la presse francophone et la flandre

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la presse francophone et la flandre
Levons les barrières
LA PRESSE FRANCOPHONE ET LA FLANDRE
L
’interview historique du ministre-président flamand Yves Leterme dans le quotidien
français Libération du 17 août 2006 était un scoop inopiné1. La presse française ne
s’intéresse pas outre mesure à la Belgique, a fortiori à la Flandre.
Rentrant en Flandre, nous tombons notamment sur La Libre Match, l’édition belge de
Paris-Match, dont les «pages belges» sont rédigées par un petit groupe de journalistes du
quotidien La Libre Belgique. L’avantage de Paris-Match est que cet hebdomadaire touche un
tout autre public que Libération ou que la presse quotidienne belge de langue française: c’est
ainsi que j’ai reçu les félicitations d’une connaissance occasionnelle qui me disait avoir apprécié,
en le lisant chez son coiffeur, un dossier sur les Flamands de Bruxelles auquel j’avais collaboré.
Tout comme La Libre Belgique, La Libre Match entend faire découvrir à ses lecteurs une
image de la Flandre plus nuancée qu’il n’est d’usage dans les journaux francophones.
Cela a donné un article élogieux sur les Flamands de Bruxelles et un autre, aussi brillant
qu’objectif, sur le cercle fermé d’hommes d’affaires flamands De Warande, avec un président
rayonnant, Piet Van Waeyenberge, sur son escalier d’honneur.
J’ai le sentiment que - si l’on excepte un certain nombre d’exagérations du genre de celles
dont Le Soir, surtout, est coutumier - la presse francophone se montre davantage encline à
s’exprimer de façon nuancée sur la Flandre que la presse flamande sur la Wallonie.
C’est certainement vrai si on veut bien ne pas tenir compte des épanchements de la presse
francophone sur la périphérie bruxelloise.
Nous touchons là au fond de la question: de même que la Belgique francophone se
subdivise entre Région wallonne et Communauté française, cette dernière très présente à
Bruxelles, très politisée et régulièrement anti-flamande, de même on distinguera une presse
wallonne et une presse francophone. La presse flamande ne fait que rarement, voire jamais,
la distinction entre Wallonie et Communauté française; elle met trop souvent dans le même
sac la périphérie bruxelloise, Charleroi et le puissant Elio Di Rupo (président du Parti socialiste
et ministre-président du gouvernement wallon). Nous y reviendrons.
Mais voyons d’abord la presse hebdomadaire. Le VIF / L’EXPRESS est fréquemment sousestimé. Il alterne régulièrement les commentaires anti-flamands (ce qu’il écrit à propos d’Yves
Leterme dépasse tout ce que l’on peut imaginer) et de remarquables dossiers, à la fois sur la
Wallonie et sur la Flandre. C’est dans Le VIF / L’EXPRESS que j’ai lu les meilleurs articles à
l’approche des élections communales d’octobre 2006. Mon sentiment est que ce magazine
s’y montre plus posé et plus objectif au sujet de la Wallonie et de la Flandre qu’à des moments
où la francophonie est à nouveau menacée par «les Flamands» (incarnés, depuis l’interview
parue dans «Libé», par la personne d’Yves Leterme). La Libre Match et Le VIF / L’EXPRESS
ont un avantage supplémentaire: le lecteur y trouve souvent en prime d’excellents reportages
de l’étranger émanant des maisons mères françaises ou un portrait touchant (et, il est vrai,
grotesque) de Johnny Halliday (dans La Libre Match, repris de Paris-Match). Du reste, Johnny
Halliday s’appelle tout bonnement Smet et est né à Bruxelles, où il est revenu habiter.
Nous ne mentionnerons l’hebdomadaire satirique Père-Ubu que par souci d’exhaustivité.
Il est loin, le temps où tout le monde, rue de la Loi à Bruxelles, se ruait chaque mercredi sur
Pan, le prédécesseur de Père-Ubu. Ce dernier n’est qu’une vulgaire feuille d’extrême droite,
affairiste et anti-politique, ce qu’il a d’ailleurs toujours été.
Avant de nous attaquer au gros morceau, à savoir la presse écrite quotidienne et la chaîne
de radio-télévision publique RTBF, arrêtons-nous un instant aux télévisions régionales, très
importantes en Wallonie, quoique de niveaux très variables. La meilleure et - ce qui n’est sans
doute pas un hasard - la plus ancienne est sans conteste NO-Télé (Tournai), qui émet dans
l’ouest du Hainaut. NO-Télé («Notre Télé») reçoit un euro par habitant des communes qu’elle
dessert, et perçoit en outre d’importantes recettes publicitaires. Cette chaîne peut être qualifiée
d’assez indépendante, y compris sur le plan politique, ce qui ne va pas de soi dans le reste de
la Wallonie. NO-Télé collabore étroitement avec la chaîne ouest-flamande WTV et informe son
public des (éventuelles) offres d’emplois sur le marché du travail de Flandre-Occidentale.
Les autres TV régionales seront rapidement passées en revue. A côté de NO-Télé, il y a
encore, dans la seule province du Hainaut, Télé-Sambre pour Charleroi, Télé Mons-Borinage
pour «Di Rupo-ville» alias Mons, et une troisième quelque part entre les deux. Les télévisions
régionales sont tout simplement pléthoriques (voyez aussi les provinces de Namur, du
Brabant wallon, de Liège et de Luxembourg) et beaucoup trop dirigées par leurs conseils
d’administration, presque toujours composés de politiques. D’après un de mes confrères
wallons, ces télévisions régionales paralysent le débat politique en Wallonie parce que l’objectif
de tout homme politique régional est en fin de compte de passer autant que possible sur les
antennes de sa télévision régionale. Les débats de fond sont inexistants.
WALLONIE ET BELGIQUE FRANCOPHONE
Venons-en aux ténors, aux organes de presse qui contribuent moyennement, voire puissamment,
à façonner la vie publique tant en Wallonie que dans la Belgique francophone (un distinguo
dont on ne soulignera jamais assez l’importance).
Il existe une presse wallonne, mais elle est peu consistante. Elle se répartit en deux groupes
qui cohabitent en assez bonne intelligence: le groupe Sud Presse, avec La Meuse à Liège, sa
petite sœur La Lanterne à Bruxelles (qui pratique abondamment le fait divers), La Nouvelle
Gazette à Charleroi, La Province à Mons et dans le Hainaut occidental, et enfin un fascicule
commun, La Gazette des Sports. Le second groupe est Vers l’Avenir, qui comprend entre autres
les titres Vers l’Avenir (Brabant wallon et surtout Namur) et L’ Avenir du Luxembourg
(le sud du Namurois et la province de Luxembourg). Ajoutons, pour être complet, que le
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quotidien français Nord-Éclair publie une édition wallonne dans le Hainaut occidental
(de Tournai à Mons).
Le partage géographique entre les deux grands groupes est presque parfait. Sud Presse
se vend bien sur l’ancienne dorsale industrielle, qui va du Borinage, en passant par Mons et
La Louvière, à Charleroi et Liège. Il est plutôt de droite que de gauche, mais certainement pas
d’extrême droite, et les nombreux correspondants locaux fustigent volontiers les dirigeants,
souvent des socialistes. Mais ces quotidiens relatent surtout les faits divers, qui ne manquent
pas dans la région.
Depuis peu, le groupe Vers l’Avenir appartient à la Vlaamse Uitgeversmaatschappij (VUM Société flamande d’édition), dont, pour la circonstance, la régie publicitaire a été rebaptisée
Corelio. Vers l’Avenir dispose avec L’ Avenir du Luxembourg d’un quasi-monopole dans les
provinces du Brabant wallon, de Namur et de Luxembourg. Si la VUM a pu imaginer un
changement d’appellation pour l’acquisition de ces journaux, c’est qu’il devait y avoir à la clé
des bénéfices substantiels et de nouvelles perspectives, quoique la rédaction et les cadres aient
été immédiatement l’objet d’une impitoyable «radioscopie». Il est à espérer que le nouveau
propriétaire réussira à insuffler à ce groupe de presse wallon un peu plus d’ambition. En
effet, Vers l’Avenir s’élève rarement au-dessus du fait divers (soft). Pour qu’il se fende d’un
commentaire, il faut vraiment le décès d’un pape ou d’un roi. Vers l’Avenir est d’une obédience
catholique surannée. A une certaine époque, le gros des participations était entre les mains
de l’évêché de Namur. La Vlaamse Uitgeversmaatschappij pourrait faire de ce quotidien le
premier de Wallonie, mais cela suppose d’abord une attitude namuroise autrement ouverte.
Dans notre tableau, le quotidien d’expression allemande Grenz-Echo mérite une place à
part. Chaque Belge de langue allemande est pour ainsi dire un lecteur du Grenz-Echo.
Le journal a aussi joué un rôle déterminant dans l’histoire des cantons de l’Est, de leurs citoyens
germanophones en particulier. C’est un peu sous sa conduite que ceux-ci, de «bons Allemands»
qu’ils étaient, sont devenus en quelques générations de «bons Belges». Aujourd’hui, le
Grenz-Echo continue de publier d’excellents articles de fond et est toujours de bonne tenue,
parfois un rien ennuyeux - mais c’est un défaut qu’il partage avec pas mal de bons journaux.
A Bruxelles paraissent La Dernière Heure, La Libre Belgique et Le Soir. Passons rapidement
sur La Dernière Heure, qui vit du sensationnel et le crée parfois elle-même. Son chiffre de
vente, en déclin, se situe entre 80 000 et 90 000 exemplaires. Le journal est proche du
parti libéral MR (Mouvement réformateur), mais n’est jamais tout à fait pris au sérieux. Le
Soir, dont le tirage (actuellement 100 000 exemplaires) est également en baisse, présente
deux caractéristiques majeures: une attitude anti-flamande qui frise parfois le ridicule et
une rédaction dont tous les membres, ou presque, ont une couleur politique connue, ce qui
procure au journal la faculté de s’adapter à tout pouvoir en place. Ces derniers temps, le Parti
socialiste y a été particulièrement choyé avec, par exemple, durant la période qui a précédé
les élections communales d’octobre 2006, chaque jour des photos de Laurette Onkelinx, qui
briguait à ce moment le poste de bourgmestre de Schaerbeek, commune de l’agglomération
bruxelloise. Mais Le Soir sait aussi présenter un visage amène vis-à-vis de la Flandre, notamment
par l’entremise de Dirk Vanoverbeke, Belge francophone de souche flamande, qui suit de
façon remarquable l’actualité du nord du pays.
La Libre Belgique (50 000 exemplaires, dans une courbe ascendante) est incontestablement
le meilleur quotidien de Belgique francophone. Depuis longtemps déjà, ce journal s’est
distancié de toute appartenance belgo-bruxelloise et accorde une grande attention à la vie
politique tant wallonne que flamande. Toute personne qui souhaite lire régulièrement la
presse belge francophone en se limitant à un seul quotidien gagnera à opter pour La Libre
Belgique, à la condition de ne pas être allergique à son royalisme un peu candide..
Dans le secteur de l’audiovisuel, la chaîne commerciale RTL-TVi et l’organisme public RTBF
se livrent une concurrence acharnée, surtout en télévision. RTL-TVi devance nettement sa
rivale en chiffres d’audience, mais elle le doit beaucoup moins à l’information qu’aux nombreux
petits jeux (débiles) qui meublent sa grille des programmes; à croire qu’elle revendique la
palme du divertissement idiot. A côté de cela, RTL-TVi met sur pied le dimanche matin
d’ambitieux débats télévisés que les politiciens francophones ne manqueraient pour rien
au monde. La chaîne est politiquement neutre, mais ses idées - pour autant qu’elle en ait pencheraient plutôt à droite qu’à gauche. La RTBF, quant à elle, souffre d’une emprise très
marquée du pouvoir, du Parti socialiste en premier lieu, mais les autres partis entendent
aussi avoir leur mot à dire: ainsi, la composition des tribunes pré-électorales est déterminée
à l’échelon du conseil d’administration (lui-même de composition politique). Dommage, car
la RTBF possède malgré tout d’excellents journalistes, tant en télévision qu’en radio. La RTBF
produit souvent des magazines et documentaires de qualité, que ce soit sur des sujets belges
ou étrangers. Un peu plus d’autonomie serait bénéfique à cet acteur appréciable du paysage
audiovisuel, mais cela semble moins que jamais envisageable face à l’omniprésent Elio Di Rupo.
Fin 2006, la RTBF a diffusé un pseudo-reportage au cours duquel les Flamands proclamaient unilatéralement l’indépendance de la Flandre. On peut se demander si cette fiction
a influencé de manière durable le paysage politique belge. Elle péchait par omission en
attribuant exclusivement à l’extrême droite la volonté flamande de réforme de l’État et en
négligeant les autres formations politiques. Toujours est-il que, en rassemblant chez Rudi
Vanderpaal le gratin de la droite, la RTBF a fait de la télévision historique. Nous savons à
présent d’où ces Messieurs-dames, depuis l’extrême droite représentée par le Vlaams Belang
jusqu’au parti nationaliste flamand NV.A, reçoivent leurs ordres. La télévision publique
flamande ferait bien de diffuser ce programme de toute urgence.
BRUXELLES FAIT LA LOI
Quelle conclusion pouvons-nous tirer de ce tour d’horizon? Pour faire simple, nous laisserons
de côté le quotidien germanophone Grenz-Echo, même si celui-ci s’exprime sur la Flandre
en termes plutôt élogieux. Les Belges de langue allemande savent en effet que, sans le
Mouvement flamand, ils n’auraient jamais accédé à un statut propre au sein de la Belgique.
La presse francophone se répartit en une presse bruxelloise et une presse wallonne.
Au point de vue de l’influence sur l’opinion publique, les organes de presse bruxellois ont
infiniment plus de poids que les groupes wallons Vers l’Avenir et Sud Presse. C’est surtout
de Vers l’Avenir que l’on pourrait s’attendre à mieux. L’image de la Wallonie souffre fort de
l’absence d’un journal influent, et la presse francophone bruxelloise polarise l’intérêt, en tout
cas en matière de regard sur la Flandre. La presse wallonne n’a tout simplement pas d’opinion
au sujet de la Flandre, si ce n’est dans l’une ou l’autre circonstance comme cela fut le cas lors
de l’interview française d’Yves Leterme que nous évoquions tout à l’heure.
La presse francophone bruxelloise n’est plus homogène. La Libre Belgique est sensiblement
plus modérée que Le Soir. «La Libre» demeure fidèle à la Belgique, et quiconque souhaite le
maintien de la Belgique se doit de montrer de l’attention et du respect pour le partenaire.
Sur ce plan, Christian Laporte réalise de l’excellent travail. Le Soir reste anti-flamand, mais,
chose relativement neuve, ouvre ses colonnes à un observateur avisé de la Flandre tel que
Dirk Vanoverbeke. La RTBF (radio et télévision, avec entre autres les frères Deborsu) se
montre objective, sans plus, vis-à-vis de la Flandre; RTL-TVi l’est moins.
Levons les barrières
Une seule préoccupation fait l’unanimité au sein de la presse francophone du pays: la sauvegarde
des droits des francophones de la périphérie flamande de Bruxelles. Pour Le Soir, cela passe
par une extension du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. Sur ce chapitre, les médias
francophones emboîtent le pas à leurs dirigeants politiques. Il ne siérait pas mal à un quotidien
tel que La Libre Belgique de manifester, sur ce point également, davantage de compréhension à
l’égard de la position flamande.
En tout état de cause, je reste d’avis que les médias francophones se montrent plus calmes
et - sauf sur la question de la périphérie bruxelloise - plus objectifs au sujet de la Flandre que
la plupart de leurs homologues flamands ne le sont à l’égard de la Wallonie.
Guido Fonteyn
Journaliste.
[email protected]
Traduit du néerlandais par Jean-Marie Jacquet.
© Guido Fonteyn / Ons Erfdeel vzw
Note: Voir les pp. 104-106 du présent numéro.