Leroi Gourhan

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Introduction :
L’explication anthropologique et la philosophie
En son point de départ l’anthropologie opère un renversement du problème philosophique:
Au lieu de partir de l’individu, qui s’apparaît comme conscience « de » quelque chose ( quelle qu’elle soit : les choses, les êtres, la société, l’histoire )
hors de lui pour comprendre les rapports qu’il entretient avec ces réalités, il s’agit de partir d’une réalité existant indépendamment de la conscience pour
chercher ce qu’est ce rapport spécifique de l’être humain à la réalité, que l’on désigne comme « conscience ».
Ce rapport spécifique de l’être humain à la réalité ne peut être cherché ailleurs que dans la continuité de l’évolution, sur la base des recherches et des
résultats de l’anthropologie.
La réponse à la question : - Qu’est-ce que l’homme ? –posée par la philosophie comme l’ultime objet de son interrogation ( qui ne saurait être comprise
qu’à partir du problème du rapport de la pensée à la réalité )- passe par une question préalable : - A partir de quel moment de l’évolution des êtres vivants
peut-on parler de l’apparition d’une nouvelle espèce, dont les individus ont un rapport différent à la réalité, y compris avec l’espèce ?
Véritable paradoxe au cœur même de l’étude scientifique des mécanismes et des étapes de l’évolution , permettant de comprendre la différenciation des
espèces et leurs caractères propres ( leurs différences génétiques ), qui déterminent leurs comportements : Voici, en effet, une espèce qui n’existe et se
développe qu’à partir du moment où les individus se différencient eux-mêmes des autres êtres vivants ;
Loin que le comportement des individus soit déterminé par des différences génétiques, ce sont les individus qui, par leur activité, génèrent et développent
les caractères propres de l’espèce ; et, qui plus est, sans que leur comportement soit « déterminé » par leurs différences génétiques.
Certes, pour comprendre ce passage de l’animal à l’homme, qui s’étend sur plusieurs centaines de milliers d’années, l’anthropologie doit avoir recours à
la paléontologie, qui montre les lentes transformations anatomiques liées à la station verticale, qui libère, en même temps que la motricité manuelle, les
organes de la phonation et l’emplacement du cerveau frontal : La lente transformation de la motricité manuelle délivre le système audio-phonique pour la
parole et la main pour l'écriture..
Elle doit faire appel à la neurophysiologie, qui étudie le processus de corticalisation, montrant comment, en particulier, s’établit au niveau du cortex le lien
entre les organes de la motricité manuelle et ceux de la phonation, qui va permettre le progrès conjugué du geste et de la parole, moteur du
développement cérébral.
Citons Lucien Sève :
«Le Geste et la Parole”, selon le titre de l'ouvrage de Leroi-Gourhan, autrement dit : l'invention de l'outil et du langage, inséparable du geste outillé, place
l'humanité sur un tout autre orbite de développement que les espèces dont elle provient.
L'humanité est sortie de l'animalité : elle en provient et y garde racine, mais en même temps elle est devenue autre chose. Non point seulement par l'effet de
différences biologiques quantitatives qui, pour considérables qu'elles soient -telle l'ampleur du cerveau frontal-, sont incapables de rendre compte d'un
changement si radical, mais par celui d'une transformation qualitative d'un autre ordre.
Leroi- Gourhan s’attache , dans le tome I du « Geste et la Parole » à l’étude du passage dans l’humain, qui mène du Zinjanthrope au Néanthrope : ce
frayage est celui de la corticalisation et s’effectue en même temps dans la pierre, au cours de la lente évolution des techniques de taille des outils ;
l’évolution s’accomplit encore au rythme d’ «une dérive génétique »
Il n’empêche qu’à la fin du paléolithique moyen et dés le début du paléolithique supérieur, , entre 40 et 30.000 ans B ; P., comme si « le cortex et le silex »
s’étaient prêtés main forte, le bond se produit., à tel point que certains n’hésitent pas à parler d’un « big bang socio-culturel »
« Par rapport au moustérien, avec la culture aurignacienne, tout est différent :
De nouvelles techniques pour travailler la pierre, l’os, les bois de cervidés, et l’ivoire, de nouvelles structures sociales, des échanges de matières premières
sur de longues distances, , un grand nombre de représentations peintes, gravées ou sculptées, et une abondance de peintures corporelles. Une véritable
révolution socio-symbolique. »
Tout le monde s’accorde à reconnaître l’existence d’«une explosion artistique et symbolique », figurative et non figurative, au début du paléolithique
supérieur. »
S’il est vrai que le passage dans l’humain ne peut se comprendre que dans la continuité de l’évolution de la vie, il faut bien reconnaître qu’il y a
un moment où « la poursuite de l’évolution du vivant a lieu par d’autres moyens que la vie »
Le recours à l’anthropologie est, avec Derrida et ses épigones l’ultime tentative de la philosophie pour comprendre comment l’humain peut émerger du
biologique, comment l’histoire peut rompre avec l’histoire de la vie, comment la genèse de l’homme le libère du génétique, comment, enfin, la différence
spécifique, qu’on voudrait situer à l’origine , doit s’écrire avec le « a » d’un participe présent : «différance » ,parce qu’elle n’a jamais eu lieu : tant il est
dépourvu de sens de vouloir situer dans le temps ce qui est la marque du temps lui-même, la « trace » de l’écart , de l’abîme au sein de l’être, en quoi
consiste l’avènement de l’homme.
Bernard Stiegler écrit : « La différance est l’histoire de la vie en général, dans laquelle se produit une articulation, étape de la différence, d’où émerge la
possibilité du gramme comme tel, c’est à dire la conscience.»
Voilà qui ne souffre pas d’ambiguïté :
Ce que la philosophie attend de l’anthropologie, c’est qu’elle lui permette de comprendre l’émergence de la conscience, ou, bien plutôt, de découvrir que
« la différence »,qui marque l’avènement de l’homme,- fut-elle spécifique , n’en reste pas moins incompréhensible.
A ) La thèse de Leroi-Gourhan :
1) La station verticale :« tout commence par les pieds »
L’acquisition de la station verticale est « une des solutions données à un problème biologique aussi ancien que les vertébrés eux-mêmes », qui s’inscrit
dans la série des vivants comme terme logique de leur évolution.
« L’homme n’est pas un miracle spirituel. ;,où le « mental » viendrait se greffer à l’ animal. En affirmant que l’homme ne descend pas du singe, mais d’un
autre rameau, Leroi-Gourhan peut montrer que les caractères anatomiques de l’Hominien, l’économie générale de son système mécanique et moteur sont
appelés très tôt à être des éléments spécifiques de l’humain, résultant de transformations, dont l’essentiel doit être compris à partir de la dynamique du
squelette, suivant une ligne d’évolution qui s’enracine très loin dans le passé.
«L’erreur a été d’établir une droite qui unissait à nous anthropoïdes actuels, gorille, chimpanzé, orang-outang et gibbon.»
L’élément archéologique déterminant est le Zinjanthrope…,accompagné de ses outils de pierre : un homme à très petit cerveau.. Cette constatation oblige
à réviser la notion d’homme.»
L’homme n’a pas commencé par le cerveau, mais par les pieds, et, dans le développement général, tant technologique qu’anthropologique, « le
développement cérébral est en quelque sorte secondaire »
C’est la station debout, qui, déterminant la libération de la main de ses fonctions de motricité et la face de ses fonctions de préhension, a rendu possible
l’organisation cérébrale de la liaison main-face, permettant le développement de l’outil ( pour la main ) et du langage (pour la face )
« Le cerveau a profité de l’adaptation locomotrice , au lieu de les provoquer. »
2. La liaison « technique » et « langage » :
Tout se passe alors comme si, selon les termes de B.Stiegler, « l’homme s’invente dans la technique en inventant l’outil- en s’extériorisant technologiquement » , autrement dit : comme si la parole ( logos ) était liée au geste, le langage à la technique.
En effet, la technicité comme extériorisation implique un lien organique entre main et face , qui, comme le montre l’expérience neuro-chirurgicale, est
réalisé « par les zones d’association qui enrobe le cortex moteur de la face et de la main dans l’aire quatre »
Cela signifie, selon Leroi-Gourhan, que l’organisation corticale, telle qu’elle se développe pour le geste technique, a nécessairement du engendrer,- dès le
Zinjanthrope-, la possibilité de la parole, l’élaboration possible de symboles phonétiques ou graphiques.
« Dans leur très long développement, chez les Australanthropes et les Archantropes, les techniques paraissent suivre le rythme de l'évolution biologique et
le chopper, le biface, semblent faire corps avec le squelette. Au moment où émergent des possibilités cérébrales nouvelles, les techniques s'enlèvent dans
un mouvement ascensionnel foudroyant
Un point essentiel peut être dégagé : il y a possibilité de langage à partir du moment où la préhistoire livre des outils, puisque outil et langage sont liés
neurologiquement et puisque l'un et l'autre sont indissociables dans la structure sociale de l'humanité.
Peut-on aller un peu plus loin ? Il n'y a probablement pas de raison pour séparer, aux stades primitifs des Anthropiens, le niveau du langage et celui de
l'outil puisque actuellement et dans tout le cours de l'histoire, le progrès technique est lié au progrès des symboles techniques du langage.
« L'homme fabrique des outils concrets et des symboles, les uns et les autres relevant du même processus ou plutôt recourant dans le cerveau au même
équipement fondamental. Cela conduit à considérer non seulement que le langage est aussi caractéristique de l'homme que l'outil, mais qu'ils ne sont que
l'expression de la même propriété de l'homme ».
3. ) Les chaînes opératoires
Le rapport entre technique et langage est établi par le concept de chaînes opératoires, qui est ainsi exposé par Leroi-Gourhan :
“
La technique est à la fois geste et outil, organisés en chaîne par une véritable syntaxe qui donne aux séries opératoires à la fois leur fixité et leur
souplesse. La syntaxe opératoire est proposée par la mémoire et naît entre le cerveau et le milieu matériel. Si l'on poursuit le parallèle avec le langage, le
même processus est toujours présent. On peut, par conséquent, fonder sur la connaissance des techniques depuis la pebble culture jusqu'à l'Acheuléen
l'hypothèse d'un langage dont le degré de complexité et la richesse de concepts soient sensiblement les mêmes que pour les techniques. Le Zinjanthrope
avec une seule série de gestes techniques et un nombre de chaînes opératoires peu élevé livre alors un langage dont le contenu pouvait être à peine plus
élevé que ce que le Gorille possède de signes vocaux mais constitué par des symboles disponibles et non pas totalement déterminés.
Les Archanthropes, avec leur double série de gestes, leur cinq ou six formes d'outils, possédaient à coup sûr des chaînes opératoires déjà très complexes
et le langage qu'on peut leur prêter est considérablement plus riche, mais probablement limité encore à l'expression de situations concrètes. […]
Chez les Néanderthaliens, l'extériorisation de symboles non concrets se produit. A partir de ce point, les concepts techniques sont dépassés par des
concepts dont nous ne possédons que les témoins opératoires manuels : inhumation, colorants et objets curieux, mais ces témoins entraînent avec eux la
certitude d'application de la pensée à des domaines dépassant la motricité technique vitale. ”
3 .) une seconde rupture ?
“
Les Paléanthropiens […] font assister au premier essor d'aptitudes cérébrales nouvelles qui fournissent à la technicité à la fois un contrepoids et un
stimulant
L'intellectualité réfléchie, qui saisit non seulement des rapports entre les phénomènes, mais qui peut en projeter vers l'extérieur un schéma symbolique, est
certainement la dernière venue des acquisitions des Vertébrés et on ne peut l'envisager qu'au niveau anthropien. Elle est tributaire d'une organisation
cérébrale dont l'origine se situe au moment de la libération de la main et dont l'épanouissement définitif se fait à un moment qui coïncide avec l'homo
sapiens. En réalité les facultés de réflexion, sur le plan des techniques, se confondent avec l'organisation neurovégétative des aires corticales d'association
et tout se passe, au plan des opérations intellectuelles “ gratuites ”, comme si le développement croissant des territoires frontaux et pré-frontaux
entraînait une faculté de symbolisation toujours plus grande.
Peut-on dire à la fois qu'il y a « des symboles disponibles et non totalement déterminés », et qu'ils sont liés à l'expression de situations concrètes ?
Que signifie une expression telle que “ symboles techniques du langage ”, dans quelle mesure ceux-ci n'appellent-ils pas (ou ne sont-ils pas eux-mêmes)
obligatoirement des symboles “ non techniques ” ? Pour Leroi-Gourhan, cela signifie : un langage qui n'exprimerait que des situations concrètes.
Or telle est bien la leçon de la linguistique ; un signe, qui n'est pas un signal, est un symbole désignant une généralité, une classe conceptuelle, toujours
déjà une “ abstraction ”, et non pas un référent unique et singulier - car alors il faudrait autant de signes qu'il y a de réalités à désigner, il faudrait donc une
infinité de signes, et il n'y aurait tout simplement plus cette économie générale et abstraite en quoi consiste le langage et qui lui permet de nommer par la
combinaison indéfinie d'un ensemble fini de signes, une réalité infinie.
Tout langage, en tant qu'il est essentiellement fini et rend cependant compte d'une réalité a priori indéfinie et quasi infinie, est nécessairement et
immédiatement la mise en œuvre d'un processus d'abstraction et de généralisation. Un “ langage concret ” est donc un concept contradictoire.
Les propos mêmes de Leroi-Gourhan vont d'ailleurs dans ce sens. Un tel processus (l'apparition du langage) n'est possible qu'à partir d'une capacité
d'anticipation qui est aussi une capacité de mise en réserve, de mémorisation - et c'est pourquoi le mot, comme l'outil, “ persiste en vue d'actions ultérieures
”:
“
Les opérations de fabrication préexistent à l'occasion d'usage et […] l'outil persiste en vue d'actions ultérieures. La différence entre le signal et le mot
n'est pas d'un autre caractère, la permanence du concept est de nature différente mais comparable à celle de l'outil ”.
“ La
situation matérielle qui déclenche ” les comportements des grands singes, justement parce qu'elle reste essentiellement et à jamais “ concrète ”, n'est
jamais susceptible de donner lieu en quoi que ce soit à langage, ni à technique, qui supposeraient une entrée dans l'abstraction ”, dans l'appréhension d'une
généralité, si infime soit-elle là encore : le simple fait qu'un mot perdure, et serve à la désignation de différentes situations concrètes tout en restant le
même mot signifie que tout mot est immédiatement une généralisation.
Dés lors, peut-il y avoir deux stades du langage archaïque, l'un où il n'exprime encore que “ des situations concrètes ” et se trouve donc bloqué au seuil de
l'accès à la généralité et à l'abstraction, et l'autre où, avec les Néanderthaliens, “ où l'extériorisation de symboles non concrets se produit ” ?
L’extériorisation technologique, -le moment où l’homme produit des outils pour remplacer la main (qui sont comme des prothèses )-, est en elle-même
déjà le signe d’une rupture, dans la mesure où la fabrication de l’outil suppose l’anticipation du geste en fonction du résultat à obtenir (la projection d’une
forme à réaliser ).
4.) Une aporie :
A partir de quel moment et par quel saut qualitatif entre –t-on dans l’humain ?
Suivons B.Stiegler :
« C’est parce qu’il est affecté d’anticipation, parce qu’il n’est qu’anticipation, qu’un geste est un geste ; et il n’y a de geste que lorsqu’il y a outil et
mémoire artificielle, hors du corps, et comme constituant un monde.
Le “ paradoxe de l'extériorisation ” nous a fait dire que l'homme et l'outil s'inventent l'un en l'autre, qu'il y a comme une maïeutique technologique. Dès
lors, le vecteur de l'épiphylogenèse, à l'aube de l'hominisation, c'est le silex. Le processus de corticalisation s'opère comme réflexion de cette conservation
de l'expérience, de cette constitution du passé qu'est ce silex comme enregistrement de ce qui s'est passé , conservation qui est déjà, elle-même, comme
trace, une réflexion, qui constitue le paradoxe de l'extériorisation : on ne parvient pas à dire si c'est le cortex qui rend possible le silex ou l'inverse.
L'intérieur devrait précéder l'extérieur alors même qu'il est constitué par ce dernier, qui le précède donc. A moins de dire qu'ils se pré-cèdent l'un l'autre,
qu'ils sont la même chose considérée depuis deux points de vue différents mais déjà dérivés.
Il reste alors, quel que soit le point de vue sous lequel on l'aborde, la question du mouvement (à la fois extérior-isation et intérior-isation) : de sa
provenance, de ce qui en est le principe.»
Au cœur de l’anthropologie, nous retrouvons le problème fondamental de la philosophie :-Faut-il comprendre la pensée (symbolique) comme la
« réflexion » d’une réalité extérieure à la pensée, ou, à l’inverse, la réalité à laquelle nous avons affaire n’est-elle pas toujours-déjà « constituée » par
l’activité symbolique de la pensée ?
La réflexion, aux prises avec ce problème, ne suggère que deux solutions , pour ainsi dire jumelles :
Ou bien, dans la perspective philosophique, que nous avons longuement développée, ( susceptible de bien des variantes ), il faut soutenir qu’à un moment
donné de l’évolution qui conduit de l’animal à l’homme, une coupure se produit, qu’on peut désigner comme l’émergence de la conscience, mais qui,
selon notre philosophe, peut se comprendre comme une révolution techno-logique, c’est à dire une inversion par laquelle ce qui par la technique était « à
portée de mains », à l’extérieur de l’individu, le vouant à inscrire sa trace, devient un pro-gramme, c’est à dire une anticipation de l’à venir, qui constitue
à proprement parler la genèse du temps, - d’une histoire, contemporaine de l’avènement de l’homme.
On peut à bon droit qualifier cette réflexion d’idéalisme, puisque l’on découvre par une sorte d’inversion que la réalité « matérielle » techniquement
produite par l’homme est en fait générée par l’émergence d’un temps qui constitue la structure de l’existence humaine.
Ou bien, la seconde solution, qui est la constante tentation de Leroi-Gourhan, voudrait expliquer le passage d’une symbolisation concrète, où les signes
adhèrent encore aux gestes, à « une intellectualité réfléchie, qui peut projeter vers l’extérieur un schéma symbolique », par l’acmé du développement
cortical, au stade dernier d’évolution des Anthropiens.
Mais, cette thèse ne peut s’exprimer que comme une hypothèse sans fondement :
« Tout se passe comme si, écrit Leroi-Gourhan, le développement croissant des territoires frontaux et préfrontaux entraînait une faculté de symbolisation
toujours plus grande »
Cette hypothèse est celle d’un matérialisme neuro-physiologique, qui n’est pas éloigné du matérialisme mécaniste des philosophes du XVIII° siècle,
affirmant que le cerveau secrète la pensée
Comment échapper à cette alternative de l’idéalisme et du matérialisme sinon en essayant de découvrir l’origine du problème ?
Et voici pour le philosophe la pierre d’achoppement :
«La question est l’ambiguÏté même du mot d’extériorisation : Si l’on pouvait parler d’extériorisation, cela signifierait qu’il y a une intériorité qui la
précède. Or cette intériorité n’est rien en dehors de son extériorisation :
L’outil apparaît à la fois comme résultat de l’anticipation, comme extériorisation, et comme condition de l’anticipation, de sorte que l’anticipation
apparaît elle-même comme l’intériorisation du fait originaire ( premier ) de l’extériorisation.»
Voici l’aporie :
Si«l’intériorité n’est rien hors de son extériorisation » et si « toute extériorisation implique une intériorité qui la précède », il ne peut s’agir que d’un
« complexe » originaire »
Le « complexe », auquel conduit l’anthropologie, est, à proprement parler, en lui-même dépourvu de sens : En termes logiques, il s’agit d’une pure et
simple contradiction,
SANS DOUTE NE POURRA-T-ON COMPRENDRE LA PORTÉE DE L’ANTHROPOLOGIE, TANT QUE NOUS N’AURONS PAS
ÉCLAIRÉ LE SENS DE CETTE CONTRADICTION, OÙ L’EXTÉRIORISATION DE L’INDIVIDUALITÉ D’UN ÊTRE PAR LA
PRODUCTION D’UN MONDE « HORS DE LUI » SE RÉFLÉCHIT « EN LUI » , -PAR LA MÉDIATION D’UN LANGAGE (ÉCRITURE
ET FIGURATION ) SOUS LA FORME DE CE QUE NOUS APPELONS « LA CONSCIENCE »
5 .) L’anthropologie dans une impasse :
Nous n’accorderons que peu à la conclusion de B.Stiegler, afin de ne pas nous laisser entraîner à la critique d’une réflexion qui est le dernier avatar d’une
philosophie, dont le dessein est d’ameuter l’anthropologie à son service pour échapper au matérialisme.
Le « complexe originaire » de l’extériorité du fait technique et de son intériorité sous l’aspect d’un « logos » ( d’un sens ) n’est rien d’autre qu’«une
structure qu’il faut appeler « le complexe d’Epiméthée »
Epiméthée est cet oublieux, ce prétentieux et ce maladroit, qui, chargé par les dieux, avec son frère Prométhée, de doter également toutes les races
mortelles des qualités nécessaires à leur survie, voulant tout faire seul, a tout distribué en oubliant simplement l’espèce humaine . Et Prométhée de
constater que « l’homme est tout nu, pas chaussé, dénué de couverture, désarmé »
Ce que voyant, celui-ci déroba le feu pour en faire cadeau aux hommes, afin de réparer la faute d’Epiméthée.
Les hommes , ayant ainsi une part du lot divin, se mirent à honorer les dieux, « à articuler artistement les sons de leur voix », et à inventer habitations
vêtements, chaussures, couvertures et tous les aliments tirés de la terre.
Le philosophe s’interroge : -N’y a-t-il pas une double origine de l’homme ?
Et, si l’on ne veut (ou : ne peut ) faire retour à l’idée théologique ( spiritualiste, dit Leroi-Gourhan ) d’une double appartenance de l ‘homme, d’un
dualisme de la nature humaine, ne peut-on reconnaître que l’ émergence de l’humain est à double détente : un premier coup qui appartient à l’évolution de
la vie aboutissant « naturellement » à la libération de la main, et un second coup – une détonation -,où l’on pourrait dire,- sans métaphore-, que l’homme,
à la faveur du développement cortical, « prend son sort en mains » pour « écrire » lui-même son histoire.
La philosophie rejoint le mythe, dont elle a grand besoin, dissimulant le retour au dualisme par la figuration du couple des deux frères, où « l’idiotie »
native de l’un laisse place à « l’intelligence » mortifère ( thanathologique ) de l’autre/
Epiméthée, qui n’a pas su donner aux hommes les moyens de survivre, les laissant désarmés, inermes, « sans bras », passe le « relais » à Prométhée, qui
leur donne le « pouvoir » ex-orbitant du feu dérobé au divin, afin qu’ils s’inventent eux-mêmes une prothèse pour bâtir « hors d’eux » un monde qui ne
leur appartient pas, et, de nouveau les laisse désarmés , aux prises avec la conscience de la mort..
Pour le philosophe, Leroi-Gourhan est un matérialiste honteux ou un idéaliste qui s’ignore :
«S’il ne veut pas dire (dans le deuxième tome ) , écrit B.Stiegler, qu’il ne s’agit « plus du tout » ( dans le passage à l’humain ),- et bien que le cortex joue
encore un rôle-, d’une détermination spécifique, c’est parce qu’il refuse de placer l’origine de l’évolution ( proprement ) humaine dans la « créativité » de
l’homme, c’est à dire dans une « conscience » créatrice ;»
Où il apparaît clairement que le souci du philosophe est de préserver, malgré les résultats de l’anthropologie, la place de la conscience créatrice dans
l’émergence de l’humain !
Si l’on veut indiquer le chemin emprunté par le philosophe pour atteindre ce résultat, il faut reprendre le langage de la philosophie :
«Nous parlerons d’une double rupture dans l’histoire de la vie. .deux frappes.. deux coups… :Zinjanthrope et Néanthrope sont les noms de ces deux
coups. Ce qui se passe là, c’est le passage du génétique au non-génétique. ; ; S’il ne doit plus être question de fonder l’anthropos dans une pure origine
de lui-même, toute la question est de penser la possibilité hautement paradoxale d’un tel passage : « Comment, selon la réflexion de Ricoeur, les codes
culturels ont-ils pu s’édifier sur les zones effondrées du réglage génétique ? »
« Le concept de différance et de rupture dans la différance est une tentative pour « concevoir » ce passage »
De ce détour philosophique il faut retenir cet aveu lucide.
Dans sa rencontre de l’anthropologie, qui donne pour objet à sa recherche l’étude diachronique,- autrement dit la genèse-, des caractères constitutifs de
l’humain ,la réflexion philosophique rencontre une difficulté insurmontable : Aux prises( dès son origine et par son objet propre ) avec le problème du
rapport de la pensée à la matière, qu’elle rencontre ici sous la forme du rapport de la culture à la nature, elle se donne pour tâche de forger un concept
qui lui permette de « penser », de « concevoir » la « constitution » des caractéristiques de l’humain, qui est une réalité diachronique, en termes de
structure, sous la forme synchronique des caractères « constitutifs de » l’humain .
Sans doute, pour résoudre cette difficulté, faut-il rompre avec la démarche spéculative de la philosophie, qui comprend le concept comme une « essence »
( une signification figée, miroir d’une réalité dont elle « constitue » et définit le sens ), pour être en mesure de comprendre l’essence de toute réalité comme
le procès de son développement, où la pensée humaine,- le concept-, intervient comme un processus d’abstraction permettant d’analyser les moments de ce
procès, et dont la synthèse ne fera jamais qu’ approcher une réalité concrète, existant indépendamment de la pensée ( liée à l’avènement historique de
l’homme ).
6. ) Une leçon et un chemin :
De cette confrontation de la philosophie avec l’anthropologie, qui révèle l’impasse de sa démarche,- et, plus encore, de la mythologie , à laquelle elle est
contrainte de faire appel, il convient de retenir une double indication, susceptible d’orienter la réflexion :
1 ;En écrivant avec un « a » la différence spécifique qui distingue l’homme des autres vivants, elle découvre, et reconnaît en son langage, un fait
incontournable :
" Les hommes eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu'ils commencent à produire leurs moyens d'existence
Autrement dit, on ne peut comprendre la différence constitutive de l’humain que comme un procès de développement, qui est celui de l’hominisation : non en termes de structure comme un complexe s’imposant à l’esprit, mais en termes diachroniques comme un devenir « spécifique ».
2. Ce devenir spécifique ne saurait être compris comme une évolution inscrite dans le « programme » génétique de l’espèce, mais comme la « mise en
œuvre » par les hommes eux-mêmes, - dans le procès de reproduction de la vie-, d’un nouveau type de programme, qui leur permet de produire « hors
d’eux-mêmes » une réalité qu’ils « écrivent » sous la forme d’une histoire.
Il y a donc bien, en ce procès, sinon le moment, du moins le signe d’une rupture, que le mythe symbolise par l’impuissance d’Epiméthée, qui, à un
moment donné, « baisse les bras »
.Et, ce sont les hommes eux-mêmes qui relèvent le défi en mettant « en œuvre » ces moyens inédits d’existence que sont la technique, le langage, et l’Art
…
Le passage dans l’humain, qui représente un bond véritable , ne saurait être l'effet de différences biologiques quantitatives qui, pour
considérables qu'elles soient -telle l'ampleur du cerveau frontal-, sont incapables de rendre compte d'un changement si radical, mais celui d'une
transformation qualitative d'un autre ordre.
N’est-ce pas le sens de ce bond que l’anthropologie doit nous permettre de comprendre en analysant les éléments constitutifs de ce procès ?
B ) Les leçons de l’anthropologie de Leroi-Gourhan :
Peut-on chercher “ en l'individu ” la racine anthropologique de la constitution de l'individualité sociale humaine ?
) Une contradiction de Leroi-Gourhan
Une contradiction apparaît, semble-t-il, dans le passage du premier au second tome du « Geste et la Parole
On pourrait en effet résumer ce qui serait la thèse du tome I par cette citation :
« Il y a une évolution synchronique de l’outillage et des squelettes. On pourrait dire que dans une large mesure, chez les Archanthropiens, l’outil reste une
émanation directe du comportement spécifique »
Le « spécifique » a ici le sens du « zoologique », puisqu’il s’agissait, dans ce tome I de montrer que l’apparition de l’outil se situe dans la continuité de
l’évolution anatomo-physiologique des autres espèces vivantes.
Leroi-gourhan nous introduit lui-même en cette difficulté :
« Dans un chapitre précédent, on aboutissait à cette impression que l’outil est en quelque sorte exsudé par l’homme au cours de son évolution. Un
moment vient où la maturité des lignées aboutit au bipède à mains libres, qui émerge sans rien perdre de ses contacts avec la continuité des êtres vivants.
Une impression identique est suscitée par l’analyse du geste technique, plus forte encore, car on y voit l’outil sourdre littéralement de la dent et de l’ongle
du primate.
Or, « la valeur humaine du geste n’est pas dans la main , dont la condition suffisante est qu’elle soit libre pour la marche, mais précisément dans la
marcheverticale, parce que sa conséquence paléontologique est le développement de l’appareil cérébral. »
2.) un paradoxe :
Grâce à l’analyse de l’émergence et du développement conjoints de la technique et du langage, -couplés avec un développement accéléré du cortex -, il a
été montré ( et tout le monde est près d’être d’accord ) que le passage dans l’humain s’effectue comme un processus d’extériorisation par lequel les
hominiens produisent en dehors d’eux , comme conditions mêmes de leur existence, une « réalité », que le philosophe appelle « techno-logique » pour
poser un problème :
Les chaînes opératoires, en quoi consistent les gestes « humains » de la technique (- de la production matérielle des outils et des objets), impliquent « chez
l’individu » une anticipation de la mise en œuvre, dont on doit reconnaître qu’elle suppose un système de signes qui ne peuvent se constituer que par un
processus d’abstraction permettant de généraliser telle ou telle propriété de la chose, -de la réalité concrète .
Or, l’ anthropologie de Leroi-Gourhan, tout entière animée du souci d’établir entre l’humanité et l’animalité une continuité suffisante pour éviter que la
coupure ne soit la justification d’une interprétation spiritualiste, établit, par des analyses bien difficiles à récuser, que l’activité symbolique, - c’est à dire
l’activité d’abstraction aboutissant à la constitution d’un système de signes (d’un langage )- est entièrement liée à l’activité pratique, à la production
« outillée » des objets.
Revenons au paradoxe que rencontre Leroi-Gourhan :
Cherchant à comprendre le caractère « spécifique » de l’humain, qui paraît bien résider tout entier dans l’activité symbolique, il découvre que cette activité
n’apparaît sous la forme d’un langage, qu’à partir du moment où les hommes, - simples individus biologiques, commencent à produire une réalité en
dehors d’eux ,qui n’est plus une nature, -une réalité seulement physique et matérielle, mais un « monde humain », c’est à dire une réalité revêtue d’un
sens : Et, tout se passe comme si, dans la production de cette réalité, les individus avaient « projeté » hors d’eux un ensemble de symboles, que chacun
d’eux trouve ( ou : re-trouve ? ) « en lui » comme un langage qui lui appartient en tant qu’homme.
Partant de l’individu biologique on devrait donc être en mesure de comprendre comment cet individu, qui possède tous les caractères des espèces vivantes
,- ses ancêtres -, « devient » un homme, pourvu qu’on étudie comment se noue le lien entre le geste « technique » de production et la parole qui « attache »
à la réalité concrète de l’objet-produit un signe abstrait, ( c’est à dire un symbole qui, pour désigner un objet, abstrait une ou plusieurs de ses propriétés de
façon à constituer avec d’autres objets « un ensemble » )
Or, cette démarche conduit à une impasse :
Alors qu’il est relativement aisé, à partir de l’évolution des outils, de montrer comment le geste technique de production s’instaure et se développe en
« extrayant » de la matière ( suivant ses propriétés physiques propres ) telle ou telle de ses propriétés, il est bien difficile de comprendre comment
l’individu peut effectuer cette opération pratique – cette « extraction » - s’il n’a pas « en lui » un schéma du geste à accomplir « en vue de » dégager de
la matière telle de ses propriétés ; et, comment pourrait-il imaginer ce schéma, s’il n’a pas une image du résultat à obtenir ?
Ne faut-il pas qu’il ait « la faculté » d’abstraire du réel concret ces propriétés qu’il se propose de « réaliser », à moins qu’on puisse expliquer comment il
trouve en lui les symboles qui les représentent ?
3 . ) Les données de l’anthropologie :
« Les données de l’anthropologie jusqu’alors ont fourni le moyen de matérialiser l’essentiel de l’évolution vers la motricité réfléchie et de prendre ainsi la
mesure du degré d’affranchissement du cerveau humain. Cette auréole de plus en plus large, qui environne les centres de la motricité correspond au sens
strict à l’intelligence, c’est à dire à l’inscription dans la mémoire de nombreuses chaînes opératoires et à la liberté de choix entre les chaînes
L’anthropoïde le plus intelligent ne dispose jamais que d’un nombre très limité de programmes..leur comportement opératoire reste complètement plongé
dans le vécu.. »
Autrement dit, chez l’animal la mémoire opératoire est liée au conditionnement génétique et à une expérience individuelle limitée par ce conditionnement.
« Avec l’homme la différence est surtout qualitative, car la réflexion est étroitement liée au langage : la projection ne peut intervenir qu’à partir du
moment où les opérations sont libérées de leur adhérence matérielle et transformées en chaînes de symboles.
« Le problème ne peut être pris dans le contraste entre instinct et intelligence mais entre deux modes de programmation, dont l’un, chez l’animal,
correspond à une prédétermination génétique, et l’autre, chez l’homme, à une apparente indétermination génétique »
Cette indétermination génétique est une nouvelle programmation, reposant sur une nouvelle organisation de la mémoire.
« la synergie opératoire de l’outil et du geste suppose l’existence d’une mémoire dans laquelle s’inscrit le programme du comportement .»
4.) Le comportement humain :
On peut distinguer arbitrairement trois plans dans le comportement opératoire chez l’homme ;
-celui des « comportements automatiques » directement liés à sa nature biologique. Sauf à soutenir une anthropologie raciale, le comportement opératoire
spontané est entièrement recouvert par le comportement acquis à travers la communauté sociale.
-celui des « pratiques élémentaires », dont les chaînes se constituent dès la naissance et qui marquent le plus fortement l’individu de son empreinte
ethnologique. Les gestes, les attitudes, les manières de se comporter constituent la part de liaison au groupe social dont l’individu ne se libère jamais
complètement lorsqu’il est transplanté dans une clase différente ou dans une autre ethnie…Ces chaînes opératoires machinales constituent le fonds du
comportement individuel commun aux membres d’un même groupe.. ;Le sujet agissant oriente la majeure partie de son activité à l’aide de séries de
programmes élaborés au cours de l’évolution du groupe »
-celui des comportements « individuels »qui constitue le niveau de ce qu’on appelle en général la « réflexion » et qui semble à lui seul caractériser
l’homme, parce qu’il est le seul être vivant chez qui « les chaînes opératoires sont libérées de leur adhérence matérielle et transformées en chaînes de
symboles »
Cela revient à faire du langage l’instrument de la libération par rapport au vécu , de la même façon que l’outil manuel est apparu comme
l’instrument de la libération des contraintes génétiques, qui lient l’outil organique animal à l’espèce zoologique ».
« Chez l’homme le problème de la mémoire opératoire est dominé par celui du langage : La mémoire construite individuelle , l’inscription des
programmes de comportement personnel sont totalement canalisées par les connaissances dont le langage assure dans chaque communauté ethnique la
conservation et la transmission.
De la sorte apparaît un véritable paradoxe :les possibilités de confrontation et de libération de l’individu reposent sur une mémoire virtuelle dont tout le
contenu appartient à la société
La distinction de ces trois niveaux est arbitraire ( tout autant que celle établie par la psychanalyse entre l’inconscient, le subconscient et la conscience ),car
ils forment un tout dans l’activité d’un individu concret, singulier.
Dès le plus bas niveau du comportement chez l’homme , la mémoire cesse de se confondre avec un programme génétique ; elle est de part en part une
mémoire sociale, une mémoire « artificielle » :
« A partir du dévérouillage préfrontal, l’évolution caractéristiquement humaine faisait jaillir un monde technique qui puisait ses ressources hors de
l’évolution génétique. A partir de l’homo sapiens la constitution d’un appareillage social domine tous les problèmes de l’évolution humaine »
Nous cherchions, avec la philosophie, une double origine, où se creuse l’écart entre deux coups qui avaient pour noms « zinjanthrope » et
« néanthrope » ;
Au deuxième coup, c’est la société qui apparaît.
« Du pithécanthrope au menuisier du XIX° siècle, l’aspect des chaînes opératoires n’a pas changé : l’ouvrier mis en présence de la matière compose avec
les qualités et les défauts particuliers qu’elle présente, combine sur ses connaissances traditionnelles le déroulement possible des chaînes de gestes ,
conduit sa fabrication, corrige, aboutit au produit dont il est l’auteur dans une dépense équilibrée de mouvements musculaires et d’idées. Si machinal
que soit son comportement, il implique l’affleurement d’images, de concepts, la présence en pénombre du langage. Lecomportement opératoire spécifique
de l’homme, sur plusieurs centaines de milliers d’années, est total, intégré dans un contexte collectif immédiatement significatif, inséparable de la qualité
humaine ;»
Toute la démarche de Leroi-Gourhan dans le tome II consiste à montrer que « le passage dans l’humain » ne peut se comprendre que par une
différenciation ethnique :
« En analysant le fait essentiel de la double appartenance de l’homme au monde zoologique et au monde sociologique, se dégage cet autre fait essentiel
que les êtres ne sont humainement signifiants qu’à travers le comportement propre à leur groupe.»
Ne peut-on soutenir dès lors qu’il existe une double différenciation, une différenciation proprement « spécifique », c’est à dire « génétique » et une
différenciation « ethnique », c’est à dire technico-socio-culturelle ?
Ainsi, à travers et au terme de la recherche anthropologique, on retrouverait le problème philosophique sous la double forme du dualisme de la nature et
de la culture et de la séparation de l’individu et de la société ( de l’individuel et du collectf )
Leroi-Gourhan résume ainsi le chemin parcouru :
1. Dans la première partie, ont été dégagés dans leur commune origine les deux critères majeurs :-la technicité et le langage , permettant à la fois de
rattacher l’apparition de l’humain à l’évolution du fonds corporel de l’humanité et de mettre à jour les traits principaux qui constituent sa « différence
spécifique ».
2. Dans une seconde partie, il est apparu que technique et langage sont liés à leur extériorisation dans le groupe social , -sinon dans leurs origines, sans
aucun doute dans leur développement spécifiquement humain,:
La « libération » de l’outil ( comme « prothèse » de l’organisme vivant ) a cette propriété de placer »hors de » l’homme, « face »à lui, sous la forme d’un
objet-produit, le résultat de son activité, de sorte que les conditions de son existence, , situées hors de lui, de biologiques sont devenues sociales
La « libération » du verbe ( par quoi le signal est devenu un signe ) correspond à cette propriété unique que l’homme possède de placer sa mémoire en
dehors de lui-même ,dans l’organisme social.
Ainsi , « toute l’évolution humaine ( par laquelle les hommes se différencient eux-mêmes des autres vivants ) concourt (consiste ) à placer en dehors
de l’homme ce qui, dans le reste du monde animal, répond à l’adaptation spécifique( inscrite « en » l’individu sous forme du code génétique )
Cette extériorisation, qui apparaît constitutive de la technique et du langage humains, rend compte du caractère original, paradoxal de l’évolution
humaine, où l’évolution phylétique, c’est à dire les caractères spécifiques des individus, ( leurs propriétés physiques ) est à peu près stagnante, pendant
que l’évolution ethnique ( celle des groupes et de la collectivité humaine ) fait de l’humanité un corps extériorisé dont les propriétés globales sont en état
de transformation accélérée
A la fin du compte, l’intérêt majeur de l’analyse est de révéler un fait essentiel :
« Le fait qui se dégage le plus clairement, c’est l’importance prise par la société par rapport à l’espèce »
5. ) Un problème :
La distinction entre l’espèce et l’ethnie apparaît nécessaire dès le moment où « les critères » de l’humain , c’est à dire les caractères distinctifs , tels qu’ils
ont été dégagés par l’analyse ; la technique et le langage, renvoient, non pas à l’individu comme membre de l’espèce, mais à son existence sociale, non à
son appartenance à l’espèce, mais à son appartenance au groupe social.
« A partir de l’homo sapiens, L’évolution humaine témoigne d’une séparation de plus en plus flagrante entre le déroulement des transformations du corps,
resté à l’échelle du temps géologique, et le déroulement des transformations des outils, liées au rythme des générations successives.
Or, cette transformation des outils (des instruments de production ) n’intéresse pas seulement les comportements techniques, mais entraîne , à chaque
mutation, la refonte des lois de groupement des individus ;la cohérence des transformations affecte toute la structure de l’organisme collectif ; les rapports
sociaux prennent un caractère nouveau, à tel point qu’un observateur qui ne serait pas humain séparerait l’homme du XVIII° siècle de l’homme du XX°
siècle comme nous séparons le lion du tigre ou le loup du chien »
On est conduit ainsi à dépouiller l’homme, c’est à dire l’individu en tant que tel, de ses attributs traditionnels pour découvrir et montrer qu’ils
appartiennent aux hommes pris en masse, considérés comme macro-organisme social.
N’est-ce pas vrai de toutes les manifestations humaines ?
« Un problème important finit par se poser ( manifeste à notre époque ,qui est celle de la révolution informationnelle ) ;- Que reste-t-il de l’homme au
bout d’une telle évolution ?
Mais, si cette évolution commence avec l’entrée dans l’humain, comme toutes les analyses précédentes l’ont montré, le problème doit être posé de façon
plus radicale : -Qu’y a-t-il en l’homme, c’est à dire en l’être humain singulier (en l’individu ) qui ne soit pas d’essence sociale ?
6 ) Une piste :
Si tout ce qui est humain en l’homme n’appartient pas à l’individu, mais au groupe social, pour comprendre ce qui « constitue » l’humain –ses caractères
propres (essence ou structure ),l’anthropologie doit céder le terrain à l’ethnologie.
L’originalité spécifique de l’humain ne doit-elle pas être recherchée au second niveau des comportements humains : -celui des « pratiques élémentaires »,
dont les chaînes se constituent dès la naissance et qui marquent le plus fortement l’individu de son empreinte ethnologique ?
N’est-ce pas dans les gestes, les attitudes, les manières de se comporter qui constituent la liaison des individus au groupe social que l’on a toute chance de
découvrir les structures constitutives de l’humain ?
« La description des faits ethnographiques peut mettre en évidence un type d’objet, une habitude agricole, une croyance qui n’appartiennent en propre qu’
à un groupe déterminé et obtenir , en les additionnant, une formule qui caractérise sans confusion ce groupe ; même précise et détaillée, elle ne rend
absolument pas compte de la valeur de l’ethnie »
On peut compléter l’observation de Leroi-Gourhan par l’analyse que nous avons essayée de conduire pour comprendre la voie « philosophique » ouverte
par Lévi-Srauss afin d’étendre le champ de l’ethnologie :
Cherchant à découvrir à travers l’étude détaillée des faits ethnographiques des structures communes à toutes les sociétés qui permettraient de mettre à jour
les traits spécifiques de l’humain à travers l’émergence de la culture, Lévi-Strauss est obligé de reconnaître qu’à travers la pensée mythique, au delà des
images encore adhérentes à l’expérience concrète ,il n’est parvenu qu’à mettre à jour les rapports qui constituent l’architecture de l’esprit, au point que le
champ mythique, qui semblait d’une complexité prodigieuse quand on l’inspectait de loin et en détail, apparaît, au terme de l’analyse, comme
complètement vide.
Et, Leroi-Gourhan, laissant ouverte la piste de l’ethnologie, écrit ;
« Si l’ethnologie est hors d’état de formuler ce qui est l’objet le plus intime de sa recherche, c’est qu’il manque quelque chose à l’ethnologie dans un
domaine étranger au langage, mais si important que de lui seul relève la réalité de l’ethnie »
Quel est l’objet le plus intime de l’ethnologie que l’ethnologie a manqué ?
Quand elle étudie les faits de culture à travers les lieux où s’inscrivent les conditions de vie, les outils et les instruments qui révèlent le niveau des
techniques et celui l’évolution mentale à partir des savoir-faire, n’est-ce pas le niveau de la « libération » des hommes à l’égard de la nature qu’elle
mesure ?
Et , de la même façon, quand elle étudie les manières de vivre , à travers les ustensiles, les mobiliers, les vêtements..;et, à partir des documents, les
systèmes d’alliance et de parenté ou, mieux encore, les régimes de propriété et les modes de la division du travail, n’est-ce pas, en même temps que les
modes de vie, les structures sociales qu’elle est en mesure de reconstituer , -non plus seulement les rapports des hommes avec la nature, mais bien les
rapports des hommes entre eux, c’est à dire les liens constitutifs du groupe ou de la formation sociale ?
Enfin, quand elle étudie les « représentations » :les mythes ou les contes ;les textes sacrés ou littéraires, quand elle réussit à reconstituer les fêtes, les
carnavals, les jeux, ou bien les manifestations du folklore, ce ne sont pas seulement les modes de penser auxquels elle a accès ; c’est un langage qu’elle doit
analyser, dont les structures réfléchissent la réalité, telle qu’elle est vécue.
Que veut dire Leroi-Gourhan, quand il écrit :
«La description, même détaillée et précise des faits ethnographiques ne rend absolument pas compte du plus réel de la valeur de l’ethnie .»
L’expression ne laisse pas d’être énigmatique et la sentence de paraître à l’ethnologue injuste et surtout incompréhensible.
7.) Une solution ou une voie ?
Si l’ethnologie n’a pu trouver sa voie, si elle manque son objet le plus intime : -ce qu’il y a « de plus réel » dans l’ethnie, n’est-ce pas que l’anthropologie,
cherchant à mettre à jour ce qui constitue « la qualité humaine » :- ce par quoi l’homme « se » distingue de tous les autres vivants- a manqué l’essentiel : la
valeur de l’ethnie ?
Rompant avec la philosophie, qui prétend trouver « en » l’homme sa « différence », l’anthropologie, adoptant le point de vue diachronique, s’est donnée
pour tâche de découvrir la « spécificité » de l’homme en nous faisant assister à la genèse de l’humain, en remontant aux origines.
Serait-ce, comme le veut la philosophie ( depuis la réflexion de Heidegger ), parce que l’homme, -avec qui le temps vient au jour-, se caractérise par
« l’oubli » des origines, toujours est-il que l’anthropologie semble avoir manqué son but :
Là où elle se proposait d’analyser le procès de « l’hominisation » par lequel s’est effectivement « constitué » l’ «humanité », et -par une sorte de bond
« qualitatif »-, s’est forgée la qualité d’homme, elle n’a réussi, semble-t-il, qu’à mettre en lumière les éléments « constitutifs » de ce passage dans l’humain,
qui conduit de l’évolution à l’histoire : depuis le geste technique impliquant la mise en œuvre d’un langage jusqu’au rôle prépondérant de la société qui, au
terme de l’analyse, apparaît comme le fait essentiel, l’essence de cette mutation.
« En analysant le fait essentiel de la double appartenance de l’homme au monde zoologique et au monde sociologique, se dégage cet autre fait essentiel
que les êtres ne sont humainement signifiants qu’à travers le comportement propre à leur groupe.»
Tout se passe comme si, en découvrant le rôle décisif du groupe social- des rapports sociaux-, dans la mutation de l’individualité, nous avions manqué ce
qui constitue l’essence même du groupe : « le tissu de relations entre l’individu et le groupe », ce qu’il y a de proprement humain dans les rapports
sociaux
Si les êtres ne « deviennent » significativement humains qu’à travers le comportement propre à leur groupe, à quel comportement se réfère ce tissu de
relations constitutif de la réalité sociale, sinon à ce qu’on désigne comme « le comportement esthétique » ?
Leroi-Gourhan précise : « L’analyse jusqu’au point présent a délibérément négligé ce qui fait le tissu de relations entre l’individu et le groupe, c’est à dire
tout ce qui se réfère au comportement esthétique »
Voici la difficulté :
« Il semble que la conquête de l’outil et celle du langage ne représentent qu’une partie de l’évolution de l’homme et que ce qui est entendu ici par
esthétique ait tenu dans notre ascension une place aussi importante, mais, alors que la paléontologie nous fournit une restitution assez détaillée des états
du cerveau et de la main, alors que les silex taillés assurent une bonne vision de l’évolution technique, on ne voit pas, à première vue comment dégager
ce qui ne s’est imprimé ni dans le squelette ni dans les outils, nj, - pourrait-on ajouter- ,dans le langage usuel ( usagé ).
Il faut s’entendre, en effet , sur le sens donné ici au mot « esthétique » :
Il ne s’agit pas de rechercher dans la nature et dans l’art,- à partir des choses ou des objets produits- ce que la philosophie appelle le beau, mais bien de
comprendre « le va et vient dialectique entre la nature et l’art , qui, marquant les deux pôles du zoologique et du social » , paraît bien constituer l’essence
de l’humain qui s’instaure avec la production d’un monde.
Que nous révèle le comportement esthétique de l’homme concernant le sens du procès de l’hominisation, par lequel les êtres deviennent humains en
produisant les conditions de leur existence sociale ?
A la fin du compte, au terme de l’analyse, le comportement esthétique, qui se situe au cœur de ce « va et vient dialectique entre la nature et l’art » doit
permettre de comprendre le caractère spécifique de l’humain.
Sans doute y a-t-il un lien essentiel entre le processus de l’hominisation et le comportement esthétique, qui doit éclairer à la fois la genèse de l’homme et
celle de l’art.
Pour clore ce chapitre de l’anthropologie en ouvrant la perspective d’une compréhension « ethnologique » de l’art, on peut citer un texte de Paul Ricoeur,
extrait du recueil « Histoire et Vérité » :
« Si l’homme tranche de manière si visible sur la répétition sans fin des mœurs animales, si l’homme a une histoire, c’est parce qu’il travaille et qu’il
travaille avec des outils. Nous touchons avec l’outil et avec les ouvrages produits grâce à l’outil à un phénomène remarquable : en ceci que l’outil et les
œuvres de l’outil se conservent et se capitalisent.
Il faut prendre conscience de l’ampleur de cette notion d’outillage. Le monde technique au sens étroit, - c’est à dire les outils matériels prolongés par les
machines – ne résume pas le monde instrumental de l’homme. Le savoir est aussi instrument ; tout ce que l’homme a appris, tout ce qu’il sait,- tout ce qu’il
sait penser, dire, sentir et faire, tout cela est « acquis » ; le savoir se stratifie, se sédimente comme les outils et les œuvres issues des outils ? Concrètement,
c’est l’écriture et de façon plus décisive l’imprimerie qui ont permis à la connaissance de laisser de traces et de s’accumuler.
Le savoir est là , dans les livres et les bibliothèques comme une chose disponible, comme une partie du monde instrumental ( les machines sont ellesmêmes au croisement des outils et du monde des signes solidifiés ).Grâce à cette sédimentation, l’aventure de la connaissance est, comme l’aventure
technique, irréversible ; toute pensée nouvelle se sert de manière instrumentale des pensées anciennes et travaille en bout d’histoire.
L’outil laisse une trace qui donne au temps humain – au temps des arts – une assise continue , le temps des œuvres.»
Pose-t-on la question de savoir comment, à partir d’une source enfouie au plus profond du vivant peut surgir le niveau humain, c’est à dire « la perception
et la production réfléchie des rythmes et des valeurs », l’anthropologie répond en caractérisant le niveau humain par le fait incontestable de
l’extériorisation :
« Puisqu’au niveau humain la fonction technique s’extériorise dans l’outil amovible, puisque l’objet perçu devient extérieur dans un symbole verbal », on
peut admettre que « le mouvement sous toutes ses formes visuelles, auditives et motrices se libérerait lui aussi et entrerait dans le même cycle d’évolution
»
3.) Les limites de la thèse :
Partant de l’individu biologique pour analyser le procès de l’hominisation, Leroi-Gourhan a découvert que le bond dans l’humain, qui ne peut se
comprendre qu’à partir de la production par les hominiens du geste technique et du langage, n’est effectivement « réalisé » qu’à travers la constitution
d’une « réalité » sociale, qui se présente sous la forme de groupements humains, qu’il faut bien désigner comme « ethnies » pour les distinguer des
groupements zoologiques.
Mais, en un sens, pour le paléontologue, qui a établi le lien entre l’homme et les autres êtres vivants dans la continuité de l’évolution, il n’y a rien dans
cette découverte qui oblige à penser le caractère spécifique de l’être humain autrement que comme « la prise de distance de l’individu » à l’égard du «
milieu intérieur et extérieur dans lequel il baigne ».
« Le détachement qui s’exprime dans la séparation de l’outil par rapport à la main, dans celle du mot par rapport à l’objet, s’exprime aussi bien dans la
distance que prend la société par rapport au groupement zoologique »
La découverte de l’essence sociale des manifestations humaines ne change rien au caractère spécifique de l’humain qui se définit aussi bien par
l’extériorisation de la réalité sociale à l’égard de l’individu que par l’extériorisation de l’objet-produit ou celle du langage.
C’est le point de vue paléontologique de son anthropologie, (-dont nous savons que le but est de combattre l’interprétation spiritualiste de l’homme en
rétablissant la continuité entre l’humanité et l’animalité ) qui ferme à Leroi-Gourhan la perspective qu’il a lui-même ouverte et le contraint à développer
un matérialisme biologique.
Si « la majeure partie de la culture est faite de traits qui appartiennent en commun à l’humanité » , parce qu’ils prennent leur source au plus profond de la
sensibilité du vivant, que peut être la valeur de l’ethnie sinon « un style qui baigne la totalité culturelle d’un groupe » ?
« tout ce qui est fait, outils, gestes et produits est imprégné par l’esthétique du groupe, possède une personnalité ethnique que la visite la plus superficielle
d’un musée ethnographique suffit à rendre évidente »
___________________________________________________________
Nota :
Voici un texte tout à fait significatif de la dérive biologique de cette anthropologie « paléontologique » quand elle prétend rendre compte de la
diversification de la culture :
« En zoologie, pour les espèces sédentaires, on constate que le temps détermine une orientation génétique plus ou moins importante qui se traduit par
l'apparition de variations locales souvent subtiles, flottantes et soumises à une dilution rapide au contact d'autres populations de la même espèce. Il en est
de même des caractères culturels ; ils naissent à partir de fonds communs souvent très larges, se particularisent dans chaque groupe suffisamment
cohérent, font naître des variantes locales souvent très menues qui se font et se défont au hasard de l'Histoire. Ce jeu porte à la fois sur des innovations
techniques ou sociales de détail et sur les formes, à quelque domaine qu'elles appartiennent, de la courbure d'un manche de houe à l'ordonnance d'un
rituel. »
Parti d’un point de vue diachronique, qui, seul sans doute, peut rendre compte de l’hominisation, le matérialisme biologique, parce qu’il met entre
parenthèses ( comme un phénomène parmi d’autres ) le rôle décisif de la socialisation dans la constitution de l’individualité « humaine », ne peut
comprendre les rapports sociaux entre les membres d’un groupe humain ( une classe, une nation et toute formation sociale ) que comme une réalité
extérieure aux individus, dont l’histoire,-étrangère à l’évolution de l’individualité humaine -, est soumise à la loi du hasard.
Par ailleurs, dès le moment où l’anthropologie rend compte de « la majeure partie des faits de culture, dont les traits, rapportés à leur origine,
appartiennent en commun à l’humanité tout entière », l’ethnologie est dépouillée de son objet propre : non seulement la culture, qui, en imprégnant tous
les faits sociaux, atteste l’unité du groupe : - une sorte de « personnalité ethnique », mais la valeur attachée aux produits de l’activité
sociale.
SI LA VALEUR ESTHÉTIQUE N’EST QUE« LE REFLET SYMBOLIQUE DES TISSUS DE LA SENSIBILITÉ ,
comme l’écrit Leroi-Gourhan, il ne reste plus à l’ethnologie qu’à décrire, à la façon d’« un expert », l’indéfinissable saveur du passé à travers les outils,
les objets, les œuvres, -et les curiosités !-, appartenant à une ethnie, en attendant qu’un jour l’analyse électronique résolve, dissolve la réalité concrète des
sociétés et de l’histoire humaines en quelques équations, dévoilant, comme l’a recherché Lévi-Strauss, l’architecture de l’esprit.
« Exactement comme un expert en vins sent un cru, l'ethnologue entraîné distingue à des harmonies de formes ou de rythmes les produits d'une culture de
ceux d'une autre. C'est là un procédé empirique et l'on peut imaginer qu'un jour, l'analyse électronique résoudra en quelques équations l'indéfinissable
saveur personnelle des œuvres de chaque ethnie ; mais cela n'ôte rien au fait que le style soit inaccessible dans le maniement du langage courant, alors
que les caractères techniques ou linguistiques sont définissables. »
N’est-il pas étonnant que le matérialisme de Leroi-Gourhan condamne l’ethnologie à comprendre la valeur « esthétique »,- dans les termes mêmes du
relativisme kantien, assimilé à un subjectivisme radical -, comme un jugement de goût assimilé à la dégustation d’un vin ?
toute connaissance objective de la culture et toute compréhension de la réalité objective de l’œuvre d’art !
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