner logiquement, de pratiquer la déduction, de démontrer ; - de communiquer, à l’écrit comme à l’oral, en utilisant un langage mathématique adapté ; - d’effectuer : . à la main, un calcul isolé sur des nombres en écriture décimale de taille raisonnable (addition, soustraction, multiplication, division) ; . à la calculatrice, un calcul isolé sur des nombres relatifs en écriture décimale : addition, soustraction, multiplication, division décimale à 10-n près, calcul du carré, du cube d’un nombre relatif, racine carrée d’un nombre positif, . mentalement des calculs simples et déterminer rapidement un ordre de grandeur ; - de comparer, additionner, soustraire, multiplier et diviser les nombres en écriture fractionnaire dans des situations simples ; - d’effectuer des tracés à l’aide des instruments usuels (règle, équerre, compas, rapporteur) : . parallèle, perpendiculaire, médiatrice, bissectrice ; . cercle donné par son centre et son rayon ; . image d’une figure par symétrie axiale, par symétrie centrale. - d’utiliser et construire des tableaux, des diagrammes, des graphiques et de savoir passer d’un mode d’expression à un autre ; - d’utiliser des outils (tables, formules, outils de dessin, calculatrices, logiciels) ; - de saisir quand une situation de la vie courante se prête à un traitement mathématique, l’analyser en posant les données puis en émettant des hypothèses, s’engager dans un raisonnement ou un calcul en vue de sa résolution, et, pour cela : . savoir quand et comment utiliser les opérations élémentaires ; . contrôler la vraisemblance d’un résultat ; . reconnaître les situations relevant de la proportionnalité et les traiter en choisissant un moyen adapté ; . utiliser les représentations graphiques ; . utiliser les théorèmes de géométrie plane. - de se repérer dans l’espace : utiliser une carte, un plan, un schéma, un système de coordonnées. 151 Attitudes L’étude des mathématiques permet aux élèves d’appréhender l’existence de lois logiques et développe : - la rigueur et la précision ; - le respect de la vérité rationnellement établie ; - le goût du raisonnement fondé sur des arguments dont la validité est à prouver. B - La culture scientifique et technologique Les sciences expérimentales et les technologies ont pour objectif de comprendre et de décrire le monde réel, celui de la nature, celui construit par l’homme ainsi que les changements induits par l’activité humaine. Leur étude contribue à faire comprendre aux élèves la distinction entre faits et hypothèses vérifiables d’une part, opinions et croyances d’autre part. Pour atteindre ces buts, l’observation, le questionnement, la manipulation et l’expérimentation sont essentiels, et cela dès l’école primaire, dans l’esprit de l’opération “La main à la pâte” qui donne le goût des sciences et des techniques dès le plus jeune âge. Les notions complexes (relatives à l’ADN, aux gènes, à la tectonique des plaques lithosphériques), dont les élèves entendent parler dans la vie courante, sont abordées de manière adaptée. La présentation de l’histoire de l’élaboration des concepts, en mobilisant les ressources de toutes les disciplines concernées, constitue un moyen efficace d’aborder la complexité : la perspective historique contribue à donner une vision cohérente des sciences et des techniques ainsi que de leur développement conjoint. Les élèves doivent comprendre que les sciences et les techniques contribuent au progrès et au bien-être des sociétés. Connaissances À l’issue de la scolarité obligatoire, tout élève doit avoir une représentation cohérente du monde reposant sur des connaissances. Chacun doit donc : • savoir que l’Univers est structuré : - du niveau microscopique (atomes, molécules, cellules du vivant) ; - au niveau macroscopique (planètes, étoiles, galaxies) ; • savoir que la planète Terre : - est un des objets du système solaire, lequel est gouverné par la gravitation ; - présente une structure et des phénomènes dynamiques internes et externes ; • savoir que la matière se présente sous une multitude de formes : - sujettes à transformations et réactions ; - organisées du plus simple au plus complexe, de l’inerte au vivant ; • connaître les caractéristiques du vivant : - unité d’organisation (cellule) et biodiversité ; - modalités de la reproduction, du développement et du fonctionnement des organismes vivants ; - unité du vivant (ADN) et évolution des espèces ; • savoir que l’Univers, la matière, les organismes vivants baignent dans une multitude d’interactions et de signaux, notamment lumineux, qui se propagent et agissent à distance ; • savoir que l’énergie, perceptible dans le mouvement, peut revêtir des formes différentes et se transformer de l’une à l’autre ; connaître l’énergie électrique et son importance ; connaître les ressources en énergie fossile et les énergies renouvelables ; • savoir que la maîtrise progressive de la matière et de l’énergie permet à l’homme d’élaborer une extrême diversité d’objets techniques, dont il convient de connaître : - les conditions d’utilisation ; - l’impact sur l’environnement ; - le fonctionnement et les conditions de sécurité ; • maîtriser des connaissances sur l’homme : - unicité et diversité des individus qui composent l’espèce humaine (génétique, reproduction) ; - l’organisation et le fonctionnement du corps humain ; - le corps humain et ses possibilités ; - influence de l’homme sur l’écosystème (gestion des ressources, ...) ; • être familiarisé avec les techniques courantes, le traitement électronique et numérique de l’information et les processus automatisés, à la base du fonctionnement d’objets de la vie courante. Capacités L’étude des sciences expérimentales développe les capacités inductives et déductives de l’intelligence sous ses différentes formes. L’élève doit être capable : • de pratiquer une démarche scientifique : - savoir observer, questionner, formuler une hypothèse et la valider, argumenter, modéliser de façon élémentaire ; - comprendre le lien entre les phénomènes de la nature et le langage mathématique qui s’y applique et aide à les décrire ; • de manipuler et d’expérimenter en éprouvant la résistance du réel : - participer à la conception d’un protocole et le mettre en œuvre en utilisant les outils appropriés, y compris informatiques ; - développer des habiletés manuelles, être familiarisé avec certains gestes techniques ; - percevoir la différence entre réalité et simu lation ; • de comprendre qu’un effet peut avoir plusieurs causes agissant simultanément, de percevoir qu’il peut 152 exister des causes non apparentes ou inconnues ; • d’exprimer et d’exploiter les résultats d’une mesure ou d’une recherche et pour cela : - utiliser les langages scientifiques à l’écrit et à l’oral ; - maîtriser les principales unités de mesure et savoir les associer aux grandeurs correspondantes ; - comprendre qu’à une mesure est associée une incertitude ; - comprendre la nature et la validité d’un résultat statistique ; • de percevoir le lien entre sciences et techniques ; • de mobiliser ses connaissances en situation, par exemple comprendre le fonctionnement de son propre corps et l’incidence de l’alimentation, agir sur lui par la pratique d’activités physiques et sportives, ou encore veiller au risque d’accidents naturels, professionnels ou domestiques ; • d’utiliser les techniques et les technologies pour surmonter des obstacles. Attitudes L’appréhension rationnelle des choses développe les attitudes suivantes : - le sens de l’observation ; - la curiosité pour la découverte des causes des phénomènes naturels, l’imagination raisonnée, l’ouverture d’esprit ; - l’esprit critique : distinction entre le prouvé, le probable ou l’incertain, la prédiction et la prévision, situation d’un résultat ou d’une information dans son contexte ; - l’intérêt pour les progrès scientifiques et techniques ; - la conscience des implications éthiques de ces changements ; - l’observation des règles élémentaires de sécurité dans les domaines de la biologie, de la chimie et dans l’usage de l’électricité ; - la responsabilité face à l’environnement, au monde vivant, à la santé. 4 - La maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication La culture numérique implique l’usage sûr et critique des techniques de la société de l’information. Il s’agit de l’informatique, du multimédia et de l’internet, qui désormais irriguent tous les domaines économiques et sociaux. Ces techniques font souvent l’objet d’un appren tissage empirique hors de l’école. Il appar tient néanmoins à celle-ci de faire acquérir à chaque élève un ensemble de compétences lui permettant de les utiliser de façon réfléchie et plus efficace. Les connaissances et les capacités exigibles pour le B2i collège (Brevet informatique et internet) correspondent au niveau requis pour le socle commun. Elles sont acquises dans le cadre d’activités relevant des différents champs disciplinaires. Connaissances Les élèves doivent maîtriser les bases des techniques de l’information et de la communication (composants matériels, logiciels et services courants, traitement et échange de l’information, caractéristiques techniques, fichiers, documents, structuration de l’espace de travail, produits multimédias...). Ils doivent également savoir : - que les équipements informatiques (matériels, logiciels et services) traitent une information codée pour produire des résultats et peuvent communiquer entre eux ; - que l’usage de ces outils est régi par des règles qui permettent de protéger la propriété intellectuelle, les droits et libertés des citoyens et de se protéger soi-même. Capacités La maîtrise des techniques de l’information et de la communication est développée en termes de capacités dans les textes réglementaires définissant le B2i : - s’approprier un environnement informatique de travail ; - créer, produire, traiter, exploiter des données ; - s’informer, se documenter ; - communiquer, échanger. Attitudes Le développement du goût pour la recherche et les échanges d’informations à des fins éducatives, culturelles, sociales, professionnelles doit s’accompagner d’une attitude responsable - domaine également développé dans la définition du B2i - c’est-à-dire : - une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible ; - une attitude de responsabilité dans l’utilisation des outils interactifs. 5 - La culture humaniste La culture humaniste permet aux élèves d’acquérir tout à la fois le sens de la continuité et de la rupture, de l’identité et de l’altérité. En sachant d’où viennent la France et l’Europe et en sachant les situer dans le monde d’aujourd’hui, les élèves se projetteront plus lucidement dans l’avenir. La culture humaniste contribue à la formation du jugement, du goût et de la sensibilité. Elle enrichit la perception du réel, ouvre l’esprit à la diversité des situations humaines, invite à la réflexion sur ses propres opinions et sentiments et suscite des émotions esthétiques. Elle se fonde sur l’analyse et l’interprétation des textes et des œuvres d’époques ou de genres différents. 153 Elle repose sur la fréquentation des œuvres littéraires (récits, romans, poèmes, pièces de théâtre), qui contribue à la connaissance des idées et à la découverte de soi. Elle se nourrit des apports de l’éducation artistique et culturelle. Connaissances En donnant des repères communs pour comprendre, la culture humaniste participe à la construction du sentiment d’appartenance à la communauté des citoyens, aide à la formation d’opinions raisonnées, prépare chacun à la construction de sa propre culture et conditionne son ouverture au monde. Les élèves doivent : • avoir des repères géographiques : - les grands ensembles physiques (océans, continents, reliefs, fleuves, grands domaines climatiques et biogéographiques) et humains (répartition mondiale de la population, principales puissances du monde contemporain et leurs métropoles, les États de l’Union européenne et leurs capitales) ; - les grands types d’aménagements ; - les grandes caractéristiques géographiques de l’Union européenne ; - le territoire français : organisation et localisations, ensembles régionaux, outre-mer ; • avoir des repères historiques : - les différentes périodes de l’histoire de l’humanité (les événements fondateurs caractéristiques permettant de les situer les unes par rapport aux autres en mettant en relation faits politiques, économiques, sociaux, culturels, religieux, scientifiques et techniques, littéraires et artistiques), ainsi que les ruptures ; - les grands traits de l’histoire de la construction européenne ; - les périodes et les dates principales, les grandes figures, les événements fondateurs de l’histoire de France, en les reliant à l’histoire du continent européen et du monde ; l être préparés à partager une culture européenne : - par une connaissance des textes majeurs de l’Antiquité (l’Iliade et l’Odyssée, récits de la fondation de Rome, la Bible) : - par une connaissance d’œuvres littéraires, picturales, théâtrales, musicales, architecturales ou cinématographiques majeures du patrimoine français, européen et mondial (ancien, moderne ou contemporain) ; • comprendre l’unité et la complexité du monde par une première approche : - des droits de l’homme ; - de la diversité des civilisations, des sociétés, des religions (histoire et aire de diffusion contemporaine) ; - du fait religieux en France, en Europe et dans le monde en prenant notamment appui sur des textes fondateurs (en particulier des extraits de la Bible et du Coran) dans un esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions ; - des grands principes de la production et de l’échange ; - de la mondialisation ; - des inégalités et des interdépendances dans le monde ; - des notions de ressources, de contraintes, de risques ; - du développement durable ; - des éléments de culture politique : les grandes formes d’organisation politique, économique et sociale (notamment des grands États de l’Union européenne), la place et le rôle de l’État ; - des conflits dans le monde et des notions de défense. Capacités Les élèves doivent être capables : - de lire et utiliser différents langages, en particulier les images (différents types de textes, tableaux et graphiques, schémas, représentations cartographiques, représentations d’œuvres d’art, photographies, images de synthèse) ; - de situer dans le temps les événements, les œuvres littéraires ou artistiques, les découvertes scientifiques ou techniques étudiés et de les mettre en relation avec des faits historiques ou culturels utiles à leur compréhension ; - de situer dans l’espace un lieu ou un ensemble géographique, en utilisant des cartes à différentes échelles ; - de faire la distinction entre produits de consommation culturelle et œuvres d’art ; - d’avoir une approche sensible de la réalité ; - de mobiliser leurs connaissances pour donner du sens à l’actualité ; - de développer par une pratique raisonnée, comme acteurs et comme spectateurs, les valeurs humanistes et universelles du sport. Attitudes La culture humaniste que dispense l’école donne aux élèves des références communes. Elle donne aussi à chacun l’envie d’avoir une vie culturelle personnelle : - par la lecture, par la fréquentation des musées, par les spectacles (cinéma, théâtre, concerts et autres spectacles culturels) ; - par la pratique d’une activité culturelle, artistique ou physique. Elle a pour but de cultiver une attitude de curiosité : - pour les productions artistiques, patrimoniales et contemporaines, françaises et étrangères ; - pour les autres pays du monde (histoire, civilisation, actualité). Elle développe la conscience que les expériences humaines ont quelque chose d’universel. Pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel, réussir sa vie en société et exercer librement sa citoyenneté, d’autres compétences sont 154 indispensables à chaque élève : l’école doit permettre à chacun de devenir pleinement responsable – c’està- dire autonome et ouvert à l’initiative – et assumer plus efficacement sa fonction d’éducation sociale et civique. 6- Les compétences sociales et civiques Il s’agit de mettre en place un véritable parcours civique de l’élève, constitué de valeurs, de savoirs, de pratiques et de comportements dont le but est de favoriser une participation efficace et constructive à la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa liberté en pleine conscience des droits d’autrui, de refuser la violence. Pour cela, les élèves devront apprendre à établir la différence entre les principes universels (les droits de l’homme), les règles de l’État de droit (la loi) et les usages sociaux (la civilité). Il s’agit aussi de développer le sentiment d’appartenance à son pays, à l’Union européenne, dans le respect dû à la diversité des choix de chacun et de ses options personnelles. A - Vivre en société Dès l’école maternelle, l’objectif est de préparer les élèves à bien vivre ensemble par l’appropriation progressive des règles de la vie collective. Connaissances Les connaissances nécessaires relèvent notamment de l’enseignement scientifique et des humanités. L’éducation physique et sportive y contribue également. Les élèves doivent en outre : - connaître les règles de la vie collective et comprendre que toute organisation humaine se fonde sur des codes de conduite et des usages dont le respect s’impose ; - savoir ce qui est interdit et ce qui est permis ; - connaître la distinction entre sphères professionnelle, publique et privée ; - être éduqué à la sexualité, à la santé et à la sécurité ; - connaître les gestes de premiers secours. Capacités Chaque élève doit être capable : - de respecter les règles, notamment le règlement intérieur de l’établissement ; - de communiquer et de travailler en équipe, ce qui suppose savoir écouter, faire valoir son point de vue, négocier, rechercher un consensus, accomplir sa tâche selon les règles établies en groupe ; - d’évaluer les conséquences de ses actes : savoir reconnaître et nommer ses émotions, ses impressions, pouvoir s’affirmer de manière constructive ; - de porter secours : l’obtention de l’Attestation de formation aux premiers secours certifie que cette capacité est acquise ; - de respecter les règles de sécurité, notamment routière par l’obtention de l’Attestation scolaire de sécurité routière. Attitudes La vie en société se fonde sur : - le respect de soi ; - le respect des autres (civilité, tolérance, refus des préjugés et des stéréotypes) ; - le respect de l’autre sexe ; - le respect de la vie privée ; - la volonté de résoudre pacifiquement les conflits ; - la conscience que nul ne peut exister sans autrui : . conscience de la contribution nécessaire de chacun à la collectivité ; . sens de la responsabilité par rapport aux autres ; . nécessité de la solidarité : prise en compte des besoins des personnes en difficulté (physiquement, économiquement), en France et ailleurs dans le monde. B - Se préparer à sa vie de citoyen L’objectif est de favoriser la compréhension des institutions d’une démocratie vivante par l’acquisition des principes et des principales règles qui fondent la République. Il est aussi de permettre aux élèves de devenir des acteurs responsables de notre démocratie. Connaissances Pour exercer sa liberté, le citoyen doit être éclairé. La maîtrise de la langue française, la culture humaniste et la culture scientifique préparent à une vie civique responsable. En plus de ces connaissances essentielles, notamment de l’histoire nationale et européenne, l’élève devra connaître : • la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; • la Convention internationale des droits de l’enfant ; • les symboles de la République et leur signification (drapeau, devise, hymne national) ; • les règles fondamentales de la vie démocratique (la loi, le principe de la représentation, le suffrage universel, le secret du vote, la décision majoritaire et les droits de l’opposition) dont l’apprentissage concret commence à l’école primaire dans diverses situations de la vie quotidienne et se poursuit au collège, en particulier par l’élection des délégués ; • le lien entre le respect des règles de la vie sociale et politique et les valeurs qui fondent la République ; • quelques notions juridiques de base et notamment : - l’identité de la personne ; - la nationalité ; 155 - le principe de responsabilité et la notion de contrat, en référence à des situations courantes (signer un contrat de location, de travail, acquérir un bien, se marier, déclarer une naissance, etc.) ; • quelques notions de gestion (établir un budget personnel, contracter un emprunt, etc.) ; • le fonctionnement de la justice (distinction entre civil et pénal, entre judiciaire et administratif) ; • les grands organismes internationaux ; • l’Union européenne - les finalités du projet partagé par les nations qui la constituent ; - les grandes caractéristiques de ses institutions ; • les grands traits de l’organisation de la France : - les principales institutions de la République (pouvoirs et fonctions de l’État et des collectivités territoriales) ; - le principe de laïcité ; - les principales données relatives à la démographie et à l’économie françaises ; - le schéma général des recettes et des dépenses publiques (État, collectivités locales, sécurité sociale) ; - le fonctionnement des services sociaux. Capacités Les élèves devront être capables de jugement et d’esprit critique, ce qui suppose : - savoir évaluer la part de subjectivité ou de partialité d’un discours, d’un récit, d’un reportage ; - savoir distinguer un argument rationnel d’un argument d’autorité ; - apprendre à identifier, classer, hiérarchiser, soumettre à critique l’information et la mettre à distance ; - savoir distinguer virtuel et réel ; - être éduqué aux médias et avoir conscience de leur place et de leur influence dans la société ; - savoir construire son opinion personnelle et pouvoir la remettre en question, la nuancer (par la prise de conscience de la part d’affectivité, de l’influence de préjugés, de stéréotypes). Attitudes Au terme de son parcours civique scolaire, l’élève doit avoir conscience de la valeur de la loi et de la valeur de l’engagement. Ce qui implique : - la conscience de ses droits et devoirs ; - l’intérêt pour la vie publique et les grands enjeux de société ; - la conscience de l’importance du vote et de la prise de décision démocratique ; - la volonté de participer à des activités civiques. 7 - L’autonomie et l’initiative A - L’autonomie L’autonomie de la personne humaine est le complément indispensable des droits de l’homme : le socle commun établit la possibilité d’échanger, d’agir et de choisir en connaissance de cause, en développant la capacité de juger par soi-même. L’autonomie est aussi une condition de la réussite scolaire, d’une bonne orientation et de l’adaptation aux évolutions de sa vie personnelle, professionnelle et sociale. Il est également essentiel que l’école développe la capacité des élèves à apprendre tout au long de la vie. Connaissances La maîtrise des autres éléments du socle commun est indissociable de l’acquisition de cette compétence, mais chaque élève doit aussi : - connaître les processus d’apprentissage, ses propres points forts et faiblesses ; - connaître l’environnement économique : . l’entreprise ; . les métiers de secteurs et de niveaux de qualification variés ainsi que les parcours de formation correspondants et les possibilités de s’y intégrer. Capacités Les principales capacités attendues d’un élève autonome sont les suivantes : - s’appuyer sur des méthodes de travail (organiser son temps et planifier son travail, prendre des notes, consulter spontanément un dictionnaire, une encyclopédie, ou tout autre outil nécessaire, se concentrer, mémoriser, élaborer un dossier, exposer) ; - savoir respecter des consignes ; - être capable de raisonner avec logique et rigueur et donc savoir : . identifier un problème et mettre au point une démarche de résolution ; . rechercher l’information utile, l’analyser, la trier, la hiérarchiser, l’organiser, la synthétiser ; . mettre en relation les acquis des différentes disciplines et les mobiliser dans des situations variées ; . identifier, expliquer, rectifier une erreur ; . distinguer ce dont on est sûr de ce qu’il faut prouver ; . mettre à l’essai plusieurs pistes de solution ; - savoir s’auto-évaluer ; - savoir choisir un parcours de formation, première étape de la formation tout au long de la vie ; - développer sa persévérance ; - avoir une bonne maîtrise de son corps, savoir nager. Attitudes La motivation, la confiance en soi, le désir de réussir et de progresser sont des attitudes fondamentales. Chacun doit avoir : - la volonté de se prendre en charge personnellement, d’exploiter ses facultés intellectuelles et physiques ; 156 - conscience de la nécessité de s’impliquer, de rechercher des occasions d’apprendre ; - conscience de l’influence des autres sur ses valeurs et ses choix ; - une ouverture d’esprit aux différents secteurs professionnels et conscience de leur égale dignité. B - L’esprit d’initiative Il faut que l’élève se montre capable de concevoir, de mettre en œuvre et de réaliser des projets individuels ou collectifs dans les domaines artistiques, sportifs, patrimoniaux ou socio-économiques. Quelle qu’en soit la nature, le projet-toujours validé par l’établissement scolaire-valorise l’implication de l’élève. Connaissances Toutes les connaissances acquises pour les autres compétences peuvent être utiles. Capacités Il s’agit d’apprendre à passer des idées aux actes, ce qui suppose savoir : - définir une démarche adaptée au projet ; - trouver et contacter des partenaires, consulter des personnes-ressources ; - prendre des décisions, s’engager et prendre des risques en conséquence ; - prendre l’avis des autres, échanger, informer, organiser une réunion, représenter le groupe ; - déterminer les tâches à accomplir, établir des priorités. Attitudes L’envie de prendre des initiatives, d’anticiper, d’être indépendant et inventif dans la vie privée, dans la vie publique et plus tard au travail, constitue une attitude essentielle. Elle implique : - curiosité et créativité ; - motivation et détermination dans la réalisation d’objectifs. Le principe même du socle repose sur un impératif de qualité. S’agissant d’une culture commune pour tous les élèves, il traduit tout autant une ambition pour les plus fragiles qu’une exigence pour ceux qui réussissent bien. Les graves manques pour les uns et les lacunes pour les autres à la sortie de l’école obligatoire constituent des freins à une pleine réussite et à l’exercice d’une citoyenneté libre et responsable. Ainsi, le socle commun possède une unité : sa maîtrise à la fin de la scolarité obligatoire ne peut être que globale, car les compétences qui le constituent, avec leur liste principale de connaissances, de capacités et d’attitudes, sont complémentaires et également nécessaires. Chacun des domaines constitutifs du socle commun contribue à l’insertion professionnelle, sociale et civique des élèves, pour sa maîtrise à l’issue de la scolarité obligatoire, il ne peut donc y avoir de compensation entre les compétences requises qui composent un tout, à la manière des qualités de l’homme ou des droits et des devoirs du citoyen. Ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche Questionnaire envoyé aux enseignants 157 (Ce questionnaire était accompagné d’une lettre explicative). 1 Quels sont les mots ou expressions qui vous viennent spontanément à l’esprit quand on vous dit « Socle Commun de Connaissances et des Compétences ( SCCC) » ? ………………………………………………………………………………………………….. 2 Classez les items suivants, en affectant 1 à ce qui évoque pour vous au mieux le SCCC et 16 ce qui s’en éloigne le plus : B A ba des connaissances Chance pour intégrer le plus d’élèves possible Outil contre l’échec scolaire Liberté pédagogique Dispositif novateur Garant d’une bonne adéquation profil de l’élève / adaptation professionnelle Outil de nivellement par le bas Clarification des attendus de l’école Formation globale de l’individu Tremplin pour chaque élève 158 Dispositif de politique d’alignement européen Lutte contre la baisse du niveau scolaire Morcellement des connaissances Formatage de l’individu « SMIC » culturel Moyen pour atteindre un accomplissement de la personne 3 Comment définiriez-vous la « réussite scolaire » ? …………………………………………………………………………………………………... …………………………………………………………………………………………………... …………………………………………………………………………………………………... 4 Quels sont les piliers du SCCC qui vous semblent les plus susceptibles de mener à la réussite des élèves ( en sélectionner 2) ? 1 La maîtrise de la langue française 2 La pratique d’une langue étrangère 3 La connaissance des principaux éléments des mathématiques et la maîtrise d’une culture scientifique. 4 La possession d’une culture humaniste 5 La maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication 6 L’acquisition des compétences sociales et civiques 7 L’accession à l’autonomie et l’acquisition de l’esprit d’initiative. 5 Considérez-vous que le SCCC soit novateur ? OUI NON En quoi ? …………………………………………………………………………………………………... 159 …………………………………………………………………………………………………... …………………………………………………………………………………………………... 6 Pensez- vous que le SCCC présente des atouts spécifiques pour lutter contre l’échec scolaire ( par rapport aux différents dispositifs proposés au cours des dernières années : PPAP, PPRE, heures de soutien en collège…) ? OUI NON Merci d’expliciter votre réponse : …………………………………………………………………………………………………... …………………………………………………………………………………………………... …………………………………………………………………………………………………... …………………………………………………………………………………………………... Votre niveau de classe : …………. 160