Pages littéraires Iwacu Magazine n°32
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Pages littéraires Iwacu Magazine n°32
20 Magazine N°32 - Décembre 2015 LITTÉRATURE Les belles rencontres de Kinshasa Kinshasa accueillait du 18 au 22 novembre 2015 sa troisième Fête du Livre dédiée à l'environnement, « Sur les routes du Congo. » Plus de 30 auteurs venus des deux Congo, Belgique, Suisse, France, Suède, Burundi ou encore de l'Angleterre se sont retrouvés sur huit sites, presque tous concentrés dans le quartier de la Gombe. Invité de l’événement, l’écrivain et journaliste burundais Roland Rugero raconte ses premiers pas, ce voyage dans la « ville-pays ». LE ROMANCIER CONGOLAIS EMMANUEL DONGALA LORS DE LA SOIRÉE INAUGURALE DE LA 3ÈME FÊTE DU LIVRE DE KINSHASA E nfin, le Boeing d'Ethiopian se pose sur la piste alors que je dévorais cette première épisode de la saga Harry Potter, moi qui ne connaissais jusqu'alors le plus célèbre des sorciers que sur papier. Poser les oreillettes des écouteurs, coller son nez au hublot, voir à quelques centaines de mètres le mythique fleuve Congo que défend farouchement Mwanza dans « L'Enfant de la Léna » , la verdure, tout autour la verdure, et puis des gens, en fluo, en uniformes de la police, d'autres qui vous observent tout simplement, et des techniciens qui s'affairent sous, autour de l’aéronef, beaucoup de gens … Je n'ai jamais vu autant de monde sur un tarmac. Kinshasa. 10 millions d'habitants sur 9.965 de km², soit la totalité de la population burundaise sur le tiers de la superficie du Burundi. Nous sommes sur le nouvel aéroport international N'djili. Flambant neuf. Il fait la fierté du personnel et des Congolais qui rentrent, montrant du menton l'ancienne aérogare, « une grande salle où tout et tous www. i wa cu-bu r u n d i .org / ab ak u n z i @ i wa c u - bur und i .o rg 20 Magazine Iwacu n°23 - Avril 2014 s'entassaient, se frayaient, sous une chaleur indescriptible », me racontera plus tard une expatriée. En effet, au sortir de l'avion, la chaleur prend à la gorge et ne lâche plus, jusque dans la salle de débarquement. Vérification de la carte jaune anti-fièvre jaune faite, valise récupérée, dehors le sourire d'Albert m'accueille. C'est le chauffeur de l'Institut Français. Il est venu me prendre avec l’écrivain Wilfried N'Sondé. Français. Mais ses Magazine N°32 - Décembre 2015 21 LITTÉRATURE origines sont congolaises, Brazza, de l'autre côté du fleuve. Tout au long du trajet vers l'Institut Français, rendu éprouvant par les embouteillages d'une énième sortie des classes kinoises, Wilfried reviendra sur le Congo natal, les affres de sa gestion politicoadministrative, le désordre, « partout, c'est triste », la désormais fameuse problématique des mandats présidentiels africains qui s’éternisent, et surtout ce court roman, « Orage sur le Tanganyika », inspiré par un séjour au Burundi en 2011 en compagnie d'une équipe de Médecins Sans Frontières. « MSF fêtait ses 40 ans , et j'avais été invité à découvrir pendant une semaine le travail de cette organisation au Burundi qui s'occupe notamment de soigner les femmes atteintes de fistule-obstétricale. » De ce voyage, voici ce qui avait frappé l'auteur de Cœur des enfants léopards (2007, Prix Senghor du premier roman francophone, Prix des Cinq Continents de la Francophonie) : « La densité de votre pays, incroyable. La beauté des Burundaises. Et puis, ces jeunes couples restés soudés, alors que la conjointe avait la fistule. Pour les générations précédentes, une femme atteinte de fistule était rejetée par son mari. » Alfred l'a déposé à l’hôtel, et nous avons continué vers l'Institut. Fixer les images ... Le soir. Toujours un air dense, même si le soleil est parti se coucher au loin, dans l’océan. Ouverture officielle de la Fête au Lycée français René Descartes avec, à l'honneur, les photos d'Angelo Turconi. Un photographe italien dont je ferai connaissance tout à l'heure. Auparavant, discours de l'ambassadeur de France heureux d'accueillir pour quelques jours une palette d'auteurs aux générations et horizons très divers, avec cette même soif de comprendre l'humain, la vie. Le choix de l'environnement comme motclé de la manifestation n'est pas gratuit, la diplomatie française étant focalisée depuis des mois sur la Conférence sur le climat de Paris. La fanfare Masolo avec percussions, trompettes, trombones et autres cors m'a rappelé sa sœur de Bujumbura, des Kimbanguistes, qui font la joie des badauds lors des grosses manifestations publiques. ANGELO TURCONI EN PLEINE DISCUSSION LORS DE LA CONFÉRENCE GÉNÉRALE « SUR LES ROUTES DU CONGO.» A GAUCHE EN COUPE, LA ROMANCIÈRE LIEVE JORIS Angelo Turconi donc. Personnage que seul peut modeler des contrées comme le Congo. Visiteur têtu du pays depuis 45 ans, il continue de parcourir avec avidité les villages congolais à 70 ans et plus, « pressé par le temps. » Il a plein d'anecdotes. En italien. Ou en français. Ou en lingala. Comme on veut : « Je ne sais pas encore ce que j'ai trouvé ici. Je ne sais pas. Je sais simplement que je suis un passeur d'images. Il faut tout conserver, sinon la ville détruit tout. Je travaille notamment sur les rites d'initiation et les cérémonies traditionnelles. Je fixe les choses avec mon appareil photo, pour que les générations futures sachent comment c’était, avant. Pour transmettre l’héritage. » Plus tard dans la soirée, il nous racontera comment il imposa qu'on fasse l'intronisation du nouveau roi des Lunda « dans les strictes normes de la tradition. Quand ils m'ont dit qu'ils allaient faire le rituel d'intronisation, j'ai pris l'avion et je suis venu prendre mes foutues photos. Ah !, il fallait les secouer. Sinon ils allaient attendre, attendre et personne ne saurait jamais à quoi cela ressemble pour de vrai la montée au trône chez les Lunda, dans l'immense forêt congolaise. » Des nouvelles de Samandari ... Nous étions alors assis avec l’écrivain belge Lieve Joris. J’étais très heureux de retrou- PÊLE-MÊLE L e Collège de France nomme le romancier et poète franco-congolais Alain Mabanckou à la chaire annuelle de création artistique. Premier écrivain appelé à cette prestigieuse fonction, l’auteur de «Verre Cassé», par ailleurs professeur de littérature en Californie, présentera sa leçon inaugurale le 17 mars 2016. Ses cours, tous libres d’accès, porteront principalement sur la littérature africaine francophone, avec des invités comme la politologue Françoise Vergès, l’essayiste flamand David van Reybrouck auteur d’une monumentale « Histoire du Congo » ou encore l’historien Pap Ndiaye. ver cette dame à l'incroyable énergie, à l'optimisme bluffant, cinq ans après l'avoir accueillie avec des amis au café littéraire Samandari. Elle se souvenait de tout ça, elle m'avait apporté son dernier roman comme cadeau des retrouvailles, « Sur les ailes du dragon : Voyages entre l'Afrique et la Chine », elle me présentait affectueusement à ses amis congolais : « J'ai vu grandir le petit », elle voulait comprendre l'impact de la crise politique en cours sur la création littéraire, « Est-ce que tu rencontres des Chinois au Burundi ? Que disent-ils ? Est-ce qu'ils apprennent le kirundi ? », puis elle se lançait dans des récits sur la ville chinoise de Guangzhou « gigantesque laboratoire dans lequel la Chine et l'Afrique se mélangent, s’épient, s'apprennent, marchandent. » Je retrouverai Lieve deux jours après, dans la Grande Salle de l'Institut Français, lors de la Conférence générale portant même titre que cette Fête du Livre, « Sur les routes du Congo ». Sur le podium, à ses côtés, Angelo Turconi, le reporter français Guillaume Jan, mais aussi Emmanuel Dongala, écrivain et chimiste congolais établi aux États-Unis. Souvenirs et images d'un Congo en guerre, des deux côtés du fleuve d'ailleurs, un Congo vivant, débrouillard, avide de survivre, sous les assauts de la nature et des rires humains, un Congo méconnu, fantasmé, blessé, trafiqué, immensément riche … Tout au long de la conférence résonneront en moi ces mots entendus plus tôt dans la journée: « C'est finalement toute la tragédie de ce pays : le Congo est une métaphore de notre monde. » C'est aussi ce que pense Isookanga, personnage principal dans « Congo Inc., le Testament de Bismarck » de Jean Bofane. w w w . i w a c u - b u r u nd i .o r g / aba kunzi @ i w a cu- bur un d i21 .or g Magazine Iwacu n°23 - Avril 2014 Magazine N°32 - Décembre 2015 22 LITTÉRATURE RENCONTRE Un neuvième art bien vivant à Kinshasa TALENTUEUSES PERFORMANCES GRAPHIQUES DES ILLUSTRATEURS KINOIS LORS DU CONCERT DE CLÔTURE DE LA FÊTE DU LIVRE DE KOJACK P our mes amis adultes, j’achète le recueil de nouvelles « Kin Kiesse, Les Écritures congolaises » écrit à trois (Bibish, Fiston et Papy, Éditions Sépia), « Tram 83 » du même Fiston (Éditions Métailié), ou encore « L›Heure des rebelles » de Lieve Joris (Actes Sud). Pour mes amis les plus jeunes, il faut continuer plus loin, sur l’autre table, passer en revue les nombreuses bandes dessinées offertes au lecteur non-averti : « L’art graphique est bien vivant à Kinshasa » m’in- dique Dan Bomboko, éditeur congolais de BD. A la tête des Éditions Elondja (http://elondja.blogspot.com/), Dan en profite pour me présenter à de nombreux illustrateurs et graphistes locaux : « Cela fait 11 ans que je suis dans le métier, avec une dizaine de BD derrière. C’est un secteur prometteur à condition de savoir exploiter les pistes de financement locales », m’expliquet-il. Sa maison travaille par exemple avec une banque locale qui utilise les bandes dessinées comme des supports publicitaires. PÊLE-MÊLE L a soirée des Lauréats du Prix Michel Kayoya, c’est ce samedi 09 janvier 2016 à 15h, à l’Institut Français du Burundi. Près d’une trentaine de textes sont en compétition pour cette septième édition du concours littéraire, dont le meilleur est à lire sur http://www.iwacu-burundi.org/prixmichel-kayoya/ www. i wa cu-bu r u n d i .org / ab ak u n z i @ i wa c u - bur und i .o rg 22 Magazine Iwacu n°23 - Avril 2014 Les principaux collectifs d’illustrateurs et graphistes (Kin Label, Graphics, Lamuka) entretiennent un foisonnement étonnant de talents, des pionniers comme Jason Kibiswa ou Asimba Bathy (qui a lancé en 2014 les éditions Crayon Noir) aux étoiles montantes comme Yannick Kumbozi ou Fati Kabuika. Toutes ces énergies s’appuient sur les réseaux sociaux (blogs, Facebook) pour promouvoir leur travail. Pas qu’eux seuls, d’ailleurs. Originaire de Mbandaka, Richard Ali, nouvelliste et romancier en français et lingala contextualise : « Du fait de la précarité dans laquelle vivent de nombreux artistes, la promotion de notre travail passe essentiellement par Internet. Il faut aller vers notre public, avec nos moyens, ne pas tout attendre d’un ailleurs qui ne viendra jamais.» Magazine N°32 - Décembre 2015 23 LITTÉRATURE DES MOTS POUR LE DIRE 3ème Fête du Livre de Kinshasa : le bilan Directeur délégué de l’Institut français de RDC, Christophe Roussin revient sur le bilan et les enjeux de l’événement littéraire majeur de la capitale congolaise. Q uel bilan dressez-vous de la 3ème édition de la fête du livre de Kinshasa ? Globalement positif, avec une bonne participation : environ 3500 personnes sur l’ensemble des huit sites de l’événement, sur quatre journées. Nous avons eu aussi un panel d’écrivains intéressant et de plus en plus international. Il n'y a eu qu'une seule défection, celle du dessinateur français Frédéric Bihel qui n’a pas pu obtenir à temps son visa. En terme de contenu, la programmation a été assez équilibrée même s’il faudra encore faire un effort sur la communication notamment pour faire connaître les conférences auprès d’un public plus spécifique, les étudiants en lettres de l’Université de Kinshasa par exemple. Un regret : globalement sur l’ensemble de la fête, nous avons noté une faible participation des étudiants congolais. Quel est le positionnement de votre Fête du livre par rapport aux autres événements littéraires en Afrique Orientale et Centrale, entre des univers anglophone et francophone ? La Fête du livre de Kinshasa fait modestement partie de la liste des foires et fêtes du livre qui se déroulent dans la sous-région. Il en existe plusieurs à Hargeysa, Nai- robi, Kampala, Kigali… La RDC étant le premier pays francophone au monde en nombre de locuteurs, notre fête s’inscrit donc avant tout dans le cadre des manifestations francophones qui se déroulent en Afrique centrale francophone, entre Libreville, Brazzaville et Pointe Noire. Les invitations d’auteurs anglophones, comme celle de Ben Rawlence, se justifient pleinement pour deux raisons : parce que cet écrivain britannique a écrit un ouvrage intéressant sur la RDC et parce que son ouvrage a été traduit en français. Nous n’avons pas encore établi de connexions avec les responsables des foires précitées. Ce sera sûrement une piste de développement possible pour les prochaines éditions. Peut-on parler d’industrie du livre en RDC ? Je ne pense pas que l’on puisse à proprement parler d’industrie, mais d’une « économie vacillante » du livre plutôt. Notamment en raison du manque d’éditeurs, de distributeurs, du prix des livres et du faible pouvoir d’achat des Congolais. Que représente Kinshasa pour la création littéraire congolaise ? C'est le cœur de la création littéraire « rdcongolaise » : de nombreux écrivains congolais CHRISTOPHE ROUSSIN, DIRECTEUR DÉLÉGUÉ DE L’INSTITUT FRANÇAIS DE RDC sont originaires de la capitale ou bien ont pris Kinshasa comme sujet/théâtre de leurs ouvrages. Cependant, la création littéraire est présente dans d’autres grandes villes, en premier lieu à Lubumbashi. On peut ainsi citer en exemple le recueil « Chroniques du Katanga » qui réunit de nombreux écrivains de cette vaste province et particulièrement de sa capitale. De même, le recueil « Chroniques du Congo » montre également la présence et le talent de nombreux écrivains dans les deux Kivu. DAN BOMBOKO (ÉDITEUR), ROLAND RUGERO, RICHARD ALI (NOUVELLISTE ET ROMANCIER) ET JEAN KAMBA (POÈTE, CRITIQUE D'ART) LORS D'UNE CONFÉRENCE DANS LA MÉDIATHÈQUE DE L'INSTITUT w w w . i w a c u - b u r u nd i .o r g / aba kunzi @ i w a cu- bur un d i23 .or g Magazine Iwacu n°23 - Avril 2014