Bolom Ajaw - Peace Watch Switzerland

Transcription

Bolom Ajaw - Peace Watch Switzerland
La communauté de Bolom Ajaw
Bolom Ajaw est situé dans la jungle, au nord des Chiapas (municipalité de Salto de Agua), à proximité du site
touristique de Agua Azul. Récupérée par l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) dès 1994, lors du
soulèvement zapatiste, cette terre est habitée depuis 2003 par des familles venant de diverses communautés
tzeltal. Aujourd’hui, le village compte ~11 familles zapatistes.
Dès ses débuts, les nouveaux habitants de Bolom Ajaw sont confrontés à l’hostilité de certains membres de la
population de Agua Azul, appartenant au groupe paramilitaire de l’Organisation Pour la Défense des Droits
Indigènes et Paysans (OPPDIC). Leur intérêt ? Prendre de force les terres de Bolom Awaj pour favoriser le
déploiement de projets touristiques mandatés par le gouvernement. Car cette communauté bénéficie bel et
bien d’atouts touristiques majeurs : un fleuve aux eaux turquoises, une végétation luxuriante ou encore des
cascades impressionnantes.
Si la communauté vit actuellement une situation calme, son passé témoigne en revanche d’une histoire plus
tumultueuse. Dans son rapport1, le centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas rend compte des
diverses menaces perpétrées par des membres de l’OPPDIC : mesures d’intimidation, destructions
d’habitations, expropriations d’une partie des terres cultivées, agressions physiques et verbales, etc. Le
dernier conflit remonte à 2010, lorsque des membres du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) de Agua
Azul et de l’OPPDIC ont envahi deux hectares de la réserve de Bolom Ajaw.
cartes tirées du rapport de FrayBa “Ataque Armado a poblado zapatista de Bolom Ajaw por pobladores del PRI de Agua Azul”, 2010.
Récit d’observation (du 4 au 17 janvier 2012)
Mise en route
Composé de cinq observateurs, notre groupe se met en route le mercredi 4 janvier 2012 pour la communauté
de Bolom Ajaw. Direction nord, au cœur de la jungle chiapanèque ! Nous emportons dans nos sacs à dos la
victuaille nécessaire pour se nourrir deux semaines durant.
Ponctué de plusieurs changements de transport, le trajet se déroule en deux étapes. La première consiste à
atteindre le caracole2 de Morelia pour obtenir la permission du conseil de bon gouvernement (junta de buen
gobierno) zapatiste. Une fois passées les formalités d’entrée, nous sommes reçus pour un entretien collectif.
La junta connaît le travail des observateurs. Nous recevons bientôt l’autorisation de poursuivre notre route.
Mais avant cela, nous passons une nuit au caracole, accompagnés d’autres volontaires.
1
Téléchargeable sur internet, le rapport s’intitule “Ataque Armado a poblado zapatista de Bolom Ajaw por pobladores del PRI de
Agua Azul”, février 2010.
2
En 2003, les diverses municipalités zapatistes ont été réparties en cinq régions autonomes, appelées caracoles: Oventic, Morelia,
La Garrucha, Roberto Barrios et La Realidad. Chaque caracole est administré par un conseil de bon gouvernement (junta de buen
gobierno), constitué de membres (hommes et femmes) des diverses communautés zapatistes. Chacun et chacune y assume – de
manière collective, horizontale et rotative - ses responsabilités durant une période définie.
Le caracole de Morelia. À l’entrée, la pancarte donne le ton :
« Vous êtes en territoire zapatiste en rébellion. Ici le peuple
commande et le gouvernement obéit. »
Des peintures murales décorent les maisons. Sur celle-ci, on
peut y lire la revendication des paysans zapatistes : « Jamais
plus un Mexique sans nous. »
Une fois passé le poste dit “écotouristique” de péage de Agua Azul (sans payer !), un membre de Bolom Ajaw
nous attend au bord de la route, à la rizière de la jungle. Deux policiers armés gardent l’entrée. Ils demandent
à notre compagnon de voir nos passeports et la raison de notre visite. Mais nous passons tout droit, sans
nous arrêter. L’un d’entre eux prend cependant des photos depuis son téléphone portable. S’agit-il d’un acte
d’intimidation sans autres conséquences ? Sans doute. Nous entamons donc notre dernier bout du trajet dans
la jungle, jusqu’à atteindre notre campement.
Notre mission
Dès notre arrivée, notre compagnon (entre nous, on s’appelle “compa”) nous explique notre rôle. La situation
actuelle étant calme, notre mission consiste avant tout à noter les éventuels hélicoptères survolant la zone.
Nous avons en effet vu passé plusieurs hélicoptères, dont l’un d’eux appartient, selon l’un des “compas”, à la
police et l’autre effectuant un vol en rase-motte. Mais depuis le dernier incident en 2010, rien de grave n’a été
noté.
Notre quotidien dans le campement
Répondre aux besoins primaires, tel est notre objectif quotidien : chercher du bois sec, récolter l’eau dans la
source accostée à la rivière, cuisiner au feu… Les jours de pluie sont les plus pénibles : car l’eau de la rivière
se trouble, brunit. Il est aussi plus difficile de trouver du bois sec. Ces jours-là, nous allons récupérer l’eau de
pluie, emmagasinée dans le tanque d’un “compa”.
Notre habitat est des plus basiques. Il consiste en trois parois en bois, un toit en tôle et un sol de terre. Nous
dormons dans des hamacs – pour éviter les insectes arachnides et autres reptiles! – et nous lavons, les jours
de beau, dans la rivière.
La communauté vit au rythme de la nature. L’obscurité surgit vers 18 heures… déjà deux heures plus tard, la
plupart des “compas” se couchent. C’est alors qu’un silence profond s’installe dans la jungle nocturne. Seul le
bruit des animaux et le ciel étoilé nous accompagnent dans nos conversations du soir, autour du feu de notre
campement.
Bolom Ajaw est accosté à une rivière turquoise, au
courant fort. Une végétation luxuriante longe la
rivière, menant à de magnifiques cascades en
terrasses.
Un jour, un “compa” nous a invité à le suivre pour
découvrir ces beautés naturelles (méconnues de la
plupart des touristes) ainsi que les champs de maïs
cultivés par les habitants de Bolom Ajaw.
Mais en tant qu’observateur/trice, il n’est pas d’usage
de partager le travail quotidien des paysans. Malgré
cela, on ne s’ennuie pas ici: une fois répondu aux
besoins primaires, on se baigne dans la rivière, on lit,
on aide les femmes à cuisiner les tortillas, on
échange avec certains membres (ceux qui parlent le
castillan !) de la communauté une fois achevée leur
dure journée de labeur, on joue avec les enfants, ou
on participe – à volonté – à la messe dominicale.
Cette dernière est dirigée dans la langue indigène de
la communauté, le tzeltal. Car si les habitants sont
catholiques – comme la majorité des membres
zapatistes –, certaines superstitions demeurent : en
témoigne la croyance en les sirènes qui, entre 12h et
13h, peupleraient les eaux de la rivière…
Les cascades, un joyau caché au coeur de la jungle
chiapanèque.
Le jeune Freddy se plaît à se balancer dans les hamacs
des volontaires !
Véronica, une femme de combat
Véronica incarne parfaitement la loi révolutionnaire des femmes zapatistes, édictée en 1994 dans les zones
sous contrôle. Du haut de ses 24 ans, cette femme dynamique a fait le choix – peu répandu ! – du célibat.
Vêtue de son habit traditionnel (une longue jupe bleu foncée et une chemise blanche brodée de fleurs), elle
est toujours en alerte. Il suffit d’un appel radio pour qu’elle se précipite en courant vers son habitat. Car c’est
dans sa petite cabane en bois que réside le poste de radio zapatiste, dont elle est responsable.
Il y a quelque temps, la communauté de Bolom Ajaw l’a désigné pour faire partie de la junta de buen gobierno
de Morelia, avec qui elle est en contact radio régulier. « Au début, je ne voulais pas » nous avait-elle avouée
dans un sourire timide. Mais à présent, elle dit aimer ce rôle, qu’elle prend très au sérieux ! Tout comme celui
de préparer, aux côtés de sa mère, les tortillas quotidiennes pour toute sa famille. « C’est mon travail »
affirme-t-elle en espagnol, langue qu’elle a notamment apprise au contact des volontaires.
Rachel Gotheil