La clarté des objectifs des tests de produits : une condition
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La clarté des objectifs des tests de produits : une condition
1996.05 La clarté des objectifs des tests de produits : une condition pour augmenter leur validité et réduire l’incertitude liée au lancement des nouveaux produits Sophie Morin-Delerm Docteur en Sciences de Gestion Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’ I.A.E. de Paris Résumé : L’objectif des tests de produits est-il parfaitement clair pour les praticiens et les chercheurs ? En marge des problèmes traditionnels de validité, cet article étudie le rôle des tests de produits dans la politique de produit des entreprises. Il s’attache à définir clairement leurs objectifs en soulignant les différences et les similitudes existant entre tests de produits, sensoriels et de marchés. L’article tend à montrer que la confusion fréquente des objectifs, et donc l’utilisation approximative des tests de produits, remet fondamentalement en cause leur validité et leur utilité, nuisant ainsi à la réduction du risque de lancement des nouveaux produits. Mots-clés : Test de produit, test sensoriel, réduction des risques, lancement de produit, politique de produit. Abstract: Is the aim of product tests perfectly clear for practicians and searchers? Apart from traditional validity problems, this article deals with product tests place in a firm product policy. It pays attention to define their objects by highlighting differences and likenesses existing between product tests, sensorial tests and market tests. Confusing objectives, that is to say using product tests approximately, fundamentally questions their validity and their utility, thus is harmful to risk reduction when launching new products. Key-words: Product test, sensorial test, risk reduction, launching a new product, product policy. 1 Introduction L’environnement économique et industriel de cette fin de siècle comporte une part considérable d’incertitudes irréductibles. L’internationalisation des échanges, les révolutions technologiques, l’intensité croissante de la concurrence sont quelques uns des facteurs conduisant à un bouleversement sans précédent de la gestion des entreprises. Pour survivre dans ce contexte et assurer sa croissance, l’entreprise doit accepter de réexaminer en permanence ses orientations. Cette remise en cause prend, entre autres, la forme d’un renouvellement de ses produits et de ses activités. Le lancement d’un produit représente donc un enjeu stratégique et commercial de taille. Mais comme nous l’expliquent J.H. Davidson [3], l’institut Novaction [7] et P. Kotler [5] les échecs sont nombreux. Un diagnostic établissant leurs causes et les raisons du succès d’un nouveau produit devient alors indispensable. Ainsi, l’ANVAR [1] établit, dans un rapport daté de 1993, que les causes d’échec des programmes d’innovation sont pour moitié d’origine commerciale. Les problèmes commerciaux, multiples et contingents, méritent alors une attention particulière car mieux les comprendre pourrait signifier augmenter les chances de succès des nouveaux produits et assurer un avenir florissant aux entreprises qui les lancent. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 2 Dans cette optique, les acteurs de l’entreprise doivent prendre conscience : - des moments de développement et de lancement pendant lesquels le produit a le plus de chance d’être mis en difficulté ; - des raisons pour lesquelles un produit échoue, ou au contraire, réussit. Les réponses à ces questions ne sont certes pas uniques. Elles ont constitué le fruit de nombreuses réflexions et Novaction [7], dans un document interne à l’entreprise, a émis des hypothèses issues de son expérience. Selon cet institut, 60% des produits échouent lors des tests de concept, des tests techniques et des tests sensoriels. Ensuite, 54% des produits restants faiblissent lors de la réalisation des tests de produits et des tests de marchés. Enfin, 25% des produits rescapés meurent après leur lancement. Ces chiffres mettent bien en évidence “l’épuration successive” liée aux différents stades du lancement évoqués par J.-M. Choffray et F. Dorey [2]. Lancer un nouveau produit est donc de nature hautement incertaine. Les études marketing, quelles qu’elles soient, puisent leur signification dans ce risque. Tout naturellement, le décideur recherche l’information qui lui permettra de comprendre le plus vite possible les besoins des clients, de situer le niveau d’un produit et d’apporter rapidement des corrections éventuelles. Finalement, il espère un outil qui lui offre la base d’une décision un peu moins incertaine. Les tests de produits font partie des outils qui offrent une information essentielle à la décision du lancement. Ils s’appliquent à tous les types de produits mais les entreprises des secteurs de la grande consommation en sont les plus grandes utilisatrices. Ils ont pour objectif de faire évaluer, par le consommateur, les caractéristiques intrinsèques d’un produit et servent donc à mettre en évidence les qualités et les défauts des formules proposées, à situer ces dernières par rapport aux produits concurrents. Les tests de produits répondent à une mission de diagnostic, en aucun cas à une problématique sensorielle ou prédictive. Ils s’adressent à des produits plus ou moins innovants, des produits réellement nouveaux ou des produits existants transformés. A l’issue du test et avant que le produit ne soit livré aux turbulences du marché, les caractéristiques mal perçues sont modifiées. Intégrés à la stratégie d’innovation de l’entreprise, les tests de produits ont pour mission d’augmenter les chances de réussite d’un produit, ils participent ainsi à la réduction de l’incertitude de l’environnement tant recherchée par l’entreprise. Ils prennent une importance d’autant plus grande que le processus de lancement s’accélère en permanence, que la vie d’un produit se raccourcit et que les périodes de rentabilité et de pertes sont de plus en plus marquées et de courte durée. Mais les tests de produits sont régulièrement remis en cause dans les entreprises. Il semblerait qu’ils répondent mal aux objectifs qui leur sont assignés et qu’ils soient trop onéreux en regard de l’information qu’ils prodiguent. Certains praticiens prédisent même leur disparition au profit d’autres techniques tels les tests sensoriels et les tests de marchés. L’objectif de cet article est double : faire valoir l’importance des tests de produits dans la politique de produit des entreprises et insister sur le rôle diagnostic qu’ils remplissent en : - décrivant les tests de produits tels qu’ils apparaissent dans la littérature et dans les entreprises ; - observant la part du budget des études consacrée aux tests de produits dans cinq entreprises de la grande consommation ; - présentant des outils souvent confondus avec les tests de produits : les tests sensoriels et les tests de marchés ; - montrant que les objectifs des tests de produits, des tests sensoriels et des tests de marchés sont bien distincts. Pour répondre aux objectifs de notre recherche, la méthodologie mise en oeuvre se fonde sur deux types de données, secondaires et primaires. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 3 Nous avons tout d’abord exploité des données secondaires en réalisant une étude de la littérature existante complétée par l’analyse approfondie de quelque six cents rapports de tests de produits du secteur de l’hygiène-beauté. Simultanément, nous nous sommes appuyée sur les propos de douze responsables études interrogés en profondeur. L’association des données secondaires et primaires devait permettre de mieux répondre à nos préoccupations. 2 Les tests de produits dans la littérature et en pratique 2-1 Les tests de produits dans la littérature Contrairement aux tests de marchés, les tests de produits ne sont que très rarement abordés par les publications. Celles-ci sont en effet soit anciennes (et anglo-saxonnes), soit le résultat de comptes-rendus d’expériences menées par les instituts d’études en interne mais sans qu’une volonté de transparence, d’homogénéisation, de généralisation n’y préside. Les auteurs proposent le plus souvent des résultats d’expériences mais parviennent très rarement à apporter des réponses et les articles s’achèvent sur une série d’interrogations. Quant aux travaux confidentiels réalisés par certains professionnels, ils leur permettent certes de mener des réflexions personnelles mais celles-ci ne sont pas assez globales et continues pour faire réellement progresser les tests de produits et leur mise en oeuvre, et parvenir ainsi à une augmentation de l’efficacité de ceux-ci. Comment expliquer le relatif silence des auteurs ? Il semblerait que celui-ci soit principalement dû à l’extrême confidentialité qui entoure les tests de produits et leurs résultats. L’étude des procédures et des méthodologies de test est délicate : elle dépend de la transparence des instituts et de leurs commanditaires. Or, et cela se comprend, c’est plutôt la discrétion qui tient lieu de mot d’ordre. Tout ce qui entoure le lancement d’un produit est tenu secret, tout ce qui touche au savoir-faire des instituts est confidentiel. Faute de pouvoir nous référer à des publications nombreuses et complètes sur le thème qui nous occupe, nous avons fondé notre recherche sur un corpus théorique aussi exhaustif que possible afin d’y réunir l’ensemble des interrogations portant sur les tests de produits et de tenter de répondre à l’objectif de notre recherche. 2-2 Les tests de produits en pratique Associée à l’analyse de la littérature, l’étude de quelque six cents rapports de tests de produits cosmétiques et l’analyse des propos recueillis lors de douze entretiens en profondeur avec des spécialistes études de cinq entreprises du secteur de la grande consommation viennent éclairer notre démarche. Grâce à cette recherche exploratoire, nous avons pu : - proposer une définition générale des tests de produits, définition mettant en avant le rôle qu’ils doivent remplir (cf. Introduction) ; - souligner l’utilisation massive des tests de produits dans les entreprises du secteur de la grande consommation ; - montrer que les tests de produits sont très hétérogènes, tant du point de vue de leurs noms que de leurs objectifs, ou encore du nombre et de la qualité des variables collectées, de la catégorie de produits testés, des protocoles de tests utilisés, des techniques de tests choisies, des modes d’évaluation (notes, échelles ou pourcentages d’accord/désaccord). Cette grande diversité _ qui s’apparente à une anarchie des objectifs et des méthodes _ nuit à la compréhension, à la validité et à la mission des tests de produits. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 3 4 Le budget consacré aux tests de produits dans cinq entreprises de la grande consommation Dans cinq des grandes entreprises considérées, le budget des tests de produits représente, un tiers du budget total consacré aux études. Il est environ deux fois plus important que le budget consacré aux tests de marchés. Ce constat confirme l’intérêt que portent les groupes alimentaires et cosmétiques aux tests de produits. Comme l’admettent huit des spécialistes études interviewés, “les tests de produits sont en effet indispensables pour juger de la perception des qualités organoleptiques et hédoniques des nouveaux produits et sont donc particulièrement indiqués sur ces marchés”. Tableau 1 : Ventilation du budget études annuel de cinq entreprises du secteur de la grande consommation† Entreprises CA Budget étu- Budget tests des de produits (en milliards Budget de FF) (en millions de (en % du bud(en % du bud- (en % du bud(en % du budFF) get get get études) get études) études) études) panels Budget tests Autres de marchés (pub., etc.) DANONE (groupe) KRONENBOURG GERVAIS 70 161 30* 15 25* 30* 6 14,5 24 4 13 59 7 16,8 30 10* 20 40* NESTLE 50 125 30 10* 20* 40* L’OREAL 40,2 201* 35* 20* 10* 35* †. Source : Tableau construit à partir de chiffres mis en évidence lors des entretiens en profondeur avec les spécialistes études des entreprises citées. Les groupes Yves Rocher et Procter & Gamble n’ont pas souhaité transmettre leurs budgets études. Légende : Chiffres suivis d’une * = chiffres déduits ou supposés Budget études (BE) total = budget tests de produits + budget panels + budget tests de marchés + autres Dans l’ensemble des industries de la grande consommation, le budget des études représente 1 pour mille à 6 pour mille du chiffre d’affaires. Le budget tests de produits comprend généralement 1/3 d’études qualitatives et 2/3 d’études quantitatives. Remarque : Les tests sensoriels ne sont pas inclus dans le budget études. Ils bénéficient soit d’un budget propre, soit sont intégrés au budget alloué à la R & D. Malheureusement - les entretiens en profondeur et l’analyse des quelque six cents rapports de tests de produits l’attestent - l’utilisation massive des tests de produits ne garantit pas leur efficacité. Il semble que les préconisations apportées par les tests de produits tels qu’ils sont pratiqués aujourd’hui ne suffisent pas à diminuer considérablement le taux d’échecs lors d’un lancement ou d’une reformulation de produit. Selon nos interlocuteurs, cela peut s’expliquer, en partie, par deux raisons importantes : - soit les éléments du mix, associés ultérieurement à la formule évaluée par un test de produits, sont inadaptés au produit et le positionnement choisi est inadéquat ; - soit le test de produits n’a pas été suffisamment performant et c’est la définition des objectifs et l’évaluation des qualités intrinsèques du produit qui doivent être remises en cause. Le premier argument est recevable mais s’éloigne de notre problématique. Il semble, par contre, que la deuxième raison rencontre le coeur de notre sujet. Dans cette perspective et pour mieux comprendre l’objectif des tests de produits et la confusion dont ils sont victimes, présen- IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 5 tons les principes des tests sensoriels et des tests de marchés et expliquons les raisons de l’amalgame des objectifs de chacun des tests. Montrons également l’impact de la confusion des objectifs sur la validité des tests de produits. 4 Analyse comparée des tests de produits, sensoriels et de marchés Eclaircissons la place des tests de produits par rapport aux tests sensoriels d’une part, puis aux tests de marchés d’autre part. Le sujet des tests sensoriels est abordé dans quelques articles spécialisés, celui des tests de marchés en situation réelle ou simulée occupe de nombreux chercheurs, mais l’analyse des objectifs des tests sensoriels et des tests de marchés versus ceux des tests de produits n’a, à notre connaissance, jamais été étudiée. Dans les tests sensoriels, les répondants sont des experts, rompus aux exercices techniques d’évaluation et de description alors que dans les tests de produits, les interviewés sont des consommateurs “innocents”. L’approche du produit est très différente dans les deux cas, les objectifs sont spécifiques à chacun de ces outils et n’aboutissent donc pas aux mêmes décisions. Les tests sensoriels sont, en général, réalisés avant les tests de produits et ont pour but de souligner les défauts techniques rédhibitoires d’un produit. Les tests de produits, quant à eux, servent, comme nous l’avons déjà dit, à mettre en évidence le niveau de satisfaction engendré par chacune des caractéristiques intrinsèques du produit, ils cherchent à montrer si le produit atteint un niveau acceptable aux yeux des consommateurs, si les caractéristiques intrinsèques sont “aimées” ou non par le répondant. Les tests de produits permettent de situer le candidat au lancement par rapport aux produits concurrents. Ils se caractérisent par le recueil d’appréciations hédoniques. Contrairement aux tests de produits, les tests sensoriels, plus techniques qu’orientés marché, ne peuvent suffire pour évaluer le produit. Les tests de marchés simulés ou effectués en situation réelle font l’objet de nombreux articles mais, bien que les objectifs des tests de produits soient souvent assimilés à ceux des tests de marchés, ces derniers ne peuvent prétendre supplanter les tests de produits. En effet, les objectifs des tests de produits ne sont pas du tout les mêmes que ceux des tests de marchés. Alors que les tests de produits évaluent les qualités d’un produit, les tests de marchés prédisent les ventes. Ils sont par conséquent complémentaires, et non redondants. De plus, les techniques qu’ils utilisent sont très différentes. Pourtant, deux professionnels des études interrogés affirment que les tests de produits remplissent, entre autres, un objectif prédictif. Ils nuancent tous deux leurs propos en soulignant qu’ils ne sont pas aussi précis que les modèles mais qu’ils sont tout de même relativement fiables. Nous présentons dans la figure 1, un schéma récapitulant les objectifs des tests de produits en montrant les risques de confusion qui leur sont associés. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 6 Figure 1 : Typologie de modèles de rémunération des compétences sur des axes spatio-temporels Sens logique de mise en oeuvre des tests Mis en oeuvre auprès Objectifs théoriques Applications pratiques TESTS SENSORIELS TESTS DE PRODUITS d’experts de consommateurs de consommateurs dans des conditions réelles ou simulées EPREUVES HEDONIQUES → “j’aime / je n’aime pas” EPREUVES PREDICTIVES de la part de marché, du réachat, du volume des ventes,... EPREUVES DESCRIPTIVES → notes des caractéristiques techniques TESTS SENSORIELS TESTS DE PRODUITS Les tests sensoriels incluent parfois des épreuves hédoniques et demandent aux experts s’ils “aiment / n’aiment pas” et les questionnaires de tests de produits incluent souvent des épreuves descriptives et demandent aux consommateurs d’exprimer les raisons de leur appréciation / non appréciation sur chaque critère. TESTS DE MARCHES TESTS DE MARCHES On demande souvent aux tests de produits d’être prédictifs du succès du produit (questions d’intention d’achat qui apparaissent même en “blind”) CONFUSION ACCIDENTELLE + DETOURNEMENT VOLONTAIRE DES OBJECTIFS = NON VALIDITE DES TESTS DE PRODUITS “On ne peut faire dire aux tests de produits que ce qu’ils sont capables de dire et pas plus. Détourner les objectifs, c’est risquer de perdre une partie de l’information et de mal interpréter les résultats." Propos recueillis auprès d’un coordinateur études du secteur alimentaire IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 4-1 7 Analyse comparée des tests de produits et des tests sensoriels C’est parce qu’il est préjudiciable d’assimiler analyse sensorielle et test de produits qu’il nous a semblé utile, avant toute comparaison, de décrire les différentes épreuves sensorielles employées. Au moyen des tableaux 2 à 4, nous expliquerons les principes des techniques d’analyses sensorielles, leurs avantages et leurs limites. Cette démarche s’explique par : - le relativement petit nombre de publications sur le sujet ; - le fait qu’un certain nombre de techniques sensorielles portent des noms identiques aux techniques de tests de produits ; - le fait que la frontière qui sépare ces deux méthodes d’investigation paraît mince. 4-1.1 Principes des tests sensoriels L’analyse sensorielle est réalisée en laboratoire auprès d’experts. Elle a pour but de décrire les caractéristiques techniques, d’évaluer les qualités intrinsèques d’un produit à l’aide d’individus rompus à l’exercice et relativement fiables quant à leur appréciation. C’est un travail de laboratoire, très en amont du processus de lancement de produit. Les caractéristiques du produit sont notées en fonction de leur degré d’intensité. Aucune notion hédonique ni même aucun jugement de préférence n’intervient. L’expert n’a pas à dire s’il “aime” le produit, ni s’il le “préfère” à son produit habituel. On lui demande d’être le plus objectif possible dans son évaluation. Comparée à toutes les autres techniques, la technique d’évaluation sensorielle apparaît spécifique ; elle est la seule à mettre en oeuvre l’homme, non seulement comme expérimentateur ou praticien, mais également comme “générateur” de données. Trois éléments, indépendants du traitement statistique, interviennent dans la qualité d’une donnée sensorielle : - le groupe d’experts qui fournit la donnée, - l’épreuve, qui est en quelque sorte une clef pour les experts dans la découverte de la donnée, - les modalités opératoires de mise en action de l’épreuve par le groupe (modalités liées au local, à l’échantillon,...). De nombreuses méthodes employées en analyse sensorielle existent. Bien qu’elles soient souvent associées, nous les regroupons en trois types que nous nommons : - méthodes de différenciation : l’épreuve triangulaire, l’épreuve duo-trio, et l’épreuve par paire (comparative) en sont les principales représentantes. Ces techniques ont le même nom que certaines techniques de tests de produits, elles fonctionnent selon les mêmes postulats de départ ; - méthodes de cotation et de notation : l’épreuve de classement des produits selon un critère donné, l’épreuve de classement par catégorie de défauts, l’attribution de notes sont les deux principales techniques de cette catégorie ; - méthodes analytiques ou descriptives : leurs caractéristiques sont proches des méthodes de cotation et de notation mais comportent deux spécificités remarquables que nous décrivons dans le tableau 4 qui suit. Nous consacrerons le paragraphe suivant à la présentation de trois tableaux récapitulant les caractéristiques, les intérêts et les limites des techniques sensorielles. Ils sont le résultat des entretiens en profondeur réalisés auprès des responsables études interrogés. 4-1.2 Tableaux récapitulatifs des techniques sensorielles 4-1.3 Confusion et détournement des objectifs Nous l’avons compris, les tests de produits et les tests sensoriels sont souvent assimilés. Certains responsables études interrogés (trois sur douze) ne font d’ailleurs pas la différence IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 8 Tableau 2 : Techniques sensorielles de différenciation NOM LES METHODES DE DIFFERENCIATION MODALITES DE AVANTAGES INCONVENIENTS ET MISE EN OEUVRE PRECAUTIONS - Aisée à comprenElle consiste à présenter 2 produits dont dre. l’un est répété. Le sujet - Résultats faciles à reçoit donc 3 produits interpréter. codés et il est invité à - Epreuve type de déterminer le produit discrimination quand non la (ou les) caractéristirépété. que(s) modifiée(s) n’est (ne sont) pas supposée(s) a priori. L’épreuve A - non A L’épreuve triangulaire - Les différences recherchées entre produits sont généralement très faibles (sinon l’animateur ferait appel à une épreuve plus économique telle que l’épreuve par paire). Elle consiste à apprendre au sujet à reconnaître le produit A (sauf s’il est supposé le connaître au préalable) et à lui proposer ensuite une série de produits, le sujet étant invité à déterminer pour chaque produit s’il est ou non identique à A. - Elle est recommandée pour les échantillons alimentaires ayant un arrière goût tenace[6]. - Veiller à présenter les échantillons un nombre égal de fois dans chacune des trois positions. - Eliminer toutes les causes qui pourraient entraîner des variations entre les échantillons (différence de température, quantité présentée,...) - Codage des produits. Eviter les associations implicites entre codes. - Comme cette épreuve consiste à demander de déterminer l’échantillon non répété, le sujet prendra en compte toutes les informations sensorielles dont il peut disposer. Si une différence - Eliminer toutes les causes qui pourraient entraîner des variations entre les échantillons (différence de température, quantité présentée,...) - Economique puis- Utile d’ajouter une quesqu’elle peut être réalisée avec deux produits tion complémentaire portant sur la nature des différences seulement. perçues. - Adaptée à la détermination seuils. de IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 9 Tableau 2 : Techniques sensorielles de différenciation (Suite) NOM L’épreuve duo - trio Elle consiste à présenter 2 produits dont l’un est répété et présenté comme témoin. Le sujet reçoit donc 3 produits, l’un est indiqué explicitement comme témoin et le sujet est invité à déterminer parmi les deux autres produits celui qui est identique au témoin. 5 produits sont proposés au sujet : il doit les répartir en deux classes de 3 produits et de 2 produits. par paire L’épreuve 2 / 5 L’épreuve LES METHODES DE DIFFERENCIATION MODALITES DE AVANTAGES INCONVENIENTS ET MISE EN OEUVRE PRECAUTIONS - Elle est recommandée pour les échantillons alimentaires présentant un arrière goût intense, car elle exige moins de prise d’échantillons que l’épreuve laire. - Eliminer toutes les causes qui pourraient entraîner des variations entre les échantillons (différence de température, quantité présentée,...) - Utile d’ajouter une questriangu- tion complémentaire portant sur la nature des différences perçues. Excellente épreuve de sélection puisqu’il n’existe que peu de chances pour qu’un individu ne percevant aucune différence entre échantillons obtienne un résultat correct. - Difficile lorsque le sujet est peu motivé. - Implique que la nature des différences soit spécifiée. - Eliminer toutes les causes qui pourraient entraîner des variations entre les échantillons (différence de température, quantité présentée,...) - Utile d’ajouter une question complémentaire portant sur la nature des différences perçues. - Doit être impérative- Facile à pratiquer. C’est une épreuve ment utilisée à la place de de classement qui por- Efficace du point l’épreuve triangulaire si la te sur deux de vue sensoriel. différence recherchée peut produits. - Adaptée aux petits être enfants et aux illetdéterminée par l’expéritrés. mentateur. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 10 Tableau 2 : Techniques sensorielles de différenciation (Suite) L’épreuve multiple standard duale standard L’épreuve NOM LES METHODES DE DIFFERENCIATION MODALITES DE AVANTAGES INCONVENIENTS ET MISE EN OEUVRE PRECAUTIONS Proche de l’épreuve duo - trio mais au lieu aisée. de présenter au sujet un témoin, on lui présente un témoin et un autre échantillon. Après les avoir examiné attentivement, les produits lui sont retirés puis représentés à nouveau comme inconnus. Il doit alors les identifier. Interprétation - Les produits testés doivent présenter des différences peu marquées. - Eliminer toutes les causes qui pourraient entraîner des variations entre les échantillons (différence de température, quantité présentée,...) - Utile d’ajouter une question complémentaire portant sur la nature des différences perçues. - Résultats assez - Les produits testés doiUtilisée quand le tévent présenter des différenmoin ne peut être re- fins. ces peu marquées. présenté par un seul produit, par exemple - Interprétation délicate. quand il existe une va- Eliminer toutes les cauriabilité importante. ses qui pourraient entraîner On présente au sujet des variations entre les plusieurs standards reéchantillons (différence de présentant le produit température, quantité présentype (présentant des fatée,...) cettes légèrement différentes du produit - Utile d’ajouter une questype) ainsi que tion complémentaire portant l’échantillon inconnu. sur la nature des différences Le sujet est alors invité perçues. à choisir l’échantillon qui diffère le plus de tous les autres. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 11 Tableau 2 : Techniques sensorielles de différenciation (Suite) ou tétraédrique - Aisée à comprenCe test est identique à l’épreuve triangulai- dre. re si ce n’est que les - Résultats assez fadeux produits sont tous ciles à interpréter. deux répétés. - Epreuve de discrimination quand la (ou les) caractéristique(s) modifiée(s) n’est (ne sont) pas supposée(s) a priori. Parmi les échantillons essais, un ou deux témoins cachés sont généralement introduits sans que le sujet en soit informé. Dans ce cas, tous les résultats sont interprétés par rapport aux témoins cachés. L’épreuve de quantification L’épreuve quadrangulaire NOM LES METHODES DE DIFFERENCIATION MODALITES DE AVANTAGES INCONVENIENTS ET MISE EN OEUVRE PRECAUTIONS - Les produits testés doivent présenter des différences peu marquées. - Eliminer toutes les causes qui pourraient entraîner des variations entre les échantillons (différence de température, quantité présentée,...) - Utile d’ajouter une question complémentaire portant - Les différences resur la nature des différences cherchées entre properçues. duits sont généralement très faibles (sinon l’animateur ferait appel à une épreuve plus économique telle que l’épreuve par paire). - Les produits présentés - Assez facile à inElle consiste à doivent présenter des difféquantifier sur un axe terpréter. rences peu marquées. les différences par rap- Résultats assez port à un témoin. - Eliminer toutes les caufins. ses qui pourraient entraîner des variations entre les échantillons (différence de température, quantité présentée,...) - Utile d’ajouter une question complémentaire portant sur la nature des différences entre ces deux groupes de techniques et ne perçoivent par conséquent pas que leurs objectifs sont radicalement différents. Contrairement à ce que nous avons pu recueillir lors des trois entretiens susnommés, les tests sensoriels ne peuvent prétendre remplacer les tests de produits car : - ils ne remplissent pas les mêmes objectifs ; - ils ne s’adressent pas aux mêmes individus. Un détournement des objectifs des tests de produits consiste, entre autres, en l’insertion de questions sensorielles dans les tests de produits. Selon les responsables études interrogés, cette prise de position s’explique par : - une recherche de diminution des coûts des études réalisées. Associer des questions sensorielles au sein des tests de produits permet de réaliser deux tests en un ; IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 12 Tableau 3 : Techniques sensorielles de notation et de cotation NOM LES METHODES DE NOTATION ET DE COTATION MODALITES DE AVANTAGES INCONVENIENTS ET MISE EN OEUVRE PRECAUTIONS - Ne permet pas la compa- Aisée à comprenraison de deux jeux de résuldre. tats même lorsque les - Correspond à une témoins sont insérés dans pratique courante chez chaque jeu. l’individu habitué à hiérarchiser son univers. - Assez lourd. -Adaptée quand le Elle consiste à préL’épreuve de classement senter un grand nom- nombre de produits à - Délicat à interpréter. en blocs incom- bre de produits. Le juger est trop impor- Eliminer toutes les cautant. En fonction du sujet doit classer. plets ses qui pourraient entraîner nombre de sujets et de produits, on indique le des variations entre les nombre de répétitions échantillons (différence de par produit et par sujet. température, quantité présentée,...) L’épreuve de classement Elle consiste à présenter une série de produits. Le sujet doit classer ces produits par ordre d’intensité ou de degré selon un critère donné. - Utile d’ajouter une question complémentaire portant sur la nature des différences perçues. - Aisée à compren- Délicat à interpréter. Les épreuves Le sujet est invité à de cotation attribuer à un produit dre. des catégories qui sont proposées. Dans la cotation, les catégories sont ordonnées sur une échelle (ex : recherches de différents défauts d’un produit). Les épreuves Le sujet est invité à de notation attribuer à un produit des catégories qui sont proposées. Démarche assez naVeiller à proposer une Le sujet attribue une - les épreuéchelle adaptée. ves d’intervalle note selon un barème turelle. (échelle à échelle struc- pré-établi structurée). turée IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 13 Tableau 3 : Techniques sensorielles de notation et de cotation (Suite) LES METHODES DE NOTATION ET DE COTATION MODALITES DE AVANTAGES INCONVENIENTS ET MISE EN OEUVRE PRECAUTIONS NOM - les épreuves d’intervalle à échelle non structurée : l’épreuve de l’estimation de la grandeur ou “magnitude estimation” de Stevens et Moskowitz (1980) Le sujet dispose d’un produit de référence auquel il attribue une note. Il est ensuite invité à donner des valeurs chiffrées proportionnelles aux intensités de sa réaction face à chaque stimulus qui lui est présenté. La valeur attribuée au produit témoin est laissé au libre choix de l’individu. Il convient donc de ramener toutes les valeurs de chaque sujet à une même valeur témoin, lors de l’analyse statistique. - Maîtrise rapide de - Interprétation statistique la technique par le su- difficile ou discutable lorsjet après une courte pé- que l’épreuve est conduite riode d’entraînement comme si les conditions - Remplace l’utili- d’une échelle d’intervalle sation de la méthode étaient respectées. - On peut s’interroger sur la phase d’apprentissage : l’association “degré” d’une qualité et “note attribuée” est-elle toujours réfléchie et réalisée selon une démarche similaire chez chaque individu ? - Ces associations sont-elles stables au cours du test? Tout individu est-il capable de procéder correctement à cette association et - Elle est sensible et permet reste-t-il cohérent dans le temps ? la mesure de faibles différences de perception. - Elle est fidèle et ne se déforme pas au cours du test même quand celui-ci est long. d’échelle d’intervalle avec laquelle le sujet a souvent une certaine répugnance à utiliser les deux points extrêmes. Le sujet est parfaitement libre dans sa notation. - Elle permet d’obtenir des notes d’attributs comparables, traitables par l’outil statistique. Tableau 4 : Techniques sensorielles analytiques ou descriptives Elles, sont souvent dans la pratique des épreuves de classification ou de cotation, puisqu’elles consistent à identifier les propriétés d’un ou de plusieurs échantillons. Elles présentent toutefois deux traits particuliers : - l’ordre dans lequel les propriétés sont perçues est imposé - les catégories ne sont pas toujours définies dans le détail ; parfois seules les grandes classes sensorielles sont définies (aspect, parfum, saveur, texture, couleur) et le sujet doit trouver luimême les catégories utiles. Si le juge est invité non pas à coter mais à noter chaque caractéristique, l’épreuve descriptive relève de l’épreuve de notation. - les demandes répétées des spécialistes marketing qui souhaitent multiplier le nombre de questions dans les tests de produits et recueillir ainsi des informations variées et précises. Cette tendance, soulignée par neuf experts interrogés sur douze, répond à un besoin de sécurité ; - l’interrogation fréquente de “pseudo-experts” remplaçant les consommateurs novices dans certains tests de produits. Comme l’explique un des coordinateurs études interviewés : “Un consommateur fidèle à un produit est un expert dans le sens où il perçoit tout changement éventuel mais n’en est pas un dans l’acception sensorielle du terme car il manque de vocabulaire pour “décrire” les variations.” IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 14 le fait que tests de produits et tests sensoriels affichent un vocabulaire commun pour qualifier certaines techniques. Cependant, et les neuf professionnels des études interrogés le confirment : un “expert” ne peut remplacer un consommateur car : - la “sensibilité spontanée” d’un consommateur reflète les tendances du marché et est loin de la “sensibilité façonnée” des experts. Un des spécialistes interrogés explique : “Quand on dit que les tests consommateurs ne sont pas fiables, c’est totalement faux. Ils sont fiables pour dire “ j’aime / je n’aime pas ” ce produit, à condition, bien entendu, d’avoir pris certaines précautions dans la méthodologie et dans la cible. On en attend beaucoup trop des consommateurs. Ils ne sont pas capables d’expliquer clairement les raisons de leur préférence. Il y a des problèmes de langage.” - certaines caractéristiques, apparaissant comme des défauts graves pour les experts se transforment en qualité pour certains consommateurs. Ainsi, un cacao en poudre qui fait des grumeaux après que le lait ait été remué présente un défaut technique de consistance et d’aspect, mais est très apprécié par certains consommateurs. De la même manière, une crème “anti - âge” se doit d’être légère aux yeux des experts mais certaines consommatrices apprécient les textures épaisses car elles les assimilent à une meilleure efficacité anti - rides. De même, un consommateur ne peut remplacer un “expert” pour : - aider à développer des caractéristiques produits ; - percevoir les différences entre les produits et les qualifier avec minutie. 4-1.4 Comparaison des tests sensoriels et des tests de produits Tableau 5 : tableau comparatif des tests sensoriels et des tests de produits pour 100 consommateurs 60 à 150 KF 1/2 jours à 15 jours / 3 semaines Domicile, Téléphone, Courrier, Salle TP Coûts TS TP 10 KF environ pour 20 experts Durée TS TP 1 heure à 15 jours / 3 semaines Lieu TS Laboratoire 60 à 300 consommateurs Echantillon TS TP 6 à 40 juges signifier les préférences Peu de produits → localiser les différences Techniques TS TP Nombreux produits → Hédonique Descriptif Objectifs TS TP 4-1.5 Confusion des objectifs et validité interne des tests de produits Malgré les divergences consignées dans le tableau ci-dessus, remarquons qu’un point commun unit les tests sensoriels et les tests de produits : le degré de précision des informations et de leur traitement dépend de la maîtrise des méthodes de test, de la compétence et du sérieux des examinateurs. En effet, la validité interne des tests de produits est affectée par un biais appelé l’effet d’instrumentation. Dans le cas des tests de produits, l’instrument peut être un questionnaire mal construit (logique d’enchaînement des questions, types de questions,...), un enquêteur mal formé ou un chercheur incompétent lorsque le rôle de l’interprétation est important dans la recherche, mais aussi une mauvaise définition des objectifs du test. L’effet d’instrumentation sera d’autant réduit que le nombre d’enquêteurs sera faible, que le question- IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 15 naire sera simple, que les questions seront sans ambiguïté, que leur ordre sera logique, que le recueil des données sera très formalisé et que les objectifs seront clairement définis et adaptés à la mission des tests de produits. Ainsi, pour éviter l’effet d’instrumentation et contribuer à une validité interne acceptable, il est indispensable, entre autres, de respecter les objectifs assignés aux tests de produits. Nous l’avons vu, les tests de produits ont pour objectif de faire évaluer le produit par un échantillon de consommateurs. Ceux-ci expriment la satisfaction générée par le produit testé, ils sont amenés à dire s’ils “aiment” ou s’ils “n’aiment pas” le produit et certaines de ses caractéristiques comme son parfum, son goût, sa texture,... Il n’est en aucun cas prévu dans la philosophie d’un test de produits que les interviewés expliquent les raisons de leur appréciation. Ainsi, contrairement aux experts des tests sensoriels, le rôle des consommateurs n’est pas de qualifier les caractéristiques du produit. Essayer de faire dire à un consommateur que le produit testé est trop amer ou pas assez fleuri, c’est déplacer les objectifs du test de produits, c’est l’obliger à bâtir un argumentaire qui ne peut être qu’artificiel compte tenu de sa connaissance succincte du produit et du vocabulaire dont il dispose. Tous les responsables études que nous avons interrogés confirment le manque de vocabulaire des consommateurs pour qualifier pertinemment les caractéristiques d’un produit. Les réponses générées sont souvent impropres à l’analyse car imparfaites quant au choix des termes employés. Cependant, presque la moitié des interlocuteurs rencontrés (soit cinq responsables études) avouent poser des questions “sensorielles” dans les tests de produits. Par leur entremise, ils espèrent obtenir des informations supplémentaires mais admettent que leur interprétation est sujette à caution. Ils utilisent en fait rarement les résultats des questions sensorielles pour reformuler un produit. Ceci dit, ils éprouvent une réelle difficulté à les éliminer des questionnaires car ils subissent la pression des chefs de produits qui exigent de multiples informations, souvent au mépris des contraintes méthodologiques. Une définition claire des tests de produits et une mise en oeuvre sans ambiguïté militent pour l’exclusion des questions sensorielles dans les tests de produits. Sans conteste, ils y gagneront en validité. 4-2 Analyse comparée des tests de produits et des tests de marchés Le but de cette étape est de différencier avec précision les notions de tests de marchés et de tests de produits. Les premiers remplissent un objectif de prédiction, tandis que les seconds permettent de faire évaluer par les consommateurs les caractéristiques intrinsèques du produit à lancer. Contrairement à la démarche optée précédemment où nous avons présenté en détail les tests sensoriels, nous ne décrirons pas les tests de marchés et les modèles car : - ces techniques font l’objet de nombreux articles et sont bien connues des chercheurs ; - elles comptent finalement peu de points communs avec les tests de produits. Nous nous concentrerons donc immédiatement sur le coeur du sujet de notre recherche : les objectifs des tests de marchés versus ceux des tests de produits. Nous établirons quelques comparaisons de ces deux types d’approches et décrirons la confusion des objectifs qui en découle. 4-2.1 Confusion et détournement des objectifs Dans le cas des tests de produits versus les tests de marchés (en situation réelle ou simulée), un détournement des objectifs des tests de produits consiste à dire que la réponse à la question d’intention d’achat présente dans les tests de produits est un indice prédictif de la réussite ou de l’échec d’un nouveau produit. Cette prise de position s’explique par : IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 16 - une recherche de diminution des coûts des études réalisées. Une question d’intention d’achat jugée prédictive permet de faire l’économie de modèles ultérieurement ; - les demandes répétées des gens de marketing qui souhaitent connaître le pourcentage d’intention d’achat favorable. Cette question répond à un besoin de sécurité ; - le fait que tests de produits et tests de marchés ont tous deux pour objectifs de voir si le produit est apprécié, est “au niveau du marché”. Mais un test de produits ne peut prétendre remplacer un test de marchés (en situation réelle ou simulée) car : - prédire le succès d’un produit en disposant de la seule formule (et parfois de la marque quand le produit est testé en identifié), sans autres stimuli, est inconcevable ; - les tests de produits fournissent un jugement hédonique, loin de prédire le comportement d’achat ; Et les tests de marchés, quant à eux, ne peuvent se substituer aux tests de produits car : - pour des questions de coûts, les tests de produits précèdent forcément les tests de marchés. Ainsi, un des responsables études interviewés dit : “Le test de produits n’est pas prédictif d’un succès mais je me refuse à partir en MTS si chacun des éléments du mix n’a pas été testé individuellement. Les MTS sont dix à douze fois plus chers qu’un test de produits. Ils sont certes plus fiables en termes de prédictibilité mais c’est normal car chacun son rôle. On peut cependant dire que, si un bon test de produits ne garantit pas le succès, un mauvais test de produits garantit l’échec.” Un autre spécialiste confirme : “Les tests de produits et les MTS ont des objectifs complètement différents. C’est une pitié de faire un MTS quand on n’a pas validé avant les éléments du mix.” - pour des raisons opérationnelles, la mise au point d’un produit et de son mix marketing est progressive. Dès que la formule est finalisée, les éléments du mix sont mis au point en veillant à la cohérence de l’ensemble. A ce stade, il est relativement aisé de localiser les éléments du mix qui posent des problèmes. Par contre, si le test de marchés révèle des faiblesses, il est relativement difficile de les attribuer à telle ou telle caractéristique. Il est plus facile de remédier aux défauts avant l’étape du test de marchés. 4-2.2 Comparaison des tests de marchés et des tests de produits 4-2.3 Confusion des objectifs et validité nomologique (ou prédictive) des tests de produits Admettre que les tests de produits donnent une idée du résultat ultérieur du produit sur le marché paraît raisonnable, affirmer qu’ils sont prédictifs c’est leur attribuer un rôle qu’ils ne peuvent remplir. Il est clair pourtant qu’un bon niveau d’intention d’achat est de meilleur augure qu’un niveau médiocre. Mais au stade du test de produits, prévoir le succès d’un candidat au lancement sur la base de l’intention d’achat de la formule nue paraît audacieux. Chaque expert rencontré souligne le pouvoir “diagnostic” des tests de produits, mais la plupart d’entre eux réfutent la capacité prédictive des tests de produits. Ils avouent cependant chercher parfois à extrapoler les résultats en essayant de les interpréter au delà de leur signification. Seul un des responsables études interrogés affirme que les tests de produits ont un rôle prédictif. Bien que l’ensemble des options marketing ne soient pas encore finalisées et présentées à l’échantillon interrogé, bien que les résultats des tests de produits n’incluent pas les actions marketing postérieures au lancement, cet interlocuteur assure que les résultats des tests de produits peuvent s’avérer prédictifs s’ils sont interprétés judicieusement et mis en parallèle avec les résultats marché de tests similaires consignés dans une base de données. A partir de cette base, des tris multiples peuvent être réalisés et il est possible de mettre en évidence des moyennes et des fourchettes d’acceptabilité. Ces normes, relatives car dépendantes de certaines conditions de tests, sont évolutives puisque mises à jour dès qu’un nouveau test du même type est introduit dans la base. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 17 Tableau 6 : Tableau comparatif des tests de marchés et des tests de produits SignifiExposition à la cation IA publicité T T T T T T T T T T T T T T T T M P M P M P M P M P M P M P M P = Note globale ou note de satisfaction Prédictif : un des éléments non oui 60 à 150 KF pour 100 consommateurs Coûts Marché test simulé = 200 à 500 KF environ oui Confidentialité Marché test simulé = oui Domicile, Téléphone, Courrier, Salle Lieu Magasin réel ou simulé 4 jours à 1 mois 3 mois à 2 ans Quelques formules → 1 produit finalisé → Hédonique Prédictif ObjecTechniDurée tifs ques de l’étude Cependant, précisons que pour ce même interlocuteur, le terme “prédictif” associé aux tests de produits ne signifie pas strictement “prévision de l’intention d’achat”, “prévision de réachat”, “calcul de volumes”,...mais plutôt tentative de prévision de la réussite globale du produit. En définitive, il faut toujours garder à l’esprit que la validité des tests de produits dépend, en partie, de la clarté de leurs objectifs, que leurs résultats ne sont relatifs qu’à la formule (parfois à une marque lorsque le produit est testé en identifié) et que leur valeur prédictive est faible. Respecter cette approche, c’est contribuer à purifier la mise en oeuvre et l’interprétation des tests de produits et à les rendre plus fiables et plus valides. 5 Conclusion Comme nous venons de le montrer, les tests de produits, largement utilisés dans le secteur de la grande consommation, posent de délicats problèmes d’interprétation, d’autant plus difficiles que leurs objectifs ne sont pas clairs et que l’on cherche parfois à dépasser leur signification. Comment analyser les résultats des tests de produits alors que leurs objectifs sont flous et multidimensionnels ? A l’heure actuelle, les tests de produits paraissent confus dans leurs objectifs : fréquemment, ils posent simultanément des questions descriptives, hédoniques et prédictives. De ce fait, ils ne répondent convenablement à aucun des objectifs pris indépendamment et rendent l’appréciation des résultats délicate. A la lumière de cette réflexion sur la confusion des objectifs, nous conclurons qu’un effort de respect des objectifs serait souhaitable dans l’utilisation des tests de produits. La distinction des objectifs remplis par les tests de produits, les tests sensoriels et les tests de marchés se révèle indispensable pour augmenter la validité des tests de produits et réduire ainsi les risques liés au lancement des nouveaux produits. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 6 18 Voie de recherche Pour entamer une réflexion nouvelle dans le prolongement de notre recherche, nous proposons de mettre en relation des données des tests de produits réalisés auprès de consommateurs et des profils sensoriels de ces produits (obtenus auprès d’experts). L’intérêt est de recueillir séparément des données hédoniques et descriptives et de les mettre en parallèle. Il est ainsi possible de savoir si les préférences des consommateurs pour un ou plusieurs produits peuvent être reliées aux caractéristiques sensorielles de ces derniers (texture, parfum, goût,...) et, dans ce cas, repérer les caractéristiques sensorielles recherchées. Cette démarche permet de recueillir et de compiler des informations essentielles à la prise de décision de lancement d’un nouveau produit. Le schéma récapitulatif de la démarche se présente ainsi : Figure 2 : La mise en relation des tests de produits et des tests sensoriels : vers une meilleure prédictibilité des résultats On cherche à déterminer : des préférences des différences EPREUVES HEDONIQUES auprès de CONSOMMATEURS EPREUVES DESCRIPTIVES auprès d’ EXPERTS La raison des préférences LE PRODUIT IDEAL A l’heure actuelle, rares sont les entreprises qui associent tests de produits et tests sensoriels car cela nécessite une bonne maîtrise des outils employés. Cette démarche commence néanmoins à être explorée par quelques groupes du secteur de la grande consommation. Ce sont ceux qui appliquent systématiquement l’approche standardisée qui semblent les plus avancés dans ce domaine. Nous n’avons cependant recueilli que peu d’informations (cf. Annexe) en la matière car ce sujet s’avère particulièrement sensible. Les quelques témoignages rassemblés nous incitent à penser que cette association constitue sans doute la méthode d’interprétation des résultats des tests de l’avenir. Bien maîtrisée, cette démarche offrira sans doute un avantage compétitif à ses détenteurs. 7 Bibliographie [1] ANVAR, Histoire(s) d’innover, InterEditions, Paris, 1993. [2] J.-M. Choffray, F. Dorey, Développement et gestion des produits nouveaux, Mc Graw Hill, Montréal, 1983. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 19 [3] J.H. Davidson, “Why most new consumer brands fail ?” Harvard Business Review, 2, 1976. [4] P.E. Green, Y. Wind, “New ways to measure consumers’ judgments”, Harvard Business Review, 4, 107-117, 1975. [5] P. Kotler, Marketing decision making: a model building approach, Holt, Rinehart & Winston, USA, 1971. [6] S. Loutrel, “Analyses sensorielles : papilles à louer”, Marketing Mix, 9, 1987. [7] Novaction, “Les déterminants du processus d’adoption des innovations”, IDSI, 1983. ANNEXE Objectifs de la combinaison des outils La combinaison des résultats des tests de produits et des tests sensoriels permet : - d’améliorer certains aspects sensoriels des produits existants en mettant en évidence les caractéristiques qui paraissent les plus importantes et celles qui sont préférées ; - d’anticiper les réactions de préférences des consommateurs afin d’évaluer les chances de succès des produits, en comprenant en quoi les caractéristiques sensorielles influent sur les préférences des consommateurs ; - de créer de nouveaux produits, adaptés aux tendances mises en exergue sur les cartes perceptuelles. ; - de localiser éventuellement plusieurs segments de consommateurs et de les caractériser. Présentation des techniques mises en oeuvre pour favoriser l’interprétation de la combinaison des résultats des tests de produits et des tests sensoriels Les particularités des deux types de données mises en relation conduisent à utiliser deux algorithmes statistiques successifs : la cartographie interne des préférences (MD PREF) d’abord, puis la cartographie externe des préférences (External Multi dimensionnal Mapping ou PREFMAP), qui consistent en une adaptation de l’analyse en composantes principales et de la régression multiple. A l’origine, ces algorithmes étaient le privilège de la Recherche & Développement (P.E.Green et Y.Wind, 1975 [4]) pour segmenter et développer de nouveaux produits. Aujourd’hui, leur association représente un nouvel outil pour les départements marketing. L’intérêt de la cartographie interne des préférences est qu’elle prend en compte des différences individuelles et qu’elle va permettre, à terme, de réaliser une segmentation des consommateurs en fonction de leurs préférences par rapport aux produits. Concrètement, la méthode consiste à réaliser une analyse en composantes principales sur la matrice des données de préférences. Chaque sujet est représenté par un vecteur marquant la direction de ses préférences croissantes et de taille proportionnelle à l’intensité de celles-ci. La carte des préférences est construite par la superposition du plan des produits et du cercle des corrélations (préférences des interviewés). La cartographie externe des préférences, qui consiste à calculer une régression multiple pour chaque consommateur, permet ensuite d’obtenir un espace dans lequel figurent les points idéaux qui représentent le lieu des préférences des consommateurs dans cet espace. Finalement, il devient possible d’expliquer les préférences des consommateurs grâce aux caractéristiques sensorielles des produits évalués par les experts, et comprendre quelles sont les caractéristiques des produits qui expliquent le choix des consommateurs. L’analyse du mapping permet de conclure sur les actions à mener pour améliorer les produits existants ou en développement et, ce en agissant sur les variables pertinentes. Une autre application possible est de déterminer des pistes de nouveaux produits. Précautions à prendre IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 20 Remarquons que cette méthode ne sera opérationnelle, fiable et valide que lorsque les tests de produits seront simplifiés et homogénéisés et qu’ils obéiront à des contraintes spécifiques pour pouvoir supporter la mise en relation pertinente et efficace avec les tests sensoriels. Ainsi, les tests de produits et les tests sensoriels associés doivent répondre à des caractéristiques communes. Il est par exemple conseillé de n’utiliser que des tests de produits réalisés en blind pour éviter que le mix ne “pollue” la perception des individus et rende la mise en relation avec les tests d’experts impossible à exploiter. 1996.05 La clarté des objectifs des tests de produits : une condition pour augmenter leur validité et réduire l’incertitude liée au lancement des nouveaux produits Sophie Morin-Delerm Docteur en Sciences de Gestion Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’ I.A.E. de Paris Les papiers de recherche du GREGOR sont accessibles sur INTERNET à l’adresse suivante : http://www.univ-paris1.fr/GREGOR/ Secrétariat du GREGOR : Claudine DUCOURTIEUX ([email protected]) IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.05 - 22