L`ÉPHÉMÈRE n°8 - Festival du Film de la Rochelle
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L`ÉPHÉMÈRE n°8 - Festival du Film de la Rochelle
L’ÉPHÉMÈRE n°8 Gratuit • N° 8 • Le quotidien du 43e Festival International du Film de La Rochelle • Sam. 4 et Dim. 5 juillet 2015 Alfred Hitchcock sur le tournage des Oiseaux (1963) • Le Lendemain de Magnus von Horn p.2 • Keep Smiling de Rusudan Chkonia p.2 • Carlos d'Olivier Assayas p.2 • Chorus de François Delisle p.2 • Un instant d'innocence de Mohsen Makhmalbaf p.3 • Interview de Serge Bromberg p.3 • The Thing de John Carpenter p.4 • Y aura-t-il de la neige à Noël ? de Sandrine Veysset p.4 AUJOURD’HUI, Samedi 4 juillet 16h15 : Rencontre avec Olivier Assayas animée par JeanMarc Lalanne > Théâtre Verdière / La Coursive • entrée libre NUIT JOHN CARPENTER 20h15 : The Thing (USA, 1982) / 22h15 : Fog (USA, 1980) 1h : New York 1997 (USA, 1981) > Grande salle / La Coursive en partenariat avec DEMAIN, Dimanche 5 juillet 16h15 : Rencontre autour de Luchino Visconti avec Claudia Cardinale, Laurence Schifano et Giorgio Treves animée par Nicolas Thévenin > Théâtre Verdière / La Coursive • entrée libre Soirée de Clôture 20h : avant première Le Tout Nouveau Testament (Belg./Fr./Lux., 2015) Jaco Van Dormael en présence de Yolande Moreau 22h : Les Oiseaux (USA, 1963) Alfred Hitchcock > Grande salle / La Coursive Demain, dimanche 5 juillet : 20°C / 34°C bonne nuit LES PETITS Lorsqu’on demande à John Carpenter si ses nuits sont peuplées d’insomnies, de créatures glaireuses ou de cauchemars à tiroirs, il répond très gentiment qu’il fait ses huit heures comme un bébé. Cette réponse est aussi décevante qu’intrigante. On meurt d’envie de lui hurler dans les oreilles : « Mais alors, Tonton Carpenter, de quel chapeau visqueux sors-tu la scène du défribilateur dans The Thing ? » La réponse, un travail clair et posé. Après une bonne nuit d’un délicieux sommeil réparateur, John se lève, se douche, s’habille, se rase, se dirige vers son bureau. Un donut dans la main gauche, un stylo dans la droite, les enfants jouent au base-ball au fond du jardin, c’est la Californie, 34 degrés, palmiers, bisous. Carpenter s’y colle: « Norvège, -34°. Depuis peu, une créature polymorphe se reproduit à travers les chercheurs d’une base scientifique. Le géologue Norris est foudroyé par une crise cardiaque. Copper, le docteur de la station, tente de le réanimer par une série d’électrochocs. À peine a-t-il effleuré la poitrine de Norris que celle-ci s’ouvre comme une bouche aux dents acérées, lui arrachant net les bras et, dans une cacophonie de cris de douleur et d’angoisse, du reste de l’abdomen de Norris surgit une réplique difforme et gluante de son visage, une créature du fin fond des océans vomitifs, montée sur colonne reptilienne sanguinolante. Cette chose émet une série de sons, superposition terrifiante de tous les râles de monstres cauchemardesques inventés depuis l’origine du cinéma. » Voila, ça c’est John Carpenter au petit matin. La peur primale décontractée. Seulement 2 minutes de The Thing, multipliez par 54, rajoutez un brouillardserial-killer dans The Fog, des pirates du futur apocalyptique dans New York 1997 et vous obtiendrez ce qu’on appelle communément « une bonne dose d’angoisse divertissante » . Faîtes de beaux rêves. Laurent Gérard Le Lendemain de Magnus von Horn Keep Smiling de Rusudan Chkonia DEMAIN EST AILLEURS REQUIEM FOR A DREAM GÉORGIEN Magnus von Horn, avec son premier long métrage Le Lendemain, nous propose un film plein d’émotions qui partage le spectateur entre espoir et désespoir, larmes et colère, pitié et frayeur. Après une peine de prison, John est de retour chez lui. Malgré ses efforts pour se réintégrer, personne ne lui accorde de seconde chance. Peu à peu, ses vices du passé reprennent le dessus. Son crime impardonnable et sa violence laissent à penser que ce jeune homme ne mérite pas d’être soutenu… Pourtant, paradoxalement, le spectateur se prend d’affection pour lui. En effet, on peut se demander si ce n’est pas une force supérieure, aussi ingérable pour luimême que pour son entourage, qui le conduit à être ainsi. Pour son premier rôle au cinéma, le jeune comédien Ulrik Munther se révèle très talentueux, jouant à la perfection ce personnage tiraillé entre la haine et envie de vivre. La mise en scène du film renforce les tensions palpables au sein de la narration. On se sent parfois voyeur, pris de culpabilité, témoin de scènes déchirantes qui serrent le cœur. La beauté de ce film, tant au sens narratif qu’esthétique, nous plonge dans un univers si réaliste qu’il en devient renversant. Nous vous proposons donc un film à ne pas rater, qui sort en février prochain. C’est l’histoire d’un programme télévisé qui propose une compétition composée de cinq épreuves qui vont permettre d’élire parmi 12 participantes … la meilleure maman de l’année. Rusudan Chkonia construit un film dramatique et comique qui dégage un sentiment d’oppression extrêmement poussé et qui augmente en intensité plus l’on approche de la fin. En effet, le début du film et ses premières séquences prennent le temps de présenter chaque maman et leur famille. La suite, et surtout le final, comprennent des séquences de plus en plus courtes et, par conséquent, un rythme de plus en plus haletant. En fait, les difficultés sociales de chaque « maman » sont mises en cause dans chacune des étapes proposées par le jeu et le monde capitaliste de la télévision rentre en jeu. Ce sont surtout ces deux éléments qui permettent au film de tenir cette cadence infernale jusqu’à la fin. Bien sûr, le cadre sans cesse en mouvement, même lorsqu’il pourrait se fixer, ainsi que le montage alterné, y participent beaucoup. Keep Smiling est donc un grand bazar organisé qui critique le monde du show-biz et qui réussit, malgré le scénario dramatique, à être drôle et absurde, tellement ce monde de la télévision y est tourné au ridicule. Et dire que c’est une histoire vraie… Agnès Robert & Anne-Sophie Alavin, lycée Rotrou Raphaël Berlucchi, lycée Rotrou Projection de Keep Smiling de Rusudan Chkonia le samedi 4 juilllet à 17h / Dragon 6 Carlos d'Olivier Assayas Chorus de François Delisle CARLOS 5h38 CHŒUR EN DEUIL Oui mais 5h38 de fascination. Olivier Assayas nous fait découvrir Carlos, du vrai nom Ilich Ramirez Sanchez, l'un des terroristes les plus recherchés au monde entre 1974 et 1994. Le film en trois parties nous fait vivre ses vingt années, avec lui bien sûr mais aussi avec ses coéquipiers. Un parcours de révolutionnaire contre toutes les politiques de l’époque. Et pourtant, la majeure partie des pays présents dans le film sont finalement implicitement complices de tous les attentats commis. C’est avec un regard empathique pour le personnage que nous commençons à regarder le film, malgré notre conscience en désaccord avec celui-ci. Puis dans la dernière partie, le réalisateur nous fait reprendre le dessus et nous le détestons. Olivier Assayas nous met donc en garde grâce à l’art de la manipulation dans les premières parties, au même titre que certains terroristes sont manipulés. Puis il nous remet en phase avec le monde, avec le bon sens dans la dernière. La musique du style rock qui en temps normal donnerait envie de sourire, participe ici a faire monter la pression chez les spectateurs. Elle crée un décalage avec les actions, tout comme le personnage est en décalage avec la vie : une vie de terroriste finalement. En liant parfaitement les images de fiction et les images d’archives, le réalisateur réussit son coup et nous offre un film à ne pas rater. François Delisle taille un diamant dans sa filmographie du nom de Chorus, un film touchant et poignant. Hugo a disparu à l’âge de 8 ans. Dix ans plus tard, il est retrouvé enterré. Les deux parents, séparés suite à cette disparition, se retrouvent et vont vivre ensemble la mort de leur enfant pendant quelques jours. Chorus est un film en noir et blanc, choix artistique montrant la perte de vie des deux parents, l’absence de couleur est égale à l’absence de leur enfant, de bonheur. L’enfant est omniprésent dans l’esprit de ses parents à tel point que dans les moments les plus intimes, une pensée va à Hugo. Cela crée chez le spectateur un attachement à un personnage pourtant peu visible dans le film. Nous vivons, grâce a ce procédé, les émotions tellement intenses des personnages en même temps qu’eux : ainsi nous ressentons un dégoût et une haine importante lors des aveux du meurtrier. La nudité de l’homme, au début du film, illustre la perception de sa vie : il n’a plus besoin de rien, il n’a plus rien. La perte de son enfant l’a changé, il a tout perdu le jour de sa disparition. Chorus est un film très touchant tant on se met dans la peau des personnages. Nous vivons avec eux leurs découvertes et leurs reconstructions. Le spectateur s’imagine alors à leur place et est horrifié par la situation. Un film beau qui illustre les liens parents / enfants, et le manque d’un être disparu. Ce film sait nous mettre les larmes aux yeux et nous faire frissonner. Film en salle en novembre. Maxime Marques, lycée Rotrou Maxime Marques, lycée Rotrou Projection de Carlos d'Olivier Assayas le dimanche 5 juillet à 14h / Dragon 1 INTERVIEW de Serge Bromberg d’un auteur et d’un public à travers son œuvre. Comme il n’existe pas de livres s’il n’y a pas de lecteurs. Serge Bromberg D’où tenez-vous ce goût des films rares ou oubliés, ce tempérament de dénicheur de pellicules ? Ce n’est pas moi qui tiens le goût des films rares, ce sont les films rares qui sont formidables. Je pense que n’importe qui serait fasciné par la richesse du cinéma, films anciens comme nouveaux, mais voilà, le temps passe, les gens oublient et les films disparaissent génération après génération, de notre imaginaire. Ce qui m’intéresse, c’est évidemment de restaurer les films, mais surtout de les montrer, de les faire vivre et je crois que c’est une préoccupation qui rejoint complètement celle du Festival de La Rochelle : faire découvrir non pas des œuvres d’hier, mais des films, magnifiques, c’est tout. Justement, selon vous, les festivals de cinéma doiventils jouer un rôle dans la conservation, la sauvegarde du patrimoine du cinéma, ou peuvent-ils se contenter de leur fonction de dénicheurs de jeunes talents ? Si le public vibre, quelqu’en soit le registre, d’un point de vue esthétique ou affectif, face à un talent, alors à ce moment-là un jeune talent devient « un talent » grâce au festival. C’est une chambre d’échos. Mais c’est la même démarche qui intervient pour les talents du passé. Il faut les faire découvrir et c’est dans les yeux du public que ces films existent, ce n’est pas sur l’écran. Le sujet central d’un film, ce n’est pas l’auteur mais la rencontre Votre société Lobster Films fête cette année ses trente ans, si vous deviez tirer un bilan, quel serait-il ? Bilan ? Trente ans ! Jamais de bilan ! Trente ans, c’est très court, je me demande ce que je vais faire pendant les trente prochaines années, et je suis impatient de le savoir. Je ne pense qu’au futur, je n’ai pas un goût du passé particulier. Sinon, j’ai déjà la programmation de mes 30 prochaines présentations au Festival de La Rochelle ! Ca doit faire une vingtaine d’années que je viens au Festival. J'y suis extrêmement attaché car c’est un festival que j’aime. J’aime découvrir des films improbables de réalisateurs dont les noms valent deux cents points au Scrabble. On nous propose des voyages cinématographiques en dehors de toute compétition pseudo clinquante, on est dans quelque chose de complètement sincère. Et les programmatrices adorent ce qu’elles montrent et adorent le montrer. Pour moi, le Festival de la Rochelle est unique : pas de compétition et des moments de convivialité incroyables. Comment s’est faite la mise en place du cinéconcert au Festival de La Rochelle ? Est-ce vous qui avez choisi de mettre en musique ce premier film de l’œuvre de Victor Fleming ? J’ai commencé les concerts en 1992, deux ou trois ans après que les premiers ciné-concerts ont lieu à La Rochelle. Jacques Cambra est le pianiste régulier et moi je viens ponctuellement. Cette idée du ciné-concert est une idée assez naturelle. Cette année, Victor Fleming et son Cauchemars et superstitions, c’est une idée qui est venue de Prune Engler. J’avais déjà programmé ce film dans une restauration en cours dans le cadre de l’Étrange Festival. Pour La Rochelle, on recommence à zéro toute la restauration, donc ça va être la première mondiale de la nouvelle version restaurée. Victor Fleming est un réalisateur important dans l’histoire du cinéma : c’est lui qui a réalisé Le Magicien d’Oz. Justement, si Victor Fleming est connu, c’est essentiellement pour Autant en emporte le vent (1939) et Dr Jekyll et Mr Hide (1941), deux films parlants. Pourquoi d’après vous ne connaît-on pas davantage sa période « muette » ? Victor Fleming était un merveilleux technicien et réalisateur qui a eu des années de jeunesse incroyablement inventif pendant le muet. Il faisait partie de ce groupe de réalisateurs très dynamiques de la jeune garde de l’époque. Lorsque des studios comme la Métro-Goldwy-Mayer se lancent dans Le Magicien d’Oz ou Autant en emporte le vent, il s’agit plus de faire appel à des réalisateurs extrêmement confirmés, pour manipuler la caméra technicolor qui est très lourde, très compliquée. Ils n’ont pas besoin d’un réalisateur qui soit très inventif, au contraire, mais un réalisateur très mûr. Le vrai génie de Fleming et de ces gens qui dans les années 1910 inventaient le cinéma, il est dans les films muets, pas dans les films technicolor. Avez-vous une méthode bien particulière lorsque vous procédez à la mise en musique d’un film ? Oui, mais je crains que cette réponse soit extrêmement courte : j’arrive, je m’assois au piano et au moment où la première image arrive, je joue la première note, et on verra quelle sera la deuxième ! C’est de l’improvisation, je suis dans la salle avec les spectateurs et je suis spectateur du film, et je joue la musique que mon cerveau, mon cœur, ont envie d’entendre. Propos recueillis pas Marion Pacouil COUPS DE CŒUR DES LYCÉENS Mia Madre de Nanni Moretti La ville de La Rochelle se distingue de par son Festival du cinéma ! Un Festival international riche de couleurs, de nuances et de sentiments, un festival à caractère mosaïque sur tous points. Mais ce mouvement culturel et cinématographique de La Rochelle est aussi un mouvement cosmopolite supposant découvertes, partages et enrichissements. En d’autres termes, ce festival est une gourmandise à saveurs plurielles et à plaisirs multiples qui engage la valorisation méritée de grands cinéastes classiques, contemporains, sociologues, romantiques ou même dénonciateurs. De grandes figures telles que Feuillade, Musidora, Visconti, Assayas, Bellocchio ou Hou Hsiaohsien. Le septième art sous-entend l’entreprise d’un dialogue averti entre l’auteur et le spectateur et la transmission d’émotions actives que ce dialogue prétend, notre Festival fait l’éloge de cette subtile définition du cinéma, c’est un fait certain ! Ce développement audio visuel laisse place a une interprétation singulière, et à l’émergence de coups de cœur : Cyclone à la Jamaïque d'Alexander Mackendrick est un film d’aventures de 1965, nous faisant naviguer sur un bateau de pirates. Dans ce film, se mêlent tragique de part une mort omniprésente et comique créé par le regard insouciant des enfants. Mia madre de Nanni Moretti est un film dramatique de 2015, qui relate une mise en abyme du cinéma, tout en guidant le regard du spectateur à s’abymer dans une réalité bouleversante, misérable et dramatique. Les Innocents de Jack Clayton est un film d'épouvante de 1961, qui engage une surprenante manipulation de la maturité humaine, et qui dépose une sorte d’inversion des rôles sociaux au sein d’une famille. Dès lors, l’enfant devient adulte et vice-versa, un jeu relativement oppressant. Adrien Parmentier, Léo Ménager & Maxime Marques Les Innocents de Jack Clayton Gratuit • N° 8 • Le quotidien du 43e Festival International du Film de La Rochelle • Sam. 4 et Dim. 5 juillet 2015 Y aura-t-il de la neige à Noël ? de Sandrine Veysset The Thing de John Carpenter Des petits cailloux dans une chaussure Le vif du sujet Dès les premières minutes, on cherche en vain à établir un lien entre les images estivales qui défilent et le titre du film évoquant l’hiver. Des enfants sont affairés à des travaux des champs, l’ambiance colonie de vacances qui y règne ne laisse rien présager de la suite… Et pourtant, on se doute rapidement que quelque chose cloche dans cette famille. Ce sont au total sept enfants qui composent la progéniture bâtarde d’un père cruel – une sorte d’ogre des prés - qui vit dans la maison d’à-côté et rechigne à payer l’électricité. Au milieu de ce joyeux bazar, la mère tient bon, élevant ses enfants avec amour et tendresse – Sandrine Veysset parvient à déjouer tous les poncifs misérabilistes qui accompagnent bien souvent le personnage de mère Courage. Les enfants sont une force de travail gratuite : planter les choux, brosser les radis, porter les cageots, les travaux se succèdent et les saisons avec. La campagne est filmée dans toute sa dureté, elle impose son rythme, ses cycles : on est loin d’une vision bucolique des champs. Mais cet extérieur craint est aussi la matière première des jeux des enfants, et c’est ainsi que des courgettes géantes, un fois évidées, deviennent des bateaux annonciateurs de trésors, remplis de bonbons et prêts à rejoindre le grand frère occupé à travailler dans le champ d’à côté. Ou qu’un noyau de fruit et quatre cuillères à soupe donnent lieu à une partie de foot endiablée. Y aura-t-il de la neige à Noël est une sorte de huis clos paradoxalement à ciel ouvert, puisque cette campagne dans laquelle se déroule l’histoire constitue à la fois une forteresse et une possibilité d’évasion. Lorsqu’un des enfants, après s’être fait rudemment repprendre par le père demande « pourquoi on ne part pas, maman ? », celle-ci répond « on va se retrouver en HLM, au moins ici vous êtes au grand air ». L’exil vers la ville n’est pas la solution et la mère a décidé de se battre. L’extérieur est souvent hostile, la maison plutôt synonyme de douceur et de rires – excepté pour Jeanne l’aînée, contrainte par le père à fabriquer sa féminité entre les quatre murs de la maison. Ces « petits cailloux » - comme les surnomme la mère -, Sandrine Veysset les filme dans un style naturaliste magnifique, à leur niveau, sans sublimation et avec une bienveillance illimitée. Sans rien dévoiler, on peut affirmer que le final onirique est absolument glaçant. Aujourd’hui encore, il faut se lever en pensant à la nuit à venir ; vous aurez alors tout le jour pour vous préparer à glisser dans la nébuleuse Carpenter. La projection de The Thing viendra donner la couleur : les nuées de Fog ne viennent-t-elles pas en effet soulever les mêmes questions ? Celles de l’indistinct, de l’innommable, en grappes de nerfs ou en courants abstraits ? Ce dont nous parle le cinéaste, c’est notre hantise de l’inconcevable, pourtant si naturel en apparence, aux créatures de sang-froid qui habitent la banquise carpenterienne. Il nous met sous le nez tout ce qui nous fait spontanément détourner la tête : ici, sous nos yeux , ça grouille, ça rampe, ça éclate en fructueuses éclosions de chair. La caméra pointe du doigt le monstre indéchiffrable, présence qui rôde autour de nous, au bruit suspect d’une pulsation étrange - les palpitations de l’incroyable bande originale composée par Ennio Morricone retentissent à nos tempes - : la vie est là, mais la vie de qui ? Des hommes ou de cette Chose ? Force terrifiante aux excroissances innombrables, ventre toujours fécond dont rien ne peut sortir si ce n’est l’intolérable même, la ressemblance impossible ? La vie de chacun ne vaut pas lourd face à l’absurde persistance de la vie pour elle-même, bloc de radicale étrangeté que la caméra entoure. Cette menace venue d’un passé immémorial qui touche au futur le plus lointain, il faudrait la circonscrire et l’enflammer dans un grand bûcher final pour pouvoir définitivement s’en défaire. Mais le combat est voué à l’échec, au grand dam de l’incorruptible MacReady ; inéluctablement, ça gagne du terrain, et malgré la riposte incessante des flammes, l’œil est sorti de la tombe et regarde Caïn. Héritée d’un passé antérieur à toute possibilité de souvenir, cette peur protéiforme traverse les personnages tandis que, telle l’antique Féline du cinéma d’horreur, elle hante le hors-cadre, puis, tout à coup, elle explose et envahit l’espace : viscères exhibés, tentacules visqueuses et sanguinolentes, organes oubliés, insectes aux corps instables, elle se joue de nos peurs primitives pour emprunter à nos cauchemars ses pires métamorphoses. Mais finalement, plus que tout le reste, la chose envahit l’intérieur, elle infiltre les corps et les sujets et les détourne d’eux-mêmes. Au bout du compte, c’est sur les hommes eux-mêmes que pèsent la suspicion de la chose, quand ils guettent les uns les autres, devenus étrangers, illisibles. « C’est Bennings », « c’est Clark », « c’est MacReady », ces affirmations ordinairement rassurantes, destinées à conforter chacun dans la certitude d’une identité, fonctionnent désormais comme les signaux de l’anéantissement. Comment distinguer l’ami du cadavre ambulant ? Et si c’était un homme ? Le reconnaîtrait-on à un ensemble de cellules, à une bonne complexion physique, une juste harmonisation d’organes et de membres convenablement conformés ? Devant l’impossible, les personnages ne peuvent que se retourner les uns contre les autres, suspectant chez le voisin, le semblable, la survivance du monstre aux abois. Le résultat est sans appel : d’un côté les hommes, de l’autre les monstres, hybrides à abattre, la vérité éclate dans une nouvelle explosion de chair et de couleurs. Tour à tour brasier ou étendue de glace, le vertige paranoïaque se déchaîne, il faut alors abattre les supports malgré eux de cette vie sans repos et bien tuer ces morts jamais loin de revenir. Dans chaque plan réunissant les membres de l’équipe, on scrute les agencements changeants des personnages, les différentes combinaisons possibles des douze éléments en présence, on compte : un contre onze, trois contre neuf, puis deux contre trois, trois contre cinq – jusqu’au face à face final. Une fois déclinées toutes ces possibilités, on abandonne tout naturellement le théâtre dévasté des opérations, laissant derrière nous cette matrice aussi effroyable que jubilatoire du cinéma de Carpenter, qui n’a pas fini de nous effrayer par sa consommation de chair humaine. La nuit ne fait que commencer. Louise Aloupic Projection de Y aura-t-il de la neige à Noël ? de Sandrine Veysset le samedi 4 juillet à 19h45 / Dragon 5 en présence de la réalisatrice et de Dominique Reymond DIRECTION : Festival International du Film de La Rochelle COORDINATION : Marion Pacouil RÉDACTION du N°8 : A.S. Alavin, L. Aloupic, R. Berlucchi, H. Gaudu, H. Kuchmann, L. Gérard, M. Marques, L. Ménager, M. Pacouil, A. Parmentier, A. Robert, L. Weiss MAQUETTISTE : Catherine Hershey PHOTOGRAPHE : Philippe Lebruman REMERCIEMENTS : Toute l’équipe du Festival Imprimeur partenaire du Festival Tél: 05 46 30 29 29 • www.iro-imprimeur.com Hélène Kuchmann et Lise Weiss Nuit John Carpenter le samedi 4 juillet à partir de 20h15 / Grande salle en partenariat avec