PDF - maelstrÖm reEvolution

Transcription

PDF - maelstrÖm reEvolution
INCANTATIONS BARBARES
Otomo D. Manuel
à Cannelle,
Bouffe-moi quand je serai crevé
Pas là, c’est sale !
Pas ton pied, c’est sale !
Pas dans la bouche, c’est sale !
Pas tes doigts dans ton cul, c’est sale !
Cet acharnement à échapper à la salissure
Échapper à la contamination
Échapper à une quelconque maladie
Ta chasteté est une volonté d’anéantissement
Ta retenue est une volonté d’anéantissement
Je ne suis pas pour la paix
c’est pour cela que je vis paisiblement
Tu crois encore à la bonté ?
Tu penses encore à une paix possible ?
Mais pour survivre il te faut
cinquante tonnes de nourriture
ce, sur la durée d’une vie normale
Sur ces cinquante tonnes,
vingt cinq tonnes de viandes
À raison de cinq cents kilos la vache
il te faudra à toi seul, pas moins d’un troupeau de
cinquante têtes
Et sur une vache tu ne manges pas tout alors
Cinquante têtes ? Cent têtes ! Cent cinquante têtes !
Cinquante vies pour assurer le maintien d’une seule
Une conjoncture qui échappe à la bonté
Il n’y a que nécessité
C’est là le codex
[2]
Aimer la vie revient à aimer la nécessité
Reconnaître le droit à cette nécessité
Adhérer à ce codex inflexible
T’aimer c’est déjà réclamer le sacrifice de ces cinquante vaches
sur les parvis d’un temple
T’aimer c’est réclamer de la viande en holocauste
C’est vouloir que quelque chose saigne,
L’amour nécessite l’apprentissage de l’égorgement
L’avènement implique le sang de la nécessité
Il n’existe aucun autre impératif catégorique
Le monde échappe à la morale
La bonté c’est l’instinct qu’on a caché sous une soutane
si je retire la soutane
c’est l’instinct que je déshabille
Il faut pourtant que j’apprenne à ne plus rougir
Il faut que j’apprenne à ne plus m’habiller dans le mensonge
Montrer mon instinct
Nous allons passer au niveau deux du jeu
Un espace d’incorporation
Une relation plus tendue avec la représentation
Quitter la représentation pour nous approcher le plus près
possible
du sens profond
la mise à nu de l’existence
cette soutane qu’on enlève
Une incision
Echapper à toute rhétorique, à toute stylistique
Incorporer un fait
Après l’avoir mastiqué en suffisance
Le début de la danse
Qui ne peut avoir lieu que nu et le corps en sang
Ce, parce que le langage est une corruption du sens qui rapproche
un peu plus de l’impossible
[3]
L’animal lui ne connaît pas le refus
C’est pourquoi il ne craint pas le coup
aussi violent soit-il
aussi petit soit l’animal
Est-ce une représentation ou est-ce un fait ?
l’olisbos dans le cul, je suis un enculé.
ce n’est pas une représentation, encore moins une métaphore
c’est un fait
Est-ce un homme qui a crié comme un chien,
ou est-ce un chien qui a crié comme un homme ?
Il y a cette tentative désespérée de dire “JE SUIS PLUS FORT
QUE TOI”
Cette tentative désespérée que tu me craignes, toi qui chaque jour
me fais peur
Et toujours ces chiens qui crient sous les bombes.
On ne pense pas à cette frayeur du chien en temps de guerre.
Comment il rampe ce chien, comment il essaye de rentrer dans le
sol
écrasant son corps sur le parterre.
C’est un homme qui crie comme un homme ce chien,
qui se pisse dessus
Un chien qui hurle comme un chien quand tu lui pisses dessus cet
homme
La cadence du bruit des bombes
qui couvre le hurlement strident de ces chiens
leurs couinements
leurs soumissions
Le leurre c’est d’avoir confondu culture et domestication
Il n’y pas de culture il n’y a que dressage
Nous sommes dans un chenil
Le ventre à terre dans l’attente de la gamelle
[4]
Et c’est cette gamelle qui nous fait fermer nos gueules,
cette viande sans provenance
la gamelle et la possibilité d’une effrayante détonation
la possibilité du bruit des bombes
Mais j’avais dit que je ne ferais pas de politique
Que je ne parlerais pas d’amour
Que je ne parlerais pas de métaphysique
Que je garderais gueule close
J’avais dit que je ne parlerais de rien
Que je resterais là, le ventre à plat dans la poussière
Sans japper
Échapper au père, à la mère
c’est comme ouvrir la porte d’un bagne
Cette peine que j’ai ressentie quand t’es morte
Cette peine et cet incommensurable soulagement
Comme si je respirais pour la première fois
à pleins poumons
Échapper au père, à la mère
c’est comme ouvrir la porte d’un bagne
Ce trop plein d’amour qui donne envie de se mettre des coups de
couteau dans le ventre
Ce trop plein de haine qui donne envie de se pétrir à pleine main
à pleine bouche
Des râles plaintifs qu’on ne sait même plus ce qu’ils traduisent
Des sons stridents,
échappés de la boule à cri quand tu jouis.
La boule à cri.
Que tout s’improvise
Que rien ne se construit
Qu’il n’y a que vouloir vivre
Que l’on a toujours baisé sur de la viande faisandée
[5]
Que l’on baise toujours à la face d’un cadavre
Tu ne comprends toujours pas ?
Écoute encore.
Qui te dit que je cherche à me faire comprendre.
Car je t’impose
C’est la seule chose que l’on peut faire, s’imposer
Que la lionne s’impose aux flancs de l’antilope
Que le renard s’impose à la poule
Que la poule s’impose à la graine
Que l’araignée s’impose à la mouche
Que la résistance est nécessaire
Que seuls Toi et Moi avons su résister
Que c’est pour cela que je résiste toujours
à tes coups, à tes cris, à tes crachats.
À tes faux sourires
À tes mots en douce
Faute à cette étrange coïncidence
Cet inexplicable chavirement des sens
Qui fait que je TE vois
Que tu ME vois
Que l’on se dévisage
Que l’on s’impose et se résiste l’un l’autre
Que je m’impose et me résiste à moi même
Qu’on ne peut s’asseoir et parler
Que nous sommes repus de trop manger.
Que les utopies sont des simulacres
Que vos grimaces me fatiguent
Que la franchise fait mal
Que la clarté ne fait pas sens, mais répond à une demande
Qu’il n’y a aucun idéal
N’est pas ce que tu veux entendre ?
[6]
Né en 1968, Otomo Didier Manuel (ODM) vit et travaille à Nancy. Directeur
de publication de la revue Singe, plasticien de formation, il fonde en 1992
la compagnie d'Art Action et théâtre performance Materia Prima, puis cofonde les Éditions de la Maison Close en Juin 2000, au côté de Sabine
Cauvez, Gérald Bronner et mbzanzibar. Supérieur Inconnu Suprème Devisor
de la Grande Odalisque Luciferienne Ecartant les Mamelles sous le nom de
Baal Mab’Houl, c’est un artiste protéiforme. Ainsi, il est tour à tour acteur,
performeur, danseur, metteur en scène et scénographe. Parallèlement à ce
travail, en lien avec les arts vivants, il développe un travail d'écriture, et une
production plastique incluant photographies, arts numériques, graphisme.
Depuis sa plus tendre enfance, on le voit officier dans de nombreux petits
boulots plus où moins rentables (Barman, Gogo-danseur, Disk Jokey,
déménageur, jeteur de sorts, portier, agent de contre espionnage, gourou
de secte, ambassadeur, charmeur de serpent...). Il est artiste résident du
T.O.T.E.M - où il vit et travaille - fabrique culturelle alternative qu'il fonde en
2000 avec des membres de la compagnie Materia Prima. Le travail de
Otomo est tourné autour des préoccupations de la psyché, et de
l'inconscient, du chavirement, de l'altérité et du conflit, de l'érotisme et de
la mort. Corrosif et circonspect il élabore des univers sombres et absurdes,
reflets de notre quotidien.
Bookleg réalisé à l’occasion du Festival TERANOVA
du 21 au 26 novembre 2005 à Metz et Nancy
Collection dirigée par - Collana diretta da Dante Bertoni
Déja parus en Bookleg - Già pubblicati in Bookleg...
Cuore distillato / Coeur distillé Antonio Bertoli & Marco Parente .
Solo de Amor Alejandro Jodorowsky . Démocratie Totalitaire Lawrence
Ferlinghetti . 100 bonnes raisons de “faire” de la poésie
Jean-Sébastien Gallaire & Philippe Krebs (Collectif Hermaphrodite) .
Vers les cieux qui n’existent pas Marianne Costa . Que tu sois
Evrahim Baran . Philtre Martin Bakero . Poudre d’ange Adanowsky .
Encyclique des nuages caraïbes Anatole Atlas . Passer le temps ou lui
casser la gueule Serge Noël . Mémoires d’un cendrier sale Kenan
Görgün . Cantique des hauteurs Rodolphe Massé . Brooklyn : Sketches
Thierry Clermont . Amen Damien Spleeters
que les livres circulent... la photocopie ne tue que ce qui est déjà mort...
che circolino i libri... la fotocopia uccide solo ciò che è già morto...
© Otomo Didier Manuel (ODM), 2005
© Maelström éditions, Bruxelles, 2005
www.maelstromeditions.com
ISBN 2-930355-43-3 - Dépôt légal - 2005 - D/2005/9407/43
Photocopié en Belgique : Fac Diffusion LLN