L`écriture collective du récit de voyage : quand le ghost writer

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L`écriture collective du récit de voyage : quand le ghost writer
L’écriture collective du récit de voyage : quand le ghost writer reprend la parole
Peu après la mort de Jean-Baptiste Tavernier, célèbre voyageur et auteur des Six voyages […] en Turquie,
en Perse et aux Indes, l’un de ses ghost writers, Samuel Chappuzeau, publie un libelle controversé où il
retrace, entre autres, la genèse et l’histoire éditoriale de ces mémoires viatiques. Ce texte, intitulé Défense
du Sr. Samuel Chappuzeau contre une satire intitulée l’Esprit de Mr. Arnauld [1691?], nous intéresse
surtout dans la mesure où il permet d’explorer les coulisses de cette relation ambiguë et difficile à cerner,
que les récits taisent presque toujours, entre le voyageur qui prétend offrir au public un témoignage direct,
dans un style « nu », et le(s) rédacteur(s) impliqué(s) dans le travail de mise en forme et de réécriture de
ses expériences lointaines.
Il s’agira dans un premier temps d’explorer les arguments et les lieux communs qui constituent
l’échafaudage rhétorique d’ensemble de la Défense. On analysera ensuite les stratégies par lesquelles
Chappuzeau se détache du récit de Tavernier, étant donné surtout la réception négative du troisième
volume des Voyages, et minimise considérablement son apport éditorial, s’attribuant rétrospectivement
une fonction des plus « mécaniques » dans le processus de rédaction : celle d’un simple « coppiste ».
Enfin, cette autoreprésentation minorée du ghost writer sera considérée par le prisme des stratégies de
carrière qui s’imposent à un écrivain polygraphe comme Chappuzeau : puisque l’échec d’une de ses
différentes activités rédactionnelles risque de discréditer son statut et de mettre à mal la réception de ses
autres écrits, il a recours au pouvoir de l’imprimé afin de reconstruire son identité professionnelle.
Camelia Sararu
Doctorante en littérature française
Université de Toronto
[email protected]