Assises de l`édition francophone

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Assises de l`édition francophone
Assises de l’édition francophone
mercredi 29 et jeudi 30 avril 2015 - salon du livre et de la presse de Genève
Le mot du Salon
Le salon du livre et de la presse de Genève est heureux de présenter ce compte-rendu de la
première édition des Assises de l’édition francophone qui s’est tenue les 29 et 30 avril 2015
dans le cadre du 29e Salon du livre et de la presse de Genève.
Dès ses débuts en 1986, la principale manifestation littéraire et éditoriale de Suisse s’est
inscrite comme un carrefour de l’édition francophone de tous continents et un lieu d’échanges
et de discussions privilégié entre acteurs du monde de l’écrit.
C’est ainsi que le Salon du livre a notamment créé en 2003 en son sein le salon africain
du livre, de la presse et de la culture, établi en 2012 une place suisse qui met en valeur
le dynamisme de la scène littéraire romande, et initié en 2014 un pavillon des cultures
et littératures arabes. En outre, le Salon accueille chaque printemps des représentants de
l’édition québécoise et wallonne, plaçant ainsi Genève au cœur de l’aire francophone.
Comment être lu à Montréal lorsqu’on écrit à Dakar ? Comment ne pas brider ses expressions
romandes lorsqu’on envoie son manuscrit à un éditeur parisien ? Comment toucher les lecteurs
du sud de la Méditerranée avec un livre numérique ? Ces questions, et des réponses, ont été
au centre des Assises de l’édition francophone qui ont réuni une centaine de participants
des auteurs, éditeurs, libraires et d’autres acteurs et professionnels de l’édition.
Nous tenons à remercier chaleureusement les intervenants de leur participation à cette
première édition, et vous donnons rendez-vous en 2016 à Genève pour de nouveaux échanges
à la fois informels, sérieux et concrets, conçus pour favoriser l’accès de tous à la diversité
des écritures en langue française et contribuer à une meilleure diffusion de ses auteurs sur
les cinq continents.
Isabelle FALCONNIER et Adeline BEAUX
Présidente et Directrice du salon du livre et de la presse de Genève
1
Mercredi 29 avril
Les éditions Gallimard et la
francophonie: un rôle en évolution
• Alban CERISIER, Secrétaire général,
Editions Gallimard
Selon Alban Cerisier, les éditions Gallimard abordent
directement la francophonie à travers leur catalogue de
littérature générale avec en filigrane la question : comment
rendre compte de la langue telle qu’on l’écrit et la lit ? Cette
mission est essentielle, si l’on considère le français comme
une langue écrite qui se parle.
La diffusion écrite de la langue française par la chaîne du
livre dans son entier est primordiale pour rendre compte
de l’état de la langue, de ses évolutions et de ses modalités
d’appropriation telles qu’elles se forment un peu partout
dans le monde.
Deux possibilités s’offrent à l’éditeur désireux de remplir ce
rôle : proposer des collections dédiées, ou donner la place
aux voix francophones dans toutes ses collections.
Du côté des chiffres, les ventes à l’exportation dans les
marchés francophones est stable, même si on observe une
progression en Afrique sub-saharienne qui reste toutefois
encore marginale en termes de revenus par rapport au chiffre
d’affaires global. Cette évolution positive en Afrique suit la
courbe de celle des locuteurs.
Deux éléments sont déterminants dans le succès de la diffusion hors du territoire français : le nombre de librairies par
rapport à la population et le prix de vente des livres, chaque
éditeur adoptant une position spécifique avec la possibilité
d’adapter le prix aux conditions du marché en proposant,
par exemple en Afrique, des offres spéciales.
Face à face entre un diffuseur de
littérature africaine et un libraire
suisse
• Isabelle GREMILLET, Directrice commerciale,
L’Oiseau Indigo diffusion
• Pascal VANDENBERGHE,
Président-directeur général, Payot
Le débat entre Isabelle Grémillet, Directrice commerciale du
diffuseur L’Oiseau Indigo, et Pascal Vandenberghe, Président
Directeur Général de Payot Suisse, a relevé l’importance pour
les libraires de s’ouvrir au monde, au-delà de la littérature.
Pour Isabelle Grémillet, il est nécessaire de « trouver une
forme efficiente et professionnelle pour que les livres circulent
et arrivent dans les librairies, leur place naturelle ». Cela
demande de mettre en œuvre toute une chaîne de production
et de diffusion.
Pascal Vandenberghe souligne que les problèmes de diffusion
et de visibilité ne sont pas l’apanage des pays du Sud. Un
auteur aura plus de chances s’il est publié dans la collection
d’une grande maison que s’il est publié par un éditeur du
Sud, principalement pour des questions d’encombrement
et de « puissance de feu ». Cependant, la mise en rayon ne
suffit pas. Mieux vaut développer des espaces thématiques
qui donnent un coup de projecteur sur une production,
multi-éditeur en général.
La biblio-diversité est essentielle. Payot compte près de
200’000 références dont 60% des titres ne sont vendus
qu’entre 1 et 5 exemplaires sur l’année dans l’ensemble du
réseau. Comme pour les éditeurs qui ont besoin de quelques
best-sellers pour pouvoir publier des livres plus difficiles, les
libraires doivent trouver le bon équilibre.
Le numérique peut être un levier pour la diffusion francophone. La question des droits d’auteur n’est pas un problème
puisque les éditeurs les détiennent. Les difficultés sont plutôt
d’ordre juridique et technique : pour diffuser le numérique,
il faut être capable de gérer correctement les questions de
TVA, de devises et des droits des consommateurs du pays
concerné. Ce sont des domaines complexes, surtout dans les
cas où les libraires ou les distributeurs manquent de capacités
pour gérer correctement l’accès au catalogue.
Dans ses magasins, Payot organise des journées-rencontres
au cours desquelles libraires et représentants de maisons
d’éditions, petites et grandes, se présentent, débattent et
peuvent mettre ainsi en avant leurs ouvrages. Cela permet
surtout aux éditeurs de défendre une ligne éditoriale qui sera
ensuite relayée par des médiateurs que sont les libraires, les
journalistes et les bibliothèques. Isabelle Grémillet abonde
dans ce sens. Après les étapes techniques à mettre en place,
il faut créer un « réseau de conviction. »
En attendant que les conditions d’équipement des revendeurs
et des consommateurs s’améliorent, le prêt numérique, en
partenariat avec les instituts et les bibliothèques, peut offrir
des réponses intéressantes.
Pour le lecteur-consommateur lambda, la marque a finalement assez peu d’importance, ajoute le président de Payot.
Le lecteur suit l’écrivain qu’il apprécie, et non pas la maison
d’édition.
Au-delà des questions d’édition et de diffusion, il y a aussi
les problématiques liées aux conditions des libraires des pays
du Sud. L’AILF, l’Association internationale des libraires
francophones, dont Payot fait partie, a pour vocation de
favoriser les liens entre les librairies des pays riches du Nord
et des pays du Sud pour leur apporter un soutien.
2
Mercredi 29 avril
La question de la diffusion vue
d’Afrique sub-saharienne
• Abdoulaye Fodé NDIONE, Président, Afrilivres
Afrilivres est un collectif de 33 éditeurs de 13 pays d’Afrique
subsaharienne créé en 2002. Il a pour objectif de renforcer
les capacités professionnelles de l’édition et de la diffusion
africaines francophones, encourager la création de politiques
nationales du livre dans les pays concernés et renforcer les
langues nationales.
La diffusion pose problème sur le continent car elle est
trop faible pour absorber la capacité éditoriale africaine.
L’améliorer est donc un défi fondamental à relever pour que
l’ensemble de la chaîne du livre évolue positivement. Des
partenariats sont bien sûr créés pour permettre aux livres
du Sud d’arriver dans les pays du Nord. Mais les efforts
doivent avant tout porter sur l’amélioration de la diffusion
entre les pays africains eux-mêmes, voire d’une ville à l’autre.
L’avenir de l‘édition dépend de la capacité à diffuser, donc
à vendre, les ouvrages.
Afrilivres est en recherche de solutions pour atteindre cet
objectif. Et ce pour tous les membres du collectif, quelles
que soient leur taille ou leur provenance. Les discussions se
passent à divers niveaux :
Quelle politique culturelle pour
encourager la lecture et l’écriture ?
Le cas marocain
• Mohammed Lotfi M’RINI, Secrétaire Général,
Ministère de la Culture du Maroc
Mohammed Lotfi M’rini, secrétaire général du Ministère
de la Culture du Maroc commence son intervention en
rappelant que la nouvelle constitution marocaine donne
des droits culturels qui induisent la mise en œuvre d’une
politique dans les langues arabe, berbère et sahraouie. La
démarche en cours doit tenir compte d’un contexte précis
en ce qui concerne le livre et la lecture.
Le niveau d’alphabétisation au Maroc atteint les deux tiers
de la population. L’oralité y reste très forte, et la société
ballotte entre cet héritage et l’attrait moderne pour l’image.
Le territoire est immense et parfois difficile d’accès.
Une classe moyenne émerge au Maroc. Presque 40% de la
population a aujourd’hui un pouvoir d’achat qui lui permet un accès aux biens culturels et aux loisirs. 70 maisons
d’édition, très concentrées géographiquement, produisent
environ 2’000 livres par an qui sont vendus dans près de
350 librairies. Il était donc temps pour l’Etat, d’encourager
le développement de ce secteur.
• Peser sur les décisions gouvernementales, afin que
des plans nationaux du livre soient engagés, ainsi que
l’instauration d’une détaxe ;
• Rechercher des pistes avec l’Organisation
internationale de la Francophonie (OIF) ;
• Trouver de nouveaux partenaires de diffusion dans
l’hémisphère nord.
En 2014, un appel à projets a été lancé, prévoyant divers
soutiens financiers : aux résidences d’auteurs pour écrire, aux
éditeurs pour pouvoir publier, aux revues papier pour lancer
des versions électroniques, à l’organisation de salons du livre,
à la création de librairies et à la publication de livres adaptés
aux personnes handicapées. 300 projets ont ainsi été retenus
en 2014, et presque autant pour le premier trimestre 2015.
Les éditeurs africains prennent également en compte le
numérique qui doit encore se développer sur le continent.
La question du livre africain doit être réglée en Afrique. Des
formations sont mises en place pour renforcer la capacité
de diffusion et encourager le développement d’un secteur
porteur.
Ces efforts doivent permettre à la chaîne du livre de passer
d’une activité artisanale à un travail plus formalisé et créateur d’emplois. Par ailleurs, afin de répondre au mandat
constitutionnel garantissant l’accès aux livres, le gouvernement apporte , en partenariat avec les régions, un soutien
à la création de bibliothèques organisant, par exemple, des
bibliobus dans les régions plus reculées.
Deux conditions doivent être remplies pour que cette
politique se déploie avec efficacité : l’apprentissage de la
lecture à l’école et un rattrapage du retard pris par certaines
collectivités locales dans l’aménagement d’infrastructures.
3
Mercredi 29 avril
Table ronde : le français a t-il perdu la bataille de l’international ?
• Fathi DERDER, Conseiller national et Président de la délégation suisse auprès de
l’Assemblée parlementaire de la Francophonie
• Jean-Baptiste DUFOUR, Directeur de la diffusion, Servidis
• Jean-Frédéric JAUSLIN, Ambassadeur de Suisse auprès de l’Organisation Internationale
de la Francophonie et de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation et la culture
• Boniface MONGO-MBOUSSA, Auteur et critique littéraire
• Richard PRIEUR, Directeur Général, Association nationale des éditeurs de livres (Canada)
Les participants à cette table ronde s’accordent à dire qu’il n’y
a pas lieu de parler de bataille. Selon Fathi Derder, conseiller
national (membre du parlement fédéral) et président de la
délégation suisse auprès de l’Assemblée parlementaire de
la Francophonie, « les langues ne se battent pas les unes
contre les autres ».
Le représentant permanent de la Suisse auprès de l’OIF et de
l’UNESCO, l’ambassadeur Jean-Frédéric Jauslin, rejoint cet
avis en précisant que « le français est une langue ouverte ».
Les perspectives de l’OIF sont positives en ce qui concerne
l’évolution de la langue. Certaines projections estiment que,
durant les trente prochaines années, le nombre de locuteurs du français pourrait tripler et atteindre 750 millions
d’individus. D’autres perspectives disent qu’au contraire le
nombre de locuteurs diminuera. Tout dépendra de ceux qui
pratiquent la langue qui est présente sur cinq continents.
Il y a un énorme enjeu en Afrique où les jeunes peuvent
abandonner le français et faire le choix de langues locales ou
de l’anglais parce qu’il y aura de meilleures offres de formation supérieure. Une piste serait de proposer un maximum
de cours en ligne en français pour permettre de suivre une
formation complète de très haut niveau à distance à un
coût réduit. Il faut donner envie aux jeunes d’apprendre
en français, par intérêt culturel mais aussi pour des raisons
économiques.
Jean-Baptiste Dufour, Directeur commercial du diffuseur
suisse Servidis, note que le réseau de lycées français et de
l’Alliance française joue un rôle important dans le maintien
de la francophonie, même dans des pays non francophones.
Richard Prieur, directeur général de l’Association nationale
des éditeurs de livres, explique que le Québec est aujourd’hui
une terre d’accueil pour la francophonie. Plusieurs lois adoptées au cours des 40 dernières années ont permis au français
de reconquérir sa place prépondérante face à l’anglais. Au
Québec, on ne défend pas la culture française, mais la
langue, le français nord-américain. Le lien avec la France a
été interrompu il y a 3 siècles lorsque cette dernière a cédé
la province aux Britanniques. Il n’y a pas eu de décolonisation. Le Canada n’est pas un pays bilingue, le Québec est
francophone et le Canada est anglophone.
Du côté de la francophonie en Afrique, Boniface MongoMboussa, auteur, critique littéraire, estime que la langue
française est devenue une langue africaine. Il ne faut toutefois
pas oublier ni évacuer l’histoire, sans quoi il y aura des ratés,
des malentendus et un manque aux mémoires. Même en
littérature, il arrive que les écrivains français ne se considèrent
pas comme francophones.
Selon Fathi Derder, l’histoire est certes indispensable mais
ne doit pas être réduite à la relation France-Afrique qui
pèse sur le développement de la francophonie. Jean-Frédéric
Jauslin relève qu’au sein de l’OIF, les dialogues ne sont plus
bilatéraux mais multilatéraux.
Le français officiel, souvent pensé comme celui de Paris (il
est parfois difficile de faire admettre aux Parisiens que les
classiques français ne sont plus limités aux écrivains français, note Jean-Baptiste Dufour) est d’une grande diversité
entre les divers pays parlant le français et au sein même
d’un pays. L’enjeu est de s’ouvrir au monde et développer
la francophonie.
4
Mercredi 29 avril
Face à face entre un critique littéraire
et une éditrice belge
Face à face entre un diffuseur français
et une éditrice Suisse
• Jean-Baptiste HARANG, Journaliste et Auteur
• Caroline COUTAU, Directrice, Editions Zoé
• Luce WILQUIN, Fondatrice,
Editions Luce Wilquin
• Karima GAMGIT,
Directrice Générale de Volumen et Loglibris
Comment faire lorsqu’on est un éditeur « non français » ou
de province pour toucher le public français ? Luce Wilquin a
fait le choix d’installer sa maison en campagne belge, « loin
des centres un peu imposants », répétant que sa patrie « est
la langue française, pas un pays ni même une région ». Elle
éprouve les mêmes difficultés pour faire connaître ses auteurs
et ouvrages que les éditeurs de province.
Quelles sont les démarches à entreprendre pour que les petits
éditeurs suisses se fassent entendre et que les gens ouvrent
les livres qu’ils publient ?
Jean-Baptiste Harang, critique littéraire pendant 20 ans à
Libération, aujourd’hui chroniqueur au Magazine littéraire
et auteur lui-même, donne son explication : « mon métier
n’était pas de vendre des livres, mais de vendre un journal ».
Quand on doit attirer des lecteurs sur des articles, on doit
aller au plus connu. Aujourd’hui, le supplément de Libération
compte huit pages, contre seize à vingt au départ. Moins de
pages signifie souvent un accès encore plus difficile pour les
éditeurs éloignés.
Reste qu’une couverture parisienne fait toujours office de
validation de la valeur d’un livre. Elle peut aussi avoir pour
conséquence d’amener un auteur à quitter son ancien éditeur
pour rejoindre une grande maison établie dans la capitale.
Il y a néanmoins un avenir pour les petites maisons d’édition, en France et ailleurs, qui assument toujours un rôle de
découvreur de talents, ce que de grandes maisons renoncent
à faire, préférant « faire leur marché » chez les petits éditeurs.
L’impact d’un article reste difficile à mesurer. En revanche,
le bouche à oreille, gage de qualité pour le critique littéraire,
reste une valeur sûre pour vendre un livre. Luce Wilquin
acquiesce, y ajoutant un nouveau vecteur, les blogs littéraires
où l’on partage ses goûts. Serait-ce la fin de la critique littéraire au sens noble du terme qui décortique le processus de
fabrication d’un livre ? Les deux intervenants le pensent. « La
vraie critique se fait à l’Université », précise Jean-Baptiste
Harang.
Volumen diffuse des éditeurs en langue française, peu
importe leur origine. « Nous sommes diffuseurs, nos critères
sont commerciaux et non pas financiers », explique Karima
Gamgit, sa directrice générale. Le libraire doit repérer une
maison d’édition, et si cette dernière ne produit pas suffisamment, il y a un manque de visibilité. Le succès commercial
passe aussi par une ligne éditoriale cohérente car les rayons
des librairies sont segmentés.
Le diffuseur n’a pas de regard éditorial sur la production
d’un éditeur. Des réunions sont organisées avec les nouveaux
éditeurs pour se faire connaître par les commerciaux. Une
relation indispensable se développe, même si cela peut
être plus compliqué à organiser lorsqu’il y a une distance
physique, par exemple avec un éditeur québécois ou belge.
Caroline Coutau, directrice des éditions Zoé, relève qu’il est
plus aisé de traverser les frontières entre la Suisse alémanique
et l’Allemagne qu’entre la Suisse romande et la France. Est-ce
une frontière culturelle ? Serait-ce dû aux lecteurs ? Aux éditeurs ? Reste qu’il est important pour un éditeur romand de
développer un réseau commercial et culturel avec la France.
De nombreux moyens sont déployés pour attirer l’attention
des libraires sur les ouvrages. Une nouvelle profession a
récemment vu le jour : la sur-diffusion. Ce métier n’est ni
éditeur, ni diffuseur mais entre les deux. Le sur-diffuseur
connaît très bien les libraires et ne fait pas partie de la maison
de diffusion. C’est aussi devenu le travail de l’éditeur d’aller
voir les libraires, notamment ceux qui réalisent les meilleures
ventes.
Le succès commercial d’un livre dépend de plusieurs facteurs
dont le travail de l’éditeur et celui du diffuseur qui positionne
le livre sur le marché et s’efforce d’être le bon relais au bon
endroit et au bon moment. Ensuite, le livre fait son chemin.
5
Jeudi 30 avril
Édition francophone: marché de la création ou marché de la demande?
• Alain KOUCK, Président, Editis
Alain Kouck, président d’Editis, observe que tout le monde
veut écrire. Depuis toujours, l’être humain cherche à transmettre, témoigner et partager. Le livre accompagne l’individu, dès son plus jeune âge, tout au long de sa vie. L’offre
est multiple : en France, le nombre de titres a augmenté de
10% entre 2012 et 2013 et atteint aujourd’hui 80’000 par an.
Fort de ce constat, Alain Kouck répond sans équivoque à
la question initiale: « nous sommes aujourd’hui dans un
marché de la création, et donc dans un marché de l’offre ».
Ne devrait-on pas plutôt se demander s’il y a un risque
d’évoluer vers un marché de la demande ?
L’apparition d’internet a chamboulé le monde littéraire.
Amazon, Google et Apple ont joué un rôle déterminant.
Tous trois ont misé sur le livre comme produit culturel pour
séduire les consommateurs, amenant le lecteur à devenir un
consommateur. On peut aujourd’hui commander en ligne
et lire sur une tablette via internet. Au sein d’Editis la vente
en ligne continue de progresser.
Livre papier et livre numérique ne s’opposent pas pour autant : « Oui, il y a une vraie fracture. Le livre est un contenu,
mais pas seulement. C’est aussi un objet que l’on aime, que
l’on collectionne et que l’on range dans une bibliothèque et
que l’on prête. On ne le jette pas ».
Le rapport au livre numérique est différent. On consulte et
on utilise un contenu, d’où un côté éphémère. Alain Kouck
relève également l’influence croissante des réseaux sociaux
dans leur rôle prescripteur.
Les liseuses numériques, devenues plus abordables, se sont
démocratisées. A cela s’ajoute qu’en version numérique le
livre coûte entre 40 et 50% de moins que le livre papier. Si
le lecteur est fidèle au livre, le consommateur est pluriel :
il compare les offres et effectue ses choix sur des critères
économiques et pratiques. La facilité et le confort sont des
points critiques. Pour les gros lecteurs, même s’ils sont attachés au livre papier, pouvoir lire deux livres au prix d’un
seul change la donne.
Le monde de l’édition évolue. Les consommateurs exercent
une influence croissante sur les questions commerciales, de
support et de diffusion, mais pas sur la création ni l’édition.
Alain Kouck illustre son propos avec le cas d’Amazon qui
souhaite devenir éditeur ce qui, selon lui, est une erreur.
Amazon a beau connaître les envies de ses clients, ces derniers
ne créent ni n’inventent rien.
Il note toutefois une plus grande fréquence de succès mondiaux. Faut-il y voir une uniformisation des goûts, ou une
capacité améliorée de diffusion?
Au vu de la volonté des nouveaux acteurs de transformer le
marché, ces changements sont un risque pour les éditeurs.
Est-ce une raison d’avoir peur ? Non, assure Alain Kouck.
Les éditeurs francophones ont les ressources nécessaires
pour faire face.
Ils doivent accepter que le lecteur est aussi un consommateur qu’ils doivent séduire en adoptant un degré d’exigence
toujours plus élevé en termes de contenu, mais aussi de
graphisme et de qualité de papier, ainsi qu’en offrant un
prix compétitif.
Un autre aspect capital est la question du droit d’auteur,
aujourd’hui menacé, et qui doit être protégé. Alain Kouck
réfute l’idée que le droit d’auteur freine la circulation des
œuvres et rappelle que l’auteur n’est rémunéré que par son
œuvre.
Il ajoute que le réseau de prescription constitué par les
libraires et points de ventes (plus de 10’000 en France) doit
aussi être défendu. Et de citer l’exemple de deux métiers
qui ont évolué vers un marché de la demande, la vidéo et la
musique, qui ont vu la disparition des vidéos clubs et des
disquaires.
« On doit montrer qu’on est moderne et que l’on trouve des
solutions pour laisser au consommateur le choix. Les libraires
aujourd’hui doivent pouvoir proposer une offre numérique,
une offre de e-commerce et une offre physique. »
La chaîne du livre doit se renforcer : « chaque faiblesse profite aux nouveaux acteurs. En Angleterre, 80% du marché
numérique et du livre papier e-commerce est aujourd’hui
pris par Amazon ». C’est à l’Union européenne de mettre en
place des règles, notamment sur le plan fiscal, qui permettent
à une concurrence libre et ouverte de s’affronter sur un pied
d’égalité, et d’éviter ainsi l’émergence de monopoles.
L’édition francophone aime débats internes pendant que le
monde change. Il faut veiller à ce que le métier d’éditeur
reste un métier de création conclut-il.
6
Jeudi 30 avril
Table ronde : le français face aux langues françaises ?
• Emmanuel KHERAD, Journaliste et producteur de « La librairie francophone », Radio Canada, RTBF, RTS,
Radio France
• Venance KONAN, Auteur et Directeur général, Fraternité Matin
• Abdellatif LAABI, Auteur
• Marie LABERGE, Auteur
• Christine LE QUELLEC COTTIER, Maître d’enseignement et de recherche, Université de Lausanne
Table ronde enrichissante et débat nourri autour de la relation
entre le « français de France» et les langues françaises: « se
censure-t-on lorsqu’on écrit à Lausanne, Bruxelles, Rabat ou
Québec ? Les auteurs adaptent-ils leur langue ? »
Selon Marie Laberge, auteur québécoise, les différences de la
langue enrichissent le texte, elles le texturent et lui donnent
sa vitalité. « On ne peut pas écrire comme on n’est pas. »
Abdellatif Laâbi, auteur marocain, acquiesce : si on s’autocensure, on ne va pas au fond de soi-même, de ce qu’on
veut exprimer. La langue française est comme une grande
maison commune que l’on meuble à sa guise. Il y a des primo
arrivants et ceux qui sont venus par la suite mais chacun
a les mêmes droits sur cette maison qui appartient à tous.
Les littératures francophones ont grandi. Il n’y a plus de
complexes. Emmanuel Khérad, journaliste et producteur,
ajoute qu’il faut se retrouver dans cette maison commune
pour militer et défendre la langue française et la francophonie
en général.
Doit-on alors parler de langues françaises au pluriel ? Les cas
sont différents. En Romandie, c’est une langue maternelle
alors qu’en Afrique c’est le plus souvent une deuxième langue
observe Christine le Quellec Cottier, maître d’enseignement
et de recherche à l’Université de Lausanne. Un décentrement
est en cours car tous ces français sont vivaces et découverts
avec plaisir par les lecteurs. Le français s’enrichit même si
la langue est normée.
Venance Konan, écrivain et journaliste, observe que même en
Côte d’ivoire on a la tentation d’écrire en « bon français de
France » plutôt qu’en français ivoirien. Ahmadou Kourouma
a ouvert une nouvelle voie en osant utiliser sa propre langue.
Le terme de francophonie reflète-t-il encore la réalité d’aujourd’hui ? La littérature est mondiale et il y a forcément des
lecteurs éloignés de la réalité de l’auteur. Ecrire signifie rester
soi-même face à cette mondialisation en évitant une langue
« passe-partout ». La langue française bouge. La rigueur
est dans l’authenticité et l’intégrité de l’écriture, mais pas
obligatoirement dans ce qu’en pense l’Académie française.
7
Jeudi 30 avril
Table ronde : le numérique au service de l’édition francophone
• Christian GALLIMARD, Fondateur et Directeur, Editions Calligram
• Vincent MONTAGNE, Président du Syndicat national de l’édition (France) et Président Directeur Général
de Média participations
• Jean PETTIGREW, Auteur et Directeur éditorial, Editions Alire
• Juan PIRLOT DE CORBION, Président Directeur Général, YouScribe
• Jean RICHARD, Directeur des Editions d’En Bas et des Editions Réalités Sociales
Le numérique est présent dans l’industrie de l’édition depuis
plus de 40 ans. Aujourd’hui, il ne concerne plus seulement la
chaîne de production, mais aussi les lecteurs. Sous forme de
vente ou de prêt, il offre des possibilités complémentaires au
livre papier. Jean Pettigrew, directeur éditorial des Editions
Alire (Canada), d’ajouter que chacun peut produire et publier
sur le web. Le matériau brut que les éditeurs ont toujours vu
est maintenant dévoilé aux yeux du public.
Ce qui change, selon Vincent Montagne, PDG de MédiaParticipations et président du Syndicat national de l’édition
(SNE), c’est l’accès direct des distributeurs numériques à la
connaissance intime des choix culturels et des habitudes
de lecture de chacun. En théorie, la richesse de l’offre est
exceptionnelle mais, en pratique, le catalogue est si vaste que
le choix risque de se faire principalement sur des bouquets
numériques ou des best-sellers, au détriment de la diversité
éditoriale que peut présenter une librairie physique. La création éditoriale est menacée par l’importance croissante de ces
opérateurs dont le métier n’est pas d’assurer la rémunération
des auteurs, mais au contraire d’écraser les prix. Il faut donc
veiller à ce que le prix d’un livre ne soit pas déterminé par la
valeur qu’on attribue au fichier d’un lecteur, dont la valeur
sera exploitée économiquement pour d’autres usages.
Si la lecture reste la même, quel que soit le support, la valeur
d’un texte est déterminée par la qualité du travail de l’auteur
et de l’éditeur. Quelle doit être cette valeur pour éviter les
risques de piratage du numérique ? L’un des moyens les plus
efficaces face au piratage est de proposer des produits interactifs qui nécessitent une connexion qui offre un meilleur
contrôle.
A cela s’ajoute que le numérique s’impose plus facilement sur
de grands territoires où la diffusion est compliquée avec, parfois, des cadres juridiques faibles. Comment, dès lors, assurer
une rémunération permettant aux créateurs de produire ?
Faut-il imaginer de nouveaux paramètres de rétribution de
la création qui ne seraient plus uniquement basés sur un
prix et des ventes ? Reste que cela ne résout pas forcément
la situation actuelle de « surproduction » où seulement 1%
des manuscrits reçus par les éditeurs sont publiés.
La question du temps de lecture vis-à-vis d’autres offres de
loisirs culturels est également capitale d’après Juan Pirlot
de Corbion, PDG de YouScribe, avec pour conséquence un
temps moyen de lecture hebdomadaire en diminution. Jean
Richard, Directeur des Editions d’En Bas et des Editions
Réalités Sociales, observe que lire et écrire ne sont pas des
choses naturelles : on les apprend. Or, le développement
cognitif fonctionne différemment selon que l’on utilise un
support numérique ou du papier. Il est primordial de cultiver
le goût de la lecture, qu’elle soit linéaire ou en hypertexte.
Christian Gallimard, Directeur des Editions Calligram, voit
le futur de l’édition comme un centre de création qui met
tout en base de données puis qui pilote la structuration des
créations sur différents supports en fonction de la demande.
Le numérique va devenir de plus en plus compétitif et il ne
faut pas se cantonner à une conception éditoriale occidentale
et francophone. Ce qui se passe en Chine ou ailleurs pourrait
un jour modifier nos usages.
8
Jeudi 30 avril
Face à face entre un auteur suisse et
une éditrice française
• Thomas SANDOZ, Auteur
• Héloïse D’ORMESSON, Fondatrice,
Editions Héloïse d’Ormesson
Pourquoi un auteur hors France souhaite-t-il toujours être
édité à Paris, certains poursuivant ce but comme le Graal ?
Et pour les éditeurs parisiens, éditer un auteur d’un autre
pays, est-ce une fleur qu’ils lui font ? Héloïse d’Ormesson,
fondatrice de la maison d’édition éponyme, et Thomas
Sandoz, auteur neuchâtelois, échangent sur cette relation.
Pour Thomas Sandoz, qui a été publié par différentes maisons régionales, mais également parisiennes (PUF, Le Seuil,
Grasset & Fasquelle), éditer ici ou à Paris est forcément
différent. De par la taille des maisons, les mécanismes de
sélection des manuscrits, le processus de fabrication, le service
de presse, la réception en Romandie des ouvrages venus de
France, et ainsi de suite.
Malgré des expériences positives en Suisse romande, Thomas Sandoz avait à cœur d’être publié à Paris, en précisant
d’emblée qu’il y a aussi « plusieurs Paris », de nombreuses
maisons, collections, genres, quartiers, avec une hiérarchie
assez fine. Une des raisons de ce désir était pragmatique.
Tout auteur a envie d’être lu. Or il est très difficile, voire
exceptionnel, pour un éditeur suisse de pouvoir passer la
frontière. L’inverse est par contre naturel. Être publié à
Paris, c’est donc pouvoir bénéficier d’une diffusion et d’une
distribution optimale, y compris dans son propre pays. De
plus, être édité par une maison parisienne reconnue donne
plus facilement accès aux grands médias, en France comme
en Suisse. Et puis, il faut aussi reconnaître qu’être un auteur
suisse édité à Paris donne un certain crédit symbolique. Cela
peut à l’occasion faciliter la quête de subventions auprès de
fondations privées ou des pouvoirs publics, sensibles, à tort
ou à raison, à cette validation.
Selon Héloïse d’Ormesson, ce qui compte c’est le texte, pas
l’origine des auteurs dont elle découvre les écrits avant leur
adresse. Lorsqu’on aime un texte, on a à cœur de le porter
et de le défendre. Ce n’est pas forcément plus difficile de
promouvoir un auteur ‘non français’. Parfois, cela peut même
être un avantage grâce à l’intérêt suscité.
À la question de savoir si la langue pratiquée ailleurs qu’en
France est un obstacle, l’éditrice répond par la négative.
Tant que les mots utilisés ne déroutent pas le lecteur au
point qu’il arrête sa lecture, pas de problème. Quand c’est
le cas, Héloïse d’Ormesson avertit l’auteur et lui propose
d’adapter la langue. Mais c’est lui seul qui choisit de le faire,
ou non. Thomas Sandoz abonde dans ce sens. Il n’est pas
gêné par l’idée d’éviter, par exemple, certains helvétismes
qui pourraient freiner la réception de son texte. C’est une
question d’équilibre. « Ce qui m’intéresse est de faire passer
des émotions à travers des mots, quels qu’ils soient ».
L’édition francophone a-t-elle
des leçons à tirer de l’édition
anglophone ?
Le cas du Canada
• Richard PRIEUR, Directeur Général,
Association nationale des éditeurs de livres
Pour Richard Prieur, directeur général de l’Association
nationale des éditeurs de livres, la bataille démographique
est perdue avec 7 à 8 millions de francophones dans une
mer de 300 millions d’anglophones.
De plus, au niveau du lectorat, le taux d’analphabétisme
fonctionnel (être à peine capable de lire et comprendre un
article de journal) frise presque la moitié de la population,
ce qui pose un sérieux problème lorsqu’il s’agit de littérature.
Le Québec est une minorité encerclée par la culture anglosaxonne mais qui a réussi à conserver ses éditeurs alors que
les auteurs anglophones au Canada passent en majorité par
des entreprises américaines et britanniques.
La situation particulière du Québec fait qu’il s’est doté de
règlementations pour promouvoir la chaîne du livre, de
bibliothèques publiques et d’un réseau de librairies pour
approvisionner le public et les collectivités. Le marché des
collectivités publiques appartient d’ailleurs à des librairies
agréées qui ont l’obligation de tenir un stock d’ouvrages
québécois. Les bibliothèques doivent s’approvisionner dans
les librairies de la région. Du coup, les librairies sont présentes
partout. Il y a aussi une législation sur le français qui a
fonctionné et protégé la langue.
L’édition québécoise peut sembler très subventionnée mais
c’est la condition de sa survie. Bon an mal an, elle publie près
de 35’000 titres par an. Sans protection, elle s’éteindrait. A
la base de ce soutien, il y a le puissant courant identitaire qui
l’anime encore. Le jour où ce courant s’essoufflera, l’édition
québécoise s’essoufflera elle aussi.
Des efforts sont à faire du côté des exportations qui ne sont
pas subventionnées. Tout ne passera pas uniquement par
le numérique car il y a encore un désir profond du lecteur
francophone partout de tenir dans ses mains un livre qui
vient d’ailleurs, avec ses québécismes et son glossaire.
L’édition francophone a-t-elle des leçons à tirer de l’édition
anglophone ? « La réponse est oui, mais il s’agit plutôt de ce
qu’il ne faut pas faire », conclut Richard Prieur.
9
Alban Cerisier
Abdoulaye Fodé N’dione
Fathi Derder et
Jean-Baptiste Dufour
Luce Wilquin
Caroline Coutau et
Karima Gamgit
Alain Kouck
Vincent Montagne
Richard Prieur
Abdellatif Laâbi, Venance Konan, Emmanuel Khérad, Christine Le Quellec Cottier et Marie Laberge
Christian Gallimard, Vincent Montagne, Jean Pettigrew, Juan Pirlot de Corbion et Jean Richard
Photos ©Palexpo-Pierre Albouy
Ces résumés sont basés sur des notes et peuvent ne pas refléter la totalité ou l’exactitude des
propos tenus par les intervenants lors des Assises de l’ édition francophone.
Nous tenons à exprimer nos plus vifs remerciements aux modérateurs des sessions :
Jean-Philippe Rapp (modérateur principal), David Brun Lambert, Isabelle Falconnier,
Christophe Passer et Olivier Toublan
Responsable des Assises de l’édition francophone 2015 : Olivier Borie, Chargé de Projets,
Palexpo SA
www.salondulivre.ch/francophonie
Avec le soutien de: