Objets Totems, patrimoine de la vie ordinaire : brochure

Transcription

Objets Totems, patrimoine de la vie ordinaire : brochure
Edito
E
n 2011, le Conseil général et l’association École et famille ont décidé de
collaborer pour mener des ateliers collectifs, encadrés par une ethnologue du
Département. Ce partenariat a permis de recueillir la parole d’un certain nombre
de personnes autour de l’identité et de la transmission des valeurs.
Basés sur des convictions républicaines et dans un esprit de tolérance, ces
ateliers de paroles favorisent la rencontre interculturelle et intergénérationnelle.
Ils questionnent les modèles familiaux sur les notions d’appartenance à un groupe
et sur le respect des traditions et des origines.
Objets totems, patrimoine de la vie ordinaire présente sept portraits de femmes
s’interrogeant sur ces notions. Cette brochure et l’exposition qu’elle accompagne
mettent en exergue des biens de la vie quotidienne qui n’ont pas de valeur autre
que d’usage et qui prennent soudain une portée inestimable, simplement parce
qu’ils sont vus avec un autre regard.
S’ouvrir aux autres, échanger et cultiver son patrimoine culturel permet de
savoir d’où on vient. Ce projet illustre combien il nous semble important de
donner la parole aux Valdoisiens et de partager nos expériences pour mieux se
connaître, construire un avenir commun dans le respect des différences et des
traditions plurielles.
Arnaud Bazin,
Président du Conseil général du Val-d’Oise
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Sokhna
A
u Sénégal, en dehors de la famille, on ne parle pas du bébé
avant sa naissance. Arrivée en France, quand on me demandait :
«C’est pour quand ? je répondais : Je ne sais pas». Je vis ici depuis
longtemps et j’ai toujours beaucoup de mal à demander aux
femmes enceintes la date de leur accouchement. C’est juste de la
superstition, ce n’est pas malpoli.
Pagne, en wolof c’est Senroungiabo. Les plus réputés, ce sont
les pagnes tissés par les Mandiakue, une ethnie de Casamance.
Celui-ci a été commandé après la naissance de mon dernier enfant
car à chaque naissance ma mère m’a offert un pagne.
En principe, on l’a pour le baptême qui se fait sept jours après.
Toutes les traditions viennent du mari, et c’est sa famille
qui choisit la «sœur», sorte de marraine, parmi des demi-sœurs
ou des cousines. C’est cette femme qui va transmettre les traditions
à l’enfant dont elle est responsable, à certains moments précis
de sa vie, comme le mariage. À l’ accouchement, c’est elle qui
vient. Le jour du baptême, c’est elle qui doit raser le bébé,
c’est elle qui remet le pagne à la mère et qui en couvre le nouveau-né
avant qu’on lui donne son nom. On ne donnait le nom qu’au
7e jour et la maman découvrait le nom de son enfant le jour
du baptême. Aujourd’hui on n’attend plus mais c’est toujours
cette dame-là, avec le père, qui choisit le nom, pas la mère.
Au pays, dans certaines ethnies, la mère donne un autre prénom.
C’est pourquoi on a souvent un prénom et un surnom au Sénégal !
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© Dena Jenkis-Fotolia
À
le pagne de naissance,
symbole de
filiation maternelle
la naissance de son premier enfant, la femme change de statut social,
elle devient «mère». Au Sénégal, pour éviter le mauvais œil, la grossesse
reste secrète le plus longtemps possible et le bébé n’est reconnu par la famille
qu’au moment de son baptême. Avant ce jour, il est appelé par métaphore :
«il», «bébé», «le petit».... Pour la cérémonie d’imposition du nom, les proches
se rassemblent dans la maison des parents du nouveau-né, des bénédictions
(dwaous) sont dites et chantées pour le protéger. Une marraine (badiane),
chargée de lui faire un trousseau et de l’accompagner toute sa vie,
lui souffle son nom à l’oreille, murmure une prière et lui rase la tête.
Le don du prénom est un rituel commun à toutes les société musulmanes.
La fête dure toute la journée : les gens dansent, chantent et mangent.
Le père sacrifie un mouton en souvenir du geste d’Ibrahim, prêt à sacrifier
son fils Ismail pour prouver sa soumission à Allah avant que l’ange Jibril
ne suspende son geste. Sacrifice et nomination de l’enfant, étroitement
imbriqués, signifient l’entrée du nouveau-né dans la lignée paternelle
à laquelle il appartient désormais.
Les sociétés africaines, attachées à l’oralité, pratiquent peu la transmission
d’objets. Sokhna est Wolof. En choisissant un pagne de naissance,
elle souligne l’importance de la filiation maternelle. À travers ce tissu artisanal
que lui a offert sa mère, elle renoue avec les traditions matrilinéaires antérieures
à l’islamisation des Wolofs, ethnie majoritaire au Sénégal, et témoigne ainsi
de l’importance des femmes dans sa conception des liens familiaux.
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© Poco.BW-Fotolia
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Fatima-Zahra
C’est mon premier caftan, j’avais 16 ans, c’était le mariage de
mon oncle, je passais du stade de l’enfant à celui de femme adulte,
j’étais aussi la demoiselle d’honneur de la mariée, ce qui est rare,
puisque d’habitude c’est le plus souvent une personne de sa famille,
mais elle n’en n’avait pas sur place, alors ce fut moi.
On a été avec ma mère au souk, chez le commerçant.
Elle m’a laissé libre de choisir le tissu et la couleur,
j’adore la couleur turquoise… c’était à la mode, tout le monde
avait du tissu impression cashmere. Ensuite on est allé chez le couturier
de la famille, je ne voulais pas d’un caftan trop chargé, je trouvais
que c’était assez doré, je ne voulais pas non plus que ça coûte trop
cher pour ma mère, ça peut aller jusqu’à 3000 € ! J’ai aussi décidé
de la forme, j’aurais pu choisir des manches plus étroites mais je
trouvais que c’était plus joli comme ça… j’étais toute contente.
Ce caftan de jeune fille, je l’ai mis pour des baptêmes,
des circoncisions… Comme je me suis mariée jeune, à 19 ans,
ce fut mon premier et unique caftan de jeune fille, après, il y a eu
le trousseau de femme mariée.
Je souhaite l’offrir à ma fille, elle connaît la robe, elle l’a déjà vue.
Elle l’aime bien mais elle ne sait pas que ç’est pour elle.
Je sais pas du tout à quelle occasion ça va se passer,
si ça se trouve ce sera pour le mariage de son oncle qui a 20 ans …
Ou peut-être avant, quand elle aura 15 ans… je ne sais pas… on verra…
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© DR
choisir sa robe, c’est
quitter l’état d’adolescence
pour devenir une adulte
L
es mariages sont l’affaire des femmes qui jouent un rôle déterminant
dans la transmission des traditions. Au Maroc, les cérémonies et festivités
durent de trois jours à une semaine. La veille de la fatha, la coutume veut
que la future épousée se rende au hammam en compagnie des femmes
de sa famille et de ses amies. Ce jour-là se déroule la cérémonie
du henné, pendant laquelle une negafa dessine des motifs symboliques
sur les mains et les pieds de la mariée, en guise de porte-bonheur.
À 16 ans, Fatima-Zahra a eu l’honneur d’accompagner les femmes
au hammam puis d’assister la promise lors de ses noces.
En l’associant à cette cérémonie et en lui permettant de choisir
sa robe d’apparat, sa famille lui signifiait qu’elle quittait
l’état d’adolescente pour devenir une adulte autonome et responsable.
Dès la puberté des filles et parfois bien avant,
les familles maghrébines constituent leur trousseau
dont le caftan est une pièce importante.
Il est en général fait de soie, mousseline, satin,
taffetas ou autres tissus élégants et peut coûter
très cher. Ce premier caftan de prix appartenait
au trousseau de Fatima-Zahra, qui le porte
encore en robe d’intérieur
en attendant de le léguer à sa fille.
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© Christian Fallini-Fotolia
Malika
Voilà la robe que ma mère portait pour ma naissance,
c’est mon papa qui lui a offert. Maman me l’a donnée à l’occasion
de mon 2e accouchement, j’avais 17 ans et demi ! C’est ma
grand-mère paternelle qui a choisi le tissu, papa l’a acheté et
l’a confié à la couturière. La femme n’est pas censée être associée
au choix car c’est un cadeau du père.
C’est la belle-mère qui décide et choisit, c’est le mari qui offre.
Le 3e jour de la naissance du bébé, fille ou garçon,
peu importe, la maman met une jolie robe neuve pour aller se purifier
au hammam, se faire belle, se maquiller, mettre du kohl, mettre du
henné sur les mains. On y va entre femmes, celles du côté de la mère
lavent la maman, on y passe un bout de temps, on offre du thé et des
gâteaux aux gens qui sont là, et puis on arrose d’eau de Cologne ceux
qui sortent du hammam pour qu’ils sentent bon en rentrant chez eux,
ça porte bonheur. En attendant, la belle-mère reste à la maison,
elle prépare le repas du soir. On invite la famille proche :
sa mère, ses sœurs, ses frères, les enfants, quelques voisins…
Et là, on présente le bébé.
Cette robe fait partie de mon trousseau. Je l’ai portée le 3e jour
de mon 2e enfant pour honorer mes parents qui étaient présents.
Je l’ai remise le 7e jour, lors du baptême.
Ce n’était pas vraiment rompre la tradition de ne pas porter un
habit neuf, non, au contraire, c’était encore mieux, c’était les honorer
et leur témoigner du respect.
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© Laure Fons-Fotolia
le costume de fête
accompagne toutes
les étapes importantes
de la vie d’une femme
A
u Maghreb, l’accouchée est choyée mais encore impure
après la naissance de son bébé. Elle ne sort pas, à l’exception du 3e jour
pour une grande toilette au hammam dont la chaleur humide est propice
à la montée de lait. De retour à la maison, les femmes lui préparent
une nourriture roborative et chaude qu’elles partagent avec elle.
Parallèlement, un ensemble ordonné de rituels fait «naître» le bébé à la société.
Pour chasser le «mauvais œil», on noue deux fils de laine noire
et blanche à son poignet et à sa cheville gauche, on accroche à son cou
une «main de Fatima» porte-bonheur, on glisse des clefs ou un couteau
sous son matelas, on brûle de l’encens… L’enfant est emmailloté dans un linge
blanc, les paumes de ses mains sont colorées au henné et son palais frotté
de miel, de datte écrasée ou d’eau sucrée pour que sa bouche soit douce
et prononce toujours de bonnes paroles. Le 7e jour de vie, marqué
par le sacrifice d’un mouton et un banquet de fête, est celui de la
«véritable naissance» au monde du nourrisson. Ce jour-là, il reçoit
son prénom et entre officiellement dans la famille de son père qui,
pour remercier la mère, lui offre un bijou ou un habit neuf.
En Algérie, le costume de fête accompagne toutes les étapes importantes
de la vie d’une femme. Quand elle a mis au monde ses deux plus jeunes
enfants, Malika a renoué avec son propre lignage en portant
la robe que sa mère avait reçue à sa naissance.
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© BM Photos-Fotolia
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Jayenti
Mon papa a envoyé cette carte à ma mère le
1er janvier 1952, il venait de l’épouser, il avait 35 ans,
elle en avait 23.
À cette époque, il était militaire. Il a fait beaucoup de
colonies, Saïgon pendant la guerre d’Indochine puis il est
venu en France. Il est rentré en Inde où il est mort à 40 ans.
Moi, je ne l’ai jamais connu. Il a eu 5 garçons et moi,
la seule fille. Ma mère nous a élevés seule avec sa retraite
comme unique ressource. Je n’ai pas d’autre souvenir de lui
à part cette carte. Mon frère, lui, a gardé les médailles.
Mes parents se sont mariés à Pondichéry. C’est les familles
qui les ont mariés, ils ne se connaissaient pas.
Après le mariage, il l’a laissée chez ses parents, il est venu
en France pour faire son service militaire, ils n’avaient pas
encore d’enfant. C’est à cette époque qu’il a envoyé cette carte
avec quelques mots au dos mais elle a tout effacé. Ma mère
n’a jamais parlé de cet amour à ses enfants, elle ne voulait
pas que l’on puisse lire ce que son mari lui avait écrit
parce qu’elle était très pudique. On n’a pas conservé d’autre
correspondance. Un jour, ma troisième fille, Sabrina,
qui devait avoir 16 ou 17 ans, est tombée sur cette carte
et l’a trouvé si jolie qu’elle l’a demandée à sa grand-mère :
« Mémé, tu me la donnes, je veux la garder. Quand je me marierai,
j’en ferai une carte d’invitation pour tout le monde ! »
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© Serge-B-Fotolia
des mots doux
trop impudiques
aux yeux des Tamouls
D
e son père, disparu quand elle avait trois ans, Jayenti garde
précieusement cette carte postale. En 1952, Rok, caporal d’infanterie
de marine, était en poste à Fréjus. Ses camarades de la caserne écrivaient
régulièrement des mots doux à leurs fiancées. En envoyant, le 1er janvier,
une carte postale à son épouse restée en Inde, le jeune homme adoptait
une coutume de son pays d’adoption, tout à fait inhabituelle
dans son pays natal : car, si le message écrit au verso reste secret,
l’image imprimée au recto est explicite.
L’union de Rok et Félicia avait été un mariage de convenance,
ce qui ne veut pas dire un mariage forcé : chez les Tamouls,
les familles choisissent les promis dans le même milieu
mais le dernier mot revient aux jeunes gens.
L’éducation des filles privilégie la chasteté, la modestie, l’obéissance.
Une fois pubères, elles n’ont plus que des amies filles et doivent restreindre
leurs déplacements. La vie des femmes mariées est une vie austère :
hors de leur foyer, elles doivent respect et déférence à leur mari,
garant de leur statut social et de leur respectabilité.
Gardiennes de l’honneur des familles, elles sont les premières
à perpétuer la modestie et le contrôle de soi, deux qualités
inséparables de la notion de «pureté».
En adressant à Félicia l’image de deux amoureux transis,
Rok transgressait complètement le modèle tamoul et l’on comprend
aisément pourquoi elle effaça ces mots doux trop «impudiques»
pour être lus par d’autres yeux que les siens.
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Roselyne
C’est un album que ma grand-mère nous montrait quand
on était petits. Je ne sais pas très bien quand elle a commencé,
elle est née vers 1890, elle ne devait pas être bien vieille,
parce qu’il y a des cartes de l’Exposition universelle de 1900.
En fait, elle a dû continuer une fois adulte, son mari et ses
connaissances devaient lui donner des cartes des magasins.
Quand j’étais petite, elle avait sorti des albums, et je me
souviens de celui-là à cause de ses belles images. Elle nous avait
donné du vin chaud sucré, parce qu’à l’époque on disait que le vin
c’était bon pour la santé… Sous mon lit j’avais une boîte
à chaussures… ( ma mère adorait les revues, là aussi
c’est le royaume de l’image ) et moi, mon plaisir c’était de découper,
je découpais tout ! Elle était en colère parce qu’elle n’avait pas
fini de lire ce que j’avais déjà découpé.
Dans ces revues il n’y avait pas de photos, c’était des dessins.
Je découpais tous les enfants, je les collais, et à côté, j’écrivais,
je leur inventais une vie…Et puis au lycée, vers 16 ans, sur mes
pochettes de devoirs et de leçons, chaque jour je mettais une
citation. C’est un objet que je voudrais que mes enfants gardent.
C’est vrai qu’il est abîmé, qu’il a servi et qu’on a tourné les pages,
mais c’est un objet à transmettre, un bel objet.
Mes enfants ont été un peu surpris que je le choisisse
parce qu’ il n’est pas au centre de la maison, ils le connaissent
mais ils ne l’ont pas beaucoup feuilleté. Maintenant qu’ils savent
que c’est ce que je souhaite leur transmettre, ils comprennent mieux
pourquoi j’ai toujours aimé les poésies et adoré avoir des images
partout, envoyer des cartes postales, décorer des enveloppes.
Tout ce qui fait partie de moi…
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© DR
un trésor d’émotions,
une source
de ravissement
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es chromolithographies sont des images publicitaires collectionnées
par Renée Gilles (1884-1963), la grand-mère de Roselyne.
La révolution industrielle bat son plein au XIXe siècle. Confrontées à une forte
concurrence, les grandes marques, vite suivies par les grands magasins
comme Le Bon Marché ou La Belle Jardinière, essaient de fidéliser leurs clients
en associant une image à un produit (bouillon cube, lait concentré, chocolat,
chicorée...). Jusqu’en 1939, les écoliers complètent chaque semaine
leur album qui devient une véritable mini-encyclopédie, en classant
ces petites chromolithographies par thème : histoire, régionalisme,
sciences, nature, tourisme…
Malgré des tirages importants, ces images sont aujourd’hui rares et chères.
Mais au-delà de sa valeur marchande, Roselyne a choisi l’album
par attachement sentimental : il est pour elle un trésor d’émotions,
une source de ravissement, d’autant plus précieux qu’il est le fruit
de la quête obstinée de son aïeule.
Le goût de Roselyne pour l’accumulation appartient assurément au domaine
de l’enfance. Cette collection de cartes publicitaires est peut-être à l’origine
de la passion qu’elle met à constituer des ensembles d’objets sélectionnés :
aujourd’hui, ce sont les grenouilles !
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Marie-Christine
Voici le lit dans lequel j’ai dormi bébé. Ma mère me l’a donné
quand j’ai eu mon premier enfant, Yoann. C’est du métal peint
en blanc avec du tissu, c’est un lit tout simple mais assez moderne
pour l’époque. Il est vraiment fait pour un tout petit, parce qu’à
partir du moment où l’enfant commence à se mettre debout, il faut
qu’il passe dans un lit à barreaux. Le premier garnissage avait été
fait par maman, elle était couturière. Elle l’a refait à la main quand
j’attendais mon premier enfant, je ne l’ai plus, c’est dommage.
Ce lit a accueilli six enfants : mes deux frères, en 1956 et 1958,
puis moi en 1961 et ensuite, mes trois enfants.
Dans ma famille, il n’y a pas de tradition particulière de transmission
de quelque chose à un moment de la vie ou à un âge particulier,
par contre, quand j’ai eu mon premier enfant, ma mère m’a
proposé ce berceau. Je ne pensais pas le transmettre, j’en avais envie
mais franchement, quand je voyais son état, je me disais :
«Non , je n’oserais pas le proposer», je ne croyais pas que mes
enfants auraient envie de l’avoir eux aussi pour leurs propres enfants.
C’est l’amie de mon fils qui m’a dit :
« quand on aura un bébé, on pourra l’avoir?». Puisque la demande
vient d’eux, alors pourquoi pas ? en essayant de le consolider un peu,
et juste pour les premiers mois, il fera une autre génération ...
Finalement c’est le lien de ma famille, de nous cinq.
Je pense que les lits ont vraiment une valeur dans notre société.
Le lit, le cocon, l’accueil... le premier lit c’est très important.
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© DR
le berceau,
un lieu d’apprentissage
du plaisir
et du déplaisir
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remière protection du nourrisson sorti du ventre de sa mère, le «berceau»
est un objet fréquent dans les mythes et les religions. Une louve allaite Romulus
et Rémus abandonnés par leur oncle dans une corbeille échouée sur la rive du
Tibre. Pharaon ordonne de jeter au Nil tous les fils des Hébreux mais sa fille
trouve un enfant dans un panier de jonc, l’adopte et le prénomme Moshe, qui
signifie «je l’ai tiré des eaux». Joseph, parti de Nazareth, en Galilée, se rend à
Bethléhem en Judée pour se faire recenser avec Marie, qui attend un enfant.
Marie met au monde l’Enfant Jésus dans une étable et le couche dans une
mangeoire parce qu’il n’y a pas de place à l’auberge.
De ce premier lit partent les rituels qui vont ponctuer les journées, les temps
d’éveil et de sommeil. Le bébé et sa mère construisent leurs repères autour
de lui – rencontres et séparations après les repas, les changes, les bains, les
câlins… Il est le lieu par excellence de l’apprentissage du plaisir ou du déplaisir,
de l’absence et de la frustration, et signe d’une empreinte indélébile, positive ou
négative, les premières sensations. Le berceau de Marie-Christine lui vient du
côté maternel. Qu’elle l’ait choisi comme objet à transmettre renforce les liens
qu’elle entretient avec ses parents et l’aide à tisser les liens de filiation
avec ses enfants.
Coucher l’enfant dans un berceau ayant
déjà servi l’inscrit dans une continuité,
une histoire collective, en perpétuant la légende
familiale, le patrimoine commun.
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Mariata
C’est une marmite, une couscoussière, on l’appelle younde
en peul. Je l’ai achetée cette année au Sénégal.
Elle me rappelle la famille, mes parents, ma belle-mère...
Je veux transmettre à mes filles le savoir-faire du pays de mes
parents, le Sénégal, et en particulier ce plat. C’est le plat national,
tous les midis, tout le monde mange le Tiep bou dien. On peut le
faire rouge, on peut le faire blanc. On prend les mêmes légumes
mais le poisson change, quand c’est fait avec de la dorade, ça n’a
pas le même goût que quand c’est fait avec du tchob, le mérou.
Il y en a qui le font aussi avec du tilapia, le capitaine,
ou d’autres poissons, mais en principe, on le fait avec du mérou.
Il y a une base et chacun rajoute sa touche.
Moi, c’est ma «tante», la 2ème épouse de mon père, qui m’a appris
cette recette. Elle aimait bien apprendre, c’est long 3 heures !
Ma mère, elle aime bien quand c’est vite fait. J’ai commencé
à l’âge de 9 ans par découper le poulet, à 12 ans j’arrivais
à maîtriser et à 13 ans j’ai fait mon premier Tiep bou dien.
Je l’ai fait toute seule. J’avais peur de le louper mais je l’ai réussi
et mes parents m’ont félicitée. Et franchement, pour une première,
c’était très bien.
C’est une fierté de montrer qu’on est capable de le faire et puis
tu penses à ton futur mari : «quand je recevrai du monde,
je saurai faire tel ou tel plat». Oui, j’étais très fière, et encore
aujourd’hui je le suis, car chez nous, on dit souvent que les enfants
nés en France ne savent pas cuisiner. Alors chez moi, je fais
des plats sénégalais, et mes enfants apprennent à les faire.
Ma fille, Aminata, ne découpe pas encore le poulet,
elle commence par les oignons, pour moi c’est important
de transmettre ce patrimoine culinaire traditionnel.
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© DR
l’art culinaire,
une carte de visite
de l’épouse
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n novembre 2010, l’UNESCO inscrit le « repas gastronomique
des Français » au patrimoine immatériel de l’humanité. En choisissant
la recette du plat traditionnel sénégalais, Mariata, comme bien d’autres
Françaises d’ascendance africaine, revendique un rôle déterminant
dans la préservation et dans la transmission de sa culture à ses enfants.
Au Sénégal, être une bonne cuisinière procure fierté et dignité et chaque
fillette apprend très tôt les gestes élémentaires. Aux menues tâches assumées
dès l’âge de 6 ou 7 ans (mettre une marmite à bouillir sur le feu, laver la
vaisselle), s’ajoutent vite des activités de préparation (émincer les oignons,
découper le poulet, écraser les condiments).
Dans la culture africaine, l’art culinaire est véritablement la carte de visite de
l’épouse. Dès la puberté, et au plus tard avant sa quinzième année,
une jeune fille sachant cuisiner est digne d’être mariée, aimée et respectée.
Une «bonne épouse» maîtrise la confection des plats de base communément
appelés «plats de chez nous» et elle sait aussi diversifier ses menus.
Pendant les ateliers de parole, les femmes venues d’Afrique du Nord
ou d’Afrique subsaharienne ont été unanimes à dire que «la cuisine retient
les maris». Et, même si les filles nées en France n’apprennent pas toujours
à préparer les plats traditionnels, Mariata, fière de sa double culture,
tient à transmettre les coutumes alimentaires de sa communauté.
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© Gabrielle Klein
Cette exposition et cette brochure, conçues par l’Atelier de Restitution du Patrimoine et de l’Ethnologie
(ARPE) du Conseil général du Val d’Oise, est le fruit de la collaboration étroite avec le groupe inter-culture
de l’association Ecole et famille.
Coordination du projet :
Isabelle Lhomel, responsable de l’Atelier de Restitution du Patrimoine et de l’Ethnologie (ARPE)
Direction de l’Action culturelle du Val d’Oise
Marie-Christine Deniset, Coordinatrice du Pôle Parents relais de l’association École et Famille
Mariata Kane, assistante du groupe inter-culture de l’association École et Famille.
Textes et conception générale :
Isabelle Lhomel, (ARPE), direction de l’Action culturelle du Val d’Oise.
Direction éditoriale :
Armelle Bonis, chargée de Mission études et publications au Conseil général du Val d’Oise.
Photographies (sauf mention contraire) :
Catherine Brossais (ARPE), DAC, Conseil général du Val d’Oise.
Création graphique : Sylvie de Mont-Marin
Impression : Société d’Impression Digitale
Nous remercions chaleureusement les participantes aux ateliers sans lesquelles ce projet n’aurait pu exister :
Jayenty Bonpapa
Malika Chérif
Fatima-Zahra Dridi
Marie-Christine Guény
Sokhna Jack
Mariata Kane
Roselyne Le Roux
Merci également
n à la direction de l’Action culturelle du Conseil général (DAC),
à Véronique Flageollet-Casassus, directrice de l’Action culturelle du Conseil général (DAC),
Béatrice Cabedoce et Patricia De Lisi de l’ARPE,
Dolorès Fourrez et tous les collègues de la DAC, pour leur aide et leur soutien.
n au service Imprimerie de la Direction de la Logistique du Conseil général,
à Gérard Clairet et à son équipe.
n à l’association École et Famille, en particulier sa directrice Marie-Claire Michaud, Janine Rolland
et Carine Van Den Dorpe.
n à la mairie de Saint-Ouen-l’Aumône, la maison de quartier de Chennevières, sa directrice,
Karine Lambert et à toute son équipe.
n à Gabrielle Klein, photographe.
Diffusion gratuite
N° ISBN : 2 915 541-46-9
© Conseil général du Val d’Oise - Oct.2011
Conseil général du Val d’Oise
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tél : 01 34 25 38 01
fax : 01 34 25 38 30
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