Nanotechnologies et pays en développement
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Nanotechnologies et pays en développement
les risques environnementaux, sanitaires et éthiques liés à la recherche, à l’industrialisation et à l’usage des nanomatériaux est indispensable. Les pays d’Afrique, d’Amérique latine et des Caraïbes membres de la SAICM insistent sur la nécessité d’un soutien financier, technique et juridique aux pays en développement afin qu’ils puissent mettre en place des programmes efficaces de prévention et de gestion des risques. DEUX APPROCHES POUR ANTICIPER ET MINIMISER LES RISQUES DANS LES PED En Amérique latine, le réseau Relans (Latin American Nanotechnology and Society Network) est un forum de discussion et d’échange entre universitaires, gouvernements et sociétés civiles. Depuis 2006, il examine et évalue les implications sociétales, économiques et environnementales des nanotechnologies développées en Amérique latine et/ou en collaboration avec l’étranger ainsi que des produits importés qui contiennent des nanocomposants. >>> En Asie du Sud, le Centre de recherches pour le développement international canadien (CRDI) accompagne l’Inde, le Pakistan et le Sri Lanka dans l’encadrement des politiques de réglementation des nanotechnologies afin que chaque pays conçoive un cadre d’appréciation des risques. L’ensemble doit concourir à l’établissement d’une plate-forme régionale d’apprentissage sur les politiques nanotechnologiques. >>> En conclusion Politiques & Pratiques de développement Comité éditorial : M. Bessières C. Castellanet Y. Le Bars C. Le Jean D. Ribier G. Winter Rédacteur en chef : M. Lévy © Gret Le domaine des nanotechnologies est complexe et évolue rapidement. Chaque pays doit retrouver la maîtrise de son avenir, bénéficier équitablement des avancées nanotechnologiques en minimisant les risques pouvant avoir un impact durable sur son environnement, son économie et sa société. Des voies existent pour cela et les acteurs de la coopération internationale ont un rôle à jouer en favorisant notamment : la mise en place d’espaces internationaux d’information et de décision sur les nanotechnologies favorisant l’accès aux connaissances et la mise en œuvre d’une gouvernance Lebret M.-C., Chetaille A., Colin Detcheverry M., Benoît Browaeys D., Risques et opportunités trans-sectoriels des nanotechnologies pour les pays en développement, Étude de l'AFD, mai 2010. >>> Maclurcan D., Il faut développer une approche plus équitable de la nano-innovation, novembre 2010. >>> Projets innovants et politiques publiques Contribution au débat Notes d’opinion Azoulay D., SAICM and Nano, A unique chance to develop an international governance mechanism for this new emerging issue, Center for International Environmental Law, novembre 2011. >>> Ces notes sont destinées à alimenter la réflexion sur les politiques de développement en se fondant sur l’expérience du Gret et de ses partenaires. ETC Group, The potential impacts of nanoscale technologies on commodity markets: The implications for commodity dependent Developing countries, South Centre, november 2005. >>> http://wikinanos.fr et http://veillenanos.fr http://nano.acen-cacen.org http://debatpublic-nano.org http://www.observatorynano.eu/ http://www.etcgroup.org/en/issues/nanotechnology http://www.nano-dev.org Pistes d’actions pour des décisions plus concertées et plus équitables Photos : © Nasa mondiale des nanotechnologies. La mise en place d’un observatoire international des acteurs, pratiques et connaissances nanotechnologiques, orienté sur les spécificités des pays en développement, serait un premier pas pertinent pour une orientation plus efficace des actions d’appui à mener ; l’orientation des recherches scientifiques vers des solutions répondant aux besoins du Sud, l’innovation nanotechnologique étant une source de solutions parmi d’autres, avec des risques et des bénéfices à mesurer et comparer à ceux résultant d’approches alternatives, en collaboration avec les régions et populations concernées ; la prévention des risques nanotechnologiques spécifiques au contexte des PED par la mise en place de régulations et d’études sur les risques sanitaires, environnementaux et socio-économiques afin de protéger les écosystèmes et les populations des PED. Marie-Christine Lebret, Gret ([email protected]), Mathilde Detcheverry Colin, Avicenn ([email protected]), en collaboration avec Dorothée Benoit Browaeys, VivAgora ([email protected]) Gret, Campus du Jardin tropical, 45 bis avenue de la Belle Gabrielle 94736 Nogent-sur-Marne Cedex, France tél. +33 (0)1 70 91 92 00 - fax +33 (0)1 70 91 92 01 - [email protected] - www.gret.org NUMÉRO 7 JUILLET 2012 Nanotechnologies et pays en développement Pour en savoir plus Diffusion et abonnement : [email protected] 4 Politiques & Pratiques de développement Références 1. Nano-aérogel. 2. Nanofibres en céramique pour le filtrage de l’eau. Maquette : Hélène Gay. Politiques & Pratiques de développement Fondé en 1976, le Gret est une association sans but lucratif, regroupant des professionnels du développement solidaire. Il soutient des processus de développement durable, en milieux urbain et rural, en s’appuyant sur l’équité sociale, la promotion économique et le respect de l’environnement. Souvent présentées comme une solution à de nombreux problèmes rencontrés dans les pays en développement (PED), les nanotechnologies peuvent-elles contribuer à l’atteinte de certains des Objectifs du Millénaire pour le développement ? Ces technologies émergentes rendent possible la fabrication d’objets et/ou le développement de procédés à l’échelle nanométrique − de l’ordre de l’infiniment petit, le milliardième de mètre − où apparaissent des propriétés nouvelles intéressantes et autant de promesses d’applications dans différents domaines : production et stockage de l’énergie, productivité agricole, traitement de l’eau, dépollution ou encore diagnostic et traitement de maladies, etc. Toutefois, les conditions ne sont pas encore réunies pour que les PED, et plus particulièrement les pays les moins avancés (PMA), bénéficient équitablement et sans risque des progrès potentiels issus des nanotechnologies. Des innovations peu adaptées au Sud et des risques mal maîtrisés La recherche publique mondiale en nanotechnologie est passée d’un milliard de dollars en 2000 à près de dix milliards de dollars en 2011. Depuis l’annonce de la mise en œuvre de la National Nanotechnology Initiative nord-américaine en 2000, la plupart des pays industrialisés se sont dotés de programmes nationaux de recherche en nanotechnologies, accélérant l’augmentation de l’investissement public dont le taux de croissance est estimé à 20 % ces trois prochaines années. Pourtant, cette recherche ne s’engage que faiblement pour identifier des solutions aux problèmes agricoles, sanitaires ou énergétiques au Sud. Crèmes antirides, matériaux plus résistants ou revêtements antisalissure sont destinés aux marchés du Nord, tandis que les applications pouvant répondre aux besoins des pays du Sud sont encore rares ou en développement (nanomembranes pour la purification de l’eau, nanorevêtements pour les panneaux photovoltaïques, nanopatches pour la vaccination faciles à conserver et à administrer, par exemple). Par ailleurs, au Nord comme au Sud, les risques sanitaires et environnementaux des nanotechnologies sont encore mal connus et très peu de moyens sont consacrés à leur étude et leur prévention. Plusieurs milliers de produits de grande consommation comportant des composants nanométriques circulent déjà librement sur le marché, sans identification ni information au consommateur, alors que du fait de leur taille, certains composants sont en mesure de franchir les barrières biologiques humaines et de nuire à la santé. Dans les pays industrialisés, des agences sanitaires chargées d’évaluer et de prévenir les risques recommandent l’application du principe de précaution afin d’assurer la protection des citoyens, des travailleurs ou de l’environnement. En revanche dans les PED, la faiblesse des réglementations nationales amplifie les risques Politiques & Pratiques de développement d’impact négatif d’un développement nanotechnologique non maîtrisé et non concerté alors que s’y trouve une grande partie de la biodiversité mondiale. Par ailleurs, les substitutions potentielles de nanomatériaux aux matières premières traditionnelles menacent les économies du Sud, dépendantes de ces filières. Par exemple, l’intégration en cours de nanoparticules de carbure de silicium dans les pneus pour l’amélioration de leur résistance pourrait affecter la demande de caoutchouc naturel et perturber les économies de la Thaïlande, de l’Indonésie et de la Malaisie, trois des plus importants producteurs mondiaux de caoutchouc. Des pistes pour favoriser la contribution des nanotechnologies au développement Afin de favoriser la montée en compétence des acteurs du Sud pour une appropriation choisie et plus équitable des nanotechnologies, plusieurs pistes d’actions peuvent être poursuivies. Promouvoir des espaces internationaux d’information et de décision Si depuis quelques années, un corpus d’informations et de connaissances s’est constitué sur le sujet des nanotechnologies et des PED, les dispositifs de collecte et de diffusion d’informations spécialisés sont encore rares (parmi eux, les services Nanotechnology and Development News du Meridian Institute - www. merid.org - ou la rubrique Nanotechnologies du portail scidev.net du réseau Sciences et développement). Par ailleurs, ils fédèrent des sources principalement anglophones et ne couvrent encore qu’insuffisamment l’ensemble des sujets d’intérêt pour les pays en développement, tels que l’étude des risques ou des résultats des initiatives et expériences en cours. En novembre 2011, le Centre d’analyse stratégique (CAS), rattaché à Matignon, a préconisé le développement d’un observatoire européen voire mondial des nanotechnologies en soutenant dans un premier temps la pérennisation de l’Observatoire européen ObservatoryNano. Il ne fait toutefois pas spécifiquement référence aux PED. 22 La compréhension de ce sujet complexe, la sensibilisation et l’appui à la décision nécessitent en premier lieu d’améliorer la diffusion des connaissances et de renforcer une offre d’informations appropriées aux acteurs du Sud : décideurs, scientifiques, industriels, opérateurs d’appui et sociétés civiles. N U M É RO 7 JU I LLE T 2 01 2 La facilitation de l’accès des PED aux résultats de recherche devrait aussi favoriser un usage plus équitable de la recherche au niveau mondial. Des initiatives existent concernant les publications scientifiques mais le système actuel des droits de propriété intellectuelle (DPI) limite l’accès des PED, et en particulier des PMA, aux brevets et licences déposés dans le domaine nanotechnologique. Une refonte du système des DPI orientée vers une politique de libre accès aux résultats de la recherche financée sur fonds publics et l’introduction de clauses de sauvegarde servant l’intérêt public favoriseraient l’accès des PED. UNE INITIATIVE POUR RENFORCER L’ACCÈS AUX RÉSULTATS SCIENTIFIQUES DES PED L’International Cooperation Partner Countries (ICPC Nanonet, www.icpc-nanonet.org) est un projet européen, initié en 2008, qui associe l’Europe, la Chine, l’Inde, la Russie et l’Afrique, développant l’accès aux publications dans le domaine des nanosciences (www.nanoarchive. org) et les opportunités de collaboration entre scientifiques de l’Union européenne et de l’ICPC. Les propriétés particulières des nanotechnologies, notamment leur invisibilité et leur capacité à se diffuser sans possibilité de contrôle, ainsi que leurs risques inédits et mal cernés leur confèrent un caractère dit « pervasif ». Un développement responsable oblige à l’édiction de règles et au maintien d’une vigilance s’affranchissant des frontières, autrement dit la mise en place d’une gouvernance à l’échelle mondiale dépassant les intérêts particuliers, privés ou nationaux. Or aujourd’hui, des cadres internationaux pour fixer les définitions et les modes d’évaluation se mettent en place principalement au Nord (aux niveaux de l’OCDE, de l’ISO, de la Commission européenne, du Comité européen de normalisation) sans que les intérêts des pays les plus pauvres ne soient défendus efficacement. L’ÉMERGENCE D’ESPACES DE DIALOGUE INTERNATIONAL ASSOCIANT LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT Entre 2004 et 2008, le processus d’Alexandria a ouvert un dialogue international informel autour des nanotechnologies impliquant 49 pays, dont des pays du Sud. II n’a pas, à ce jour, abouti à des résultats concrets. .../... Depuis 2009, l’initiative de la Strategic Approach to International Chemicals Management (SAICM), créée en 2002 à l’initiative du PNUE et de l’OMS, a porté une attention particulière aux nanomatériaux. Bien que consultatif, ce processus est l’un des seuls dispositifs actifs accordant à ce jour une place aux acteurs du Sud sur la question des nanotechnologies. Les pays d’Afrique, d’Amérique latine et des Caraïbes représentés y ont adopté des résolutions en faveur d’une régulation internationale des nanos. Réorienter l’innovation vers la satisfaction des besoins des PED Récupérer des bribes de progrès réalisés au Nord pour les « plaquer » sur des problématiques du Sud n’est pas efficace : c’est la solution qui doit s’adapter au problème et non l’inverse. Les réponses nanotechnologiques doivent donc être pensées en partant des besoins identifiés avec les populations concernées et tenir compte des contextes économiques, environnementaux et socio-culturels des sociétés dans lesquelles ces solutions seront mises en place. LES NANOTECHNOLOGIES AU ZIMBABWE : UN EXEMPLE DE RÉFLEXION CONCERTÉE En 2006, financés par l’Office of Science and Technology, des chercheurs de l’institut Demos de l’ONG britannique Practical Action et de l’Université de Lancaster ont organisé une série de discussion avec des groupes communautaires et des scientifiques du Zimbabwe sur le rôle potentiel des nanotechnologies dans la résolution des problèmes de ressources en eau du pays (www.practical action.org/nanodialogues-1). En outre, d’autres solutions peuvent exister au Sud, parfois plus simples, économiques ou efficaces, d’ordre technique ou non. Tirer les leçons des précédents transferts technologiques et associer les acteurs concernés à la définition des besoins et des solutions ainsi qu’aux décisions sont des démarches incontournables. Les principes d’accès à l’information, de participation du public au processus décisionnel et d’accès à la justice en matière d’environnement, signés par 40 pays en 1998 dans la Convention d’Aarhus doivent être appliqués aux nanotechnologies et étendus à l’extérieur de l’Europe. Enfin, il serait intéressant de développer des mécanismes pour inciter l’investissement dans la recherche et le développement des nanotechnologies identifiées comme des solutions efficaces et adaptées par les acteurs du sud. Garantir le marché des produits et applications issus de cette recherche, permettrait de stimuler des financements internationaux et de pallier l’absence de marchés solvables pour les investisseurs du Nord. Ce mécanisme, déjà utilisé pour financer la recherche pharmaceutique et le développement de vaccins (à travers l’Advance Market commitment) à l’usage des populations des PED, pourrait offrir des perspectives pour financer la recherche de solutions nanotechnologiques adaptées aux besoins des pays du Sud. Étudier et minimiser les risques spécifiques aux PED Le développement de produits nano fonctionnalisés, plus « intelligents », plus solides ou moins chers peut entraîner des perturbations non négligeables pour les travailleurs et les économies du Sud, dépendantes des filières traditionnelles de matières premières. De plus, le développement de filières clandestines de traitement des déchets nano n’est pas à exclure, pouvant impliquer des risques sanitaires et environnementaux sur les territoires concernés. Pour anticiper, prévenir et faire face aux perturbations potentielles liées aux nanotechnologies dans les PED, une veille permanente, des études prospectives et de mesures d’impact des nanomatériaux sur les travailleurs et économies du Sud sont nécessaires. L’appui à la diversification des débouchés des filières traditionnelles est également à favoriser. De plus, si la recherche en nanotoxicité est insuffisante au Nord, elle est pratiquement inexistante au Sud. Entre 2001 et 2010, le CSIR (Indian Institute of Toxicology Research) en Inde a ainsi consacré à la question des risques un seul de ses 200 projets nano financés par le gouvernement indien. Nanotube de carbone. © Schwarzm Outre les études de nanotoxicité réclamées par de nombreuses institutions scientifiques et associatives au Nord, des études tenant compte des écosystèmes et des caractéristiques des populations des PED sont à renforcer. Enfin, l’appui à la mise en place de cadres réglementaires locaux propices, encadrant 3 Politiques & Pratiques de développement d’impact négatif d’un développement nanotechnologique non maîtrisé et non concerté alors que s’y trouve une grande partie de la biodiversité mondiale. Par ailleurs, les substitutions potentielles de nanomatériaux aux matières premières traditionnelles menacent les économies du Sud, dépendantes de ces filières. Par exemple, l’intégration en cours de nanoparticules de carbure de silicium dans les pneus pour l’amélioration de leur résistance pourrait affecter la demande de caoutchouc naturel et perturber les économies de la Thaïlande, de l’Indonésie et de la Malaisie, trois des plus importants producteurs mondiaux de caoutchouc. Des pistes pour favoriser la contribution des nanotechnologies au développement Afin de favoriser la montée en compétence des acteurs du Sud pour une appropriation choisie et plus équitable des nanotechnologies, plusieurs pistes d’actions peuvent être poursuivies. Promouvoir des espaces internationaux d’information et de décision Si depuis quelques années, un corpus d’informations et de connaissances s’est constitué sur le sujet des nanotechnologies et des PED, les dispositifs de collecte et de diffusion d’informations spécialisés sont encore rares (parmi eux, les services Nanotechnology and Development News du Meridian Institute - www. merid.org - ou la rubrique Nanotechnologies du portail scidev.net du réseau Sciences et développement). Par ailleurs, ils fédèrent des sources principalement anglophones et ne couvrent encore qu’insuffisamment l’ensemble des sujets d’intérêt pour les pays en développement, tels que l’étude des risques ou des résultats des initiatives et expériences en cours. En novembre 2011, le Centre d’analyse stratégique (CAS), rattaché à Matignon, a préconisé le développement d’un observatoire européen voire mondial des nanotechnologies en soutenant dans un premier temps la pérennisation de l’Observatoire européen ObservatoryNano. Il ne fait toutefois pas spécifiquement référence aux PED. 22 La compréhension de ce sujet complexe, la sensibilisation et l’appui à la décision nécessitent en premier lieu d’améliorer la diffusion des connaissances et de renforcer une offre d’informations appropriées aux acteurs du Sud : décideurs, scientifiques, industriels, opérateurs d’appui et sociétés civiles. N U M É RO 7 JU I LLE T 2 01 2 La facilitation de l’accès des PED aux résultats de recherche devrait aussi favoriser un usage plus équitable de la recherche au niveau mondial. Des initiatives existent concernant les publications scientifiques mais le système actuel des droits de propriété intellectuelle (DPI) limite l’accès des PED, et en particulier des PMA, aux brevets et licences déposés dans le domaine nanotechnologique. Une refonte du système des DPI orientée vers une politique de libre accès aux résultats de la recherche financée sur fonds publics et l’introduction de clauses de sauvegarde servant l’intérêt public favoriseraient l’accès des PED. UNE INITIATIVE POUR RENFORCER L’ACCÈS AUX RÉSULTATS SCIENTIFIQUES DES PED L’International Cooperation Partner Countries (ICPC Nanonet, www.icpc-nanonet.org) est un projet européen, initié en 2008, qui associe l’Europe, la Chine, l’Inde, la Russie et l’Afrique, développant l’accès aux publications dans le domaine des nanosciences (www.nanoarchive. org) et les opportunités de collaboration entre scientifiques de l’Union européenne et de l’ICPC. Les propriétés particulières des nanotechnologies, notamment leur invisibilité et leur capacité à se diffuser sans possibilité de contrôle, ainsi que leurs risques inédits et mal cernés leur confèrent un caractère dit « pervasif ». Un développement responsable oblige à l’édiction de règles et au maintien d’une vigilance s’affranchissant des frontières, autrement dit la mise en place d’une gouvernance à l’échelle mondiale dépassant les intérêts particuliers, privés ou nationaux. Or aujourd’hui, des cadres internationaux pour fixer les définitions et les modes d’évaluation se mettent en place principalement au Nord (aux niveaux de l’OCDE, de l’ISO, de la Commission européenne, du Comité européen de normalisation) sans que les intérêts des pays les plus pauvres ne soient défendus efficacement. L’ÉMERGENCE D’ESPACES DE DIALOGUE INTERNATIONAL ASSOCIANT LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT Entre 2004 et 2008, le processus d’Alexandria a ouvert un dialogue international informel autour des nanotechnologies impliquant 49 pays, dont des pays du Sud. II n’a pas, à ce jour, abouti à des résultats concrets. .../... Depuis 2009, l’initiative de la Strategic Approach to International Chemicals Management (SAICM), créée en 2002 à l’initiative du PNUE et de l’OMS, a porté une attention particulière aux nanomatériaux. Bien que consultatif, ce processus est l’un des seuls dispositifs actifs accordant à ce jour une place aux acteurs du Sud sur la question des nanotechnologies. Les pays d’Afrique, d’Amérique latine et des Caraïbes représentés y ont adopté des résolutions en faveur d’une régulation internationale des nanos. Réorienter l’innovation vers la satisfaction des besoins des PED Récupérer des bribes de progrès réalisés au Nord pour les « plaquer » sur des problématiques du Sud n’est pas efficace : c’est la solution qui doit s’adapter au problème et non l’inverse. Les réponses nanotechnologiques doivent donc être pensées en partant des besoins identifiés avec les populations concernées et tenir compte des contextes économiques, environnementaux et socio-culturels des sociétés dans lesquelles ces solutions seront mises en place. LES NANOTECHNOLOGIES AU ZIMBABWE : UN EXEMPLE DE RÉFLEXION CONCERTÉE En 2006, financés par l’Office of Science and Technology, des chercheurs de l’institut Demos de l’ONG britannique Practical Action et de l’Université de Lancaster ont organisé une série de discussion avec des groupes communautaires et des scientifiques du Zimbabwe sur le rôle potentiel des nanotechnologies dans la résolution des problèmes de ressources en eau du pays (www.practical action.org/nanodialogues-1). En outre, d’autres solutions peuvent exister au Sud, parfois plus simples, économiques ou efficaces, d’ordre technique ou non. Tirer les leçons des précédents transferts technologiques et associer les acteurs concernés à la définition des besoins et des solutions ainsi qu’aux décisions sont des démarches incontournables. Les principes d’accès à l’information, de participation du public au processus décisionnel et d’accès à la justice en matière d’environnement, signés par 40 pays en 1998 dans la Convention d’Aarhus doivent être appliqués aux nanotechnologies et étendus à l’extérieur de l’Europe. Enfin, il serait intéressant de développer des mécanismes pour inciter l’investissement dans la recherche et le développement des nanotechnologies identifiées comme des solutions efficaces et adaptées par les acteurs du sud. Garantir le marché des produits et applications issus de cette recherche, permettrait de stimuler des financements internationaux et de pallier l’absence de marchés solvables pour les investisseurs du Nord. Ce mécanisme, déjà utilisé pour financer la recherche pharmaceutique et le développement de vaccins (à travers l’Advance Market commitment) à l’usage des populations des PED, pourrait offrir des perspectives pour financer la recherche de solutions nanotechnologiques adaptées aux besoins des pays du Sud. Étudier et minimiser les risques spécifiques aux PED Le développement de produits nano fonctionnalisés, plus « intelligents », plus solides ou moins chers peut entraîner des perturbations non négligeables pour les travailleurs et les économies du Sud, dépendantes des filières traditionnelles de matières premières. De plus, le développement de filières clandestines de traitement des déchets nano n’est pas à exclure, pouvant impliquer des risques sanitaires et environnementaux sur les territoires concernés. Pour anticiper, prévenir et faire face aux perturbations potentielles liées aux nanotechnologies dans les PED, une veille permanente, des études prospectives et de mesures d’impact des nanomatériaux sur les travailleurs et économies du Sud sont nécessaires. L’appui à la diversification des débouchés des filières traditionnelles est également à favoriser. De plus, si la recherche en nanotoxicité est insuffisante au Nord, elle est pratiquement inexistante au Sud. Entre 2001 et 2010, le CSIR (Indian Institute of Toxicology Research) en Inde a ainsi consacré à la question des risques un seul de ses 200 projets nano financés par le gouvernement indien. Nanotube de carbone. © Schwarzm Outre les études de nanotoxicité réclamées par de nombreuses institutions scientifiques et associatives au Nord, des études tenant compte des écosystèmes et des caractéristiques des populations des PED sont à renforcer. Enfin, l’appui à la mise en place de cadres réglementaires locaux propices, encadrant 3 les risques environnementaux, sanitaires et éthiques liés à la recherche, à l’industrialisation et à l’usage des nanomatériaux est indispensable. Les pays d’Afrique, d’Amérique latine et des Caraïbes membres de la SAICM insistent sur la nécessité d’un soutien financier, technique et juridique aux pays en développement afin qu’ils puissent mettre en place des programmes efficaces de prévention et de gestion des risques. DEUX APPROCHES POUR ANTICIPER ET MINIMISER LES RISQUES DANS LES PED En Amérique latine, le réseau Relans (Latin American Nanotechnology and Society Network) est un forum de discussion et d’échange entre universitaires, gouvernements et sociétés civiles. Depuis 2006, il examine et évalue les implications sociétales, économiques et environnementales des nanotechnologies développées en Amérique latine et/ou en collaboration avec l’étranger ainsi que des produits importés qui contiennent des nanocomposants. En Asie du Sud, le Centre de recherches pour le développement international canadien (CRDI) accompagne l’Inde, le Pakistan et le Sri Lanka dans l’encadrement des politiques de réglementation des nanotechnologies afin que chaque pays conçoive un cadre d’appréciation des risques. L’ensemble doit concourir à l’établissement d’une plate-forme régionale d’apprentissage sur les politiques nanotechnologiques. >>> En conclusion Politiques & Pratiques de développement Comité éditorial : M. Bessières C. Castellanet Y. Le Bars C. Le Jean D. Ribier G. Winter Rédacteur en chef : M. Lévy © Gret Le domaine des nanotechnologies est complexe et évolue rapidement. Chaque pays doit retrouver la maîtrise de son avenir, bénéficier équitablement des avancées nanotechnologiques en minimisant les risques pouvant avoir un impact durable sur son environnement, son économie et sa société. Des voies existent pour cela et les acteurs de la coopération internationale ont un rôle à jouer en favorisant notamment : la mise en place d’espaces internationaux d’information et de décision sur les nanotechnologies favorisant l’accès aux connaissances et la mise en œuvre d’une gouvernance Lebret M.-C., Chetaille A., Colin Detcheverry M., Benoît Browaeys D., Risques et opportunités trans-sectoriels des nanotechnologies pour les pays en développement, Étude de l'AFD, mai 2010. >>> Maclurcan D., Il faut développer une approche plus équitable de la nano-innovation, novembre 2010. >>> Projets innovants et politiques publiques Contribution au débat Notes d’opinion Azoulay D., SAICM and Nano, A unique chance to develop an international governance mechanism for this new emerging issue, Center for International Environmental Law, novembre 2011. Ces notes sont destinées à alimenter la réflexion sur les politiques de développement en se fondant sur l’expérience du Gret et de ses partenaires. ETC Group, The potential impacts of nanoscale technologies on commodity markets: The implications for commodity dependent Developing countries, South Centre, november 2005. >>> http://wikinanos.fr et http://veillenanos.fr http://nano.acen-cacen.org http://debatpublic-nano.org http://www.observatorynano.eu/ http://www.nano-dev.org Pistes d’actions pour des décisions plus concertées et plus équitables Photos : © Nasa mondiale des nanotechnologies. La mise en place d’un observatoire international des acteurs, pratiques et connaissances nanotechnologiques, orienté sur les spécificités des pays en développement, serait un premier pas pertinent pour une orientation plus efficace des actions d’appui à mener ; l’orientation des recherches scientifiques vers des solutions répondant aux besoins du Sud, l’innovation nanotechnologique étant une source de solutions parmi d’autres, avec des risques et des bénéfices à mesurer et comparer à ceux résultant d’approches alternatives, en collaboration avec les régions et populations concernées ; la prévention des risques nanotechnologiques spécifiques au contexte des PED par la mise en place de régulations et d’études sur les risques sanitaires, environnementaux et socio-économiques afin de protéger les écosystèmes et les populations des PED. Marie-Christine Lebret, Gret ([email protected]), Mathilde Detcheverry Colin, Avicenn ([email protected]), en collaboration avec Dorothée Benoit Browaeys, VivAgora ([email protected]) Gret, Campus du Jardin tropical, 45 bis avenue de la Belle Gabrielle 94736 Nogent-sur-Marne Cedex, France tél. +33 (0)1 70 91 92 00 - fax +33 (0)1 70 91 92 01 - [email protected] - www.gret.org NUMÉRO 7 JUILLET 2012 Nanotechnologies et pays en développement Pour en savoir plus Diffusion et abonnement : [email protected] 4 Politiques & Pratiques de développement Références 1. Nano-aérogel. 2. Nanofibres en céramique pour le filtrage de l’eau. Maquette : Hélène Gay. Politiques & Pratiques de développement Fondé en 1976, le Gret est une association sans but lucratif, regroupant des professionnels du développement solidaire. Il soutient des processus de développement durable, en milieux urbain et rural, en s’appuyant sur l’équité sociale, la promotion économique et le respect de l’environnement. Souvent présentées comme une solution à de nombreux problèmes rencontrés dans les pays en développement (PED), les nanotechnologies peuvent-elles contribuer à l’atteinte de certains des Objectifs du Millénaire pour le développement ? Ces technologies émergentes rendent possible la fabrication d’objets et/ou le développement de procédés à l’échelle nanométrique − de l’ordre de l’infiniment petit, le milliardième de mètre − où apparaissent des propriétés nouvelles intéressantes et autant de promesses d’applications dans différents domaines : production et stockage de l’énergie, productivité agricole, traitement de l’eau, dépollution ou encore diagnostic et traitement de maladies, etc. Toutefois, les conditions ne sont pas encore réunies pour que les PED, et plus particulièrement les pays les moins avancés (PMA), bénéficient équitablement et sans risque des progrès potentiels issus des nanotechnologies. Des innovations peu adaptées au Sud et des risques mal maîtrisés La recherche publique mondiale en nanotechnologie est passée d’un milliard de dollars en 2000 à près de dix milliards de dollars en 2011. Depuis l’annonce de la mise en œuvre de la National Nanotechnology Initiative nord-américaine en 2000, la plupart des pays industrialisés se sont dotés de programmes nationaux de recherche en nanotechnologies, accélérant l’augmentation de l’investissement public dont le taux de croissance est estimé à 20 % ces trois prochaines années. Pourtant, cette recherche ne s’engage que faiblement pour identifier des solutions aux problèmes agricoles, sanitaires ou énergétiques au Sud. Crèmes antirides, matériaux plus résistants ou revêtements antisalissure sont destinés aux marchés du Nord, tandis que les applications pouvant répondre aux besoins des pays du Sud sont encore rares ou en développement (nanomembranes pour la purification de l’eau, nanorevêtements pour les panneaux photovoltaïques, nanopatches pour la vaccination faciles à conserver et à administrer, par exemple). Par ailleurs, au Nord comme au Sud, les risques sanitaires et environnementaux des nanotechnologies sont encore mal connus et très peu de moyens sont consacrés à leur étude et leur prévention. Plusieurs milliers de produits de grande consommation comportant des composants nanométriques circulent déjà librement sur le marché, sans identification ni information au consommateur, alors que du fait de leur taille, certains composants sont en mesure de franchir les barrières biologiques humaines et de nuire à la santé. Dans les pays industrialisés, des agences sanitaires chargées d’évaluer et de prévenir les risques recommandent l’application du principe de précaution afin d’assurer la protection des citoyens, des travailleurs ou de l’environnement. En revanche dans les PED, la faiblesse des réglementations nationales amplifie les risques