Chapitre 2 Roger Mattis ou « le cerveau pensant de la famille

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Chapitre 2 Roger Mattis ou « le cerveau pensant de la famille
Claudine MATTIS - http://www.lafermettedeclaudine.com - 2003
Chapitre 2
Roger Mattis ou « le cerveau pensant de la famille »
Mon grand-père a effectivement vu la construction des premiers
remontes -pentes 1 et a compris certainement que son village allait devenir
une grande station et fut l’un des premiers à entreprendre la construction
d’un hôtel.
Sa mère2 très avant-gardiste et ambitieuse, au caractère bien
trempé, assuma la mort de son mari à la guerre de 1914 et réussit à donner
une éducation exemplaire à ses enfants en menant de front toutes ses
activités : la ferme avec le bétail, puis en 1919, la gestion de l’hôtel
Bellevue3. Veuve de guerre, elle obtient une priorité commerciale, un débit
de tabacs, le premier ouvert à Val d’Isère. Le bureau de tabacs associé au
bar était situé dans l’hôtel Bellevue . Cet exemple d’une vie de travail que
menait cette mère ne pouvait que porter ses fruits sur les enfants. Roger,
aîné, était certainement celui qui lui ressemblait le plus. Le travail ne lui
faisait pas peur, il était reconnu aussi pour rendre service. La solidarité
n’était pas un vain mot ainsi, en 1929, mon grand-père fut appelé à l’aide par
son voisin dont l’épouse attendait la naissance de leur deuxième enfant.
L’inquiétude était renforcée par l’isolement routier car la sage-femme
habitait Tignes et ne traversait pas les gorges à skis. Mon grand-père, avec
l’aide de son cheval, déneigea le chemin de Val d’Isère à Tignes. 4
Une fois mariés5 ils partirent à Paris6 où mon grand-père fut
embauché chez Renault pour fabriquer l’ossature en bois des voitures. Il
avait obtenu cet emploi car il était très ingénieux et qu’à la suite de ses
1
Il est important de préciser que les habitants furent choqués de l’installation de ces
câbles et pylônes sur leurs prairies destinées aux vaches. Ma grand-mère me disait
que l’on se demandait ce qui se passait.
2
Cécile Moris née en 1879 et morte en 1951.
3
Deuxième hôtel construit en 1919 à Val d’Isère avec seulement six chambres. C’est
d’ailleurs dans cet hôtel que ma grand-mère éleva ses cinq garçons avec seulement une
chambre pour les cinq.
4
Il semblait que ce ne fût pas la première fois car j’ai souvent entendu dire de lui et
même l’abbé Charvin le cite dans son ouvrage qu’il était particulièrement costaud et on
se souvient de lui partant seul déneiger la route de Val d’Isère.
5
Le mariage de mon grand–père fut célébré en 1933 par l’abbé Gontheret avec ma
grand-mère Yvonne Bonnevie, dont le père Joseph Bonnevie de l’Illaz était chantre à
l’église et l’abbé Charvin se souvient encore de lui « oui, il était chantre même s’il ne
devait pas savoir grand chose de la musique, mais enfin on n’était pas à une vache
près ! » (sic…)
6
Comme bon nombre de savoyards les jeunes partaient à Paris chercher du travail
pour combler les ressources de la famille.
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études primaires, il avait appris le métier de charpentier comme compagnon
à Moutiers. Mon grand-père fut rappelé de Paris par sa mère pour refaire
les chambres du Bellevue. Sa mère l’avait désigné car il savait tout faire de
ses mains. Il rénova le Bellevue et entrepris la construction du deuxième
hôtel familial, le Tsanteleina . L’hôtel fut construit en plusieurs étapes car il
fallait trouver les moyens financiers nécessaires. Pour ce faire mon grandpère allait chercher de l’argent à Tignes. Les Tignards7 bénéficiant de
l’avancée de leur avenir, ils étaient plus riches. Les ressources plus
abondantes qu’à Val d’Isère, mon grand-père alla chercher les crédits
auprès des particuliers. On allait chercher de l’argent comme à la banque
auprès des habitants. Son fils Gérard8 retient de son père qu’il trouvait
toujours des solutions pour se sortir des difficultés, il vendait du lait à la
fruitière, on se nourrissait de son propre bétail ou du fruit de sa chasse
aux marmottes et autres gibiers complétant le quotidien. Les ressources
commerciales étaient encore faibles. La seule station d’été de montagne
était Tignes, le premier village noyé dans l’actuel barrage des Brévières.
L’activité touristique se développa doucement entre 1930 et 1945 en
concurrence avec Val d’Isère qui grandissait avec la construction de
nouveaux hôtels, et mon grand-père allait débaucher les clients à Tignes
pour les amener à Val d’Isère ! Il allait aussi trouver les meilleures équipes
de maçons de la vallée d’Aoste pour construire cet hôtel. Le sable était
retiré du lit de l’Isère à la main. « On triait les gros cailloux des petits. »9
Il souhaitait que ses enfants puissent bénéficier d’un enseignement normal ,
il trouva une maîtresse d’école de Chambéry pour faire la classe à ces
enfants. Dès qu’il avait un pécule en poche mon grand-père achetait des
terres agricoles, déjà dans l’idée d’assurer un avenir à ses enfants . Fervent
défenseur de l’agriculture, il est devenu un des hommes clefs de Val
d’Isère, puisque le 18 mars 1953 l’assemblée générale vote l’élection des
membres du conseil d’administration de l’association agricole, Mon grandpère obtient 6 voix (il y a 7 votants) il est donc élu à la présidence.10 Il va
ainsi légiférer la vie agricole de son village. Le 1er mai il décide de confier la
garde des moutons à Michel André pour un prix forfaitaire de 350francs
par mouton. Le 26 mars 1954 l’association définit les statuts sous la forme
de plusieurs articles. Ces quelques exemples nous montreront que des
7
Les Tignards sont les habitants de Tignes
Nous retiendrons l’interview de mon oncle Gérard qui nous racontait avec ses tripes
la vie de son père. Les larmes et l’envie de le représenter jaillissaient de son
dialogue.
9
Informations issues de l’interview de Gérard qui nous évoque ici les travaux de la
sortie d’école de ses frères et lui.
10
Documents issus des archives de la mairie de Val d’Isère. C’est un compte rendu
écrit à la plume.
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règles vont être instaurées. Ces statuts révèlent la volonté de maintenir
une agriculture avec des buts et une organisation :
Article 1 : il est formé entre les possesseurs de bétail « feu
hivernants » signataires des présents statuts et ceux qui y adhérent à
l’avenir, dans les conditions stipulées ci-après, une association d’exploitation
des pâturages pour la location, la gérance, l’entretien de ceux-ci.
Article 2 : cette société prend le nom d’association agricole de Val
d’Isère, sa durée est illimitée. Son siège est à la mairie.
[……] Article 5 : l’association est administrée et dirigée par un conseil
d’administration composé de dix membres et dont les fonctions sont
gratuites. Les membres de ce conseil sont nommés pour deux ans, ils élisent
entre eux un bureau composé d’un président, d’un vice-président et d’un
secrétaire trésorier, ce dernier peut être pris en dehors de l’association ;
mais alors il n’a pas de voix délibérative.
Article 6 : le président est le directeur de tout ce qui concerne la
société : il ordonne les convocations, préside les séances tant du bureau que
du conseil et des assemblées générales, il agit au nom de la société et la
représente dans tous les actes de sa vie civile
A val d’Isère le 26 mars 1954
Signé : Mattis Roger
Morios Augustine
Ferrando Pierre
Moris Henri
André Joseph
Mestrallet Narcisse
Moris Eleonore et 21 autres signataires
La gestion des pâturages se poursuit car le 10 août 1960 le maire de
Val d’Isère, Frédéric Pétri, délibère avec les treize membres du conseil
municipal et le président de l’association agricole de Val d’Isère, M. Roger
Mattis, et approuve les statuts de l’association établis le 26 mars 195411
Nous avons retracé des détails d’actions de Roger au sein de la
commission agricole pour insister sur le fait qu’il préparait tout doucement
mais très intelligemment le terrain pour son fils qui allait lui succéder dans
la ferme. En même temps il se passionnait du devenir de son village. Il
n’envisageait pas la vie à Val d’Isère sans la présence des animaux dont il a
défendu le droit au respect malgré l’arrivée des touristes et la
marginalisation de l’agriculture, tant lui paraissait important leur rôle dans
11
Source extraite du registre des délibérations du conseil municipal de la république
française signé par le sous-préfet d’Albertville. Archives de Val d’isère.
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le maintien de l’environnement, les chemins que formaient les vaches en
sillonnant la montagne servant à retenir le sol.
Il a été conseiller municipal de 1959 à 1977, détaché durant ces dixhuit années à la commission agricole. A la fois éleveur et président de la
commission, reconnu comme quelqu’un de juste et apprécié de tous les
Avalins12. Son activité agricole se montrait tout de même importante selon
ce tableau :
Recensement du 16 mai 197413
Moutons
envoyés
troupeau
communal
Roger
Mattis
au Bétail hiverné14 a
Val d’Isère
Moutons
17
20
vaches
21
Hiverné
à
15
l’extérieur
Génisses
15
Mon grand-père avec son avant-gardisme certain dans l’évolution de
Val d’Isère avait gardé les pieds sur le plancher des vaches et en laissait
maintenant la responsabilité à un de ses cinq garçons : mon père, Alain.16
1976
Recensement par éleveur du bétail et du nombre de bêtes à inalper 17
vaches
génisses
taureaux
Moutons
hivernés
veaux à Val
Génisses
hivernées
hors
commune
Bovins
à
inalper
Ovins à
inalper
Mattis
12
les Avalins sont les habitants de Val d’Isère
ce tableau est issu des archives de Val d’Isère
14
hivernés : passé l’hiver à Val d’Isère cette information nous donne la capacité de la
ferme de mon grand-père à accueillir 21 vaches plus 17 moutons.
15
Hivernés à l’extérieur : l’étable trop petite, mon grand-père descendait pour l’hiver
ses bêtes chez d’autres éleveurs de Bourg-Saint-Maurice ou des alentours.
16
La ferme de mon grand-père était toute destinée à mon père. Puisque d’après
l’interview de Gérard il nous confia que mon père rentrait de l’école et se précipitait
pour aller s’occuper des bêtes.
17
Inalper n’existe pas dans le dictionnaire de la langue française c’est de l’argot, cela
signifie le nombre de bêtes à monter en alpage. L’alpage est un haut-lieu dans la
montagne où pâturent les vaches durant tout l’été.
4
13
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Alain
et
père18
31
4
2
10
20
16
30
20
Il y a 5 génisses19 et 10 vaches en plus, l’avenir de la ferme se faisait
prometteur. Nous observons dans la vie de ce grand-père une volonté
d’entrepreneur afin d’assurer un avenir à ses enfants. La ferme qu’il léguait
à mon père deviendra sa grande entreprise. A travers le chapitre suivant se
poursuivra l’œuvre de Roger Mattis, au travers de mon père, par la création
de son métier. Mon grand-père a laissé de grandes traces pour les futures
générations… Nous allons entrer en détail avec la préparation des concours
agricoles symbole de l’épopée de mon père…
18
Mattis Alain et père, cette appellation montre que le relais de la ferme se faisait
petit à petit du père au fils.
19
Bête de moins de deux ans
5