Jeanne CHERHAL : Douze Fois Par An
Transcription
Jeanne CHERHAL : Douze Fois Par An
VINYL - 23 rue des Menus Plaisirs - 78690 Les Essarts-le-Roi ([email protected]) Jeanne CHERHAL : Douze Fois Par An Un Couple Normal / Les Photos De Mariage / Ça Sent Le Sapin / Douze Fois Par An / Le Petit Voisin / Sad Love Song / Super 8 / Parfait Inconnu / La Station / Rural / Les Chiens De Faïence / Je Voudrais Dormir (duo avec Jacques Higelin). (41’40”) Tot ou Tard / Warner - 8345 10521-2 - © 2004 “Retiens bien son nom : elle s’appelle Jeanne Cherhal et on en reparlera, on parie ?” insi parlait Xavier il y a deux ans dans ces mêmes colonnes (V35 p.24). Depuis ce premier opus enregistré en public à Nantes, “Jeanne-la-Mince” a fait du chemin, distillant son espièglerie et sa joie de vivre (parfois contrariée sur certains thèmes), de festivals en boîtes-à-chansons, en France et ailleurs, pour le plus grand bonheur des spectateurs et journalistes présents. La presse, même non spécialisée, ne tarit plus d’éloge sur la demoiselle, n’hésitant pas à en faire l’une des figures emblématiques de cette “nouvelle nouvelle chanson française” dignement représentée par les excellents Sanseverino et Bénabar (qui mériteraient bien une chronique dans VINYL, d’ailleurs)... Aujourd’hui, Fifi Brindacier a perdu ses tresses, mais pas son sens de l’observation. Au vu du livret de Douze Fois Par An, il semblerait qu’elle se soit mise à la peinture, et les tableaux qu’elle nous brosse ne sont pas piqués des vers ! C’est gentiment féroce, tendrement drôle ou hyper-réaliste, mais l’acuité de cette gamine de 25 ans force le respect. Souhaitons pour elle que tous ces portraits ne sont pas autobiographiques (réécouter La Famille sur son précédent CD).... A t-elle subi les affres de ce Couple Normal dont l’intimité se limite à des 5 à 7 à la sauvette (“l’amour clandestin, c’est ça qu’est excitant”) après lesquels elle aurait découvert la solitude du Novotel devant la TV : “Tu finis ta nuit seule devant des clips Ou un “Très Chasse” consacré, t’as pas d’bol, A l’enfumage des terriers” A t-elle frôlé le mariage, vénérable institution qu’elle aurait abordé comme un jeu : “Il m’a demandé si je voulais bien l’épouser J’ai dit Oui tiens pourquoi pas C’est l’occasion de se marrer”... ...mais qui, après étude attentive du futur mari et des convives, finit par désenchanter : “Pour clore la liste / Regarde moi cet air triste De la fille qui regrette mais qui va entrer en piste” A t-elle déjà ressenti cette solitude où “on mastique son chagrin comme un morceau de vieux pain” (Ça Sent L’Sapin) ? Seul le sensible Douze Fois Par An, évocation pudique des règles féminines, semble réellement autobiographique.... Tout ça n’est pas très drôle, me direz-vous, mais la miss n’a jamais prétendu jouer les bouffones gratuites ! Ce qui n’empêche pas l’humour acerbe du portrait de A ce Petit Voisin adepte de toutes les expériences mais restant “Total stoïque, car il est étudiant” (il finira SDF !), ou le remarquable point de vue cinématographique de ce film Super 8 où l’on “voit toute sa vie défiler quand on est sur le point d’y passer” : “Et qu’arrive-t-il quand meurt un cameraman Pense-t-il au cadrage, à l’image, à ce moment-là ? Et l’ouvreuse au pop-corn qui précède la séance ?” Morceau de choix du disque, La Station s’égrène en un lent blues de près de 7 minutes, avec la participation de Matthieu Chedid aux chœurs (et peut-être aux guitares aussi). L’atmosphère y est fétide, voire irrespirable, cette Station n’étant ni de ski, ni balnéaire, mais... d’épuration ! On imagine tout le talent d’auteurcompositeur-interprète de la demoiselle pour arriver à réussir une chanson sur un tel sujet.... Après un bref délire Rural (1’30”), la fragile Jeanne lance une bouée à son père à travers le très tendre Chiens De Faïence : “Ce matin-là tu t’approcheras de moi Pour me parler très peu mais juste assez. Des mots très beaux qui sauront me tenir chaud...” Et au bout d’un tel déballage de tranches de vie où le sourire se fait souvent jaune, la belle, exténuée, conclut sur un besoin de repos bien légitime, partagé avec “Grand Jacques” Higelin : Je Voudrais Dormir. Comme on la comprend... Douze Fois Par An est de ces albums parfaits dont on rêve chaque trimestre. Après la surprise du précédent, nous l’espérions sans trop y croire, mais là, plus de doute, “Moiselle Jeanne” a remarquablement transformé l’essai ! Saluons le formidable travail de ses musiciens / arrangeurs qui ont su donner toute la tonicité de ce disque aux mélodies et aux rythmes variés immédiatement mémorisables (trompette tourbillonnante sur Les Photos De Mariage, titre à haut débit que ne renierait pas Pascaline Herveet des ELLES). Révélation féminine haut la main, sans le moindre apport people-télévisuel, mais grâce à son talent et au discernement d’un public avec lequel elle ne triche pas. Disque du trimestre ? De l’année, peut-être.... VINYL n°42 • Juillet - Août - Septembre 2004 Robin Rigaut - Juillet 2004 19