L`Antipapisme révélé - Henri

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L`Antipapisme révélé - Henri
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L’Antipapisme révélé
ou
les Rêves de l’antipapiste
(1767)
Collection des Gueux Littéraires
Histoire de la littérature marginale
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Édition établie, préfacée et annotée par
Stéphan Pascau
L’Antipapisme révélé
ou
les Rêves de l’antipapiste
(1767)
Henri-Joseph Dulaurens
Les points sur les i
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Aux curieux de l’insolite,
À ceux qui rêvent et ne cessent d’y croire,
Aux littérateurs des ghettos de l’histoire,
À ceux qui cherchent ailleurs le souvenir
de leur oubli,
À nos rares compères des chemins
envasés,
7
Mais, mon père, dis-je au dominicain,
puisgue Dieu était l’auteur de ces
entreprises, pourguoi y périt-il tant
de croisés ?
L’inconstance et l’inqratitude sont le
propre des qrands.
Henri-Joseph Dulaurens,
Le Compère Mathieu, 1766.
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Introduction
Dulaurens est sans doute un rêveur, mais un rêveur philosophe.
Son inspiration, souvent insolite, se nourrit de lectures érudites et
boulimiques, d’observations, d’expériences, d’anecdotes, de souvenirs, de légendes orales, de considérations personnelles ou de
faits divers soigneusement recueillis, notés et compilés, de lucidité
sur les limites du genre humain également. Cette vaste culture, en
dépit d’une complexité déroutante lorsqu’elle est mise en abîme
au gré de ses fictions, reflète pourtant des désirs simples et des
fantasmes ordinaires : Henri-Joseph Laurent (de son vrai nom)
était un homme simple, sans plus de prétention littéraire que de
désir de reconnaissance. Pour autant, ses livres ont souvent été
reçus avec un vif enthousiasme, parfois avec étonnement ou curiosité piquante, malheureusement aussi avec effarement et colère
lorsque leur contenu visait quelque personnalité caricaturée ou
autre autorité malmenée.
Un auteur en marge
L’écriture de Dulaurens n’est certes pas celle d’un philosophe
autorisé. Plus littérateur que maître à penser, l’on ne peut toutefois
s’empêcher de rapprocher son attitude de celle d’un Rousseau en
mode souriant et même chenapan ; Rousseau qu’il a pourtant
rudoyé, peut-être pour trop reconnaître en l’auteur de l’Émile ses
propres faiblesses. Dulaurens doit être reçu avec l’indulgence que
l’on porte à ces artisans du livre humbles et ludiques mais certainement pas insignifiants, étiquetés mineurs et classés au second
rayon moins par prédilection que par mondanité analytique. Il est
de ceux qui revendiquent eux-mêmes leur statut de dilettante,
soucieux de sa complicité avec un lectorat choisi, sincère dans son
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mépris des chasseurs de privilèges, ce qui le rend singulièrement
touchant.
À l’époque où est rédigé L’Antipapisme, brûlot anticlérical
éminemment osé, le blasphème constituait une arme que redoutait
le pouvoir religieux et qui mettait l’auteur en péril. L’insouciance
était aussi la marque de ces libertaires de l’édition qui posaient là,
sans même avoir conscience de leur engagement, les fondements
de l’édifice républicain en gestation.
C’est dans une confrontation utopique entre une vie décevante
et une plume salutaire, entre une folie facétieuse et une raison
désespérée, que le rebelle Laurent postule la légitimité du droit
d’expression. Il va séduire, par sa plus belle authenticité, un public
curieux de libertés subversives.
L’imagination de Dulaurens jaillit comme un feu d’artifice au
fil d’une rédaction qui se disperse de digressions en renvois
savants ou culturels, en épisodes burlesques survenant au cœur de
considérations méthodiques, en saillies et persiflages venant briser
le sérieux d’une possible ouverture de débat. Son éparpillement
apparent n’est pourtant que le reflet d’une personnalité instable et
impatiente, vive et joueuse, mais surtout brillante dans le raisonnement, la démonstration et la répartie. Il y avait cependant une
part de folie latente et d’inconscience non tenue dans les élans de
cet original qui égayait les beaux jours de ses jeunes collègues de
séminaire et séduisait son entourage de l’édition clandestine.
L’auteur et l’homme se confondent dans le tourbillon d’une écriture où s’entrechoquent la fiction la plus délurée, la réflexion la
plus soutenue, mais aussi les frustrations issues d’un statut le
moins accepté.
Nous savons que l’abbé Henri-Joseph Laurent, plus tard baptisé Dulaurens par les éditeurs, n’était pas entré au collège des
jésuites d’Anchin puis en religion en écho à quelque vocation,
mais par contrainte familiale. Toutefois, l’homme se serait accommodé tant bien que mal de sa condition s’il avait pu bénéficier
d’une latitude d’expression et de mouvement que la religion ne
pouvait accepter : Dulaurens s’est toujours affirmé croyant,
respectueux des préceptes initiaux incarnés par le Christ, et enclin
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aux plus simples valeurs morales. Admiratif du talent d’autrui
quoique sévère dans la critique, humble face à l’autorité de raison
et non de droit, toujours empreint de bonté pour les faibles et les
modestes, il n’avait pas l’ambition sociale ou littéraire des
grands ; il avait du moins l’aspiration des « pauvres diables » à
vouloir vivre moins mal et à souhaiter davantage de liberté d’agir.
En l’occurrence, il s’agissait pour lui de liberté de lire, d’écrire et
de publier, autant que son siècle en semait les désirs et les clés. Sa
vie sera celle d’un éternel fuyard en mal de tolérance et d’équité,
poursuivi puis condamné pour ses effronteries pamphlétaires
jugées licencieuses et blasphématoires 1.
Un ouvrage raisonné
Au crédit de cette composition, le bibliophile Constant Leber
rédige la note suivante :
Livre non moins impie et beaucoup plus licencieux que d’autres écrits plus connus du même genre et du même temps. On
l’attribue à du Laurens, l’auteur du Compère Mathieu : dans ce
cas, ce serait le chef-d’œuvre et le plus rare des ouvrages de
l’auteur. 2
Dans un catalogue de librairie de1857, il est fait mention d’une
note manuscrite non datée figurant sur un exemplaire de l’ouvrage
à la revente :
1 On ne sera pas surpris de trouver le nom de Dulaurens répertorié dans La
Libre-pensée et ses martyrs, ou Petit dictionnaire de l’intolérance cléricale
de Maurice Barthélemy, Paris, Librairie de propagande socialiste et anticléricale, 1904, p. 73-74.
2 Catalogue des livres imprimés, manuscrits, estampes, dessins et cartes à
jouer, composant la bibliothèque de M. C. Leber : avec des notes par le collecteur, 1839, Paris, Chez Techener, Libraire, I, chap. VI, “Opinions singulières, déistes, athées, illuminés”, p. 75. J. M. Constant Leber (1780-1859)
vendit sa collection de 6 000 articles à la Ville de Rouen en 1838, pour la
somme de 60 000 francs. Le catalogue de cette collection, rédigé par ses
soins, fut publié en quatre volumes de 1839 à 1852 et sert de base, parmi
d’autres, aux notices du CCFr informatisé.
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Lu avec plaisir, il prédit en 1767 ce qui doit arriver au clergé
et à la religion papiste, et ce qui en effet lui est arrivé dans la
révolution de 1789. (note manuscrite.) 1
Le rédacteur de la note semble avoir inspiré Fernand Drujon
qui écrit en 1888, dans Les livres à clefs, que « ce libelle est
cependant curieux à lire, car on y trouve une espèce de prédiction
de ce qui devait arriver à la religion romaine et au clergé de
France après les événements de 1789 » 2.
L’Antipapisme, pour avoir été condamné et détruit par le feu,
était à nouveau qualifié d’ouvrage « très rare » dans un catalogue
de ventes en 1880 3. Plus récemment, encore mentionné comme
« ouvrage curieux » dans le Catalogue de l’Hôtel des Ventes Lyon
Presqu’île du 15 octobre 2008 (n° 261, p. 44), un exemplaire est
proposé à l’enchère pour un prix initial compris entre 100 et 200
euros ; d’autres exemplaires sont mis en vente par les bouquinistes
pour des sommes variant entre 700 et 1 400 euros sur les principaux sites de ventes réunissant les adresses de professionnels de
toutes nationalités, consultés avant la publication du présent
ouvrage.
Si une impression d’improvisation peut transparaître à travers
ses ouvrages, Dulaurens n’en demeure pas moins un surdoué de
l’écriture parfois spontanée (il a composé certaines de ses publications, conséquentes, en un seul jet et en quelques semaines). Pour
déroutant qu’il paraisse, il fut un littérateur sachant pertinemment
1 “Catalogue de livres anciens et modernes, rares et curieux, qui se trouvent
en vente à la librairie d’Aug. Aubry” (n° 4), in Auguste Aubry, Bulletin du
bouquiniste, Paris, chez A. Aubry Libraire, 1ère année, 1er semestre, 1857,
p. 83 (réf. 573).
2 F. Drujon, Les livres à clef, Etude de bibliographie critique et analytique
pour servir à l’histoire littéraire, Paris, Édouard Rouveyre éditeur, 1888, I,
p. 69.
3 Octave Béhague, Catalogue des livres rares et précieux composant la
bibliothèque de M. le comte Octave de Béhague, membre de la Société des
Bibliophiles français dont la vente aura lieu le Lundi 8 mai 1880 et les
douze jours suivants etc., Ch. Porquet Libraire, 1880, part. 2, p. 5 (réf. 32).
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dans quelle direction partaient ses initiatives rédactionnelles, y
compris lorsque la finalité d’un ouvrage a pu être précisément de
ne pas en avoir (on pense au Compère Mathieu).
Avec L’Antipapisme, composé tardivement et donc après que
notre ouvrier typographe eut acquis une certaine habileté dans
l’ensemble des étapes de confection du livre et de l’écrit, Dulaurens signe un texte parfaitement construit, de fantaisies régulièrement dosées, réparties dans une rédaction aux registres entremêlés
sans dissonances.
Cet ouvrage comporte une épître annonçant le ton de provocation qui va imprégner l’ensemble de la composition, une préface
en forme de réquisitoire contre les idées de trinité, d’idolâtrie,
d’irrecevabilité de certains dogmes considérés comme immuables
par la religion romaine, puis un récit dont on ne peut qu’admirer
l’originalité, l’audace, l’humour et les élans de folie maîtrisée.
L’auteur, parvenant au terme de sa fugue et de sa carrière sans le
savoir encore, nous invite dans ses derniers rêves d’homme libre
tout en nous encourageant à faire la part des nôtres avec bienveillance et lucidité.
Dulaurens ne prêchait pas seulement le droit à l’autocontradiction, il revendiquait le droit au rêve, et même au délire, toujours
par le biais de la dérision, pourvu que l’exercice porte à l’ouverture d’esprit. Ainsi le voyage dans l’autre monde, relaté par le
personnage de Diego dans son fameux Compère Mathieu, est
prétexte à de nombreuses réflexions sur un au-delà possible autant
que sur le sens ou l’origine du rêve ou encore sur la délivrance par
l’imaginaire. Et l’on comprend ici la réticence aux idées d’Aristote, dans la lignée des érudits du siècle dernier, que développe
notre littérateur : même si aucune allusion directe n’est formulée
en ce sens dans L’Antipapisme, Dulaurens exècre le philosophe
grec à travers plusieurs de ses précédentes publications. Le monde
fini et hiérarchisé d’Aristote, rejetant la possibilité de s’en
extraire, était en contradiction avec la liberté de rêver de
Dulaurens et l’espoir plus ou moins avoué de pénétrer ses propres
chimères. Aristote considère que « cette affection que nous
appelons le rêve n’appartient ni à la faculté de l’opinion, ni à celle
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de l’intelligence » (Traité des rêves, 7), or les rêves de Dulaurens
sont hautement raisonnés derrière l’apparence du carnavalesque ;
Aristote rejetait l’idée (admise dans la Bible) de la divination à
travers les rêves (Traité de la divination dans le sommeil),
Dulaurens la prend en compte à demi-mot dans ses fictions.
L’Antipapisme n’est pas un ouvrage fortuit ni une composition
légère comme l’auteur a pu en produire dans l’urgence pour
répondre à ses emportements passionnels ou subvenir à ses
besoins. Il est le fruit d’une logique didactique sur fond d’engagement voltairien, développée à travers le prisme de convictions
militantes. Le déroulement du récit participe d’une esthétique de
la raison aux prises avec la folie où la démonstration se lit dans
l’image, où l’arlequinade le dispute à la créativité.
Une écriture inventive
Dans ce mélange hétérogène cohérent, la satire évolue au fil
d’une fresque fabuleuse aux accents de mascarade contrôlée.
Entre le merveilleux, l’anticipation et le burlesque, le procédé
n’est pas nouveau, mais le résultat donne ici une réussite séduisante. L’intertextualité, toujours très riche chez Dulaurens, renverra parfois aux Estats et Empires de la lune (1657) de Cyrano
pour quelques éléments de forme, ou bien aux accents de Lesage
dans Le Diable boiteux (1707) ou Gil Blas (1715). Par sa teneur,
le récit relève de cette forte tendance du moment à dénoncer les
abus et duplicités de l’autorité religieuse, d’où la difficulté de se
distinguer dans l’exercice sous peine de céder aux facilités de la
mode. L’Antipapisme est un texte anticlérical où la diatribe
dépasse cependant la seule cible du monde catholique si l’on veut
bien se pencher sur les implications, les équivoques, les allusions,
les enjeux qu’il revêt. Malice et suggestion ouvrent ici les accès
d’un imaginaire à facettes d’où chacun tirera sa version allégorique. On peut parler de récit à clés, où les clés ne sont pas uniquement celles que dissimulent les périphrases ou jeux de syllabes
parfois rudimentaires.
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Plus largement, l’idée du roman vu par Dulaurens forme déjà
une originalité en soi, peut-être même une rareté dans le genre du
recueil expérimental (Le Compère Mathieu), et l’on a pu démontrer que cette tendance à l’innovation littéraire, à l’inventivité, est
prépondérante chez notre auteur. Techniquement, elle passe aussi
par le choix des mots et l’orientation de leur sens.
Dulaurens, dont on connaît la propension au ludisme, s’amuse
aussi à inventer ou lexicaliser des mots, dont certains échapperont
aux repères des lexicographes alors que ces mots vont faire date
dans notre histoire linguistique. Le plus célèbre est celui figurant
dans le titre de l’« Histoire merveilleuse & édifiante de Godemiché » 1. Mais quelle est l’origine du nom “antipapiste” mentionné
dans notre intitulé ?
On connaissait les “antipapes” 2, on atteste l’“antipapisme” dès
1736 3 en opposition au “papisme” (1553) 4, dérivé de “papiste” et
prenant alors une connotation péjorative 5, mais la désignation
“antipapiste” n’est répertoriée qu’à partir de 1767 par notre Grand
1 L’Arretin, À Rome, Aux dépens de la Congrégation de l’Index, 1763, II. –
Si l’on se fie à Louis Perceau (Étude sur le mot Godemiché suivi de l’Histoire merveilleuse et véridique de Godemiché et précédé d’une Introduction
de l’objet par le marquis Boniface de Richequeue, À Rome, Aux dépens de
la Congrégation de l’Index, Poitiers, Paréiasaure, 2001), Dulaurens serait le
premier à avoir orthographié ainsi ce mot qui, jusqu’alors, circulait sous les
formes Gaude-Michy, Gaudemichi, Godemichy, Godemichi, Godemichet.
2 Attesté au XVIe s. (Littré) – « Pape qui est opposé à un autre, & qui n’est
pas élu dans les formes » (Richelet, éd. 1680) ; « Nom qu’on donne à ceux
qui prétendent passer pour papes au préjudice de ceux qui ont été choisis
légitimement, & qui causent par cette prétention un schisme dans l’Eglise »
(Prévost, éd. 1750) ; Diderot en dénombre vingt-huit, « du troisième siècle
jusqu’à aujourd’hui » (article “Anti-papes”, Encyclopédie, 1751, I, p. 510).
3 Boyer d’Argens posera ce mot dans ses Lettres juives : « Le séditieux Boucher prenait le même prétexte, pour déclamer contre Henri IV, qu’il accusait
d’anti-papisme, ou de protestantisme » (1738, I, p. 115, in D.D.L., n. 7).
4 Le Robert.
5 Idem, attesté en 1526 – Péj. Personne qui se soumet à l’autorité du pape,
spécialement dans le langage des polémistes protestants, du XVIe au XIXe
siècle ; le nom est « injurieux » selon l’Encyclopédie et le restera jusqu’à
l’édition de 1798 du Dictionnaire de l’Académie qui le qualifiera de « terme
odieux ».
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Robert contemporain sous la définition : « Opposé ou hostile au
pape, à l’autorité papale ». Serait-ce à partir du titre de l’ouvrage
de Dulaurens précisément publié en 1767 ?
Quoi qu’il en soit, Dulaurens utilise “antipapiste” comme
“antimoine”, en jouant sur l’idée comique d’opposition qui se
dégage de la construction lexicale sans forcément chercher à
respecter le sens premier ou académique du terme, même si cela
semble le cas ici. Dulaurens n’était pas opposé à l’autorité du pape
mais uniquement à l’autorité de certains papes.
La question se pose aussi pour le nom “iconoclastie” 1. Ce
terme n’est attesté par Le Grand Robert qu’avec la mention « av.
1868 (Bürger) », sachant qu’“iconoclaste” (n. et adj.) date de
1557, “iconoclastique” de 1705 et “iconoclasme” de 1832. Nos
recherches (modestes) ne nous ont pas permis de trouver d’occurrence du nom “iconoclastie” dans des ouvrages antérieurs à 1800.
Dulaurens serait-il aussi l’inventeur de cet élément de terminologie ? Merci d’avance au chercheur qui nous signalera la présence
d’une telle forme nominale dans quelque ouvrage des siècles
passés.
Enfin, on remarque l’inévitable clin d’œil à Voltaire par la
reprise fugitive de la dénomination “Barjone” attribuée à saint
Pierre, particularité toute lexicale puisque, en effet, Voltaire semble être l’initiateur ou du moins l’un des très rares auteurs à avoir
choisi de baptiser le saint par ce sobriquet francisé à partir de
l’expression latine Bar Iona (Mat., XVI, 17). (“Barjone” est d’ailleurs ici orthographié “Barjome”, sans doute par ignorance et par
erreur de lecture du manuscrit, de la part de l’ouvrier typographe
ou bien du correcteur, car il y a bien eu correction du manuscrit
original comme nous allons le voir.)
Au-delà d’un usage des mots qui, somme toute, ne révolutionnera pas la linguistique et ne fait que confirmer la liberté de plume
d’un auteur dont on connaît l’acuité d’esprit, L’Antipapisme
présente une autre particularité qui semble bien, à ce jour, n’avoir
jamais été relevée.
1 P. 23 de l’éd. originale.
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Un texte relu et amélioré
Dans cette fiction, lors de l’épisode du concile extraordinaire
réuni en vue d’estimer la recevabilité de saint Pierre (chap. IV), il
est dit que le saint « est mandé de la part de l’Eternel, pour faire
révoquer la Bulle que Sa Sainteté vient de donner en faveur des
Disciples de Saint Ignace » 1. Il s’agit de la bulle Apostolicum
pascendi promulguée par Clément XIII le 7 janvier 1765,
réaffirmant solennellement les constitutions de la Compagnie de
Jésus. L’Antipapisme a donc pu être écrit peu après cette date,
probablement au premier semestre de cette année 1765 où
Dulaurens est particulièrement prolifique, bien installé à Liège
chez le libraire de Boubers. 2
Par ailleurs, on notera les dates mentionnées en tête de chaque
chapitre, puisque ce conte se déroule selon une progression journalière datée : les chapitres I à IX font l’objet d’une narration du
25 avril au 3 mai 1767 ; les chapitres X à XIV se déroulent du 3
au 5 juin 1767. A priori, aucune raison calendaire en rapport avec
le récit ne semble justifier quelque utilité narrative à ces dates-là.
Par exemple, bien que l’Ascension soit fêtée le 1er mai, le chapitre
correspondant, dans le conte, ne donne pas lieu à un mouvement
ascendant des personnages ou de l’histoire. Il y a alors peu à réfléchir pour conjecturer que ce texte a été réellement écrit au cours
des dates spécifiées, mentionnées par l’auteur un peu à la manière
d’un journal, mais en 1765, peu après la bulle Apostolicum pascendi. L’année aura été actualisée plus tard, pour correspondre à
la date de publication. En effet, l’ouvrage ne sera publié qu’en
1767 alors que Dulaurens, considéré comme prédélirant, est incarcéré depuis le 31 décembre 1765 et qu’il vient d’être condamné à
la prison à perpétuité.
1 P. 75 de l’éd. originale.
2 Parmi les repères temporels, il était déjà question, en note, de cette « Dame
très-aimable, qui ne vit plus » (I, p. 6 de l’éd. originale), c’est-à-dire de la
marquise de Pompadour, décédée le 15 avril 1764, dont notre auteur a largement eu le temps d’apprendre le décès. La rédaction de L’Antipapisme est
donc bien postérieure à l’année 1764.
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Nous considérons donc que le manuscrit de L’Antipapisme a
été rédigé par Dulaurens entre le 25 avril et le 5 juin 1765. Or, au
premier chapitre de ce conte, on trouve l’indication « qu’une
Escadre de douze Vaisseaux chargés de Loyolistes étoit sortie des
Ports d’Espagne, pour faire voile vers l’Italie » 1. Cet épisode
historique a effectivement eu lieu… le 2 avril 1767. Il faut donc
en conclure que L’Antipapisme, qui n’a pas pu raisonnablement
être repris par l’auteur depuis sa prison et encore moins après sa
condamnation, a été corrigé et complété par une tierce personne
avant d’être publié, sous anonymat. L’attribution à Dulaurens a
cependant toujours été connue, répandue et incontestée 2. Cette
tierce personne a donc probablement voulu rendre un ultime
hommage au condamné, en véhiculant oralement la paternité de
Dulaurens, sans réécrire le texte mais en le complétant et l’améliorant dans le détail significatif uniquement. En l’occurrence, le
complément sur le bannissement des jésuites d’Espagne justifiait
l’idée de revanche dont on pouvait honorer notre auteur pour son
inlassable combat contre l’ordre de Loyola.
De même, il est fort plausible que la signature de BriseCrosses, à connotation martiale, purement anticléricale et dont ce
serait la première et unique utilisation par l’auteur, soit venue
remplacer en 1767 celle de Modeste Tranquille Xan-Xung, la plus
probable et la plus usitée par Henri-Joseph Laurent. À l’appui de
cette vraisemblable signature d’origine, nous observons, dans le
texte, qu’il est fait référence à un « gymnosophiste chinois », ce
qui répond à l’usage d’en appeler à une sagesse extrême-orientale
et correspond aux précédentes références faites habituellement par
l’auteur/narrateur lorsqu’il signait de son pseudonyme favori
(Xan-Xung) en se faisant passer pour chinois. Il s’agirait donc, de
la part du correcteur qui aurait adapté la nouvelle signature,
d’apposer cet ultime sceau de vengeance à l’attention du clergé en
réponse à une condamnation tout juste promulguée.
1 P. 5 de l’éd. originale.
2 Il n’est pas envisageable de douter de la paternité de cet ouvrage : trop de
détails montrent qu’il s’agit bien de la plume de Dulaurens (cf. S. Pascau,
Henri-Joseph Dulaurens (1719-1793), Réhabilitation d’une œuvre, Paris,
Champion, DHS 109, 2006, p. 246-247).
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À propos de cette signature, nous observons qu’elle est posée
sous une “Épître dédicatoire à son Excellence Monseigneur le
Comte de Pétrisaint” que l’on peut également considérer comme
troublante. En effet, cette épître semble fortement inspirée d’un
article du Journal Helvétique daté d’août 1766 où est résumé le
livre du père Gerdolle, L’Abeille, ou Recueil de philosophie, de
littérature et d’histoire (A La Haye, 1755). Ce dernier ouvrage est
un recueil de textes choisis, parmi lesquels figurent quelques
considérations sur la pauvreté des poètes et sur le mécénat pour
les arts. Voici ce que l’on pouvait lire dans le Journal Helvétique :
Un vrai Litérateur, qu’a t-il à faire de ce tas d’insensés, digne
ornement de nos Cercles, de ces petits MECENES, qui avilissent plus les talens, qu’ils protègent par air, qu’ils n’honorent
les Gens de Lettres, assez laches ou assez malheureux pour
ramper devant ces êtres ridicules ? Hommes instruits, que vous
importe le fastueux étalage de ces riches Automates, qui voudroient que l’esprit fut constamment subordoné à l’opulence, à
l’éclat des titres, & à l’éminence des rangs ? 1
On ne peut qu’être frappé par la concordance entre cet article et
les mots et idées qui sont donnés dans l’épître de L’Antipapisme :
Je sais que les Automates reliés en petits Mécènes ne manquent point aux beaux Arts ; ils ne sont que trop communs
pour la honte des petits Auteurs qui les organisent. Mais
comme tous ces Patrons soi-disants Littéraires ne valent pas la
moindre de vos Épitres, permettez, Monseigneur, que j’y
renonce de bonne foi, pour n’aspirer désormais qu’à l’Éternité
de vos promesses.
Sachant que le livre de Gerdolle ne présente pas des termes
aussi précis que ceux figurant dans le résumé proposé par le
1 Journal Helvétique, ou Recueil de pièces fugitives de littérature choisie,
Neuchâtel, de L’imprimerie des Éditeurs, août 1766, p. 202. (Sic pour
l’orthographe – p. 196-208 pour le résumé de l’ouvrage de Gerdolle.)
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Journal Helvétique, seul l’article du journal a pu inspirer l’auteur
de l’épître. Or il est entendu que Dulaurens n’a pas pu écrire luimême cette épître en s’inspirant du Journal Helvétique, puisqu’en
1766 il était incarcéré et mis à l’isolement. Ses effets d’écriture lui
avaient été retirés depuis le mois de mars, et l’on ne peut mettre
en doute qu’il présentait des signes de délire avéré, notamment par
l’incohérence de son expression verbale et écrite 1. En outre, ce
mois d’août 1766 est celui de l’acceptation du transfert de Dulaurens vers une prison ecclésiastique : ce n’était certainement pas le
moment pour lui, à supposer qu’il en ait eu encore la faculté, de
rédiger quelque fantaisie satirique bien tournée à l’attention de
saint Pierre et encore moins de Clément XIII. L’épître a donc très
certainement été reprise ou entièrement composée et signée par un
ami dépositaire de Dulaurens, qui venait alors vraisemblablement
de lire ce passage du Journal Helvétique, peut-être pour tuer le
temps dans une pension de Francfort lors d’une visite à l’auteur.
Il reste à proposer une identification de ce correcteur-éditeur.
1
« Le 19 mars, le doyen bourgmestre se dut d’informer qu’à l’évidence
l’Abbé Laurens était devenu fou. Un examen médical fut immédiatement
ordonné, et le bourgmestre accorda à l’Abbé le matériel d’écriture nécessaire en vue d’évaluer sa lucidité rédactionnelle. Ensuite, l’on adoucit sa
détention et décida de faire venir quelques-uns de ses bons amis. Laurens
écrivit de son initiative une bien triste lettre qui donne une image manifeste
de sa confusion mentale. » (Kurt Schnelle, Aufklärung und klerikale
Reaktion ; Der Prozeβ gegen den Abbé Henri-Joseph Laurens. Ein Beitrag
zur deutschen und französischen Aufklärung, Berlin, Rütten & Loening,
1963, p. 102 [“Lumières et réaction cléricale ; le procès contre l’Abbé
Henri-Joseph Laurens ; un épisode des Lumières allemandes et françaises”] ) Cette lettre est conservée aux Archives Diocésaines de Mayence,
parmi les pièces du procès de Dulaurens : Alte Kästen Nr. K 47/47, Akte
29. Peu après, l’examen mené par le Dr Gladbach révélait que Dulaurens ne
présentait aucune pathologie corporelle mais que son incohérence comportementale était incontestable : le médecin ne parvint pas à obtenir une
phrase sensée du prisonnier. On prescrivit alors au malheureux divers médicaments et des saignées. Dulaurens conserva malgré tout quelque cohérence
approximative qui lui permit de rédiger à nouveau des lettres en vue de
tenter d’orienter sa défense, mais ses capacités d’écriture laissaient toutefois
ses geôliers dans la perplexité, au point que le doyen Dumeiz tenta, à plusieurs reprises mais hélas en vain, d’obtenir une décharge de procès pour
son détenu.
22
L’ami et le correcteur de Dulaurens
Si l’on ne peut douter de la plume de Dulaurens pour l’essentiel du récit de L’Antipapisme, un nom avant d’autres vient à
l’esprit pour la relecture, les ajouts, les finitions, et l’initiative de
la publication.
Le style et la fidélité de Marc-Ferdinand Groubentall de
Linière (1739-1815) paraissent parfaitement appropriés pour ce
travail et ce geste. Groubentall, jeune voisin parisien, ami et très
admiratif de celui qu’il ne connaît encore que sous le nom
d’Henri-Joseph Laurent, son aîné de 20 ans, avait participé en
1761 à l’écriture des Jésuitiques 1 de Dulaurens, composition
violemment diffamatoire envers les jésuites (ce qui lui valut un
bref séjour en prison). Il avait auparavant concouru avec le même
à l’écriture de trois ballades, aujourd’hui égarées mais qui ont été
primées la même année à l’académie de Douai 2. Il a surtout, par
la suite, produit un errata du Balai où sont inventoriées les
coquilles figurant dans le premier tirage clandestin de ce poème
héroï-comique 3. Groubentall, lui-même alors auteur de plusieurs
ouvrages sans prétention quoique l’une de ses pièces ait été
présentée au public, se distingue par un style plus orthodoxe que
celui de Dulaurens, et surtout par une recherche de la meilleure
finition 4. Il a également participé à l’impression illégale des
Jésuitiques ainsi qu’au colportage et à la diffusion du Balai (ce
qui lui valut un second séjour en prison en 1762), de même qu’il a
entretenu une correspondance clandestine régulière avec notre
1 Les Jésuitiques, enrichies de notes curieuses, Rome [Paris], Aux dépens du
général, 1761, in-12, 48 p.
2 Cf. S. Pascau, op. cit., p. 443-448.
3 Le Balai, poème héroï-comique en XVIII chants, Constantinople [Amsterdam], De l’imprimerie du Mouphti, 1762, XXIV-216 p. in-12. – Errata
conservé à la B.M. de Reims, réf. 1977, Fonds ancien, don Deullin.
4 Pour ne citer de Groubentall que deux écrits destinés au tout public : Irus,
ou le Savetier du coin, Genève, 1760 (il s’agit d’un poème moral) ; Le Sexe
triomphant, poëme : Sur les heureux succès de Sa Majesté ImpératriceReine de Hongrie, Bruxelles, 1760 (éloge académique).
23
auteur, y compris après la condamnation de ce dernier par le
tribunal ecclésiastique.
Henri-Joseph Laurent reçut à sa prison de Mayence une lettre
datée du 1er janvier 1772 et signée Grouber de Groubentall 1.
Cette lettre commence ainsi :
Enfin, Mon cher abbé, après avoir épuisé depuis cinq ans tous
les moiens d’avoir de vos nouvelles et de vous donner des
miennes, je crois être néanmoins parvenu à mon But.
Il est donc clair que Groubentall de Linière, qui vivait à Paris, a
été en contact avec notre auteur jusqu’en 1767, c’est-à-dire jusqu’au procès. Groubentall avait les moyens financiers de voyager
et d’agir, par le soutien de sa famille puis plus tard par alliance. Il
a très probablement fait partie de ces trop nombreuses visites
(selon l’autorité) que recevait son ami incarcéré à la prison civile
de Francfort, après l’arrestation de décembre 1765. Il aura ainsi pu
recueillir les confidences et quelques effets cachés d’Henri-Joseph
et de son entourage liégeois, dont le manuscrit de L’Antipapisme,
précieusement conservé et relu par ses soins en attente d’une suite
des événements.
Arrêtons-nous quelque temps sur cet homme au parcours équivoque.
Issu d’une famille de petite bourgeoisie, Groubentall avait eu le
privilège d’accéder à une instruction honorable chez les jésuites
sans pour autant être orienté à l’exercice d’une profession. Né à
Paris, où il demeurera jusqu’à sa mort, il est placé par relations
1 Lettre conservée parmi les pièces du procès de Mayence, Dom und Diözesanarchiv Mainz, loc. cit., Akte 25-26. – La graphie de cette lettre ressemble
beaucoup, quoique plus mature, à celle du jeune Marc-Ferdinand dont nous
avons des suppliques écrites depuis la Bastille en 1762. Une confusion
demeure chez les bibliographes qui distinguent Groubentall de Linière, ami
de Dulaurens, et Grouber de Groubentall, avocat au Parlement de Paris et
auteur d’ouvrages sur la finance dont on dit savoir peu de choses. Nous
allons voir que cette confusion a été entretenue par Groubentall de Linière
lui-même, qui avait choisi de changer de vie et de nom : il s’agit bien de la
même personne.
24
familiales en tant que premier secrétaire à l’hôtel de Turin, au
service de monsieur Hévin de la Thébaudais, maire et député de
Rennes. Enclin aux plaisirs des lettres et spectacles, mais aussi
quelque peu féru de littérature subversive comme beaucoup de
jeunes gens des villes au sortir du collège, il va trouver en la
personne d’Henri-Joseph Laurent, son voisin de chambrée de la
rue Taranne au printemps 1761, un interlocuteur à la hauteur de
ses désirs espiègles d’émancipation. Quoique rêvant plutôt de
reconnaissance littéraire académique, Groubentall ne va pas hésiter à jongler entre l’écriture de prônes et sermons ecclésiastiques,
de poèmes ampoulés, de pièces destinées au théâtre de boulevard,
en même temps qu’il va se compromettre avec enthousiasme dans
le pamphlet clandestin que lui soumit, sans doute à l’origine pour
une simple (re)lecture, son nouvel ami de palier. Sa participation à
la rédaction des Jésuitiques lui vaudra un mois d’incarcération au
Petit Châtelet, le compère Laurent ayant pris la fuite à temps pour
la Belgique puis la Hollande ; sa compromission dans le
colportage du Balai, l’année suivante, va lui coûter plus d’un mois
à la Bastille. Cela ne l’empêchera pas de poursuivre la voie d’une
intégration sociale qui le mènera à la carrière d’avocat (le prince
de Montauban était intervenu pour sa libération de la Bastille),
sans jamais renier ses rêves et amours littéraires ni rompre avec
son ami exilé puis détenu. Groubentall de Linière lui conservera
son amitié, mettant tout en œuvre pour le secourir dans sa prison.
Il sera même, sous le nom de Grouber de Groubentall, en relation
puis en affaires avec le frère d’Henri-Joseph Laurent à Rochefort,
André Laurent, maire et médecin qui a lui-même tenté vainement
de faire transférer son aîné dans sa ville.
L’une des lettres de Groubentall à son ami Laurent, qu’il
adresse en bonne intelligence à « l’abbé de Saint-Albin » encore
installé librement à Liège, fut interceptée par la police en
novembre 1763. On y lit son vif désir de corriger les fautes de
tous les ouvrages publiés par Dulaurens :
25
J’ai vu à Paris votre Aretin, ouvrage plein d’esprit et de
méchanceté ; j’ai reconnu l’auteur au style ; je dirai avec vous,
à cet egard, que
L’on pardonne aisément les sottises d’un livre,
Lorsque l’auteur travaille uniquement pour vivre ;
car, au milieu de mille choses pleines d’esprit, il y a des fautes
et des négligences sans nombre. Toutefois, je voudrois bien
que vous pussiez rencontrer quelqu’occasion de me faire
parvenir tous vos ouvrages, et vous me flatteriez beaucoup. 1
Il y déclare de même avoir fait et faire encore des corrections
au Balai. Bien plus tard, au soir de sa vie, lorsqu’il brossera un
portrait littéraire de celui qui a marqué sa jeunesse, il rappellera
les traits de génie significatifs de Dulaurens mais aussi ses
faiblesses de rédaction élémentaire :
Il est capable de balancer Voltaire tant du côté de l’énergie
que du côté de l’expression. Ses idées sont nerveuses, sa
poésie sonore ; ce n’est point un versificateur, c’est un poëte.
Il écrit parfaitement en prose ; et s’il est possible d’avoir des
idées neuves, je crois qu’il est du nombre de ceux qui peuvent
s’en glorifier. […]
Et avec tant de qualités, croiriez-vous qu’il ne sait pas la
première règle d’arithmétique, et qu’il compte par ses doigts ?
Imagineriez-vous qu’il ignore absolument l’orthographe et les
premiers principes de sa langue ? 2
1 Lettre « A monsieur l’abbé de Saint-Albin, chez monsieur Delbecq, à
l’hôtel du Saint-Esprit, rue Straton, à Liège. », le 12 novembre 1763, signée
“de Groubentall”. Reproduction d’après J. Delort, “L’abbé Du Laurens et
Groubentall de Linière” in Histoire de la détention des philosophes et des
gens de Lettres à la bastille et à Vincennes, Genève, Slatkine Reprints, 1967
[Réimpression de l’éd. de Paris, 1829], Tome III, p. 31-34.
2 Notice de La Chandelle d’Arras, Paris, Egasse Frères, éd. 1807, p. v-vj. –
L’on peut considérer son point de vue un peu excessif, les fautes manuscrites de Dulaurens n’allant pas, pour ce que nous en avons vérifié, au-delà
de la pratique moyenne pour cette littérature de l’inconfort. Mais Dulaurens
était sans doute cyclothymique en matière de méticulosité…
26
Plus loin, au terme d’un inventaire emphatique et imagé des
écrits connus de notre auteur, il informe encore avoir lu de lui
« d’autres ouvrages de prose qui ne décèlent pas moins l’homme à
talent, pour ne rien dire de plus. » 1 On peut comprendre qu’il fait
allusion à L’Antipapisme, ouvrage lu et diffusé en confidentialité,
contrairement à Imirce ou au Compère Mathieu, de publication
antérieure et entrés en grâce auprès du public 2.
Groubentall conservera cette manie du perfectionnisme rédactionnel dans l’ensemble de ses écrits, professionnels et politiques
sous la signature de son nom de carrière. Il va produire nombre de
propositions et dissertations sur l’administration, les finances,
l’autorité, la législation, dont certaines vont lui valoir de nouvelles
incarcérations sous l’Ancien Régime, alors qu’il occupe la
fonction d’avocat et connaît une carrière semble-t-il respectable.
On le retrouvera ainsi embastillé le 8 mars 1785 pour deux mois, à
une heure du matin, sur ordre du roi, ses propositions ayant
manifestement déplu à quelque ministre 3. De fait, il ne perdra ni
son désir de réformes, ni ses convictions antimonacales et même
antichrétiennes, ni son impétuosité à vouloir faire entendre ses
idées quitte à en assumer les conséquences, ni ses ambitions de
lettré et de penseur puisqu’il concourra à plusieurs prix académiques où il sera classé. Parallèlement, il proposera ses services à
l’Encyclopédie et correspondra succinctement avec quelques
grands noms, dont Voltaire et Frédéric II, toujours en signant
Grouber de Groubentall.
Hors l’apparition successive des deux patronymes sous la
même plume et le même esprit dans la vie et la correspondance de
Dulaurens, la démonstration est acquise quant à l’identité unique
de Groubentall de Linière et Grouber de Groubentall, notamment
à travers le développement introductif de l’édition Flammarion de
1949 de l’Appel de Louis XVI à la Nation. Dans cette publication
1 Ibid, p. v.
2 Nous avons dénombré près de quatorze éditions d’Imirce et quarante-cinq
du Compère Mathieu avant 1807.
3 Lettre de cachet signée Louis (du secrétaire de la main), Archives de Paris,
Boîte cote 4 AZ 4, pièce 4 AZ 248.
27
commentée, les auteurs déclarent avoir approché la famille
héritière de Groubentall et disposer de suffisamment d’éléments
pour attester de l’identité indivisible que revêtent ces deux noms :
C’est ainsi que ce personnage jouit de l’étrange privilège
d’être, à la fois, l’un des hommes publics dont il a été le moins
parlé, et sur lequel il a été accumulé cependant le plus
d’erreurs et de contradictions. Des gens qui étaient quasi ses
contemporains en ont fait deux personnages entre lesquels ils
ont réparti ses œuvres et son activité, attribuant les unes à
Groubentall de Linière, les autres à Grouber de Groubentall. 1
Ainsi, dès qu’il décida ou fut convaincu de rentrer dans le rang,
vers 1765, Groubentall de Linière devint Grouber de Groubentall.
Sa jeunesse indécise fut passablement oubliée une fois que la
police eut cessé sa surveillance (sans doute après que Dulaurens
fut mis hors d’état d’écrire), au point que les biographes ont
différencié les deux noms en précisant souvent que l’un et l’autre
faisaient parfois l’objet de confusion à tort !
Nous renvoyons à l’ouvrage cité où sont exposées les raisons
pouvant faire penser que Groubentall a pu un temps se voir attribuer la paternité de cet Appel de Louis XVI à la Nation, en tant
qu’“avocat” potentiellement pressenti pour la défense du roi alors
que l’on croyait encore à une possibilité d’appel pour le monarque
condamné. Il n’aurait en réalité joué pour ce texte qu’un rôle de
coursier, et assurément de correcteur 2. Selon les auteurs, Louis
1 Op. cit. dans le texte, p. 41.
2 Outre son nom manuscrit et autographe figurant sur l’un des tirages de ce
texte, « l’épreuve comporte d’assez nombreuses corrections de la main de
Grouber de Groubentall ; elles sont uniquement typographiques, à part deux
ou trois qui introduisent des modifications d’infime importance. […] C’est
un travail minutieux, fait par quelqu’un de compétent et qui en a une grande
habitude ; mais qui donne l’impression, à tout professionnel de l’édition, de
s’occuper d’un ouvrage dont il n’est pas l’auteur ». (Op. cit., p. 73) « Il est
évident que l’ancien avocat au Parlement corrige un texte qu’il a fait
composer par son imprimeur ; […] un texte qu’il doit pourvoir de pièces
justificatives, enrichir de notes et d’appendices et auquel il a été appelé à
collaborer par un travail complémentaire de mise en œuvre, de correction,
de rédaction explétive. » (p. 75)
28
XVI en serait le véritable signataire, et Groubentall l’aurait prudemment porté sous le bras s’il avait fallu défendre la monarchie,
sachant toutefois que l’ordre des avocats était supprimé au
moment où s’ouvrait le procès du roi ; notre homme occupait alors
la fonction de juge adjoint aux affaires criminelles dans une
section de l’ex-Hôtel de ville. Lorsqu’il fréquentait Dulaurens,
Groubentall de Linière était ouvertement fidèle au roi ; il aura fait
partie de ces nombreux acteurs pris par la lancée d’une histoire
qu’ils ne contrôlaient pas mais à laquelle il fallait s’adapter dans le
moindre mal.
De cette période tourmentée, on retiendra que Groubentall, qui
jouissait alors d’une fortune suffisante, a su garder ses marques en
suivant le mouvement d’une Révolution vécue de l’intérieur,
jusqu’à se retrouver à nouveau incarcéré en septembre 1793.
Comme à chaque fois, il le sera pour ses convictions et son
engagement affichés, et non pour quelque raison délictueuse ou
opportunisme aventureux 1, ce qui lui rend le mérite d’avoir été
l’ami autant que le frère d’armes et de pensée de Dulaurens pour
lequel il souhaitait sincèrement le plus grand bien.
Sur le plan éditorial, il est désormais acceptable de proposer,
pour L’Antipapisme, l’information d’une rédaction effectuée par
l’auteur en fin de premier semestre de l’année 1765, assortie d’une
correction et d’une amélioration définitives de la part d’une tierce
personne au début du second semestre de l’année 1767, juste
avant la parution de l’ouvrage au quatrième trimestre de la même
année. La publication de ce pamphlet magistral, probablement à
l’initiative et sous le contrôle de son fidèle ami Groubentall de
Linière, aura été l’un des plus beaux hommages rendu à l’auteur
1 Groubentall a été arrêté en tant que suspect (on ne sait de quoi), sur délibération des comités civil et révolutionnaire, comme beaucoup d’acteurs
mineurs de la Révolution. Il aura beau se défendre par mémoires juridiques,
il va rester en prison durant treize mois au cours desquels il côtoiera
Malesherbes qu’il connaissait toutefois depuis longtemps et avec lequel il
nourrissait quelques affinités. Il ne sera absous qu’en vertu d’un arrêté de
mise en liberté collective. Cf. op. cit., p. 51-53.
29
condamné, en même temps qu’un pied de nez amer à l’autorité
religieuse.
Dulaurens demeure l’un des plus effrontés mais aussi des plus
saisissants caricaturistes de la figure papale au siècle des Lumières. Son Antipapisme n’a pas d’équivalent.
De sa composition, on appréciera la qualité structurelle et
rédactionnelle au fil d’une histoire emplie de malice, d’audace et
d’inventivité.
De son rêve, on retiendra d’abord la symbolique de l’évasion,
une de plus, vers un ailleurs utopique et révélateur.
De ses idées, ici déployées par messages métaphoriques et
reflets kaléidoscopiques, on soulignera cette inlassable révolte
contre l’autoritarisme et l’étroitesse d’esprit, et ce militantisme
désespéré mais opiniâtre pour la tolérance et le pacifisme.
¤ Les notes de bas de page figurant dans le texte qui suit sont celles de
l’auteur telles qu’elles apparaissent dans l’édition originale, avec une
numérotation par symboles modernisés.
¤ Pour les termes dont le sens pourrait poser problème, nous renvoyons,
par le signe “[G]”, aux définitions de notre glossaire en fin d’ouvrage.
¤ Nos explications et commentaires figurent en notes de fin.
30
31
32
À son Excellence
Monseigneur le Comte de Pétrisaint,
Premier Chambellan du Roi des Rois, Intendant-Général de
tous les Porteurs de Baudriers, Calottes [G] rouges, noires,
et autres couleurs, et son Ministre Plénipotentiaire
auprès de Sa Hautesse Ecclésiastique. 1
MONSEIGNEUR,
Il faut un grand nom à la tête d’un ouvrage. J’ai fait choix
du vôtre, parce qu’il est toisé [G] pour remplir une bouche large
de trois aunes [G]. Qu’un livre soit bon ou mauvais, il suffit d’en
décorer le frontispice pour faire courir après lui. Tout dépend
aujourd’hui de l’annonce, et l’étalage d’une belle affiche couvre aisément les défauts de la pièce.
Je sais que les automates [G] reliés en petits mécènes ne
manquent point aux beaux-arts. Ils ne sont que trop communs
pour la honte des petits auteurs qui les organisent 2. Mais
comme tous ces patrons soi-disant littéraires ne valent pas
la moindre de vos épîtres, permettez, Monseigneur, que j’y
renonce de bonne foi, pour n’aspirer désormais qu’à l’éternité
de vos promesses 3. Daignez protéger l’histoire de mes rêves. Et
puisque la vérité s’y mêle partout, faites-moi l’honneur de les
placer au nombre de ceux que votre plume a consacrés ; et que
mon livre ne soit effacé de la Terre, que pour vivre à jamais
dans le Ciel et trouver sa place dans la Bibliothèque des
Anges 4.
Je suis très respectueusement,
Monseigneur,
Votre très humble, très obéissant, et très zélé serviteur,
BRISE-CROSSES.
33
PRÉFACE
qui n’est point un Rêve.
Si tous les hommes ne reconnaissent qu’un seul Dieu, tel que la
raison nous l’annonce, ou tel qu’il se peint lui-même dans la grandeur de ses ouvrages, comment concilier l’unité, la perfection divine,
avec la génération d’un fils, qu’on dit être Dieu comme celui qui l’a
procréé ? S’il est vrai qu’il est Dieu lui-même, d’où vient qu’avec le
même principe il veut avoir la même fin qui nous est commune à
tous ? Pourquoi nous prouve-t-il qu’il est homme par sa naissance ?
Et pourquoi permet-t-il que sa divinité se contredise avec sa mort ?
Non, la raison ne peut allier la possibilité d’un Dieu, qui veut naître
homme, avec l’incompatibilité d’un Homme-Dieu, qui se dépouille
de sa divinité pour la reprendre après sa mort. Tout est incroyable,
tout est en opposition dans ce mystère. Comment se peut-il que la
créature donne la vie au Créateur, que la partie produise le tout,
qu’une figure d’argile donne l’être et la force à celui qui la pétrit et la
jette au moule. Il faut pourtant respecter le voile qui couvre cette
contradiction et faire, d’une chose impossible à croire, le premier objet
de sa créance, ou risquer d’être traité d’impie, d’abominable, et jugé
digne d’être brûlé dans ce monde et dans l’autre.
Mais pourquoi condamner la raison qui ne veut point admettre la
possibilité d’un effet qui précède la naissance de sa cause ? Est-il à
présumer que la connaissance des prêtres soit plus étendue que celle
de Jésus ? Eut-il ignoré qu’il était égal à son Père, s’il eut partagé son
essence ? Et puisqu’il a dit lui-même, comme le rapporte très bien
son disciple Jean : « Le Père est plus grand que moi », pourquoi
séparer la divinité paternelle de la sienne ? 1 Quel peut être l’objet de
la différence qu’il a voulu mettre entre l’une et l’autre ? Pourrait-il
être Dieu lui-même sans se connaître ? Et doit-on supposer une essence divine dans celui qui peut l’ignorer et la démentir ?
35
Le Seigneur Jésus s’est-il jamais annoncé pour être le fils de Dieu ?
A-t-il jamais voulu se parer d’une divinité fausse ou réelle ? Oubliat-il un moment qu’il était l’homme juste, et qu’il devait le sacrifice
de son orgueil à l’amour qu’il eut toujours pour la vérité ? Quelle
sublimité de vertu ne fallait-il avoir pour s’élever au-dessus d’un
moyen qu’il aurait pu rendre utile à sa puissance, et même aux desseins qu’on veut lui prêter ? Loin de vouloir être honoré comme fils
de l’Éternel, il se fit une étude, un devoir même, de fermer la bouche
à tous ceux qui lui prodiguaient cet auguste nom, parce qu’il s’en
croyait indigne et qu’il savait bien qu’il ne lui était pas dû. Ce qui
sert à nous prouver que si le Sauveur eût été effectivement de la
même essence que son Père, il n’aurait pas manqué de faire éclater sa
grandeur, de paraître et d’agir en Dieu, puisque de notre aveu même,
c’était le principe et l’unique fin qu’il devait avoir dans sa mission. 2
Me dira-t-on que Dieu même a reçu le tendre nom de Père de la
bouche de Jésus. Mais a-t-il prononcé ce nom dans un autre sens que
celui que nous lui donnons chaque jour, lorsque nous récitons l’oraison dominicale 3 ?
Mais pourquoi chercher à diviniser la naissance de Jésus ? Pourquoi la couvrons-nous d’un voile sacré qu’il déchire lui-même ? Ne
savons-nous pas que l’idée d’un fils de Dieu fait homme naquit au
sein de l’idolâtrie 4 et que cette opinion, qui précéda le berceau du
christianisme, longtemps honorée chez les païens, fut transmise
ensuite aux premiers chrétiens qui la reçurent comme une vérité
sainte et non comme un fruit de l’erreur, puisqu’il devait sa première
culture au paganisme ?
Et ne suffit-il pas de jeter un coup d’œil rapide sur l’Histoire de l’Esprit Humain 5 pour voir qu’il a suivi dans tous les siècles la même
opinion, et qu’en remontant à la source des révolutions qu’il peut
avoir éprouvées, on la découvre tout entière dans la variété des
objets, et non dans l’uniformité des idées, qui se ressemblent chez
tous les hommes et dans tous les âges ? Parcourez la théogonie des
Égyptiens et des Grecs, vous n’y trouverez partout que des dieux
incarnés, ou des hommes déifiés, et le culte qu’on leur adresse sera
l’emblème des différentes qualités qu’ils nous ont fait adorer. Vous
verrez que leurs autels ne diffèrent que par la manière dont on les
36
encense, et qu’à leur empreinte uniforme, on reconnaît partout la
main qui les pétrit ou le ciseau qui les façonne.
De là vient que la religion chrétienne s’accorde si bien avec le
génie des prêtres, dont elle est l’ouvrage, et que les mêmes rapports
qui l’identifient avec l’esprit sacerdotal la mettent sans cesse en
opposition avec la doctrine de Jésus. Car plus on l’examine, plus on
voit qu’il est impossible de concilier l’amour du prochain avec le
système d’une religion qui l’attaque et le détruit. Ce principe, qui
renferme toute la logique des vertus, est d’autant plus contraire à
l’établissement du christianisme qu’il est inséparable du bonheur des
hommes, et qu’on ne peut puiser dans la morale chrétienne que le
poison du bien public et la haine des vertus qui le produisent. Or je
demande si l’homme juste, qui regarde cet amour du prochain comme le premier besoin de l’humanité, et qui connaît assez le vide de
nos cœurs pour sentir qu’il ne peut être rempli que par cette amitié
réciproque ; je demande, dis-je, si l’auteur d’une morale si précieuse
à tous les hommes voudrait ouvrir et corrompre en même temps la
source de notre bonheur, et s’il est possible qu’il voulût mêler dans
nos cœurs le germe de la haine et de la discorde aux semences de
l’amour et de la paix. Pouvait-il ignorer que le calme ne régna jamais
dans le sein d’un nouveau culte, et que plus une religion naissante
croit avoir des droits sur la crédulité des peuples, plus elle a d’ennemis à combattre et de divisions à produire ? Surtout lorsque à
l’exclusion de toutes les autres, elle nous attire et nous flatte par les
promesses d’un bien qui ne peut être donné que par elle ? Le Seigneur Jésus connaissait trop bien le génie des prêtres, pour ne pas
savoir que l’art d’étouffer en nous le germe des vertus sociales était
la première leçon qu’on apprenait à leur école. Il savait trop bien
qu’entre deux autels que l’on encense d’une manière opposée, on vit
brûler de tous temps les flambeaux de la discorde, et qu’il les eut
allumé lui-même avec le feu de l’encensoir qu’il aurait porté dans ses
mains, surtout en opposant une nouvelle religion à celle des rabbins,
qui persuadaient au peuple qu’un temple de porphyre et de marbre 6
était moins agréable à Dieu qu’une synagogue de pierre. L’opinion
de cette erreur avait tellement infecté le judaïsme et corrompu la
source de l’amour fraternel, que le Seigneur Jésus, qui voyait à regret
les divisions schismatiques 7 qui remplissaient la synagogue, crût que
le plus sûr moyen de les calmer était de changer en plaisir le premier
37
devoir de l’humanité, en ordonnant à tous les hommes de s’aimer et
de ne former entre eux qu’un peuple de frères. Que cette loi, si digne
de son auteur, tienne lieu de catéchisme à tous les peuples ! Et que sa
force toujours nouvelle s’augmente avec la douceur que nous gouttons à la suivre !
Si le désir de faire naître un nouveau culte fut entré dans la mission
de Jésus, n’est-il pas vrai qu’au lieu d’une morale incompatible avec
celle des prêtres, il eut adopté le principe sur lequel on doit fonder
toute espèce de religion, et sans lequel elle ne peut subsister, puisque
l’édifice est appuyé sur des fondements qui s’écroulent d’euxmêmes ? Ce principe est que les hommes peuvent offenser la divinité
– cependant au lieu de l’établir, il le détruit entièrement dans la
réponse qu’il fait à ses disciples au sujet de l’aveugle-né. Que toute
la logique des prêtres s’épuise en vains raisonnements pour lui prêter
un autre sens, il n’est pas moins vrai que les disciples de Jésus voulant savoir de lui (*) si cet aveugle, ou son père, ou sa mère avaient
péché, il leur répondit qu’aucun des trois n’était coupable 8.
Par cette réponse laconique, et digne d’être écrite en lettres d’or,
cet homme sage détruisait non seulement le paganisme, mais il sapait
encore les fondements de la synagogue. Et par les différentes secousses qu’il donnait à tous les temples, il ébranlait celui des chrétiens et
préparait la ruine de toutes les mosquées ; car si cet aveugle, qui sans
doute était dans l’âge où l’on offrait des sacrifices à l’avidité des prêtres, n’était coupable d’aucun péché par lui-même, ni par les siens,
comme nous l’apprend celui que nous appelons la Vérité même, que
deviennent toutes les fables des prêtres au sujet du prétendu péché
qu’ils veulent que nous apportions en naissant ? Non seulement on
reconnaît le faux de cette opinion, que l’on veut appuyer de la venue
du Messie, mais encore on voit que tout ce que la religion judaïque
appelle sacrifice n’est qu’un beau recueil de mensonges inventés par
les prêtres. Car enfin, détruisez le péché contre Dieu, vous rompez le
charme qui couvre la magie des prêtres et vous n’avez pas besoin de
leur ministère !
* Jean IX., v. 2.
38
Et qu’est-ce que l’homme, pour pouvoir offenser un Dieu dont la
puissance n’a d’autre mesure que l’immensité de ses bienfaits, qui
voit tous les peuples sauvages et les nations éclairées se confondre et
se perdre également à ses yeux dans le vide immense que remplissent
ses bontés infinies ? Se peut-il qu’une parole, un geste, une pensée et
même une action pût lui déplaire de la part des hommes, puisqu’il
n’est d’autres péchés que ceux que le gouvernement déclare tels, et
qui sont nuisibles et funestes au bien public ? Notre sauveur Jésus at-il reconnu des péchés d’une autre nature ? A-t-il jamais établi la
nécessité des pardons et des indulgences 9 ? Et que deviendraient les
principes du bonheur public, les nœuds de la société, les lois et les
vertus, si le droit de substituer le calme de l’innocence aux remords
du coupable dépendait de trois ou quatre mots de latin aussi mal
entendus que mal articulés ?
Si le seigneur Jésus eut ambitionné la tiare [G], si le faux éclat qui
séduisit de tous temps l’esprit des novateurs eut porté l’illusion dans
un cœur qui ne connut que la sagesse et l’amour des vertus, ne pouvait-il pas réunir dans sa main tout le poids du sceptre et de l’encensoir 10 ? Peut-on se priver de sa fumée, quand on est dévoré de son
ivresse ? N’avait-il pas en son pouvoir tous les moyens d’usurper
l’un et l’autre, puisqu’il pouvait faire servir à ses desseins toutes les
puissances du paganisme qui gouvernaient alors la moitié de l’Univers ?
Jésus n’est pas venu pour nous donner des prêtres, ni pour l’être
lui-même. Il n’a pensé qu’à faire des heureux et des sages, il n’a
prêché que pour nous apprendre à le devenir. Il nous témoigne clairement que sa mission n’est qu’un hommage authentique qu’il a dû
rendre à la vérité. Il est venu pour nous la faire aimer, et nous inviter
à la suivre, tandis que ses prétendus successeurs nous apprennent à
l’éviter et ne cherchent qu’à nous la rendre odieuse. Quand Jésus a
parlé pour elle, le miel était toujours dans sa bouche et la clémence
dans son cœur, au lieu que les prêtres n’ouvraient la bouche que pour
respirer la haine et nous infecter du poison dont elle est remplie 11.
Les attraits de la douceur ont été les armes de Jésus, au lieu que la
force et la trahison soutiennent tous les droits sacrés qui sont établis
par la fraude. On ne voit rien dans la vie de Jésus, pas même dans
l’histoire de ses pensées ou de celles qu’on lui prête, qui ne soulève
39
l’esprit et la raison contre les opinions de ses prétendus successeurs.
Et malgré la contradiction qui règne entre le mensonge et la vérité,
on veut me forcer à croire que les oppresseurs de la charité chrétienne sont les disciples d’un homme qui nous a apprit à la connaître, à la
désirer et à l’entretenir ! La liberté de penser fut la devise de Jésus. Il
voulut en être le panégyriste et l’apôtre le plus zélé, au lieu que le
catéchisme des prêtres n’est plus que le code de l’ignorance, comme
le tribunal de la pénitence n’est que l’emblème de la servitude des
sens et de la raison. C’est ainsi que par une conduite bien soutenue et
qui ne démentit jamais la douceur de son caractère, il a prouvé que
loin de vouloir augmenter le nombre des prêtres, il n’a cherché qu’à
les rendre meilleurs et plus utiles. Ouvrez L’Histoire des religions
depuis que le monde subsiste 12, jusqu’au siècle ou nous vivons ! Que
trouverez-vous ? Des ministres qui servent l’audace d’un imposteur
pour tromper la crédulité des peuples 13 ; des autels élevés par la
fraude et l’injustice, et qu’on affermit à force de trahison et de meurtre ; un encensoir qui s’allume aux flambeaux de la discorde ; des
prêtres qui se nourrissent du sang des peuples pour être enrichis des
offrandes des rois ; des fers que l’on donne partout à la liberté de
penser ; l’humanité qui réclame dans tous les siècles les droits de la
raison qu’on avilit au pieds des autels… Voilà l’affreux tableau que
chaque religion nous offre dans sa naissance. Peut-on accuser le
paisible Jésus d’avoir voulu donner au monde le spectacle de tant
d’horreurs ?
Non seulement il n’a pas voulu s’ériger en maître de nos opinions,
mais il a reculé les bornes que l’on donnait partout à la liberté de
penser. Parlait-il en public ? chaque mot qui sortait de sa bouche
nous pénétrait de cet esprit de tolérance qui devrait être commun à
tous les hommes. Et ne lisons-nous pas, dans les évangélistes, que
malgré la défense de sa religion, Jésus n’a pas rougi de s’entretenir
avec des païens, de converser avec des Samaritains, et de traiter la
circoncision de vieille coutume, en parlant avec des semi-Juifs 14 ? Il
a senti que dans l’abîme des erreurs ou nous sommes plongés,
l’homme prendrait souvent une fausse clarté pour guide, et qu’à force
d’épuiser ses recherches, la seule liberté de penser pourrait nous
conduire à la découverte de la vérité.
40
Oui, s’il est une religion véritablement saine, c’est celle qui subsiste depuis la naissance du Monde ! Celle que Jésus a renouvelée
lui-même, qui n’a qu’un seul et même principe, un seul et même
devoir.
Ô religion sainte ! Charité bienfaisante ! C’est à toi de rapprocher
les cœurs et les esprits que les divisions des prêtres ont éloignés trop
longtemps. Et puisque tu m’as 15 dicté cette préface, daigne mettre
dans l’esprit et dans la bouche de mon lecteur toute l’indulgence que
j’aurais moi-même pour la faiblesse de sa plume. Ne permets pas que
l’on pèse cet ouvrage à la balance des prêtres. Je respecte, j’adore la
morale de Jésus ; j’en fais l’objet d’une étude profonde ; je la médite
partout, et m’y conforme autant qu’il est au pouvoir de mon cœur. Je
crois. Je reconnais un Dieu. Je l’invoque tous les jours contre la persécution des bramines [G] 16 et, dans l’enthousiasme dont je suis pénétré, je répète en secret ce que disait autrefois ce gymnosophiste [G]
chinois (?) 17 :
Grand Dieu ! Que le règne de la charité vienne, puisqu’il doit amener celui de la vérité ! Qu’il succède bientôt à tant de siècles de
haine et d’ignorance ! Simplifie ta religion pour la rendre plus pure.
Renferme-la tout entière dans le seul principe du bonheur des hommes. Délivre-nous de ce fatal Génie, qui n’a que trop infecté l’esprit
humain. Délivre la raison d’un esclavage qui la déshonore et l’opprime, et que la liberté de penser et de m’élever jusqu’à toi, éternise
un hommage que je consacre à la Charité. 18
41
LES RÊVES
DE
L’ANTIPAPISTE.
CHAPITRE I
La nuit du 25 avril 1767
H ! l’aimable compagnie que celle des songes !
Qu’il est doux et plaisant de vivre avec eux ! Quelle
variété de décorations et de scènes toujours nouvelles ! Qu’une cervelle est heureuse quand elle se
promène d’un vide à l’autre, puisqu’elle est toujours meublée de
mille petits riens qui disparaissent, pour faire place à d’autres, qui
s’évanouiront à leur tour ! Quoi de plus délicieux que de voir ces
perfides enfants du sommeil s’habiller à la mode des courtisans, et
ne marcher jamais qu’avec une provision de trente visages de
rechange ? 1 C’est ainsi que sur un lit, qui tantôt est le théâtre de la
folie et tantôt celui de la raison, nous sommes les acteurs et les
dupes de la diversité des rôles dont il est bigarré ; mais comme
l’illusion est souvent la mère du plaisir, la vérité peut être à son
tour la fille du mensonge : tel est l’effet de cet agréable sommeil,
qui m’a plongé dans un océan de lumière, où je croyais être
englouti pour toujours 2. C’est en vain que je m’épuisais en efforts
pour m’élever sur la surface. J’étais entraîné par la pesanteur de
43
mes idées, et quand je craignais de toucher au fond, j’en étais plus
éloigné que jamais. Enfin le voile a disparu, la source d’une clarté
plus pure s’est ouverte, le Ciel s’est montré. J’ai vu le Grand Séraphin, ou plutôt, j’ai cru le voir à peu près comme certain prophète
le vit autrefois, avec cette différence qu’on l’appelait de son temps
le Saint Homme qui veille toujours, et que je veux être nommé le
Petit-Antipapiste qui ne sait que dormir et faire des rêves 3. Le
Grand Maître du Ciel, dont j’ai contemplé tous les traits, ne m’a
point paru tel qu’il nous est peint dans la caverne de ses oracles. Il
ne ressemble point à celui qui sortit autrefois de la cervelle
d’Homère 4. Au lieu de cet oiseau terrible qui porte la foudre sur
ses ailes, une jeune colombe est assise à ses pieds 5. Ses yeux,
toujours remplis d’un feu divin, n’ont jamais regardé les sept
collines 6, ils sont fixés vers les bords de la Tamise, qui fut de tous
temps la patrie des sages 7. Souvent, elle voltige sur la tête du Père
Céleste 8 qui, toujours plein de l’immensité de ses idées sans en
être accablé, ne laisse tomber ses regards vers la Terre que pour y
tracer l’image de ses desseins. Un nuage profond me dérobait sa
longue vue 9, et semblait la borner devant moi, tandis qu’elle
s’étendait en silence au-delà de l’éternité. C’est ainsi que Frédéric
paraît ne voir les choses qu’à demi, pénètre, éclaire tout, et
devient inaccessible à tous les yeux 10. J’ai vu les portes du ciel
assiégées par une foule de Bramines [G] de toutes espèces qui,
depuis vingt siècles, attendent qu’on les ouvre. En vain ont-ils
essayé mille fois la force des prières, épuisé toutes les grâces du
langage, présenté des requêtes en vers ; un mur d’airain 11 leur
ferme la patrie des anges, et le Portier Céleste n’est pas moins
inflexible que le Batelier des Enfers. Car le bienheureux Pétrisaint
ressemble au vieux Caron : une barbe à la turque descend sur sa
poitrine et la couvre tout entière ; son habit de pêcheur, plus usé
que le temps, tombe en lambeaux, et ne laisse voir à mes yeux
qu’un squelette ambulant 12. J’ai pénétré la foule de tous ces
pauvres canonisés, qui déclamaient en vain contre les commis aux
barrières du Ciel 13. Hé, quoi ! mes petits fraudeurs de la gabelle
de saint Matthieu 14, vous osez donc ainsi nous abuser sur la
Terre ? Vous nous vendez des passeports [G] pour le royaume
spirituel, et vous n’en gardez point pour vous-même ? On dirait
44
que votre figure est plus étrangère ici que la mienne, car je suis
entré dans le paradis je ne sais par où ni comment, et vous, qui
prétendez avoir droit de l’ouvrir à tous les fidèles, vous n’avez pas
vos entrées libres ?! Vous avez donc trafiqué d’un droit qui ne
vous appartenait pas, et les clés que vous avez fabriquées sur la
Terre n’ont point été limées sur les serrures du paradis.
Pendant que je les accablais de ce juste reproche, je vis entrer
un oiseau rapide qui portait deux trompettes, une dans son bec, et
l’autre au bout de sa queue 15. Chaque plume de ses ailes formait
un porte-voix qui produisait autant de sons qu’elle avait de couleurs différentes. D’abord, il promena son vol sur tous les chefs de
la troupe angélique et, bientôt, il s’arrêta sur la tête de Bonaventure car il aima de tous temps les beaux esprits qui parlent beaucoup
et disent peu 16. À peine eut-il fixé son vol, qu’il agita, déploya
toute l’immensité de sa queue. Et de toutes les plumes qui la
composent, sortirent autant de voix éclatantes qui répandirent dans
le Ciel toutes les fables du vieux testament, entremêlées de quelques vérités modernes.
Ici, l’on publiait que l’Espagnol, au lieu de chocolat, ne voulait
vivre désormais que d’antimoine (*) et que ce minéral deviendrait
la nourriture de tous les êtres pensants, depuis que les estomacs
français s’accoutument à le digérer et qu’on a senti qu’il n’était
pas de plus puissant remède pour nous sauver de la contagion
monastique 17. Ailleurs on apprenait qu’une escadre de douze vaisseaux chargés de loyolistes 18 était sortie des ports d’Espagne, pour
faire voile vers l’Italie (†) 19. Malheureuse pacotille et trop digne
de périr dans les flots, puisqu’elle était contagieuse au pays même
* On a tant de goût pour l’antimoine dans ce siècle, qu’à force d’en
faire usage, on verra bientôt changer les cloîtres en friperies de
capuchons et de frocs.
† On dit, et le fait est certain, que d’un coup de dés jetés dans la nuit,
on à raflé dans les Espagnes tous les compagnons de Malagrida. Que
béni soit l’habile joueur qui sait agiter le cornet avec tant de force et
d’adresse !
45
qui l’a vu naître (*) ! Puisse la fureur des éléments soulever les
vagues contre elle et sauver, par un juste naufrage, les rois, les
princes et leurs ministres ! Et si la mer craignait de l’engloutir
dans son sein, que le Vatican ne lui serve d’entrepôt et d’asile que
pour en être infecté 20 ! Que de nouvelles de toute espèce ne débitait-t-on pas ?! Chaque mot qui sortait de sa queue portait la fièvre
et la désolation dans les cloîtres ; tantôt il fermait la Chartreuse à
tous les débauchés convertis 21, tantôt il métamorphosait en perruque la calotte [G] de saint Benoît 22. On disait que, par une grâce
du Saint-Siège, la fameuse Présidente venait d’être mitrée (†) 23 et
que, par la vertu d’un petit bâton croisé que l’on mettrait dans sa
main, elle briserait ces infâmes prisons qui ne servent d’asile à
la pudeur que pour outrager la nature et déshonorer l’humanité.
Puisse-t-elle s’enrichir des enlèvements qu’elle fera dans les cloîtres, et que son sérail ne devienne le tombeau du célibat que pour
être la pépinière des vertus ! 24 Ce n’est pas tout : on voyait cet
oiseau babillard déchirer à grands coups de bec un chapeau rouge
qui venait d’être vendu ; triste et fatale emplette, qui ruina l’acheteur, sans enrichir la fabrique dont il était sorti (‡) 25. Il faisait
entendre que la cervelle du bienheureux Christophe était plus que
fendue, depuis que la logique de l’infortuné Jean-Jacques avait
mis la sienne en défaut 26. Il assurait, de plus, avoir vu des magistrats mollement couchés sur des Évangiles, et que les rois du Paraguay seraient bientôt réduits à la nécessité de porter la couronne
de saint François 27. Il ajouta qu’on parlait en France de l’élection
d’un patriarche, et que le crédit du sénat, toujours plus digne de
s’accroître, pourrait bien élever le cardinal de *** à cette nouvelle
dignité 28. C’est ainsi qu’on fera rentrer dans les forges du Vatican
toutes ces bulles [G] insensées qu’on en voit sortir. Et pourquoi veuton imprimer le sceau de la calomnie sur les destructeurs d’une secte
* Qui croirait que la Société de Jésus naquit en Espagne, et que cette
fille ingrate et dénaturée déchirait en secret le sein de sa nourrice ?
† Fameuse ambassadrice d’Amathonte, qui jouit à Paris du privilège
de trafiquer impunément de la propriété d’autrui.
‡ Une dame très aimable, qui ne vit plus, profita du marché par l’entremise du cardinal ***, qui fut le maquignon de cette affaire.
46
aussi coupable qu’elle est à craindre 29 ? Il était temps de couper
l’arbre au pied, et de l’attaquer jusque dans ses racines, car la sève
en était si corrompue qu’elle infectait déjà cent mille lieues de
terrain. Ah ! si le grand Deux fois sept (*) eût vécu, l’âme de
Loyola serait au pouvoir de Belzébuth 30, et le bonhomme qui s’est
avisé de prendre sa place n’eût pas joué le rôle de saint Ignace au
bruit des sifflets 31.
Le Grand Maître de la Loge des Saints, qui prêtait une oreille
attentive à toutes ces vérités, ordonna bientôt à cet oiseau babillard de serrer le bec et d’aller porter ailleurs ses caquets importuns :
« Cessez, lui dit-il, de semer des bruits que le perfide Ignace ne peut
entendre sans rougir ! Hâtez-vous de sortir de mes États ! Allez
apprendre à l’Univers que le grand Archibulaire 32 ne tardera pas à
se repentir d’un coup de tête qui ne peut que porter à gauche 33,
puisqu’il est conduit par les compagnons de Malagrida 34 ! Dites
partout que je veux moi-même les chasser du Ciel, et commencer
par le Héros de la secte, pour le punir d’avoir infecté ma religion
d’une doctrine luciférienne. »
À ces mots, l’Oiseau disparut, le Père de l’éternité rida son
front, et l’Ange exterminateur, qui ne fit jamais de quartier, saisit
tous les enfants de Loyola par le derrière et, d’un coup de talon
qui fit trembler le Ciel et tous les environs de Lisbonne et de
Madrid 35, les précipita sur la Terre, où la plupart sont devenus
marchands d’esprit 36. Il en est un surtout (†) qui, dans la bourse de
Londres, s’est avisé d’en vendre à tout prix mais depuis que la
valeur de cette marchandise est connue, elle est partout au rebut,
et tout l’esprit de la société mis aux enchères produirait à peine de
quoi payer l’huissier priseur 37.
* Benoît XIV.
† Le baron Duclos et Compagnie, ci-devant Père de La Valette. Il avait
coutume de dire que le bien des sots était le patrimoine des gens
d’esprit. Il disait vrai, car jamais personne n’a mieux pratiqué cette
maxime que lui-même.
47
48
CHAPITRE II
La nuit du 26 avril 1767
DÉLIBÉRATION DU GRAND-SÉRAPHIN
Tout était tranquille dans le Ciel après la disgrâce de la Compagnie de Jésus, mais le Grand Maître de l’Olympe, qui perce les
abîmes de l’avenir, craignait pour le repos de sa chère Glisée
quelque secrète altération 1. Il appela le Destin, qui s’occupait à
tracer dans son livre des révolutions qui sont encore à naître, et
que le règne de la sottise va bientôt amener. Ce vieux Père du
monde était assis entre deux abîmes que l’Éternité, sa mère, ne
cesse de creuser. Celui qu’elle montrait à mes yeux recevait dans
son sein ces beaux siècles d’or, qui renaissent de temps en temps
dans un petit coin de la Terre, pour briller un moment et s’éclipser
pour toujours. L’autre est un gouffre qui fut ouvert de tous temps,
puisqu’il fut le berceau de l’Éternité : c’est là qu’on entend rouler
les âges de fer enchaînés l’un à l’autre, et former une espèce de
torrent qui passe et revient toujours 2.
Au bruit que la voix de l’Éternel fit entendre, on vit tomber du
large nez de ce vieillard les triples lunettes dont il était chargé. Il
ferme son livre d’airain, l’emporte sur son dos, et marche aux
pieds de son maître. Et comme il est dispensé par son grand âge
de faire la courbette 3, il incline seulement la tête, ouvre son livre,
et le présente au Grand Juge. Ses yeux tombent d’abord sur le
chapitre de Tremencleize 4. Il lit son histoire et toutes les fautes
dont elle est remplie. Il voit que la faiblesse de sa religion, surprise par la secte ignacienne, va l’entraîner dans le piège qu’on lui
dresse et porter le désordre et la sédition dans le sein de la pauvre
Glisée. Il détermine tout à coup une ambassade extraordinaire
49
auprès du Sacré Mufti [G] 5, jette les yeux sur Pétrisaint, comme
plus capable qu’un autre d’écouter aux portes.
Le vieux portier du Ciel était occupé dans ce moment à dérouiller ses clés sur les genoux d’une triste martyre, qu’on dit être
vierge dans le pays des saints, et qui ne l’est point sur la Terre,
puisqu’il est des rois qui veulent être ses fils aînés 6. Cette vierge,
qu’on appelle Glisée, est accablée de tant d’infirmités, que le
bienheureux saint Côme épuise vainement tous les secrets de son
art pour prolonger son agonie 7. À peine est-il mandé de la part du
Grand Maître, que Pétrisaint n’a rien de plus pressé que de la
charger sur son dos et de courir aux pieds de l’Éternel, pour
entendre 8 les ordres dont il doit être le ministre :
« Descendez sur la Terre, lui dit-il, j’ai fait choix de vous, pour
être le messager de mes volontés ! Volez à Rome, ordonnez la
suppression de certain bref [G] que notre très cher et bonhomme
Pepa vient de donner en faveur des loyolistes 9 ! Qu’au lieu de
condamner la conduite du roi très chrétien, il apprenne plutôt à
l’imiter, puisqu’elle est conforme à la mienne. Je ne prétends pas
que mon fils ait désormais de compagnie sur la Terre, à moins
qu’il ne veuille la gouverner lui-même. Je vous donne la qualité
de simple envoyé. Je ne veux pas vous charger d’un titre qui coûte
trop à soutenir ; cette décoration, toujours inutile au mérite de la
pièce, n’est que l’embarras de la scène, le fardeau de l’acteur et la
ruine du représenté. Allez étudier, lorgner du matin au soir tous
les mouvements de la Cour de Rome ! Et pour que rien ne vous
échappe, prenez à vos gages quelques marchands de lorgnettes et
de microscopes (*) car on ne saurait trop en avoir, surtout dans
une Cour qui n’est peuplée que de renards en robe de pourpre 10 !
Partez, et ne revenez pas sans avoir vu l’exécution de mes ordres !
Mon ministre vous expédiera vos Lettres de Créance 11. »
À ces mots le bienheureux Pétrisaint incline la tête, adore les
ordres de son Maître, et fait les apprêts de son voyage. Il embrasse
tendrement sa chère Glisée, et lui dit :
* Petits espions subordonnés aux plus grands.
50
— Il faut nous séparer, tel est mon devoir. Que mon absence ne
vous afflige point, vous serez toujours présente à mon esprit, et
mon cœur vous servira partout. Vous le savez, ma barque est en
danger et je vais la sauver du naufrage ou noyer le premier des
pilotes. J’ai résolu d’emporter mes clés, par la raison que depuis
près d’un siècle, elles ne servent qu’à m’embarrasser. Je n’en fais
plus aucun usage et ma place ne sera désormais qu’un poste
d’honneur. Vous n’aurez pas besoin de veiller aux barrières du
Ciel, j’y laisse mon coq (*) 12, et je l’ai chargé de répondre pour
son Maître à tous ceux qui frapperont aux Portes pendant mon
absence 13. »
Pétrisaint fut auprès d’Ambroise, nouveau ministre des affaires
terrestres 14 car les postes qu’on occupe dans le Ciel ont également
leurs écueils, et le Grand Maître de l’Olympe a ses aides de camp
comme les rois de la Terre 15. Mais depuis qu’il s’est avisé de vouloir gouverner par autrui, tout va dans le pays des saints comme
partout ailleurs. Il se présente au saint homme d’État, qui l’interrogea d’abord sur le motif de son voyage qu’il paraissait ne pas
goûter [G], car les ministres du Ciel pensent à peu près comme les
autres : ils ont la rage de contredire en secret les volontés de leur
maître, tandis qu’ils feignent en apparence de les approuver 16.
Mais comme il faut chanter malgré soi quand le Maître bat la
mesure, le comte d’Ambroise lui fit expédier ses lettres de créance
avec un passeport [G], où le triple sceau de l’Olympe était attaché.
Ce passeport ne ressemblait point à ces pancartes ordinaires où
l’on prie inutilement ceux qui sont à prier, de tendre une main
bienfaisante à celui qui en est porteur. C’était un ordre exprès à
tous les éléments d’ouvrir un libre passage au député du Grand
Séraphin, et de ne pas le troubler dans le cours de son voyage. Ce
porte-respect en lettres d’or ne fut pas plus tôt entre les mains de
* On a mis le chien de saint Roch dans le Ciel, mais j’assure de bonne
foi n’y avoir vu que le coq de saint Pierre. Et si jamais quelque
animal domestique fut digne de la canonisation, il me semble qu’on
devait cet honneur au chien de Guillaume I er, qui le mérita bien
mieux que le fidèle compagnon de saint Roch.
51
notre envoyé, que tous les éléments volèrent devant lui pour aplanir sa route. Un nuage d’azur, porté par deux comètes, couvrit tout
à coup le comte de Pétrisaint, et l’emporta comme un éclair sur la
plus haute des sept montagnes 17.
52
CHAPITRE III
La nuit du 27 avril 1767
ARRIVÉE DU COMTE DE PÉTRISAINT À ROME
Tandis que notre envoyé, tranquillement assis, se délassait des
fatigues de son voyage et s’applaudissait en secret de contempler
cette superbe mosquée qui fut autrefois la souveraine du monde, et
dont la puissance s’est éclipsée comme la fumée de l’encensoir qui
l’a produite 1, il aperçut un vieillard assez bien mis, qui gesticulait
au bas de la montagne. Il se lève, il accourt et se précipite auprès
de l’inconnu :
— Ô, qui que vous soyez, ne me refusez pas la grâce que je vous
demande ! Je puis vous rendre de grands services dans l’autre
monde.
— Apparemment, mon cher Monsieur, que vous ne pouvez rien
dans celui-ci. Car s’il est vrai que l’on doit peu compter sur les
promesses dont on nous berce pendant la vie, comment pourra-ton acquitter après la mort les dettes d’honneur qu’on a contractées ?… Mais, avant d’accepter les marques de bonté que je dois
recevoir de vous quand je ne serai plus, dites-moi qui vous êtes, et
de quel pays vous sortez ? Car si vous n’êtes point un échappé des
prisons de saint François, vous en avez bien la mine 2.
— Vous vous trompez, mon ami. Si j’ai l’air 3 d’un déserteur, je le
suis par congé et, tel que vous me voyez, je porte le nom de la
fameuse pierre qui servit autrefois de fondement à mon Église 4, et
je descendais du troisième ciel au moment même où la providence
a bien voulu vous offrir à mes yeux 5.
— Oh ! pour le coup, Monsieur Saint Pierre, voilà du neuf en
genre comique ! L’aventure est tout à fait plaisante ! Vous avez
fait bien du chemin, car c’est bien un travail d’apôtre que de tra53
verser toutes les basses et hautes régions de la lune, puisque du
premier au troisième ciel, les voyageurs astronomiques comptent
dix-huit mille six cent quatre-vingt-quatre lieues 6. Dites-moi
quelque chose de ce beau pays ! Avez-vous fait quelque riche
collection de Sylphes et de Sylphides 7 ? Parlez-moi de tout ce qui
peut intéresser la folie et la raison ! À vous dire vrai, je ne sais que
penser de votre personnage : vous êtes le premier citoyen du Ciel
qui s’est avisé de changer de patrie, et je ne conçois pas comment
on peut quitter une si belle demeure pour une terre maudite où
l’on ne vit que pour épaissir et corrompre la matière.
— Vous serez instruit de tout, lui répondit Pétrisaint, mais en
attendant, je vous dirai pour nouvelle que Dieu le Père vient enfin
de délivrer son Fils de la plus mauvaise compagnie qu’on ait
jamais formée. Je l’avais bien dit, que sa façon de vivre ne
s’accommoderait pas longtemps avec celle des anges. Il faut
pourtant qu’elle ait bien fait du mal, pour que le meilleur des
Pères ait pu donner ce sujet de mécontentement à son fils. Mais
comment accorder la conduite du Grand Séraphin avec celle de
Mencletreize 8, qui vient de marquer du sceau de la calomnie tous
les ennemis de Loyola ? Et comme vous paraissez être du nombre,
vous êtes sans doute compris dans la liste des calomniateurs, et
voilà précisément, répliqua notre envoyé, le sujet de ma mission.
Je viens ordonner à Mencletreize, de la part de mon Maître, de
supprimer son Bref [G], et d’en faire un désaveu public 9.
— Mais, de bonne foi, reprit l’inconnu, plus je vous examine de
près, plus je crois voir en vous le fondateur de notre Église…
Vous avez du moins quelques traits qui ressemblent à l’image du
Prince des apôtres 10 : voilà toute l’antiquité de sa figure, sa démarche, son menton prolixe et pointu, ses longues oreilles… Mais…
par quel prodige aurait-on organisé votre buste ? Comment avezvous pu rassembler, ranimer tous vos membres ? Vos reliques
sacrées ont-elles quitté l’urne qui les renfermait, pour aller rejoindre votre esprit dans le Ciel ? Comment une moitié 11 de vousmême peut-elle être dans nos mosquées et l’autre dans le pays des
saints, puisque vous vivez tout entier à mes yeux ? Ma foi, je suis
tenté de croire que la sainteté des collations [G] anatomiques qu’on
étale sur nos autels 12 n’est qu’une vertu de caprice et d’opinion.
54
— Mon ami, lui dit Pétrisaint, on donne souvent à la matière un
tribut de respect qui n’est dû qu’à l’esprit. Mais puisque vous êtes
né dans Rome, voudriez-vous bien m’apprendre quel est votre état
et votre rang ?
— Mon état est de n’en point avoir, comme la plupart des gens de
mon étoffe [G]. Ma naissance me donne le titre de marquis. 13
— Qu’est-ce donc que ce titre ?! Il est nouveau sans doute, car on
ne le connaissait par de mon temps.
— Je le crois. On était si simple alors, qu’on ne rougissait pas
d’être appelé par son nom. Mais depuis qu’on s’est avisé de penser, ce qui fut autrefois l’affiche de la noblesse et des vertus n’est
plus que l’enseigne de l’opulence et le panégyrique de l’orgueil. Il
est pourtant bon d’avoir un titre : il sert de lettre de recommandation dans les Cours étrangères 14, et surtout quand on est assez
riche pour le faire valoir.
— Vous jouissez donc, puisque vous êtes marquis, d’une grande
considération. Seriez-vous, par hasard, l’ami de Mencletreize ? Le
connaissez-vous ?
— Non, Monsieur. Je connaissais son prédécesseur, mais j’étais
riche alors, brillant et leste comme l’équipage qui me portait 15. Je
lui faisais ma petite cour ; il était homme d’esprit, plein de saillies,
d’un abord facile, digne de gouverner Rome et l’Église car il a fait
tant de ratures dans le calendrier 16 des saints, qu’il a mérité d’être
canonisé par tous les philosophes de son siècle (*) 17. Mais depuis
* Jamais pape ne fit autant d’honneur au Saint-Siège que Benoît XIV ;
il a supprimé quantité de fêtes qui, loin d’honorer la religion, ne
servent qu’à la profaner, parce que le bien qui résulte du travail est
un hommage plus agréable à Dieu qu’une oisiveté sainte, si l’on peut
appeler de ce nom la mère de tous les vices. À l’égard de la réforme
qu’il a faite dans le calendrier des saints, on en compte 72 qu’il a
marqués d’une juste dégradation. Il ne suivit jamais l’exemple de ses
prédécesseurs, qui n’ont fait des revues dans le Ciel que pour augmenter le nombre des élus, au lieu que Benoît XIV ne visitait le pays
des saints que pour le dépeupler. Et s’il eût vécu plus longtemps, il
eût peut-être fait un désert de la Patrie Céleste : c’est à ce titre qu’il
est regardé comme le patron des philosophes.
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que mon état est changé, grâce à l’avidité de mes créanciers 18, le
Vatican ne m’est plus ouvert. Tout, jusqu’au Suisse [G] 19, a perdu
le souvenir de ma figure et de mon nom. Il est vrai que je n’eus
jamais le soin de l’imprimer dans son esprit, car ces automates [G]
de bois ne se souviennent des gens qu’autant que leur mémoire est
plus ou moins lucrative. Pour vous, Monseigneur (car ce titre vous
est bien dû, puisqu’on le prodigue à mille petits pasteurs qui,
maîtres d’un petit troupeau, sont assez faibles pour le confier à
d’autres petits sous-pâtres, au lieu d’apprendre à les garder euxmêmes), je ne pense pas que votre habit de pêcheur soit bien
accueilli. Car enfin, la reliure fait tout à la Cour et quand on est
doré sur tranches, on peut affecter le ton d’un apôtre, et faire
preuve de sa mission.
— Et pourquoi voulez-vous que l’entrée du Vatican me soit interdite ?! Ma mission n’est-elle pas attestée par mes Lettres de
Créance ? Le Grand Mufti [G] pourrait-il se dispenser de me reconnaître ?
— J’en doute fort, répondit le marquis. Depuis qu’on s’est avisé
de contrefaire son seing et d’imprimer le sceau de l’Éternel à tous
les arrêts du Sénat Apostolique, le chef de l’Église élève sa souveraineté jusqu’au troisième Ciel. C’est en vain que vous ferez parler la justice de vos droits. Vous perdrez votre cause avec dépens
et peut-être unira-t-on contre vous le persiflage 20 à l’injustice. Qui
sait même si vous ne serez pas traité d’aventurier et renvoyé
comme tel à votre Maître ? Jetez les yeux sur vous-même, soyez
votre propre juge, et voyez si l’on peut vous destiner un autre
rôle ! Savez-vous que l’envoyé du Roi des rois ne peut être reconnu qu’à la grandeur du faste qui l’annonce ? Nous sommes au
temps où l’on ne peut monter au Ciel qu’avec des échelles dorées,
et si Jésus lui-même redescendait sur la Terre, croit-il charger une
pauvre ânesse du poids de sa divinité ? 21 Non, non. L’élégance de
sa voiture répondrait à l’immensité de celui qui la remplirait. On
verrait des Porte-Mitres [G] 22 derrière son carrosse prodiguer des
signes de consolation à tous les piétons. C’est dans cet appareil
qu’il se montrerait à nos yeux. Et vous, qui le venez représenter à
la cour des Bramines [G], de quel front prétendez-vous y paraître ?
Prenez-vous le palais de Mencletreize pour une salle de comédie,
56
où l’on peut escamoter une entrée ? Pensez-vous que ses gardes
respecteront votre habit de baleine 23 ? Craignez plutôt que la
modestie de votre reliure ne devienne un crime de lèse-sainteté !
Vous pensez peut-être retrouver ici la simplicité, l’ignorance du
premier âge apostolique… Ha ! les temps sont bien changés, et
votre barque est si différente d’elle-même, que vous n’y connaîtrez plus rien. On a chargé le gouvernail de tant d’ornements
superflus, qu’on n’ose plus y porter la main parce qu’on craint de
l’affaiblir davantage, ou de le briser tout à fait. Et si jamais le
constructeur peut mettre le pied dans sa nacelle, je vous assure
que vous aurez l’air bien neuf, que vous serez trop heureux que le
chef des pilotes permette à ses regards de tomber sur vos guenilles. Il est vrai que le despotisme sacré, qui s’étendait autrefois
aussi loin que la crédulité des peuples, se renferme aujourd’hui
dans l’enceinte du conclave depuis que l’esprit philosophique est
devenu l’interprète de la religion 24. Le Vatican n’est plus qu’une
vieille masure, et sa foudre une espèce de tison qui ne produit que
de vaines étincelles. C’est en vain que le Maître du Capitole veut
avoir le don des langues et des miracles : il ne sait que parler
italien, bégayer quelque mot de français, et voilà tout. Il a beau
nous montrer les clés du Ciel qu’il assure avoir reçues de vos
mains, on ne le croit plus sur sa parole, et j’ai lu quelque part que
vous fûtes très habile dans la pêche et non dans l’art de limer le
fer, et que vous n’avez laissé d’autre héritage en mourant qu’un
aviron bien modeste et quelques Épîtres que l’on a défigurées 25.
Peut-être ignorez-vous qu’on a fait des volumes immenses, pour
prouver ce que la conduite des muftis [G] détruit à tout moment. Ils
veulent être éclairés de l’Esprit-Saint, tandis que cette colombe
céleste n’est jamais descendue qu’une fois pour remonter dans le
Ciel. Je dirai même que j’eus toujours de la peine à le croire, et
que j’en douterai jusqu’à la fin des siècles, à moins que la sainteté
de votre serment ne garantisse le fait… Et qui sait si dans le temps
que cet oiseau divin parut agiter et promener ses ailes de flamme
sur vos têtes, vous ne prîtes pas des éclairs, avant-coureurs du
tonnerre, pour des rayons émanés du Ciel ? Car enfin, la cause du
tonnerre vous était inconnue aussi bien que ses effets, et si j’en
juge par l’effroi dont vous fûtes saisis, vous étiez incapables du
57
discernement qu’il fallait avoir pour analyser cette espèce de prodige et distinguer ce qui n’était que l’effet d’une cause physique,
de ce qui pouvait être l’ouvrage d’une puissance divine… Sur cet
article, je ne décide rien. C’est à vous de m’en éclaircir, si vous
avez assez bonne mémoire pour me retracer le grand jour qui vit
métamorphoser vos avirons en baguettes, et la matière en esprit.
Pardonnez cet excès de franchise à mon âge, mais je suis tenté de
vous ouvrir mon cœur avec toute la liberté d’un philosophe marquis. Que l’infaillibilité du Sénat Apostolique soit un article de foi
pour le vulgaire des croyants ! L’aveugle est né pour être la dupe
éternelle des objets qu’on lui peint. Nous sommes tous enfants de
l’erreur, elle est notre nourrice, notre régente et notre compagne
dans tous les états, et malgré la garde qui veille à la sûreté du Roi
des Bramines [G], elle n’approche pas moins de son trône et du
Conclave. Eh, pourquoi jouirait-il d’un privilège qui n’a pas
même honoré la primitive Église ?! Vous n’eûtes jamais cet honneur, vous qui fûtes le compagnon de Jésus, vous qu’il associait
aux conquêtes de sa mission. Il est vrai que les mouches [G] de
saint Paul vous piquaient de temps en temps, et qu’une servante
très jolie changea l’apôtre en renégat 26. Et puisqu’un petit minois
de cabaret vous fit tourner la tête, jugez de ce que doivent être
tous ces divans en chapeau rouge 27 qui sont assiégés de mille tendrons de toute espèce. Eh, comment ne pas tâter du fruit défendu,
quand il nous est offert par la main des grâces ?! Et l’on veut que
la vérité sainte s’honore d’un faste qui la profane, et que tout fléchisse devant un encensoir, qui n’est que l’ouvrage de la superstition 28, l’instrument de l’imposture, et le sceptre de l’ignorance !
Que les Augustins 29, les Ambroises 30 épuisent la négative et la
défensive, pour prêter au bonhomme Pepa le droit d’être infaillible ; tous leurs ergo ne servent qu’à grossir des in-folio 31 qui ne
prouvent rien en faveur de qui prouve tout contre lui-même par sa
conduite ! De l’orgueil de tant de droits imaginaires, on a vu naître
la servitude catholique, le trafic des indulgences 32, le commerce
du salut des âmes 33, l’iconoclastie 34 et la ruine de votre édifice. Et
si la réforme fut aussi nécessaire au bien de votre maison qu’elle
paraît l’être à la cuisine de vos successeurs, la faute en est plutôt
aux chefs qui l’ont gouvernée, qu’au ressentiment du Grand
58
Homme qui fut assez éloquent pour élever des temples sur les
débris du Trône Apostolique. Ce n’est pas tout, l’élection des
Sacrés Muftis [G] fut toujours l’ouvrage de l’intérêt et de la brigue,
et l’on veut que nous adorions la triple couronne comme un présent du Ciel, et celui qui doit la porter comme un vase d’élection
façonné par une main divine 35. Mais comment l’Esprit-Saint
serait-il le compagnon de notre Saint-Père le Turc, et de tous les
vices que l’on cultive à sa cour ?! La morale des apôtres se plie-telle à celle des politiques 36 ? Avant de présider à l’élection de Sa
Sainteté, on invoque le Saint-Esprit à grand bruit : « Veni, veni, lui
dit-on. Parais, vole, divine Colombe, descends à la voix de l’auguste assemblée qui t’implore, pénètre-la des rayons que tu fais
sortir des tes ailes, embrase nos esprits de ce feu créateur qui les
nourrit et les échauffe, mets ta parole dans nos bouches, et ta
sagesse dans nos cœurs ! Oui, nous devons un chef à l’Église :
c’est à toi seul de le nommer ! Préside à cet auguste choix, inspire-nous dans nos suffrages, et que chacun ne consulte que l’intérêt
du Ciel, l’habileté du pasteur, et le bien du troupeau qui lui doit
être confié ! »… C’est ainsi qu’en apparence le prêtre s’immole à
lui-même, et que l’homme se couvre d’une enveloppe divine.
Mais que la pureté de ces vœux est bien démentie par l’esprit qui
les anime ! Chaque membre du Collège Sacré veut être le singe 37
de Jésus. Il paraît être le disciple et l’orateur de sa morale, tandis
que pour avoir droit de la corrompre impunément, il dévore en
secret l’orgueil de la tiare [G]. Eh, soit brigue, politique, raison
d’intérêt ou de parti, la triple couronne est la conquête du plus
adroit ! Le voilà donc, à force d’intrigues, élevé jusqu’au premier
rang des apôtres. Quel est son début apostolique ? Il commence
par jouer des farces miraculeuses. On le voit descendre à des actes
d’humilité qui, pour être démentis en secret, n’éblouissent pas
moins les yeux des cagots [G]. Quand Jésus voulut permettre à la
belle pénitente de baiser ses pieds et de les arroser de ses larmes,
il voulut accorder cette grâce par excès de bonté. Il parut si touché
de cet acte d’humilité, qu’il voulut apprendre à le surpasser luimême : il descendit aux pieds de ses apôtres et les couvrit de mille
baisers, ce qui n’était pas un effort sans mérite car à force de
trotter d’un village à l’autre, et de marcher in naturalibus, vous
59
étiez crotté jusqu’au menton. Que cet exemple est bien digne de
celui qui l’a donné ! Mais d’où vient qu’il a tant de panégyristes et
si peu d’imitateurs ? D’où vient que les pères sacrés regardent cet
excès d’abaissement comme un outrage fait à la couronne apostolique, et que la poussière de leurs pantoufles ne peut être recueillie 38 que par des princes, des comtes, des marquis, ou autres gens
qui se donnent pour tels ? C’est ainsi qu’en accordant aux petits
princes l’honneur de leur baiser les pieds, ils ont l’orgueil de penser que tout doit plier devant eux. Cette erreur est si grande, qu’il
est telle ville, en Espagne, où les pantoufles du pape seraient
enfermées dans un cadre doré pour être l’idole des cafards. Vous
voyez bien, par ce petit détail, que les talons du Saint-Père jouissent d’une plus grande vénération que le corps de Jésus 39… À
propos du baisement des pieds, permettez-moi de vous raconter à
ce sujet un fait historique, rapporté par certain auteur italien qui
fut autrefois le porteur d’écritoire du cardinal François Barberin,
et qui soutient que son maître, qui passait pour un phénomène
virginal, n’emporta point son pucelage dans le Ciel. 40 Deux gentilshommes portugais firent un voyage à Rome. Ils étaient dans cet
âge où le feu des passions anime tous les sens, prête aux grâces de
la jeunesse toute la vigueur qui peut ajouter à leur prix. Ils eurent
d’abord la curiosité de voir Sa Hautesse Papale, ce que n’aurait
point fait un Anglais, qui préfère les débris de l’ancienne Rome à
tous les prodiges de sainteté que la nouvelle nous étale. Nos deux
voyageurs furent admis aux pieds du Sacré Mufti [G], qui fut touché de leur noble figure. Il leur prodigua mille marques de bonté.
Un d’eux, se prosternant à ses pieds, lui demanda la faveur de les
baiser : « Non, mes enfants, leur dit-il 41, je vous dois un bienfait
plus saint et plus précieux. Et puisque vous me paraissez digne de
le recevoir, vous le goûterez [G] pleinement. Suivez-moi. » Le pape
les introduit dans son cabinet et, leur ordonnant à tous deux de se
prosterner, il laisse tomber à leurs yeux la reliure de son volume
postérieur. « C’est peu de vous montrer ce que je cache aux infidèles. Sa Sainteté vous permet de baiser ce qui vous est offert, et
d’imprimer sur lui toutes les marques de respect qu’un objet si
palpable doit vous inspirer. Ce n’est pas tout, si vos mains sont
accoutumées à caresser des anges, c’est-à-dire des corps qui
60
tiennent plus à l’esprit qu’à la matière, couvrez de mille claques,
pieusement données, ce Volume sacré, et songez que vous gagnerez autant d’indulgences. » Nos deux calotins 42, qui cherchaient
l’occasion de fermer le chemin du purgatoire à tous leurs parents,
amis et bienfaiteurs, répondirent si bien aux vœux de Sa Sainteté,
que les Tertuliens et les Augustins, grands amateurs de la flagellation 43, n’eurent jamais autant de plaisir que Sa Sainteté parut en
ressentir 44. C’est ainsi qu’à force de renchérir sur les actions de
Jésus, on a tout empoisonné. Me direz-vous que le Saint-Père ne
veut être l’instrument de cet acte d’humilité que pour le rendre
utile au salut des âmes ? Cela peut être, il n’appartient qu’à Dieu
de juger nos cœurs et d’en évaluer le prix. Mais de quel œil peuton voir l’Homme-Dieu chargé d’un arbre funéraire et tristement
couronné des chardons 45, tandis que le Saint-Père, qui veut être
son successeur, se couvre d’une triple couronne et ne connaît
d’autre fardeau que le poids de sa grandeur et l’embarras du faste
qui l’environne ? Comment peut-on voir déchirer et percer les
mains de Jésus, tandis que les doigts du Saint-Père ne connaissent
que l’usage des parfums ? L’Homme-Dieu n’eut d’autre breuvage
que le fiel, et le vin le plus délicieux coule sans cesse dans des
coupes d’or pour arroser et parfumer le gosier du prince des papistes. Le pauvre Jésus ne connaissait pas l’usage de souliers, il ne
portait que des sabots quand il courait la Judée pour la remplir de
la sainteté de sa parole, mais le Dispensateur des mitres [G] et des
calottes [G] est pieusement voituré par des hommes revêtus de la
livrée du Ciel. Et comme leurs épaules ressemblent à celles
d’Hercule, ils s’applaudissent de la sainteté de leur fardeau et le
promènent dans les rues d’un pas majestueux 46 et cadencé.
— Votre sincérité me plaît, lui dit Barjome (*) 47, autant qu’elle
m’afflige, et la douleur de voir Sa Sainteté me fera peut-être verser autant de pleurs que m’en coûta jadis la Passion de Jésus 48.
Mais n’importe ! Il faut que j’achève ma mission, puisqu’elle est
commencée. Elle intéresse trop ma gloire, elle importe trop à la
paix de l’Église, pour ne pas l’acquitter avec tout le zèle et la fidélité que je dois à la confiance dont l’Éternel a bien voulu m’hono* Le comte de Pétrisaint, ou Barjome.
61
rer. Et si je juge de vos sentiments par les marques d’humanité
que votre zèle me prodigue, vous regrettez sans doute ces siècles
apostoliques qu’on ne verra jamais renaître, quand même un
nouveau Jésus redescendrait sur la Terre. Mais puisque l’amitié
vous parle en faveur d’un inconnu dont vous excitez la reconnaissance, pourriez-vous m’accompagner et m’introduire jusqu’au
palais du Saint-Père ? Je suis étranger dans Rome, et comme on
doit changer ses coutumes quand on change de patrie, j’ai besoin
d’un ami qui m’instruise de la mode du pays, et m’apprenne à la
copier.
— Je vous ai déjà dit, lui répondit le philosophe marquis, que le
Saint-Père est inaccessible à tous ceux qui vous ressemblent. Vous
êtes vêtu comme un pauvre pêcheur qui vit de son travail et l’habit
que vous portez n’est plus à la mode depuis longtemps. Si vous
m’en croyez, vous suivrez mon avis. Passez-moi le terme : les
conseils d’un philosophe ne sont point indignes d’un apôtre.
Ouvrez-moi votre cœur, et croyez que celui qui sait honorer la
bonne foi est incapable de la trahir ! Avez-vous quelques Lettres
de crédit [G] pour quelques banquiers de la ville ?
— Qu’entendez-vous, lui dit Barjome, par ces Lettres de crédit ?
Quel est l’usage qu’on en fait ? Et comment les écrit-on ?
— Ce sont des Lettres qui valent bien mieux que vos Épîtres, puisqu’elles servent à tout. Avec elles, on a de l’or, des habits de
toutes couleurs et des amis de toute espèce.
— Et d’où puis-je avoir ces Lettres, reprit Barjome, puisque l’usage n’en est pas connu dans le Ciel ? D’ailleurs, je pourrai bien
m’en passer, puisque ce prétendu crédit n’ajouterait point au
pouvoir des Lettres de Créance dont je suis porteur. Eh, qui peut
ignorer dans Rome que la signature de tous les rois de l’Europe ne
vaut point une syllabe écrite par la plume de l’Éternel ?!
— J’avouerai, lui répondit le marquis, que la plume de l’Éternel
est éloquente et persuasive mais sa signature n’a pas plus de crédit
à la Cour de Rome que la mienne. D’ailleurs, je suis persuadé que
les habitants du Ciel n’ont jamais su convertir en or quelques
morceaux de vieux linge battu, et les maltôtiers [G], qui s’occupent
depuis le matin jusqu’au soir à compter, à peser, à rogner des
espèces, ne cherchent point à se faire des patrons dans le royaume
62
des saints 49 : ils savent que si l’on achète des amis sur la Terre, on
peut trafiquer également de la protection des anges par l’entremise
du Saint-Père qui, sensible au bon usage que l’on fait de ses
espèces, ouvre toujours la main pour les sanctifier. Je ne vois pas
que sans Lettres de crédit [G] vous puissiez obtenir audience, et je
ne sais par quel moyen vous pourrez vous en procurer… Il me
vient une idée dans l’esprit ; je ne sais si vous voudrez bien la
goûter [G]… Quand vous prêchiez sur la Terre, et que vous instruisiez les rois et les bergers, vous aviez, dit-on, la faculté de faire
des miracles. Si vous pouviez en faire un en ma faveur, je saurais
peut-être aplanir les obstacles qui peuvent arrêter les progrès de
votre mission. Il est vrai que le miracle que j’exige de vous tient
un peu de la nature des prodiges que l’on prête aux malins esprits,
mais ne voyez que le principe et non les effets qu’il va produire.
Vous n’ignorez pas que Dieu se sert de tout pour arriver au but de
ses desseins, et que les ressorts les plus indignes de sa puissance
deviennent sacrés quand ils sont l’ouvrage de ses mains. Je connais, dans Rome, une comtesse qui est la maîtresse du cardinal ***. Elle est d’un grand appétit, et si vous pouviez me rendre
la vigueur de mes premiers ans, je serais fier de lui plaire et de la
servir comme elle voudrait. Cette comtesse est encore aimable,
elle a du goût pour les plaisirs, et le cardinal qui lui donne sa
pourpre à caresser la sert en abbé parvenu, car on ne reçoit le
chapeau qu’après l’avoir acheté par bien des combats et des
fatigues, et la pourpre n’est souvent ici que la récompense des
exploits amoureux 50, en sorte que le cardinal ne conserve ses
amours qu’ad honores… Eh, si, par un effet de votre vertu, vous
pouviez me rendre toutes les grâces de la jeunesse ! Car vous
devez vous apercevoir que ma figure, à l’âge de vingt ans, pouvait
se promettre une petite fortune auprès des belles, surtout quand on
possède tous les talents secrets qui peuvent la mettre en crédit…
Par ce moyen, je pourrais obtenir de cette comtesse tout ce que je
demanderais. J’aurai soin de mettre dans mon marché tout ce qui
pourrait tourner à votre avantage. D’ailleurs, le miracle que vous
produirez en ma faveur deviendra la preuve de votre mission.
À ces mots, Barjome leva les yeux vers le Ciel et, sans mettre
beaucoup de façon dans cette affaire, il marmotta quelques paro63
les, et le philosophe rajeunit à l’instant. Sa figure était si brillante,
et la fraîcheur de son teint si vive, que l’auteur de ce phénomène
paraissait mettre son plaisir à contempler son ouvrage.
Le philosophe, satisfait et content, s’approche d’une onde claire, et non moins frappé du prodige que ravi de la beauté de ses
traits, il les admire et s’applaudit d’avance des merveilles que ce
rajeunissement doit opérer. Il embrasse le saint et lui dit dans le
transport de joie dont il était pénétré :
— Oui, vous êtes l’Envoyé de l’Éternel ! Je vous reconnais !! Et
s’il est quelqu’un qui soit assez faible pour en douter, il verra ce
que je suis capable d’oser pour la preuve de votre mission ! Fût-ce
le Saint-Père lui-même, il deviendrait coupable envers moi et
j’irais l’attaquer jusque dans le Vatican ! Suivez-moi, lui dit-il
alors, allons changer de décoration l’un et l’autre !
Le beau Tithon 51 conduisit Barjome chez un de ces tailleurs
qui, très savants dans l’art d’habiller sans prendre mesure, peuvent
composer d’un coup d’œil une garde-robe mal assortie. C’est là
que notre Pêcheur fut broché, relié tout en neuf. À peine a-t-il
endossé ce nouvel ajustement, qu’il ne paraît avoir des yeux que
pour le contempler. Il affecte ces airs de tête que le saint le plus
adroit ne sut jamais bien attraper. Il paraît être sensible au plaisir
de voir un apôtre en habit de Petit-Maître [G]. Le philosophe, qui
prenait à son tour une nouvelle décoration, paraissait très content
du marché mais comme il ne suffit pas d’essayer des habits qui
semblent avoir été coupés pour la taille de l’acheteur, et qu’il faut
payer l’adresse d’un tailleur qui, sans trop de façon, vous couvre
d’un habit aussitôt fait qu’ordonné, il fallait des espèces, et l’or
n’est point un meuble apostolique. Barjome eût été fort embarrassé dans cette occasion, mais l’industrie [G] du beau Tithon sut
tirer parti d’un effet dont le saint ne faisait aucun usage :
— Vous nous connaissez sans doute, Monsieur le Fripier !
— Je n’ai pas cet honneur, répondit-il.
— N’importe, vous êtes porteur d’une physionomie qui imprime
la confiance, et je veux vous en donner une preuve. Voilà deux
clés de chambellan que je vous laisse en dépôt. Monsieur le comte
de Pétrisaint, à qui elles appartiennent, est le Grand-Maître du
64
palais céleste, et moi j’ai l’honneur de le servir en qualité de Gentilhomme ordinaire. Notre banquier ne peut nous compter de l’argent que demain, et dès que nous l’aurons reçu, nous reviendrons
reprendre le gage que je laisse entre vos mains.
Le fripier parut être satisfait. Il les accompagne jusqu’à la porte
et les comble de mille offres de service.
Notre vieillard rajeuni, qui se promettait une conquête amoureuse, conduisit son compagnon d’industrie [G] 52 dans l’église qui
porte le nom de son ami.
— Voici votre maison, lui dit-il en entrant. La reconnaissez-vous ?
Je crois qu’elle vous est étrangère, ou je suis bien trompé, car on
l’a diablement défigurée. Elle était simple dans sa naissance et
bâtie sur une pierre qui devait être inébranlable, mais depuis qu’on
s’est avisé de vouloir la tailler, de la ciseler et d’y substituer le
marbre, l’édifice s’est ébranlé et le goût des architectes s’est corrompu en sorte que la pierre fondamentale n’existe plus, ou du
moins paraît être ensevelie sous les matériaux dont on l’a chargée.
Et votre édifice a reçu tant de secousses de la part d’un apostat [G] 53, que malgré les points d’appui qu’on élève sans cesse pour
le soutenir, tout ne sert qu’à prouver la faiblesse des architectes et
la mauvaise qualité du terrain. Vous voyez comme les murs sont
plâtrés de copies. On les expose à la vénération des fidèles, tandis
que les originaux servent d’allumettes 54 à la cuisine de Lucifer.
Votre maison, qui ne recevait jadis dans son sein que des chrétiens
accoutumés à la nourriture des anges 55, ou faits pour la partager,
n’est plus qu’un théâtre où chacun représente des pantomimes ou
des farces à la mode. On peut dire que l’asile des mystères sacrés
est devenu le sanctuaire des amours. Voici l’heure où la comtesse
va se rendre.
À peine eut-il achevé ce discours, qu’on vit entrer une belle
dame qui semblait annoncer que la main de l’aînée des grâces
servait de ministre à ses atours 56. Jamais on ne vit plus d’élégance
et de goût dans la parure. L’artifice et la mode avaient tout épuisé
pour elle. On vit, bientôt après, un homme vêtu de pourpre dont la
robe traînante balayait à grand bruit le parvis 57 du temple. Il entra
dans le presbytère, et bientôt la belle dame fut le joindre.
— Savez-vous ce qu’elle va faire ? dit Barjome à son ami.
65
— Elle va chercher cinq absolutions dont elle a besoin : une pour
son odorat, car elle est idolâtre des parfums ; la seconde pour ses
oreilles, car elle a du goût pour la médisance ; la troisième pour
ses yeux fripons, qui savent quêter avec adresse tous les fruits
qu’on peut recueillir dans le jardin de Paphos 58 ; la quatrième
pour sa bouche, qui se plaît à mêler sa parole avec celle des cardinaux. Toutes ces absolutions sont justes et le cardinal ne manquera pas de les lui prodiguer à pleines mains. Mais à peine les
aura-t-elle reçues, qu’en reconnaissance elle mettra celui qui les
donne si gratuitement dans la nécessité d’en avoir besoin luimême.
Ils furent se placer tous deux dans un endroit où la dame devait
passer. Elle ne manqua pas de fixer avidement notre beau Tithon.
Elle avait à sa suite le fidèle Jasmin 59. Un coup d’œil lui suffisait
pour interpréter les volontés de sa maîtresse : il suivit nos deux
aventuriers qui furent à l’hôtel de Notre-Dame de Padoue. Notre
vieux marquis, en habit de printemps, ne manque pas de dire à
l’hôte que si quelqu’un venait demander après deux étrangers, il
aurait soin de dire que c’étaient des gentilshommes français. Ce
qui fut dit effectivement. Mais à peine fut-il rendu auprès de sa
maîtresse, qu’une lettre déjà préparée lui fut confiée pour remettre
au plus jeune des deux étrangers. Il vole, présente la lettre : on
l’ouvre, et le beau Tithon dit à Jasmin qu’il aurait l’honneur d’en
porter la réponse. Voici comme elle était conçue :
Monsieur, qui que vous soyez, Comte, Marquis, ou Chevalier,
votre figure annonce tous les talents aimables ; je serais bien aise
de vous voir : vous me paraissez étranger, c’est assez pour m’intéresser à votre sort ; le porteur de la présente est à vos ordres, il
doit vous conduire, je vous attends.
À peine eut-on fait la lecture de cette lettre, que le beau marquis
quitta son ami pour entrer dans une carrière [G] brillante, en lui
promettant de le rejoindre au plus tôt. Arrivé chez la comtesse, il
en reçut toutes les marques de tendresse qu’il en attendait. La
conversation tomba sur l’entrevue du cardinal. La comtesse lui dit
66
que lorsqu’on est auprès de ce qu’on aime, on ne doit jamais
s’occuper des absents.
— Dites-moi quel est votre nom, vos qualités !
— Je ne puis vous rien dire, Madame, qu’après que j’aurai reçu de
vous quelques preuves de vos bontés. C’en est une bien chère
pour moi que la lettre dont vous m’avez honoré 60, et la douceur de
l’accueil que vous voulez bien me prodiguer, mais l’importance
de mes affaires exige de moi que vous ne sachiez mon secret que
lorsque vous m’aurez fait part du vôtre.
— Hé ! pouvez-vous ignorer ce que mon cœur a de plus caché,
puisqu’il est à vous ? Mais craignez d’en abuser : si jamais votre
bonheur faisait le poison de ma vie, si vous en perdiez la récompense par un mot indiscret, songez que la vengeance n’échapperait
point à mon cœur !
— Non, Madame, ne craignez rien de mon amour, il ne peut être
digne de reproche puisqu’il est éclairé par vos yeux. La conquête
de votre cœur m’est trop chère et j’en connais trop le prix pour ne
pas mettre tout mon bonheur à la mériter.
Je ne peindrai point les combats de ces deux amants ; je n’ai
que l’art d’en livrer, et non celui de les décrire. Il suffit d’apprendre au lecteur que la comtesse ne tarda pas à reconnaître que la
gaine du marquis valait mieux que la lamée du cardinal qui, malgré tous les soins qu’il prenait à la dérouiller, n’en était pas moins
usée 61. Jamais elle n’avait été si fortement aimée, et jamais on ne
mit tant de raffinement et de chaleur dans le goût des plaisirs.
L’on voyait le courage de cette amazone de Cythère 62 s’éteindre et
se ranimer au même instant, pour être au-dessus des assauts
qu’elle était digne de soutenir. Enfin elle demanda grâce, et ne
l’obtint qu’à l’agonie de ses désirs. Après ce petit essai d’amour,
elle embrassa son ami :
— Que puis-je vous accorder, lui dit-elle ? Ne me cachez rien de
tout ce qui peut intéresser votre fortune, parce que la mienne en
dépend.
À ces mots, le beau Tithon commença le récit de ses aventures.
— Hier, en me promenant aux pieds du Capitole, je fus abordé par
un vieillard que je prenais pour un de ces malheureux qui livrent
le plus honnête homme à tous les soupçons dont on outrage
67
l’indigence et la vertu. Dans celui-ci, j’offensais ce que Rome a de
plus auguste et de plus sacré dans ses murs. Ce malheureux, dont
l’aspect me fit reculer, était saint Pierre. Il se jette dans mes bras,
la conversation nous lie, il me séduit et m’attache. Enfin, il
m’ouvre son cœur et me dit qu’il venait du Ciel, et qu’il était
envoyé de la part de l’Éternel pour traiter une affaire importante
avec le Saint-Père.
À ces mots, la comtesse, qui avait reçu du cardinal quelques
leçons puisées dans l’Arétin 63, regarda son ami comme un être
visionnaire et parut avoir quelque repentir des faveurs qu’elle
venait de lui prodiguer. Soit qu’elle craignit l’imprudence d’un
homme dont le timbre paraissait être dérangé, soit qu’elle ne crut
point aux envoyés du Ciel qui, loin de descendre sur la Terre, ne
daignent pas même abaisser leurs regards jusqu’à nous. Elle le
traita d’insensé, lui prodigua tous les épithètes qui se présentaient
à son esprit :
— Vous pouvez, lui dit-elle, m’accabler, me disputer l’usage
d’une raison qui m’éclaire et qui ne saurait me quitter que pour
faire place à l’amour. Mais qui ne voit rien en aveugle, ne juge
point en imbécile 64.
— C’est peu d’avoir vu les Lettres de Créance dont il est porteur,
scellées du sceau même de la divinité. Pour justifier la vérité de sa
mission, je l’ai prié de me rajeunir car, tel que vous me voyez, j’ai
quatre-vingt-quatre ans bien comptés. Mais, grâce à la vertu du
saint, il m’a déchargé du poids de la vieillesse pour me rendre la
vigueur de mes beaux jours. Ne croyez pas qu’un verre d’eau de la
fontaine de jouvence ait opéré ce grand miracle. Vous pouvez
vous détromper par vous-même et juger, par ma façon d’aimer,
que la vertu du saint y doit entrer pour quelque chose.
— Mais comment, lui répondit la comtesse, me persuaderez-vous
que ce héros apostolique se prête à vos plaisirs ?! N’est-ce pas
plutôt un envoyé de Lucifer, qui vous trompe sous la figure d’un
habitant du Ciel ? Et je crains que cet esprit malin ne vous possède
tout entier ! Ah ! malheureux que vous êtes ! S’il était dans votre
corps, peut-être que par infusion vous l’auriez fait passer dans le
mien, car jamais on ne fut possédé comme vous l’êtes de la rage
d’aimer 65.
68
— Eh, qu’importe, Madame, à quel saint je dois désormais vouer
ma reconnaissance ! Qu’importe qu’il soit né des Enfers ou descendu du Ciel ! Je ressens tous ses bienfaits, et j’ai le pouvoir de
vous les faire sentir. Au reste, je veux pousser l’aventure à bout et,
fallût-il manquer au respect qu’on lui doit, je veux percer le
masque dont il est couvert. Il me serait très facile de pénétrer le
mystère de cette ambassade, si vous vouliez bien me procurer
vingt mille écus romains dont j’ai besoin. Je vous prouverai que je
ne suis pas dupe d’un apôtre. Et comme il est des saints de toute
espèce, il en est qui ne viennent sur la Terre que pour s’amuser de
nos plaisirs et surtout pour mettre le feu dans certains endroits
qu’on ne nomme pas. Ce n’est pas tout : je suis si rempli de vos
tendres bienfaits, que je ne crains pas d’épuiser la source de vos
bontés, et je me flatte que vous daignerez joindre à cet excès de
générosité la grâce de vouloir bien parler à Son Éminence de
l’arrivée de Saint Pierre et de la mission qu’il doit remplir auprès
du Grand-Vizir.
— Vous pouvez disposer de ma fortune, elle est tout entière à
vous puisqu’elle est soumise à mon cœur. Si la douceur de faire
du bien ajoute à l’ivresse du sentiment, si ce plaisir est le seul
incorruptible, songez que je ne veux pas l’acheter aux dépens de
l’amour, mais plutôt l’épurer dans vos bras, et le savourer tout
entier. Quant à la commission dont vous voulez que je m’acquitte
auprès de Son Éminence, permettez-moi de la refuser. Je ne
saurais me charger d’un rôle qui me livrerait aux sifflets. Je
connais le cardinal, il a le talent de persifler tout. Et de quelque
façon qu’on ajuste et qu’on habille les saints, il ne sont jamais
vêtus à sa mode ! Et quand on attaque une reliure en maroquin,
rarement fait-on grâce à l’auteur 66 ! D’ailleurs le Suisse [G] de la
porte du Ciel n’a plus son entrée dans le Vatican, c’est un vieux
saint qui dort tranquillement dans sa niche et si l’on respecte son
sommeil, c’est qu’on le croit nécessaire au bien de l’Église et
surtout au repos de Sa Sainteté. Quand nous sommes lassés de
parler de modes et d’atours avec le cardinal, nous égayons nos
entretiens par des matières théologiques. Je lui fais mille questions, il répond à toutes et n’en résout aucune. Je lui demandais
l’autre jour ce qu’il pensait de la foi catholique : il me répondit
69
que la religion ressemblait beaucoup au cocuage. Eh, je trouve en
effet beaucoup de justesse et de sens dans cette comparaison parce
que le peuple, nourri de préjugés, se fait un revenu du sacrement
et ne rougit pas de vivre de la couronne d’Actéon ! Les gens de
négoce, et tous ceux qu’on appelle bourgeois, porteurs de toutes
espèces de métiers, sont assez imbéciles pour avoir autant de
crainte de l’Évangile que du bois de cerf 67. Les Grands, toujours
au-dessus de l’opinion, savent braver l’un et l’autre. Quant au
miracle qui vous a rendu la jeunesse, Son Éminence n’y croira
point puisqu’il prétend que l’art de faire des miracles n’est point
un don, mais bien plutôt une vertu physique et morale qui doit
moins au jeu de l’ouvrier qu’aux décorations de la machine. Il est
des secrets dans la nature qui tiennent du prodige aux yeux des
sots, et deviennent bien simples quand on les dépouille de tout
l’appareil qui les cache. De là vient que tous les faiseurs de miracles commencent par de petits tours d’adresse et finissent par des
choses qui étonnent l’imbécillité du vulgaire. Les successeurs de
saint Pierre ont oublié depuis longtemps qu’ils occupent la place
d’un apôtre, et l’on serait très malvenu de leur parler de ce qu’ils
veulent ignorer. Et comment peut-on allier le besoin du savoir,
avec l’effusion de toutes les grâces de l’Esprit-Saint ? D’où vient
que saint Paul, au milieu des inspirations divines, et ravi dans le
troisième Ciel, demandait des livres à Timothée 68 ? Si les apôtres
ont été réellement inspirés, pourquoi trouve-t-on des contradictions dans leurs écrits ? S’il est vrai qu’ils ont été remplis de
l’Esprit-Saint, pourquoi ne parlent-ils que le langage qui nous est
commun ? S’il est possible que trois intelligences, tantôt unies,
tantôt divisées, ne composent qu’une seule et même essence,
pourquoi l’une permet-elle ce que l’autre défend ? Quoi de plus
coupable envers l’Esprit-Saint, que de douter un moment de l’infinité de ses attributs ?! Cependant, il ne peut être Dieu lui-même
qu’autant qu’il nous fait aimer en lui ce que nous chérissons dans
la personne du Fils. On lit, au chapitre douze de saint Matthieu,
que le péché contre le Saint-Esprit ne sera point pardonné 69. Jésus
a dit lui-même que le blasphème contre la troisième Personne ne
recevra jamais de pardon, et selon la parole de cet Homme-Dieu,
quel effort de clémence n’en doit-on pas attendre, puisqu’il pro70
met de faire grâce à tous ceux qui blasphèment son propre nom !
Que conclure de cette contradiction ? Ne doit-on pas supposer que
la justice du Saint-Esprit n’est point celle de Dieu, puisque l’un se
plaît à pardonner, et que l’autre veut être inexorable ? L’unité
sainte est donc rompue, puisque c’est l’uniformité d’intelligence
qui la compose et la constitue. Mais laissons tous ces détails, qui
ne sont pas faits pour nos plaisirs. Restons sur les bords de l’abîme. Assez d’autres, sans nous, auront la témérité d’y descendre et
de s’y perdre comme la faible raison qui les guide. Je parlerai à
Son Éminence de votre affaire au risque d’être sa fable et sa risée,
mais à condition que vous ferez serment de me donner tous les
moments que vous n’emploierez point à vos affaires. Adieu, je
vois qu’il est temps de nous séparer. Songez que tous les moments
que vous passerez loin de moi sont autant de larcins que vous
ferez à l’amour. 70
À peine le beau Tithon se fut-il arraché des bras de la comtesse,
qu’il revola dans le sein de son ami.
Quelle différence, d’être réchauffé par l’haleine de sa maîtresse
ou glacé par le froid d’un habitant du Ciel ! Il est vrai que Barjome est devenu, par habitude, le plus aimable de tous les saints.
À force de voir assiéger les portes du Ciel par des sultanes et des
vierges, il est devenu complaisant et d’un abord très facile. On dit
même qu’il eût été privé de son emploi sans la protection de Jésus
le jour que, cédant à l’importunité des ses prières, il s’avisa d’ouvrir les portes du Ciel à la nièce de certain cardinal, que son oncle
fit élever au nombre des vierges, en reconnaissance de certains
petits sacrifices qu’elle lui faisait 71. Elle vécut dans toutes les
règles du célibat, mais comme la chair ne perdit jamais ses droits,
et qu’un arbre, quel qu’il soit, doit être coupé quand il ne porte pas
de fruits, elle sut mettre à profit le précepte divin et sanctifier le
célibat aux yeux du public, aux dépens de la parenté prostituée. Le
pape, qui ne lut jamais dans les cœurs et qui, pour être à la place
de saint Pierre, n’en est pas meilleur physionomiste, fut la dupe de
son zèle pour la propagation de l’espèce virginale, et fit les frais
d’une béatification pour se faire une amie dans le Ciel. Mais
l’Éternel, qui n’a pas besoin des lunettes dont on charge le nez du
71
Saint-Père, éclairait du haut du Ciel la conduite de la vierge
prétendue. Il la voyait et l’attendait aux portes du Ciel, pour nous
apprendre que les arrêts du Sénat Apostolique ne sont pas sans
appel et que, souvent, on efface dans le pays des saints ce qui
porte l’empreinte d’un siège, qui damne et sauve à tout prix.
Notre jeune et vieux marquis ne manqua pas de raconter son
bonheur à son ami. Il savait qu’on est assez discret dans le Ciel, et
que le silence est la première vertu des saints. Dans le moment, il
fut question de préparer un équipage et de composer une livrée
apostolique : on donne des ordres, et tout fut exécuté. Le beau
Tithon dit à son ami que la comtesse devait le protéger auprès de
Son Éminence, et bientôt il le conduisit aux portes du Vatican
dans la voiture la plus élégante qu’on ait jamais façonnée.
Ils arrivent. On les annonce au cardinal sous le nom du comte
de Pétrisaint et du marquis de Jouvenceau 72. Son Éminence les
accueillit avec cette fierté qui tient de l’orgueil et qui n’est pas
moins le fardeau de ceux qu’elle opprime, que l’embarras de
l’oppresseur. Le comte dit à Son Éminence qu’il était chargé
d’une commission très importante à la Cour de Rome, et qu’il
était mandé par le Grand-Maître pour traiter avec Sa Sainteté des
affaires de saint Ignace. Le cardinal lui répondit :
— Si vous n’avez d’autre titre pour être reçu du Saint-Père, vous
pouvez renoncer à l’honneur de voir Sa Sainteté. Et selon moi, ce
n’est pas assez de vous priver de cet avantage : vous méritez de
subir le sort qu’on destine à tous les comtes aventuriers qui vous
ressemblent. Nous en voyons à Rome de toute espèce et, depuis
longtemps, nous sommes instruits à persifler ces acteurs à la
mode. Nous en connaissons le jeu, les intrigues, et nous cessons
d’en être les spectateurs. Vous commencez votre début sur le
Théâtre de Paris et, souvent, avant la fin du premier acte, on vous
oblige de quitter la scène. Vous passez à Londres, vous y jouez
quelques drames d’une espèce assez neuve, et vous avez soin d’en
imprimer le souvenir dans l’esprit des auditeurs, mais bientôt une
nouvelle éclipse vous emporte sur un nouveau théâtre. Vous
courez d’une capitale à l’autre, et vous arrivez à Turin où la Cour
est régalée de deux ou trois scènes de votre façon. De là, vous
portez votre élégance jusqu’à Rome et vous nous préparez un
72
dénouement qui laisse l’alarme et le désespoir chez tous les usuriers 73… Voilà, Messieurs, l’historique tableau des vos courses. Je
ne sais si vous vous reconnaissez à ses traits. Quoi qu’il en soit, et
sans crainte d’être accusé d’impolitesse, le plus tôt que vous me
soulagerez du fardeau de votre présence sera le mieux, et je vous
conseille non seulement de ne plus reparaître devant moi, mais de
vous épargner la honte qui vous attend si le lever du soleil vous
retrouve demain dans l’enceinte de la ville.
— Arrêtez, Monsieur le Cardinal ! lui dit alors le comte de Pétrisaint. Vous me traitez en Maître, et peut-être seriez-vous à peine
mon disciple ! Apprenez à me connaître avant de me juger, et
sachez qu’une cervelle imprudente déshonore le chapeau qui la
couvre. Je suis saint Pierre, et je n’ajoute un nouveau titre à la
simplicité de mon nom que pour me conformer à des usages qui
font le supplice de la sagesse et le fardeau de la vérité. Si vous ne
m’en croyez point sur ma parole, lisez mes Lettres de Créance, et
traitez-moi d’imposteur après si vous osez ! Voyez si je dois être
exorcisé 74 comme un envoyé de Lucifer, ou fêté comme un saint à
qui vous devez tout, jusqu’à la pourpre dont vous êtes revêtu !
Reconnaissez-vous le seing de l’Éternel ? Aurez-vous assez de
prévention 75 pour en douter et joindre à tous les affronts dont vous
m’accablez celui de m’accuser d’imposteur ? Vous avez si faussement altéré la Lettre Sacrée, qu’elle devient étrangère à tous les
yeux. Votre état était de la conserver comme un dépôt sacré, de la
respecter, et non de porter votre orgueil jusqu’à vouloir l’éclairer.
Mais n’importe ! Souvenez-vous que celui qui sut autrefois étonner les faux sages de ses prodiges 76 peut à l’instant même vous
jeter dans la consternation, et que si mes raisons ne peuvent prouver ma mission, votre anéantissement pourrait devenir à l’instant
même une preuve de sa force ! Si Votre Éminence ne m’assure de
sa protection auprès du Saint-Père, elle reconnaîtra ce que je puis
à la plus terrible métamorphose qu’on n’ait jamais éprouvée. Craignez de voir tomber ce chapeau rouge dont votre tête est parée !
Craignez de voir cette pourpre superbe livrée à des mains invisibles qui s’apprêtent à la déchirer ! Je puis vous condamner d’un
mot à porter à jamais l’habit d’un cordelier ! Oui, vous traînerez le
73
froc d’un village à l’autre, et je veux qu’au moment même le cordon de saint François serve d’ornement à votre ceinture 77 !
À peine eut-il prononcé ces paroles, qu’on vit descendre du Ciel
le manteau rapetassé qui couvrait autrefois l’inventeur des capuchons. Cet habit voltigea quelque temps sur la tête du cardinal ! Il
en fut si frappé, qu’il tomba tout à coup aux genoux de l’apôtre et
lui demanda grâce, en lui disant d’une voix tremblante :
— Oui, je vous reconnais !! Vous êtes vraiment le Portier du Ciel,
l’Envoyé de l’Éternel, le Héros de l’Apostolat, ou plutôt quelque
Antipapiste échappé des grilles de Lucifer ! Que voulez-vous de
moi ? Parlez, ordonnez, je suis prêt à tout faire ! Mais au nom de
cette Église dont vous êtes le Chef et le Père, et que j’ai l’honneur
de servir en qualité de Prince et de Soldat Apostolique, sauvezmoi de la pesanteur du froc, et ne me chargez pas d’une vile besace [G] que je n’aurai pas la force de soutenir ! Fussiez-vous quelque
démon ou quelque esprit animé par le souffle de Belzébuth, je
m’abandonne à vous ! Je fais serment d’être utile à vos plaisirs et
de vous servir en toute occasion, pourvu que vous écartiez de mes
yeux cette robe monacale dont le seul aspect me glace d’horreur 78.
— Eh bien, lui répondit le comte, rassurez-vous : elle disparaîtra !
Si j’en juge par la frayeur dont vous êtes saisi, vous me reconnaissez sans doute et j’ai lieu d’espérer que vous protégerez ma mission auprès du Saint-Père. Et s’il est assez faible pour en douter,
peignez-lui ce que vous venez de voir ! Qu’il me juge sur la vérité
de votre récit, et non sur moi-même !
— Oui, je jure d’employer auprès du Saint-Père toute la force des
mes discours pour le persuader en votre faveur. Et si demain vous
voulez bien vous rendre aux galeries du Vatican sur les dix heures
du matin, pour être au petit lever de Sa Sainteté, je ne manquerai
pas de vous annoncer et de lui dire que je vous ai reconnu pour le
Chambellan et l’Envoyé de l’Éternel ; mais jurez-moi par le saint
Évangile que la métamorphose n’aura pas lieu !
À ces mots, nos deux amis se séparent du cardinal, qui fut très
aise d’en être quitte à si bon marché car il craignait avec raison
que sa triste Éminence ne fût encloîtrée.
Le marquis de Jouvenceau, qui voulait promener son ami dans
tous les coins et recoins de la ville, le conduisit à la montagne de la
74
Trinité 79. C’est là que des reclus de toute espèce annoncent autant
de religions qu’ils ont de couleurs différentes. Chaque cloître est
un nouveau pays où l’on suit un autre usage. Ici, l’on ne voit que
des habits blancs ; ailleurs, on doit être vêtu de noir. Ici, l’on doit
jeûner sans cesse ; ailleurs, on doit mourir d’indigestion pour le
salut de son âme.
— Vous voyez, disait-il à son ami, le peu d’uniformité qui règle la
religion ? À force de vouloir la décorer, on la déguise en tant de
manières qu’on ne la reconnaît plus.
— Et que font, disait le comte de Pétrisaint, tant de peuples cloîtrés ? Quel est l’emploi qu’ils exercent ? Voulez-vous que j’interroge cet homme vêtu de blanc, qui se promène dans le jardin… À
quoi pensez-vous, mon ami ? lui dit-il en l’abordant.
— Je rêve au peu d’esprit de notre fondateur qui, pour vivre dans
le catalogue des saints, a voulu grossir la liste des damnés. Eh,
qu’avons-nous besoin d’une existence qui devient inutile à nousmêmes, et surtout au reste des hommes ! Car enfin l’homme finit
où commence le célibataire 80 ; et lorsque nous commençons à
vivre, nous sommes forcés de faire des vœux pour cesser d’exister. Et malgré la révolte de la chair contre l’esprit, il faut immoler
l’un à l’autre, et devenir, à la fois, le sacrificateur et la victime. Ne
croyez pas que la religion remplisse les cloîtres de tant de citoyens
inutiles. C’est la mollesse et l’oisiveté qui lient tant de reclus
d’une ceinture de corde et l’on peut dire que les asiles, qu’on croit
élever pour la piété, sont le berceau, l’école de tous les vices. Estil rien de plus tyrannique que d’obliger un enfant à promettre à
Dieu ce qu’il est incapable de tenir ? Les lois nous asservissent à
la tutelle jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans. Tout acte obligatoire, qui
n’a pas l’aveu de mon curateur, emporte nullité 81 et quand il s’agit
de prononcer des vœux que je ne pourrai jamais accomplir, il faut
que je stipule contre mes sens et mes passions, sans avoir droit de
les consulter. Et comme elles sont plus tardives chez les uns que
chez les autres, il est possible qu’à l’âge de seize ans, la nature
soit muette encore ou ne parle qu’à demi. Or, je demande si la
puissance ecclésiastique doit s’étendre plus loin que la force des
lois civiles et naturelles, et si la religion peut être honorée par des
sacrifices qui coûtent tant de pleurs à l’humanité…
75
— Vous avez raison, lui dit le comte de Pétrisaint. Je prends part à
toutes les peines qui vous affligent, et je voudrais bien pouvoir
vous dégager des vos chaînes. Autrefois, je pouvais rompre les
fers des captifs mais le droit de délier les plus petits cordons n’est
plus à mon pouvoir depuis qu’il a passé dans des mains qui l’ont
usurpé et qui prétendent le tenir de moi-même. Et je vous jure, de
bonne foi, qu’on ne peut disposer de ce qu’on n’a pas et que je ne
connais rien à tout cela. Tâchez de vivre heureux dans votre état.
Tout n’est qu’un mélange de peines et de plaisirs. Vous avez quelques beaux jours comme partout ailleurs : s’ils sont troublés par
des orages passagers, il faut s’en consoler. À Dieu ! je souhaite
que vous goûtiez dans cette prison toutes les douceurs de la liberté
sans la connaître et sans la désirer.
À peine furent-ils sortis de cette maison cloîtrée, que le marquis
de Jouvenceau fit passer son ami dans la rue de Popolo qui, par
les fripières d’amour dont elle est remplie, attire l’attention de
tous les étrangers qui veulent faire emplette de pareille marchandise 82.
— Toutes ces maisons que vous voyez, disait-il à Pétrisaint, sont
habitées par de jeunes princesses dont les plaisirs sont les revenus
de Sa Sainteté. C’est ici qu’on peut acheter en tous temps des
dispenses de pudeur. Elles coûtent très peu, quand on sait tirer
parti de tout. C’est ici que Vénus a des cloîtres que l’on appelle
vulgairement des couvents, ou des abbayes pour que, sous le voile
de l’austérité sainte, la volupté même y trouve un asile respectable. La plupart de ces prisons sont gouvernées par une abbesse 83.
Les sœurs professes sont obligées de faire six vœux 84. Le premier
les engage à payer à Sa Sainteté le dixième du produit de leurs
petits jardins. Le second à les cultiver le mieux qu’il est possible
pour en augmenter le produit. Le troisième permet une libre entrée
à tous les cardinaux, prélats, chanoines, et autres apprentifs [G]
églisiers [G] ou balayeurs d’église. Il est ordonné par le quatrième,
à chaque sœur professe, d’accepter toute proposition de nonconformité, pourvu qu’il en revienne du profit à l’Église. Le cinquième leur ordonne de faire preuve de six campagnes dans la
Suède 85 pour obtenir une libre entrée à l’Hôtel des Invalides de
Cythère. Par le sixième et le dernier vœu, toute nonnain [G] qui
76
cesse d’être utile à la population du royaume céleste doit exercer,
le reste de sa vie, l’emploi de flagellatrice, très nécessaire dans
Rome et surtout aux vieux membres du Collège Apostolique,
puisque la circulation de leur sang ne peut être ranimée que par
des coups de discipline charitablement donnés et reçus 86. Quant à
la règle qu’on observe dans ces cloîtres voluptueux : on peut prolonger les jours et les nuits, pourvu que ce soit en tout bien et en
tout honneur ; c’est-à-dire qu’il est permis de tout faire, à condition qu’on ne perdra pas une heure sans faire le profit de l’abbesse
ou de Sa Sainteté. Le seul vice qu’on y punit, avec raison, c’est
une oisive indifférence. Ce vol que l’on fait au bien public, et que
l’on permet dans les États les mieux policés, est un crime qu’on ne
pardonne pas dans ces cloîtres. Je vous avoue que le bon ordre qui
règne dans ces maisons mérite l’attention du sage, et si vous me
croyez, vous aurez le plaisir d’en juger par vos yeux. Il est certaines débauches de curiosité qui n’effacent pour un moment les
rides de la sagesse que pour les imprimer davantage. Quelque
contagieux que soit un pays, on y découvre souvent des choses
qu’on est bien aise de savoir et de raconter.
Pétrisaint, gagné par son ami, parut céder à la tentation. Il fut
entraîné dans un de ces couvents. On les présenta d’abord à l’abbesse, qui ne manqua pas de leur prodiguer ce doux accueil d’autant plus flatteur et plus cher à celui qui le reçoit, qu’il est toujours
fait avec autant d’art que de plaisir. Cette régente, qu’on appelait
Rosaria 87, paraissait avoir vieilli dans le grand art d’avoir toujours
du neuf au service de ses protégés, et de prêter aux plaisirs tous
les apprêts dont ils sont susceptibles. Elle les prit par la main et les
conduisit dans une galerie ornée de mille tableaux qui n’étaient
que les copies de tous originaux qu’elle gardait précieusement
dans les cellules du cloître. Pétrisaint jeta d’abord les yeux sur le
portrait d’une belle recluse, qui ressemblait beaucoup à celui
d’une certaine Véronique qui gémit depuis longtemps aux portes
du Ciel 88, et qui, au rapport de Pétrisaint, faisait très bon marché
de son honneur s’il eût été tenté de l’acheter par un tour de clé. Le
comte était ravi de se trouver en pays de connaissance et fut tenté
de voir cette professe de Vénus qui ressemblait à la patronne des
serruriers. Barjome s’imagina d’abord que, lasse de frapper aux
77
portes du Ciel, elle en était descendue pour aller dans quelque
cloître amoureux lever des contributions au profit de Sa Sainteté
et trouver ainsi l’occasion d’escroquer son entrée dans le paradis.
Pétrisaint fut introduit dans son appartement. Il embrassa l’image
de Véronique, et lui dit :
— Si vous n’êtes point une vierge, vous en avez toutes les grâces,
car vous possédez les beaux yeux et le tendre sourire d’une
pucelle dans toutes les règles du canon. Votre déshabillé de toile,
chiffonné comme un habit de combat, imite la blancheur de votre
teint. Je serais bienheureux si je rencontrais ici certaine pucelle
que j’ai cru laisser aux portes du Ciel.
— Vous vous trompez, Monseigneur, lui dit-elle. Si j’ai l’honneur
de porter la figure de sainte Véronique, je ne me flatte pas d’être
aussi neuve qu’elle doit l’être. Nous avons pourtant quelque chose
de commun entre nous deux : c’est qu’elle est peut-être dans le
pays des saints la martyre des ennuis, et que je suis dans cette
bienheureuse maison la victime des plaisirs.
— Pourquoi vous plaindre de votre sort ? lui répondit le comte.
Est-il un meilleur état que de devoir sa subsistance à ses plaisirs,
et de trouver dans les faveurs de l’amour mille moyens de
satisfaire à ses besoins ?
— Ah, Monseigneur ! Que vous connaissez bien peu les dégoûts
de ma profession, puisque vous en faites l’éloge ! Est-il rien de
plus affreux que d’être condamnée par état à ranimer l’appétit de
tant d’églisiers [G], qui n’ont plus la force de digérer ? J’avoue que
cette charge est bien pénible et que je suis plus martyre dans mon
état que toutes ces vierges qu’une oisiveté sainte a placées dans le
Ciel, mais j’espère qu’on nous tiendra compte dans l’autre monde
des fatigues que je supporte dans celui-ci. Et si jamais la maison
de Lucifer m’était ouverte, j’ose dire que je n’aurais rien de plus à
souffrir, puisque je ne ferais que changer de garnison. Car on ne
saurait être plus tourmentée que je le suis par des petits coureurs
de bénéfices, qui me promènent nuit et jour dans tous les recoins
de l’Académie des Dames 89. On dirait qu’il est une école dans
Rome où l’on étudie tous les secrets antiphysiques [G]. Tantôt je
fais l’office de prêtresse, tantôt, misérable victime, on me
condamne à parer l’autel qui doit être mis à l’envers 90. Ce n’est
78
pas tout : j’aurais moins à gémir de mon sort, si je gagnais au
moins de quoi m’acheter une aune d’entoilage mais je ne touche
point au fruit de mon travail. Il doit être sacré pour moi, puisqu’il
est le patrimoine du Saint-Père. Je suis mille fois plus à plaindre
dans mon état que le pauvre vigneron ! La semaine est, dit-on,
composée de sept jours : il est obligé d’en donner au moins trois
au paiement de sa taille et autres droits imposés par le souverain.
Ce n’est pas tout : il faut qu’il acquitte le seigneur du village, qui
ne fit jamais grâce d’un quart d’heure et qui lui dérobe en bonne
conscience deux jours de son travail. Il en reste un qui n’est pas
pour lui, puisqu’il le doit au curé de la paroisse : il n’a donc que le
dimanche qu’il pourrait employer à son profit. Eh, pour son
malheur, il est obligé de le consacrer au repos ! Du moins a-t-il
l’avantage de s’occuper de l’Évangile du jour et de travailler au
salut de son âme. Il est vrai que son estomac à jeun ne jure pas
moins, mais moi, qui ne perds pas un quart d’heure de tous les
jours qui me sont donnés, qui loin d’être ranimée par le sommeil,
n’entre dans ce berceau de la volupté que pour y trouver l’épuisement de mes forces, périsse mille fois le terrain que je possède
puisqu’il faut que je le cultive à grands frais et que j’y moissonne
pour autrui ! Tout ce que je gagne dans la semaine ne me suffit
point pour payer le tribut des plaisirs que je donne. Et quand je
fais mon compte avec l’abbesse, soit avances, mauvaises paies, ou
dettes perdues, sa manière de calculer me fait perdre la tête. Et
malgré le casuel du métier, je suis toujours en reste avec elle.
Peut-être avez-vous de peine à me croire, mais pour vous en
donner une preuve, jetez les yeux sur le tarif des droits que nous
avons à payer 91 :
1° Pour les dispenses de pudeur et autre vertu, sera payé deux
écus romains par semaine.
2° Pour les frais d’apprentissage et de maîtrise dans l’art de varier
les plaisirs, et de faire en matière de volupté des découvertes
toujours nouvelles, la taxe est de trois écus.
3° Pour le droit de visite de la part du député du Collège Apostolique, laquelle visite se fera deux fois par semaine, sera payé
six écus.
79
4° Pour le paiement d’un brevet de pucelle que le député du Sacré
Collège expédiera toutes fois qu’il en sera requis en faveur de
la nonnain [G] qui saura tenter la générosité de quelque milord
Anglais, sera payé trente sols.
5° Pour les épingles et les menus plaisirs de l’abbesse, sera payé
deux écus par semaine.
6° Pour l’entretien de l’hôtel que le pape Alexandre fit élever pour
les invalides de Cythère 92, sera payé un écu.
7° Même taxe pour être le vase d’élection dans certaines parties
de plaisirs, où l’abbesse nous envoie, pour fatiguer nos mains
au service de quelque Éminence.
8° Enfin, il faut donner trois écus pour le paiement des indulgences que l’abbesse nous fait accorder.
Vous voyez, Monseigneur, que le nombre des droits que nous
avons à payer est infini, comme les besoins de notre état, et
qu’avec ce peu d’attraits et le talent de les faire valoir, une fille de
mon âge ne devrait point être livrée au commun des fidèles. Oui,
si quelque seigneur plein de charité voulait m’arracher de cette
maudite prison, il gagnerait le Ciel ! Il le gagnerait, je vous en
assure ! Car la conquête du pays des anges est plus facile que vous
ne pensez, puisque tous les membres du Sacré Collège peuvent la
faire. L’Écriture nous dit que la voie du Ciel est étroite, et si l’on
en juge par la conduite de ceux qui veulent nous y conduire, il est
autant de chemins pour y parvenir que de manières de marcher. Et
qu’importe le sentier qui nous y mène ?! Pourvu qu’on y puisse
arriver, on fait toujours un bon voyage.
C’est ainsi que cette belle pénitente s’entretenait avec le comte,
lorsqu’on vint frapper à la porte. C’était son ami qu’un ange tutélaire envoyait sans doute pour dérober le comte à certain diable
séducteur, qui brûlait déjà dans ses yeux, qui n’aurait pas manqué
de descendre jusqu’au cœur et de corrompre notre vieux pêcheur,
qui dans ce moment ne pensait guère au naufrage de sa barque. Le
comte s’arracha des bras de la belle Amathonte 93, qui pleurait de
la meilleure foi du monde, et comme il voulait faire les choses en
bonne conscience, il tira de sa poche quelques écus romains, ne
voulant point user de son droit comme Prince des apôtres. Quel80
ques pièces d’argent charmèrent les yeux de la belle. Ses larmes
tarirent, et nos deux compagnons furent chercher fortune ailleurs.
Déjà, le brillant oiseau qui parle de tout 94, et fait voler dans son
bec toutes les gazettes de la ville et les sornettes des faubourgs,
répandait autant de mensonges que de vérités sur l’arrivée de saint
Pierre. Tantôt il le peignait chargé d’hameçons à demi rompus et
fracassés, tantôt il lui prêtait une reliure diplomatique 95.
Déjà, la curiosité, qui fut de tous temps la nourrice de cet
oiseau, et qui traîne à sa suite mille automates [G] ambulants, promenait sa longue vue sur toutes les places.
Toutes les rues étaient hérissées de capuchons et de cornettes.
On voyait le peuple imbécile, qui s’agite au moindre appareil de
nouveauté et qui court en insensé 96 les scènes les plus plates, les
plus petits acteurs et les plus viles décorations, qui ne sont point à
la mode du pays. La foule des cagots [G], qui ne manque point à
Rome, préparait des autels à Son Excellence. Ceux qui s’avisent
de ne rien croire élevaient une espèce de théâtre et, sans respect
pour l’Envoyé de l’Éternel, le mettaient au rang des bateleurs 97.
Le comte de Pétrisaint, accompagné de son ami, perçait la foule
à l’aide de quatre grands chevaux qui ouvraient un libre passage à
sa voiture. Son Excellence ne s’occupait point à faire des signes,
passe-temps ordinaires de nos princes mitrés qui, par un prodige
digne de la foire, avec deux doigts allongés, font pleuvoir un déluge de bénédictions qui paraît tout inonder et n’arrose personne. Ils
arrivent enfin aux portes du Vatican, où l’on attendait notre saint
pour des requêtes et des placets [G]. Un jeune gâte-métier [G], qui
portait la livrée de l’indigence pour avoir trafiqué de ses messes à
trop bon marché, vient se jeter 98 à la portière de la voiture, demande au comte de baiser ses talons, et supplie Son Excellence de
vouloir bien jeter les yeux sur une requête que le lecteur sera bien
aise de retrouver ici.
81
JOSEPH FRIPONINI 99, ci-devant Prêtre et Curé de la Paroisse
Sainte-Ancône 100, supplie très respectueusement,
Remontre qu’il ne suffit pas de veiller, jeûner, prier, et vivre
dans la retraite pour être à l’abri de certaines impressions qui,
dans le corps le plus étique [G], laissent voir de temps en temps
quelques marques de santé. L’ange de la malice est un fidèle
compagnon, il a la rage de vous suivre partout : que je passe de la
Chaire au Tribunal des consciences, de la table au lit de camp, je
me trouve toujours en mauvaise compagnie, et quand je fais des
efforts pour chasser cet esprit malin, il me flatte et me prodigue
tant de caresses, qu’il se glisse bientôt dans mon esprit, passe
dans mon cœur, s’empare de tous mes sens, et me possède tout
entier. S’il est vrai que nous sommes sacrés, d’où vient que le mal
nous gagne si subtilement ? L’onction de l’huile sainte est-elle
donc sans vertu par ceux qui la reçoivent ? Et pourquoi faut-il
qu’une gouvernante devienne aussi nécessaire à nos besoins que
la nécessité de rafler l’évangile du jour ? On cause d’abord avec
elle, on se familiarise à ses entretiens, et bientôt on porte la charité fraternelle jusqu’à l’appeler du nom de sœur ou de nièce…
Heureux, si l’on s’en tenait à des propos ! Mais les petits riens
dans le ménage amènent souvent de grandes choses. On se lève le
matin pour baptiser un enfant avec un peu d’eau sainte qui refroidit sa tête : on le guérit d’un mal qu’il n’a pas. Il faut ensuite
expédier des passeports [G] pour l’autre monde, nourrir les uns de
la parole de vie, préparer aux autres le pain des anges, le
composer, l’arrondir. Après que cette besogne est faite, on vient
au presbytère, où l’on est accueilli par une gouvernante toujours
empressée à mitonner un excellent potage qu’elle est sûre de
partager. On s’accoutume à ces petits soins. On veut écarter l’esprit malin. Il se met entre deux. On se rapproche pour ne pas lui
laisser le moindre vide. On se presse avec effort, et bientôt on est
tout surpris de voir qu’on a fait autre chose. Et comme l’appétit
vient à table, on prend du goût à ce petit jeu et l’on oublie dans
les bras de sa gouvernante tous les besoins de la paroisse. Voilà
mon histoire et le principe de tous mes malheurs.
82
En voici la suite. On ne s’avise jamais de tout est la devise de
bien des gens. Et comme il est des cas qu’on ne peut prévenir, on
ne cherche point à gâter ses plaisirs par de vaines précautions.
On va son petit train sans s’arrêter, et lorsqu’on arrive au but, on
voudrait en être bien loin. Après un petit commerce [G] de deux
mois, où le temporel n’entrait presque pour rien, je fus trahi par
une certaine enflure qui croissait à vue d’œil sous les jupons de
ma gouvernante : je crus qu’il était de mon devoir de justifier ce
malheur hydropique [G]. Je sonne la cloche ; mon troupeau s’assemble, je monte en chaire, et je leur dis dans une sainte et pathétique fureur : « Malheur à vous, paroissiens infidèles ! Malheur
au troupeau qui convoite le bien de son pasteur ! Quel est ce loupgarou qui, sous la figure d’un bélier, s’est glissé dans la bergerie ?! Je maudis celui d’entre vous qui peut avoir épaissi la taille
de ma gouvernante : ou son malheur est arrivé par quelque opération secrète, ou quelqu’un d’entre vous reçoit ici l’arrêt de sa
damnation ! » Ce début pathétique produisit un effet merveilleux.
On me crut sur ma parole, car le troupeau dont je suis pasteur me
fut toujours assez docile. Mais la Cour de Rome, qui ne juge point
à la mode d’autrui, ne fut point aussi crédule que mes paroissiens
et, sans trop de formalité, voulut m’interdire l’usage de mes
fonctions, me condamner à l’oisiveté, et me rendre, malgré moi,
coupable de tous les vices. Depuis ce temps, je suis si cruellement
tourmenté par la faim, que j’aurais déjà dévoré quelque membre
du Sacré Collège, si je n’étais retenu par la crainte de mettre trop
de corruption dans mon estomac, ou de le charger d’un morceau
trop indigeste.
À ces causes, il plaira sans doute à Votre Excellence d’ordonner que, pour le bien de la religion, l’usage des femmes sera permis à tous les prêtres et que la loi divine reprendra désormais
toute la force qu’elle a perdue sous la puissance ecclésiastique.
Quand vous étiez sur la Terre, vous traîniez partout avec vous un
petit ménage. Et saint Paul lui-même, écrivant aux Corinthiens,
leur disait qu’il avait droit de mener à sa suite une honnête ménagère, et que Dieu même le lui avait accordé 101. Dieu dit, en créant
le monde : il n’est pas bon que l’homme soit seul 102. Et cependant
on nous condamne à vivre auprès d’un chat ou d’un chien. Faut-il
83
donc que les prêtres deviennent des Narcisses ? Si l’on nous ôte la
seule compagne qui peut servir à nos besoins, que l’on nous donne du moins une ânesse qui ressemble à celle de Balaam 103. Si les
Ministres des Réformés 104 valent mieux que tous les prêtres de
l’Église romaines, c’est qu’on les pourvoit d’un petit ménage, et
quand on est riche de son propre bien, on ne convoite pas celui de
son voisin. Je vous avoue que le mal est si pressant que si le remède n’est pas donné promptement, je deviendrai l’apôtre des Réformés 105. Tout allait bien dans la naissance de l’Église, mais à force
d’interprètes, de novateurs et de conciles, on a tout gâté. Et laissons la religion comme elle est écrite, l’Évangile tel qu’il est, les
prêtres comme ils doivent être, et le Pape comme il marche.
— Je goûte [G] vos raisons, lui répondit le comte. J’en parlerai à Sa
Sainteté, et si ma protection vaut encore quelque chose auprès
d’elle, je serai très flatté de contribuer à la population de la Terre
pour augmenter celle du Ciel.
Dans ce moment une dame vint se jeter dans les bras de Son
Excellence et lui dit :
— Excusez, Monseigneur ! Je suis accoucheuse de mon métier. Je
viens de perdre mon emploi par la faute du cardinal *** qui m’a
fait condamner à faire amende honorable à Dieu et à tout le clergé.
J’avais la pratique de Son Éminence qui me produisait, je l’avoue,
un casuel fort honnête (car il faut rendre justice aux gens d’Église,
je n’ai pas de meilleure pratique que ces Messieurs) mais malheureusement une certaine aventure m’a perdue et ruinée tout à fait.
Une dame fut remise entre mes mains pour être délivrée de certain
fardeau qui lui pesait beaucoup ; elle me fut confiée par le cardinal en question, qui avait bonne part aux embarras de la porteuse.
Par l’imprudence d’une jeune fille qui m’appartient, car un enfant
ne sait rien taire, on a su dans le public que cette dame avait
ouvert le reliquaire de sainte Placide 106 à Son Éminence, qu’il en
était sorti certaines reliques que j’ai reçues dans mes bras pour les
enfermer dans la niche 107. On m’a soupçonnée d’avoir dévoilé le
mystère, et Dieu sait si l’on aime à perdre son gagne-pain et si je
puis être coupable du crime de lèse-Éminence. Mais malgré les
raisons d’intérêt qui parlaient en ma faveur, on m’a condamnée à
84
fermer boutique, on m’a privée de ma subsistance, on la dérobe à
mes enfants, et je me vois réduite à la nécessité de les précipiter
dans le Tibre, et de m’y plonger avec eux. 108
— Allez, ma bonne, prenez patience. Votre état changera dans
peu, et le jour de mon entrée dans Rome sera marqué par un
pardon général.
Enfin, il se dérobe à la foule et parvient 109 aux galeries du
Vatican. Un inconnu, qui portait une figure étrangère, se précipite
devant lui : il aborde nos deux compagnons avec cet air aisé qui
semble annoncer la bonne opinion qu’on a de lui-même.
— Vous me paraissez étranger, lui dit le comte. Pourrais-je vous
demander quelle est votre patrie ?
— Je suis rejeton d’une tige parfumée, car ma patrie ne produit
que des citrons, des bergamotes et quelque peu de salpêtre dont on
a pétri la cervelle de ses habitants.
— Vous êtes né sans doute dans la Provence, et je vous reconnais
à certaine odeur qui porte avec elle la qualité du terrain. C’est un
très beau pays et qui vaudrait bien davantage, si l’on y trouvait
quelques mines de plomb pour le mêler au peu d’argent vif qu’on
y recueille. Sainte Madeleine nous en parle souvent : elle prétend
qu’on y rencontre mille bonnes choses, et que la Sainte-Beaume
est une douce retraite. 110
— Monsieur, vous êtes trop prévenu par ma patrie et je serais trop
flatté si je pouvais justifier l’idée flatteuse que vous voulez bien
en avoir. Vous me parlez de la Sainte-Beaume et de certaines
richesses anatomiques qu’on y croit posséder mais on ne croit
point à ces choses-là dans mon pays. Il est vrai que le peuple s’en
amuse, et s’en nourrit, et qu’il va prendre fortement quelques
gouttes d’eau qu’on y distille pour les larmes de cette belle
pénitente, mais les honnêtes gens ne sont pas la dupe de ces petits
tours que l’on fait aux yeux des sots. On dit plus : on soutient que
Madeleine n’a jamais sanctifié ce rocher et qu’elle n’est pas morte
en Provence. Quoi qu’il en soit, on lui rend des visites.
— Vous me paraissez, Monsieur, n’être pas jaloux de posséder
des reliques. Mais pourquoi priver votre patrie d’un trésor dont
elle veut s’enrichir ? Pourrais-je savoir quel est votre état ?
85
— Mon état est de rendre justice, de consoler la veuve et de protéger l’orphelin, de veiller au bien public et de ceux qui cherchent à
l’empoisonner. Voilà, Monsieur, quel est le ministère que j’exerce.
— C’est un emploi bien respectable, assurément, et je pense que
vous ajoutez beaucoup au mérite de cet état.
— Il le faut par honneur et par devoir, car notre Parlement est un
de ceux qui paraît être le mieux composé 111. Nous avons seulement deux ou trois originaux qu’il faudrait renvoyer à la bourse de
Marseille 112, et ne garder que leurs copies, pour les exposer dans
la salle des pas perdus.
— Quoi ! vous êtes membre de cette illustre compagnie ? Ô, que
je suis ravi de vous connaître ! Je vous ai, ma foi, de grandes
obligations, et la reconnaissance me donne tout à vous. Par quel
hasard vous trouvez-vous dans un pays où vous n’êtes pas trop
aimé ?
— Ma foi, lassé des tracasseries que les billets de confession des
jésuites nous donnent depuis longtemps 113, j’ai pris le parti de
courir le monde pour m’instruire, car il faut être éloigné de sa
patrie pour pouvoir briser en liberté les entraves de l’erreur.
— Je vous avoue que votre Parlement est très honoré dans le Ciel,
et que le Grand-Maître est très satisfait de votre conduite. Vous
avez très bien fait de vous emparer du royaume de l’Esprit, pour
ne laisser à la puissance ecclésiastique que l’empire de la chair.
Vous avez chacun le domaine qui vous appartient. Pour moi, lui
dit-il, je vous dois beaucoup à mon particulier car j’étais plus
désœuvré dans le Ciel qu’un évêque in partibus 114. En effet, vous
avez donné plus d’ouverture aux Portes célestes, vous en avez
multiplié les chemins. Qu’on ait introduit l’usage des passeports [G]
pour les voyageurs, à la bonne heure ! Mais qu’on ait besoin de la
signature d’un évêque pour passer librement dans l’autre monde,
cela n’a pas l’ombre du bon sens. Quand on est malade, l’ordonnance du médecin ne suffit pas pour guérir : il faut la composition
des remèdes et le morceau de papier devient inutile. Je ne vous dis
pas quelle était la raison du bienheureux Christophe de vouloir
rétrécir les portes du paradis pour en faire une espèce de théâtre
où l’on ne peut entrer que par billets 115. La porte du Ciel est assez
86
étroite et s’il eût réussi dans son projet, il m’aurait fallu disséquer
les âmes à la porte et les faire entrer par parcelles. Vous avez bien
raison de ne pas souffrir que l’on trafique du pain des anges, et
que l’on dispose du salut des âmes comme d’une mauvaise marchandise dont on veut se défaire à tous prix.
Tel était l’entretien du comte avec ce Robin [G], lorsqu’il aperçut
le cardinal qui venait de quitter le Grand-Vizir. Pétrisaint courut à
Son Éminence qui, craignant la métamorphose dont il avait été
menacé, crut voir autour de Pétrisaint un nuage de frocs et de
capuchons prêt à tomber sur sa tête. Il fuit, il se dérobe à la poursuite de Barjome ! Et craignant de retrouver partout un habit de
capucin, il fit dire au comte, par un jeune évêque, que le Sacré
Collège devait être assemblé pour décider de son ambassade et la
rejeter ou la reconnaître.
À ces mots, Pétrisaint fut rejoindre son ami qui revola dans les
bras de la comtesse, et laissa le Prince des apôtres avec cet élève
de Thémis 116.
87
88
CHAPITRE IV
La nuit du 28 avril
LE CONCILE
Ami lecteur, quelque brillant que soit l’emploi que vous exercez, descendez du poste éminent où la fortune vous a placé ! Soit
que vous comptiez autant de maîtresses que Salomon 1, autant
d’amis que Crésus, soit que vous soyez homme d’État ou maître
dans l’art de tout réformer, oracle de l’Évangile tel qu’il est, ou tel
qu’il doit être, prince ou sujet, comte ou marquis, ou soi-disant tel,
dépouillez vos titres, soumettez-vous, adorez l’auguste assemblée
que je vais mettre sous vos yeux !
Sous une voûte dorée, où l’art étalait toutes ses richesses, prêtait
à la simplicité de la religion un fastueux appareil qui l’anéantit et
la détruit, brillait un Trône Pontifical, où le Vizir Ecclésiastique
enfermait la sainteté de sa figure. C’est là que l’Idole des Fidèles
recevait en silence les hommages de l’Assemblée. Cet auguste
simulacre paraît être sans organes ; il ne connaît pas l’usage de ses
pieds, et quand il veut ouvrir la bouche, il trouve des complaisants
qui dispensent sa béatitude du soin d’ennuyer l’auditoire 2. On
voyait à sa droite les Doyens du chapitre [G] 3 coiffés avec des chapeaux rouges. Ils étaient élégants et ressemblaient à nos petits
Robins [G], qui n’agitent la tête à l’audience que pour semer autour
d’eux une poussière odorante. C’est là que la rotondité de ***,
chargé de sa propre pesanteur, se plaignait en secret du raffinement de sa cuisine. C’est là que le fastueux *** portait dans ses
yeux l’étiquette de l’indolence et le symbole de la mollesse. C’est
là que le *** parlait de ses amours. Bientôt on vit le cardinal qui
sert de souffleur au Grand-Vizir, et qui lui prête sa bouche et ses
89
lunettes, parler pour elle et faire l’ouverture de la séance en ces
mots :
— Mes chers frères en Jésus-Christ, que l’Esprit Divin qui nous
éclaire demeure à jamais parmi nous. Nous voici rassemblés pour
un objet dont l’importance est plus grande que vous ne pensez. Le
bruit se répand dans Rome que saint Pierre a quitté sa place de
chambellan, et qu’il vient, en qualité d’ambassadeur, conférer
avec le Vicaire de Jésus-Christ. Cette ambassade me paraît être si
neuve, qu’elle est suspecte à mes yeux ! Comme on ne doit pas
précipiter son jugement sur une affaire de cette nature, et qu’il
faut l’examiner dans tous ses points, c’est à vous, mes frères, de
décider si l’on doit reconnaître saint Pierre en cette qualité et lui
décerner les honneurs que nous lui devons, ou le renvoyer et le
punir comme un esprit malin que l’ange des ténèbres députe vers
nous. C’est à vous d’opiner ! Votre sentiment sera l’organe de la
vérité, puisqu’il sera dicté par l’Esprit-Saint qui préside lui-même
à notre Conseil.
Le Doyen des cardinaux, qui se plaisait un peu dans le radotage,
tronqua d’abord quelque passage de saint Pierre pour prouver
qu’une affaire de cette importance ne pouvait être décidée qu’à la
pluralité des voix et qu’il fallait, avant tout, consulter le Père de
Lumière. On applaudit des mains 4 et le Veni Creator 5 fut entonné
dans toutes les règles de la musique instrumentale et vocale. À ces
mots, toute l’assemblée fit silence et l’on entendit le son de mille
instruments se mêler à la voix de mille Castrati.
Le concert fini, tout le monde prit place et le cardinal de ***
commença sa harangue.
— Puisqu’on demande mon avis sur la députation prétendue du
Prince des apôtres, je le prononcerai avec l’impartialité que je dois
apporter dans le Ministère que je remplis. Il me semble que l’Éternel ne peut avoir député saint Pierre vers nous sans changer
l’ordre établi dans le Ciel, par la raison que la place que saint
Pierre occupe est trop importante pour qu’il la confie à d’autres
qu’à lui-même. Pétrisaint est aussi nécessaire à la porte du ciel,
90
qu’un vieux huissier à la porte de nos Hôtels ; et comme le portier
d’une grande Maison peut vieillir dans le bénéfice de sa place et
ne doit jamais la quitter, croyez que saint Pierre jouira de tous
temps des mêmes privilèges que l’on affecte à tous les Suisses [G]
qui veillent par état à la sûreté de Nos Excellences. Aucun de nous
n’a jamais renvoyé son porte-clés que pour fautes commises,
aucun de nous ne l’a jamais déplacé par imprudence, et comme
saint Pierre est incapable de reproche et que, sans être né dans la
Suisse, il en a toutes les vertus, il ne saurait quitter son poste sans
être coupable et sans rendre la sagesse de l’Éternel suspecte à nos
yeux. Voilà mon avis.
Paulini, l’orateur du conclave le plus à la mode 6 et pour qui
trois quarts d’heure de silence sont un supplice insupportable,
attendait le moment qui permettrait à sa bouche de prodiguer
toutes les grâces dont elle est remplie :
— Comment peut-on imaginer que l’Éternel eût honoré le portier
du Ciel d’une députation pareille, puisque nous possédons une
partie de son corps 7 ! Est-il venu le reprendre dans la niche qui le
renferme ?! Puisqu’il est encore en son entier, comment se peut-il
que le Portier du Ciel existe en corps et en âme dans Rome ?! Ou
les reliques qui portent son nom trompent la vénération des fidèles, ou saint Pierre est un imposteur, puisqu’il ne peut descendre
du Ciel et reprendre son corps sans y joindre les membres qui le
composent ! Et comme une partie de ses muscles et tendons est
précieusement conservée dans l’église qui porte son nom, je pense
que ce prétendu Pétrisaint n’est qu’un aventurier qui veut, à
l’ombre du saint nom dont il est couvert, tromper la religion de Sa
Sainteté et usurper des hommages qu’il ne saurait nous dérober.
Tel est mon sentiment. Et j’ose dire que l’Esprit-Saint l’a dicté,
puisque nous venons de l’invoquer unanimement !
— Il est question, répondit un autre cardinal, d’examiner le sujet
de sa mission. On dit qu’il est mandé de la part de l’Éternel pour
faire révoquer la Bulle [G] que Sa Sainteté vient de donner en
faveur des disciples de saint Ignace 8. Si la Bulle est un acte de
91
justice, Dieu ne saurait la condamner, puisqu’il n’était pas dans
ses décrets de détruire un dessein qu’il a mis lui-même dans le
cœur de Sa Sainteté. Dieu ne peut imiter le caprice des hommes
qui renversent d’une main ce qu’ils élèvent de l’autre. Ses idées se
ressemblent toujours et celles qu’il veut avoir le matin ne changent point avec le crépuscule du soir. Or, il n’est aucun de nous
qui puisse douter que Dieu même imprime sa sagesse sur tous les
actes du Saint-Père. S’il est vrai qu’il en est le moteur et l’arbitre,
tout ce qu’il fait est juste parce que le mal ne peut émaner de la
source éternelle du bien, et comme Sa Sainteté ne fait rien que par
l’inspiration de l’Esprit-Saint, on doit penser que cette Bulle est
l’ouvrage de Dieu même et qu’elle porte l’empreinte de sa
sagesse. De là vient que la députation présente doit être rejetée. Et
que sait-on ? Peut-être que l’Huissier du Parlement de Provence a
pris le nom et la figure du Prince des apôtres, pour arrêter les
desseins que Sa Sainteté peut avoir en faveur de la Compagnie de
Jésus 9. Tous les Membres de ce Sénat ne sont point amis de la
Cour de Rome, ils sont capables de tout pour exterminer le peuple
Jésuitique ; et si mon avis emportait les suffrages de l’Assemblée,
on examinerait de près cet Envoyé prétendu ; et s’il est reconnu
pour un Député des Enfers, il mériterait bien de subir le sort auquel l’impiété du Sénat a condamné la sainte Bulle.
Sur cet avis, il fut délibéré d’une voix unanime qu’on examinerait la conduite de cet Envoyé. Il fut décidé que le cardinal serait
chargé de cet examen.
Le cardinal, qui venait d’être nommé, se leva pour supplier
l’Assemblée de vouloir bien le dispenser d’une pareille commission :
— Si vous étiez instruits, mes frères en Jésus-Christ, du sort que
saint Pierre m’a voulu faire éprouver !… Ah! je frémis encore de
ses menaces. J’ai vu la robe d’un capucin voltiger sur ma tête, et
j’ai lieu de craindre que la honte d’en être couvert ne devienne la
peine de mon audace. Je crains de m’exposer au ressentiment de
cet Envoyé du Ciel, et j’aime mieux le reconnaître, l’annoncer à
tout le peuple romain et servir d’apôtre au chef du cortège apostolique que d’essuyer la terrible métamorphose dont il m’a menacé !
92
On voulut savoir ce que prétendait Son Excellence, quelle était
cette métamorphose ! Il conta ce qui s’était passé entre saint Pierre
et lui, et chacun craignait qu’au lieu de porter un chapeau rouge,
le chef des cardinaux ne fût couvert d’un chapeau gris 10. On
entendit une rumeur qui n’était que l’effet de la crainte, car il est
triste pour des Excellences de traîner la besace [G], de voir la Pourpre changée en habit de bure [G]. Dans le moment qu’on proposait
de renvoyer le Député du Ciel, on vit paraître un jeune porteur de
crosse 11 qui remit à Sa Sainteté les Lettres de Créance de saint
Pierre. Elle en ordonne la lecture.
Nous, Souverain Maître du Ciel, ci-devant possesseur de la
Judée, aujourd’hui Roi de l’Église et de ceux qui la gouvernent
par ma grâce suffisante, élevé sur un trône porté par les Anges,
à tous nos Apôtres modernes, ou soi-disant tels, Pape, Cardinaux et Prélats du premier et second ordre, salut et privation de
tous les biens temporels ;
mandons et ordonnons, par les présentes, de reconnaître notre
cher et bien-aimé Pierre pour notre Ministre Plénipotentiaire, et
qu’en cette qualité, il jouira de tous les honneurs, droits et privilèges accoutumés.
Il était temps d’exterminer toutes les bêtes à trois cornes 12
qu’on a vu naître des cendres de Loyola. Périsse mille fois ce
Troupeau gangreneux, qui n’a que trop infecté la Terre, puisqu’on a vu des monstres élevés dans sa bergerie, qui se sont
emparés de l’oreille des Rois pour les expédier pour l’autre monde avec un ordre méthodique ! Que Sa Sainteté ne s’avise pas de
protéger plus longtemps la Compagnie de mon Fils ! Je lui donne
dès à présent un congé général, et je veux que ses drapeaux
lacérés et flétris soient brûlés en place publique, et qu’un coup de
vent, précédé du tonnerre, en emporte la cendre dans quelque
recoin des Enfers, pour qu’il n’en reste pas le moindre vestige 13.
Dites à mon Vicaire que cette Société perfide n’a que trop déshonoré le nom qu’elle porte, et que je suis lassé de voir sanctifier
sur la Terre ce que je réprouve dans le Ciel. Le pouvoir de mon
Église est assez affaibli pour ne pas sacrifier le peu qu’il en reste
au parti de Saint Ignace. J’apprends tous les jours quelques nou93
veaux troubles qui s’élèvent dans ma Maison, et je vois bien qu’il
faudra changer de Locataire, ou la démeubler tout à fait. Les yeux
s’ouvrent de jour en jour, et l’incrédulité paraît être la première
vertu du siècle. Et pourquoi ne suivrait-on pas la mode, puisque
l’exemple des Apôtres modernes invite sans cesse à ne rien
croire ? Mandons au Grand-Vizir de la Catholicité de céder à la
puissance des Rois, puisqu’elle est d’intelligence avec la mienne
pour la proscription du Peuple Jésuitique, et surtout de révoquer
cette Bulle insensée dont le bruit est parvenu jusqu’à moi ! À
défaut, je ferai pleuvoir sur la Terre un déluge d’antimoine, pour
noyer tous les capuches et les frocs, et que sais-je, peut-être même
les Mitres [G] et les Chapeaux rouges.
Ce mandement parut révolter toute l’Assemblée. Sa Sainteté
parut en être si offensée, qu’elle voulait de sa propre main déchirer la signature de l’Éternel. Heureusement qu’elle était sur une
espèce de feuille d’airain que rien ne peut effacer ni détruire !
Toute l’Assemblée, qui partageait l’outrage fait à la gloire du
Saint-Siège, prétendit que ces Lettres de Créance n’étaient qu’un
recueil d’impostures, et qu’il fallait les brûler comme une production de quelque cervelle damnée. Voici le jugement qui fut en
conséquence rendu par le Sénat Apostolique :
Nous, Vicaire-Général de Jésus-Christ, Roi des Apôtres modernes, Dispensateur des Indulgences et Grâces de toute espèce,
Dépositaire des Clés du Paradis, Maître de l’Église universelle, et
Pasteur d’un Troupeau que Dieu même nous a confié,
faisons savoir à tous les Fidèles que les Lettres de Créance supposées par un nommé Saint Pierre, soi-disant tel, Envoyé du Ciel,
seront brûlées et jetées dans les flammes par la main de l’Exécuteur extraordinaire, comme un ouvrage attentatoire à la Religion
et coupable envers nous-mêmes.
Le présent Arrêt sera lu, publié et affiché dans tous les coins de
notre Royaume, exécuté selon sa Forme et Teneur.
94
CHAPITRE V
La nuit du 29 avril
Mais déjà cet Oiseau rapide 1, qui couvre la terre et les mers de
l’immensité de ses ailes, était descendu du Ciel ! Il s’était niché
sur ce fameux dôme qui servira de monument éternel à la hardiesse de l’art 2. Les caquets, qui voltigeaient autour de son bec, formaient un essaim de petits insectes qui bourdonnait dans les airs.
Il s’élevait du sein de la Terre et grossissait à tout moment. La
curiosité qui veille sans cesse auprès de son nid, y rassemble mille
petits mensonges qu’elle se plaît à nourrir et qui, bientôt devenus
grands, s’élancent de leur berceau commun pour inonder la Terre
entière, aller donner l’être et la vie à tous les faiseurs de sermons,
de plaidoyers et de gazettes. On dit que cet animal femelle est singulier : trente-six longues oreilles ciselées à la grecque forment sa
coiffure ; autour de sa bouche, toujours remplie de porte-voix et
de cornets, on ne voit que des yeux de toutes couleurs qui sont
toujours ouverts.
L’animal à cornettes 3, qui fut toujours l’avant-coureur de cet
Oiseau, fixait ses regards avides sur le Conclave. Il vit sortir tout
le Sacré Collège et dirigea sa course auprès du Vatican pour aller
recueillir des vérités et des mensonges. Bientôt, l’Oiseau brillant
qui marchait à sa suite ouvrit son bec et répandit la nouvelle terrible, qui devait porter l’effroi dans l’âme de Pétrisaint.
Saint Pierre goûtait avec son ami les délices de la conversation.
Ils s’entretenaient des révolutions de l’Église, des causes qui les
ont amenées et des effets qu’elles produiront. Ils lisaient dans
l’avenir les terribles assauts que l’on prépare au papisme, et ne
voyaient plus que les débris d’une triple couronne couvrir les
reflets d’un vieux crâne qui n’a plus la force de la soutenir. Et tan95
dis que Pétrisaint pleurait sur sa disgrâce future, et qu’il attendait
avec impatience le succès de sa mission, il apprit que ses Lettres
de Créance devaient être brûlées, que l’Arrêt qui les condamnait
aux flammes était affiché dans toute la ville et les faubourgs, et
que le moment de l’incendie n’était pas loin.
Il déplora l’aveuglement du Sacré Collège et s’écria dans les
bras de son ami :
— À quel sort dois-je m’attendre, si les ordres de mon Maître
reçoivent de pareils outrages ?! Ô temps apostoliques ! Qu’êtesvous 4 devenus ? Que deviendrai-je moi-même ? Ô mon ami ! soutenez-moi dans vos bras, aidez-moi de vos conseils, j’en ai besoin.
— Eh ! que puis-je vous conseiller dans une situation si triste ? Je
crains qu’une douzaine de fagots ne devienne la récompense de
votre mission. Et si vous m’en croyez, vous laisserez brûler vos
Lettres de Créance. Et qu’importe qu’on en fasse des allumettes,
ou qu’elles servent d’enveloppe à la chevelure de quelque jeune
abbé mitré 5 ?! Ne vous exposez point au même danger, sauvezvous dans le Ciel, allez chercher un asile contre la persécution,
songez que le vieux Possesseur du Royaume Apostolique est trop
indigné pour ne pas vous punir de l’avoir fondé !
— Et quand Dieu même est outragé, peut-on faire grâce à son
Envoyé ?
— Non, non, partez, fuyez, ne perdez pas une heure, une minute !
Allez reprendre vos habits de pêcheur et le dépôt que nous avons
laissé entre les mains de l’honnête fripier qui nous a reliés [G] l’un
et l’autre.
Tout cela fut exécuté promptement. Pétrisaint rentra dans son
état naturel, embrassa son ami, quitta Rome sans prendre congé de
personne, et revola dans le Ciel. C’est ainsi qu’un auteur qui met
trop de force et de vérité dans ses écrits se dérobe à la poursuite
des prêtres, pour ne pas éprouver le sort d’un malheureux livre,
qui ne périt dans les flammes que pour revivre sous la presse. 6
Ô vous, qui consacrez vos veilles au stérile plaisir de nous instruire, sages modernes, qui craignez la flétrissure que l’on imprime à vos écrits 7 ! Vous que la crainte du fagot dérobe à la gloire
des lettres, consolez-vous ! On outrage dans Rome même les
96
Écrits de l’Éternel, et saint Pierre, qui craint le même sort, est
traité d’imposteur : un Arrêt Apostolique le condamne, et sa fuite
soudaine le dérobe aux tisons qu’on allumait pour le chauffer.
97
98
CHAPITRE VI
La nuit du 30 avril
Déjà, le bienheureux Pétrisaint touchait au terme de ses courses.
On l’entendait coqueliner aux portes du Ciel. Il appelait son Substitut qui dormait encore 1… Enfin, l’oiseau de saint Pierre s’éveille ! Il écoute, et reconnaît la voix de son Maître : il s’élance sur la
clé, ouvre la Porte Céleste, et vole sur les épaules de Pétrisaint ; il
le caresse à grands coups de bec, chante son retour et l’annonce à
la troupe céleste qui s’en applaudit. Le vieux prophète Jérémie,
qui l’attendait pour célébrer son triomphe, changea de gamme à
son aspect et se vit réduit à psalmodier le mauvais succès de sa
mission 2.
L’Éternel, qui d’avance en était instruit, préparait une vengeance au-dessus de l’outrage.
Le malheureux Pétrisaint, qui redoutait la présence de son
Maître, marchait à pas craintifs et n’approchait qu’à regret de ce
trône redoutable que les courtisans du Ciel n’osent contempler.
« Rassurez-vous, lui dit l’Éternel en le voyant, vous n’êtes point
coupable des fautes de mon Vicaire, et lui seul doit en être puni.
J’ai tout appris, et vous ne tarderez pas d’être vengé…
Vous, que j’ai retenu trop longtemps, sublime enfant de la raison,
Esprit Philosophique, ange exterminateur de l’ignorance et de tous
les sacrés tyrans qu’elle couronne, armez-vous du glaive de la
parole, ceignez le bouclier de la vérité, fendez les airs et tous les
brouillards que la superstition voudrait élever jusqu’à moi ! Volez
à travers le vide immense qui sépare mon Empire du royaume des
papistes ! Allez dans tous les coins du monde souffler la haine du
monachisme ! Excitez la révolte des esprits dans tout le globe
littéraire ! Hérissez la Terre entière des lances du scepticisme !
99
Allez ! Je vous prépare un trône dans les lieux même qui vous ont
servi de prison, et je veux qu’un amas de volumes remplis de
vérités hétérodoxiques 3 en devienne la barrière impénétrable. »
À ces mots, on vit une légion d’Esprits se rassembler auprès de
l’Ange Philosophique et le couvrir d’une espèce de bataillon carré
vide 4 : ce prodige suspendit le mouvement des astres, qui s’arrêtèrent un moment pour le contempler. Bientôt, on vit cet Ange se
transformer en Aigle et, pour achever la métamorphose et la
rendre plus redoutable au papisme, mille plumes éclatantes, suspendues dans le Ciel, se détacher de sa voûte, venir se placer et
s’inoculer en ordre sur cet Oiseau divin. Les unes s’empressaient à
couvrir sa tête ; d’autres se réunissaient pour composer ses ailes.
On voyait la plume du chancelier Bacon s’étendre dans le Ciel, et
laisser après elle un vaste sillon de lumière ; celle de Descartes
marchait à sa suite, portée sur les tourbillons qu’elle faisait voler
autour d’elle ; la plume de Newton semblait en attirer une infinité
d’autres, qui cédaient à la force de son vol ; on voyait celles de
Montaigne, de Locke et de Leibniz se disputer entre elles à qui
couvrirait mieux la nudité de cet Oiseau ; la plume de Bolingbrocke, qui formait une espèce de fusée prête à porter le feu jusque dans la chaire de saint Pierre, partageait avec celle de Bayle
l’honneur de servir à la composition de sa queue, et de lui prêter la
forme d’une longue comète 5. C’est ainsi que cet Aigle terrible fut
paré de toutes les plumes immortelles que le génie philosophique
éleva dans le Ciel, pour être placées au rang des étoiles. À peine
vit-il ses ailes formées et bien assorties, qu’il en mesura l’étendue.
Bientôt, pour en essayer la force, il prit son essor, plana quelque
temps au haut du Ciel et s’élança tout à coup sur la Colombe du
Père Céleste qui, déchirée à grands coups de bec, courut, en
battant de l’aile, chercher un asile aux pieds de l’Éternel et soupira
devant lui cette touchante lamentation :
« Père de miséricorde ! Si, parmi tous les êtres volatiles qui sont
éclos de vos mains, vous n’avez regardé que la Colombe ; s’il est
vrai que je porte la chaleur de mes ailes partout où votre volonté
les dirige, et que pour être le dernier du trio, l’identité n’existe pas
100
moins, pourriez-vous oublier qu’après le naufrage du monde je
pris soin de consoler, de rassurer un vieux Patriarche, et de lui
présenter une olive que j’eus bien de peine à cueillir ? 6 Qu’il vous
souvienne du moins que je descendis autrefois sur la Terre pour
faire présent d’une Langue et d’un beau Crâne tout neuf à tous les
soi-disant compagnons de Jésus 7 !… Qu’il vous souvienne que
depuis ce temps j’ai servi de souffleur au Prophète de la Mecque 8,
que mon haleine a produit l’enthousiasme de tous les poètes sacrés, que je respire encore dans leurs ouvrages, et que s’il est des
nœuds entre l’esprit et la matière, entre l’erreur et la vérité, c’est
que mes ailes, qui s’étendent d’un pôle à l’autre, unissent le Ciel
et la Terre ! Oui, Seigneur, partout où je donne un coup de bec,
j’emporte la pièce ; partout où je laisse tomber une seule de mes
plumes, on en reconnaît la trace. Et cependant, aujourd’hui, vous
souffrez qu’un Oiseau de proie déchire mes ailes, s’abreuve de
mon sang, m’arrache les yeux et me dépouille enfin d’une parure 9
qui fut toujours l’emblème de la candeur et de la fidélité. Eh, que
me sert de partager votre essence divine, puisqu’elle devient
inutile à ma défense, et que je ne suis pas moins livrée à son bec
homicide ?! Qui voudra désormais me reconnaître pour le troisième Citoyen de la Cache céleste, si l’Aigle peut outrager impunément tout ce que la Colombe a de plus divin ? Non, vous ne me
verrez point palpiter et mourir sous sa serre ensanglantée ! Vous
ne permettrez pas que la clarté du Ciel soit obscurcie 10 plus longtemps par cet Oiseau de ténèbres, et que votre chère Colombe
apporte vainement à vos pieds les marques de sa faiblesse et de sa
douleur ! »
« Rassurez-vous, lui dit l’Éternel, je connais toute la justice de vos
plaintes, et je les reçois dans mon Cœur… Mais puisque la fierté
de l’Aigle ose s’élever contre vous, pourquoi fuyez-vous devant
elle ? N’avez-vous des ailes que pour vous dérober à sa poursuite ? Armez-vous de courage, apprenez à défendre vos droits,
puisqu’ils sont outragés ! Car il soutient que le véritable esprit
philosophique est le seul qu’on puisse appeler divin, et que ceux
qui triplent ma divinité attachent à l’ineffabilité de mon essence
une idée dont elle n’est pas susceptible. Il remonte à la source de
101
cette opinion, et nous montre son origine dans le sein du paganisme. Il ajoute qu’on ne trouve, pas même dans la Bible, aucun
principe des trois Personnes en Dieu et que dans quelque acception qu’on puisse le prendre, il n’est aucun texte dans le Nouveau
Testament qui nous offre le moindre rapport avec un mystère qui
veut former et composer l’unité divine de trois membres qui la
détruisent. (*) 11 Telle est la force des raisons que l’Aigle vous
oppose ! C’est à vous de les combattre ! Je n’examine point si vos
droits sont unis ou séparés : je ne veux point être juge et partie
dans votre cause. Il faut que les armes de la vérité la soutiennent.
Et puisqu’une affaire de cette importance ne peut être décidée
qu’à grands coups de bec 12, je vous donne tous les gros bataillons
qui campent dans le Ciel à l’ombre de vos ailes. Le savant Ordre
de la Trinité 13 formera votre première légion, elle sera d’autant
plus terrible qu’elle peut être composée de tous les grands esprits
qui ont rendu la triple Tunique si célèbre car on en compte plus de
* C’est une chose bien remarquable, et peu consolante pour des
chrétiens, que les habitants du Tibet dans la Tartarie adorent une
image sous le nom de Dieu. Cette figure, qui représente un vieillard,
un jeune enfant et un oiseau, ne diffère point de celle qui d’un seul et
même Dieu veut faire trois idoles chez les chrétiens. Et peut-être
qu’en remontant à la source, on découvrirait le principe de cette
ressemblance, et qu’on ne verrait dans la Trinité des chrétiens qu’une
copie de celle des Tartares.
Personne n’ignore que la fameuse idole, appelée San Paö, et qu’on
regarde comme la Trinité des païens de la Chine, ressemble à celle
que l’on voit à Madrid sur le grand autel de la Trinité, et qu’il n’est
point de Chinois qui, frappé de cette ressemblance au premier coup
d’œil, ne dit aussitôt que l’on adore en Espagne le San Paö de son
pays.
Quoiqu’il en soit, il est de la sagesse d’un vrai chrétien d’admettre
trois principes dans la divinité. C’est cette Trinité que Paul a reconnue dans son Épître aux Corinthiens (§) ; je veux dire : la Foi, l’Espérance et la Charité. La connaissance de ces trois principes est d’autant plus juste et commune à tous les êtres pensants, que la nature
même nous en offre l’idée, et dépose partout en sa faveur.
(§) I Cor. XIII. 13.
102
quatre mille dans le calendrier littéraire. Joignez à toutes ces forces la cavalerie de saint François, d’autant plus propre à la guerre
qu’elle est plus habile à fourrager dans tous les pays 14 !
C’est à vous à présent de déterminer la manière de combattre qui
peut être la plus familière à vos troupes !
J’ai fixé le champ de bataille dans cette plaine immense qui sépare
l’atmosphère de la première Barrière du Ciel. Allez étudier la nature du local ! Saisissez d’un coup d’œil tout ce qu’elle peut avoir
d’avantageux ! Songez que tous les yeux du Ciel et de la Terre
sont ouverts sur vous, que le sort de votre combat confirmera la
Triplicité de mon essence, où lui rendra sa première Unité ! Allez
et souvenez-vous que si la victoire assure au parti de l’Aigle la
conquête du Ciel, il ne reste d’autre asile à ma Colombe que la
volière de quelque curé de la campagne ! »
103
104
CHAPITRE VII
La nuit du 1er mai
BATAILLE ENTRE L’AIGLE ET LA COLOMBE
Déjà, l’on entendait cet oiseau menteur 1 qui, d’une voix fausse
et brillante, chante également les petites querelles des moineaux,
les batailles et les rapines de l’Aigle. Il était porté sur un char
attelé par le Mensonge et traîné par deux biches volantes. La triste
Vérité le suivait 2 de loin sur les débris d’une antique voiture à
demi fracassée. Son attelage était composé de quatre chevaux
pleins de force et de courage, précédés de quatre ânesses. Déjà,
volait d’une bouche à l’autre la nouvelle du combat qui se préparait dans le Ciel. Tantôt pour exciter la joie du parti philosophique
et porter l’alarme dans les cloîtres, il annonçait le triomphe de
l’Aigle et la défaite de la Colombe ; tantôt il permettait à l’oiseau
du Saint-Esprit une victoire complète, et le rendait 3 maître du
champ de bataille ; tantôt il faisait un habit de trinitaire des drapeaux de l’oiseau qui porte la foudre. Il ajoutait que sa redoutable
artillerie ferait un ravage affreux parmi les gros bataillons de la
Colombe. C’est ainsi qu’il flattait à la fois l’orgueil des deux
partis. Déjà, l’animal femelle qui porte tous les yeux d’Argus 4 et
se couvre d’autant d’oreilles, se répandait de tous côtés. Et tandis
qu’au pays de l’ignorance on demandait à grands cris le triomphe
de la Colombe, qu’on ordonnait des prières et des jeûnes pour le
succès de ses Armes, l’Aigle s’occupait de la portion de son
armée, veillait à sa subsistance, et fourrageait tranquillement dans
le Colombier.
Au-dessus de la calotte d’azur, qui couvre ce petit globe rempli
d’atomes 5, se découvre une plaine immense qui paraît se terminer
dans le lointain et va s’étendre jusqu’à la première barrière du
105
Ciel. C’est là qu’on vise tous les prétendus passeports [G] qui permettent une libre entrée dans le royaume de l’esprit. C’est par-là
qu’on voyait défiler l’armée de l’Aigle marchant à quatre colonnes, qui se déployèrent dans la plaine. Et comme elle saisit d’un
coup d’œil les avantages du local, elle appuya son aile droite
d’une chaîne de nuages qui ressemblaient aux Pyrénées.
Il est au fond de ce vide éternel un assemblage de brouillards
qui s’épaississent à mesure qu’on en approche de plus près. On dit
que cette masse ténébreuse est une emblème du chaos 6. Non,
l’Érèbe dans toute sa profondeur n’a rien de plus terrible 7, puisqu’il réunit dans son épaisseur la confusion de la matière et de
l’esprit, et le désordre de tous les cerveaux vides et creux ! C’est
là qu’une obscurité sombre nous cache un palais superbe 8, qui
ressemble à la demeure de quelque pontife ou gros coureur de
bénéfices 9. L’Ignorance l’a choisi pour son asile éternel : elle ne
sait le quitter que pour recueillir tout ce qu’elle a semé dans ce bas
monde. Tantôt on voit tomber de ses mains mille couronnes de
chardons 10, qui couvrent autant de têtes ; tantôt on voit la Sorbonne et tous ses environs inondés d’un déluge de calottes [G] et de
bonnets [G]. Souvent elle s’arme d’une baguette qui produit des
métamorphoses de toute espèce ; le sot usurpe la place de l’homme d’esprit, et le ci-devant philosophe n’est plus qu’un faiseur de
lacets 11. On entend cette reine altière et dédaigneuse, qui ne cesse
de ronfler sur un trône doré que pour nasiller de temps en temps
quelque vieux proverbe. La Sottise, qui lui sert de ministre, lui
présente à chaque instant des nouveaux courtisans qu’elle met
bientôt au rang de ses favoris, malgré le refus de l’Amour-propre,
qui voudrait les éloigner de sa Cour. Toutes les fêtes qu’on lui
donne sont marquées par quelque feu de joie que l’on allume
toujours soit au dépens du Despotisme oriental 12, ou de quelque
autre ouvrage aussi fortement pensé. On voit au fond de son palais
une superbe mosquée, enrichie d’offrandes, ou de rapines de toute
espèce. C’est là qu’habite une vieille prêtresse 13 qui compte autant
d’années qu’elle a reçu de coups d’encensoir. Cette sacrificatrice
de tous les âges, qui ne prodigue les indulgences que pour multiplier les crimes, ne respecte les trônes qu’autant qu’ils lui servent
de degrés pour monter à l’autel. C’est elle qui peuple les cloîtres
106
et change les villes en déserts. C’est elle qui préside à ce tribunal
exécrable, qui n’a que trop servi de reproche à notre âge, qui fait
l’opprobre de l’humanité, le désespoir de la raison, et l’horreur
d’une religion dont il veut être l’arbitre et le soutien 14. Puisse-telle brûler des mêmes feux qu’elle n’a que trop allumés ! Et puisqu’elle vient au secours de la Colombe, et que tout le cortège de
l’Ignorance marche et va combattre pour elle, que l’Aigle triomphante règne à jamais sur les autels, et que sa aire ne soit désormais formée que des débris de l’encensoir !
Déjà, l’on préludait aux escarmouches : le bruit des coups de
becs se faisait entendre de toutes parts. Déjà, la crainte précédait
le mouvement des deux armées. L’Aigle, qui feignait de se replier
pour s’étendre avec plus d’avantage, semblait tout envelopper
dans son vol. L’éclat des fusées, qui pétillaient dans son bec,
répondait au bruit des éclairs qui sortaient de sa queue. Ses yeux
remplis de feu brûlaient tous les insectes et tous les papillons
d’alentour, et chaque plume de ses ailes semblait être une arme
étincelante. Déjà, cette légion d’esprits sublimes, que la liberté de
penser éleva dans le Ciel, s’avançait d’un vol rapide. La Vérité
marchait à leur tête et formait un nuage de cartouches qui la couvraient d’un feu terrible.
Déjà, la Colombe, qui craignait d’être débordée, faisait étendre
ses lignes. Un essaim de petits aides de camp, qui ne sait que
bourdonner et papillonner dans tous les rangs, était déjà prêt à
fatiguer ses ailes pour ne rien faire. Tout à coup, l’Aigle s’élance
et, d’un cri qui porte la terreur dans toutes les volières célestes,
donne le signal et brusque l’attaque ! Je vois franchir un large
fossé qu’on avait hérissé de trois mille crosses 15 et d’autant de
capuches. La fameuse redoute 16, qui couvrait le palais de l’Ignorance, est forcée et tous les in-folio de la Sorbonne et de l’Église
disparaissent avec elle.
L’aile droite de la Colombe, qui vit la redoute emportée, fondit
tout à coup sur la Légion Philosophique 17 et parut l’ébranler. Et
tandis que la triple armure de sa gauche couvrait le palais de
l’Ignorance et lui servait de barrière, l’Aigle, plus forte de son
audace que de toute l’artillerie qu’elle traîne à sa suite, ouvre tout
à coup son bataillon et, par une manœuvre des plus hardies, fait
107
sortir de l’ouverture des quatre faces une décharge si terrible, que
la triple phalange 18 est renversée et le palais de l’Ignorance ébranlé.
Déjà, l’on perdait la tête dans tous les rangs : tout annonçait le
désordre des esprits, toujours suivi de la confusion des armes et
des ordres ; tout ce qu’on faisait pour le réparer ne servait qu’à le
redoubler. Les hussards du malheureux saint François, dispersés
de toutes parts, imitaient dans leur fuite la légèreté des plumes que
les vents chassent devant eux. La Colombe, qui craignait son
entière défaite, volait en vain dans tous les rangs pour rallier ses
escadrons rompus. L’Aigle emporta son aile droite d’un coup de
bec, tomba sur la Colombe qui, plus prompte à l’éviter qu’à se
défendre, aima mieux perdre le reste de sa queue, que de la sauver
au péril de sa tête. Le cri de désespoir qu’elle fit entendre acheva
de mettre en fuite le reste de ses bataillons. Elle tomba sur la terre,
où n’ayant plus la force de voler, et se traînant à peine sur deux
pieds à demi rompus, elle demande grâce à tous les oiseleurs qui
veulent bien, par pitié, lui laisser un reste de vie que l’Aigle
n’épargnera pas longtemps.
L’Esprit Philosophique, maître du champ de bataille et destructeur du palais de l’Ignorance, répandit ses débris sur la Terre pour
les partager entre les vaincus. Il fit présent de sa couronne
triangulaire au Général [G] de la Triple Légion, comme seul digne
de la porter 19. L’Aigle s’enrichit de toutes les dépouilles de la
superstition ; elle fit élever des écoles de commerce et d’agriculture sur les débris de ses temples, et tout ce qui servait à parer les
cloîtres et les mosquées deviendra l’instrument des richesses et de
la population des campagnes. 20
108
CHAPITRE VIII
La nuit du 2 mai
DÉPUTATION DES SONGES AUPRÈS DU GRAND-VIZIR DE LA
CHRÉTIENTÉ
Tandis que l’Aigle triomphante s’applaudissait de rendre à Dieu
sa première unité (*), d’établir le règne de la sagesse et de faire
canoniser la raison, l’Éternel, enfoncé dans la profondeur 1 de ses
idées, roulait dans sa tête des projets de vengeance. Tous les éléments en silence se rassemblaient à ses pieds, grondaient autour
de lui, et le moindre mouvement de sa tête ébranlait les voûtes du
Ciel. Il sortit enfin de la rêverie profonde où la nature entière
semblait être plongée avec lui, et dit :
« Il sera donc publié sur la Terre que le successeur de Pierre 2 a
méconnu mes ordres suprêmes, qu’il a porté l’audace jusqu’à les
flétrir. Ah ! puisque les Ambassadeurs du Ciel sont étrangers
depuis que les souverains de la Terre se sont avisés de substituer
le faste au mérite, je ne veux avoir d’autres Envoyés que les songes. Puisqu’ils sont invisibles, ils n’en feront que mieux l’office
d’espions… »
* L’opinion de trois personnes dans la divinité n’a pas existé de tous
temps. Elle tira son origine du paganisme et s’introduisit insensiblement sous les noms d’émanation ou procession, de génération éternelle, personnes et choses semblables, qui nous viennent des Grecs et
particulièrement des philosophes platoniciens qui, pourtant, n’en ont
pas eu la première idée puisqu’en remontant à la source, on la
découvre tout entière dans l’idolâtrie des Juifs.
109
Il dit. Et tout à coup, la troupe des songes se rassembla devant
lui. On vit des ombres et des figures enfantines, qui réunissent
tous les arts de la folie et toutes les grâces des amours ; les uns
étaient précédés par un cortège bruyant ; d’autres marchaient 3 en
silence, et semaient autour d’eux des roses entremêlées de pavots
et de cyprès. Le mensonge les conduisait, et portait devant eux le
miroir de la vérité. Ce miroir était si fragile qu’il suffisait de le
contempler pour le voir tomber et mettre en pièces.
« Vous ! que j’ai créés, leur dit l’Éternel, pour tromper les cerveaux vides et creux et mêler dans leurs idées l’espérance et la
crainte, allez sur la Terre ! Troublez le sommeil du Grand-Vizir de
la chrétienté, et mettez devant ses yeux l’histoire de sa disgrâce
future ! C’est au Livre du Destin, chapitre XLII, que vous pourrez
apprendre votre leçon pour la répéter à tous ceux qui prétendent à
l’emploi de Sa Sainteté. » 4
Il dit. Et l’on vit tous les songes voltiger et s’envelopper dans
les nuages obscurs qui cachent le temple du destin.
Sous une voûte d’airain, soutenue par des colonnes qui sont
l’ouvrage de l’Éternel et que le temps ne saurait détruire, est une
espèce de temple ou de caverne sacrée toujours remplie de
sombres nuages qui semblent s’épaissir à mesure qu’on cherche à
les dissiper. À son entrée, est une espèce de fantôme qu’on appelle
la Crainte, et qui parle à tous les esprits qui viennent assiéger
l’entrée de ce temple. Elle n’a qu’à dire un mot, et les uns tombent
à la renverse, d’autres s’abandonnent à la fuite, et croient se dérober au fantôme qui les agite et les poursuit, puisqu’ils l’emportent
avec eux. Au milieu de ce temple, on découvre l’Espérance couronnée d’un rameau toujours vert qui, d’une main, caresse un
jeune enfant qu’elle tient sur ses genoux et, de l’autre, ranime la
faiblesse d’un vieillard qu’elle conduit au tombeau, lors même
qu’elle paraît l’en éloigner. À ses pieds, on aperçoit cette divinité
trompeuse que l’Espérance nourrit au sein de la folie : tantôt elle
veut se couvrir d’un voile d’or, tantôt elle renonce à la pourpre et
préfère, à son éclat, la simplicité d’un élégant négligé. Mais elle
est la dupe éternelle de sa mère, et malgré tous les brillants atours
110
dont elle veut se parer, elle n’a pas même la ressource de notre
père commun qui couvrait sa pauvre nature de quelques feuilles
de figuier. On voit au fond du temple la Vérité, suivie du cortège
des maux qu’elle traîne à sa suite. Elle tient en main un flambeau
qui répand une étincelle à travers les ombres de l’illusion. Elle
veut en vain les dissiper et les combattre. Au moment qu’elle veut
s’armer contre elle, l’Espérance vole au secours de sa fille, combat pour elle, détruit la Vérité, ou du moins l’écarte pour un
moment de cette caverne terrible qu’elle a choisie pour son asile.
C’est là que la Mémoire, tantôt fidèle et perfide, tantôt expirante
ou pleine de vie, efface ou rappelle le passé, qui tantôt paraît
s’éteindre avec le temps et tantôt renaître avec lui. Le Présent, qui
joue ses farces sur un théâtre où l’on ne voit que des éclipses, tantôt élève la scène et la décore, tantôt il l’abaisse, la dépare et la
détruit. L’Avenir, toujours aussi sombre que l’affreux nuage dont
il est couvert, ressemble à ces hommes d’État qui vieillissent dans
la frivolité des promesses et n’en tiennent aucune. C’est dans cette
caverne, ouverte à tous les esprits, que réside le Destin : ce vénérable vieillard qui, comme le temps, soutient la pesanteur de ses
années, ressemble au Père des siècles dont il a devancé la naissance. On dit même que le temps ne l’a formé que pour être la
dupe éternelle de ses arrêts. Une barbe grise lui sert de ceinture,
elle couvre sa poitrine tout entière et la dérobe à nos yeux. C’est là
que l’Éternité, sous la figure d’une Lucrèce toujours nouvelle 5,
taille les plumes d’airain qu’elle présente au Destin, lui montre les
cheveux d’or qui couvrent sa tête, et dérobe à tous les humains la
faculté de les compter. Le vieillard, qui connaissait les volontés du
Ciel, appela les songes par leur nom. La couleur dont ils étaient
revêtus annonçait leur caractère distinctif. Le premier de tous,
appelé Rosifer, portait un habit de roses et mêlait aux pavots du
sommeil toutes les fleurs du printemps. L’autre, qu’on appelait
Suador, portait un habit de lys et une couronne d’olivier. Le troisième, qu’on appelait Mellifer, ressemblait à la jeune abeille qui
baigne ses ailes colorées du suc des fleurs, et qui nous cache l’aiguillon dont elle est armée pour nous percer. Le quatrième, nommé Bellifer, couvert d’une robe éclatante tissue [G] de feuilles de
laurier, semait les ris, les éclairs et les jeux, et composait tous ces
111
mouvements avec autant de force que de justesse et d’élégance 6.
Il ordonne à Rosifer de se parer des plus riches couleurs, et, distribuant à chacun d’eux l’emploi qui leur est confié, il ouvre devant
eux le Livre du Destin. Et leur leçon bien apprise, ils courent dans
Rome pour en effrayer les cerveaux ecclésiastiques.
Bientôt, on vit des chars volants entourés de nuages, attelés par
une foule de papillons, fendre les airs et porter dans le Vatican
toutes les images terribles que l’Ange des ténèbres répand et fait
naître autour de lui.
112
CHAPITRE IX
La nuit du 3 mai
Tandis qu’un doux sommeil caressait les membres sacrés du
Grand-Vizir, Rosifer attendait en silence que Sa Sainte Hautesse
fermât les yeux pour semer devant eux toutes les roses dont il était
couvert, et mêler à toutes ces fleurs mille petits serpents entortillés
autour de la tiare [G]. Voici l’image terrible qu’il offrir aux yeux de
Sa Sainteté…
Sur un tapis de roses, on voyait un monstre qui, sortant d’une
tombe ouverte à demi, s’élançait sur le maître-autel pour dévorer
tous les hommes vêtus de blanc ou de noir qui oseraient en approcher. Ce monstre était une hyène, qui ressemblait à celle du
Gévaudan 1 ; ses entrailles, doublées d’airain, la rendaient inaccessible au canon. Malheur au régiment de dragons, qui, novice dans
l’art de combattre les monstres, oserait l’attaquer pour son premier
coup d’essai. Cet animal fier et terrible tenait dans sa gueule un
livre qui ressemblait à l’Évangile nouveau : tantôt il en flétrissait
la couverture, tantôt il en retranchait quelques feuillets qui paraissaient écrits par la main des hommes. Tous ceux qui s’avisaient de
les ramasser étaient terrassés ou dévorés par le monstre. On voyait
autour de lui un bataillon de coiffures en ordre de bataille : il était
suivi d’un troupeau de chapeaux rouges et de cervelles fendues
qui marchaient à deux pieds. Le Vizir Ecclésiastique était à leur
tête, porté par des hommes qui trottaient en cadence et qui, loin de
s’approcher du monstre, s’en écartaient sans cesse, malgré le saint
zèle dont Sa Sainteté paraissait être animée pour sa destruction.
Tous les jeux de sa queue et les mouvements de sa tête emportaient au Diable toutes les croix que le Saint-Père répandait dans
les airs. Les prières ne sortaient plus de sa bouche pour monter au
séjour des anges. Elles s’arrêtaient sur la Terre pour annoncer à
113
tous les peuples la faiblesse de leurs ailes qui ne peuvent plus les
soutenir dans les airs. Enfin, après bien des prières et exorcismes
perdus 2, ce monstre vit une fontaine d’où paraissait couler une
onde aussi pure que les eaux de la grâce. Chacun allait boire dans
cette eau pour se purifier, et chaque verre coûtait un écu romain.
Que le pauvre fût altéré [G] et prêt à rendre la vie faute de boisson,
il fallait donner cette pièce d’argent ou mourir de soif. Sa Sainteté,
qui paraissait craindre pour la perte de son revenu, vit ce monstre
qui s’élançait dans cette source d’eau vive, la troublait à grands
coups de queue, et l’infectait de son haleine impure. Le Vizir,
indigné de voir souiller la pureté d’une eau si sainte, ordonna de la
tarir, et bientôt on en ferma la source comme étant inutile au salut
des âmes. Depuis ce temps, on a su se passer de la pureté de ces
eaux 3 ; et comme l’eau de la grâce ne coule plus, soit qu’elle soit
tarie dans sa source, ou plutôt arrêtée dans ses canaux, on a creusé
de nouvelles fontaines sur la terre et l’on a soin de leur prêter
toute la vertu des ondes les plus pures. Mais s’il est vrai que sa
source venait du Ciel, sa pureté devait être inaccessible à l’haleine
d’un monstre qui porte l’infection avec elle ! Si cette eau, qui
coulait dans les premiers temps et qui servait de remède à tous les
fidèles, était alors un breuvage salutaire, pourquoi l’a-t-on laissée
corrompre ? Doit-elle perdre sa vertu parce qu’un monstre a
l’audace de s’y plonger ? Puisque sa pureté sainte est émanée du
Ciel, pourquoi n’est-elle point au-dessus de toute autre puissance
physique ? Et faut-il que trois ou quatre syllabes aient droit de
sanctifier toute matière fluide, et que pour la rendre inaltérable, la
volonté d’un dieu créateur ait besoin de la parole des hommes ?
114
CHAPITRE X
La nuit du 1er juin
Le Vizir Ecclésiastique caressait sur le tendre duvet sa sainte
nature, et le doux sommeil livrait à ses charmes tous les habitants
du sacré sérail, tandis que sa pieuse mollesse oubliait au sein du
repos les troubles de son Église et que sa tête se délassait avec
plaisir du poids d’une triple couronne trop pesante pour ne pas
excuser le saint amour qu’elle eut toujours pour le bienheureux
quiétisme. Il fut transporté tout à coup par le paisible Mellifer
dans un jardin qui ressemblait à celui qui fut autrefois le berceau
du premier homme.
On y voyait des fruits et des fleurs de toutes espèces mais Sa
Sainteté, toujours empâtée des mets les plus excellents, n’était pas
tentée de goûter les fruits qui se présentaient à ses yeux. Elle promenait ses regards de tous côtés 1, lorsqu’elle aperçut un trône de
fougère qui flottait au gré des vents qui l’agitaient en silence. Sur
ce trône, s’élevait un arbre chargé de feuilles qui imitaient la couleur de la pourpre. Chaque feuillage était couvert de petits insectes
qui s’étendaient et croissaient à mesure que la vue en approchait.
Chacun de ces insectes était armé des pointes prêtes à percer la
main qui les touchait. Toutes les branches de cet arbre étaient
chargées de fruits façonnés en forme de mitres [G] et fendus comme elles. Cette espèce de fruits, qui parut être nouvelle pour les
yeux du Vicaire-Général, tenta son appétit. Et comme l’arbre
élevait ses rameaux au-dessus de la longueur de ses bras, et que la
vieillesse ne permet point à des muscles appesantis de s’allonger
et de s’étendre, il voulut aplanir ses épaules voûtées pour embrasser, ébranler le tronc, agiter ses branches et faire tomber des poires
fendues. À peine eut-il secoué l’arbre, que la terre fut couverte de
115
poires mitrées qui s’écrasaient en tombant, parce qu’un excès de
maturité les avait déjà corrompues, en sorte qu’il ne fut pas possible d’en déterminer le goût. Mais quelle fut sa surprise quand il
s’aperçut 2 qu’il ne restait pas un fruit sur cet arbre apostolique, et
que malgré tous les efforts il ne pouvait en abattre les feuilles !
C’est en vain qu’à force de secouer ses épaules contre le tronc, il
épuisait ses forces jusqu’à voir ses genoux affaissés et tremblants
se dérober sous la faiblesse de son corps. Les feuilles tenaient aux
branches comme le démon de la chair tient à la prélature 3, et les
insectes qui s’attachaient aux feuillages hérissaient contre lui des
pointes menaçantes : il résolut de faire couper cet arbre au pied,
mais tandis qu’on approchait la cognée 4, l’arbre se renversa luimême 5 sur le corps du Grand-Vizir. Bientôt, on vit sortir des
racines de cet arbre trois grands personnages chargés de chapeaux
rouges et de couronnes fendues 6. Ils s’élancèrent tous trois sur le
Grand-Vizir pour le dépouiller des ornements de sa tête et les partager entre eux (diviserunt sibi vestimenta mea, et super vestem
meam miserunt sortem) 7. L’un se saisit de son sceptre, l’autre lui
ravit sa triple couronne et le troisième le priva de tout, et même du
droit sacré des indulgences. On ne lui laissa que son erreur, qui
doit être éternelle comme l’infaillibilité qui l’entretient.
Le ravisseur de son sceptre traversa les Alpes et vint établir son
empire chez les Français, où bientôt le même sceptre, qui détruisait la tolérance et la liberté théocratique, en deviendra l’instrument et le soutien. 8
Celui qui dépouilla son front de sa triple couronne a porté ses
pas jusqu’aux bords du Danube, où il s’est arrêté, et peut-être qu’à
l’exemple du premier, il fera de tous les climats du nord le théâtre
de sa puissance.
Le troisième est encore incertain de la route qu’il doit prendre
mais sans doute qu’on lui verra porter en triomphe les clés du
purgatoire et que, lassé d’en montrer la rouille à tous les habitants
de l’Europe, il traversera les deux mers pour faire présent de sa
conquête aux peuples du Nouveau Monde, ou plutôt pour en
échanger la valeur contre le produit de ses mines. 9
116
CHAPITRE XI
La nuit du 2 juin
DÉLIBÉRATION DU SACRÉ COLLÈGE
Déjà, le sombre ennui qui préside aux audiences du matin se
plaçait à l’entrée des antichambres.
Déjà, la belle marchande prêtait aux galanteries de sa boutique
un nouvel éclat et, tandis qu’elle ouvre son sac à chiffons pour y
chercher ce qu’elle ne veut pas y trouver, ses yeux fripons lorgnent le goût des passants, et dévorent la bourse des acheteurs.
Déjà, la nièce du cardinal de *** faisait retentir toutes les sonnettes de la maison et semblait vouloir se venger sur toutes les
femmes de l’affront que son oncle venait de faire à ses appas 1.
Déjà, sous un petit déshabillé de prélat, la belle Rosalia 2 venait
faire sa cour à Son Éminence.
Les galeries commençaient à s’ouvrir. Mille déserteurs de Paphos, qui portaient la couleur et le parfum de la violette 3, venaient
échanger quelques faveurs antiphysiques [G] contre des abbayes :
les cardinaux et les prélats quittaient leurs maîtresses pour entrer
dans la niche parfumée, et voir déployer devant eux tous les
apprêts d’une sainte toilette.
Déjà, les portes du Vatican étaient assiégées de mille petits
abbés rêveurs qui, dans un beau songe, attrapent des mitres [G] et
des chapeaux, et ne trouvent à leur réveil qu’une petite calotte [G]
qui couvre la nudité de leur chef.
Déjà, les colporteurs de placets [G] et de requêtes 4 attendaient le
lever du Grand-Vizir, et tous ceux qui font le commerce des indulgences venaient auprès de Sa Sainteté pour les acheter en gros et
les revendre en détail.
117
Quelle circulation, pleine de vie, répandait de tous côtés les
trésors du Vatican ! Que de chaleur et d’action dans le trafic
immense qui sape et détruit le Saint Édifice en faisant la richesse
des architectes !
Déjà, l’on préparait des hommages à l’idole du jour, et comme
on ne connaît plus l’usage des sacrifices qu’on faisait autrefois à
la religion, on portait des offrandes d’une espèce assez neuve au
pied du Saint-Père. L’une présentait une corbeille de rose, de
myrte et de jasmin ; l’autre offrait une fleur qui n’était pas encore
éclose, et que le Saint-Père ne faisait que flairer, laissant à quelque
cardinal le soin de la faire épanouir. Parmi tout cet appareil, Sa
Sainteté crut qu’il était temps de s’arracher des bras de sa chère
compagne, car on dit que la mollesse a du goût pour tout ce qui
respire une odeur de sainteté, et que le trône pontifical est le plus
paisible de tous ses autels et peut-être celui qu’on honore le plus.
À peine Sa Sainteté fut-elle sortie de son lit, que tous les songes
qui revenaient agiter son esprit le remplissaient de mille sombres
idées. Il fit appeler le cardinal de *** et lui raconta l’histoire de
son sommeil. Il était si pénétré de son récit, qu’il croyait voir
encore autour de lui toutes les images qui l’avaient frappé dans la
nuit. Son Excellence ne manqua pas de vouloir dissiper le trouble
et le désordre de l’Esprit-Saint organisé. Il épuisa son éloquence ;
il voulut prouver par mille passages puisés dans les livres sacrés et
profanes, que les songes n’étaient que l’effet des impressions qui
ont affecté plus ou moins l’esprit du rêveur et que, malgré l’opinion des prophètes, le Ciel n’a pas besoin d’emprunter la voix de
quelques signes faux ou vrais pour nous peindre ses volontés. Et si
les rêves, si redoutés dans les temps prophétiques, étaient regardés
comme des oracles qui s’accomplissaient toujours, c’était moins
par les effets d’une impulsion métaphysique, que par la faiblesse
et la crédulité des peuples.
Toute la force de ces raisons ne peut rendre le calme à l’EspritSaint du Grand-Vizir qui voulait, dès le moment, faire assembler
tous les sages de Rome pour expliquer ses rêves. À quoi Son
Excellence répondit que ce serait avilir la plus sainte des religions
que de la soumettre aux décisions de tous ces gens, au cerveau
118
lunatique, qui, pour être descendants de Jacob, ne se perdent pas
moins dans les abîmes de l’avenir. Il ne craignit pas de représenter
à Sa Sainteté que le Vicaire de Jésus perdrait bientôt la vénération
des fidèles, si l’on apprenait que pour éclairer des rêves, sa faiblesse l’a pu réduire à la nécessité d’emprunter les lunettes d’autrui.
— Croyez-moi, lui dit-il, votre âme sainte peut être agitée de
quelques peines secrètes, car le dégoût et l’ennui pénètrent jusqu’au Ciel, et les songes ne sont que l’effet des agitations que
nous éprouvons dans le sommeil. Il suffit de s’endormir et d’avoir
l’âme affectée de quelque impression violente, pour que cette
atteinte frappe notre imagination de mille objets, toujours aussi
sombres que le mensonge qui les a produits. Mais si Votre Sainteté peut s’élever à Dieu même, et se mettre au-dessus de l’erreur,
sans être inaccessible à la crainte, elle pourrait assembler le Sacré
Collège. Sans doute que parmi les membres qui le composent, il
est des sages éclairés par le Ciel et qui sont instruits à lire dans
l’obscurité des songes. Espérez que le Ciel, qui s’intéresse au bonheur de vos jours, terminera vos peines et ne couvrira vos yeux
que de pavots bienfaisants, tels qu’une âme bienheureuse doit les
goûter [G]. Il ne permettra pas que des songes vains éternisent le
désespoir dans votre âme… Il suffirait d’ordonner une heure de
flagellation pour les cardinaux. La nouveauté de cette pénitence
pourrait toucher le Ciel, car il est fatigué de jeûnes, d’aumônes et
de prières. Il veut de la nouveauté dans les grâces méritoires qu’on
veut en obtenir. Je ne doute point que les vœux des fidèles ne
soient exaucés. Il n’est pas besoin d’annoncer la raison de cette
cérémonie expiatoire. Je dirai seulement que cette flagellation est
ordonnée pour la prospérité du Vicaire Apostolique, troublé
depuis quelques jours par les maux dont on afflige l’Église.
— J’entre dans vos raisons, lui répondit le saint personnage, et je
consens que vous ordonniez de ma part à tous les cardinaux de
s’assembler et de faire provision de martinets de toute espèce. Je
jugerai, par le plus ou moins de façon que chacun mettra dans ce
pieux exercice, de l’intérêt que vous prenez tous à la tranquillité
de mon sommeil.
119
120
CHAPITRE XII
La nuit du 3 juin
NOUVELLE CÉRÉMONIE EXPIATOIRE
Son Éminence fut annoncer à tous ses confrères les ordres du
Saint-Père, et l’heure de la cérémonie. Ce genre de pénitence
n’était pas nouveau pour tout le monde car il est des gens qui
préfèrent les coups de fouets à la délicatesse des plus doux attouchements : tout est art ou science parmi les hommes. Et comme il
est des martyrs qui n’ont été canonisés que par les grâces qui sont
attachées aux martinets, on peut dire que la plupart des canonisations ont été l’ouvrage de la flagellation (*) 1. De là vient que l’art
de mettre les passions en jeu par les ressorts du postérieur est plus
cultivé dans Rome que dans tout autre pays, et qu’à force d’en
multiplier les écoles, on les a rendues si nécessaires, qu’il est
autant de maîtres que de disciples 2. C’est là qu’on trouve de jeunes apprentifs [G] qu’on instruit au grand art de préparer les verges,
de mettre dans leurs gestes toute la flexibilité convenable : tantôt
de frapper avec autant de légèreté que de vitesse ; tantôt de porter
un bras méthodique, qui cadence la légèreté de ses coups en
effleurant la place où la verge doit tomber.
* On dit que Jules III, très profond dans les connaissances antiphysiques [G], tenait à sa solde une compagnie de gitons [G], et que le plus
laid d’entre eux fut gratifié d’un chapeau rouge, pour avoir fait
quelques nouvelles découvertes dans l’art d’irriter l’entre-deux, et de
rendre au sang de son maître cette active chaleur qui croît et s’augmente par les fortes caresses dont on presse la parenté du derrière.
Dic. Bayle. Siud. d’Alex. IV.
121
Les cardinaux étant assemblés, chacun voulut savoir quelle était
la raison du Saint-Père, pour livrer une partie innocente à la correction. Il en fit part à l’auguste assemblée, qui prétendit d’abord
qu’il fallait choisir pour cette expédition tous les jeunes abbés
dont les bras nerveux pourraient mieux supporter la fatigue, et qui
seraient exercés d’avance au grand art de mortifier la grosse
nature et de martyriser celle d’autrui. Les uns furent d’abord de
cet avis, les autres étaient gouvernés par un sentiment contraire ?
Enfin, on recueillit les voix : trente-deux opinent pour la question
ordinaire, et vingt autres pour l’extraordinaire. On fut rendre
compte à Sa Sainteté de la délibération du Conseil, elle la ratifia,
et sans perdre temps fit procéder à l’élection de cinquante-deux
jeunes calotins 3, très propres à mettre du neuf dans cette bruyante
cérémonie. L’heure désignée pour cette nouvelle représentation
étant venue, on se rendit au lieu de la scène. Tous les acteurs rassemblés, Sa Sainteté jeta les yeux sur eux et l’on vit disparaître
toutes les décorations qui couvraient le devant et le derrière du
théâtre. Bientôt, on entonna, d’une voix unanime, le cantique des
trois frères dans la fournaise 4, afin que le Tout-Puissant daignât
répandre ses bénédictions sur tant de fesses pieusement martyrisées.
Après la mauvaise digestion de ce cantique, chacun des apprentifs [G] saisit son beau patient, et le fit placer devant un fauteuil,
pour prêter à ses coups une force plus élastique. On donne le
signal, le rideau se lève, et l’on voit tomber la reliure du SaintPère. Tout à coup on ouvre la scène et chaque acteur commence
son petit jeu. Quelle force dans l’action ! Quel développement
dans les gestes ! Tous les bras se levaient et tombaient en cadence.
On entendait ces claquements heureux qui flattent l’oreille, ravissent l’âme du patient en extase. Cette scène aurait duré plus longtemps si le Saint-Père, qui promenait ses yeux sur le devant et sur
le derrière de tous les martyrs, ne s’était aperçu de certaines
érections qui lui firent craindre, pour le peuple agent 5, les effets
d’une trop longue flagellation. Eh, bien en prit à la prudence de
l’Homme-Dieu d’ordonner la clôture du théâtre, car le jeu de la
chair était déjà si révolté contre l’esprit, que le pape tremblait de
jouer un bien mauvais rôle, et d’en être la première victime ! 6
122
CHAPITRE XIII
La nuit du 4 juin
APPARITION DE BELLIFER
Le Grand-Vizir rendait grâce, à tous les cardinaux, de tous les
coups de discipline qu’ils avaient endurés pour le repos de sa
conscience. Il s’applaudissait avec eux des effets qu’il en attendait, persuadé que le Ciel verrait avec bonté tant de sacrifices qui,
pour être offerts par la partie du couchant 1, n’étaient pas moins
méritoires. Mais Sa Sainteté se trompa, car le Saint-Père, qui ne
porte que des lunettes, ne voit point avec les yeux du GrandMaître.
Il dit bientôt que cette flagellation n’avait produit aucun effet
parce qu’elle flattait la chair et l’esprit au lieu de tourmenter l’un
et l’autre. Bellifer, en habit de combat et suivi d’une troupe de
voltigeurs, vint assiéger le duvet superbe où le Grand-Vizir, mollement étendu, se livrait au plaisir d’oublier la sainteté de ses
membres étiques [G]. Jamais plus doux sommeil ne mérita mieux
d’être respecté mais les songes pénètrent partout, et rien n’est
sacré pour eux, pas même les cervelles fendues. La bienheureuse
victime des songes se livrait à toutes les douceurs du repos 2,
tandis que Bellifer vint accabler son esprit des assauts les plus
terribles.
Le feu qui sortait de ses yeux formait une espèce d’embrasement qui répandait des étincelles dans l’appartement et sur les
rideaux, qui couvrait sa sainte nature. Le Saint-Père, qui croyait
voir le feu céleste descendu sur sa tête, saisi d’une crainte qui
ajoutait à la profondeur de son sommeil et retenait ses esprits dans
une espèce de léthargie, crut, dans l’horreur de ce moment, s’arracher à son duvet pour se dérober à l’incendie ! Et tandis qu’il
123
croyait marcher dans son appartement, il rencontra sous ses pieds
mille petits aiguillons qui sortaient de la terre pour le percer. Il
poussa des cris terribles que personne n’entendit et rentra dans son
lit tout pâle, et saisi d’horreur ! Bientôt, il voit une espèce de
fantôme organisé que Bellifer traînait par les cheveux : ce fantôme
était chargé de croix et portait, de la main droite, une grande corbeille remplie de billets de confession 3. Et comme il parlait de les
échanger contre de petites pièces d’argent, des petits hommes
vêtus de pourpre l’environnaient et débitaient sa marchandise à
tout prix. Et tandis qu’on formait un cercle autour de lui, un
escadron de petits diables en robe fourrée, chargés d’une coiffure
in-folio, descendait du ciel, mettait en fuite tout le cortège, et se
rendait maître du champ de bataille.
Ce moment si terrible aux yeux du Grand-Vizir fut l’instant de
son réveil. Il se lève, il jette les yeux de tous côtés, et ne voit rien !
Pas même l’ombre du rêve dont il était encore effrayé. Il quitte
son lit et, sans attendre le lever des cardinaux, fait assembler le
Sacré Concile pour terminer enfin tant de frayeurs et d’ennuis.
124
CHAPITRE XIV
La nuit du 5 juin
LE SACRÉ COLLÈGE
Les cardinaux assemblés pouvaient bien interpréter les rêves de
Sa Sainteté, mais aucun d’eux n’osait dire la vérité. Il est aussi
dangereux de la prononcer dans le Vatican, que dans toute autre
Cour et l’oreille du Saint-Père n’est pas plus indulgente que celle
d’un autre Souverain 1. On dit même qu’il n’aime point la vérité,
parce qu’un bon chrétien ne doit jamais outrager personne, et ne
doit mettre dans sa bouche, suivant la parole de l’Ecclésiaste, que
du miel 2. En sorte que tous les cardinaux ensemble ne parlaient
que pour flatter les ennuis de Sa Sainteté, et s’excusaient tous sur
le peu de connaissance qu’ils avaient dans l’art d’expliquer les
rêves. Mais un d’entre eux, qui connaissait un vieillard dans Rome
aussi savant dans l’interprétation des songes que l’aîné des enfants
de Jacob 3 et qui, même, prétendait descendre en ligne directe de
cette auguste tribu, proposa de l’interroger et assura que la sagesse
de ses réponses pourrait satisfaire le Grand-Vizir. En conséquence, le vieillard fut mandé : il parut au milieu du Sacré Concile, et
fit revivre à tous les yeux cette intrépidité qu’un sage de la Grèce
fit respecter autrefois au milieu de l’aréopage. On lui ordonna de
se mettre en prières, de purifier sa bouche, et de lever les mains
vers le Ciel en invoquant l’Esprit-Saint. Il répondit qu’il n’avait
pas besoin des secours du Ciel pour expliquer des rêves, qu’il
avait appris ce grand art dans l’Histoire de l’Ignorance et de la
Crédulité 4, et que les maladies qui naissaient de la faiblesse de
nos organes devaient être guéries par la raison. Il interrogea Sa
Sainteté, lorgna ses yeux et tous les traits de son visage, lui
demanda toute l’histoire de sa vie et de ses rêves, et prononça son
125
jugement avec autant de force que de vérité. Mais à peine eut-il
fini son oraison, que toute l’Assemblée se souleva contre lui ! Il
fut chargé de mille croix, accablé d’anathèmes, traité d’imposteur
et d’antéchrist, et digne d’être remis entre les mains des huissiers
du Saint Office ! le Vieillard regardait ses juges avec un œil de
compassion : il était inébranlable comme la raison dont il était
l’apôtre le plus zélé. Pour moi, qui fut témoin de cette scène tragique, je ne rappelle qu’à regret le malheur de ce pauvre philosophe qui, victime de son savoir, nous apprend qu’il est dangereux
d’aller trop loin dans la carrière [G] 5, et que l’on doit s’arrêter partout où l’on nous oppose des barrières sacrées 6. Mais au moment
que ce pauvre Martyr de la philosophie faisait le second tome de
la Passion, l’esprit de vertige [G] s’empara de la cervelle du GrandVizir, et bientôt la prédiction du philosophe accomplie le vengera
du supplice de l’Inquisition, et parviendra peut-être à soulever la
raison contre l’injustice d’un tribunal qui sert d’outrage à la religion, de prétexte au despotisme sacré, et de monument à la honte
du siècle.
Pour moi, qui suis à l’abri de l’Inquisition et qui n’en connais
d’autre que celle qu’on veut donner partout à la liberté de penser 7,
je laisse le Vizir Ecclésiastique où je l’ai pris, c’est-à-dire dans
son lit ; car il est bon qu’il y soit toujours pour le repos de nos
consciences.
Voilà l’histoire et la fin des rêves de Sa Hautesse. Je voudrais
bien voir ainsi le terme des miens, mais nous naissons pour faire
trois songes 8. Le premier ne nous fait aucune impression, et nous
n’en conservons qu’une faible idée, qui nous échappe, pour exciter nos regrets. Le second ne sert qu’à flatter, ou plutôt à tromper
notre sommeil ; il nous réduit, et nous éblouit par le mélange et la
beauté de quelques rayons qui, toujours dorés ou colorés avec art,
ne brillent un moment que pour nous préparer de longues éclipses
et nous laisser envelopper de mille sombres nuages. Le troisième
est terrible à soutenir. Il nous afflige d’avance. Il nous effraie, et
nous conduit à l’éternité d’un beau réveil, que je vous souhaite,
s’il en est un.
126
Ami lecteur, respecte mes rêves, et ne t’avise pas d’en rire !
Souviens-toi que la plupart des prophéties et des révélations
n’étaient que des songes, et que Dieu, selon l’Écriture, n’en faisait
aux prophètes que pendant leur sommeil. C’est à toi de juger si
mes rêveries portent le caractère des auteurs prophétiques.
Viennent-elles du Ciel, ou des vapeurs du sommeil ?
Décide comme tu voudras.
Amen, amen.
FIN
127
À propos du texte
Le conte présenté ici ne semble pas avoir été réédité depuis 1767.
Nous l’avons épuré de quelques tolérances et usages orthographiques en vigueur au XVIIIe siècle. La ponctuation a été retranscrite
au plus près de l’originale, ne s’en écartant que lorsqu’elle pouvait
gêner la compréhension de la phrase.
Quelques coquilles ont été corrigées, elles sont signalées en notes
de fin.
Reproduction d’après l’édition originale :
L’Antipapisme révélé, ou les Rêves de l’antipapiste, A Genève,
chez George Lapret, à l’enseigne de la Mitre, 1767. In-8°, XL p.
(épître et préface) + 128 p. (texte)
Fausse adresse, d’après Weller (impr. en Hollande).
Imprimeurs imaginaires et libraires supposés d’après G. Brunet.
Quatre exemplaires (+ une microfiche) de cette édition figurent à
la Bnf : Cotes : D2-5544, D2-14474 & D2-5607 [2] + MFICHE
D2-5607 [2], Tolbiac / Rez-de-jardin / Magasin ; P95/1212,
Tolbiac / Haut de jardin / communication en banque de salle. –
Quelques autres exemplaires sont communicables dans diverses
bibliothèques de France, comme celles de Besançon, Chalons-enChampagne, Dijon, Grenoble, Nîmes, Rouen et Roanne.
Je tiens à remercier particulièrement Patrick Graille pour sa relecture, ses conseils, ses remarques, sa laurentique modestie, et sa
complicité de lettré de l’ombre.
129
Glossaire
Altéré : Assoiffé. Ici : déshydraté.
Antiphysique : L’adjectif ou le nom sont couramment consentis au XVIIIe
siècle dans le sens d’“homosexuel”. On trouve dans Thérèse Philosophe une « Dissertation sur le goût des amateurs du péché antiphysique, où l’on prouve qu’ils ne sont ni à plaindre, ni à blâmer »
(1748). Il peut également être employé dans le sens plus scientifique
de “contre nature” : « Entêté encore de l’idée incompréhensible et
antiphysique que tout est plein, il [Spinoza] s’est imaginé qu’il ne
peut exister qu’une seule substance » (Voltaire, “Lettre X, sur
Spinoza”, in Lettre sur Rabelais et sur d’autres auteurs, 1767).
Apostat : Religieux qui se convertit à une autre religion, ou qui abandonne
sa religion (défroqué). « Se disait autrefois proprement de celui qui
avoit faussé la foi promise à son capitaine. […] On le dit encore de
ceux qui changent de parti, & se rangent dans le parti opposé » (D.U.
Trévoux, éd. 1771).
Apprentif : Apprenti. Cette orthographe est déjà désuète au moment de
l’écriture, ce qui est assurément intentionnel de la part de Dulaurens
qui utilise parfois des termes obsolètes pour accentuer l’idée d’archaïsme. « On écrivoit autrefois Apprentif au masculin, Apprentive
au féminin » (Dic. de l’Académie, éd. 1798).
Aune : Ancienne mesure valant 1,19m, appliquée au découpage des tissus :
« il lui faut annuellement [à Lucifer] plus de quinze-cens-mille aunes
de boudin » (Le Compère Mathieu, éd. 1766a, I, 17, p. 362).
Automate : « On dit figurément d’un homme stupide, que C’est un automate. » (Dic. de l’Académie, éd. 1762) – Fig. et fam. Niais, homme
stupide ou sans énergie, flottant à tout vent (Bescherelle, éd. 1856) –
« Nous n’engraissons plus dans notre état une foule d’automates
aussi ennuyés qu’ennuyeux, qui faisoient le vœu imbécille de n’être
jamais hommes, & qui rompoient toute société avec ceux qui
l’étoient. » (Louis-Sébastien Mercier, L’an 2440, éd. 1786, I, 17,
p. 134)
131
Besace : La besace, sac rudimentaire ouvert, est portée par les religieux
mendiants. « On dit figurément qu’un homme est à la besace, qu’il
est réduit à la besace, pour dire qu’il est ruiné. » “Être jaloux comme
un gueux de sa besace” est une expression proverbiale. “Besacier” est
un terme de mépris, parfois appliqué à certains moines. (Dic. de
l’Académie, éd. 1762)
Bonnet : Les gradués de l’Église, comme ceux de la justice ou du collège,
portent le bonnet carré. « Pasquier & du Vair racontent le changement qui est arrivé dans la forme de ces bonnets. Il dit qu’on les
appeloit bonnets ronds de son temps, quoiqu’ils fussent carrés. Ils
disent qu’à ces bonnets, qui étoient ronds, on commença de donner je
ne sai quelle forme de quadrature grossière & lourde, qui fut cause
qu’on les appeloit bonnets à quatre brayettes ; que le premier qui y
donna la façon fut un nommé Patrouillet, lequel se fit riche Bonnetier
aux dépens de cette nouveauté. » (D.U. Trévoux, éd. 1771)
Bramine : (ou Bracmane, Bramin) Philosophe ou prêtre indien (Dic. de
l’Académie, éd. 1762). – « Prêtres ou Philosophes Indiens, qui ont
succédé aux anciens Brachmanes. Ils admettent la métempsycose, &
révèrent particulièrement le Dieu Fo, sa Loi & les Livres qui contiennent leurs Constitutions. Ils ne se disent point issus du Roi Brachman, comme leurs Prédécesseurs, mais de la tête du Dieu Brama. Ils
sont tellement respectés sur la côte de Malabar, qu’un Banian [adepte
de la religion brahmanique] croit attirer les faveurs du ciel sur sa
maison, en leur abandonnant sa femme avant la consommation du
mariage. » (Guyot, Le grand vocabulaire françois, éd. 1768)
Bref : Voir bulle.
Bulle : Dérivé de bulla (sceau), et donc ainsi désignée par synecdoque, une
bulle est une lettre scellée du sceau pontifical, expédiée en parchemin, ayant valeur de décret. Les bulles sont scellées au plomb ou à la
cire verte et leur contenu est plus développé que celui des brefs,
scellés à la cire rouge, ou des signatures, autres libellés d’écrits
apostoliques. Le pape, en formule de politesse, y prend la qualité
d’évêque : servus servorum dei.
Bure : Tissu grossier fait de laine rousse, et par métonymie, habit de
certains moines. (Prov.) “N’avoir ni bure ni buron [cabane]” : ne rien
posséder.
Cagot : Faux dévot, au sens premier, s’utilise également pour bigot, sot,
ignorant, hypocrite, malotru (Le Roux, Dic. comique, satirique, critique, burlesque, libre et proverbial, 1750)
132
Calotte : « La calotte rouge est une marque de dignité, car il n’y a que les
Cardinaux qui la portent. […] M. le Cardinal de Richelieu est le
premier Ecclésiastique qui ait porté la calotte en France. » (D.U.
Trévoux, éd. 1771) À l’origine, la calotte était portée par simple souci
de protection, sans couleurs significatives, adoptée par certains
religieux de terrain.
Carrière : La “carrière brillante” est une expression en usage dans le sens
d’entreprise prometteuse ou de réussite relationnelle. « Autrefois
Madame la Marquise de Pompadour, cette femme charmante qui
vous a dévancée dans la carriere brillante où vous entrez… » (Lettre
de M. Dauberval à la comtesse Du Barry, 29 avril 1774, abondamment citée) ; « Je vous admire, Madame !… Oui, je vous obéirai : je
vous suivrai, quoique de loin, dans la carriere brillante que vous
tracez à mes yeux… » (Nicholas Rowe, Tamerlan, IV, 5, trad. par La
Place, Le Théâtre anglais, 1748) ; de même plus tard : « Entrer dans
la carrière veut dire : s’avancer dans le chemin de la vie » (Jules
Vallès, Le Bachelier, 1881).
Chapitre : Désigne le lieu où se tiennent les assemblées de religieux : “Les
bancs d’un chapitre.” (Dic. de l’Académie, éd. 1762)
Collation : 1) Pour un religieux catholique, droit et action de conférer un
bénéfice. 2) Comparaison d’un écrit avec l’original en vue d’établissement de conformité. (Dic. de l’Académie, éd. 1762)
Commerce : Fréquentation.
Crédit : “Lettre de crédit” : « se dit d’une lettre qu’un banquier ou négociant adresse à un de ses correspondants, pour fournir au porteur de
cette lettre une certaine somme d’argent, ou indéfiniment tout ce dont
il aura besoin. » (Guyot, Le grand vocabulaire françois, éd. 1768)
Églisier : Mot d’argot usité par dénigrement pour désigner un homme
d’église ou un bigot (Delvau, Dictionnaire de la langue verte ; argots
parisiens comparés, Paris, Dentu, 2de éd. 1866). Le terme va se
répandre à partir des premiers pamphlets révolutionnaires puis surtout au XIXe siècle mais son usage était rare dans la littérature sous
l’ancien régime.
Étique : En médecine ancienne : affecté d’amaigrissement maladif ; en langage commun : présentant une remarquable maigreur. « Du désespoir
le jaunissant chagrin, / Ornait en beau son long visage étique » (Le
Balai, V, v. 143) ; « A l’encolure de mon bon Homme, à sa mine
étique, je vis bien que la décoration de mon grand ruban était
inutile » (Imirce, “Histoire de Babet”, p. 207).
133
Étoffe : Dans le sens d’état ou condition, « Ce mot ne s’emploie guère que
pour déprimer, que pour dénigrer » (Dic. de l’Académie, éd. 1762) ;
« Maniére de parler, pour dire, être d’une condition fort médiocre,
d’un rang, d’une qualité fort simple, d’une naissance basse, d’un état
peu distingué, d’un calibre commun & bourgeois » (Le Roux, Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial,
Amsterdam, 1750).
Gâte-métier : De la famille de gâte-pâte, gâte-bois, gâte-cuirs… s’applique
à tout marchand ou travailleur qui vend son produit ou sa peine à trop
bas prix. « Il y a partout des gâte-métier, et cet écrivain en est un. »
(Voltaire, Correspondance ; Lettre à d’Alembert, 24 janvier 1778)
Général : subst. « On appelle un Général d’Ordre, celui qui est le chef de
toutes les Maisons établies sous la même Régle. » (Abrégé du Dic. de
Trévoux, éd. 1762) Nombre de publications non autorisées portaient
en page de titre la mention « Aux dépens du Général », brocardant
ainsi le général de l’ordre des jésuites.
Giton : Jeune homme entretenu par un homosexuel dont il est l’amant. Voir
Voltaire, L’anti-giton, conte en vers.
Goûter : (Alors fig. ; aujourd’hui litt.) Trouver qu’une chose est bonne.
Gymnosophiste : Le terme est ainsi défini dans le Dictionnaire de Trévoux : « Philosophe Indien fameux dans l’antiquité, ainsi nommé,
parce qu’il marchoit nud. […] Ce nom est devenu commun à tous les
anciens Philosophes des Indes. On prétend que les Gymnosophistes
s’abstenoient de toutes sortes de voluptez. C’est dans l’Isle de Maçua
en Éthiopie que demeuroient les anciens Gymnosophistes, qui avoient
inventé les lettres hiéroglyphes, & qui s’adonnoient à la contemplation des chôses de la nature, sans se soucier d’habits, ni de la
délicatesse du manger. » (éd. 1721) La définition sera reprise dans le
Dictionnaire de l’Académie en 1762 mais seulement sous une forme
plurielle : « Anciens Philosophes Indiens, qui, à ce qu'on prétend,
s’abstenoient de toutes voluptés, s’adonnoient à la contemplation des
choses de la nature, sans se soucier d’habits, ni de délicatesse dans le
manger. » (Les gymnosophistes étaient végétariens.) L’Encyclopédie
leur consacre un article.
Hydropique : L’hydropisie est une « enflure causée en quelque partie du
corps par les eaux qui se forment & qui s’épanchent » (Dic. de
l’Académie, éd. 1762). Le terme “hydropique” est attesté dès 1174,
son emploi est commun au XVIIIe siècle.
134
Industrie : Au sens premier : dextérité, adresse à faire quelque chose.
Péjoratif uniquement dans l’expression “chevalier d’industrie”, ou
homme qui vit d’expédients.
Maltôtier : On appelait maltôte la perception abusive d’un impôt lorsque
cet impôt n’avait pas été commandité par le roi. La maltôte désignait
l’acte mais aussi l’ensemble des gens de connivence réclamant cet
impôt, ces derniers étant aussi appelés maltôtiers. Par extension, et
par grondement populaire, on appelle maltôte tout impôt nouveau,
légal ou non.
Mitre : Coiffe ornementale que portent les évêques et quelques dignitaires
pontificaux lorsqu’ils officient. « C’est un bonnet rond, pointu, &
fendu par le haut, ayant deux fanons qui pendent sur les épaules. […]
C’étoit originairement une coëffure de femmes. » (Abrégé du Dic. de
Trévoux, éd. 1762)
Mouche : On désignait ainsi péjorativement ceux à qui des officiers de
justice confiaient la tâche de suivre et d’épier une personne : espions,
rapporteurs et délateurs. Dulaurens l’utilise parfois dans ce sens
(« une mouche de la Police rapporta ce bon mot à M. de Sartine qui
fit mettre M. Piron trois ans à Bicestre » [L’Arretin, “Histoire du sage
Pangloss”, II, p. 71] ) mais aussi, comme c’est le cas ici, dans le sens
de « prendre la mouche » ou changer brusquement d’opinion.
Mufti : Sous diverses orthographes (moufti, muphti, mofti… de l’arabe
“juge”), désigne le chef religieux, interprète souverain du droit canonique musulman, ayant également autorité judiciaire et civile selon
les régimes.
Nonnain : Quoique définissant une variété de pigeons (cf. Bescherelle), le
terme est davantage employé par plaisanterie pour désigner une jeune
ou petite religieuse.
Passeport : C’est « un ordre par écrit donné par le Souverain, ou par celui
qui a pouvoir de lui, pour la liberté et la sûreté du passage des personnes, des hardes, des marchandises, etc. » (Ferrière, Dic. de droit et
de pratique, éd. 1758, T2). Le passeport n’était alors qu’un privilège
provisoire, souvent lié à une mission, équivalent à un laissez-passer,
conformément à l'origine du mot donnée par Gilles Menage : abréviation de “Passe le porteur”, ou “Laissez passer le porteur” (Dic.
étymologie de la langue françoise, 1750)
Petit-Maître : Jeune séducteur et flatteur tenu pour pédant et caricatural :
« Je sais bien que cette profession [les négociants] est méprisée de
nos petits-maîtres ; mais vous savez aussi que nos petits-maîtres et
135
les vôtres sont l’espèce la plus ridicule qui rampe avec orgueil sur la
surface de la terre. » (Voltaire, Zaïre, “Épître dédicatoire”, 1733) ;
« Quel est l’homme plus rempli de ce qu’il vaut, & plus infatué de
lui-même, qu’un petit-maître François ? Et cependant, quel est l’homme plus revenant, plus poli, & plus saluant que lui ? » (Boyer
d’Argens, Lettre juives, V, Lettre CXXXIII, “Aaron Monceca à Isaac
Onis”, 1736) ; « Le premier est une manière de petit-maître, parlant
assez résolument pour faire trouver ses reparties spirituelles à ceux
qui n’en écoutent que le ton » (Rousseau, Julie ou La nouvelle
Héloïse, Seconde partie, Lettre XVIII de Julie, 1756).
Placet : Demande succincte par écrit pour obtenir justice, grâce, faveur.
« Ce mot vient du latin placea, à cause qu’on les commence par
plaise au Roi, à Monseigneur le Président, etc. » (D.U. Trévoux, éd.
1771) – « Crois-tu, Ibben, qu’une femme s’avise d’être la maîtresse
d’un ministre pour coucher avec lui ? Quelle idée ! c’est pour lui
présenter cinq ou six placets tous les matins ; et la bonté de leur
naturel paraît dans l’empressement qu’elles ont de faire du bien à une
infinité de gens malheureux, qui leur procurent cent mille livres de
rente. » (Montesquieu, Lettres persannes, CVIII, 1721)
Relier : « Fig. Réunir les hommes, les attacher les uns aux autres par les
liens de la foi et de la charité, par la communauté des croyances, des
intérêts, du travail. » (Bescherelle, éd. 1856)
Robin : Terme péjoratif pour désigner l’homme de robe ou magistrat.
(Attesté dès 1620 : Le Grand Robert)
Suisse : Utilisé comme « nom d’un domestique à qui l’on confie la garde
d’une porte, et qui est d’origine suisse. Le Suisse d’un hôtel. » (Dic.
de l’Académie, éd. 1762) ; « Domestique à qui est confiée la garde de
la porte d’un grand hôtel, d’un château, d’un palais. Il est ainsi
nommé, parce que jadis ce domestique était pris parmi les Suisses. –
Particulièrement, domestique qui, dans les églises, ouvre et ferme les
portes de la sacristie, et précède le clergé qui processionne, afin
d’ouvrir la marche. » (Bescherelle, éd. 1856)
Tiare : Coiffure d’apparat portée par le pape lors des grandes cérémonies,
composée de trois couronnes d’or et de pierres avec un globe surmonté d’une croix. Les trois couronnes, ajoutées au fil de l’histoire,
incarnent l’autorité pontificale sur les trois églises : militante, souffrante et triomphante. L’usage synecdochique de la tiare est fréquent.
Tissu, ue : Adj. ou part. du verbe tisser ou tistre (faire de la toile sur métier
à tisser). « On dit figurément une intrigue bien tissue, pour dire bien
136
conduite ; & poétiquement, des jours tissus d’or & de soie, pour dire
des jours parfaitement heureux. » (D.U. Trévoux, éd. 1771)
Toiser : Mesurer à la toise (ancienne mesure d’une longueur de six pieds) :
« ce discours n’est point toisé aux règles de l’Art : mais accommodé
au génie de l’Ordre » (Dulaurens, présentation du Discours sur la
beauté, 1743, p. 17).
Vertige : « On dit particulièrement dans le style de l’Écriture, Esprit de
vertige, pour dire, Esprit d’erreur, de folie, d’égarement. » (Dic. de
l’Académie, éd. 1762) L’expression était largement usitée, dans le
roman comme dans l’analyse, surtout par référence religieuse :
« Priez donc celui par la puissance de qui vous existez, qu’il veuille
bien vous donner les moyens de suivre toujours les règles de la
justice, afin de garantir vos peuples de l’esprit de vertige, de révolte
et de perversion. » (Boyer d’Argens, Lettres juives, CLXXVI, 1736)
137
Résumé de L’Antipapisme révélé
Épître à M. le Comte de Pétrisaint :
L’auteur / narrateur rend hommage au gardien de la vérité, saint Pierre,
baptisé ici Pétrisaint, en le priant de bien vouloir protéger son livre et le
placer pour l’éternité « dans la Bibliothèque des Anges ».
Préface qui n’est point un rêve :
Filiation divine ? Pape miroir de Dieu ? Tenter de répondre aux mystères de
la foi ne peut qu’aboutir au bûcher. Cependant, la raison exige un tel
questionnement. Comment comprendre l’intelligence de Jésus lorsque la
religion fonde ses théories sur une interprétation idolâtre ? L’histoire des
hommes nous montre à quel point toutes les religions se ressemblent. Plus
l’on examine la chrétienté, plus on révèle ses contradictions et surtout ses
perversions. Jésus était un homme juste, sacrifié pour avoir prétendu que les
humains étaient égaux devant Dieu. « Car enfin, détruisez le péché contre
Dieu, vous rompez le charme qui couvre la magie des prêtres et vous n’avez
pas besoin de leur ministère ! » Jésus n’est pas venu parmi les hommes pour
créer une religion sectaire mais pour les réconcilier. Sa liberté de penser
autant que son sens de la tolérance s’opposent aux codes religieux draconiens et aux tribunaux ecclésiastiques. De là l’inutilité, voire la nocivité des
prêtres de toutes confessions, est une injure à la libre pensée, seule voie
pouvant « conduire à la découverte de la vérité ».
Fidèle à la morale originelle de Jésus, l’auteur implore que son ouvrage ne
soit pas pesé « à la balance des prêtres ».
Chapitre I : La nuit du 25 avril 1767
Le narrateur vante les bienfaits du rêve « qui tantôt est le théâtre de la folie
et tantôt celui de la raison ». Pour lui, « l’illusion est souvent la mère du
plaisir, la vérité peut être à son tour la fille du mensonge ».
Ainsi, le narrateur voit les portes du Paradis fermées depuis vingt siècles à
une foule de prêcheurs qui croyaient pourtant en détenir les clés sur Terre. Il
voit un dieu de paix et non de guerre. Il voit un oiseau fabuleux survoler la
foule et chanter les méfaits de la Compagnie de Jésus jusqu’à faire rougir
les saints. Il voit Dieu ordonnant alors à cet oiseau d’aller répandre sa parole
139
auprès des chrétiens, en commençant « par le Héros de la secte, pour le
punir d’avoir infecté [s]a religion d’une doctrine luciférienne. »
Ce fut ainsi que l’ange exterminateur s’empara des « enfants de Loyola » et,
notamment par le tremblement de terre de Lisbonne, « les précipita sur la
Terre, où la plupart sont devenus marchands d’esprit. »
Chapitre II : La nuit du 26 avril 1767
DÉLIBÉRATION DU GRAND-SÉRAPHIN.
Passé la disgrâce des jésuites, tout eut été tranquille si le Grand Séraphin
n’eut prédit quelque nouvelle révolution.
Pétrisaint, qui prenait soin de la vierge martyre Glisée, est alors convoqué
par Dieu qui l’envoie à Rome pour tenter d’influencer le pape. Avant son
départ, Pétrisaint va quérir l’assistance d’Ambroise, homme d’État du Paradis qui, avant de lui délivrer son ordre de mission, l’interroge « car les
ministres du Ciel pensent à peu près comme les autres : ils ont la rage de
contredire en secret les volontés de leur maître, tandis qu’ils feignent en
apparence de les approuver. Mais comme il faut chanter malgré soi quand
le Maître bat la mesure »…
Pétrisaint est expédié sur Terre.
Chapitre III : La nuit du 27 avril 1767
ARRIVÉE DU COMTE DE PÉTRISAINT À ROME.
À son arrivée, Pétrisaint demande assistance à un vieux marquis sceptique
et désabusé. Une mission divine qui consiste à venir ordonner au pape de
supprimer son dernier arrêt et d’en faire un désaveu public peut, en effet,
prêter à sourire. Le marquis, ruiné, n’est pas en mesure d’introduire Pétrisaint à Rome et doute fort que la seule tenue apostolique de son interlocuteur lui ouvre quelque porte épiscopale. En outre, puisque Pétrisaint semble
venir d’un lointain passé, le marquis en profite pour mettre en doute les
fondements d’une religion inventée à une époque où la superstition entravait la science. Il fait ensuite le procès des privilèges cléricaux et de
l’orgueil des pontifes. À propos d’humilité, il raconte qu’un souverain pontife aurait exigé de deux pèlerins, plutôt que de leur laisser baiser ses chaussons, qu’ils lui infligeassent une fessée purificatrice. Ainsi, les représentants
de Dieu préfèrent la luxure et le luxe à la simplicité des premiers chrétiens.
Voilà une sincérité qui séduit Pétrisaint. Le marquis voudrait bien l’aider
mais la Lettre de Créance signée de Dieu ne suffira pas à l’introduire auprès
de Mencletreize (Clément XIII) dont l’entourage préfèrera une lettre de
banque. Le marquis suggère alors un miracle en sa faveur : que Pétrisaint
lui rende sa vigueur de jeunesse et il pourra honorer l’insatiable maîtresse
d’un cardinal afin de gagner leur entrée au Saint-Siège. Précisons que le
cardinal lui-même n’a reçu son titre « qu’après l’avoir acheté par bien des
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combats et des fatigues, et la pourpre n’est souvent ici que la récompense
des exploits amoureux. » Pétrisaint rajeunit donc le marquis philosophe qui
reconnaît alors la divinité de son bienfaiteur.
Tous deux partent se vêtir chez un fripier puis se rendent dans une église où
arrive la comtesse, maîtresse du cardinal. Celle-ci ne manque pas de remarquer ce jeune et beau marquis qu’elle fait inviter par un valet. Sitôt reçu, le
marquis charme la belle, l’enchante et lui demande une entrevue auprès du
cardinal afin d’introduire saint Pierre au Vatican, ce que la comtesse refuse
d’abord, par crainte du ridicule. Elle accepte cependant de se raviser en
échange de nouveaux rendez-vous intimes.
Lorsqu’ils présentent leur vœu au cardinal, le jeune marquis et saint Pierre
passent pour d’impudents usurpateurs ; le cardinal veut les chasser de la
ville. C’est alors que le saint menace de faire porter définitivement l’habit
des cordeliers au prélat. Effrayé par l’apparition d’une bure prête à s’enfiler
sur lui, ce dernier se jette aux pieds du gardien du Paradis et, fût-il l’envoyé
même de Satan, l’implore de lui éviter pareille pénitence. Une entrevue
avec le pape sera organisée le lendemain au lever.
Dans l’attente, les deux compagnons flânent au sein d’un cloître et abordent
un cordelier qui reconnaît la tyrannie des vœux, impossibles à tenir :
« l’homme finit où commence le célibataire ». Saint Pierre ne peut que
consoler ce cordelier mais ne dispose plus d’un pouvoir libérateur que les
hommes lui ont usurpé.
Le marquis entraîne ensuite le saint dans une rue aux couvents de Vénus.
Là, sous la direction d’une abbesse, les nonnes sont au service de Dieu
autant que des hommes d’église. Par curiosité, le saint entre dans une
cellule où il croit reconnaître le visage d’une vierge qu’il protègerait
volontiers davantage au Paradis. La jeune femme explique alors qu’elle
n’est que pénitente, obligée de payer cher les divers services du culte et
donc de se procurer l’argent nécessaire à ses prières par tous les moyens.
Son rêve serait de quitter, au bras d’un bon prince, cet habit et sa prison.
Pétrisaint se serait bien dévoué s’il n’eut été rappelé par un ange. Il laisse
toutefois quelque argent à la nonne ravie.
Le lendemain, la foule est déjà informée de la venue du saint au Vatican.
Au cœur de la liesse, « un jeune gâte-métier » l’implore de lire sa requête :
il s’agit d’une supplique contre l’impossible célibat des prêtres, signée du
curé Joseph Friponini, s’appuyant sur l’Écriture. Puis une accoucheuse,
dont les travaux cléricaux ont été ébruités, se plaint d’avoir été destituée de
son gagne-pain. Pétrisaint promet un pardon général. Enfin au Vatican, il
croise un gardien de reliques qui ne croit pas aux miracles mais qui les
entretient dans l’intérêt de tous puis il aperçoit le cardinal qui s’enfuit,
toujours effrayé à l’idée résurgente de se voir infliger l’habit de Cordelier.
On fait patienter Pétrisaint, qui ne sait pas encore si le pape va le recevoir.
141
Chapitre IV : La nuit du 28 avril
LE CONCILE.
Dans le faste et l’opulence, trône sa majesté le pape. On soumet à l’élite
ecclésiastique la ratification de recevoir ce saint Pierre, prétendument messager du ciel, ou bien de le chasser en tant qu’imposteur envoyé du diable.
Trois cardinaux affirment que le véritable saint ne saurait quitter son poste
au Paradis, et ne peut être matériellement présent puisque ses reliques sont
conservées au Vatican même. En outre, il ne peut être dépêché par Dieu
pour remettre en cause une bulle papale elle-même inspirée de Dieu. À
l’unanimité, il est donc décidé de soumettre l’imposteur à la question.
Cependant, le cardinal à l’origine de la demande d’entrevue parvient à
épouvanter l’auditoire : en effet, personne ne voudrait subir, comme lui,
l’hypothétique alternative d’un retour à l’habit monacal. Un portier vient
alors remettre la Lettre de Créance produite par saint Pierre, lettre dans
laquelle il est question de réfuter la Compagnie de Jésus sous peine de subir
« un déluge d’antimoine, pour noyer tous les capuches et les frocs, et que
sais-je, peut-être même les Mitres et les Chapeaux rouges ». Outrée d’une
telle insulte au Saint-Siège, l’assemblée entière conclut définitivement à
une mystification et rend un jugement d’autodafé pour la Lettre.
Chapitre V : La nuit du 29 avril
Véhiculée par l’oiseau fabuleux, la Rumeur de ce jugement se répand au
Vatican jusqu’aux oreilles de saint Pierre, effondré, qui s’en remet aux
conseils de son ami le marquis. Ce dernier l’exhorte à prendre la fuite, seule
réponse à la haine des hommes qui brûlent les livres : « C’est ainsi qu’un
auteur qui met trop de force et de vérité dans ses écrits se dérobe à la
poursuite des prêtres, pour ne pas éprouver le sort d’un malheureux livre,
qui ne périt dans les flammes, que pour revivre sous la presse. »
Pétrisaint s’envole vers le Paradis.
Chapitre VI : La nuit du 30 avril
De retour là-haut, Pétrisaint ose à peine rapporter les faits au Maître, qui le
rassure : le messager de Dieu ne saurait être responsable des outrages du
pape. Dieu invoque la vengeance et lève des légions de philosophes :
« volez à travers le vide immense qui sépare mon Empire du royaume des
papistes ; […] excitez la révolte des esprits dans tout le globe littéraire ! »
La guerre philosophique s’organise dans les cieux, portée par un immense
oiseau irréel dont chaque plume incarne un représentant de la science ou de
la pensée. Mué en aigle femelle, l’oiseau fond sur la colombe céleste (le
Saint-Esprit) qui va s’en plaindre au Seigneur. Dieu ne saurait abandonner
complètement sa Colombe et lui intime l’ordre de se battre, avec ses
moyens, en lui allouant les grands esprits de la Trinité ainsi que la cavalerie
142
de saint François : « Allez et souvenez-vous que si la victoire assure au
parti de l’Aigle la conquête du Ciel, il ne reste d’autre asile à ma Colombe
que la volière de quelque curé de la campagne ! »
Chapitre VII : La nuit du 1er mai
BATAILLE ENTRE L’AIGLE ET LA COLOMBE.
La nouvelle d’une bataille dans les cieux est colportée par cet autre oiseau
symbolisant la rumeur : « Déjà, l’animal femelle qui porte tous les yeux
d’Argus et se couvre d’autant d’oreilles, se répandait de tous côtés ».
Sur le champ de bataille céleste se répartissent tous les acteurs du drame de
l’esprit : la Sottise, l’Ignorance, la Religion s’y distinguent par de grandes
métaphores jaillissant du brouillard qui « réunit dans son épaisseur la
confusion de la matière et de l’esprit, et le désordre de tous les cerveaux
vides et creux ». L’aigle femelle, crachant des éclairs et brûlant les insectes
aux alentours, et dont chacune des plumes est une arme éclatante, s’élance
avec la Vérité pour guide. « Je vois franchir un large fossé qu’on avait
hérissé de trois mille crosses et d’autant de capuches. La fameuse
fortification, qui couvrait le palais de l’Ignorance, est forcée et tous les infolio de la Sorbonne et de l’Église disparaissent avec elle. » La colombe
résiste par ses seules esquives ; c’est en vain qu’elle tente de protéger le
palais de l’Ignorance alors que ses légions battent en retraite. « L’Esprit
philosophique », désormais maître des lieux, « s’enrichit de toutes les
dépouilles de la superstition » et fait « élever des écoles de commerce et
d’agriculture sur les débris de ses temples », redistribuant au peuple les
richesses du défunt clergé.
Chapitre VIII : La nuit du 2 mai
DÉPUTATION DES SONGES AUPRÈS DU GRAND-VIZIR DE LA CHRÉTIENTÉ.
Alors que l’aigle triomphante savoure la victoire de la raison, Dieu décide :
« puisque les Ambassadeurs du Ciel sont étrangers depuis que les souverains de la Terre se sont avisés de substituer le faste au mérite, je ne veux
avoir d’autres Envoyés que les songes. Puisqu’ils sont invisibles, ils n’en
feront que mieux l’office d’espions… »
Des cortèges de songes, « qui réunissent tous les arts de la folie et toutes les
grâces des amours », se forment parmi les cris et les fleurs. « Le mensonge
les conduisait, et portait devant eux le miroir de la vérité. Ce miroir était si
fragile qu’il suffisait de le contempler pour le voir tomber et mettre en
pièces. » Sur ordre de Dieu, les songes se ruent au cœur d’épais nuages. Là,
vivent la Crainte, l’Espérance, la Vérité, ainsi que les repères du temps : le
passé, qui meurt et renaît ; le présent et son théâtre bouffon ; l’avenir,
ressemblant « à ces hommes d’État qui vieillissent dans la frivolité des
promesses et n’en tiennent aucune. » C’est également dans cette caverne
143
brumeuse que vit le Destin, vénérable vieillard auquel l’Éternité, « sous la
figure d’une Lucrèce toujours nouvelle », montre ses cheveux d’or qu’elle
dérobe aux humains. Le vieillard appelle les songes par leur nom (Rosifer,
Mellifer, Bellifer…) et distribue à chacun son emploi en vue d’« effrayer
les cerveaux ecclésiastiques ».
« Bientôt on vit des chars volants entourés de nuages, attelés par une foule
de papillons, fendre les airs, et porter dans le Vatican toutes les images
terribles que l’Ange des ténèbres répand et fait naître autour de lui. »
Chapitre IX : La nuit du 3 mai
Rosifer eut pour mission de troubler le sommeil pontifical. Il projeta, dans
l’esprit de Sa Sainteté, l’image d’un monstre invulnérable sortant d’une
tombe entrouverte, tenant « dans sa gueule un livre qui ressemblait à
l’Évangile nouveau » dont il effeuillait les pages, dévorant tout individu qui
s’aviserait d’en ramasser une. Escorté de visions cauchemardesques à chapeaux pourpres, le monstre fit tarir la source d’eau divine où chaque pèlerin
achetait son pardon au prix d’un écu romain. Depuis ce moment, de multiples sources sont abusivement déclarées bénites par le clergé afin d’en
vendre les bienfaits.
Chapitre X : La nuit du 1er juin
À son tour, Mellifer s’insinua dans l’esprit délassé du pontife repu. Le rêve
s’ouvrit dans un jardin d’Eden où s’érigeait un trône piégé d’insectes menaçants, où l’opulence inaccessible était incarnée dans les fruits d’un arbre
que Sa Sainteté ne pouvait atteindre. « Les feuilles tenaient aux branches
comme le démon de la chair tient à la prélature ». Persuadé de sa bonne foi
divine, le pape fit abattre l’arbre pour en atteindre les sommets mais l’arbre
s’abattit sur lui. Trois personnages vêtus de pourpre jaillirent alors des
racines et s’arrachèrent les attributs du moribond : l’un prit son sceptre et
installa son empire en France, l’autre prit sa couronne et conquit le Danube,
le troisième prit son droit d’Indulgences et partit peut-être en négocier les
avantages au Nouveau Monde.
Chapitre XI : La nuit du 2 juin
DÉLIBÉRATION DU SACRÉ COLLEGE.
Le matin, alors que les prélats quittent leurs maîtresses pour assister à la
toilette pontificale, et que se pressent aux portes du Vatican tous les courtisans de l’Église, le pape fait appeler un cardinal pour lui confier le
troublant récit de ses rêves. Usant de toute son éloquence, le confident ne
parvient pas à rassurer son supérieur qui souhaite réunir les sages de Rome
afin d’exposer ses émois. Le cardinal propose alors, plutôt que de perdre sa
crédibilité devant des gens « au cerveau lunatique », de réunir le Sacré Col-
144
lège où la pénitence d’une heure de flagellation pour les autres cardinaux
suffirait sans doute à rendre paisible le sommeil de Sa Sainteté. « Je jugerai,
par le plus ou moins de façon que chacun mettra dans ce pieux exercice, de
l’intérêt que vous prenez tous à la tranquillité de mon sommeil », acquiesce
le pape.
Chapitre XII : La nuit du 3 juin
NOUVELLE CÉRÉMONIE EXPIATOIRE.
« Ce genre de pénitence n’était pas nouveau pour tout le monde car il est
des gens qui préfèrent les coups de fouets à la délicatesse des plus doux
attouchements : tout est art ou science parmi les hommes ». Les modalités
de la flagellation collective furent délibérées avec solennité. L’on décida
que la pénitence serait plus vive si les porteurs de martinets étaient de « jeunes abbés dont les bras nerveux pourraient mieux supporter la fatigue, et
qui seraient exercés d’avance au grand art de mortifier la grosse nature et de
martyriser celle d’autrui. » Après un cantique indigeste dédié aux futures
fesses martyrisées, la cérémonie communautaire eut lieu avec zèle et
cadence. « Cette scène aurait duré plus longtemps si le Saint-Père, qui
promenait ses yeux sur le devant et sur le derrière de tous les martyrs, ne
s’était aperçu de certaines érections qui lui firent craindre, pour le peuple
agent, les effets d’une trop longue flagellation », lui-même appréhendant
son propre saisissement.
Chapitre XIII : La nuit du 4 juin
APPARITION DE BELLIFER.
« Persuadé que le Ciel verrait avec bonté tant de sacrifices », Sa Sainteté
s’octroya le bonheur d’un somme réparateur amélioré, lorsque surgit « Bellifer, en habit de combat et suivi d’une troupe de voltigeurs ». Croyant la
sainte chambre enflammée, le pape se rua hors du lit mais le sol était
hérissé de mille aiguillons qui l’obligèrent à reprendre sa place. Apparut un
fantôme porteur de croix qui négociait des billets de confessions par
l’intermédiaire de petits hommes vêtus de pourpre. Puis un bataillon de
petits diables, « chargés d’une coiffure in-folio », chassa le cortège et prit
possession des lieux. Le pape se réveilla effrayé et réunit d’urgence le Sacré
Concile.
Chapitre XIV : La nuit du 5 juin
LE SACRÉ COLLÈGE.
Nul n’osant dire ce qu’il comprenait parfaitement de l’interprétation des
saints rêves, un cardinal proposa de mander tel vénérable vieillard de
Rome, connu pour la sagesse de ses éclaircissements.
Le vieillard, apôtre zélé de la raison et forgé à l’Histoire de l’Ignorance et
145
de la Crédulité, entendit les récits de Sa Sainteté « et prononça son jugement avec autant de force que de vérité. » Cela lui valut les foudres vengeresses de la sainte Inquisition mais il demeura inébranlable. Cependant,
« l’esprit de vertige s’empara de la cervelle du Grand-Vizir, et bientôt la
prédiction du philosophe accomplie le vengera du supplice de l’Inquisition,
et parviendra peut-être à soulever la raison contre l’injustice d’un tribunal
qui sert d’outrage à la religion, de prétexte au despotisme sacré, et de
monument à la honte du siècle. »
« Ami lecteur, respecte mes rêves, et ne t’avise pas d’en rire ! Souviens-toi
que la plupart des prophéties et des révélations n’étaient que des songes, et
que Dieu, selon l’Écriture, n’en faisait aux prophètes que pendant leur
sommeil. C’est à toi de juger si mes rêveries portent le caractère des auteurs
prophétiques. Viennent-elles du Ciel, ou des vapeurs du sommeil ?
Décide comme tu voudras.
Amen, amen. »
146
Notes à la présente édition,
où nous avons choisi de nous adresser à tous les chercheurs, amateurs ou érudits, en précisant au besoin divers éléments certes
connus des spécialistes.
Les citations mentionnées en notes sont présentées dans leur orthographe et leur syntaxe d’origine lorsque cette dernière est accessible.
Épître à Monseigneur le Comte de Pétrisaint
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2
Il s’agit évidemment de saint Pierre (Sancti Petri). L’inversion de syllabes
ou de termes patronymiques, en vue de sobriquet sous forme de jeu de
mots, est commune chez Dulaurens. On peut toujours conjecturer sur une
logique cachée dans ce nom (petris, abl. plur. de petra [pierre], donnerait
“Saint avec des pierres”…), Dulaurens n’avait pas le sens du code secret ni
de la complexification : ses jeux de mots, notamment sur les noms propres,
relèvent davantage de l’impulsion comique et de l’opportunisme lexical. Il
ne faut sans doute lire dans Pétrisaint qu’un rapprochement phonique amusant entre le nom de Pierre (Petrus, i) et le verbe pétrir : on se rappellera
que son « éffroyable » boulanger hollandais, dans l’épître dédicatoire
d’Imirce (éd. 1765a, p. 4), « vieux mortel, qui ignore absolument le ton de
la bonne compagnie » mais que l’on était tenu de respecter pour son utilité,
était baptisé Maître Honoré Durpetri. – Pour le reste, rappelons que saint
Pierre est considéré par l’Église catholique comme le patriarche de la
papauté (cf. note 4, chap. III) et que les porteurs de baudriers et calottes
diverses sont les représentants de la hiérarchie ecclésiastique, imagés dans
une emphase qui annonce le ton du récit. “Baudrier” n’a pas de sens approprié à l’habit religieux mais symbolise l’attitude belliqueuse et impériale de
certaines missions.
Automate désigne un homme stupide, et le terme organiser est pris dans le
sens de « Régler le mouvement intérieur d’un Corps politique, d’une Administration » (Dic. de l’Académie, éd. 1798). Comprendre : “Je sais que les
imbéciles, associés en petits Mécènes, ne manquent point aux beaux Arts ;
ils ne sont que trop nombreux pour la honte des petits Auteurs qui les
manipulent.” Dulaurens va utiliser trois fois le terme automate dans cet
ouvrage, terme d’usage répandu dans la littérature du siècle. On peut préci-
147
3
4
ser que le célèbre inventeur Jacques de Vaucanson (1709-1782) a marqué
l’époque par ses créations d’automates aussi vrais que nature, disait-on,
lesquelles lui valurent l’admiration des grands et ses entrées dans les manufactures royales ainsi qu’à l’Académie des sciences, de même qu’une collaboration à l’Encyclopédie.
« Patrons », « épîtres » (celles de saint Pierre), « bonne foi », « éternité »…
Dulaurens file la métaphore spirituelle pour faire glisser son message de la
littérature à la croyance. Son ouvrage ne saurait être lu comme simple pamphlet anticlérical mais plutôt comme appel à mieux servir la foi, sur fond de
tolérance.
Les références à la “Bibliothèque des anges”, qui compterait des ouvrages
écrits ou inspirés par Dieu ainsi que par quelques anges ou autres figures
bibliques, renvoient à l’imaginaire médiéval, inspiré d’anciennes visions
rabbiniques fondées sur des textes apocryphes. L’expression était usitée au
XVIIIe siècle par plaisanterie : « Les prétenduës Universitez établies avant
le deluge ou incontinent aprés, n’ont pas plus de realité que la Bibliotheque
des Anges. » (Journal de Trévoux, sept. 1705, p. 1642)
Préface qui n’est point un rêve
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Jean, XIV, 28. – Texte original de L’Antipapisme : « Et puisqu’il a dit luimême, comme le rapporte très-bien son Disciple Jean XIV. Le Pere est
plus grand que moi ; Pourquoi séparer la Divinité paternelle » etc. (p. xij)
Dulaurens était attaché à l’idée que Jésus fut un simple mortel, juste et vertueux, qui n’a pas à être qualifié de fils de Dieu. Dans Le Portefeuille d’un
Philosophe (1770), recueil publié après la condamnation de l’auteur où sont
compilées un ensemble de ses notes et documentations, figure un article
intitulé “De la Divinité de Jésus-Christ, & de l’établissement du Christianisme” (I, p. 192), dont le signataire est inconnu. Cet article attaque l’idée
de trinité, notion que combattait également Dulaurens, et glorifie la justesse
de vue de Mahomet en réfutant celle de Jésus : nul autre que Dieu n’est
porteur de divinité et Jésus n’est autre qu’un simple prohète.
L’oraison dominicale est le Pater noster, dont les sept demandes sont considérées comme les attentes élémentaires des croyants et dont la composition
est d’usage attribuée à Jésus lui-même.
Dulaurens réactive ici le violent conflit qui opposait depuis la Renaissance
les catholiques et les protestants au sujet de l’origine, antédiluvienne ou
non, de l’idolâtrie. Dans son Culte des Dieux fétiches, ou Parallèle de l’ancienne Religion de l’Égypte avec la Religion actuelle de Nigritie (I760),
Charles de Brosses retrouvait dans les pays lointains (en Afrique, en
Laponie ou aux Indes) les rites pratiqués dans l’enfance de l’humanité. Sa
148
théorie fut primordiale puisque l’idolâtrie et le polythéisme passaient dorénavant après le culte des astres et surtout le “fétichisme”, terme inventé
pour l’occasion afin de désigner la religion première et universelle. Sur le
sujet, lire M.-V. David, “Les idées du XVIIIe siècle sur l’idolâtrie, et les
audaces de David Hume et du Président de Brosses”, in Numen, Leiden
[Leyde], E.-J Brill, 1977, T. XXIV, fasc. 2, p. 81-94.
5 Jean-Baptiste de Boyer, marquis d’Argens, Histoire de l’esprit humain, ou
Mémoires secrets et universels de la République des Lettres, 1765-1768, À
Berlin, Chez Haude et Spener.
6 Les temples de marbre et de porphyre (roche volcanique à cristaux colorés)
symbolisent l’idolâtrie et les fastes antiques. Ces matériaux étaient utilisés
dans les constructions majestueuses des sociétés égyptiennes, grecques et
romaines. On en retrouve l’image parmi les poncifs poétiques du XVIIe au
XIXe siècle. Dulaurens connaissait également le philosophe néoplatonicien
Porphyre de Tyr (IIIe siècle), fervent critique de la chrétienté auquel il renvoie dans Le Compère Mathieu (éd. 1766a, II, 1, p. 24) et qu’il évoquait
déjà dans son Discours sur la beauté (1743, p. 43) : « deux beaux yeux,
voila nos Maitres ; ils n’ont [sont ?] nos Aristotes, nos Porphyres, nos
Socrates, nos Hyraclites, nos Démocrites, nos Seneques, & nos Décartes ! ». Il mentionne enfin « l’arbre de Porphire » dans Les Abus dans les
cérémonies et dans les mœurs, symbole de la connaissance du bien et du
mal (art. “Les Études”, Pékin/Genève, éd. 1765/7, p. 55). L’étendue de sa
culture se lit ainsi à travers l’ensemble de son œuvre, de la parodie au
renvoi savant, en passant par l’expression métaphorique.
7 Coquille dans l’édition originale : « la divisions schismatiques ».
8 Jean, IX, 1-11. Dans cet épisode, Jésus dénonçait la dureté, l’ignorance et
l’aveuglement des chefs religieux en guérissant un authentique aveugle.
Selon lui, cet homme n’était infirme que pour permettre à la grandeur
divine de montrer sa puissance.
9 Les indulgences, propres au catholicisme, sont la rémission devant Dieu,
par l’intermédiaire de l’Église, de toute pénitence pour faute déjà pardonnée (Droit canon, IV, 4). La “querelle des Indulgences” fut l’une des causes
du schisme entre catholiques et protestants. Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire consacre l’article “Expiation” à ce sujet.
10 Le Sceptre et l’Encensoir : l’autorité monarchique et l’autorité sacerdotale.
L’expression métaphorique est très courante dans la littérature du siècle :
« Quiconque tient le sceptre et l’encensoir a les deux mains fort occupées. » (Voltaire, Dic. Philosophique, art. “Puissance”)
11 À travers L’Antipapisme, Dulaurens poursuit sa croisade contre le mensonge, les préjugés et la pensée conditionnée : « La recherche de la Vérité est
le grand objèt de l’Homme ; notre intelligence cherche son bonheur dans la
149
contemplation de cette vérité ; plus l’homme raisonnable la cherche, plus il
approche de la félicité » (Imirce, “Mon Education”, op. cit., p. 50). D’autres citations sont proposées sur ce thème en note 1, au chap. XIV de la
présente édition.
12 Il s’agit sans doute de L’Histoire des religions de tous les royaumes du
monde, par le Sieur Jovet, Chanoine de Laon, Prieur de Plainchastel,
Paris, T. Girard, 1676, 3 t., ouvrage plusieurs fois réédité (1680, 1686,
1697, 1710, 1724…). Voir Michel Gardaz, “Les manuels d’histoire des
religions en France au XIXe siècle”, in Revue de l’histoire des religions,
1997, n° 214-3, p. 341-361.
13 Même s’il ne devait pas en partager l’esprit, Dulaurens avait probablement
lu le célèbre Traité des trois imposteurs. Du Classicisme aux Lumières, ce
manifeste matérialiste et athée, qui attaquait les trois grands représentants
des religions monothéistes (Moïse, Jésus-Christ et Mahomet), fut l’un des
plus radicaux et des plus diffusés, avec ses multiples versions manuscrites.
Certes, la thèse n’était pas nouvelle et la notion d’imposture en matière de
religion a toujours été véhiculée dans la clandestinité. Dulaurens donne, à
ce propos, sa définition de l’imposture par la voix de père Jean dans Le
Compère Mathieu : « Le nombre des Vérités dont l’intelligence est à notre
portée est extrêmement petit, & ces Vérités sont extrêmement simples ;
mais elles nous suffisent. Celles qui sont au dessus de notre conception ne
sont point faites pour nous. Ceux qui entreprennent de les démontrer sont
des Fous ou des Imposteurs, qui éblouissent la Multitude par un tas de
sophismes absurdes ; & les idiots qui les écoutent “ressemblent, comme dit
Horace, à une troupe de Voyageurs que la nuit a surpris en passant dans
une forêt ; ils marchent sur la foi d’un Guide qui les égare, l’un à droite,
l’autre à gauche ; ils prennent tous diverses routes, chacun croit suivre la
bonne ; & plus il le croit, plus il s’écarte : quoique tous leurs égarements
soient différents, ils n’ont pourtant tous qu’une même cause, c’est que leur
Guide les a trompés, & que la nuit les empêche de se redresser.” » (III, 2,
p. 18-19)
14 Pour le moins, la circoncision ne plaisait pas à Dulaurens. C’est d’ailleurs
par chantage que son narrateur Xan-Xung se fait circoncire dans la préface
de L’Arretin. Pour l’auteur, « un peuple, qui s’était bêtement coupé son
prépuce » (Les Abus, “Sermon”, op. cit., p. 35) ne pouvait avoir qu’un
esprit arriéré car « Ces gens qui trouvaient un homme sans prépuce admirable, croiaient que la science du prépuce suffisait à leur perfection, aussi
ne cultiverent-ils jamais les arts ni les sciences » (L’Arretin, “L’Education
des enfans”, éd. originale : À Rome, Aux dépens de la Congrégation de
l’Index, 1764, I, p. 30). Les populations ne pratiquant pas la circoncision
sont ailleurs désignées par leur intégrité naturelle : « Cremistic qui avait été
enchanté de voir couler le sang humain & trois mille crânes ouverts dont
150
les porteurs avaient malheureusement leurs prépuces parce que la Nature
leur avait donné des prépuces, trouva les moïens de desalterer son serviteur. » (op. cit., “Histoire du P. Barnabas”, II, p. 9-10) ; « Le Roi instruit
que ces petites miseres n’avaient rien de commun avec le vrai culte, ordonna à ses sujets d’observer la loi naturelle, d’aimer leur prochain comme
eux-mêmes, de ne plus égorger ceux qui ont des prépuces » (op. cit., “Histoire des sept fils Aimon”, II, p. 220). Dans Le Compère Mathieu, Diego va
voir en pèlerinage le prépuce de saint Girard à Toulon (I, 6), manière
d’entendre que lui avait au moins su en user ; père Jean se fait circoncire
par intérêt (I, 10), et une note de bas de page nous rappelle qu’un nommé
Sagarel, fondateur de la secte des dulcinistes, à l’effet d’imiter Jésus, « se
fit circoncire, se fit emmailloter, fut mis dans un berceau, voulut être allaité
par une femme, et chia dans ses drapeaux comme un enfant de quinze
jours » (II, 3, p. 90) : plus qu’un archaïsme, la circoncision serait donc une
régression…
15 Coquille dans l’édition originale : « tu m’a dicté ».
16 Dans le récit de L’Antipapisme, Dulaurens va qualifier le pape de Mouphti,
de Sacré Moufti, de Grand-Visir de la Catholicité puis de la Chrétienneté,
de Visir Ecclésiastique, de même qu’il se complaît à travers sa production
littéraire, suivant la mode du temps, à assimiler les représentants du catholicisme à des notables exotiques, et les repères cléricaux à des objets
orientaux. Les moines deviennent des bonzes, les prosélytes des brahmanes
(alors appelés bramines), les églises des mosquées ou des temples, les
théologiens des fakirs… Les brahmanes sont en réalité des prêtres de la
première grande caste indienne, enseignant la doctrine des livres sacrés. Il
faut attribuer ici ce dénominatif aux jésuites. La figure du Muphti fait au
XVIIIe siècle l’objet de nombreux textes ironiques. Parmi les comédies,
citons celle de Jean-François Sobry, Le Muphti (Lyon, Perisse fes, 1769) et
de cet anonyme qui intitule sa pièce érotique L’Oracle ou le Muphti rasé,
tragi-heroi-polico-comique, traduit de l’arabe (à Constantinople, 1757).
Des textes plus polémiques exploitent également ce titre. Un anonyme
défendant les Fragments sur l’Inde et sur le général Lalli de Voltaire édite
ainsi un Mandement du Muphti, portant condamnation d’un écrit qui a
pour titre « Le Tocsin des rois » par M. de Volt****, imprimé à Genève,
suivi d’un décret du Divan, qui ordonne que cet écrit sera foulé aux pieds
dans tous les carrefours de Constantinople et brûlé aux portes des principaux mécréants qui y résident. Ouvrage traduit de l’arabe et enrichi de
notes de l’éditeur (à Constantinople, l’an de l’Égire 1168, en réalité 1772).
À la fin du siècle, un pamphlet attribué à l’athée Sylvain Maréchal et signé
« Méhémet Ogli, muphti de Constantinople », s’intitule La Fable de Christ
dévoilée, ou Lettre du muphti de Constantinople à Jean-Ange Braschig,
muphti de Rome (Paris, Franklin et Desenne, An II, 1794).
151
17 Précisons que le terme Gymnosophiste s’applique aux philosophes indiens
et non chinois (ce qui explique sans doute le point d’interrogation placé
après « chinois » dans l’édition originale, sans les parenthèses). Dulaurens,
comme d’autres, s’autorisait l’incartade ludique de généraliser les notions
exotiques, orientales et asiatiques. – La référence à un sage chinois dans la
préface peut être un indice de la possible signature initiale de Modeste
Tranquille Xang-Xung. Nous émettons, en introduction, l’hypothèse que la
signature effective Brise-Crosses a été posée en remplacement par la tierce
personne qui, après la condamnation de l’auteur, a relu, corrigé et publié le
manuscrit d’origine.
18 Dulaurens prône la religion de la tolérance sur le modèle de Voltaire, qu’il
encense habituellement et auquel il renvoie directement dans la plupart de
ses écrits, mais pas dans L’Antipapisme, sinon peut-être par périphrase (cf.
note 8, chap. I). – Sur l’idée de tolérance chez l’auteur, voir l’article de
Michèle Bokobza Kahan, “Une conscience écartelée : Dulaurens”, in Revue
de l’Histoire Littéraire de la France, sept.-oct. 2001, n° 5, p. 1367-1382.
Chapitre I
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2
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On reconnaît là le principe de l’introduction exclamative propre à l’écriture
enthousiaste de Dulaurens, même si la technique était d’usage chez quelques autres auteurs. Voir S. Pascau, Henri-Joseph Dulaurens (1719-1793),
Réhabilitation d’une œuvre, Paris, Honoré Champion, DHS 109, 2006,
p. 394. (abrégé en DHS 109 par la suite dans les présentes notes)
L’auteur accorde sans doute à l’abbé Prévost que « Les songes de la nuit
peuvent être utiles » (Journal étranger, Paris, février 1762, p. 158) et ose
peut-être penser, comme Daniel Defoe : « Pour ce qui est des Songes, je
n’ai rien à dire ici au préjudice de Satan » (Histoire du diable, Amsterdam,
1729, p. 232). Dulaurens va se servir du songe pour exacerber l’aspect
bouffon des ecclésiastiques, comme Boyer d’Argens décrivait en mode
burlesque les excès de certains philosophes à travers les Songes philosophiques, prétextant qu’« il y a trop de réveurs en Europe pour que le recueil
de [ses] songes ne trouve pas un grand nombre de partisans. » (Berlin,
1746, p. 4)
Traditionnellement, le Grand Séraphin désigne l’ange Gabriel, qui apparut
à la Vierge puis, plus tard, à Mahomet, législateur de l’islam. Le prophète,
ou « Saint-Homme qui veille toujours », est Jésus, que Dulaurens considérait comme un simple mortel. Il faut sans doute lire dans cette phrase un
amalgame entre la vision de l’ange Gabriel par le prophète Mahomet et
celle qu’aura pu avoir Jésus entrant au paradis et voyant le même ange,
Jésus n’étant pas considéré comme messie mais comme un simple prophète
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par le Coran, au même titre que Mahomet (d’où la qualification de « certain
prophète » appliquée ici à Jésus). À l’appui d’un tel amalgame, L’Antipapisme repose sur une remise en cause de la Trinité ; le Coran rejette l’idée
de Trinité. La phrase se lirait donc ainsi : « J’ai vu l’ange Gabriel, ou plutôt
j’ai cru le voir à peu près comme le prophète Jésus le vit autrefois, avec
cette différence qu’on appelait Jésus, de son temps, le Saint Homme qui
veille toujours, et que je veux être nommé le… » Par délégation, Dulaurens
va aussi amalgamer ce Grand Séraphin à Dieu lui-même (cf. note suivante)
– Quant à l’autodescription du « Petit-Antipapiste qui ne sait que dormir et
faire des rêves », on y retrouve la modestie de l’auteur et sa propension au
refuge dans l’imaginaire.
Zeus, selon la légende reprise par Homère, aurait été caché dans une caverne dès sa naissance, afin d’échapper à la voracité de son père Cronos (Les
classiques grecs et hébreux placent communément les oracles dans une
caverne). – L’aigle et la foudre, dont il est question à la ligne suivante, sont
les attributs du dieu antique dans l’iconographie traditionnelle. Le « grand
Séraphin » ou le « Grand-Maître du Ciel » de Dulaurens est le Dieu de la
Bible.
La jeune colombe, qui sera mise en scène plus loin, symbolise le SaintEsprit.
Les sept collines de Rome, selon la légende, hébergeaient chacune l’une
des sept tribus autonomes qui fondèrent, par leur réunion, l’actuelle capitale.
Il s’agit d’une idée en vogue au milieu du siècle, très voltairienne, et qui a
aussi en partie séduit Dulaurens, inconditionnel du maître, même s’il n’hésite pas à caricaturer les Anglais dans d’autres circonstances (L’Arretin, Le
Compère Mathieu, Les Abus). Dix ans plus tôt, Fougeret de Monbron, autre
littérateur affranchi que Dulaurens n’a sans doute jamais rencontré même
s’il l’a lu (Margot la ravaudeuse, 1753), marquait son opposition sur la
Patrie des Sages (l’Angleterre) vue par Voltaire : « Ce peuple que l’on
avoit toujours connu pour le plus orgueilleux, le plus jaloux du succès de
ses voisins, le plus intéressé, le plus ingrat & le plus féroce qui soit au
monde, est, selon M. de Volt. le peuple le plus généreux, le plus magnanime, le plus fidéle à ses engagements, le plus reconnoissant, le plus humain ;
en un mot, le vrai modéle de perfection en tout genre. Le bon sens à son
avis n’habite que dans la grande Bretagne : c’est le Sanctuaire de la raison :
la Patrie des Sages. » (Préservatif contre l’anglomanie, éd. de Minorque,
1757, p. 6-7) Fougeret avait alors radicalement changé d’avis par rapport à
sa position dans Le Cosmopolite (1750, s. l., Aux depens de l’Auteur).
Chez Dulaurens, on ne peut pas dire qu’il y ait de changements d’opinion
sur l’ensemble de son œuvre tant les jeux de la dérision et du brouillage
voulu font partie intégrante de sa technique de mise au jour et d’éclaircisse-
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ment des idées. (Sur Fougeret de Monbron, voir la thèse d’Emmanuel
Boussuge, Situations de Fougeret de Monbron (1706-1760), Université de
Clermont-Ferrand II, doctorat de Lettres, sous la direction de M. Jacques
Wagner, juin 2007, à paraître).
Faut-il justement, entre un éloge magistral à l’Angleterre précédé d’une
pique antipapiste et bientôt suivi d’une phrase orpheline à l’encontre de
Frédéric II, lire un hommage voilé à Voltaire ? L’allégorie de la divine
colombe qui « voltige [apophonie de “Voltaire”] sur la tête du Pere Céleste » placerait le maître en métaphore de l’inspiration divine.
Son immense champ de vision.
Il s’agit de Frédéric II le Grand (1712-1786), roi de Prusse dès 1740, militaire avant tout mais également amateur d’arts et lettres, compositeur et
auteur à ses heures, qualifié de “despote éclairé”. Il invita dans sa résidence
du Sans-Souci de nombreux artistes et savants, notamment français, dont
Voltaire. Ce dernier s’éloignera toutefois de lui, et les prétentions philosophiques du despote n’ont pas convaincu le monde des lettrés.
Un obstacle insurmontable. Dulaurens utilise six fois dans le texte l’image
mythologique d’invulnérabilité de l’airain : « un mur d’Airain » (éd. originale p. 3), un « livre d’Airain » (p. 10), une « espece de feuille d’airain »
(p. 79), « une voûte d’airain » (p. 102), des « plumes d’airain » (p. 104),
des « entrailles, doublées d’airain » (p. 106).
Le mélange des mythes ou clichés, des rites et des cultures religieuses est
un lieu commun dans la satire anticléricale, particulièrement riche chez
Dulaurens.
Les commis aux barrières, ou aux portes, étaient des agents en uniforme
chargés de veiller aux portes et barrières des villes afin d’en filtrer les
entrées et d’y percevoir les droits de passages pour certaines marchandises.
« Saint Matthieu fut commis aux portes, emploi maudit par Dieu même »
(Voltaire, “Lettre d’un avocat de Besançon au nommé Nonotte, ex-jésuite”,
1768) ; « Il y a quelques jours que les commis de la Barriere St. Denis
saisirent sur un particulier qui se sauva plusieurs exemplaires d’un Poëme
intitulé Le Balai, imprimé à Amsterdam » (Extrait d’une lettre du lieutenant
général de police de Sartine à M. le comte de Saint-Florentin, datée du 7
juin 1762, figurant parmi les “Documents manuscrits sur la détention à la
Bastille de Groubental de Linière (Marc Ferdinand) ami de Dulaurens”,
B.M. de Reims, réf. 1977, fonds ancien, don Deullin. De nombreux documents figurant dans ce dossier sont inédits.)
Matthieu était un publicain (publicanus : dans l’antiquité romaine, équivalent du fermier général, receveur de l’impôt). Telle était sa profession avant
qu’il ne décide de suivre la voie de Jésus. Il renonça donc à un travail
cupide et mal-aimé, mais sa compétence en administration financière est
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lisible dans son évangile. Il est l’apôtre qui savait ce que l’argent valait ou
ne valait pas.
L’oiseau symbolise l’ensemble des voix de l’Église, réparties à travers une
multitude d’ordres véhiculant chacun la parole sacrée dans une cacophonie
colorée, les trompettes du jugement étant ici placées en positions hautement satiriques. Il y a du Virgile dans le lyrisme des images.
Le camouflet concerne saint Bonaventure (1221-1274), également mentionné en note dans Le Compère Mathieu (II, 2, n. p. 48 et 64), réputé pour
ses écrits prolifiques. Il est l’auteur de nombreux commentaires théologiques, d’opuscules moraux et d’une célèbre histoire de saint François. Son
écriture était réputée pour sa clarté et sa limpidité, parfois imaginative à
outrance et sans références autorisées.
Le chocolat fut découvert au Mexique par Hemãn Cortés en 1519, puis
importé en Espagne à partir de 1585, où il fut grandement exploité. L’Espagne garda le monopole de la distribution du chocolat en Europe jusqu’au
XVIIe siècle. Au XVIIIe siècle, le chocolat devint une boisson très prisée en
France. Dulaurens dut en apprécier, sinon les vertus, du moins le goût et la
réputation : il en parle aisément dans plusieurs ouvrages (Le Balai, chant
V ; Imirce, “Histoire de Babet”, “La momie de mon grand-père” ; Compère
Mathieu, I, chap. 14…). – L’antimoine est un corps intermédiaire entre
métaux et métalloïdes, cassant et argenté, proche de l’arsenic, qui rentre
dans la composition de certains alliages, et notamment du métal utilisé pour
la fabrication des caractères d’imprimerie que Dulaurens connaissait bien.
Ce mot, d’origine étrangère indéterminée, ne doit son double sens phonétique qu’aux hasards de l’altération des langues et n’a aucun rapport avec
l’hostilité envers les moines mais l’usage allusif est commun dans la littérature anticléricale. L’on trouvera même un ouvrage intitulé L’Anti-moine,
ou Considérations politiques sur les moyens et la nécessité d’abolir les
ordres monastiques en France, daté de 1790, dû à la plume d’un ami fidèle
de Dulaurens : Marc-Ferdinand Groubentall de Linière, dont il est question
dans l’introduction du présent ouvrage.
Les loyolistes sont les jésuites. Ignace de Loyola (1491-1556) est le fondateur de cet ordre, la Compagnie de Jésus, autorisé par le pape en septembre
1540 puis élargi à partir de mars 1544. La vie d’Ignace de Loyola fut
d’abord celle d’un jeune homme désireux d’émancipation et amateur de
plaisirs, avant de devenir celle d’un ascète puis d’un dévot. Dans le texte,
les jésuites seront souvent désignés derrière le patronyme de leur fondateur.
L’auteur évoque les tourments menés contre les jésuites, qu’il combattit
lui-même avec une férocité littéraire outrée (cf. Les Jésuitiques, 1761). Le
premier pays à promulguer la suppression de l’ordre dans ses États est le
Portugal, en 1759. Les jésuites, dont certains sont martyrisés (Malagrida :
cf. note 34), ont alors été déportés vers les États pontificaux. La France suit
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en 1764. Le 2 avril 1767, l’Espagne expulse brutalement plus de 5000
jésuites, embarqués vers les côtes d’Italie, puis refoulés vers la Corse : dans
toutes les colonies du royaume, ce même jour, les jésuites sont arrêtés et
embarqués dans des bateaux. La suppression totale de l’ordre ne pouvait
alors survenir que par décret du pape, mais Clément XIII s’y refusa. Son
successeur, Clément XIV, plus influençable et déférent envers la France et
l’Espagne auxquelles il devait son élection, promulgua la dissolution de
l’ordre par le bref du 21 juillet 1773. Les jésuites ne seront rétablis qu’en
1814 par Pie VII. – L’expression métaphorique du hasard dans la note de
bas de page figure également dans l’introduction du Compère Mathieu :
« Je puis compter sur une douzaine d’Amis vertueux & éclairés. Quatre
d’entr’eux vouloient que je le fisse imprimer ; quatre me poussoient à le
brûler, & le reste me disoit d’en faire ce que je jugerois à propos. Un coup
de détermina [sic] l’affaire : & ce coup fut pour l’impression. »
20 On retrouve ici la verve lyrique qui caractérise l’écriture des Jésuitiques
(1761), réquisitoire en vers contre l’ordre, complété de notes burlesques. –
Le Vatican était alors le nom du palais, l’État n’ayant été institué qu’en
1929.
21 L’ordre contemplatif de saint Bruno, les chartreux, était réputé pour avoir
reçu de nombreux débauchés dont certains trouvèrent là le repentir. Un cas
parmi d’autres, qui a pu séduire Dulaurens, voire l’inspirer en partie pour
ses personnages du Compère Mathieu, pourrait bien être celui de Pierre de
Queriolet (1602-1660), quoique de passage seulement dans la communauté.
Fils d’un conseiller au Parlement de Bretagne, de Queriolet s’enfuit du
domicile paternel en emportant une somme d’argent qu’il dilapida rapidement en libertinages. Connu pour sa promptitude à sortir l’épée, il provoquait quiconque lui déplaisait, pour le plaisir et les conquêtes, et laissa de
nombreuses victimes. Il racheta une charge de conseiller au Parlement à la
mort de son père mais n’y brilla que par ses provocations. Son plaisir du
moment était surtout de débaucher les religieuses. Fallait-il croire à un
avertissement divin lorsque la foudre tomba un jour sur une partie du lit où
il dormait puis, un autre jour, le fit chuter de son cheval ? Toujours est-il
qu’il eut une illumination de plusieurs heures pendant lesquelles il se crut
en enfer et qu’il s’essaya peu après à la pénitence chez les chartreux, mais
pas longtemps. À travers ses nouvelles débauches, il se mit pourtant à
respecter la Vierge « et, lors même qu’il blasphémait le nom de Dieu, par
une contradiction inexplicable, il invoquait sa mère ». Sa conversion
définitive eut lieu alors qu’il s’apprêtait à abjurer le catholicisme pour
débaucher une huguenote. Juste avant cela, il fut témoin d’une scène
d’exorcisme pratiquée sur une jeune fille. Dieu sait pourquoi il en fut
frappé de béatitude. Il vendit sa charge de conseiller, fit un pèlerinage à
Rennes, et se fit ordonner prêtre en mars 1637. Il prit alors « à tâche de
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maltraiter son corps, et jusqu’à sa mort ce fut une pénitence continuelle. Sa
fortune tout entière fut consacrée au soulagement des pauvres : souvent il
visitait les hospices et les prisons. Autant ses premières années avaient
donné de scandale, autant les dernières furent édifiantes. » Sa mort fut celle
d’un saint sur le tombeau duquel plusieurs malades furent miraculeusement
guéris. Les chartreux cautionnèrent-ils sa rédemption ? (Voir F.-Xavier
Feller, Biographie universelle, ou Dictionnaire historique des hommes qui
se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs erreurs ou leurs
crimes, 1849, p. 112 pour les citations) Une autre figure insolite du XVIIe
siècle, ayant directement inspiré le personnage de père Jean (Le Compère),
a également séjourné chez les chartreux, décidément fort tentants pour
aventuriers mystiques en mal de repentir : il s’agit de Don Jean-Chrétien de
Vatteville (1613-1702). (Voir S. Pascau, Écrire et s’enfuir, dans l’ombre
des Lumières ; Henri-Joseph Dulaurens (1719-1793), Paris, Les Points sur
les i, 2009, chap. “L’origine du personnage de père Jean”, p. 133-137)
22 L’ordre des bénédictins, fondé par saint Benoît de Nursie (480-547), arbore
l’habit noir et préconise d’avoir le crâne rasé. Son fondateur ne portait pas
de calotte mais il est parfois représenté dans l’iconographie avec une capuche. – Dulaurens avait obtenu en 1761 une autorisation du pape en vue
d’être transféré de l’ordre des trinitaires à celui des bénédictins. Ces derniers avaient toutefois refusé de le recevoir, compte tenu de sa réputation.
C’est sans doute la règle du rejet de l’oisiveté propre à cet ordre qui avait
séduit notre auteur alors à la recherche d’un moindre mal, sinon d’une
nouvelle provocation. Dulaurens n’a jamais manqué de critiquer l’oisiveté
de la vie monacale. Par la suite, il n’économisera pas ses flèches à l’égard
des moines bénédictins, souvent montrés durs et intransigeants envers le
malheureux qui leur demande asile (Compère Mathieu), ou encore belliqueux (La Chandelle d’Arras) et possesseurs de bons chevaux (Les Abus).
23 Lorsqu’il désire introduire une notion de volupté, Dulaurens se réfère souvent à Amathonte, dont il vante les autels (Les Jésuitiques, IV), les myrtes
(Le Balai, XV) ou les roses (Imirce, “Histoire de Babet” ; La Chandelle
d’Arras, IX). Amathonte était une cité de Chypre renommée pour son
temple à Aphrodite. Cf. ici-même note 93, chap. III.
24 L’allusion concerne manifestement une mémorable entremetteuse. Cette
fameuse présidente avait donc reçu la mitre et la crosse (par ellipse de
l’expression “crossé et mitré” [Dic. de l’Académie, éd. 1762] ), c’est-à-dire
le pouvoir béni d’exercer son office comme elle l’entendait. Selon Fernand
Drujon (Les Livres à clef, 1888, 1, c. 68-69), il s’agirait de la Gourdan. Il
faudrait alors comprendre que cette dame avait quelque haut prélat parmi
sa clientèle et que le « petit Bâton croisé que l’on mett[ait] dans sa main »
portait une connotation biblique au sens large, comme Dulaurens en produit fort souvent. L’épisode réel abondamment relaté du carrosse accidenté,
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où la Gourdan fut invitée à monter dans celui de l’évêque de Tarbes qui la
ramena et l’introduisit à Versailles avec déférence sans savoir qui était la
dame, s’est déroulé au début de l’hiver 1770. Il ne peut donc s’agir d’une
parabole de cette anecdote. Une autre de ces dames également célèbre était
Justine Pâris. Celle-ci eut affaire avec le curé de Saint-Sulpice, lequel avait
maintes fois pesté contre l’établissement de cette scandaleuse paroissienne
en 1749. Le curé n’avait pourtant jamais obtenu gain de cause, ceci
« accréditant l’idée qu’elle bénéficiait de hauts parrainages » (E. Boussuge,
Situations de Fougeret de Monbron [1706-1760], op. cit., I, p. 275). On
peut consulter à cet effet au moins le titre de l’Oraison funèbre de trèshaute et très-puissante dame Madame Justine Pâris, grande prêtresse de
Cythère, Paphos, Amathonte et autres lieux du royaume de Cypris, prononcée par Madame Gourdan, sa coadjutrice, en présence de toutes les
nymphes de Vénus, suivie de la description du B[oudoir], etc., etc. (A
Lupanaropolis, 1786, texte attribué au Prince de Conti).
25 La dame « qui ne vit plus » (cf. note de b. de p.) est la marquise de Pompadour (1721-1764), favorite de Louis XV, qui protégea philosophes et
artistes, ce qui lui vaut ici le qualificatif de « très-aimable ». L’acheteur du
chapeau rouge, attribut de cardinal, est François-Joachim de Pierre de
Bernis (1715-1791), qui figurait parmi les protégés de la marquise. Mondain, membre de l’Académie Française (1744), auteur de Poésies diverses
et d’écrits licencieux (qu’on lui attribue parfois à tort), il fut ambassadeur,
chargé de missions, secrétaire d’État aux affaires étrangères (1757), sans
forcément en avoir les compétences. En disgrâce auprès de sa protectrice, il
obtint toutefois le chapeau de cardinal en 1758, fut ordonné prêtre en 1759
et nommé archevêque d’Albi en 1764. Légat à Rome, conservant sa réputation de mondain, il sut s’attirer les meilleurs auspices tant du monde des
lettrés que de l’autorité religieuse qui profitait de son art des réceptions.
L’infortune ne le toucha qu’après la Révolution. Il faut donc entendre ici
que la « triste & fatale emplette, qui ruina l’acheteur, sans enrichir la fabrique dont il étoit sorti », concerne seulement la ruine de l’inspiration
poétique et érotique du lettré dès lors qu’il fut cardinal ; quant à la fabrique
(ou Église) dont le chapeau était sorti, elle ne s’enrichit, en effet, ni d’un
grand penseur en théologie, ni d’un prosélyte du catholicisme profond.
Dulaurens avait en estime la poésie de Bernis, auquel il consacra des vers
élogieux dans Le Balai : « Plus loin étoit ce Cardinal Français, / Qui fait
rimer de beaux vers à Glicere, / Chanter l’Amour, Vénus & la fougere, / De
l’horison nuancer les couleurs, / Placer par tout des aurores, des fleurs, /
Peindre la neige, & mettre en poësie / Tous les tableaux de la savonnerie. »
(IX, v. 63-69) ; puis également dans La Chandelle d’Arras : « Je vois,
Bernis, briller votre chapeau ; / Et pour vous seul sur ce double côteau /
J’entends chanter les moineaux de Cythere. » (XV, v. 17-19). De même, il
le présente çà et là dans Imirce (e.g. « Bernis, ses poésies sont charmantes ;
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ce sont des fleurs dignes d’orner la gorge d’égérie »). Il le citera enfin dans
son Dictionnaire de l’Esprit, resté à l’état de manuscrit pour cause d’arrestation de l’auteur (fin 1765).
26 Christophe de Beaumont (1703-1781), archevêque de Paris et adversaire
obstiné des jansénistes, est stigmatisé par notre auteur qui, dans l’ensemble
de ses textes, lui décoche de nombreuses flèches parfois à deviner (e.g.
« Monsieur B…, l’oracle de la France, / Dont Patouillet guidait la tendre
enfance », in Le Balai, XI). Dulaurens rédige même un chapitre saugrenu à
son attention dans Les Abus : “Envoi à Monseigneur Christophe de Beaumont” (p. 239). – Ici, la remarque renvoie à la brève mais célèbre querelle
littéraire qui opposa l’archevêque de Paris à Jean-Jacques Rousseau. Le 20
août 1762, de Beaumont publie un Mandement […], portant condamnation
d’un Livre qui a pour titre : Émile, ou de l’Éducation, dans lequel il expose
les raisons par lesquelles il interdit à ses paroissiens la lecture, la détention
et la publicité de l’Émile de Rousseau. Ce dernier lui répond par une longue
Lettre à M. de Beaumont, rédigée en novembre 1762, qu’il publie via Amsterdam. Il va sans dire que dans cet échange, les arguments ne se situent
pas au même niveau. Nous observons ici l’un des rares cas de défense pour
Jean-Jacques Rousseau sous la plume de Dulaurens.
27 Les jésuites établirent un État au Paraguay, officialisé de 1588 à 1769 et
rattaché à l’Espagne. En 1755, alors que sont confirmées les premières
manifestations de rébellion contre l’Espagne, d’Argenson décrit ainsi la
situation dans son Journal et mémoires : « Ce Paraguay devient une
puissance formidable sous les jésuites, et l’on dit que quelque jour il pourra
arriver que cette nouvelle puissance s’emparera de toute l’Amérique méridionale, Chili, Pérou, Brésil, etc., et de leurs riches mines d’or, d’argent et
pierreries. Les jésuites y ont enrégimenté plus de soixante mille hommes,
qui sont braves et disciplinés comme le régiment de Navarre. C’est une
population qui augmente chaque jour comme les hébreux sous Moïse. Les
espagnols ont négligé les progrès militaires de ce peuple, comme ces
pauvres empereurs de Constantinople firent à l’égard des Sarrasins en
s’amusant à leurs vétilles ecclésiastiques ; ainsi n’y aura-t-il bientôt plus de
remède, et les jésuites iront-ils de ce côté-là à un grand pas de monarchie
universelle, comme allaient les Turcs jusqu’au dix-septième siècle. »
(Octobre) Les jésuites du Paraguay finirent effectivement par s’opposer
aux directives des Espagnols, qui les combattirent et parvinrent à les
expulser en 1767. On leur reprochait alors de s’être laissés glisser vers une
monarchie indépendante : « Soumis dans tout ce qui est d’apparence au roi
d’Espagne, ils étaient rois en effet, et peut-être les rois les mieux obéis de
la Terre. Ils ont été à la fois fondateurs, législateurs, pontifes, et souverains » (Voltaire, Essai sur les mœurs, CLIV). – Les « Rois » du Paraguay,
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non encore vaincus au moment où Dulaurens rédigeait son Antipapisme,
allaient sans doute devoir se soumettre à l’autorité des franciscains.
L’allusion peut concerner le cardinal de Bernis. En poste à Rome, la réputation de sa maison et de sa table lui valait la qualification de “l’auberge de
France au carrefour du monde” ; il devint ainsi, à titre flatteur, le “pape
français”. On trouve de nombreuses allusions sur cet homme à travers les
écrits de notre auteur, qui se lamentait de le voir perdu pour la poésie
depuis qu’il fut promu à l’Église. La même lamentation, plus amère encore,
se lit souvent à propos de Jean-Baptiste Gresset, mais ce dernier avait
sincèrement renié ses écrits de jeunesse après s’être investi en religion, ce
qui n’était pas vraiment le cas de Bernis, sans doute plus opportuniste que
convaincu.
Il s’agit bien sûr de la “secte” des jésuites, la calomnie étant proférée par
Rome qui condamnait alors les opposants à la Compagnie de Jésus (bulles
papales sous Clément XIII, période d’écriture de L’Antipapisme).
Benoît XIV (1675-1758), élu pape à partir de 1740, a notamment promulgué les bulles de 1742 et 1744 confirmant la condamnation des rites chinois
alors tolérés par les jésuites de Chine, mais en termes moins péremptoires
en ce qui concernait l’ensemble des missions de l’Inde méridionale. Malgré
un esprit réputé plus ouvert que celui de ses prédécesseurs et une tendance
à la modernisation, Benoît XIV n’en demeurait pas moins attaché aux
valeurs de l’Église. Il favorisa plusieurs institutions académiques et fut à
l’origine de nombreux rappels à la règle catholique, de confirmations de
bulles précédemment établies, et de nouvelles mises à l’Index (Montesquieu, Voltaire…). Il conserve cependant la réputation d’un pape conciliant. – L’âme de Loyola « seroit au pouvoir de Belzebuth » : serait livrée à
Belzébuth.
Le « bonhomme » qui succéda à Benoît XIV fut Clément XIII (16931769), couronné pape le 16 juillet 1758. Selon Dulaurens, il fut accommodant envers les jésuites au point d’être assimilable au fondateur de l’ordre
(« saint Ignace »), et ce, à l’improbation générale (« au bruit des sifflets »).
Clément XIII, cible directe de l’auteur dans L’Antipapisme, a bien été un
pape autoritaire et inébranlable à qui l’on attribue la maxime radicale : Aut
sint ut sunt aut non sint (“qu’ils soient ce qu’ils sont, ou bien qu’ils ne
soient plus”, dont la première proposition bénéficia aux jésuites). Ancien
élève de leur collège, il défendit les jésuites tout au long de son pontificat
en s’opposant aux monarques qui procédaient aux expulsions massives et
brutales des disciples de Loyola. Acculé en janvier 1769 par l’Espagne,
Naples et la France qui exigèrent, par la voix de leurs ambassades, la
suppression totale de la Compagnie de Jésus, Clément XIII s’apprêtait
encore à résister mais il mourut dans la nuit du 2 février. C’est donc son
soutien inconditionnel aux jésuites, contre les principales monarchies
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européennes, qui a marqué son règne et laissé de lui l’image d’un homme
buté dans son intransigeance. Hors son soutien aux jésuites, il est également le signataire de l’encyclique qui condamna l’Encyclopédie en 1759.
Néologisme pour “Grand faiseur de bulles” (Clément XIII) portant sur le
superlatif du préfixe grec arkhi (exprime la prééminence), largement usité
dans le lexique religieux : archange, archevêque, archidiacre, archidiaconé,
archiconfrérie, archidiocèse, archiprêtre, archipresbytéral… Diego, dans le
Compère Mathieu, qualifie Mathieu d’Archipatriarche de la Philosophie (I,
7, p. 96). Meslier inventait l’« archifanatisme » dans son Mémoire vers
1720.
L’expression correcte est « donner à gauche », pour dire se tromper. « Tu
es toi-même un adepte dans la prétendue science de connoître les hommes
à leur physionomie, & quand il t’arrivera de donner à gauche, tu t’étudieras
à trouver quelques raisons pour te faire accroire qu’il étoit plus probable
que tu avois rencontré juste » (Samuel Richardson, Clarisse Harlowe
[1748], Traduction nouvelle et seule complète, par M. Le Tourneur,
Genève, Chez Barde, Manget et Cie, 1786, T. 8, p. 246-47).
Gabriel Malagrida (1689-1761), jésuite portugais. De retour du Brésil après
vingt-huit ans d’évangélisation, il suscita suffisamment de jalousie à la
Cour de Lisbonne pour se retrouver, après la mort de son protecteur Jean V
en 1750, livré à l’Inquisition. Malagrida fut condamné pour complot,
hérésie, rédaction d’ouvrages antireligieux, et fut étranglé et brûlé sur la
place de Lisbonne en septembre 1761, après deux ans et demi d’emprisonnement. Il demeure l’emblème des jésuites martyrs du Portugal, tant sa
condamnation semblait injustifiée. Dulaurens, sans compassion, lui consacre un additif burlesque dans une réédition des Jésuitiques (éd. de 1762, À
Rome, Aux dépens du général, in-12, 32 et 21 p.) et le met en scène
toujours en fâcheuse position dans L’Arretin (“L’épouse de Suze”), Le
Balai (XIV, XVII) ou Les Abus (“Bouquet à mon époux, M. Duplessis”).
Dulaurens évoque ailleurs le tremblement de terre de Lisbonne du 1er
novembre 1755 (« L’autre étourdi dans son saisissement / Croit ressentir
cet affreux tremblement, / Qui de nos jours a renversé Lisbonne », La
Chandelle d’Arras, III, v. 80-82). Il n’hésite pas à en attribuer la survenue
aux péchés des jésuites : « Chute terrible de Lisbonne, / Vous êtes le signal
affreux / Du crime qui doit sur le Trône / Frapper un Prince généreux »
(Les Jésuitiques, II).
Jeu de mots fondé sur le double-sens du substantif “esprit” qui désigne, en
chimie, une vapeur très volatile (Dic. de l’Académie, éd. 1762), autrement
dit : du vent.
En avril 1762, le père jésuite Antoine de Lavalette est condamné pour
banqueroute dans la mission de la Martinique. Il avait fait perdre beaucoup
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d’argent à la Compagnie de Jésus lors de placements en Amérique méridionale, les terres exploitées se révélant moins rentables que prévu. La
Compagnie, attaquée par les créanciers, assuma les dettes mais elle perdit
en crédibilité et fut grandement mise en cause dans ses prétentions au
commerce et à l’enrichissement douteux en Amérique. Lavalette (il n’était
pas baron, mais Dulaurens extrapole pour la particule), récidiva en tant que
gestionnaire incompétent dans d’autres circonstances et fut l’un des symboles de la disgrâce des jésuites en France. « Lorsque le R. P. La Valette,
alias Duclos, alias Lefèvre, eut fait sa première banqueroute, ad majorern
Societatis gloriam ; […] il y eut alors une inondation de brochures, et
autant d’injures de part et d’autre qu’il y avait de jésuites en France… »
(Voltaire, Les honnêtetés littéraires, 7 [1767] ). – L’usage situe la création
de la bourse, dans sa forme moderne, à Bruges (Flandre) au début du XVe
siècle mais le principe existait déjà au XIVe siècle La bourse était un lieu
permanent de réunion des négociants où se traitaient les intérêts et les
affaires administratives du commerce international. Au XVIIIe siècle, les
bourses les plus célèbres d’Europe étaient celles de Londres et d’Amsterdam. – L’huissier priseur, au XVIIIe siècle, sera remplacé par le commissaire priseur aux siècles suivants.
Chapitre II
1
2
Le récit allégorique anonyme intitulé Relation de l’île de Bornéo, publié
par Bayle dans ses Nouvelles de la République des Lettres en 1686 et
attribué à Fontenelle, met en scène les sœurs Mréo (Rome) et Eenegu
(Genève) qui se disputent l’héritage de leur mère Glisée (L’Église).
Dulaurens, qui avait lu Fontenelle (cf. Imirce, Les Abus, Dictionnaire de
l’Esprit), se référait volontiers à Bayle qu’il honore dans nombre d’ouvrages et auquel il renvoie abondamment dans Le Compère Mathieu ainsi que
plus loin, en note, dans L’Antipapisme. Comme d’autres, il aura emprunté
Glisée au texte publié par Bayle.
L’image renvoie aux origines du monde vues par les fabulistes antiques.
Selon Ovide, dans les Métamorphoses (Livre I, “Origine du monde” et
suiv.), un dieu tire le monde du chaos, sépare les éléments, crée les êtres
puis l’homme qui passera par plusieurs étapes. Les quatre âges du monde,
qui voient l’humanité se dégrader, seraient l’âge d’or (bonne foi et vertu, ni
crainte ni châtiments, printemps éternel), l’âge d’argent (sous l’égide de
Jupiter, création des quatre saisons et de leurs contraintes), l’âge d’airain
(plus farouche, prompt aux plus horribles combats mais sans scélératesses),
l’âge de fer (âge du crime, de la fraude, de la perfidie, des trahisons, de la
violence, des passions perfides, de la richesse, sans pudeur ni vérité, il est
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l’âge de la haine et de l’égoïsme qui est toujours le nôtre). Avant lui,
Hésiode (Les travaux et les jours) ajoutait, entre les âges d’airain et de fer,
un âge des héros qui présida à leur confort éternel.
“Courbeté” dans le texte original.
Première anagramme à paronomase pour Clément XIII, dans l’esprit de
Glisée (Église).
Rappel : Sacré Mufti pour le pape. Orthographié Moufti par Dulaurens,
comme dans la plupart de ses écrits.
Dulaurens aime à s’essayer aux doubles sens et mots d’esprit comme à la
métaphore, parfois filée, souvent érotique : « faiblesse de sa religion »,
« porter le désordre & la sédition dans le sein de la pauvre Glisée »,
« Pétrisaint », « dérouiller ses clefs sur les genoux d’une triste Martyre »,
« qu’on dit être vierge », etc. Pour illustration, une autre métaphore filée se
trouve dans Le Compère Mathieu où la femme/catin du baron de Montenoi
symbolise la littérature facile et autorisée de Charles Palissot de Montenoy,
alors pris pour cible (I, 11, p. 174-176). – Rappelons également que l’on
désignait par “fils aîné de l’Église” le roi de France.
Les frères médecins Côme et Damien sont morts en martyrs à Cyr (Syrie)
sous Dioclétien vers 295. Canonisés, ils sont les patrons des médecins et
chirurgiens depuis le IIIe siècle. On sait combien Dulaurens met en doute la
compétence des médecins dans ses écrits. Il invoque saint Côme dans Le
Balai (XIII, v. 49) et La Chandelle d’Arras (XI, v. 21), notamment en vue
d’interventions régénératrices pour membres virils défaillants. Il assimile
également saint Côme à un barbier afin d’insister sur l’art qu’ont les chirurgiens de trancher ou amputer (les barbiers, en effet, étaient traditionnellement chirurgiens) : « Lewis Bondon, sachant que son fils avait uni sa
chair à celle d’une blanchisseuse, l’enferma chès lui & par le ministère de
Milord Côme, écuïer tranchant des barbes de son quartier, lui fit abbattre
[sic] les sources jumelles de l’humanité » (Imirce, “Histoire du merveilleux
Dressant”, p. 345 ; voir aussi La Chandelle d’Arras, III, v. 202-204 ).
Précisons qu’au XVIIIe siècle, saint Côme et saint Damien font encore
l’objet d’un culte paillard dont une cérémonie a notamment lieu une fois
l’an en Italie, dans la ville d’Isernia. Près d’une église, dédiée à ces deux
saints, se déroule alors une procession à laquelle sont conviés les hommes
souffrant de défaillance ou bien désireux de préserver leur jeunesse. Les
femmes de toute condition y sont également invitées. Chaque homme peut
acheter une moulure en cire symbolisant son membre chagriné, qu’il fera
exposer à la chapelle en vue d’obtenir le bénéfice d’une prompte guérison
ou d’une protection durable. Les marchands à la criée de ces objets de culte
ne fixent pas de prix pour la vente, mais l’entente veut que plus le client
donnera, plus il obtiendra de bienveillance divine. Il convient ensuite de
payer pour l’aumône cléricale, lors de la remise de la moulure au prêtre qui
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l’expose sous la protection du saint. On prétend que les femmes seraient
particulièrement actives à ce rituel : « Ce sont elles qui en font presque tous
les frais ; ce sont elles qui prient, avec le plus de ferveur, les deux saints qui
jouent ici en commun le rôle de Priape ; ce sont elles, surtout, qui contribuent le plus à décorer leur chapelle de nombreux Phallus en cire. […]
Lorsqu’elles présentent à l’archiprêtre le simulacre de cire, elles prononcent ordinairement de pareilles phrases : Saint Côme, je me recommande à
toi. Saint Côme, je te remercie. Ou bien : Bon saint Côme, c’est ainsi que je
le veux. » Puis elles baisent dévotement le phallus avant de le remettre au
préposé à l’exposition. (Jacques Antoine Dulaure, Des divinités génératrices, ou Du culte du Phallus chez les Anciens et les Modernes, Paris, Dentu
Imprimeur, 1805, chap. XIII : “Du Culte du Phallus chez les Chrétiens du
dix-huitième siècle”, p. 260-261)
8 Coquille dans l’édition originale ; le mot en fin de ligne comporte la césure
mais la syllabe à renvoyer a été omise : enten-[dre].
9 Le bref, ou lettre du pape, concerne les prises de position de Clément XIII
en faveur de l’ordre des jésuites contre le « Roi Très-Chrétien » de France :
Louis XV. – Par Pepa, faut-il comprendre que ce pape avait la cervelle à
l’envers lorsque l’auteur inverse ou brouille les syllabes, lettres, ou sonorités de son titre ? On trouve toutefois ce terme dans un conte prétendument
traduit de l’arabe, publié en 1746 et signé Krinelbol (en réalité Crébillon
fils) : Les amours de Zeokinizul, roi des Kofirans, chronique satirique de la
Cour de Louis XV, où la figure du pape apparaît sous le nom de Pepa.
Dulaurens appréciait particulièrement Crébillon : « Crebillon le fils, le
colifichet le plus spirituel de Paris, écrit bien quoiqu’en dise le noir Waspe
[Fréron]. Crebillon après sa mort sera placé dans le Ciel à côté de la
chevelure de Bérénice [constellation] : cela ferait là-haut une jolie tête à
Perruque. » (Le Balai, IX, note)
10 La pourpre symbolise la dignité de cardinal. Les renards en robe de pourpre
sont les cardinaux du Sacré Collège.
11 Lettre attestant la bonne foi de celui qui la présente, et lui donnant au
besoin crédit financier. – Une célèbre fausse lettre de créance avait été délivrée par un faussaire jésuite imitant l’écriture d’Antoine Arnauld (16121694), théoricien janséniste. Cette anecdote issue de l’affaire complexe du
“faux Arnauld”, ou fourberie de Douai, était encore évoquée dans la
rivalité entre jésuites et jansénistes, lorsque le jeune Henri-Joseph Laurent
évoluait au collège d’Anchin. Il a gardé de cette fourberie des jésuites, qui
avait pour but de démasquer les sympathisants d’Arnauld et des thèses
jansénistes, un regard amusé sur la validité des lettres de créance. Le “faux
Arnauld” avait, en effet, délivré une telle lettre à un jeune ecclésiastique
qui traversa la France de Douai à Carcassonne après avoir vendu tous ses
biens pour le voyage, persuadé que sa lettre de créance lui ouvrirait les
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portes d’un accueil confortable. Arrivé chez le doyen de la cathédrale de
Carcassonne, le voyageur épuisé produisit aussitôt sa lettre qui le présentait
ainsi : « Monsieur, voici l’ecclésiastique qui vient de si loin au service de
notre saint évêque. Pour trouver un homme de son mérite, de sa vertu et de
son érudition, ce ne serait pas trop faire que de l’aller chercher au bout du
monde. […] Donnez-lui, je vous prie, logement chez vous, et tout l’argent
dont il aura besoin, jusqu’à ce que je vienne le prendre en carrosse pour le
rendre à son terme. [etc.] » Le doyen et le pèlerin en furent pour une
consternation commune, le premier assez fâché d’une telle naïveté et le
second, dépité, bon pour retraverser la France incontinent. (Voir Histoire
de l’Église, par l’abbé Antoine-Henri de Bérault-Bercastel, 1778 ; extrait in
éd. 1809, XII, p. 157) Dulaurens glisse une saillie aux lettres du “faux
Arnauld” dans Les Abus, où l’effigie du personnage serait exhibée lors
d’une procession festive parodiée : « La Théologie était représentée par une
fille Espagnole ; deux Jesuites lui bandaient les yeux, elle tenait toutes les
lettres du faux Arnaud. Ce faussaire était sous ses pieds, le front couvert de
plumes de chats huants. » (“Histoire de la Procession & du Grand Géant de
Douay”, p. 211)
12 Pour la note de bas de page : saint Roch (v. 1295-v. 1327), atteint de
maladie et désireux de n’être à la charge de personne, se serait réfugié dans
un bois où il n’aurait survécu que grâce à un chien qui lui apportait du pain.
Dulaurens n’a pas vraiment pris cet épisode en affection : il en fait
gentiment le procès dans Le Balai (V, v. 29-41) ou L’Arretin : « St. Roch
célebre par un chien fameux aussi frippon que le maître était honnête
homme », ce chien étant plus loin baptisé Cartouche (“Le Calendrier”, II,
p. 129). L’attitude du chien de Guillaume Ier (1533-1584), en revanche,
correspond davantage à la description élogieuse que fait Dulaurens de ces
animaux dans son article “Les chiens” (L’Arretin). Guillaume Ier adopta un
chien qui venait constamment se blottir à ses pieds sans raisons, à titre de
revers à l’encontre des courtisans qui ne flattaient le Stadhouder de Hollande qu’en vue d’obtenir quelque privilège. Ce chien, « la honte des
ingrats & des cœurs intéressés, & qui devoir paroître si extraordinaire au
milieu des Courtisans » (Nougaret, Anecdotes des Beaux-Arts, Paris, Chez
J.-F. Bastien, éd. 1776, II, p. 611-612), pourtant sans dressage, n’acceptait
la nourriture que de son maître et se laissa mourir de faim après le décès de
Guillaume Ier. Sa statue fut érigée sur le tombeau de son maître. À la
rapine, qu’il met volontiers en scène par jeu, Dulaurens préfère la loyauté.
13 Dans la Passion, le chant du coq symbolise l’heure du reniement lorsque
Jésus s’adresse à l’apôtre Pierre : « En vérité, je te le dis, cette nuit même,
avant le second chant du coq, tu m’auras renié trois fois » (Mt, 26, 34 et
65-75). Pétrisaint (saint Pierre) veut dire ici que la présence du coq, à
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l’entrée du paradis, suffit pour annoncer à tous ceux qui frappent à la porte,
que l’heure de leur grâce n’est pas venue.
14 Ambroise (v. 340-397) fut, sous l’empereur Valentinien, gouverneur des
provinces consulaires de la Ligurie et de l’Émilie avant d’être nommé
évêque contre sa première volonté, bien qu’il s’acquittât de sa tâche avec
un sens politique souvent sollicité. C’est donc à ce titre, selon l’auteur,
qu’Ambroise est ici ministre des affaires terrestres. Il le qualifie par ailleurs
d’« emmiellé », « patron de la poltronnerie » parce que militant nonviolent, et il lui reproche d’avoir voulu « que tout le Genre Humain mourût
vierge ; c’est pour cela que la population dans les Etats Catholiques lui a
tant d’obligation » (Le Compère Mathieu, III, 7, p. 99-100). Il convient de
préciser qu’au berceau, Ambroise fut assailli par un essaim d’abeilles qui
ne lui firent aucun mal et que, par la suite, il écrivit deux traités sur la
virginité. En outre, « S. Ambroise dit que les Apôtres seront purgés de leurs
péchés au jour du Jugement, que tous les hommes ne ressusciteront point
en même tems, que ceux qui auront péché plus que les autres ne ressusciteront qu’après les autres, & ne profiteront que très-tard du feu du jugement
dernier. » (L’Arretin, “Le Bréviaire romain”, I, p. 127)
15 L’idée insidieuse que Dieu n’est pas seul dans la religion chrétienne,
laquelle se prétend monothéiste, revient souvent chez la plupart des auteurs
anticléricaux.
16 Une autre considération politique, pouvant également prendre valeur de
citation, figure au chapitre VIII de L’Antipapisme : « L’avenir, toujours
aussi sombre que l’affreux nuage dont il est couvert, ressemble à ces hommes d’Etat, qui vieillissent dans la frivolité des promesses & n’en tiennent
aucune » (éd. originale : p. 103). Voir aussi la note 36, chap. III. D’autres
réflexions concernant la fatuité et la fausseté de la démarche politique se
lisent régulièrement à travers la production de Dulaurens, dont nous extrairons à titre d’exemples : « L’Histoire Politique me montre jusqu’à quel
point de fausseté, de souplesse, d’imposture, de méchanceté, d’ambition,
un Homme seul ou plusieurs Hommes réunis peuvent parvenir pour
commander aux Autres : & à quel point d’ignorance, d’impuissance ou de
lâcheté, ces autres peuvent être réduits pour se laisser mettre sous le joug »
(Le Compère Mathieu, I, 13, p. 266) ; « Le feu de la vertu, semblable au
feu superstitieux de Vesta, m’a paru allumé par la politique ; j’ai vu
l’inutilité d’entretenir sa flamme aussi-tôt que j’ai connu les hommes »
(Conclusion d’“Imirce ou la fille de la nature”, in Imirce, p. 186) ; « Gilles
élevé avec les grands politiques de la Cracovie, fut l’aigle des Menteurs du
Palais-Cardinal » (id., p. 142). Comme bien d’autres satiristes (e.g. Fougeret de Monbron), Dulaurens faisait preuve d’un réalisme accablant sur les
comportements sociaux hiérarchisés. Dans les fonctions et professions de
pouvoir, la prééminence de l’ambition individuelle lui paraissait trop vite
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auréolée de notions d’altruisme ou d’abnégation par l’espérance et la
naïveté populaire.
17 Le mont Janicule est le plus élevé des sept montagnes de Rome (qui sont en
réalité des collines).
Chapitre III
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La « superbe Mosquée » est donc le palais du Vatican, dont la construction
fut initiée au VIe siècle par le pape Symmaque (dont il est amusant de noter
qu’il s’opposa en son temps à l’antipape Laurent) et fut poursuivie par
plusieurs de ses successeurs, jusqu’à Sixte V (pape de 1585 à 1590), maître
d’œuvre des travaux les plus vastes. L’auteur considère le palais du catholicisme et non la cité de Rome, et s’autorise à estimer la puissance de l’Église comme valeur surannée, dès lors que le déclin des jésuites est annoncé.
Saint François d’Assise (1182-1226) est le fondateur de l’ordre des frères
mineurs (1209), ou franciscains, ou cordeliers, d’où seront plus tard issues
diverses branches dont celle des capucins (1528) qu’exècre tant Dulaurens
pour leur dénuement jusqu’à l’excès de crasse. Fils de bourgeois, le jeune
François rompt pourtant avec son éducation pour se vouer à la pauvreté
évangélique (voir le détail de ses débuts à la note 14, chap. VI). Peu après
sa décision, il se retire volontairement dans une caverne et y séjourne dans
l’austérité. Son père, n’acceptant pas sa conduite, le punit en l’attachant et
le séquestrant avant de céder à l’acceptation de cette vocation. François
part alors vivre un temps dans les bois, avant de rencontrer le pape et d’instituer son ordre. Missionnaire, il est frappé par la grâce et aurait arboré dès
1224 les stigmates de la Passion alors qu’il s’était retiré dans une cellule
construite pour lui dans les Apennins (Italie). L’image de la claustration
dans le dénuement est donc très présente dans l’esprit de saint François.
Pour notre texte, Dulaurens pourrait renvoyer aux prisons de l’Inquisition,
laquelle naquit peu avant le premier ordre de saint François (1199 pour
l’Inquisition médiévale) et qui choisit ses juges parmi les nouveaux ordres
religieux du moment : dominicains et franciscains. Toutefois, l’aveu de
saint Pierre qui suit (« si j’ai l’air d’un déserteur, je le suis par congé »)
laisse entendre qu’il s’agit plutôt d’une allusion aux cloîtres franciscains,
véritables prisons selon l’auteur.
Coquille dans l’édition originale : « si jai l’air ».
Saint Pierre est reconnu comme le fondateur de l’Église apostolique, dont
les fidèles ont résisté à la persécution. Rappelons que le futur apôtre reçut à
la circoncision le nom de Simon. Dulaurens renvoie ici à ce fameux passage biblique, dont la traduction fut et reste controversée : « Et moi, je te dis
que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les
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portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. Je te donnerai
les clefs du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les
cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux » (Matthieu
XVI, 18-19). Jésus aurait donc attribué à Simon la dénomination symbolique de Kêfâ, mot araméen (langage maternel de l’apôtre) désignant la
pierre qui donnera par la suite la transcription masculine latine Petrus, de
petra ; il semble que ces mots n’aient jamais été employés comme noms
propres avant cela. Toutefois, sur le propos que Simon aurait reçu la
mission de construire l’édifice de l’Église romaine à partir d’une pierre,
d’où son nouveau nom, Dulaurens pourrait adresser un clin d’œil complice
à l’article “Pierre” du Dictionnaire philosophique (1764) de Voltaire qui
renvoyait à la tradition protestante : « Un fameux luthérien d’Allemagne
(c’était, je pense, Melanchton) avait beaucoup de peine à digérer que Jésus
eût dit à Simon Barjone, Cepha ou Cephas : Tu es Pierre, et sur cette pierre
je bâtirai mon assemblée, mon Église. Il ne pouvait concevoir que Dieu eût
employé un pareil jeu de mots, une pointe si extraordinaire, et que la puissance du pape fut fondée sur un quolibet » [Le philosophe se réfère ici à
Philippe Melanchton (1497-1560), l’ami de Luther]. Pigault-Lebrun (17531835) ironisera également sur ce supposé mot d’esprit : « Il ne serait pas
étonnant que Dieu-Jésus, qui chantait, fit aussi des jeux de mots. Mais
celui-ci est évidemment de la composition d’un prêtre français ; car Pierre,
nom propre, est en italien Pietro, en espagnol Pedro, en anglais, en flamand, Peter ; et ni Pietro, ni Pedro, ni Peter ne signifient pierre ou caillou »
(Le Citateur [1803, recueil de citations anticléricales inspirées de Voltaire],
Paris, René Baudoin, 1978, p. 213).
Il y aurait plusieurs niveaux dans les cieux bibliques. Le “troisième ciel”
est le séjour des âmes défuntes en attente de résurrection. Par la grâce,
certaines peuvent quitter cette région et s’élever plus haut. Paul déclare
qu’il fut élevé dans l’extase jusqu’au troisième ciel, qu’il nomme aussi
“paradis” (2, Cor., 12, 1-4).
On ne peut ici s’empêcher de penser à l’Histoire comique des États et
Empires de la Lune (Cyrano de Bergerac, titre de nombreuses rééditions
des Estats et Empires de la lune, Estats et Empires du Soleil, 1657). L’inspiration de Cyrano se retrouve dans plusieurs ouvrages de Dulaurens,
souvent sur un simple détail (dans Imirce, pour l’épisode de l’élévation au
moyen de billes aimantées sur le modèle de l’Histoire comique ; dans Le
Compère Mathieu, pour le voyage utopique de Diego ; dans Les Abus, pour
les quiproquos discursifs comparables à ceux que l’on trouve dans Le
pédant joué…).
Génies éthérés de la mythologie celtique et germanique, caractérisés par
leur grâce et leurs bonnes dispositions pour les humains, capables de se
mettre à leur service ou de répondre à leurs sentiments, sensibles toutefois
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à la vertu et à la bienséance sous peine d’évaporation. Sur le sujet, lire Sylphes et sylphides, [Textes de : Montfaucon de Villars, Crébillon, Marmontel, Nougaret, Sade, quelques poètes…], anthologie établie et présentée par
Michel Delon, Paris, Desjonquères, coll. “XVIIIe siècle”, 1999.
Après Tremencleize (chap. II), Mencletreize sera désormais le sobriquet de
Clément XIII.
L’Antipapisme repose donc sur cet ordre de mission symbolique : convaincre Clément XIII de ne plus soutenir les jésuites. La suite sera prétexte à
répandre une caricature du pape tout en écorchant les mœurs du monde clérical jusqu’à l’outrage. Cette impossible démarche qui consiste à vouloir
changer l’esprit des hommes sans intervention surnaturelle, effrayant les
uns et enchantant les autres, est l’une des idées désespérées que Dulaurens
se plaît à développer sur fond de dérision, satire et utopie. Son approche fut
sensiblement la même lorsqu’il traça les peintures satiriques d’Abraham
Chaumeix (Mémoire pour Abraham Chaumeix, 1759), de Gabriel Malagrida (Oraison funebre du R. P. Gabriel Malagrida, prononcé dans la Ste.
Chapelle des Oriellons [sic] par le R. P. Thunder-Ten-Tronckh, jésuite,
1761) ou de François-Xavier Duplessis (“Histoire du Révérend Pere du
Plessis, Missionnaire de la Compagnie de Jesus”, Les Abus, 1765/7). À
travers ces portraits au vitriol, l’auteur semble convaincu que les hommes
ne changent pas et que seule la force de la déraison peut les faire fléchir. Il
fallait un saint Pierre descendu du ciel pour révéler le pape et tenter de le
convaincre de ses erreurs. Changer les hommes qui détiennent le pouvoir
et, par définition, en abusent, peut toujours se réaliser en fable ou en rêve ;
il faut encore qu’un public accepte d’entrer dans la folie de la démarche.
Dulaurens sera abondamment traité de fou pour de tels écrits.
Le « Prince des Apôtres » est traditionnellement saint Pierre.
Coquille dans l’édition originale : « un moitié ».
« La sainteté des collations anatomiques » : la véracité des concordances
attribuées aux reliques humaines dispersées puis réunies, avec un jeu de
mots sur le terme collation, à la fois “comparaison pour conformité” et
“droit de bénéfice conféré”.
Le discours du marquis est empreint d’une autodérision que l’on imagine
expansive par le geste (“étoffe” n’est ici usité que dans le sens du dénigrement), tout à fait dans le ton désinvolte et impertinent de l’auteur lui-même
pour ce que nous connaissons de ses anecdotes vécues.
Dans l’édition originale : « Cours étrangers ».
L’« équipage », terme usuel dans les textes du XVIIIe siècle et présent dans
la plupart des ouvrages de Dulaurens, désigne d’abord le train de vie et la
suite, dans son ensemble ou dans le détail, qui caractérisent le privilégié
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(garde-robe, voiture, chevaux, chaise, cochers, valets…). Ici, il s’agit du
carrosse du personnage.
Coquille dans l’édition originale : « calendier ».
La réputation de tolérance de Benoît XIV reposait, surtout après son pontificat, sur le mythe d’un pape qui s’opposait à la figure de ses successeurs
immédiats (Clément XIII et Pie VI), jugés rétrogrades. Comme spécifié en
note par l’auteur, Benoît XIV prit effectivement des mesures de suppression de nombreux jours de fêtes, d’abord en Italie (1742) puis en Europe
(1748), se prononçant ainsi pour une meilleure responsabilisation du
croyant et pour un christianisme actif et réfléchi, ressenti comme “ouvert”
par les philosophes. La valeur du travail primant sur celle de la contemplation (ou inaction) ne pouvait que séduire un Dulaurens fortement opposé à
l’oisiveté des moines et à l’omniprésence de l’Église qu’il dénonce dans la
plupart de ses ouvrages. – Benoît XIV n’est patron des philosophes que
sous la plume de Dulaurens, les saints patrons “officiels” pour les philosophes étant saint Justin, saint Théotime, et saint Thomas d’Aquin.
Coquille dans l’édition originale : « des mes créanciers ».
Dulaurens ironise souvent sur la fonction des gardiens suisses, notamment
ceux du palais du Vatican, et sur leur corruption ou leur vénalité. Il en place volontiers autour de la demeure de Lucifer dans Le Compère Mathieu :
« Et la verrue du bout du nez de Lucifer, dit Pere Jean à son Neveu, sa
simare doublée de fer blanc, sa couronne de buis, les Suisses de son Palais,
l’histoire de Charlemagne… » (II, 4, p. 101). Dit par l’auteur, “Suisse” est
souvent une moquerie à l’attention du gardien ou du garant au sens large.
Sur le sujet, lire Élisabeth Bourguinat, Le Siècle du persiflage (1734-1789),
Paris, P.U.F., coll. “Perspectives Littéraires”, 1998.
Allusion à l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem sur cette modeste bête
de somme (Matthieu, XXI, 1-11).
Rappelons que L’Antipapisme à été imprimé sous la rubrique « à l’enseigne
de la Mitre ». Il est spirituel d’observer que cet ornement de tête des
évêques, qui officient usuellement avec la mitre et la crosse, a également
pour définition : « tuiles qu’on dispose en forme de mitre au-dessus d’une
cheminée, pour l’empêcher de fumer » (Dic. de l’Académie, éd. 1798). De
nombreux textes anticléricaux usent de ce terme par métaphore pour figurer
certains membres du clergé, voire le clergé dans sa totalité. Dans Le
Cochon mitré (Paris, chez le cochon, 1689), François de Chavigny de La
Bretonnière à qui l’on attribue ce texte s’en prend ainsi à l’archevêque de
Reims, Charles-Maurice Le Tellier (Lire C. de La Bretonnière, La Religieuse en chemise et Le Cochon mitré, éd. Jean Sgard, Saint-Étienne, P. U.
de Saint-Etienne, coll. “Lire le dix-huitième siècle”, 2009). Plus radical, un
anonyme milite pour l’extinction des religieux dans La Mitre renversée, ou
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le Feu de l’encensoir éteint et Passion du clergé séculier et régulier (Paris,
dans les décombres de l’Archevêché ; et se trouve chez Mrs les abbés
Maurri [sic], Poule, ainsi que chez Beaumarchais, Linguet, Seguier, d’Esprenil ; et en général chez tous les religieux, le 9 décembre 1789). Pour une
présentation de ce dernier titre, cf. Patrick Graille et Mladen Kozul, “La
Mitre renversée”, Discours antireligieux français du dix-huitième siècle.
Du curé Meslier au marquis de Sade, Saint-Nicolas (Québec), L’Harmattan / Presses de l’Université Laval, coll. “Mercure du Nord”, 2003 ; Condésur-Noireau, 2005, p. 443-454.
L’« habit de baleine » est une boutade, dont nous n’avons pas trouvé
d’autres exemples, qui peut signifier l’aspect grossier d’un vêtement ample,
susceptible de prendre formes et reliefs au moyen de baleines vestimentaires, lesquelles seront toujours en usage dans la mode féminine du siècle
jusqu’à la Révolution.
Comprendre : depuis que l’esprit philosophique dénonce l’interprétation de
la croyance faite par la religion.
Pierre était le nom d’apôtre d’un pêcheur (nommé Siméon) originaire de
Bethsaïde (Mc. 1, 16 par.). Les deux épîtres attribuées à Pierre font l’objet
de contestations, tant sur le sens de leur contenu que sur leur origine.
Saint Pierre et saint Paul sont traditionnellement associés. Avant sa conversion, saint Paul était farouchement partisan des traditions de ses pères. Il
sera tout aussi zélé dans sa mission évangéliste mouvementée. L’ardeur
qu’on lui connaît le montre entêté, autoritaire et impétueux. Rien d’étonnant à ce qu’il ait suscité des sentiments passionnés et des dévouements
extrêmes. – Les « Mouches de saint Paul », plutôt que des espions à sa
solde (voir glossaire), sont les sautes d’humeur ou bien les changements
brusques d’avis qui ont pu le caractériser. L’expression a été consacrée par
Dulaurens qui l’utilisait déjà dans Le Balai : « Sans prendre au Ciel un si
rapide vol, / Craignons toujours les mouches de Saint Paul. » (XVI, v. 15657) – Quant à la servante qui changea l’apôtre en renégat, il s’agit sans
doute ici d’une version à double sens de l’épisode où, lors de l’arrestation
du Christ, l’apôtre Pierre interpellé par une servante nia connaître celui que
l’on arrêtait et que l’on frappait (Mt, 26, 69-75, et Lc, 22, 56-57).
Le divan, terme d’origine arabo-turque, désigne une salle garnie de coussins où se réunissaient les conseillers du sultan sous l’empire ottoman, d’où
par métonymie, le conseil lui-même. Il s’agit ici de l’assemblée des cardinaux.
Coquille dans l’édition originale : « l’ouvrage de de la superstition ».
Il s’agit d’une allusion aux jansénistes, issus d’un mouvement religieux né
au XVIIe siècle et qui se fonde sur une analyse du péché originel exposée
dans l’Augustinus (approfondissement des écrits de saint Augustin) par
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Jansénius (Cornélius Jansen), évêque d’Ypres (1585-1638), publié après sa
mort. « Les Augustins ces moines pétulans / Sur mille riens font des procès
insignes » (Le Balai, X, v. 44-45) : fidèles aux directives spirituelles de
saint Augustin (354-430), professeur de rhétorique à Milan, les augustins se
distinguèrent par leur esprit polémique.
Dulaurens associe ailleurs Augustin et Ambroise (cf. note 14, chap. II) :
« vous êtes incontestablement, Monseigneur, l’aigle des Visigots, l’Ambroise des Ostrogots, le Chrisostôme des Gaulois & l’Augustin de l’Isle de
notre-Dame : la noble deffense de la Bulle, la création des billets de
confession & le réfus constant des sacréments vous rendront toujours
agréable au Dieu des misericordes », l’orateur s’adressant à l’archevêque
de Paris Christophe de Beaumont (Les Abus, “Sermon, Prêché par M.
l’Abbé de Prades”, p. 48-49) ; « Il rapportoit à ce sujet l’apologie que S.
Augustin fait de l’action du Patriarche ; les louanges que S. Ambroise
donne à Sara pour son obéissance dans cette occasion » (Le Compère
Mathieu, I, 11, p. 175).
Vers 1749, le jeune homme Henri-Joseph Laurent a répandu à Douai un
texte satirique, probablement sous forme manuscrite, intitulé “Voyage au
temple de l’ergo”, qui sera publié localement dans le recueil Essai sur la
préférence des cadets aux aînés (Genève, 1750). Ce petit pamphlet était
destiné à piquer l’emphase des sciences et des scientifiques. Les ergo qui
grossissent les in-folio sont ici empruntés au cogito ergo sum pour désigner
la suffisance ou le trop-plein de la réflexion théologique.
Cf. note 9 de la “Préface qui n’est point un rêve”. – Élu dix ans après le
pontificat d’Alexandre VI (de la tristement célèbre dynastie des Borgia), le
pape le plus actif au trafic des indulgences a été Léon X (pape de 1513 à
1521), également réputé pour son goût du faste et du libertinage.
Il s’agit d’une pointe ironique sur l’usage du discours clérical qui n’entendait, ou du moins prétendait n’entendre, par le commerce du salut des
âmes, que la négociation spirituelle telle que Bossuet la prêchait ardemment le 25 novembre 1661 dans son “Panégyrique de sainte Catherine” :
« Âmes lâches et intéressées, qui n’employez la science que pour gagner
les biens de la terre, méditez sérieusement qu’un trésor si divin n’es pas fait
pour cet indigne trafic ; et que s’il entre dans le commerce, c’est d’une
manière plus haute, et pour une fin plus sublime, c’est-à-dire, pour négocier
le salut des âmes. »
Iconoclastie : le substantif n’est attesté par Le Grand Robert qu’avec la
mention “av. 1868 (Bürger)” (Iconoclaste, n. et adj., date de 1557 ; iconoclastique date de 1705 ; iconoclasme date de 1832.) Dulaurens serait-il
donc aussi l’inventeur en 1765 de cette forme nominale, comme il le fut de
l’orthographe moderne du mot “godemiché” ?
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35 Pour exemple, hormis les intrigues notoires liées aux Borgia, Benoît XIII
ne fut élu que le 29 mai 1724, alors qu’après la mort de son prédécesseur
Innocent XIII, le 7 mars, les propositions et les jeux d’influences des grandes monarchies auprès du conclave n’avaient pas même retenu son nom :
Pierfrancesco Orsini (Benoît XIII) ne fut intégré puis élu qu’au bout de
deux mois d’échecs et tractations. De même, le cardinal Prospero Lambertini (Benoît XIV), lui-même absent de la liste des cardinaux éligibles après
la mort de Clément XII, ne fut élu par compromis qu’au 255e scrutin après
une crise polémique qui dura près de six mois. Il fallut 52 jours de
pourparlers pour que le cardinal Carlo Rezzonico (Clément XIII) soit élu
pape par 31 voix contre 13. Toutefois, ce sont surtout les premiers siècles
du christianisme qui ont été le théâtre d’affrontements parfois sanglants
pour l’accès au trône de l’Église.
36 Pour les piques à l’esprit des politiques, voir la note 16, chap. II.
37 L’imitateur, la réplique. – Pour usage de ce sens, dans L’Arretin, Dulaurens
compare volontiers les enfants aux singes, notamment dans “L’éducation
des enfants”, article ayant pour sous-titre « Les Dieux ont fait les singes &
les hommes : Pouvons-nous être autrement que nous sommes ? »
38 Coquille dans l’édition originale : « recuillie ».
39 Il faut lire, dans ce passage, une allusion à la dévotion des jésuites (« petits
princes », « cafards ») envers le pape, notamment des jésuites d’Espagne en
référence aux origines de l’ordre. Le terme “cafard”, qui désignait les
hypocrites ou les bigots (Dic. de l’Académie, éd. 1762) était courant pour
qualifier les religieux : « Il en est parmi ces Réverends, qui montrent l’habit
de pénitence & de mortification ; mais qui se gardent bien de laisser voir
leur chemise fine. […] Les plus réjouïssans, à mon avis, sont ceux qui, à la
vue des especes monnoyées, reculent comme à celle d’une herbe venimeuse : Otez, ôtez, se recrient-ils, nous ne touchons point l’argent. O les
Caffards ! Ils n’épargnent pas leurs cinq sens de nature pour les femmes &
le vin. » (Érasme, Éloge de la folie, 1511, maintes traductions et rééd. ;
citation extraite de l’éd. 1731, Amsterdam, Chez François L’Honoré,
p. 156-57) ; « Ma belle étoit là : elle me disoit : tu vois ce gros caffard qui
s’essouffle pour te convertir, son esprit est à la Bastille. » (Maubert de
Gouvest, Lettres iroquoises, 1752, II, Lettre 35)
40 L’auteur italien est en réalité français, en poste à Rome : il s’agit de Gabriel
Naudé (1600-1653), médecin mais surtout bibliothécaire du cardinal de
Bagni, puis du cardinal Barberini, avant d’être attaché à Richelieu, à
Mazarin, puis à la reine Christine. – François Barberini (1597-1679), de
célèbre famille florentine, fut lui-même bibliothécaire du Vatican et
directeur d’une académie littéraire établie par Urbain VIII, son parent. –
Dulaurens appuie son propos sur un passage des Naudæana et Patiniana,
ou singularitez remarquables, prises des conversations, de Naudé, où l’on
173
trouve quelque appréciation sur les mœurs de Barberini : « Les Papes qui
ont eu des Enfans semblent avoir été de meilleurs Papes que les autres. […]
Le Cardinal Borghese qui faisoit tout sous Paul V. n’étoit pas des plus
Saints, cependant il gouvernoit fort bien Rome, & y étoit plus aimé que
n’est aujourd’hui le Cardinal Barberin qui veut paroître être éloigné de tout
vice & seulement homme d’étude & de devotion. » (éd. 1703, p. 105-106) ;
puis peut-être sur le passage qui suit : « Rosetti de Ferrare, jeune homme
qui a environ trente deux ans, il est creature du Cardinal Barberin qui l’a
pris en affection pour lui avoir dédié ses Theses » (p. 107-108).
41 Dans l’édition originale : « lui dit-elle ».
42 Le mot est usité à l’époque mais sans reconnaissance académique. Prévost
d’Exiles est l’un des rares à mentionner “calotin” en 1755 dans son Manuel
lexique, ou dictionnaire portatif des mots françois dont la signification
n’est pas familière à tout le monde (Paris, Didot, Nouvelle édition, I). Les
calotins (ou calottins) sont les membres associés du Régiment de la Calotte,
société badine formée au début du XVIIe siècle à l’initiative de militaires
en mal de distractions, à dessein de mettre en évidence le ridicule de théâtre
puis de cour. Les productions manuscrites ou imprimées de la Calotte
abondèrent jusqu’au milieu du XVIIe siècle (calotte ou calotine désigne
alors une pièce en vers satirique et burlesque), et la société existera de
façon informelle jusqu’aux années 1820. Par extension, le terme va désigner familièrement un « homme fort extravagant », qui « a la tête légère »,
pour reprendre les propos de Jean-François Féraud : « Pendant un temps,
c’était une fureur en France de donner des brevets de la calote, d’enrôler
dans le Régiment imaginaire de la calote, c.à.d., de la folie » (art. “Calotte
ou Calote”, Dictionnaire critique de la langue française, Marseille, Mossy,
1787, p. 344). En référence au nom du petit bonnet rouge que portent les
cardinaux, le mot “calotin” deviendra un terme de dénigrement et d’injure
appliqué aux ecclésiastiques pendant la Révolution. Dulaurens n’est pas
l’inventeur de ce sens péjoratif destiné aux cardinaux, mais l’observation
montre, encore une fois, sa sympathie pour les néologismes et détournements lexicaux carnavalesques. Par ailleurs, notre auteur se moque
abondamment du port de la calotte dans la plupart de ses récits. Ainsi, dans
Le Compère Mathieu : « Lorsque j’eus traversé les Limbes, je tombai sur
une callotte pareille au cul d’une chaudière renversée. Elle me parut de
métal, car ma chute lui fit rendre un son à peu près semblable à celui d’une
poële, que l’on bat pour épouvanter les mouches à miel. Bref, cette callotte
était la callotte du Purgatoire. » (I, 16, p. 347)
43 Tertulien (155-220) et Augustin (354-430) se sont certes illustrés pour leur
sens du questionnement théologique mais ils n’ont pas édicté de règles
d’atteintes corporelles, pas plus qu’ils n’ont fondé d’ordres (Les ordres
mendiants, tels que les récollets ou les déchaussés, se sont seulement
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inspirés tardivement des écrits de saint Augustin). Le goût de la flagellation
attribué ici aux “augustins” renvoie au jansénisme (cf. note 29, chap. III).
Pour le jansénisme, Dieu n’accorderait sa grâce qu’à un nombre prédéfini
d’élus sous condition d’austérité. Cette doctrine va connaître un épisode
d’hystérie à la suite du décès du diacre Pâris en 1727, réputé pour son ascétisme et sa bonté, sur la tombe duquel de nombreux adeptes furent frappés
de guérisons miraculeuses. L’appellation de “convulsionnaires” (hystériques) va alors englober l’ensemble des pénitents jansénistes, convaincus
des bienfaits de la douleur, qui vont procéder jusqu’au début du siècle
suivant à des séances de flagellations et autres souffrances volontaires. Les
observateurs, dont Voltaire, en profiteront pour moquer et discréditer le
mouvement (cf. art. Dictionnaire philosophique).
Ce passage est inspiré d’un épisode anecdotique du pontificat de Jules III
(pape de 1550 à 1555) : « Un jour, ce pontife respectable se tenait tout nu
dans sa chambre à cause de l’extrême chaleur. Deux cardinaux qui voulaient lui parler furent admis à son audience, il les força de se déshabiller
comme lui, et alors il leur dit : “Eh bien, si dans l’état où nous sommes
nous allions dans les rues, ou que nous nous promenassions au champ de
Flore, que dirait-on de nous ?” Les cardinaux lui répondirent : “On nous
prendrait pour des fous ou des fripons.” Sur quoi le pape répliqua : “C’est
donc à nos habits que nous avons l’obligation de n’être pas pris pour des
fripons ? oh, la grande obligation que nous avons à nos habits !” » (Patrick
Graille et Mladen Kozul, “De la monstruosité pontificale, ou Tableau
fidèle des papes de Davisson, traduit par d’Holbach : édition critique”, in
S.V.E.C., 2003, n° 12 [art. p. 33-79], p. 76) Voir le Dictionnaire de Bayle,
art. Jules III, note F, où la pudeur obligée de Bayle ne présente pas le pape
nu, mais en caleçon. (cf. également ici même note 1, chap. XII)
L’auteur utilise plus loin, de façon explicite, la symbolique de la couronne
de chardons (cf. note 10, chap. VII), qui devrait ici être une couronne d’épines.
Coquille dans l’édition originale : « d’une pas majestueux ».
Voltaire nomme ainsi saint Pierre par son nom originel, Simon, affublé de
l’expression latine (déduite de l’araméen) Barjona ou Bar Iona qu’il francise en “Barjone”. À l’origine, la transcription de l’araméen en grec puis en
latin a pu donner un sens différent à des mots eux-mêmes hypothétiques,
rapportés dans l’Évangile par Matthieu (XVI, 17). La version officielle de
l’Église catholique donne à Bar Iona le sens de “fils de Jonas”. Voltaire se
moque donc des interprétations patronymiques ayant attribué à Simon une
filiation dont l’authenticité, à ce jour, fait encore débat. Le nom de « Simon
Barjone » figure ainsi au fil de l’Essai sur les mœurs, de La pucelle
d’Orléans, des Dernières paroles d’Épictète ou encore du Dictionnaire
philosophique. Dulaurens va reprendre cette dénomination de façon fugi-
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tive dans deux écrits : La Chandelle d’Arras (« Ainsi Barjone a vu dans un
festin / Sous tes regards l’eau se changer en vin », IX, v. 202-203) et
L’Antipapisme, où le nom est orthographié “Barjome”. Sachant que l’auteur n’a pu contrôler la typographie de son ouvrage, rédigé à la même
période que La Chandelle, si l’imprimeur n’était pas au fait des écrits de
Voltaire, il a pu commettre une erreur de lecture du manuscrit de Dulaurens
où l’orthographe était certainement la même que dans La Chandelle. –
Simple paronomase, dans Le Compère Mathieu, on trouve un marquis de
Barjolac (I, chap. 4). Pour une explication de ce dernier patronyme imaginaire, apparemment sans rapport avec saint Pierre, nous renvoyons à la
note de Didier Gambert figurant dans la thèse qu’il consacre au roman de
Dulaurens, où l’accent sur les noms en ac et ille confère une dimension
élevée aux jeux de mots les plus fantaisistes : Édition critique du Compère
Mathieu de Henri-Joseph Dulaurens (1766) ; Henri-Joseph Dulaurens,
écrivain, philosophe et polémiste : entre érudition et sédition, Université de
Poitiers, doctorat de Lettres, sous la direction de Mme Nicole Masson, déc.
2008, note 149, p. 31.
Mt, 26, 75.
“Maltôtiers”, terme péjoratif, désigne ici les percepteurs officiels. Quant au
substantif “patron”, il désigne à l’origine le saint protecteur, ou le prélat
disposant d’un pouvoir, ou encore le puissant (seigneur, ministre, général…) sous la protection duquel on se place. Le maître possesseur d’esclaves était également appelé patron. Ce n’est que bien plus tard que la
désignation sera étendue à l’ensemble des chefs d’entreprises.
S’agissant de la dignité de cardinal attribuée à un abbé parvenu, on devine
ici ce que symbolise la pourpre à caresser. Contrairement à ce que l’on peut
lire dans L’Arretin ou Le Compère Mathieu, l’érotisme parfois audacieux
de L’Antipapisme se maintient par l’image au-dessus de la trivialité rabelaisienne.
Le jeune Tithon (L’Iliade), par l’intermédiaire de son épouse la déesse
Aurore, avait obtenu l’immortalité mais pas la jeunesse éternelle ; il fut un
vieillard immémorial. Dulaurens utilise plusieurs fois ce nom allégorique
(orthographié Titon) pour désigner les vieux séducteurs, notamment dans
Le Balai (IV, v. 10 ; XVII, v. 253 ; XVIII, v. 88).
Compagnon de fortune.
L’apostat désigné ici est le pape, considéré comme traître à la foi d’origine.
– Dulaurens a été un moine apostat, mais il n’a jamais abandonné la foi ni
le titre d’abbé et n’a, par ailleurs, jamais été excommunié.
Dans l’édition originale : « servent d’allumette à ».
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55 De façon impropre, on appelle “nourriture des anges” la manne tombée
dans le désert. D’usage, la nourriture des anges est la méditation sur l’écriture sainte.
56 Des trois Grâces (Aglaé la brillante, Thalie la verdoyante, Euphrosyne la
joyeuse), Aglaé est l’aînée. Son nom, dans la même formule (« l’aînée des
grâces »), apparaît souvent au fil de la littérature amoureuse. Rétif de La
Bretonne affectionne cette expression jusqu’à la proposer en index des
noms de femmes célèbres dans Les Gynographes (1777).
57 Coquille dans l’édition originale : « le parois du Temple ».
58 Paphos, du nom de l’enfant que Pygmalion eut de Galatée (Ovide, Métamorphoses, X, 243-297), était la cité favorite de la déesse de l’amour. Il
existait à Paris un café nommé Le Jardin de Paphos, rue du Temple et
temple du jeu, qui devint célèbre pendant la Révolution comme lieu de
ralliements populaires. Dulaurens cède à l’allégorie de Paphos dans plusieurs ouvrages (Les Jésuitiques, IV, v. 21 ; Le Balai, V, v. 107 ; Imirce,
“Épître dédicatoire”, p. 11 ; La Chandelle d’Arras, III, v. 12 et XVII,
v. 114).
59 Autre poncif de la littérature du libertinage, le « fidèle Jasmin » apparaîtra
aussi sous la plume de Sade dans Justine ou les malheurs de la vertu
(1791).
60 Coquille dans l’édition originale : « dont vous m’avez honorée ».
61 La gaine est ici l’enveloppe de l’épée (la gaine, sous-vêtement féminin,
n’apparaît qu’à partir de 1909. Le Grand Robert). – La lamée (orthographiée “lame” dans l’édition originale) est une étoffe ornée d’un fil de métal
précieux (att. dès 1532, id.). Nous laissons à l’appréciation du lecteur les
jeux lexicaux allusifs.
62 Avant de devenir un grand thème amplifié par Nerval, Baudelaire, Hugo ou
Verlaine, l’île grecque de Cythère, dont les eaux avaient vu naître la déesse
Aphrodite et qui devint le symbole des plaisirs amoureux, inspira de
nombreux artistes. Antoine Watteau est ainsi reçu à l’Académie royale de
peinture avec le Pèlerinage à l’île de Cythère en 1717 (l’on crée spécialement pour lui le genre de la “fête galante” ), tableau auquel il donne,
l’année suivante, une réplique intitulée Embarquement pour Cythère ;
François Couperin nomme l’une de ses pièces de clavecin Le Carillon de
Cythère (1722) ; et l’île se trouve bien sûr souvent convoquée par les
écrivains de l’amour (cf. Anne Richardot [sous la dir. de], Femmes et
libertinage au XVIIIe siècle, ou Les caprices de Cythère, Rennes, P. U. de
Rennes, 2003). L’image de Cythère Dulaurens.
63 Dulaurens renvoie à Pietro Aretino, littérateur fécond connu pour ses écrits
obscènes parus au XVIe siècle et souvent réédités au XVIIIe siècle. Il
renvoie aussi à son ouvrage L’Arretin, recueil hétéroclite imprimé en
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Hollande qui connaîtra une première réédition en 1768, puis plus de vingt
jusqu’en 2000.
De cette formule proverbiale probablement composée par l’auteur, il est
difficile de ne pas ouvrir une comparaison avec la Lettre sur les aveugles à
l’usage de ceux qui voient de Diderot (1749) : « l’œil expérimenté d’un
homme fait voir mieux les objets, que l’organe imbécile et tout neuf d’un
enfant ou d’un aveugle de naissance » ; où l’on trouve également : « la
communication est entièrement rompue entre nous et ceux qui naissent
sourds, aveugles et muets. Ils croissent, mais ils restent dans un état
d’imbécillité. » L’ouvrage qui avait valu trois mois de prison à Diderot,
ainsi que la visite de Rousseau à ce dernier assortie de la fameuse “illumination”, n’a pu que séduire Dulaurens, lequel appréciait vivement les
encyclopédistes et Diderot en particulier.
La frontière entre le sacré et le maudit, à élargir entre le spirituel et le
matériel, l’austère et le réjouissant, le moral et le trivial, relève d’un
questionnement rituel de la littérature anticléricale, souvent abordé par
Dulaurens, pas toujours sur le ton de l’humour (voir le passage de la jeune
fille torturée par l’Inquisition dans Le Compère Mathieu, II, chap. 16).
Le parallèle allégorique relatif au livre, depuis la conception jusqu’à la
fabrication et à la destinée, est constant au fil du développement de L’Antipapisme. On y trouvera notamment le terme “reliure” six fois sous forme
de métaphore discrètement filée.
Actéon, chasseur émérite, pour avoir aperçu Diane au bain, fut changé en
cerf au cours d’une chasse puis dévoré par ses propres chiens (Ovide,
Métamorphoses, III, 131-250). Sa tête se couvrit alors de bois de cerf (« la
Couronne d’Acthéon ») que nombre d’auteurs assimilent aux cornes du
cocu. Dulaurens fit un parallèle équivalent dans Le Balai : « Sur un Sopha
je place adroitement, / Près d’Actéon, le Dieu de l’Himenée » (IX, v. 221222), puis dans La Chandelle d’Arras : « Avec Colin Lise gaiement couronne / Son lourd mari des lauriers d’Actéon » (XIV, v. 229-230). Le
cocuage est un thème récurrent chez notre érudit chenapan qui s’en amuse
énormément, la métaphore des cornes devenant une ponctuation littéraire
sous sa plume. Il faut préciser que la matière est fort commune à cette
époque, comme le précise la définition proposée au mot “cocu” dans le
Dictionnaire critique, pittoresque et sentencieux, Propre à faire connoître
les usages du Siecle, ainsi que ses bisarreries (éd. 1768) : « Homme qui a
une femme qui ne lui garde pas la fidélité. Cela devient si commun, que le
mot de Cocu commence à n’être plus une injure. »
Seconde épître à Timothée, IV, 13.
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69 « C’est pourquoi je vous dis que tout péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne leur sera point pardonné » (Matth., XII, 31).
70 Emprunt à Ninon de Lenclos (1620-1705) : « Les instants que vous
emploierez à lire mes lettres seront autant de larcins faits à l’amour. »
(Lettres au Marquis de Sévigné, éd. 1777 : XXI) ; « Toutes les occupations
où l’esprit est appliqué, sont donc autant de larcins faits à l’amour. »
(idem : XLII). Dulaurens rend hommage à cette célèbre courtisane qui
anima l’un des salons littéraires les plus réputés de Paris, et qui fut l’amie
ou la maîtresse de grands auteurs de son temps : « Le Duc d’Orlieu, en ce
siècle, a achevé la révolution dans les mœurs, qu’avoit commencée Ninon
de Lenclos, en l’autre » (Je suis Pucelle, La Haye, 1767, p. 18) ; voir
également Le Balai, II, v. 166-167.
71 On attribue au cardinal de Richelieu quelque penchant amoureux envers sa
propre nièce, Mme de Combalet, qui deviendra duchesse d’Aiguillon. En
1630, devant le roi, Marie de Médicis avait reproché cette liaison à la jeune
femme ; Richelieu n’avait pas démenti. De nombreux pamphlets ont
propagé l’information. Cela n’a pas empêché le cardinal de s’appliquer à
porter sa nièce, précédemment novice chez les carmélites, au plus haut
rang. Réputée pour sa beauté mais aussi pour ses bontés, Marie de
Combalet à été effectivement gratifiée des plus charitables intentions
envers les institutions religieuses et bienfaisantes dont elle a largement
financé ou parrainé les implantations, les œuvres ou les extensions tout au
long de sa vie.
72 D’un même esprit de marquage des générations, dans une lettre destinée à
son ami Groubentall de Linière, Dulaurens alors en fuite adresse ses
compliments aux baronnes de la Vieville et de Villeneuve, sobriquets permettant de camoufler les noms de personnes qui l’ont aidé, probablement
dans le colportage du Balai (Lettre reproduite in Ed. et J. de Goncourt,
Portraits intimes du XVIIIe siècle, Paris, Flammarion et Pasquelle, Édition
définitive [1ère éd. 1856], vol. I, p. 199).
73 Du 04 janvier au 29 mars 1763, faisant suite à Antoine Chevrier, Dulaurens
se fait critique de théâtre et reprend L’Observateur des Spectacles ou
Anecdotes théâtrales, qui semble bien être le premier périodique spécialisé
en ce domaine. Il publie assidûment treize numéros d’un hebdomadaire
imprimé à Amsterdam, où il affine son érudition et montre son intérêt pour
cet art et pour les coulisses des théâtres européens. On retrouve, au fil de
ses écrits et dans L’Antipapisme, de nombreuses références au jeu et aux
coulisses du théâtre, aux à-côtés de ce milieu dont il se plaisait à observer
les acteurs et les talents autant que les potins.
74 Coquille dans l’édition originale : « exercisé ».
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75 “Prévention” dans le sens de “préjugé” (Le Grand Robert, att. 1637). Le
Dictionnaire de l’Académie donne “préoccupation” (1762).
76 Coquille dans l’édition originale : « des ses prodiges ».
77 Le nom de cordeliers fut donné aux franciscains jusqu’à la Révolution, en
raison du cordon qui servait à entourer la taille de François d’Assise et
faisait partie intégrante de l’habit. Le cordon avait (et a toujours) trois
nœuds pour signifier les vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance.
Depuis Thérèse philosophe, où le père Dirrag annonçait à Éradice qu’il la
ferait jouir spirituellement au moyen d’un morceau du cordon de saint
François, l’objet était passé dans le registre érotique (lire, par exemple,
Mirabeau, Le Libertin de qualité, ou Ma conversion, édition revue sur celle
originale de 1783, Paris, Bibliothèque des curieux, 1911, p. 117).
78 Dans cette oscillation satirique récurrente entre le sacré et le maudit, l’auteur tend généralement, par effet comique et parce qu’il considère l’homme
« toujours méchant » (Le Compère Mathieu), à laisser sombrer ses personnages vers les griffes du démon lorsqu’ils sont dans le doute.
79 Il s’agit du mont Pincio, ou colline de la Trinité-des-Monts (qui ne fait pas
partie des sept collines de Rome) ainsi nommée d’après le patronyme de
l’église française qui y fut construite au XVe siècle et qui y trône toujours.
Il y avait alors diverses représentations ordinales.
80 La critique est classique et le sujet récursif, notamment chez Dulaurens, où
l’inutilité des moines est souvent mise en parallèle avec les dérives
compensatrices d’une impossible chasteté. Pour exemple : « Je crois que
l’on peut être chaste sans garder le célibat. Je crois qu’un homme marié est
meilleur citoyen. Je crois que si nos prêtres se mariaient, ils seraient moins
scandaleux, plus dociles, et moins turbulents », déclare Thomas Gordon
dans Le Symbole d’un laïque (1720, texte inclus dans L’Évangile du jour,
ou Profession de foi d’un homme désintéressé, Londres, 1770, T. IV,
Livre 8, p. 39). Exclu de l’Académie française par le cardinal de Polignac,
l’abbé de Saint-Pierre soutenait, selon la formule de Condorcet, qu’il « n’y
avait pas grand mal qu’un habitué de paroisse puisse se marier puisque
saint Pierre l’avait été » (Almanach anti-superstitieux, et autres textes,
1773-1774, éd. Anne-Marie Chouillet, avec la collaboration de Pierre
Crépel et d’Henri Duranton, C.N.R.S. éditions / P. U. de Saint-Étienne,
coll. “Lire le Dix-huitième”, 1992, p. 75-76). Au Concile de Nicée (325),
plusieurs évêques proposèrent d’interdire aux ecclésiastiques de coucher
avec leurs femmes ; mais la proposition ne fut pas retenue. Ce fut à partir
du Concile de Trente (1545-1563) que la virginité fut valorisée. – « L’homme finit où commence le célibataire » : nous n’avons pas trouvé la source
de cet aphorisme, qui pourrait bien être de notre auteur et que nous
poserons en écho à la question du prêtre de Boyer d’Argens dans Thérèse
philosophe : « Suivant la religion chrétienne, il faut tendre à la plus grande
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perfection. L’état de virginité, suivant elle, est plus parfait que celui du
mariage. Or il est évident que la perfection de la religion chrétienne tend à
la destruction du genre humain. Si les efforts des discours des prêtres
réussissaient, dans soixante ou quatre-vingts ans le genre humain serait
détruit. Cette religion peut-elle être de Dieu ? » (éd. de François Moureau
[fondée sur l’exemplaire corrigé réf. Enfer 403 de la Bnf], P. U. de SaintÉtienne, coll. “Lire le Dix-huitième”, 2000, p. 93-94).
En effet, la tutelle ou curatelle, datant du droit romain, interdisait toute
autonomie administrative de l’individu, notamment pour le choix marital,
avant l’âge de vingt-cinq ans. Un édit de mars 1768 défendra toutefois de
prononcer des vœux de religion avant l’âge de vingt et un ans pour les
hommes, et avant l’âge de dix-huit ans pour les filles, sous peine d’illégitimité d’engagement.
La via del Popolo (rue du Peuple) était une rue de prostitution. À une
époque, on imposa même une taxe aux courtisanes pour la faire daller (voir
Jean Lucas-Dubreton, L’âge d’or de la Renaissance italienne, Paris,
Fayard, 1957, p. 205). Fripières est ici synonyme de marchandes. La cartographie est respectée par Dulaurens, qui situe le mont Pincio près de la via
del Popolo.
En argot du XVIIIe siècle, une abbesse est une tenancière de maison de
prostitution (Att. en 1712 in D.D.L.) : « Mon nouvel amant vint souper
avec moi, et débuta par quelques présens. J’ai vécu avec lui assés-tranquile,
quoique je le trompasse presque tous les jours. Je me mis à faire des parties
avec mes voisines, chés des abbesses célèbres, à un louis par-soirée. »
(Rétif de La Bretonne, La paysanne pervertie, Lettre 133, 1784) – Tout ce
qui suit relève de la métaphore prostitution/religion, inspirée de l’initiative
de Sixte IV (pape de 1471 à 1484) qui avait instauré une taxe aux prostituées, prélevée par les prélats. De nombreux auteurs ont rapporté ou satirisé
ce fait, jusqu’à Sade qui rend hommage à « ce pape attentif » dans une note
relative à son voyage en Italie.
Naturellement, il s’agit ici des prostituées. Les authentiques sœurs professes, qui font acte de religion par le rituel de la profession, se prêtent en
réalité à une cérémonie qui comporte la remise du voile, la remise de
l’anneau qui fait d’elles les épouses du Christ, l’imposition de la couronne,
et la prononciation des vœux. Il existe alors trois vœux principaux : pauvreté, chasteté, obéissance. Toutefois, chaque famille religieuse ajoute ses
vœux complémentaires qui peuvent être l’obligation de se consacrer à
l’enseignement chez les ursulines, ou l’obéissance au pape pour les jésuites
tant décriés pour ce fait.
La Suède a connu une suite de guerres au cours des XVIIe et XVIIIe siècles,
dont la Guerre de Trente ans (1630-1648) à laquelle contribua la France.
Les campagnes des guerres suédoises, notamment menées sur le territoire
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prussien, étaient réputées pour l’accessibilité des prostituées aux soldats
des régiments. Chaque compagnie était suivie de son lot de prostituées,
intégrées parmi les fourniments de l’intendance, parfois en très grands
nombre. L’armée allemande traînait ainsi cette réputation de faire suivre
ses troupes de bataillons de prostituées, à quoi répondaient les opposants en
appliquant la même stratégie de maintien du moral de leurs troupes. Ainsi,
« dans chaque régiment de lansquenets allemands, il y avait toujours une
foule de prostituées ; elles étaient placées sous la surveillance d’un officier
appelé hurenweibel » (Erik Gustaf Geyer, Histoire de Suède, Paris,
Imprimerie de Béthune et Plon, 1844, n. 2 p. 315). Au début de la Guerre
de Trente ans, lors de l’assaut donné sur la ville de Landsberg par les
troupes suédoises, la garnison allemande en débâcle, « d’après le calcul des
Suédois, était de cinq mille hommes ; lorsqu’elle quitta la forteresse, elle
était suivie d’un immense bagage et de deux mille cinq cents prostituées. »
(ibid., n. 1 p. 343)
86 Il est établi que la flagellation, depuis l’Antiquité, réveille les sens mollissant. C’est en l’an 1200 que l’on introduisit la flagellation mystique dans
le culte catholique, à l’initiative d’un certain Rainier. Saint Dominique,
dit l’encuirassé, en fut un fervent adepte. Toutefois, « plusieurs princes et
hauts personnages s’étant plaint des scandales auxquels donnaient lieu les
sectes de flagellants et les flagellations particulières, le pape Clément VI
[pape de 1342 à 1352] défendit expressément les flagellations publiques.
Il faut croire que ceux qui avaient goûté du fouet ne pouvaient plus s’en
passer, puisque, malgré les défenses souvent renouvelées, la flagellation
secrète continua toujours. Ce ne fut que bien longtemps après, que les
censures des prélats et les ordonnances de police très sévères abolirent
enfin cette dangereuse et criminelle manie. » (Auguste Debay, Hygiène et
physiologie du mariage, chap. 22 : “De la flagellation comme moyen
aphrodisiaque”, 1848) Dulaurens se réfère peut-être aussi à Thérèse philosophe, où la flagellation active et passive jouait une fonction importante dans l’intrigue. (cf. note 6, chap. XII)
87 Le prénom ou surnom de la maquerelle est ironiquement formé à partir du
mot rosaire, ainsi défini par le Dictionnaire de l’Académie (1762) :
« Grand chapelet qu’on dit à l’honneur de la Vierge, & qui est composé de
quinze dizaines d’Ave, chaque dizaine précédée d’un Pater. Dire son
Rosaire. La Confrérie du Rosaire. » – Cf. note 2, chap. XI.
88 Traditionnellement, quoique non attestée dans les Évangiles autorisés, une
Véronique aurait essuyé avec son foulard le visage du Christ montant au
Golgotha et gardé ainsi l’empreinte du visage martyr. La sainte est
représentée tenant le suaire. Il existe toutefois une autre sainte Véronique
(1660-1727) répondant plus probablement à l’allusion de Pétrisaint : mystique, cette jeune Italienne entre en religion à l’âge de dix-sept ans, puis à
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partir de trente-quatre ans, elle présente les stigmates sanguinolents de la
passion au côté, aux mains et aux pieds, visibles durant trois ans. En
mourant, elle prononce ces mots : « L’Amour s’est laissé rencontrer ! C’est
la raison de ma langueur. Dites-le à toutes : j’ai trouvé l’Amour ! » L’année
suivante, une première biographie sera publiée. Véronique ne sera béatifiée
qu’en 1804 et canonisée en 1839. Dulaurens ne peut alors la qualifier de
sainte, mais il a pu lire une biographie d’elle où l’on mentionnait, après sa
mort, l’ouverture immédiate du procès en vue de sa béatification. C’est
donc logiquement qu’il la présente languissante aux portes du ciel.
Plutôt qu’une allusion à l’ouvrage célèbre de Nicolas Chorier, L’Académie
des dames, ou les Sept entretiens galants d’Alosia, dialogues saphiques
d’apprentissage à l’amour (fin du XVIIe siècle), l’expression est prise par
métaphore pour désigner les talents et ressources d’une recherche érotique,
nuit et jour, bon gré mal gré, à laquelle est obligée de se prêter la jeune
femme. Les « petits Coureurs de bénéfices », ou dignitaires ecclésiastiques,
seraient ses clients les plus assidus.
On joue ici sur l’idée de “contre nature” (antiphysique) et l’on appréciera
l’originalité épuisante des fantaisies et perversions sous-entendues, auxquelles les ecclésiastiques semblaient enclins à s’adonner si l’on en croit le
discours généralement véhiculé par la littérature érotique du siècle.
Coquille dans l’édition originale : « que avons à payer ».
Alexandre VI (Rodrigue Borgia, 1431-1503), privilégié issu d’une célèbre
famille noble et controversée d’origine espagnole, aura suscité la plus vive
indignation dans l’histoire de la papauté. Pie II admonestait déjà sévèrement le jeune cardinal-diacre alors âgé de vingt-cinq ans, pour la dissolution de ses mœurs et pour sa cupidité, ce qui ne l’empêcha pas d’avoir de
nombreux enfants avec plusieurs maîtresses, tous hautement avantagés par
la suite. Sous son pontificat, Alexandre VI ne cessa jamais de céder à ses
passions amoureuses et devint encore père de Jean (1498) et de Rodrigue
Borgia (1502). Certes, il n’était pas le seul ecclésiastique à être père :
d’autres papes et cardinaux ont eu des enfants dont l’existence était connue.
Ce sont surtout ses exactions criminelles, ses perfidies et conspirations qui
donnèrent à Rome, sous son pontificat, la réputation d’un antre aux voleurs
et aux dépravés, dont le pape et son fils César étaient les maîtres. Alexandre aurait eu même pour maîtresse, et compagne d’orgies, sa propre fille
Lucrèce. Pourtant, malgré un activisme familial intense et dispersé, ainsi
qu’une ferveur belliqueuse à la gestion politique et militaire, Alexandre VI
fut respecté des pèlerins et du monde chrétien. Il voua notamment un culte
particulier à sainte Anne et à la Vierge, concédant des indulgences à tout
visiteur d’un sanctuaire de Marie. On ne sache pas qu’il ait construit un
hôtel particulier aux « Invalides de Cythere » (il faut comprendre « aux
impuissants »), mais il s’agit sans doute d’une allusion à l’autel de la
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Vierge, pour laquelle il confirma en 1502 la bulle portant sur l’Immaculée
Conception rendue par Sixte IV (pape qui avait instauré les lieux publics de
prostitution…). Alexandre VI a par ailleurs favorisé les arts, commandé de
grandes et vastes décorations architecturales, et fait édifier l’université
romaine de la Sapienza. De Voltaire à Sade, le XVIIIe siècle retiendra
surtout le népotisme tyrannique et la sensualité outrée de cette figure des
Borgia.
Dulaurens s’autorise ici la personnification de l’île ou cité d’Amathonte en
la jeune femme. Il est rare, en littérature, que le nom d’Amathonte soit
attribué comme prénom à un personnage. On en connaît un exemple furtif
sous la plume d’Angélique Poisson de Gomez (La jeune Alcidiade, 1733).
(Sur la cité d’Amathonte, cf. note 23, chap. I.)
La rumeur.
Pour les hameçons, rappelons que Pierre était pêcheur avant d’être apôtre.
– Pour la « reliure diplomatique », qui inspire à nouveau l’idée de livre, cf.
note 66, chap. III.
Coquille dans l’édition originale : « insensée ».
Dulaurens n’attribue pas forcément quelque connotation péjorative à ces
spécialités du spectacle itinérant ; par contre-pied, l’ironie s’applique aussi
sur le principe du mépris que l’on porte aux exhibitionnistes de la fête,
alors que lui-même les appréciait sans doute pour leur sens de la folie et ne
manquait pas de les mettre en scène comme figures délirantes : « Le P. Du
Plessis, qui était Grand Aumonier de l’Armée, reçut un coup de feu à
l’occiput ; on fut obligé de le faire trépaner : au moment de l’opération, on
vit sortir de sa tête, avec un bruit epouvantable, des Farceurs, des Arlequins, des Parades, & le miracle d’Arras. » (Les Jésuitiques, 1761, in-8°,
éd. de 36 p. [il existe plusieurs éditions de l’année 1761], note p. 34) La
distance donnée ici à “bateleur” se retrouve dans Imirce : « Qui aurait cru
que les enfans de la Mère sotte, les fils du Prince des sots, les neveux des
bateleurs, des jongleurs eussent un jour été les Maîtres de la scène ? »
(p. 170). Sous la plume des écrivains hétérodoxes, il s’applique souvent
aux représentants de l’Église et au Christ. « Il ne faut que deux choses pour
accréditer un prétendu miracle, un bateleur et des femmelettes », déclare le
libertin du Dialogue entre un prêtre et un moribond (1782). La critique se
précise dans Justine : « Exista-t-il jamais un bateleur plus fait pour
l’indignation publique ! » (1791). Elle devient plus acerbe dans l’Histoire
de Juliette : « Voyant enfin qu’il ne meurt pas, on veut enchérir sur le
supplice de l’imbécile bateleur de Judée » (1799).
Dans l’édition originale : « vint se jeter ».
Le nom rappelle celui que l’on donna, en son temps, au jeune homme
Henri-Joseph Laurent, âgé de trente ans, lorsque celui-ci se distinguait en
184
tant que membre d’une académie clandestine de jeunes gens à Douai :
Éloge historique de Messire Jérôme Pantiniano, grand aumônier et membre honoraire de la Fontange (1750). Il s’agit probablement du seul texte
consacré à notre auteur par l’un de ses amis, si l’on excepte bien plus tard
la préface de son ami Groubentall de Linière dans une réédition de 1807 de
La Chandelle d’Arras. Pantiniano/Laurent y est naturellement tourné en
dérision comme personnage plus ou moins consentant de son propre
portrait. (cf. DHS 109, p. 416-422)
100 On trouve, dans Imirce, une « LETTRE du R.P. Anus-Sacrum, Recteur des
Inigistes de la Marche d’Ancule » (Un Inigiste est un jésuite, membre de
cette corporation fondée par Ignace de Loyola). La ville d’Ancône (en
Italie), ou Marche d’Ancône dont le nom est ici biaisé, qui faisait partie des
États de l’Église, avait précédemment fourni l’adresse fantaisiste d’un
recueil anonyme obscène et rare : Recueil de pièces choisies, rassemblées
par les soins du Cosmopolite, À Anconne, chez Uriel B[andan]t, à l’enseigne de la Liberté, 1735. On trouve entre autres, dans ce recueil, quelques
poèmes italiens proches des vingt sonnets de l’Arétin. Est-il utile de
rappeler que le verbe “enconner” était d’usage dans le langage argotique du
XVIIIe siècle ? Entre la mention de cette ville historique au toponyme
ambigu dans la lettre du recteur Anus-Sacrum (Imirce), plus sobrement
rappelée sous la plume d’un Friponini dans L’Antipapisme, Dulaurens aura
peut-être précipité par analogie lexicale l’évolution érotico-littéraire qui
mena de l’Ode à Priape de Piron (« Faites grand bruit, vivez au large ; /
Quand j’enconne et que je décharge, / Ai-je moins de plaisirs que vous ? »,
1710) à la parodie produite par Sade (« Abbés, prélats, vivez au large : /
Quand j’encule et que je décharge, / J’ai bien plus de plaisirs que vous. »
Histoire de Juliette, 1797).
101 Cor. I, VII, 1-40. Dans ce passage, saint Paul ne prétend pas que Dieu lui
avait accordé, à lui, de vivre avec une compagne mais que Dieu avait
accordé ce droit à tous les hommes. Saint Paul se présente en célibataire
ayant choisi l’abstinence.
102 Genèse, II, 185 : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul; je lui ferai une
aide semblable à lui. »
103 Nombres, XXII, 21-33. L’ânesse de Balaam refusa d’avancer sur le chemin
de la perdition et se mit à parler à son maître qui la frappait, afin de lui
ouvrir les yeux de la sagesse.
104 Les pasteurs protestants.
105 Les pasteurs ayant accès au mariage ont toujours été enviés sur ce point par
les religieux catholiques dissidents.
106 Sainte Placide, vierge et martyre au Ve siècle, présumée compagne de
sainte Ursule de Cologne, est patronne des tailleurs, ou du moins elle est
185
leur divinité subalterne (cf. Boyer d’Argens, Lettres Juives, I, lettre P). Ses
reliques ont été réparties dans diverses villes européennes, mais le lecteur
aura compris que le « Reliquaire de Sainte Placide » dont il est question
dans le texte n’est pas à prendre au sens premier. – On peut peut-être
entrevoir ici une allusion aux événements qui se produisirent dans le
couvent de Sainte-Placide à Madrid vers 1628. La plupart des religieuses
qui s’y trouvaient furent prises de possession et le couvent fut soumis à des
pratiques d’exorcisme durant près de trois ans, avant que l’Inquisition n’y
mette bon ordre en dispersant les occupantes. (Calmeil, De la folie, considérée sous le point de vue pathologique, philosophique, historique et
judiciaire, Paris, Chez J.-B. Baillière, 1845, Livre IV, chap. 3, p. 1-7)
107 L’accoucheuse est donc une avorteuse et la dame qui avait « ouvert le
Reliquaire de Sainte Placide à Son Eminence » est enceinte de l’homme
d’église des suites de quelque possession amoureuse. On met alors le fruit
du péché « dans la niche », la niche étant le nom du lieu où l’on conserve
les reliques. Par ambiguïté polysémique, on le renvoie dans le périmètre
d’où il vient : la nichée désignait alors avec mépris plusieurs personnes de
mauvaises mœurs rassemblées dans un même lieu (Dic. de l’Académie, éd.
1798).
108 Dans son Discours de jeunesse portant sur la beauté (1743), notre auteur
renvoyait à un épisode historique de jeune femme jetée dans le Tibre à
l’initiative du pape : « Tulie fille de Ciceron dont le corps fut trouvé entier
à Rome en 1718, que le Pape fit jetter dans le Tibre. » (La vraie origine du
Gean de Douay, p. 33) – Dans La Chandelle d’Arras (1765), Le Tibre est
évoqué sur fond de portrait du pape, dans le même esprit satirique : « Aux
champs du Tibre où l’Aigle des Césars, / Les Dieux du goût, des vers &
des beaux Arts, / De Rome ancienne éternissaient [sic] l’Empire, / S’éleve
un Temple habité par l’orgueil. / Un vieux Mouphti qui ne voit que d’un
œil / Les biens du Ciel, de deux ceux de la terre, / Dans la nacelle où jadis
Simon Pierre / Mangeait son pain trempé de ses sueurs, / Sa main plaça le
faste & les grandeurs. » etc. (XVI, v. 7-16) – L’image de cette femme se
considérant condamnée et jetant ses enfants dans le Tibre à la suite d’un
acte lié à une grossesse fautive, rappelle celle de Rhéa-Sylvia. Vers 770 av.
J.-C., cette jeune vestale accouche des jumeaux Romulus et Remus : ayant
trahi son vœu de chasteté, elle est condamnée à mort et ses enfants sont
alors jetés dans le Tibre où ils auraient dû mourir.
109 Coquille dans l’édition originale : « et parvint aux Galeries ».
110 En dépit de quelques divergences de vues parmi les théologiens, il fut
admis que Madeleine, Marthe et Lazare, hôtes et amis de Jésus, auraient
débarqué en Provence pour y prêcher. Madeleine aurait ainsi séjourné à
Beaume (Beaume signifie caverne, d’où retraite). Après quelques péripéties liées aux ravages des Sarrasins à l’époque médiévale, les restes retrou-
186
vés du corps de sainte Madeleine furent reconnus à Rome sous l’autorité du
pape Boniface VIII en 1295. Le corps de la sainte fut alors conservé un
temps à Saint-Maximin puis il échoua à Sainte-Beaume en 1360, avant
d’être reconstitué au XVe siècle d’une mâchoire manquante jusqu’alors
précieusement conservée à Rome. Comme devant toute relique, des miracles se produisirent, que l’on attribua à sainte Madeleine, au bénéfice de
pèlerins convaincus. Bien qu’au XVIIIe siècle, la tradition de Provence
tendait à être considérée comme une fable, l’on n’allait pas moins chercher
et acheter à Sainte-Beaume quelque souvenir aux vertus garanties. (voir
L’Ami de la Religion, journal ecclésiastique, politique et littéraire, Paris,
1849, T. 141, p. 150-154) La légende de Madeleine, épouse de Jésus, ayant
débarqué en Provence avec sa prétendue fille Sarah qui serait donc la fille
de Jésus, est exploitée dans le très commercial Da Vinci Code (Dan Brown,
2003) en se fondant toutefois sur quelques éléments attestés.
111 Le Parlement de Provence, créé à Aix en 1501, venait alors compléter les
six autres grandes institutions judiciaires d’appel en France, dont le
Parlement de Paris. Ces grands Palais de justice de dernier ressort étaient
composés de magistrats, de conseillers laïcs et religieux, et d’avocats. À la
période d’écriture de L’Antipapisme (1765-1767), aux côtés des Chambres
de seconde audience, on trouvait dans ce Parlement de petites Chambres
des enquêtes, des requêtes, des eaux et forêts… où s’affairaient plus d’une
centaine de hauts magistrats et subalternes, hors le personnel de greffe, de
garde et d’intendance. La compétence de ce Parlement, ainsi nommé parce
que souverain (ses décisions n’étant plus susceptibles de révision excepté
par l’autorité du roi), s’arrêtait aux frontières de la Provence. On y jugeait
en appel les affaires civiles ou criminelles, on pouvait y juger en première
instance certaines affaires politiques, religieuses, ou relevant de privilèges,
on y traitait également du contrôle et des litiges internes au fonctionnement
des tribunaux inférieurs ainsi que des conformités des gestions locales
(polices municipales, réglementations de la santé publique, des mœurs, des
métiers et commerces…). En matière publique, au XVIIIe siècle, les Parlements vont profiter de quelques faiblesses des pouvoirs centraux pour
s’opposer à des décisions du roi, jusqu’à prendre des positions contre
l’autorité pontificale en faveur de l’Église gallicane. Comme toutes les
institutions soumises à l’Ancien Régime, le Parlement de Provence a été
dissous lors de la Révolution. (cf. Monique Cubells, La Provence des
Lumières : les parlementaires d’Aix au XVIIIe siècle, Paris, Maloine, 1984 ;
La noblesse provençale du milieu du XVIIe siècle à la Révolution, Aix-enProvence, Publ. de l’Univ. de Prov., coll. “Le temps de l’histoire”, 2002) –
Une mesure prise par le Parlement de Provence qui a dû séduire Dulaurens
a été la suppression de l’ordre des jésuites en 1763 sur l’étendue de la
région de compétence (Une allusion directe sera faite à ce propos par l’un
des personnages de L’Antipapisme figurant un cardinal du Concile, au
187
chap. IV). Il faut comprendre que Dulaurens n’a connu que la culture de
l’Ancien Régime, ne s’est insurgé que contre les abus de l’Église qu’il
subissait de par sa condition, et contre les abus de privilèges et de pouvoirs
en général, mais qu’il n’imaginait pas une forme de société autre que
monarchique. Ses rébellions allaient dans le sens d’un appel au respect de
l’individu, au droit d’expression, à la liberté de choix de vie, à la tolérance,
mais il admettait pour autant l’existence d’instances autoritaires en
déplorant seulement les excès de ces dernières. Il reconnaissait donc les
mérites d’une autorité lorsque celle-ci s’exerçait sous les auspices de
l’équité ou de la bienveillance. Le Parlement de Provence a pu donner une
telle impression, comme tous les Parlements en raison de leur statut de
Cour d’appel et, par extension, de leur fonction de contre-pouvoir. Cela
n’empêchait pas Dulaurens d’être lucide sur ce qu’est la justice et ses
intervenants, surtout considérés à titre individuel, qu’il ne se prive pas de
fustiger sévèrement dans ses écrits.
112 La bourse de Marseille était bien un lieu d’échanges et de négoces, au
même titre que les bourses européennes, et l’on obtient ici un aperçu des
plaisanteries populaires liées à l’activité de cette institution.
113 Nous avons rectifié le texte de l’édition originale : « lassé des tracasseries
que les billets de confession, les jésuites nous donnent depuis longtemps ».
– Le billet de confession est une attestation délivrée à un pénitent par son
confesseur énonçant que le rituel a bien eu lieu. Certains diocèses ont tenté
de les rendre obligatoires pour toute démarche, dans le but de lutter contre
le jansénisme ou le protestantisme. Dans son Dictionnaire philosophique,
Voltaire les commente ainsi : « Ces billets de confession auraient fait naître
une guerre civile dans les temps précédents ; mais dans le nôtre ils ne
produisirent heureusement que des tracasseries civiles. » (art. “Confession”)
114 Un évêque in partibus (orthographié impartibus dans le texte original)
officie dans un pays occupé par les infidèles. Dulaurens utilise cette appellation à des fins ironiques, les infidèles étant ici les sujets français peu
scrupuleux des usages moraux. On trouve ainsi dans L’Arretin : « Monseigneur… de… paiait à une des Veuves de l’Opera dix mille livres de bénéfice par mois, pour avoir un bénéfice in Partibus qu’elle lu [sic] procura la
troisieme nuit. » (“L’Education des enfans”, I, p. 25-26)
115 Nouvelle évocation de Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, sous
le même qualificatif de bienheureux, avec allusion aux trafics des indulgences.
116 Thémis incarne la justice divine que Dulaurens évoque abondamment.
Ainsi, dans Les Jésuitiques : « Thémis pese aux yeux de la brigue / Leurs
crimes au poids des vertus » (I, v. 29-30), « Thémis par un Arrêt notable /
A de cet Hidre insurmontable / Enchaîné la férocité » (I, v. 105-107),
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« Ah ! Thémis, dans tes mains puissantes, / Brise leurs armes menaçantes »
(II, v. 18-19). Dulaurens l’invoquait déjà huit fois dans le poème de la
Thérésiade (poème en six chants composé à Douai vraisemblablement
entre 1745 et 1760) ; il la signale encore lors d’une description de toile
dans Imirce : « Le théatre représentait le temple de la justice. Themis était
au centre de l’édifice » (p. 376). Au XVIIIe siècle, cette divinité symbolise
souvent la sévérité. Selon l’esprit fort qu’imagine Sade dans son Dialogue
entre un prêtre et un moribond, le royaume de Jérusalem a « été très sage »
de se défaire du Christ : « et c’est peut-être le seul cas où mes maximes,
extrêmement douces et tolérantes d’ailleurs, puissent admettre la sévérité
de Thémis ».
Chapitre IV
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2
Salomon aurait eu sept cents épouses et trois cents concubines qui contribuèrent à sa déchéance. Un portrait truculent lui était également attribué sur
ce point dans Le Balai : « Ce Roi des Juifs qui fut quelque tems sage, / Et
fou longtems, l’immortel Salomon, / A qui le ciel accorda la raison, / Le
bel esprit & l’humaine faiblesse, / Put-il longtems conserver la sagesse ? /
Plaisirs, honneurs, vertus & vérités, / Tout fut pour lui pieges ou vanités : /
Car Salomon aimait la créature ; / Pour obéir au cri de la nature / Il soudoiait huit mille cotillons. / Comptons combien cela fait de tetons, / Dix…
seize mille… oh ! c’est trop pour un sage. / Moi qui suis prêtre, hélas ! dans
mon ménage, / Je n’ai que Jeanne & je me borne à deux, / Non, les gros
biens ne font point les heureux. » (VII, v. 136-150) – Autre considération
de Dulaurens : « Salomon en faisait tous les jours dans son serrail [l’amour
domestique] & trouvait encore le tems de renvoier pleine de bienfaits la
reine de Saba qui était venue en Judée admirer sa vertu & son poil roux.
Son pere avait autant de femmes que le calendrier juif avait de lunes & de
jours ; malgré cette provision le Seigneur Roi en prenait encore chés ses
voisins. » (L’Arretin, “L’utilité des vices”, II, p. 28) Salomon et les femmes
avait déjà été évoqué dans la Vraie Origine du Géan de Douay (p. 23).
Outre de vanter sa sagesse, le XVIIIe siècle, par les voix de Voltaire, Boyer
d’Argens ou Sade, raille volontiers la polygamie forcenée du roi.
La notion de béatitude était ainsi dénoncée depuis longtemps dans un sens
ironiquement hérésiarque, comme l’indique par exemple le titre du pamphlet de Geoffroy Vallée : La Béatitude des chrétiens, ou le Fléau de la foi,
1573, éd. Alain Mothu, Orléans, Éditions Déméter, 2005. – Dulaurens se
moque des béats et béates comme explicité par son narrateur dans Les
Abus : « Je suis étranger sur la terre, mon Roïaume n’est point de ce
monde, la béatitude est destinée aux pauvres d’esprit, tachons d’être
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bienheureux. Les Capucins sont de bonnes gens, il ne faut guères plus
d’esprit pour être Capucin, que pour porter des paquets à la messagerie »
(“Envoi à Monseigneur Christophe de Beaumont”, op. cit., p. 244). Il le fait
avec davantage d’ironie dans sa dédicace “À Monsieur Lewis Bastide”
(L’Arretin, p. v).
Un collège de Doyens du chapitre siège dans toutes les instances ecclésiastiques, et l’on trouve des listes chronologiques de ces dignitaires dans
chaque institution cléricale, le Doyen du Sacré Collège étant le premier
cardinal-évêque. Le Doyennat était une dignité religieuse, y compris à la
faculté, avant de s’étendre aux instances civiles.
« On applaudit des mains » : cette expression était en usage, y compris
dans les siècles antérieurs, avec intention ironique. L’expression d’insistance « applaudir des deux mains » existait également.
Cet hymne grégorien, parmi les plus célèbres, est chanté coutumièrement
lors des réunions d’évêques, cardinaux ou théologiens. On note le sens de
l’exagération comique qui va suivre avec la mise en scène de mille instruments et mille castrats où l’on tente de rendre sur la terre le grandiose
supposé du ciel.
Nous n’avons pas identifié de Paulini contemporain à la période de L’Antipapisme, mais il s’agit sans doute d’un renvoi à l’orateur du IVe siècle,
saint Paulin, évêque de Noie (en Campanie), descendant d’une famille de
sénateurs, et qui s’illustra par ses talents bouillonnants d’orateur demeurés
célèbres et exemplaires.
Les corps de saint Pierre et saint Paul, martyrisés sous Néron, furent récupérés par les chrétiens et inhumés à Rome. Après divers changements de
lieux, leurs restes auraient été restitués en partie au XIVe siècle dans une
châsse richement ornée par le roi Charles V et destinée à l’église SaintJean-de-Latran à Rome. À la fin du XVIIIe siècle, des soldats napoléoniens
ont saccagé et pillé ce lieu sacré. Le pape Pie VII prit alors des mesures
pour que le linge qui entourait le tombeau fût placé dans le reliquaire du
Vatican, au centre de la nouvelle basilique où reposent désormais en partie
les restes des deux apôtres. Une partie des reliques a donc disparu dans des
possessions privées, sans pour autant faire l’objet d’un appel à restitution
par l’autorité religieuse qui admet le principe de telles possessions pourvu
qu’elles appartiennent à des catholiques (voir Marinella Carosso, La
Généalogie muette, Paris, C.N.R.S. Éditions, Maison des Sciences de
l’Homme, 2006, p. 113). À la période où est rédigé L’Antipapisme, les
reliques sont encore à l’église Saint-Jean-de-Latran et au palais du Vatican.
La bulle Apostolicum pascendi a été promulguée par Clément XIII le 7
janvier 1765, réaffirmant solennellement les constitutions de la Compagnie
de Jésus. Un tel repère temporel dans l’écriture laisse supposer que Dulau-
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rens a rédigé son texte peu après la promulgation de cette bulle, soit au
premier trimestre de l’année 1765. – Rappelons qu’une bulle est une lettre
expédiée en parchemin, scellée du sceau pontifical, ayant valeur de décret.
Cf. note 111, chap. III. – L’« Huissier du Parlement de Provence » est désigné par ironie en raison du bannissement des jésuites dans la juridiction,
prononcé en 1763 par ce même Parlement. Cette décision allait alors à
l’encontre des positions que le pape énonçait dans sa Bulle. – L’allusion
peut renvoyer également, par extrapolation, à l’antipapisme ayant siégé en
Avignon au cours des XIVe et XVe siècles (antipapes Clément VII, Benoît
XIII et Clément VIII)
Le chapeau rouge est porté par les cardinaux, le chapeau gris est porté par
les moines franciscains (ou cordeliers) lorsqu’ils sont de sortie. Pétrisaint
menaçait d’investir le cardinal d’un habit de capucin, or les capucins ne
portent pas le chapeau gris. Sachant que les capucins sont une branche
dérivée de l’ordre des franciscains, l’on acceptera que l’auteur, jouant de la
confusion du Sacré Collège, varie les craintes exprimées par les cardinaux
qui pourraient bien être ici dénoncés pour leur piètre connaissance de
l’habit des ordres monastiques, alors que les connaissances de Dulaurens
étaient certainement précises et acquises sur ce point.
Le porteur de crosse est généralement un abbé commissionnaire, qui peut
aussi porter la crosse en tête de procession.
Cette « triple couronne » (appelée telle dans Le Balai, X, v. 294) est souvent moquée par Dulaurens. Les jésuites portaient un bonnet carré à trois
cornes dont Thieriot, l’ami de Voltaire, fit une synecdoque en désignant
leur ordre par “les bonnets à trois cornes”, expression volontiers usitée par
Voltaire lui-même notamment dans Candide.
Coquille dans l’édition originale : « la moindre vestige ».
Chapitre V
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Rappel : la rumeur.
Le dôme est celui de la tour de la basilique Saint-Pierre, haut de 132m, qui
domine Rome, et dont l’ornement fut commencé par Michel-Ange puis terminé par Giacomo della Porta.
Il peut s’agir d’une symbolique de l’ensemble des nonnes, réputées bavardes, en prélude à l’« animal femelle » (la rumeur personnifiée, ou plus
précisément animalisée).
Coquille dans l’édition originale : « qu’ête-svous ».
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La périphrase « qu’importe qu’on en fasse des allumettes, ou qu’elles servent d’enveloppe à la chevelure de quelque jeune Abbé mitré » se traduit
par : « qu’importe qu’on y mette le feu, ou qu’elles servent de papillotes à
quelque jeune abbé ambitieux », les papillotes étant des bouts de papier
découpés que l’on plaçait dans la chevelure pour friser les mèches, et donc
au figuré pour se valoriser dans l’échelle des classes et des fonctions –
L’expression proverbiale n’être bon qu’à faire des papillotes se disait d’un
écrit sans mérite, d’un papier sans valeur. Dulaurens pense manifestement
ici à l’anecdote affligeante de Molière, qui avait commencé la traduction de
Lucrèce en vers dans sa jeunesse, et qui vit son manuscrit réduit en papillotes par l’erreur d’un domestique voulant régénérer les boucles d’une perruque. De colère, Molière aurait mis le reste au feu.
Allusion autobiographique : comme nombre de ses condisciples d’infortune
littéraire, Dulaurens a passé sa vie à fuir la persécution après la publication
de ses écrits, lesquels, pour beaucoup, furent condamnés à l’autodafé avant
d’être réimprimés. Nous rappelons que le livre, allégorique par sa portée ou
emblématique par son évocation matérielle, demeure en filigrane de L’Antipapisme, toujours par rapprochements imagés en fondus enchaînés.
Les philosophes, ici marginaux ou muselés, seront plus bas symbolisés en
un « sublime Enfant de la raison, […] Ange exterminateur de l’ignorance
& de tous les sacrés Tyrans qu’elle couronne » (VI, p. 86).
Chapitre VI
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Le coq.
Avec Isaï et Ézéchiel, Jérémie (v. 650-585. av. J.-C.) est l’un des grands
prophètes de l’Ancien Testament. On lui attribue le Livre de Jérémie et
celui des Lamentations. La mission qu’il dut assumer s’est muée, selon ses
confessions, en un cri de douleur lorsqu’il eut à prévenir de la chute du
royaume de Juda. Il traversa cette période dans le malheur et la persécution,
tentant en vain de convaincre les dirigeants de leurs erreurs. Dulaurens met
ici en scène les déchirements du prophète, connu pour avoir maudit ses
visions, annonciatrices de malheur, alors qu’il ne souhaitait s’occuper que
du bien des hommes.
Néologisme pour “qui s’écartent de la doctrine reçue”, l’adjectif ne figurant
pas plus dans Le Grand Robert ou le TLF que dans les dictionnaires
d’époque. On l’utilisera à discrétion à partir du XXe siècle.
Le bataillon carré est une formation de combat d’infanterie connue depuis
l’antiquité, toujours en vigueur dans les batailles du XVIIIe siècle puis dans
les guerres du XIXe siècle, prévue pour faire front sur les quatre côtés.
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La vengeance de Dieu s’exprimera donc par la voix des lettrés, symbolisée
en oiseau de guerre des philosophes. On s’étonnera cependant du choix des
noms, ici évoqués dans la disparité pour leur appartenance au monde intellectuel et scientifique. – François Bacon (1561-1626), baron et chancelier
britannique, qui a eu l’intuition de l’attraction terrestre avant l’heure et qui
est à l’origine de la méthode expérimentale, ne figure pas parmi les références habituelles de Dulaurens ; Lord Bolingbrocke (1678-1751), homme
d’État britannique présenté comme philosophe déiste (pour lequel Voltaire
avait rédigé une Défense [1753] ), a peu de choses à partager avec Pierre
Bayle (1647-1706), bien connu pour son Dictionnaire pré-encyclopédiste
et ses inclinations militantes pour la tolérance ; John Locke (1632-1704),
de grande influence sur l’esprit des Lumières, est parfois évoqué par
Dulaurens mais peu approfondi et pas forcément suivi dans ses Pensées sur
l’Éducation (1693) ; Descartes (1596-1650), Newton (1642-1727), Montaigne (1533-1592) et Leibniz (1646-1716) sont davantage représentés,
notamment les deux derniers parmi les documents de référence de l’auteur
dans Le Portefeuille d’un Philosophe. Dulaurens se laisse ainsi souvent
porter à une énumération illustrative ou critique. E.g : « La vérité n’est
point pour le vulgaire, / Son jour serein est le ciel de Voltaire, / A son
flambeau Bayle ornait ses écrits : / Collins, Charon, Montaigne, Maupertuis, / Et Montesquieu par leurs écrits célebres / Ont dissipé les épaises [sic]
ténebres, / Qui la cachaient aux souhaits des mortels » (Le Balai, XVI,
v. 117-123) ; « les Philosophes de tous les tems ont fait des Disciples &
non des enthousiastes : Descartes, Newton, Locke, ont fait des Sectateurs
mais aucun de d’eux [sic] ne s’est fait égorger, pour soutenir le mécanisme
des tourbillons, ou l’existence du vuide, ou les loix des l’attraction [sic], ou
la fausseté des idées innées. » (Le Compère Mathieu, II, p. 83).
Après le déluge, Noé envoie la colombe, qu’il gardait dans une cage, vérifier si la terre resurgit des flots. Le huitième jour, la colombe revient avec
dans son bec un rameau d’olivier. (Gen., 8, vs. 11) – Le « dernier du trio »
confirme l’incarnation du Saint-Esprit en la colombe. Il n’est pas surprenant que Dulaurens représente ses entités fantasmagoriques dans des
figures d’oiseaux rendus surnaturels, il suit en cela l’imagerie antique et
médiévale. Le voyage aérien, souvent enchanté, illustrait fréquemment ses
envolées oniriques. Sur la symbolique des oiseaux, cf. ci-après note 12.
Peut-être faut-il voir là une allusion aux épisodes de la Genèse où Dieu
attribue aux peuples différentes langues (11, vs. 1-7) et désigne, par la
bénédiction du vieil Israël qui impose ses mains sur la tête des enfants de
Joseph, les futures générations en la personne d’Éphraïm, cadet de
Manassé, cela contre l’usage du droit d’aînesse (48, vs. 14-19). Les « soit
disants [sic] Compagnons de Jesus » seraient alors les Juifs.
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Mahomet inspiré par l’ange Gabriel (vers 610), ici assimilé au Saint-Esprit,
qui l’investit d’une mission divine.
Coquille dans l’édition originale : « d’un parure ».
Coquille dans l’édition originale : « oscurcie ».
San Pao (trois trésors, en chinois) désigne une figure de Bouddha à trois
têtes. Plusieurs divinités païennes, notamment en Asie, étaient ainsi présentées avec trois éléments accréditant l’idée d’une forme de trinité antérieure
à celle des chrétiens. La question de la trinité est souvent débattue par
Dulaurens, spécialement dans Le Compère Mathieu (II, 24, p. 376-388).
L’auteur reprend ici, en négligeant de le référencer (mais nous savons qu’il
s’autorise parfois cette liberté elliptique sans pour autant chercher à
s’approprier le texte d’autrui [cf. DHS 109, p. 224-229] ), un passage
maintes fois évoqué du père dominicain Fernando Navarrete (1618-1686),
publié dans le Tratados historicos, politicos morales y religiosos de la
Monarquia de China (Madrid, 1676). Ce passage a été mentionné notamment dans l’Abrégé de l’Histoire générale des voyages de La Harpe : « La
fameuse idole appellée San Pao, qu’on a voulu faire passer pour une Image
de la Trinité, est, sans ajouter ni retrancher, semblable à celle qui est sur le
Grand Autel du Couvent de la Trinité à Madrid. Il n’y a point de Chinois,
qui en la voiant ne dît aussi-tôt que nous adorons dans le Roiaume d’Espagne le San Pao de son Païs. » (reprod. et trad. ici d’après Maturin Veyssière
La Croze, Histoire du christianisme des Indes, IV, éd. 1724, p. 331) – À
propos de l’Épître aux Corinthiens. Précisément : « Maintenant donc ces
trois choses demeurent : la foi, l’espérance, la charité ; mais la plus grande
de ces choses, c’est la charité. » (Cor., I, XIII, 13, comme référencé par
l’auteur)
L’iconographie chrétienne présente fréquemment de grands oiseaux se
chamaillant dans le ciel, que l’on retrouve en estampilles, culs-de-lampe ou
ornements divers d’ouvrages théologiques, voire marques d’imprimeurs,
symbolisant à la fois les conflits spirituels (la prise de bec) et la bataille des
forces célestes qui les sous-tendent, mais aussi l’élévation de l’âme. Les
oiseaux sont souvent l’illustration de mauvais présages.
L’ordre de la Trinité, fondé en 1194 par Jean de Matha (1150-1213), avait
pour vocation de racheter les esclaves chrétiens captifs en terres païennes.
Diverses expéditions pacifiques au Moyen-Orient et en Afrique, notamment en Barbarie (Afrique du Nord), menées par Matha et ses compagnons,
ont ainsi permis de ramener des centaines de prisonniers libérés sur simples
négociations. Ce sont ainsi des trinitaires qui ont racheté in extremis la
liberté de Miguel de Cervantès en 1580, alors qu’il était détenu en Algérie
depuis cinq ans et partait aux galères. Après un certain repli pour la
communauté de France, cet ordre a retrouvé quelque vigueur au XVIIe
siècle. – Le 4 novembre 1736, Dulaurens est reçu en tant que clerc dans la
194
communauté des trinitaires, également appelés mathurins (du nom d’un
couvent parisien attribué à la confrérie près d’une chapelle dédiée à saint
Mathurin) ou frères aux ânes (en désignation de la monture habituelle pour
leurs premières expéditions), ce qui lui vaudra plus tard d’être qualifié avec
mépris de mathurin défroqué, par la critique et par Voltaire dans sa correspondance. En effet, peu avant ses 42 ans, date de sa fuite de Paris pour la
Hollande, Dulaurens abandonne l’habit de moine mais pas celui d’abbé. Ce
qu’il pensait de cet ordre, auquel il reprochait surtout le cloître, la branche
contemplative et l’intransigeance, apparaît dans un article de L’Arretin où
l’auteur souligne que dans le calendrier « des Mathurins on avertit au mois
de Mai de faire saigner les ânes ; sans doute que ces Moines qui sont les
freres aux ânes se faisaient saigner de compagnie avec leurs camarades. »
(“Le Breviaire Romain”, I, p. 129-130) – À décharge de Dulaurens : « on
trouve dans un registre de la Chambre des Comptes à Paris, de l’an 1339
[…] que les religieux du couvent de Fontainebleau y sont appelés les
Freres des ânes de Fontainebliaut. » (R.P. Helyot, Histoire des ordres
religieux et militaires, Paris, Chez Louis, libraire, nouvelle éd. 1792, vol. 2,
chap. “De l’ordre des trinitaires”, p. 312-322)
14 François d’Assises avait 25 ans en 1206 lorsqu’il fut saisi par la grâce. Son
esprit de missionnaire itinérant s’accompagne d’une attitude chevaleresque
et courtoise. Avec ses douze premiers acolytes, il se compare au roi Arthur
et aux chevaliers de la Table Ronde. Son modèle est Charlemagne, sa
mission est celle d’un conquérant. Dans sa jeunesse, il s’était engagé parmi
les rebelles qui prirent d’assaut le château-fort d’Assises où se trouvaient
les troupes impériales. Alors qu’il défendait sa commune, les siens furent
vaincus dans la bataille du Pont-Saint-Jean sur le Tibre. Il fut fait prisonnier et enfermé dans un cachot. Il se fit ensuite commerçant. Bon cavalier,
il rêvait d’adoubement mais sa bonté et sa dévotion guidèrent ses pas tout
en lui préservant un charisme qu’il transmit à ceux de son ordre. L’image
donnée par Dulaurens respecte l’esprit initial du saint tout en comparant
symboliquement les agissements de l’ordre franciscain, à la marche d’une
armée déterminée. (Sur François d’Assises, cf. également note 2, chap. III)
Chapitre VII
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Rappel : la rumeur.
Dans l’édition originale : « la suivait ».
Coquille dans l’édition originale : « les rendait ».
Argus, ou Argos, géant mythologique auquel on attribue quelques exploits
libérateurs, avait cent yeux. Héra lui confia la surveillance de la jeune Io,
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maîtresse de Zeus changée en génisse. Zeus fit toutefois délivrer Io en
envoyant Hermès endormir Argos et le tuer, selon l’une des versions de la
fable grecque. Héra répartit alors les yeux d’Argus sur la parure du paon,
son oiseau favori. – Si l’auteur désigne cet oiseau fabuleux, à l’image du
paon quoique composite, en tant qu’« animal femelle », c’est parce qu’il
l’associe à la Rumeur et aux jacasseries des religieuses qui favorisent la
rumeur.
Dulaurens a poussé la curiosité jusqu’à se pencher sur des éléments de
science, qu’il rapporte parfois à travers le discours savant de certains de ses
personnages : « une Hypothese ne peut servir de principe fondamental &
certain à la démonstration de la possibilité d’un Fait, encore moins d’un
Mystere tel que celui de l’existence du Corps de J. C. dans l’Eucharistie.
l’Hypothese sert seulement à interprêter un Fait, de la réalité duquel l’on
est invinciblement convaincu. C’est ainsi que Descartes expliquoit une
Expérience par le moyen de la matiere subtile ; Gassendi par celui des
atômes & du vuide, Newton par celui de l’attraction &c. Pour qu’une
conséquence possible soit évidente, il faut que le principe le soit de même :
or nous n’avons aucun principe évident qui établisse la possibilité du
passage d’un Chameau par le trou d’une éguille. » (Le Compère Mathieu,
II, 23, p. 371-372) Le principe de l’expérimentation scientifique sous la
plume de Dulaurens (porté notamment par le personnage de père Jean), audelà du burlesque fantaisiste d’une écriture habituellement contestataire ou
systématiquement satirique, est avant tout fondé sur une recherche de la
vérité.
“Emblème” est masculin. Toutefois, “une emblème” était toléré dans la
littérature : « quoiqu’elle ait tout ce qu’il faut pour être une emblême excellente, ou un symbole plus admirable que l’emblême la plus ingenieuse »
(Dominique Bouhours, Les entretiens d’Ariste et d’Eugène, Paris, Chez la
Veuve Delaulne, 1734, p. 348) ; « Devise, se prend maintenant en un sens
plus étroit & signifie, une emblême » (Furetière, Dictionnaire universel, La
Haye, éd. 1727).
Dans la mythologie de la création du monde, le Chaos engendre la Nuit et
l’Érèbe, lequel est un gouffre insondable où demeure la mort, lieu de passage que traversent les âmes des défunts dans le monde souterrain. « Un
lustre avant que l’Ebere [sic] vomit / Ces fiers soudarts que la danse
séduit, / Sur tes foyers l’ennui tombait à verse » (La Chandelle d’Arras,
XIII, v. 86-87 [l’édition originale de 1765, comme celle de 1807 calquée
sur la première, comporte une coquille pour l’Érèbe] ).
L’auteur désigne la Sorbonne.
Expression péjorative largement en usage, à prendre à la lettre ou au sens
figuré : « Depuis que j’avois rompu avec Mr. le Comte, je trotois toute la
journée comme un coureur de bénéfices pour voir des curiosités & semer
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des Testons [ancienne monnaie] » (Fougeret de Monbron, Le Cosmopolite,
op. cit., p. 49).
On décernait une couronne de chardons aux livres jugés mauvais. Cet usage symbolique était propre à la critique littéraire.
Lacet dans le sens de piège, ou sophisme. « Jean-Jacques fait des lacets
dans son village avec les montagnards; il faut espérer qu’il ne se servira pas
de ces lacets pour se pendre. » (Voltaire, Lettre à d’Alembert, 18 janvier
1763)
Nicolas Antoine Boulanger, Recherches sur l’origine du despotisme oriental. Ouvrage posthume. Cet ouvrage, publié une première fois en 1761 à
l’initiative du baron d’Holbach puis plusieurs fois réédité, propose une
réflexion virulente sur les origines et le maintien du despotisme en Orient
afin de mieux en combattre les formes restantes en Occident. Il y est fait
l’éloge de L’esprit des lois de Montesquieu. Dulaurens appréciait les écrits
de Boulanger au point de conserver dans son Portefeuille (VI) une copie de
l’article “Déluge”, du même auteur, figurant dans L’Encyclopédie.
L’Église.
L’Inquisition.
Rappelons que L’Antipapisme est signé Brise-Crosses, utilisé pour la première fois parmi les pseudonymes d’Henri-Joseph Laurent. Nous nous
autorisons à penser que ce choix, à connotation guerrière, ne relève pas de
l’initiative de notre auteur, mais qu’il vient du correcteur de son ouvrage,
en réplique et pour ultime pied de nez à la sentence d’emprisonnement
perpétuel qui venait d’être prononcée contre Dulaurens (le 31 août 1767).
La redoute est une petite fortification. Au XVIIIe siècle, c’est également le
lieu où sont données des fêtes populaires.
Curieusement, cette expression nominative (« légion philosophique »)
semble avoir été très peu usitée dans la littérature antérieure au XIXe siècle.
On la trouve dans un rare ouvrage tardif de Giovanni Marchetti, traduit de
l’italien : « si les Maçons n’avoient eu d’autres soldats que ceux de la
légion philosophique, l’Eglise auroit bien moins souffert de la persécution
à laquelle elle a été livrée, et elle se seroit acquise des droits d’autant plus
grands à la reconnoissance et à l’amour des souverains, qu’elle auroit
combattu plus vivement la philosophie. » (Qu’importe aux prêtres ? ou
L’intérêt de la religion chrétienne dans les grands évènemens politiques de
nos jours, Christianople, 1797, p. 98.)
La phalange, ou corps d’infanterie, qui peut être simple, double ou multiple, est ici symboliquement triple suivant le chiffre fétiche de la satire de
Dulaurens en référence à la trinité : 13 occurrences de l’adjectif “triple”, 23
de l’adjectif numéral “trois”, 12 de l’adjectif ordinal “troisième”, ainsi
qu’une du verbe “tripler” dans le texte de L’Antipapisme.
197
19 Il s’agit du général de l’ordre des jésuites, désormais déchu et donc digne
de porter la couronne du vaincu.
20 L’idée de remplacer les institutions religieuses par des établissements civils
utiles à la nation est un poncif de la littérature anticléricale du siècle,
abondamment exploité par Dulaurens dans d’autres ouvrages. (e.g. les
articles “L’Agriculture” et “La Réforme des Eglises” dans L’Arretin)
Chapitre VIII
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Coquille dans l’édition originale : « dans sa profondeur ».
Le pape (Pierre ayant été considéré comme le premier pape).
« marchent » dans l’édition originale.
Si Dulaurens parle du traité Du destin de Cicéron, qui nous est parvenu en
lambeaux et comporte de grosses lacunes, le chapitre XLII a été perdu.
Dieu seul sait donc ce qu’il contenait. En revanche, il existe, au chapitre
XVIII de cet ouvrage, un sous-chapitre n° 42 (seul sous-chapitre numéroté
42) d’où nous extrairons ceci : « Chrysippe […] revient à son cylindre et à
sa toupie, qui ne peuvent commencer à bouger que si on les a poussés.
Mais une fois qu’on les a poussés, c’est ensuite par leur propre nature que
le cylindre roule et que la toupie tourne. » Retenons plus généralement que
« Toutes choses ont lieu selon le destin ; ainsi parlent Chrysippe au traité
Du destin, Posidonius au deuxième livre Du destin, Zénon et Boéthus au
premier livre Du destin » (Diogène Laërce, Vies, Doctrines et sentences des
philosophes illustres, VII, 149).
Le suicide de Lucrèce (v. 509 av. J.-C.), en réponse au déshonneur familial
alors qu’elle fut violée par un fils du roi Tarquin, a été à l’origine de la
chute du régime monarchique romain. Cette figure historique a inspiré
notre auteur pour une “Histoire de Lucrèce”, dont il ne retient que le nom
et le sens de la pureté, dans le recueil d’Imirce : « Lucrece était trop jolie
pour soutenir l’idée romanesque que nous donnons à la fable ancienne de
son nom » (p. 247). Il faut préciser que Dulaurens a toujours été très sceptique sur la virginité des jeunes filles prétendues telles avant le mariage.
Les noms des songes sont fantaisistes. Rosifer, vêtu d’un habit de roses, est
dérivé de la racine latine en rapport, sur le modèle de Mellifer (littéralement : qui produit du miel) et de Bellifer (qui amène la guerre, belliqueux,
guerrier). Quant à Suador, qui porte un habit de lys et une couronne
d’olivier, symboles de puissance et de gloire, il peut être inspiré du latin
suadeo (persuader, conseiller, recommander) ou suasor (celui qui conseille), déformé par jeu de mots (sua d’or). Les consonances rapprochées à
celles de Lucifer et Belphégor sont sans doute voulues, Dulaurens n’ayant
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jamais considéré les diables comme des figures si terrifiantes, contrairement aux représentations propres à la coutume religieuse (voir Le Compère
Mathieu, I, 17).
Chapitre IX
1
Dulaurens a révélé son attrait de l’insolite et du mystère par les notes et
documentations variées que l’on a préservées dans son Portefeuille d’un
philosophe. C’est ici la première fois qu’il évoquerait la bête du Gévaudan,
aucune note à ce propos ne figurant dans ses écrits. L’affaire était cependant contemporaine à la période d’écriture faste de Dulaurens. La première
attaque mortelle recensée pour cette bête date du 30 juin 1764. L’affaire fut
officiellement close le 20 septembre 1765 par l’abattage d’un loup de grande taille, naturalisé et envoyé à Versailles. Les attaques reprirent toutefois à
partir de décembre de la même année, faisant de nombreux morts en 1766
et durant le premier semestre de 1767, en dépit de nombreuses battues
locales. Le 19 juin 1767 au cours d’une chasse, un dénommé Jean Chastel,
homme peu sociable (vivant dans la forêt et précédemment suspecté
d’avoir lui-même dressé la bête, avant d’être relaxé), abat un animal
d’apparence canine pouvant être une espèce de loup ou bien un hybride. À
compter de cette date, les attaques cessèrent. Les rapports officiels de
l’époque décrivant l’état de l’animal mort mentionnent que son pelage,
traversé de quelques bandes noires, était d’un gris roussâtre proche de celui
du chevreuil. Dans l’ensemble, même si la description générale pourrait
faire penser à celle d’une hyène, les détails abondent pour infirmer cette
hypothèse. On ignore d’où l’auteur de L’Antipapisme a pu puiser l’idée
qu’il s’agissait d’une hyène, sinon dans la rumeur. Buffon et Voltaire ne
parlent que d’un loup, selon la version officielle de septembre 1765. Quant
à l’hypothèse la plus répandue, elle fait plutôt état d’un animal croisé entre
chien et loup. Si l’on ne connaît pas, en 1765, de documents largement
distribués mentionnant une hyène pour cette affaire, il existe cependant au
moins une pièce attestant effectivement d’une telle rumeur, en date du 26
mars 1765 : « Ledit sieur syndic a dit encore qu’il n’est aucun membre de
l’assemblée qui ne soit vivement touché des malheurs causés par la bête
féroce qui ravage depuis environ huit mois le Gévaudan ; que cette cruelle
bête, sur l’espèce de laquelle l’on est encore incertain, les uns l’ayant prise
pour une hyène, les autres pour un loup, avec lequel il semble en effet
qu’elle a le plus de rapport, d’autres enfin pour un monstre, a déjà fait périr
dans le pays vingt-six personnes, et en a blessé un plus grand nombre,
indépendamment des désastres arrivés en Auvergne et en Rouergue »
(Reprod. d’après de Burdin, Documents historiques sur la province de
199
2
3
Gévaudan, Toulouse, L. Chapelle, 1847, II, p. 126-127). On relèvera cette
coïncidence : Dulaurens a été condamné à la réclusion à perpétuité (le 31
août 1767) après avoir été contraint d’abjurer ses erreurs et de renier ses
publications dans un texte rédigé en latin en date du 19 juin, le même jour
où la bête fut tuée.
Coquille dans l’édition originale : « & d’exorcismes perdus ».
Coquille dans l’édition originale : « des ces eaux ».
Chapitre X
1
2
3
4
5
6
7
8
9
Coquille dans l’édition originale : « des tous côtés ».
Coquille dans l’édition originale : « elle s’aperçut ».
Dulaurens avait le don de la formule comique expéditive comme il avait
celui des vérités universelles. On trouve ainsi dans Le Balai : « L’an trente
deux Jeanne naquit pucelle » (XII, v. 1), ou bien encore, sous la forme
comparative : « Comme un éclair, ou comme un pucelage / Le vieux Girard
disparut à leurs yeux. » (Op. cit., XIV, v. 281-282); « Godemiché comme
un Papillon volage ou comme un Français voltigea de Nonnes en Nonnes »
(L’Arretin, “Histoire merveilleuse & édifiante de Godemiché ”, II, p. 216)
Il y aurait ainsi de quoi composer un épais recueil de bons mots à partir de
ses écrits.
On peut voir là une allusion à Matthieu (III, v. 7-12), décrivant JeanBaptiste s’adressant aux Pharisiens et leur signifiant la menace d’être
désavoués et remplacés par d’autres : « Déjà la cognée est à la racine de
l’arbre » (v 10). Dans notre texte, la menace est mise à exécution, et même
précipitée.
Dans l’édition originale : « il se renversa lui-même ».
Sans doute une image distordue des Rois mages chargés de présents, ici
empoisonnés, qui vont vite se révéler en ennemis perfides et avides de prise
de pouvoir. – Coquille dans l’édition originale : « des couronnes fendues ».
“Ils se partagent mes vêtements, et ils tirent au sort ma tunique”. (Livre des
psaumes, XXII, 19)
Le cauchemar du pape renvoie au grand schisme de 1378 où la papauté se
divisa après la mort de Grégoire XI et où l’on vit un antipape (Clément
VII) proclamé en Avignon, parallèlement au pape Urbain VI élu à Rome.
Ce dixième chapitre ouvre donc la première évocation directe de l’antipapisme historique.
Le premier personnage onirique, voleur du sceptre, symbolise donc l’inspiration de l’antipapisme avignonnais (1378-1417). Le deuxième personnage,
200
qui prit la triple couronne, marque les débuts de la Réforme luthérienne qui
a gagné à sa cause de nombreux princes allemands (à partir de 1522). Le
troisième personnage, ayant privé le pape de tout pouvoir, annonce le
danger d’une scission au Nouveau Monde, à la suite des troubles causés par
les missionnaires que l’on suspectait d’envisager l’indépendance.
Chapitre XI
1
2
3
4
L’image se rapporte sans doute à l’une des nièces du cardinal de Bernis,
probablement la marquise du Puy-Montbrun, qui faisait à Rome les honneurs des conversations de son oncle et lui servit de secrétaire rédactrice
pour ses mémoires. Elle devait être âgée de moins de vingt ans à la période
de référence de Dulaurens, qui s’autorise quelque débordement d’appréciation sur le comportement supposé de la jeune fille vis-à-vis de son parent.
Il faut lire ici l’antonomase italianisée d’un prénom communément utilisé
comme nom de guerre par les prostituées du XVIIIe siècle. – Pour rapprochement, cf. note 87, chap. III.
La formule traduit les élans printaniers : « il respirait le doux parfum de la
violette, la fille ainée du printems. Tous ses sens étoient enyvrés de délices ; tout chagrin fut banni de son cœur. » (François Arnaud Prévost,
Journal étranger, Allemagne, “Obidah”, 1760) – Pour Paphos, cf. note 58,
chap. III.
Dans l’édition originale : « de placets et des requêtes ».
Chapitre XII
1
Pour sa note de bas de page, l’auteur revient à Jules III, évoqué pour l’épisode de la réception dénudée (cf. note 44, chap. III). Ce pape, à la réputation d’homme voluptueux, coléreux et particulier, avait effectivement une
prédilection pour un jeune garçon fort laid, trouvé bouffonnant avec un
singe dans la rue, et qu’il finit par nommer cardinal sans administration à
l’âge de dix-sept ans, ce qui souleva l’indignation de tous. (Voir Bayle, op.
cit.) – Notons par ailleurs que le bénéfice attendu de la flagellation à travers
ce passage de L’Antipapisme est proche de conclusions équivalentes figurant dans le Mémoire pour Abraham Chaumeix (Amsterdam, 1759) qui fit
grand bruit en son temps et que l’on peut sans risques attribuer à notre
auteur (cf. DHS 109, p. 378-397) : « Le nouveau pédagogue fit des merveilles : ce qu’il retenoit le mieux, c’étoit les moyens par lesquels il étoit
parvenu à savoir lire : il rendit tous les coups de verges qu’il avoit reçus, en
201
2
3
4
prononçant gravement quelque adage sur le derrière écorché du jeune
patient, ce qui sert tout à la fois à fermer la playe, & à ouvrir merveilleusement l’esprit : demandez-le encore aujourd’hui à Mr. Chaumeix, qui en a
vu l’expérience sur lui-même pendant huit ans, & sur ses éleves pendant
treize. » (Mémoire… in Le Portefeuille d’un Philosophe, I, p. 46)
Dans son Candide, Seconde partie (1760), Dulaurens laissait apprécier au
héros les bienfaits d’une fustigation honorifique : Candide devint le favori
d’un roi excentrique qui le gratifia, honneur suprême, d’une cinquantaine
de coups de nerf de bœuf sur la plante des pieds, à titre de démonstration de
confiance, fort jalousée des courtisans (chap. III). La flagellation consacrée
est encore évoquée dans Le Compère Mathieu, où sont énumérées nombre
de sectes aux rites les plus saugrenus : « Si les Caïnites, par exemple, les
Carpocratiens, les Valesiens, les Christiens, les Eonites, les Flagellans, les
Guillemetelins, ainsi que les Dulcinistes, les Bégards, les Bisoques, les
Hesicastes, les Turlupins, & autres Fous ne se sont point soutenus jusqu’à
ce jour, ce n’est point que leurs principes manquassent d’extravagances &
d’absurdités, mais c’est que quelqu’autre secte, plus extravagante encore,
les a éteints ou absorbés » (éd. cit., II, p. 86-93). L’auteur retrace alors en
note, s’inspirant du Dictionnaire des hérésies de Pluquet (Paris, Nyon,
1762), l’épisode chrétien des flagellants au XIIIe siècle. Il y précise avec
effroi que des confréries équivalentes existent encore en Allemagne, en
Italie, en Espagne : « Ils marchoient la nuit deux à deux, nuds jusqu’à la
ceinture, par le plus grand froid de l’hiver, se faisant ruisseler le sang à
grands coups de fouet, poussant des gémissemens affreux, des cris si perçants, des hurlemens si épouvantables que les montagnes & les pleines [sic]
en retentissoient. » (p. 89). Au lieu d’extraire ainsi les damnés de l’enfer,
ajoute-t-il, de tels adeptes « y envoient par charité tous ceux qui ne pensent
pas comme eux ; & m’y enverront sûrement de même, lorsqu’ils liront mon
Livre. » La remarque vaudra sans doute tout autant deux ans plus tard pour
L’Antipapisme. – Sur le fouet dispensé à autrui par les ecclésiastiques, nous
mentionnerons ce canon du 3ème concile de Braga (Portugal), tenu en l’an
675, où il est fait défense aux évêques « de faire frapper, à coups de fouet,
les prêtres, les abbés & les diacres, sous peine d’excommunication &
d’exil ; ces sortes de châtimens ne devant avoir lieu que pour des causes
mortelles. » (Charles-Louis Richard, Analyse des conciles généraux et
particuliers, contenant leurs canons sur le dogme, la morale & la discipline tant ancienne que moderne, A Paris, Chez Vincent, 1772, T.1, p. 666667)
Cf. note 42, chap. III.
Ce cantique des trois enfants dans la fournaise est issu du chapitre III
rapporté dans le Livre de Daniel, où le roi Nabuchodonosor, qui avait
condamné trois jeunes Hébreux à être jetés dans un feu ardent pour avoir
202
5
6
refusé d’adorer son idole, fut frappé du prodige qui les rendit insensibles au
feu. Le roi les réhabilita et promulgua un édit à la gloire du dieu des Juifs.
Depuis le quatrième concile de Tolède, en 633, présidé par le très respecté
Isidore de Séville, l’usage de ce cantique est rendu obligatoire pour toute
fête des martyrs.
Hors le fait que Dulaurens se plaît à dénoncer souvent de façon rabelaisienne la réputation de sodomite de nombreux religieux, rappelons qu’au
XVIIIe siècle, les termes de patient (« chacun des Apprentifs saisit son
beau patient ») et d’agent traduisent les tendances homosexuelles passive et
active. Précisément, ces désignations argotiques figurent aussi dans un
autre fameux ouvrage de Dulaurens, son Candide, suite du conte voltairien
où le thème de la flagellation est très présent, le personnage ayant alors eu
à se plier à tel inconvénient : le confesseur « parut très satisfait de la
maniere dont Candide parla du mal phisique & du mal Moral, de l’Agent &
du Patient » (Candide, ou l’Optimisme. Traduit de l’allemand de M. le
docteur Ralph. Seconde partie, s.l., s.n., 1760, p. 13). La même allusion est
reprise dans Le Compère Mathieu où Vitulos raconte « qu’il avoit des
liaisons fort étroites avec un nommé M. Dominus, qui étoit l’Agent des
Révérends Peres Jésuites » (I, 13, p. 228), ou de façon encore plus explicite
et étonnement polie de la part de père Jean, arrêté à Londres et plaidant
pour lui-même devant son tribunal : « Il s’agit ici de rendre justice, ou de
faire une injustice : je suis le Patient, vous les Agents, cette affaire vous
regarde donc plus particulierement que moi. » (III, 11, p. 146) Le terme est
encore employé dans L’Arretin, où sont décrites les peines infligées à deux
juges indélicats : « On passait une longue perche dans le derriere du
Patient, on le portait ainsi en procession […]. On faisait soixante sept stations, à chaque on secouait soixante sept fois sept fois [sic] le patient
perché au bout du bâton » (“Histoire de Suson & de deux Présidens à
Mortier”, II, p. 196-197 ) ; dans La Chandelle d’Arras, où « le pauvre
patient » Jérôme Nulsifrote doit subir un lavement (III, v. 172, p. 27).
Parmi les traités portant sur les effets aphrodisiaques du fouet, nous
signalerons Joannis Henrici Meibomii [Meibomius], De flagrorum usu in
re venerea, 1643, et Amédée Doppet, Aphrodisiaque externe ou Traité du
fouet et de ses effets sur le physique de l’amour, 1788. – L’on ne compte
pas les textes clandestins des XVIIe et XVIIIe siècles où sont mis en scène
quelque épisode érotique sur les effets stimulants ou réparateurs de la flagellation, ainsi que de la fessée, son pendant. Thérèse philosophe (1748),
que Dulaurens avait lu, n’y manque pas avec l’évocation de ce “remède
souverain pour la génération” affectionné par un vieux médecin. Ce dernier
« ne donnait aucun signe de virilité qu’au moyen de cent coups de fouet »
appliqués par une dame sur les fesses du défaillant : « Tel était le mécanisme par lequel ce docteur nous assurait qu’on pouvait restaurer un homme
usé, un impuissant, et faire concevoir une femme stérile ». Nul n’ignore à
203
quel point Sade abusera plus tard de tous les ressorts du fouet, de la verge
et de la badine. Plus en accord avec l’esprit débonnaire de Dulaurens, on
aura ici une pensée pour la confession de Jean-Jacques Rousseau qui,
enfant, vacilla d’émoi sous la punition de Mlle Lambercier, même si notre
auteur n’a pu en avoir connaissance (Les Confessions, I [1712-1728],
publié en 1782). Parions que Dulaurens n’aurait pas, sur ce point, épargné
un homme qui incarnait pour lui la plus dérangeante ambiguïté philosophique.
Chapitre XIII
1
2
3
La « partie du couchant » désigne habituellement l’endroit d’une maison,
d’un quartier ou d’une ville situé du côté du soleil couchant. L’auteur joue
sur les expressions, alors en usage littéraire, composées avec le mot partie
lorsqu’il s’applique au corps humain : parties honteuses, parties de la génération, parties naturelles, partie noble, saine, blessée…
Comme pour « la partie du couchant », Dulaurens, qui sait au besoin user
du registre graveleux, utilise volontiers la périphrase poétique en vue
d’évoquer l’indicible (e.g. dans Le Balai : « Certain objet que l’on porte à
l’office, / Chés la Dupas & que fille novice / Voit en tremblant pour la
premiere fois. » [V, v. 305-307] ; « L’objet vivant qu’on desire à la grille, /
L’herbe qui croît dans la main d’une fille. » [XV, v. 69-70] ).
Cf. note 113, chap. III.
Chapitre XIV
1
Cette « vérité » est que le pape voit en rêve la réalité perverse d’une
religion mercantile. La quête de vérité est l’une des lignes directrices de
l’écriture de Dulaurens. Plusieurs réflexions, parfois burlesques mais non
moins profondes, sont consacrées à cette quête et l’on peut extraire de
nombreuses citations portant sur la notion de vérité dans l’œuvre de notre
auteur : « L’espérance, qui console les malheureux, n’est autre chose que le
mensonge officieux qui trompe agréablement son esprit pour enchaîner sa
douleur : lui seul, comme un bienfaiteur zèlé lui peint un avenir flatteur. Un
prisonnier avec la Vérité pour compagne [“campagne” sur l’original]
n’aurait d’autre perspective que le désespoir », ou encore : « La Vérité ne
connait ni la douceur de la complaisance, ni les petits soins de l’amitié ;
son organe dur & rauque ne fait qu’étourdir notre bonheur » (Les Abus,
“Les mauvais raisonnemens de ma Grand-Mere”, p. 94) ; « mon malheu-
204
2
3
4
5
6
reux goût pour la vérité fera toujours le malheur de ma vie » (Imirce,
“Histoire de Lucrèce”, p. 257) ; « fuïés, vos jours sont en danger, on n’aime
point ici la Vérité, on la craint plus que l’erreur » (Id., “Histoire du
merveilleux Dressant”, p. 365) ; « Mon père eut la hardiesse de déplaire à
un homme puissant, en lui disant la véritè ; on lui suscita des Accusateurs
qui le noircirent de plusieurs crimes imaginaires » (Candide, Seconde
partie, XIII, p. 66) ; « Au reste je suppose que tu la trouves cette Vérité que
tu cherches tant : Ceux qui ont intérêt qu’on ne la découvre jamais te
tourmenteront ; Ceux qui se soucient fort peu qu’on la trouve ou qu’on ne
la trouve pas, mais qui ont des raisons pour qu’on ne la divulgue pas, te
persécuteront ; Ceux qui ont embrassé un vain fantôme pour elle, & qui
croient la tenir, te lapideront. » (Le Compère Mathieu, II, 9, p. 130-131) ;
etc.
L’Ecclésiaste, de l’Ancien Testament, est attribué à Salomon bien que cette
paternité soit contestée par de nombreux exégètes, et même par Voltaire.
La réputation de grande sagesse accordée à Salomon pose pour notion que
les paroles lues doivent être reçues et renvoyées comme du miel. Il existe
diverses interprétations sur la métaphore du miel extraite de l’hébreu.
Certains y ont vu un jeu de mots traduisant le précepte “cherche et tu seras
récompensé” ; l’usage voulant que soit transmuée en miel, donc rendue
acceptable, toute vérité, relèverait d’une transcription basique de la lecture
biblique, loin de l’esprit initiateur.
Dans la Genèse (XXXVII), Ruben, fils aîné de Jacob, sauve la vie de son
jeune frère Joseph dont les songes irritaient ses autres frères.
L’ouvrage n’existe sans doute pas mais cette tournure est très largement
reprise dans la littérature religieuse et philosophique de l’époque. L’année
suivant la parution de L’Antipapisme, d’Holbach publiera un texte au titre
évocateur : La Contagion sacrée, ou Histoire naturelle de la superstition,
ou Tableau des effets que les opinions religieuses ont produit sur la terre
(1768).
Dans l’entreprise.
Il s’agit, bien sûr, d’un hommage à Socrate, que Dulaurens admirait et dont
il appliquait consciemment ou non les principes de l’ironie interrogative, de
la maïeutique, et de la conduite sur la voie de la vérité par une dialectique
déroutante. Notre auteur n’a pas maqué d’illustrer un tel regard dans son
Dictionnaire de l’Esprit : « S’il descendait du ciel un sage, qui, dans sa
conduite, ne consultât que les lumières de la raison, ce sage passerait universellement pour fou. Il serait, dit Socrate, vis-à-vis des autres hommes,
comme un médecin que des pâtissiers accuseraient, devant un tribunal
d’enfants, d’avoir défendu les pâtés et les tartelettes, et qui sûrement y
paraîtrait coupable au premier chef. » (f° 421, rubrique “Univers”. – La
205
7
8
citation choisie par Dulaurens est extraite de Helvétius, De l’esprit, II, 21,
Paris, Durand, 1758, p. 209-210.)
Au moment de l’écriture de L’Antipapisme, Dulaurens est installé à Liège
où il travaille pour la famille de Boubers dans un certain confort d’écriture,
semble-t-il, en comparaison de ce qu’il avait jusqu’alors connu. Il ne tombera certes pas aux mains de l’Inquisition, mais entre celles d’une justice
ecclésiastique qui ne lui fera guère plus de cadeaux.
Derrière ce chiffre obsessionnel chez notre auteur, se révèle, selon lui, la
trinité du sens de l’existence : la naissance, la vie, la mort.
206
INDEX
des auteurs et personnalités cités hors le texte de Dulaurens
( Les noms des analystes contemporains figurent en italique :>1900 )
Alembert, Jean Le Rond d’ 134, 197
Alexandre VI
172, 183, 184
Aretino, Pietro
177
Argens, Boyer d’
17, 136, 137, 149,
152, 180, 186, 189
Argenson (marquis d’)
159
Aristote
15, 16, 149
Arnauld, Antoine
164, 165
Aubry, Auguste
14
Bacon, François
193
Bagni, J.-François de
173
Barberini, François
173, 174
Barthélemy, Maurice
13
Bayle, Pierre
162, 175, 193, 201
Beaudelaire, Charles
177
Beaumarchais, P.-A. Caron de
171
Beaumont, Christophe de
159, 172,
188, 190
Béhague, Octave
14
Benoît XIII
173, 191
Benoît XIV
160, 170, 173
Bérault-Bercastel, l’abbé de
165
Bernis, François-Joachim de Pierre
158, 160, 201
Bescherelle, Louis-Nicolas
131,
135, 136
Boéthus
198
Bokobza-Kahan, Michèle
152
Bolingbroke, Henri Saint John
193
Boniface VIII
187
Borghese, Scipione
174
Borgia (famille)
172, 173, 183, 184
Bossuet, Jacques Bénigne
172
Boubers, famille de
19, 213
Bouhours, Dominique
196
Boulanger, Nicolas Antoine
197
Bourguinat, Élisabeth
170
Boussuge, Emmanuel
154, 158
Brosses, Charles de
148, 149
Brown, Dan
187
Brunet, Gustave
129
Buffon, George Louis Leclerc
199
Burdin, Gustave de
199
Calmeil, Louis-Flore
186
Carosso, Marinella
190
Cartouche
165
Cervantès, Miguel de
194
Charron, Pierre
193
Charlemagne
170, 195
Charles V
190
Chastel, Jean
199
Chaumeix, Abraham
169, 201, 202
Chavigny de la Bretonnière
170
Chevrier, Antoine
179
Chorier, Nicolas
183
Chouillet, Anne-Marie
180
Christine (reine de Suède)
173
Chrysippe de Soles
198
Cicéron
186, 198
Clément VI
182
Clément VII
191, 200
Clément VIII
191
Clément XII
173
Clément XIII
19, 22, 156, 160, 161,
163, 164, 169, 170, 173, 190
Clément XIV
156
Crébillon, Claude J. (fils)
164, 169
Crépel, Pierre
180
Collins, William
193
Combalet, Mme de
179
Condorcet, Nicolas de
180
Conti, Louis-François de
158
Cortés, Hermãn
155
Couperin, François
177
207
Cubells, Monique
187
Cyrano de Bergerac
16, 168
Dauberval, Jean Bercher (dit)
133
David, M.-V.
149
Davidson, John Norman
175
Debay, Auguste
182
Defoe, Daniel
152
Della Porta, Giacomo
191
Delon, Michel
169
Delort, J.
26
Delvau, Alfred
133
Démocrite
149
Descartes
149, 193, 196
Diderot, Denis
17, 178
Dioclétien
163
Diogène Laërce
198
Doppet, Amédée
203
Drujon, Fernand
14, 157
du Barry, comtesse
133
Dulaure, Jacques Antoine
164
Dumeiz, Damian Friedrich
22
Duplessis, François-Xavier
161,
169, 184
Duranton, Henri
180
Du Vair, Guillaume
132
Éphraïm (Genèse)
193
Eprémesnil, J.-J. Duval d’
171
Érasme
173
Ézéchiel
192
Feller, François-Xavier
157
Féraud, Jean-François
174
Ferrare, Rosetti de
174
Ferrière, Claude-Joseph de
135
Fontenelle, Bernard Le B. de
162
Fougeret de Monbron, L.-Charles
153, 154, 158, 166, 197
Frédéric II
27, 154
Fréron, Élie-Catherine
164
Furetière, Antoine
196
Gambert, Didier
176
Gardaz, Michel
150
Gassendi, Pierre
196
Gerdolle, père
21
Geyer, Erik Gustaf
182
Girard, Jean-Baptiste
151, 200
Gladbach, Dr
22
Goncourt, Edmond et Jules de
179
Gordon, Thomas
180
Gourdan, la (prostituée)
157, 158
Graille, Patrick
129, 171, 175
Grégoire XI
200
Gresset, Jean-Baptiste
160
Groubentall, Marc-Ferdinand
23,
24, 25, 26-29, 154, 155, 179, 185
Guillaume Ier de Hollande
165
Guyot, Joseph-Nicolas
132, 133
Helvétius, Claude-Adrien
213
Helyot (révérend père)
195
Hésiode
163
Holbach, Paul Henri Thiry d’
175
197, 205
Homère
153
Horace
150
Hugo, Victor
177
Hume, David
149
Hyraclite
149
Innocent XIII
173
Isaï
192
Isidore de Séville
203
Israël (Genèse)
193
Jacob (Genèse)
205
Jansen, Cornélius 172, [planche XII]
Jean V
161
Jérémie
192
Jésus-Christ
148, 149, 150,
151-155, 160, 162, 165,
168, 170, 171, 181, 182,
184, 186, 187, 189, 190
Joseph (Genèse)
193, 205
Jovet, sieur chanoine
150
Jules III
175, 201
Kozul, Mladen
171, 175
La Bretonne, Rétif de
177, 181
La Croze, Maturin Veyssière de 194
La Harpe, Jean-François de
194
Lally, général Thomas-Arthur
151
Lambercier (Mlle)
204
Laurent, André (frère de H.-J.)
25
Laurent (antipape, Ve et VIe s.)
167
Lavalette, Antoine de
161, 162
Leber, Constant
13
Leibniz, Gottfried Whilelm
193
Lenclos, Anne (dite Ninon de)
179
Léon X
172
Le Roux, Philibert-Joseph
132, 134
Lesage, Alain-René
16
Le Tellier, Charles-Maurice
170
Linguet, Simon Nicolas Henri
171
208
Locke, John
193
Loyola, saint Ignace de
19,
20, 155, 160, 185
Louis XV
158, 164
Louis XVI
27-29
Lucas-Dubreton, Jean
181
Lucrèce (j. f. romaine)
144, 198
Luther, Martin
168
Mahomet
148, 150, 152, 153 194
Malagrida, Gabriel
155, 161, 169
Malesherbes
29
Manassé (Genèse)
193
Marchetti, Giovanni
197
Maréchal, l’abbé Sylvain
151
Marmontel, Jean-François
169
Masson, Nicole
176
Matha, Jean de
194
Maubert de Gouvest, J.-Henri
173
Maupertuis, Pierre Louis de
193
Maury, Jean-Sifrein
171
Mazarin, Jules
173
Médicis, Marie de
179
Meibomius, Joannis Henrici
203
Melanchton, Philippe
168
Menage, Gilles
135
Mercier, Louis-Sébastien
131
Meslier, Jean
161, 171
Michel-Ange
191
Mirabeau (comte de)
180
Moïse
150, 159
Montaigne, Michel Eyquem de
193
Montesquieu
136, 160, 193, 197
Montfaucon de Villars, l’abbé
169
Mothu, Alain
189
Moureau, François
181
Naudé, Gabriel
173
Navarette, Fernando
194
Néron
190
Nerval, Gérard de
177
Newton, Isaac
193, 196
Nougaret, Pierre
165, 169
Ovide
162, 177, 178
Palissot de Montenoy, Charles
163
Pâris, Justine (prostituée)
158
Pâris, François de (diacre)
175
Pascau, Stéphan
20, 23,
152, 157, 185, 194, 201
Pasquier, Estienne
132
Patouillet, Louis
159
Patrouillet
132
Paul V
174
Perceau, Louis
17
Pie II
183
Pie VI
170
Pie VII
156, 190
Pigault-Lebrun, Charles-Antoine 168
Piron, Alexis
135, 185
Pluquet, François André Adrien 202
Poisson de Gomez, Angélique
184
Polignac, Melchior de
180
Pompadour, marquise de 19, 133, 158
Porphyre de Tyr
149
Posidonius de Rhodes (d’Apamée) 198
Poule, l’abbé
171
Prévost, François Arnaud
201
Prévost d’Exiles, Antoine-François
17, 152, 174
Queriolet, Pierre de
156
Rabelais, François
131
Rainier
182
Rémus et Romulus
186
Rhéa-Sylvia (vestale)
186
Richard, Charles-Louis
202
Richardot, Anne
177
Richardson, Samuel
161
Richelet, Pierre
17
Richelieu
133, 173, 179
Rousseau, Jean-Jacques
11, 136,
159, 178, 197, 204
Rowe, Nicholas
133
Ruben (Genèse)
205
Sade, marquis de 169, 171, 177, 181,
184, 185, 189, 204
Sagarel ou Segarel, George
151
Saint Ambroise
166, 172
Saint Augustin
171, 172, 174, 175
Saint Benoît de Nursie
157
Saint Bonaventure
155
Saint Bruno
156
Saint (Jean) Chrysostome
172
Saint Côme
163, 164
Saint Damien
163
Saint Dominique
182
Saint-Florentin, L.-Ph. (comte de) 154
Saint François d’Assises
155,
167, 180, 195
Saint Jean (apôtre)
148, 149
Saint Jean-Baptiste
200
209
Saint Justin
170
Saint Lazare
186
Saint Matthieu (apôtre)
154, 168,
170, 175, 179, 200
Saint Paul (apôtre) 168, 171, 185, 190
Saint Paulin
190
Saint Pierre (Simon, Siméon, Barjone,
Pétrisaint,) 18, 19, 22, 147, 148, 163,
165, 167, 168, 169, 171, 175,
176, 180, 182, 186, 190, 191
Saint-Pierre (abbé de)
180
Saint Roch
165
Saint Symmaque
167
Saint Théotime
170
Saint Thomas
170
Sainte Anne
183
Sainte Catherine
172
Sainte Marie-Madeleine
186, 187
Sainte Marthe
186
Sainte Placide
185, 186
Sainte Ursule
185
Sainte Véronique
182
Salomon
189, 205
Sartine, Antoine Raymond de
135
Schnelle, Kurt
22
Seguier, Antoine Louis
171
Sénèque
149
Sévigné, Henri (marquis de)
179
Sgard, Jean
170
Sixte IV
181, 184
Sixte V
167
Sobry, Jean-François
151
Socrate
149, 205
Spinoza
131
Tarquin, Sextus
198
Tertulien
174
Thébaudais, Hévin de la
25
Thieriot, Nicolas-Claude
191
Timothée d’Éphèse
178
Urbain VI
200
Urbain VIII
173
Valentinien
166
Vallée, Geoffroy
189
Vallès, Jules
133
Vatteville, Don J.-Chrétien de
157
Vaucanson, Jacques de
148
Verlaine, Paul
177
Virgile
155
Voltaire
18, 26, 27, 131, 134,
135, 149, 151, 152, 153, 154, 159,
160, 162, 168, 175, 176, 184, 188,
189, 191, 193, 195, 197, 199, 205
Wagner, Jacques
154
Watteau, Jean-Antoine
177
Weller, Emil
129
Zénon de Cittium
198
210
Crédit iconographique
Pour leur contribution en matière de mise à disposition d’images, nous
tenons à remercier :
Michel Fantini, brocanteur modeste quoique avisé ;
Patrick Graille, que l’on ne présente plus ;
Bertrand Hugonnard-Roche, utile dénicheur d’ouvrages à lire de préférence
dans le boudoir (http://www.librairie-amour-qui-bouquine.com) ;
Jacques Magendie, collectionneur d’œuvres spirituelles et généreux érudit ;
Anne Molier, rousse nature mais néanmoins chargée des fonds patrimoniaux
des Bibliothèques Intercommunales Pau-Pyrénées ;
Pierre Mouriau de Meulenacker, infatigable collecteur d’ornements typographiques du XVIIIe siècle (http://ornements-typo-mouriau.be) ;
l’abbaye de Tournay (65), dont les frères bénédictins du XXIe siècle ne portent aucun jugement sur Dulaurens, contrairement à ceux du XVIIIe s.
Couverture : dessin retouché d’après Sibelius (graveur), in Jean-Frédéric Bernard, Éloge
de l’Enfer, À La Haye, chez Pierre Gosse Junior, Libraire de S.A.R., 1759,
t. 2, en regard p. 7. (Librairie L’Amour qui bouquine)
Page 31 : page de titre de L’Antipapisme, édition originale. (Coll. privée)
Page 41 : vignette : deux bonhommes à massues. Dulaurens, Les abus dans les cérémonies et dans les mœurs, Paris, chez Les Libraires associés, 1788. (Coll.
Mouriau)
Page 43 : bandeau et lettrine édition originale. (Coll. privée)
Page 48 : Dénonciation des crimes et attentats des soi-disans Jésuites, dans toutes les
parties du monde, s. l., s. n, 1762, I, frontispice. (B.I. Pau-Pyrénées)
Page 52 : La Vie des prédestinez dans la bienheureuse éternité, Paris, chez Sébastien
Mabre-Cramoisy, 1684, frontispice. (Abbaye de Tournay)
Page 81 : vignette : grappe de raisin. Dulaurens, Les abus dans les cérémonies et dans
les mœurs, Genève, chez Pierre Pellet, 1786. (Coll. Mouriau)
Page 87 : Le marquis de Jouvenceau et saint Pierre dans la via del Popolo : « C’est ici
que Vénus a des cloîtres que l’on appelle vulgairement des couvents, ou des
abbayes pour que, sous le voile de l’austérité sainte, la volupté même y
trouve un asile respectable. » Illustration libre, S. Pascau, 2010.
Page 88 : Louis Maimbourg [jésuite], Histoire de l’hérésie des Iconoclastes, Paris,
chez Sébastien Mabre-Cramoisy, 1686, frontispice. (B.I. Pau-Pyrénées)
Page 97 : d’après Gaspar de Crayer [attr. à] (1584-1669), Saint Pierre pénitent, huile
sur toile. (Coll. privée)
211
Page 98 : vignette : Rumeur ou Renommée, signé PLSF [Pierre Le Sueur Fables]. La
Fontaine trad. par J.B. Girard, Fabulae Selectae Fontanii, Rothomagi
[Rouen], Lud. Le Boucher et Laurent Dumesnil, 1775. (Coll. Mouriau)
Biblia Sacra de Johannes Henten, éd. Lugduni, Apud Gulielmum Rouillium,
1588, Apocalypse. (Latin, vulgate) (Coll. privée)
Vignette : ange au tambour. Mme de Graffigny, Lettres d’une Péruvienne,
Lyon, chez Bruyset Frères, 1787. (Coll. Mouriau)
Page 103 : Biblia Sacra de J. Henten, éd. citée, ibid. (Coll. privée)
Page 104 : Fr Noël, Dictionnaire de la fable, Paris, chez Le Normant, An XII-1803,
Nlle éd., I, frontispice. (B.I. Pau-Pyrénées)
Légende : « Au milieu d’un panthéon consacré à tous les dieux que la
superstition humaine s’est plue à inventer, la Philosophie entourée des
ouvrages des grands écrivains de l’antiquité, grave sur une colonne servant
de piédestal à la statue de la Nature, ce principe éternel qu’elle avait publié
jadis par la bouche éloquente de Cicéron : Consensus omnium populorum
probat Deum esse [Le consentement de tous les peuples prouve qu’il y a un
Dieu]. Girodet D.R., inven. ; B. Roner, sculp. »
Page 108 : vignette : oiseau et carquois. De Belloy, Gaston et Baïard (tragédie), Paris,
chez la Veuve Duchesne, 1770. (Coll. Mouriau)
Page 112 : estampe : genèse et naissance de l’antéchrist ; le pape et le clergé déchus,
v. 1530. (Coll. privée)
Page 114 : vignette : tête et dragons. Père Saturnin, Le vray esprit d’oraison, Tulle,
chez Jean Dalvy, 1675. (B.I. Pau-Pyrénées)
Page 120 : Les cardinaux pénitents : « il fallait choisir pour cette expédition tous les
jeunes abbés dont les bras nerveux pourraient mieux supporter la fatigue, et
qui seraient exercés d’avance au grand art de mortifier la grosse nature et de
martyriser celle d’autrui. » Illustration libre, S. Pascau, 2010.
Page 124 : Pontificale Romanum Clementis VIII et Urbani PP. VIII, Bruxellis, Apud Le
Charlier, 1741, III. (Coll. privée)
Page 127 : vignette : Polichinelle. Le Cabinet des fées, Amsterdam/Paris, 1785, tomes I
& V. (Coll. Mouriau)
Page 137 : vignette : “Lisez”. Mme de Graffigny, Lettres d’une Péruvienne, Amsterdam, Aux dépens du Délaissé, 1760. (Coll. Mouriau)
Page 146 : vignette : satyre et bouc. Le triomphe de la machine aérostatique ou l’antiballoniste, Athènes, chez Cailleau, 1783. (Coll. Mouriau)
Page 206 : marque d’imprimeur : La Vie des prédestinez, éd. citée. (Abb. de Tournay)
Page 218 : vignette : tête à lauriers. Dulaurens, Les abus dans les cérémonies et dans les
mœurs, Pékin, s. n., 1765 [éd. réelle : 1767]. (Coll. Mouriau)
Planches (photos : collections privées et initiatives personnelles)
Planche I (Clément XIII)
En haut à gauche : portrait, d’après gravure de Dominique Zapieri, Picturae Dominici Zampierii, 1762.
En haut à droite : portrait, d’après gravure de Dominique Cunego et Jean-Baptiste
Piranesi, Clemens Decimustertius Pontifex Maximus Venetus, [1761?].
Au centre : médaillon, Effigies Romanorum Pontificum présenté par Jean-Baptiste
Cavalieri, Bassani, 1775, II.
En bas à droite : portrait, d’après peinture à l’huile d’Anton-Raphaël Mengs, 1758.
212
Planche II (Papes)
Benoît XIV et Clément XIV, gravures présentées par J.-B. Cavalieri, op. cit.
Planche III (Papes)
Jules III et Alexandre VI, idem.
Planche IV (Saint Pierre)
En haut à gauche : mosaïque. Détail du Triclinium du pape Léon III, au Vatican.
En haut à droite : Adolphe Didron, Iconographie chrétienne, 1843, fig. 28, p. 83.
En bas à gauche : Gravures sur bois tirées des livres français du XVe siècle, Librairie Ancienne de Adolphe Labitte (éd.), 1868, fig. 34.
En bas à droite : fresque de voûte, par Antoine Le Corrège. Détail de la coupole de
l’église San Giovanni Evangelista, à Parme, 1520.
Planche V (Saint Pierre)
Gravures extraites de la Biblia Sacra de Johannes Henten, éd. Lugduni, Apud
Gulielmum Rouillium, 1588, Matth. (Latin, vulgate)
Planche VI (Saint Pierre)
En haut : Duccio di Buoninsegna : l’appel de Simon (Pierre) et André. Détail de
Maestà (peinture sur bois), 43,5 x 46 cm, musée de l’Œuvre, Italie, 1308-1311.
En bas : Alexandre Bida (illustrateur) in Edward Eggleston, Christ in Art, or The
Gospel Life of Jesus, New York, Fords, Howard, & Hulbert, 1874, p. 377.
Planche VII (Saint Pierre)
Johann Christoph Weigel (graveur sur cuivre, Augspurg), Biblia Ectypa : Bildnußen
auß Heiliger Schrifft dess Neuen-Testaments, 1697, chap. “Iohann XXI”.
Planche VIII (Saint Pierre)
Éléments de retable à la gloire de saint Pierre réalisé par Jean Soustre (1704), Maître
sculpteur à Asté (65). Partie gauche du retable de l’église Saint-Jean-Baptiste à
Lannemezan (65300). (Le retable central est consacré à Jean-Baptiste)
Planche IX (Saint Pierre)
Sculpture sur bois représentant saint Pierre (XIXe s. ?), fixée sur la porte de l’église
Saint-Jean-Baptiste à Lannemezan (65300).
Planche X (Trinité)
En haut à gauche : El Greco, La Trinité, 1577-79 (peinture à l’huile), figurant sur le
retable de Santo Domingo el Antiguo, à Tolède.
En haut à droite : Didron, op. cit., “La trinité du mal absolu”, fig. 135, p. 545.
Au centre à gauche : triple divinité assyrienne, Alexander Hislop, The two Babylons,
Edinburgh, 1853 (articles) puis 1858 (ouvrage), fig. 3.
Au centre à droite : divinité tricéphale sibérienne, Hislop, op. cit., fig. 4.
En bas : Didron, op. cit., d’après fresque du mont Athos (Grèce), fig. 21, p. 61.
Planche XI (Saint-Esprit)
Image imprimée, XIXe s. : “Descente du Saint-Esprit sur les apôtres”.
213
Planche XII (Flagellation)
“Broer Cornelis”. Gravure demi-teinte de Jacob Gole, début XVIIIe s. Il s’agit d’une
figuration du frère Cornélius Adriansen, connu pour son zèle à la flagellation
dont l’application particulière se situait supra dorsum nudum, de préférence
infligée aux bonnes sœurs et appelée “discipline cornélienne”, expression toujours consacrée.
Planche XIII (Flagellation)
Jésus flagellant, flagellé. Gravures extraites de J. Henten, op. cit. (Biblia Sacra)
Planche XIV (Caricatures du pape, d’après gravures)
En haut à gauche : caricature révolutionnaire montrant le pape refoulé à l’entrée du
paradis et ramené par l’ange Gabriel vers la barque fatale de Caron (image ici
tronquée). Ses clés tombantes sont rouillées par ses péchés.
En haut à droite : anonyme, “Ego sum Papa” ou le Pape diable, selon une image
antipapiste luthérienne visant le pape Alexandre VI (Borgia), XVIe s.
Au centre à gauche : L’Âne-pape à Rome, d’après Wencelas d’Olmütz, 1496, chaque
élément de la caricature ayant sa signification selon la critique luthérienne.
Au centre et dans la page : caricature révolutionnaire montrant l’arrivée du pape aux
enfers.
Au centre à droite : Tobias Stimmer, Gorgoneum Caput (La tête de Gorgone), figurant en frontispice de Johann Fischart, Aller Practic Grosmutter, 1577. Image
visant le pape Grégoire XIII (1572-1585).
En bas à gauche : le pape Jules II (1503-1513) syphilitique. (anonyme, XVIe s. ?)
En bas à droite : Francis Barlow, The Devill’s Tryumph over Romes Idoll, 1680.
Planche XV (Caricature : le pape et la clé du paradis)
En haut : gravure sur bois de Tobias Stimmer, Pierre et le Pape, 1577.
En bas à gauche : page de titre de Noël Aubert de Verse, Les clés de l’apocalypse,
ou Histoire de l’État de l’Église chrétienne sous la IVe monarchie, dédiée à
notre Saint Père le Pape, 1703.
Planche XVI (Figuration de l’apocalypse)
Gravure, vers 1620, signée : Don Iuan de Lauregui inventor.
Planche XVII (Figuration de l’apocalypse)
Idem.
Planche XVIII (La maison hantée)
Gravure extraite de l’hebdomadaire L’Artiste, Paris, années 1880.
Planche XIX (La poursuite éternelle)
Idem.
Planche XX (Un lecteur au XVIIIe s.)
D’après gravure du XVIIIe s. reproduite sur carte miniature. (Photographie Goupil &
Cie, Paris, Montmartre, fin XIXe s.)
214
Bibliographie de Dulaurens
La Vraie origine du géan de Douay, en vers françois, suivie d’un Discours sur la beauté, où l’on fait mention des belles de cette ville
S. l. [Douai], s. d. [mai/juin 1743], 1 vol. in-8°, 55 p., 16x10 cm. Pas de réédition.
Parodie d’une légende locale, suivie d’un discours de l’auteur destiné à
une confrérie secrète de jeunes gens vouée au culte de la beauté féminine.
Thérésiade ou le charivari de Saint Thomas. Poëme héroï-comique
S. l. [Douai], s. d. [entre 1745 et 1750], 1 vol. in-8°, 33 p. 2 rééditions ?
Parodie burlesque et satirique d’un fait divers porté en justice à Douai.
L’arrivée au couvent d’une jeune novice, fort séduisante, déclencha les
foudres de la mère supérieure et l’agitation du monde ecclésiastique local.
Essai sur la préférence des cadets aux aînés, Lettre à Madame de***
A Genève [Douai], Pellissani & Compagnie, [début fév.] 1750. Pas de réédition.
Recueil de poèmes, lettres et textes de jeunesse, autobiographiques, sur le
mode de la réflexion, de la rêverie ou de la satire.
Mémoire pour Abraham Chaumeix, Contre les prétendus philosophes
Diderot et d’Alembert
A Amsterdam, [fin mars] 1759. Au moins 3 rééditions entre 1759 et 1772.
Portrait burlesque du père Abraham Chaumeix, contemporain de l’auteur,
où l’on retrace la vie imaginaire de cet homme d’église zélé, notamment
sa crucifixion, reprise par de nombreux ironistes dont Voltaire.
Candide ou l’optimisme. Traduit de l’allemand de Mr le Docteur Ralph.
Seconde partie
S. l. [Hollande], s. n., 1760 [rédact. probable fin 1759], 2 parties en 1 vol. in-8°.
Part. 1 : 190 p. ; part. 2 : 109 [i] p. Au moins 16 rééditions entre 1761 et 2003.
Première suite du conte de Voltaire, où le héros, las de cultiver son jardin,
reprend le cours de ses pérégrinations.
Les Jésuitiques, enrichies de notes curieuses, pour servir à l’intelligence
de cet ouvrage
A Rome, Aux dépens du général, [août] 1761, in 8°, [page titre] + [bl.] + 34 p.
(texte) + [bl.]. 9 rééditions entre 1761 et 1826.
215
Suite d’odes satirico-burlesques contre les jésuites, à la manière des Philippiques de Lagrange, avec de nombreuses digressions carnavalesques,
dont l’ajout d’un portrait de Malagrida lors d’une réédition.
Le Balai. Poëme héroï-comique en XVIII chants
A Constantinople [Amsterdam], De l’Imprimerie du Mouphti, [4e trimestre] 1761,
in-12, [XXIV] 216 p. 22 rééditions entre 1761 et 1963.
Parodie satirico-burlesque de la vie dans un cloître. Les plus jeunes religieuses décident de changer le lieu de rangement du balai de l’institution,
ce qui provoque un branle-bas de toute la hiérarchie catholique jusqu’à
une bataille homérique, au sein du couvent, entre novices et anciennes.
L’Observateur des Spectacles, ou anecdotes théâtrales
A Amsterdam, chez H. Constapel Libraire, hebdom. du 04 janv. au 29 mars 1763,
in-8°. Pas de réédition.
Périodique critique et informatif consacré au théâtre. Dulaurens en
devient le rédacteur unique, du 04 janvier au 29 mars 1763 où il assure la
publication de 13 numéros.
L’Arretin
A Rome [Amsterdam], Aux dépens de la Congrégation de l’Index, [2d trimestre]
1763, 2 vol. in-8°. XLVIII-224 p et IV-244 p. 22 rééditions entre 1763 et 2004.
Recueil de contes burlesques, articles, fiches, considérations politiques et
parodies. Contient notamment “L’Histoire merveilleuse et édifiante de
Godemiché”.
La Chandelle d’Arras, poëme héroï-comique en XVIII chants
A Bernes, Aux dépens de l’Académie d’Arras, [fin août] 1765, in-8°, XVIII183 p. 26 rééditions entre 1765 et 2004.
Parodie burlesque et satirique de la légende de la chandelle d’Arras. Deux
vieux amis se querellent. L’échauffourée tourne au drame : l’un à l’hôpital se fait émasculer par un vilain chien. Une chandelle miraculeuse surgissant du cerveau de la victime apparaît alors sur la ville et guérit toute
personne malade d’excès charnels, avec la bénédiction de la Vierge.
Imirce, ou la Fille de la Nature
A Berlin, chez l’Imprimeur du Philosophe de Sans-Souci, [oct.] 1765, in-12. 20
rééditions entre 1765 et 1993.
Recueil romanesque, contre-pied de l’Émile. À l’initiative d’un philosophe observateur, la jeune héroïne Imirce et son compagnon Émilor sont
élevés dans une cave, à l’abri de tout contact avec le monde. Ils découvriront la civilisation avec un regard neuf.
216
Dictionnaire de l’esprit
394 pages manuscrites, fin 1765. Inédit.
Manuscrit présenté sous forme de recueil de citations classées par thèmes,
où figurent les plus remarquables expressions de talent poétique ou de
pensée, selon une sélection établie par Dulaurens.
Le Compère Mathieu, ou les Bigarrures de l’esprit humain
A Londres, Aux Dépens de la Compagnie, 1766 [en réalité paru fin déc. 1765], 3
vol. in-8° [I : p. de titre (1 bl.) 2 p. Avis de l’éditeur + 400 p. ; p. de titre (1 bl.) +
434 p. ; p. de titre (1 bl.) + 207 p. + (1 bl.) 2 p. corrections (2 bl.). Chap. 1er]. 75
rééditions entre 1766 et 2000, dont trad. en au moins 5 langues européennes.
Une troupe hétéroclite d’aventuriers philosophes se constitue autour de
Mathieu, au fil d’un parcours initiatique prétexte à toutes sortes de
saynètes burlesques et d’expérimentations romancées, où les grands
thèmes et fantasmes de la pensée encyclopédique sont passés au tamis
analytique le plus érudit et parfois le plus déroutant.
Les Abus dans les Cérémonies et dans les Mœurs, développés par M.
L***
A Genève, chez Pierre Pellet, 1767, [2-] XIV [-2-] 320 p., in-12. 9 rééd. entre
1767 et 1997, dont 2 partielles.
Prétendument publié en 1765 en raison d’une double page de titre, recueil
de contes burlesques, articles et parodies dont la plus conséquente est
l’histoire satirique du père Duplessis. J.-J. Rousseau est particulièrement
visé dans l’épître, puis par allusions.
L’Antipapisme révélé, ou les Rêves de l’antipapiste
A Genève, chez George Lapret, A l’Enseigne de la Mitre, 1767, XL-128 p. (épître
et préf. : p. V-XL ; texte : p. 1-128), in-8°. Pas de réédition, hors la présente.
Récit onirique, précédé d’une longue préface rédigée dans le ton du
mémoire de Jean Meslier. Saint Pierre, mandaté par Dieu, descend sur
terre pour tenter d’y rencontrer le pape et remettre le catholicisme sur la
voie de la décence. Il sera déclaré imposteur, condamné au bûcher et
s’enfuira in extremis au paradis. Dieu se vengera en insufflant son aval à
l’esprit naissant des Lumières du siècle.
Je suis Pucelle. Histoire véritable
A La Haye, chez Frédéric Staatman, 1767, 2 parties en 1 vol. in-12. Titre et Avertissement : IV p. + Texte : 259 p. (numérotées de 5 à 263) 1 rééd. en l’An IV
(1795-96).
Roman d’amour. Un gentilhomme désabusé, déçu par la corruption des
mœurs et par ses mésaventures amoureuses, rencontre sa princesse cachée
217
alors que celle-ci est sur le point de mettre fin à ses jours. Il va s’employer à extraire la jeune fille d’un environnement malsain et à gagner sa
confiance en vue de l’épouser.
Le Porte-feuille d’un Philosophe, ou mélange de pièces philosophiques,
critiques, satiriques et galantes, &c
A Cologne, chez Pierre Marteau, Fils, 1770, 6 vol., in-8°. 1 rééd. en fac-similé en
1972.
Recueil en six volumes de textes et notes que conservait l’auteur dans son
portefeuille, selon l’éditeur du moment. On y trouve le Mémoire pour servir à la béatification d’Abraham Chaumeix, divers extraits ou résumés
des écrits de Bayle, de l’Encyclopédie, des textes polémiques, des documentations personnelles sur des sujets variés.
On connaît également de Dulaurens plusieurs lettres manuscrites
circulant dans des collections privées ou conservées par diverses
institutions, et l’on a attesté sa participation à quelques revues et
gazettes hollandaises et liégeoises.
Dulaurens ayant toujours publié dans la clandestinité, excepté
pour le périodique L’Observateur des Spectacles, la présente
bibliographie n’est sans doute pas définitive et nous espérons
l’identification d’autres écrits de l’auteur.
218
Bibliographie d’étude
Pour une bibliographie conséquente sur Dulaurens et ses implications, nous suggérons de consulter notre précédent ouvrage, paru
chez le même éditeur, dans la même collection : Écrire et s’enfuir,
dans l’ombre des Lumières.
À titre complémentaire, nous renvoyons :
– à l’anthologie de :
Patrick Graille et Mladen Kozul, Discours antireligieux français
du dix-huitième siècle. Du curé Meslier au marquis de Sade,
Saint-Nicolas (Québec), Les Presses de l’Université Laval,
coll. “Mercure du Nord” / Paris, L’Harmattan, 2003 et Condé-surNoireau, 2005 (réédition).
– aux dernières parutions de :
Robert Darnton (Trad. par Jean-François Sené), Le Diable dans
un bénitier. L’art de la calomnie en France, 1650-1800, Paris,
Gallimard, Collection “N.R.F. Essais”, fév. 2010. (695 p.)
Michèle Bokobza-Kahan, Dulaurens et son œuvre. Un auteur
marginal au XVIII e siècle : Déviances discursives et bigarrures
philosophiques. Paris, Champion, DHS 139, avr. 2010. (256 p.)
– aux revues :
La Lettre clandestine, dir. Antony McKenna, Paris, Presses de
l’Université de Paris-Sorbonne, 1992-… (18 numéros à ce jour).
Eighteenth-Century Fiction, dir. Peter Walmsley et Eugenia
Zuroski-Jenkins, Hamilton (Canada), McMaster University,
1988-… (23 numéros à ce jour)
219
– aux actes de colloque :
Écrire en mineur au XVIIIe siècle. Textes réunis par Christelle
Bahier-Porte et Régine Jomand-Baudry, Paris, Desjonquères, coll.
“L’Esprit des lettres”, 2009. (472 p.)
– à la bibliographie du XVIIIe siècle par Benoît Melançon :
http://epe.lac-bac.gc.ca/100/201/300/xviiie_siecle/
220
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION, par Stéphan Pascau
11
PAGE DE TITRE de l’édition originale
ÉPÎTRE, à son Excellence Monseigneur le Comte de Pétrisaint
PRÉFACE, qui n’est point un rêve
LES RÊVES DE L’ANTIPAPISTE
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
31
33
35
43
43
49
53
89
95
99
105
109
113
115
117
121
123
125
À PROPOS DU TEXTE
GLOSSAIRE
RÉSUMÉ
NOTES
INDEX des auteurs et personnalités cités hors le texte de Dulaurens
CRÉDIT ICONOGRAPHIQUE
BIBLIOGRAPHIE DE DULAURENS
BIBLIOGRAPHIE D’ÉTUDE
221
129
131
139
147
207
211
215
219
Autres publications de Stéphan Pascau
Ouvrages
Henri-Joseph Dulaurens (1719-1793), réhabilitation d’une œuvre
Paris, Champion, DHS 109, déc. 2006, 540 p. ISBN 978-2-7453-1551-9
Ouvrage consacré à la reconstitution bibliographique de Dulaurens, dont
l’œuvre essentiellement anonyme était jusqu’alors mal connue, sousestimée et controversée. L’étude aborde également la portée des écrits de
l’auteur et ses liaisons avec les littératures du siècle.
Écrire et s’enfuir dans l’ombre des Lumières, Henri-Joseph Dulaurens
(1719-1793)
Paris, Les Points sur les i, Collection des Gueux Littéraires, déc. 2009,
326 p. ISBN 978-2-3593-0002-4
Biographie de Dulaurens, présentée à travers la thématique la plus marquante de son comportement et de son inspiration. Les deux ouvrages
complémentaires ci-dessus sont adaptés d’une thèse soutenue en 2005.
Articles
« Jean-Baptiste Dulaut, procureur et poète, Un homme de contrastes »
Revue de Pau et du Béarn, n° 31, Pau, 2004, p. 83-101.
Biobibliographie d’un auteur inédit et acteur de la Révolution.
« Introduction au Retour d’un Croisé »
Revue d’Histoire du Théâtre, n° 2006-4, Paris, p. 351-358.
Révélation d’un plagiat au début du XIXe s.
« L’Afrique et les peuples exotiques vus par Henri-Joseph Dulaurens
(1719-1793) »
Actes du colloque L’Afrique du siècle des Lumières : savoirs et représentations, Univ. de Pau (19-20 oct. 2006), sous la dir. de M. Bocquillon, D.
Diop, C. Gallouët et G. Lahouati, Oxford, SVEC, Voltaire Foundation,
2009-05, p. 103-114.
Représentation de l’Afrique dans la littérature marginale du XVIIIe siècle.
223
« Dulaurens et ses Rêves de l’antipapiste »
Actes du colloque Les papes imaginaires des Lumières 1713-1789, Academia Belgica Rome (13-15 mars 2008), sous la dir. de P. Pelckmans, K.
Peeters et J. Herman, Éd. Rodopi, Amsterdam-New York, coll. “Faux
titre”, n° 337, 2009, p. 203-214.
Présentation d’un ouvrage oublié, faisant état d’une rare caricature littéraire du pape pour le siècle.
« Les rêves d’Henri-Joseph Dulaurens »
Revue Recoins (Arts, Belles Lettres & Rock’n’Roll), 13 rue Bergier,
63000, Clermont-Ferrand, automne 2010, p. 63-68.
Présentation de L’Antipapisme : entre le fou et l’anticlérical, un ouvrage à
clés du XVIIIe siècle.
224
225
226