Système des personnages féminins dans Germinal et Djay-e-khali

Transcription

Système des personnages féminins dans Germinal et Djay-e-khali
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Université Ferdowsi
Mashhad-IRAN
Mémoire de master
Langue et Littérature françaises
Système des personnages féminins dans Germinal et
Djay-e-khali-e-Saloutch
Préparé par :
MalihéNameni
Dirigé par :
Monsieur le Docteur Mohammad Reza FARSIAN
Professeur conseiller :
Monsieur le Docteur Jamshid PARTOVI
Janvier 2012
1
Au nom de Dieu
Clément
et
Miséricordieux
2
Dédié
A mon mari ; sans ses protections, et son accompagnement
patient, je ne pouvais jamais terminer ce travail
Et
A ma mère à qui je dois toute ma vie
3
Remerciements
Je tiens à témoigner toute mes reconnaissances à mon directeur de mémoire,
Monsieur le Docteur FARSIAN, pour son aide sans laquelle ce travail n’aurait pu
être réalisé et dont le soutien m’accompagne tout au long de cette étude.
Je tiens également à adresser mes remerciements sincères à mon professeur
conseiller Monsieur le Docteur PARTOVI, pour ses conseils lucides et pertinents.
Je remercie les membres de jury d’avoir bien voulu accepter de faire partie de la
commission d’examinateur.
Je remercie également mes professeurs à l’université Al-Zahra, surtout Madame le
Docteur TEHRANI, qui m’a fait connaitre Germinal pour la première fois.
Enfin, Je remercie tous les membres de ma famille, pour leur soutien et leur aide
pendant ce travail.
4
Sommaire
Introduction…………………………………………….…..….p.8
Chapitre 1: personnage, une notion primée ?............................p.15
1-1
1-2
1-3
1-4
: La définition et l’étymologie………….…………….…p.16
L’évolution du personnage romanesque.…………….…p.17
Le système des personnages….…………........................p.19
La nécessité du personnage…..…………………………p.21
Chapitre 2: le système des personnages féminins dans Germinal et Djaye-khali-e-Saloutche……………………….…….……….p.23
5
2-1 : L’étiquette :…………………………………………..…p.24
-nom et prénom…………………………….……..….p.26
-portrait……………………………….….………..….p.31
2-2 : Sexualité…………………………….……...…….……...p.48
2-3 : Lieu……………………………………………………....p.66
2-4 : les rôles actanciels:………………………………………p.81
-vouloir……………………………………………….p.81
-pouvoir……………………………………...……….p.99
-savoir………………………………………..………p.112
Chapitre3 : Condition de la femme dans la société à travers Germinal et
Djay-e-khali-e-Saloutche………..……….p.125
Conclusion…………………………………………………..p.134
Bibliographie………………………………………………..p.137
Sitographie…………………………………………………..p.142
6
Introduction
7
A première vue, il semble qu’une étude qui a pour sujet deux œuvres provenant de
deux cultures différentes doit être une étude comparatiste ; mais le présent travail,
du fait qu’il a pour sujet : « le système des personnages féminins dans Germinal et
Djay-e-khali-e-Saloutche », n’est pas un travail de la littérature comparée ; mais
pourquoi et selon quels critères il en est ainsi ?
D’abord la définition de la littérature comparée, selon Chevrel : « La littérature
comparée est une façon de procéder, une mise à l’épreuve d’hypothèses, un mode
d’interrogation des textes (avec) cette question fondamentale qui distingue sans
doute la littérature comparée des autres disciplines : que se passe-t-il quand une
conscience humaine intégrée dans une culture, dans sa culture est confrontée à une
œuvre, expression et partie prenante d’une autre culture ? »1 ; Donc dans la
littérature comparée, il ne s’agit pas de deux œuvres mais de deux cultures ; mais
c’est un travail systématique et sémiologique sur les personnages, sans toucher les
cultures auxquelles ces œuvres appartiennent.
1
. Y.CHEVREL, La Littérature comparée, PUF, coll. « Que sais-je », n° 499, 1989, p. 8 ; cité dans F.CLAUDON ; K
HADDAD-WOTLING,Précis de littérature comparée, Nathan, Paris, 1992
8
D’autre part, toute comparaison n’est pas comparatisme ; et toute étude
comparatiste n’est pas non plus, un comparatisme fécond. Selon Salomon
Reinach2, le comparatisme peut être « d’indifférence », « destructeur » ou «
constructif » ; ce qu’il nomme comparatisme d’indifférence est en effet une sorte
de comparaison littéraire comme lorsque Henry Miller3 s’est défini par un parallèle
personnel avec Céline. Le comparatisme destructeur est une comparaison sans
règle et sans compter les traditions nationales des pays divers par exemple
lorsqu’on dit que Stendhal préfère Shakespeare à Racine ou quand Wagner estime
que Romani4 et Bellini5 ont massacré l’esprit shakespearien de Roméo et Juliette
pour écrire I Capuletti e I Montecchi.6 « Ainsi, le comparatisme peut être vraiment
destructeur quand il aboutit à donner cette impression à quelqu’un, quelque part,
d’une intelligence amoindrie, d’un processus frustrant au niveau des idées, des
genres, des poétiques, des personnalités artistiques. »7
«Mais le comparatisme constructif est fondé sur l’existence d’une relation de fait,
sur un rapport de dépendance ou d’influence, conscient ou non, entre deux textes
au moins. Il y a par exemple, les traductions et les adaptations ; ainsi les célèbres
traductions de Poe8 par Baudelaire, de Valéry par Rilke9, de Baudelaire par Stefan
George10. En l’occurrence on prendra garde au fait que la version Y qui fait suite à
2
Dans Comparatisme et pyrrhonisme, Revue d’histoire des religions, 1922, pp. 107-115 ; cité dans CLAUDON,
HADDAD-WOTLING, Précis de littérature comparée, op.cit.
3
Romancier américain (1891-1980).
4
Félice Romani (1788-1865). Librettiste, poète, érudit en littérature et mythologie et critique musicale italien.
5
Vincenzo Bellini (1801-1835), compositeur italien.
6
Les Couplets et les Montaigus (1830), est un opéra en deux actes de Vincenzo Bellini, livret de Félice Romani,
d’après Roméo et Juliette de Shakespeare
7
CLAUDON, HADDAD-WOTLING, Précis de littérature comparée, op. Cit., p. 18
8
Edgar Allan Poe (1809-1849), poète, romancier, nouvelliste, critique littéraire américain.
9
Rainer Maria Rilke (1875-1926), écrivain de langue allemande né à Prague.
10
Poète et traducteur allemande (1868-1933)
9
l’original X a sa valeur propre ; elle est un texte littéraire à part entière, différent,
nouveau par rapport à ce texte qui l’a pourtant fait germer. »11
Une autre relation possible dans une étude comparatiste est une relation
triangulaire fondée dans l’intertextualité : « deux textes a priori incomparables, ou
apparemment fort lointains l’un de l’autre, deviennent proches par la médiation
d’un troisième qui les polarise. »12; Comme lorsqu’on étudie les œuvres de James
Joyce13 (Portrait de l’artiste en jeune homme) et Thomas Mann14 (Mort à Venise),
en référant à Platon ; dans ce cas, il faut trouver un dénominateur commun, resituer
les textes sur un axe de référence vérifier l’existence d’un point focal.
Un autre domaine de la littérature comparée est l’étude sur les « rapprochements
fondés sur des jeux formels, des structures venues de la linguistique ou de la
sociologie ou de la psychanalyse »15; ça veut dire l’étude des genres mais pas
seulement les genres bien distinctes et saisissables comme drame ou comédie, les
genres flous, les regroupements insolites fondées sur les thèmes comme le roman
de l’adultère (Madame Bovary, Anna Karénine, EffiBriest),ou le roman de la
jalousie (Un Amour de Swann de Proust, L’Eternel Mari de Dostoïevski) ; c’est en
effet, l’énumération précise des œuvres qui illustrent tout ou partie d’un genre. Il
s’agit de ce que Roman Jakobson a appelé la dominante : « C’est l’élément focal
11
CLAUDON, HADDAD-WOTLING, Précis de littérature comparée, op. Cit. , p.19
Ibid., p. 22
13
Romancier et poète irlandais (1882-1941)
14
Ecrivain allemand (1875-1955)
15
CLAUDON, HADDAD-WOTLING, Précis de littérature comparée, op. Cit. , p. 27
12
10
d’une œuvre d’art,elle gouverne, détermine et transforme les autres éléments. C’est
elle qui garantit l2a cohésion de la structure.La dominante spécifie l’œuvre. »16
Selon ces définitions, notre travail n’est pas un travail comparatiste, mais cela ne
veut pas dire qu’uneétude comparatiste entre ces deux romans n’est pas possible :
même en considérant qu’il n’y a
peut-être pas de rapport de dépendance ou
d’influence entre eux, mais on pourrait chercher un dénominateur commun dans
l’intertextualité ; ou fonder notre étude sur les rapprochements de structures venues
de la sociologie ou de la psychanalyse : et c’était sur ce domaine que nous avons
voulu travailler au moment de choisir ces deux œuvres : une étude sociologique sur
deux œuvresinhérentes aux thèmes du« travail » et du « pain », deux romans de
lutte pour la vie ; et nous avionsdéjà rédigé le plan sociocritique de notre travail,
lorsque nous avons lu livre de Philippe Hamon, le Personnel du roman,et nous
avons décidé de placer les personnages de Dawlatabadi dans ce système, parce
qu’il nous manque un travail sémantique et systématique sur le personnage en Iran.
Il faut considérer que l’étude des personnages n’est pas un champ d’étude
facilement identifiable, selon Hamon : « En effet le « personnage » n’est pas, à la
différence du « dialogue », des « dates », de la « description », de « l’histoire », du
« titre », des « métaphores », du « récit », de tel ou tel « thème », etc., un champ
d’étude facilement et immédiatement identifiable : le personnage n’est pas
réductible à la seule apparition textuelle d’un nom propre, il n’est pas dénombrable
même, et est donc inaccessible aux méthodes quantitatives, il est d’autre part mal
localisable en un point précis du texte, ce qui le rend inaccessible aux méthodes
purement distributionnelles ; », et d’autre part réduire le champ d’étude du
16
R. Jakobson in Huit questions de poétique, « La dominante », le Seuil, Points, 1977, p.77 ; cité dans CLAUDON,
HADDAD-WOTLING, Précis de littérature comparée, op. Cit. p.31
11
personnage à un seul thème ou à un seul personnage (par exemple : « le
personnage X dans l’œuvre Y » ; ou : « L’ouvrier, la femme, Napoléon III, dans
l’œuvre de Zola ») manque la description globale d’un système sémantique 17 ;
donc nous avons décidé de changer notre sujet en adoptant le « Système des
personnages dans Djay-e-khali-e-Saloutch », pour avoir d’abord une étude globale
d’un système sémantique en supprimant les limitations de l’étude sur les
personnages féminins et puis pour limiter le champ de l’étude autour d’une seule
œuvre afin de garder l’homogénéité et la cohérence et aussi pour avoir une
originalité pure dans cette étude en prenant de la distance par rapport à l’œuvre
d’Hamon. Mais cela n’a pu être réalisé, puisqu’une étude sur une œuvre en langue
persane ne peut pas être acceptée comme le mémoire de Master de la langue
française, même lorsqu’elle est rédigée en français.
Et c’est ainsi que le travail présent a été rédigé, avec le sujet et la structure
suivante, organisé en trois chapitres :
Le premier chapitre est un regard général sur la notion du personnage
(l’étymologie, l’évolution, la nécessité,…), et la théorie de la mort du personnage ;
pour répondre à ces questions : le personnage, est-il une notion primée ? Et, est-il
vrai que le roman du personnage appartient au passé ?
Chapitre suivant qui construit le corpos de notre travail, est fondé sur le système
des personnages de Philippe Hamon dans lequel on étudie les personnages par
17
HAMON, Philippe, Le Personnel du roman, Le système des personnages dans les Rougon-Macquart d’Emile Zola,
Librairie Droz S.A., Genève, 1998, p. 19
12
leurs étiquettes (noms et portrait), le sexe, la territorialisation et leurs rôles
actancielle (vouloir, pouvoir, savoir).L’œuvre d’Hamon est selon lui-même, « sous
l’influence du structuralisme en général (la notion de « système », affichée en
sous-titre, vient de Saussure18 et de Hjelmslev19) et de ses théories narratologiques
(A.J. Greimas20, G. Genette21, T. Todorov22) en particulier ». Il écrit : «Seul un tel
cadre narratologique global pouvait donnait homogénéité et cohérence à une
approche qui se voulait rompre avec les traditionnelles approches éclectiques et
psychologisantes de la question du personnage » 23
Dans ce chapitre, les personnages féminins de deux œuvres sont étudiés en
parallèle ; les définitions et les principes de travail viennent de l’œuvre d’Hamon,
mais les analyses et les exemples sont, dans la plupart des cas, originales.
Le lexique particulier de Dowlatabadi est si beau qu’on ne pouvait pas supprimer
les citations persanes, puisqu’ à notre avis, la plupart du charme singulier de cette
œuvre,
soit
dans
la
forme,
soit
dans
le
sens,
a
été
perdue
dans la traduction. D’autre part, Les citations persanes sont nombreuses et parfois
très longues ; on sait que cela pourraitêtre considéré comme une faiblesse dans
notre travail, mais c’est totalement volontaire: lorsqu’on parle de l’envahissement
de Montsou par les grévistes, on sait que la plupart de nos lecteurs se souviennent
de cette scène ; mais quand on parle du labourage de Khoda-zamin (scène dans
laquelle Ebrav va tuer sa mère), peu de gens sait de quoi il s’agit ; donc, à notre
avis la présence de ces citations est nécessaire.
18
Ferdinand de Saussure (1857-1913), linguiste suisse, fondateur du structuralisme en linguistique.
Louis Hjelmslev (1899-1965), linguiste danois.
20
Algirdas Julien Greimas (1917-1992), linguiste et sémioticien d’origine lituanienne, fondateur de la sémiotique
structurale d’inspiration sassauro- hjelmslévienne.
21
Critique littéraire et théoricien de la littérature français, (né en 1930).
22
Tzvetan Todorov (né en 1939), essayiste, philosophe et historien français d’origine bulgare.
23
Ph. HAMON, Le Personnel du roman, op.Cit,. p. 325
19
13
Et enfin, dans le dernier chapitre nous avons essayé d’avoir un regard sociocritique
sommaire en relisant la condition des femmes dans ces romans ; ce n’est plus
question ici de la faim,du chômage ou de la lutte sociale,mais le problème est dans
l’inégalité entre les hommes et les femmes.
14
Chapitre I :
Personnage, une notion primée ?
15
1-1) La définition et l’étymologie :
Le terme de personnage désigne chacune des personnes fictives d'une œuvre
littéraire ; cette œuvre peut être roman, épopée, théâtre ou poème. En effet, « le
mot personnage vient du latin « persona : masque de théâtre », et on peut trouver
chez Scaliger, l’un des premiers théoriciens à avoir introduit en France la poétique
d’Aristote, la liste minutieuse des divers masques du théâtre : six masques
d’hommes murs, huit masques de jeunes gens, trois masques d’esclaves, onze
masques de femmes. La couleur des cheveux, celle du masque (plus ou moins
pale), le mode de coiffure, l’absence ou la présence de barbe, le bandeau,
l’habillement, viennent varier la typologie et permettent la combinatoire ».24 Le
roman, en devenant au XIXe siècle le genre dominant, a redéfini ce concept et c'est
à travers l'écriture romanesque en effet qu’on l’étudie.
24
Cité dans Ph. HAMON, le personnel du roman, op. Cit., p.10
16
1-2) L’évolution du personnage dans le roman25
Le roman ajoute l’entrée du peuple en littérature, car l’épopée et l’histoire ne
connaissaient que les héros et les princes. L’histoire du roman témoigne de la lente
progression du peuple et de l’homme moyen, reconnu non plus pour son rang
social ou sa fonction, mais pour ce qu’il est un homme, une conscience
individuelle qui doit trouver sa place dans une société adaptée à ses besoins.
Le héros du roman courtois se construit contre le héros épique, statique, et
s’insère dans un écoulement temporel qui appelle un renouvellement, une
adaptation : il est à la fois le lieu et l’instrument de ce mouvement. Au héros
guerrier antique, seul soutien d’une société elle aussi guerrière, le roman courtois,
qui nait dans une société chrétienne, prospère et en paix, substitue un héros dont,
certes, la prouesse peut encore être requise, mais qui doit la mettre au service des
faibles et des opprimés…. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que la bourgeoisie
fournisse des héros de romans sérieux et le XIXe siècle pour que le peuple
devienne à son tour promoteur de nouvelles valeurs. Au XIXe siècle, le roman
présente des personnages qui se frayent une voie dans une société industrielle en
pleine mutation ; certains sont progressistes, d’autre rétrograde. Les héros
balzaciens sont pragmatiques, les héros stendhaliens ont la nostalgie d’une vie
aristocratique désormais compromise, les personnages de Zola militent ardemment
pour la classe ouvrière. Au XXe siècle, le personnage romanesque s’interroge
surtout sur son identité et sa liberté ; devenu citoyen et libre, instruit, mais aussi
rappelé à sa dépendance par les Sciences Humaines, le personnage romanesque
doit affronter un monde qui lui parait mouvant, étranger et absurde.
25
Voir Le Roman et ses personnages, p. 19-22
17
L’évolution du personnage ne réduit pas à cette progression du peuple et de
l’individu ; la représentation du personnage est aussi totalement changée dans
l’histoire. Selon la formule de Balzac, la caractérisation du personnage doit être
abondante et faire concurrence à l’état civil ; ce que Robbe-Grillet rappelle
ironiquement dans Pour un nouveau roman : « un personnage doit avoir un nom
propre, double si possible : nom de famille et prénom. Il doit avoir des parents, une
hérédité. Il doit avoir une profession. S’il a des biens cela n’en vaudra que mieux.
Enfin, il doit posséder un « caractère », un visage qui le reflète, un passé qui a
modelé celui-ci et celui-là. Son caractère dicte ses actions, le fait de réagir de façon
déterminée à chaque événement. Son caractère permet au lecteur de le juger, de
l’aimer, et de le haïr. C’est grâce à ce caractère qu’il lèguera un jour son nom à un
type humain, qui attendait, dirait-on, la consécration de ce baptême »26
Le personnage ainsi caractérisé a cependant été mis en procès au XXe
siècle. On a cessé de le décrire aussi précisément, on a parfois refusé de lui donner
un nom, en le nommant par une simple lettre, comme le K du Procès de Kafka, on
lui a substitué un je anonyme, qui raconte sans qu’on sache jamais comment il est
fait, ni même parfois qui il est. 27
Une autre orientation de l’évolution du personnage romanesque, est peutêtre dans sa fonction : Il semble que la fonction première du personnage
romanesque soit d’explorer un espace social, mais cette fonction n’a pas tellement
évolué et il est resté un explorateur et un expérimentateur ; en revanche, ses
champs d’exploration se sont modifiés et diversifiés : à la place d’un espace social,
26
ROBBE-GRILLET, Alain, Pour un Nouveau Roman, Les Editions de Minuit, Paris, 1963, p. 27
Selon Hamon, Zola constitue sur cette notion de personnage, une date importante dans l’histoire du roman en
renonçant au personnage central dans Germinal ; des critiques comme Céard ont été soulignée cette nouveauté
du vivant de Zola : « il est regrettable que M. Emile Zola, par une audacieuse nouveauté et une tentative jamais
osée jusqu’alors, n’ait pas écrit Germinal sans personnage déterminés. Après avoir renoncé au personnage central,
pourquoi ne pas renoncer complètement au personnage doué d’une individualité propre ? Puisque son sujet, par
sa nature même et par son étendue rejetait par principe toute psychologie, pourquoi, élevant cette fois ses
habitudes littéraires à un degré extrême de poésie et d’abstraction, n’aurait-il pas donné à son livre un seul,
unique, et énorme personnage, la foule ? »
27
18
Le personnage romanesque de XXe siècle explore le champ de la conscience
humaine.
C’est une intériorisation progressive pour le personnage romanesque : au
personnage agissant des débuts du roman se substitue progressivement un
personnage réfléchissant et pensant, et même un personnage parlant plus que
pensant, comme si, après avoir renoncé à maitriser et comprendre le monde, le
roman avait aussi renoncé à maitriser et comprendre la vie spirituelle de l’homme,
pour ne plus s’interroger que sur les mystères de la parole et de l’écriture,28
1-3) Le système des personnages
L’être, selon Bakhtine29, n’est pas concevable en dehors des liens qui
l’unissent à l’autre.30 Le personnage de roman aussi se définit dans un système de
relations, dans un jeu de forces dont il est l'élément moteur. On a coutume de
l'appeler héros (héroïne) lorsqu'il occupe une place centrale dans le récit : ce sera le
plus souvent le premier nommé, le premier vu ou décrit, parfois celui qui donne
son titre au roman (personnage éponyme). Mais le héros se définit ainsi
uniquement d'après les personnages secondaires, par contraste ou complémentarité
(Il ne sert à rien de se demander ce que Tristan serait sans Yseut, ce que Julien
serait s’il n’avait aimé ni Mme de Renal, ni Mathilde de la Mole, ce que serait
Meursault s’il n’avait pas tué un arabe dans une rixe.)31. Ceci ne lui donne aucune
vertu particulière (on est parfois contraint de parler d'antihéros). Il faut alors
dissiper tout malentendu avec cet héroïsme parfois problématique !
28
C. DURVYE, Le roman et ses personnages, col. Réseau, les thématiques, Ellipses, Paris, 2007
Mikhaïl Bakhtine, (1895-1957), historien et théoricien russe de la littérature.
30
V. JOUVE, L'Effet-personnage dans le roman, Presses Universitaire de France, Paris, 1992, p.35
31
C.DURVYE, Le roman et ses personnages, op. Cit., p.85
29
19
Dans ce but, la critique moderne, à la suite d'A.J. Greimas, a préféré analyser
l'ensemble des personnages comme un système dynamique d'actants où, Le
personnage principale est un sujet, qui convoite un objet et se trouve aidé ou
empêché dans sa quête par d’autres personnages qu’il appelle adjuvants ou
opposants. Un destinateur, qui pousse le sujet à agir, et un destinataire, qui
bénéficie de l’action du sujet peuvent compléter cette série de rôles.32
Etablir le schéma de l'action dans un roman, c'est identifier ces six fonctions.
Cela ne veut pas dire qu'à chaque personnage corresponde une fonction fixée une
fois pour toutes : un même personnage peut exercer plusieurs fonctions. De même,
une fonction peut être exercée par plusieurs personnages (ou par des forces qui ne
sont pas des personnages : une institution, un groupe, un élément, une valeur sont
aussi des actants). C'est la relation entre ces fonctions qui fait progresser le récit.
Selon ses analyses, « Ces six catégories d’actants se regrouperaient deux
par deux selon des axes fondamentaux pour définir les conduites humaines. Sur le
premier axe- celui du désir, du vouloir- le sujet chercherait à s’approprier l’objet.
Sur le second axe-celui du pouvoir- l’adjuvant et l’opposant aident ou s’opposent à
la réalisation de la quête. Sur le troisième axe- celui du savoir et de la
communication- le destinateur et le destinataire, déterminent l’action du sujet en le
chargeant de la quête et en désignant les objets de valeur » 33
32
33
Ibid. p.23
Y. REUTER, L’Analyse du récit, Nathan, Paris, 2003, p.31,
20