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I-ABORATOIRE
« COMMUNICATION ET POLITIQUE »
CENTRE NATIONAL
S CIENTIFIQUE
DE t.A RECHERCHE
Yves Winkin
« Eléments pour un procès de la p.N.L. >>,
MédiAnalyses, fio.7, septembre, 199A, pp. 43-50.
Autant annoncer la couleur d'emblée : la P.N.L. m'irrite au plus haut point. C,est l,exploraüon des
sources de mon irritation que je vais entreprendre ici, en essayant de cerner tout d'abord les sources
émotionnelles pour remonter ensuite vers les.sources plus intettectuelles. Je sens confusément que
la P'N.1, est une fraude intellectuelle, une exploitation de la confiance, une manipulation des idées et
des hommes- Mais je dois armer mon intuition, à ta fois en faisant remonter mes préjugés à Ia surface
et en analysant Ie discours de la P.N.L., tel qu'il se livre dans divers ouvrages paru! ces dernières
années en France. Je vais tout d'abord tenter d'expliciter mes a priori en posânt plusieurs questions.
Première question : comment peut-on prendre au sérieux une pensée qui amène ses âdeptes à
marcher sur le feu ? Au cours des derniers mois, des annonces publicitaiies sont apparues dans le
quotidien bruxellois Le Soir pour "La marche vers le mieux-être via celle sur des braises,' I Et le
texte
de poursuivre : "Le fameux séminaire. de Programmation Neurolinguistique, 'The Mind Revolution,,
!'agrès Al.thony Robbins est en tournée e_n Eulope [...]. Le séminaiie seia dirigé par le 'top-tràiner'
Emile Ratelbandll. On croirait lire I'affiche d'un spectablé de cirque . "le cétèbre dresseur d'animaux
Ratelband en grrrande tournée e.uropéenne...".'Mais pas d'iroàie trop facile. Après tout, Anthony
Robbins existe, écrit des livres (Pouvoir illimité est sorti chez Robért Laffont en janviei 19Bg) et
marche bien sur les braises (comme le montre sa photo en page 4 de couvertüre : pantalôns.
retroussés et air décidé). llfaut donc examiner brièvement la P.N.L. àe Robbins, qu,il présente comme
la "physique nucléaire de I'esprit"
De même que la physique traite de Ia structure de la matière, la p.N.L. traite de Ia
structure de I'esprit. Elle permet d'en décomposer la matière en ses éléments, .
L'ouvrage n'est pas précisément un traité de physique. ll s'agit plutôt d'un livre d,exhortations à la
confiance en soi (exemple : "L'une des plus grandes limites que rencontrent les êtres humains, c,est
la peur de l'échec", ,.n" phrase qui semble éxtraite d'un vieux numéro du Reader's Digest), dont le
test ultime est la marche sur le feu. A la recherche des secrets de Ia réussite personnelie, A. Robbins
I
2
L, Soir, j7 et 18 mars 1990,
p. 20.
R. ROBAll.ls, Pouvoir illimité, Ed. R. Laffont, 1989, p.154
L
a découvert la P.N.L., qu'il présente comme une "science" quasi occulte' qui livre la clef du mystère
par lequel "certaines personnes réussissent à obtenir ce que j'ai appelé les résultats optimaux" (p.
43). Bandler et Grinder sont présentés comme "deux génies" dont la réussite est "légendaire" (p. 45).
Mais la P.N.L. semble essentiellement avoir [e rôle d'une garantie "scientifique" de ses conseils
d'hygiène mentale et alimentaire. Bref, la P.N.L. de Robbins n'est sans doute pas la référence
canonique en la matière. Considérons-la plutôt comme une déviation isolée, quelque peu folklorique.
Si nous nous tournons vers des références plus centrales, nous pouvons soit suivre des
séminaires de P.N.L., soit lire les ouvrages existants. Examinons d'abord les invitations à participer à
des séminaires. Une deuxième question surgit tout de suite : comment peut-on prendre au sérieux
une pensée dont les adeptes semblent évoluer dans les eaux troubles du "New Age" ? Soit
I'annonce suivante, parue dans Libération le 9 mars 1990 sous la rubrique "Gri-Gri"
[...] Médium. Voyant (pendule, tarot) Magnétiseur. Sophologue. P.N.L. Reçoit à son cabinet
de Bastille. Donne cours . initiation au tarot divinatoire, ésotérisme, visualisation créatrice,
psychodynamique Alpha. Conférences sur les médecines holistiques, stages week-end,
cours du soir. Té1. pour RDV ou renseignements: [...]
Mais peut-être ne faut-ilpas faire attention à ces zélateurs indignes et ne considérer que les "Maîtres
Praticiens certifiés". Car, chose intrigante, il n'est pas une annonce de séminaire de P.N.L. qui ne
présente ses organisateurs comme de hautes autorités en la matière :
Animation : N. - Maître Praticien certifié par le New York lnstitute
[titre répété trois fois sur la même page]. '
Venez découvrir ou approfondir les outils de la Programmation Neuro Linguistique.
L'équipe de -, en étroite collaboration avec I'lnstitut NewYorkais de P.N.L., vous offre des
stages initiation, formation avancée et Praticien... [Annonce parue dans le Journal des
Psychologues, no 73; décembre 1989 janvier 1990, p. 65 ; la page 4 de couverture du
numéro est également une annonce de séminaires de P.N.L.l
La formation de Maître Praticien en P.N.L. (certifié par le Potamac Insfitute de
Washington) comporte deux niveaux [...]
D'où une troisième question : comment peut-on prendre au sérieux une pensée qui est constamment
obligée de souligner la légitimité de ses enseignants ? On se croirait revenu au temps des "savants
docteurs de la Sorbonne"...
La littérature de présentation dès séminaires de P.N.L. fourmille d'indices qui confirment cette
ambiguïté de statut. Toutes les définitions de la P.N.L. offrent ainsi un amalgame de références
savantes et demi-savantes apparemment destinées à renforcer l'impression de scientificité. Le ton
est à la fois très révérencieux à l'égard de l'univers scientifique et rassurant à l'égard du lecteur qu'il
ne faut sans doute pas effrayer
Le génie de ces deux auteurs (il s'agit de Bandler et Grinder) a été de systématiser toutes
les notions découvertes en modèles pratiques, faciles à apprendre et à enseigner. En
effet, bien que fondée sur des notions savantes très récentes (neuro-psychologie,
cybernétique et linguistique), la technologie P.N.L. est claire et simple.
Similairement, lorsqu'on examine I'environnement dans lequel apparaissent les annonces de
séminaires de P.N.L., même les plus "certifiés", on se retrouve immanquablement dans I'anthologie
baroque des thérapies non conventionnelles - ce quine manque pas de confirmer encore l'ambiguÏté
du statut de la P.N.L.
Ainsi, à la simple lecture des deux pages de "petites annonces" du Journal des Psychologues de
décembre 1989 - janvier 1990, on peut repérer les modes d'intervention suivants :
- art-thérapie: 3
- sophrologie : 6
- P.N.L. :3
- relaxologie :1
I
"Dans le passé, cette science était surtoul enseignée aux thérapeutes età un petit nombre de cadres supérieurs triés sur le volet". lbid., p.43.
2
:§
- morphopsychologie biodynamique : 1
- méditation : 1
- psychanalyse: 2
- relaxation psychanalytique : 2
- écoute et parole :1
- systémique :2
- somatothérapie:
- hypnose : 1
-tai-chi :1
1
Sur la base de ces exemples, ilme serait donc aisé de rejeter la P.N.L., sans autre forme de procès,
dans les marges de l'obscurantisme contemporain. Pourquoi perdre mon temps à en dénoncer les
naïves prétentions à la scientificité ? llsuffirait, en universitaire assuré de sa légitimité, de la mépriser
souverainement : ce serait déjà faire trop d'honneur à la P.N.L. que lui consacrer les présentes
pages. Après tout, est-ce qu'un astronome passe encore son temps aujourd'hui à combattre
l'astrologie ?
Le problème est malheureusement plus complexe. Lorsque d'aimables praticiens de la P.N.L. offrent
d'aimables séminaires à d'aimables curieux, il n'y a pas de quoi fouetter un chat. La P.N.L. est alors
aussi innocente que la "relaxologie" ou la "morphopsychologie biodynamique" des petites annonces
du Journal des Psychologues. Mais lorsque des universitaires se mettent à jouer sur les deux
tableaux, lorsque des praticiens veulent se donner des lettres et commencent à confondre les
travaux théoriques de Bateson ou Chomsky avec les extrapolations prescriptives de Bandler et
Grinder, lorsque des consultants en ressources humaines présentent la P.N.L. aux entreprises
comme une technique scientifique de changement et d'innovation, alors j'estime que c'est mon droit,
sinon mon devoir, de chercheur scientifique de réagir. Et pas à fleurets mouchetés. Parce que ces
confusions sont pernicieuses. Il y a fraude intellectuelle lorsque, profitant de la crédulité ou du
manque de formation spécifique de leurs interlocuteurs, les chirologues, morphopsychologues et
autres physiognomonistes vendent leur discours comme de la connaissance scientifique. ll en est de
même pour la P.N.L, Tant qu'elle se présente comme "magie", les chercheurs en sciences humaines
n'ont rien à lui dire. Lorsqu'elle déclare prendre le risque "de sortir des sentiers battus par les théories
explicatives du comportement humain pour privilégier des grilles d'analyses plus scientifiques"', la
P.N.L. revendique clairement un statut au sein des sciences du comportement. lnterpellant les
chercheurs, elle les invite à la juger sur pièces. ll faut donc examiner les ouvrages de P.N.L. d'un
pointde vue scientifique. Je me limiterai à trois livres récents2 : Derrière la magie. La programmation
neuro-linguistiqued'AlainCayroletJosianede Saint Paul (Paris, lnterEditions, 1989), Comprendre la
P.N.L. de Catherine Cudicio (Paris, Ed. d'Organisation, 1986) et La P.N.L. d'Alain Cayrol et Patrick
Barrère (Paris, ESF, 1986 - 1ère éd., 1989 - ae éd.).
La lecture en parallèle de ces trois ouvrages fait très rapidement apparaitre une caractéristique du
discours P.N.L. : l'univers scientifique est régulièrement évoqué à travers des noms et des titres
célèbres, mais l'attitude générale n'est pas celle de la recherche, du questionnement, de l'évaluation
critique. C'est celle de I'application claire, concrète, rapide sur la base des "découvertes" de la
Science. Le passage de la découverte à I'application est d'une évidence enchantée :
1/Tout un chacun fait de la science sans le savoir
.
Exemple : "Nous utilisons [...] inconsciemment certaines règles linguistiques pour organiser notre
langage et de même, lorsque cette organisation n'est pas respectée, nous nous en
rendons compte intuitivement, comme nous savons respirer même si nous ignorons les
mécanismes de la respiration". (Cayrolet Saint Paul, 1989, p. 119).
2/Les chercheurs découvrent ces trésors cachés et les exposent au grand jour
Exemple : "Plusieurs chercheurs ont consacré leurs travaux à la découverte et à l'explicitation de
ces règles et ils en ont fait I'objet de leur discipline, la grammaire générative
I
R. CeyROL, J. de SAINT PAUL, Derrière la magie. La programmation neuro-linguistique. Paris, lnterEditrons, 1989, p.24
' L.. orurug.. de D. Bandler etJ. Grinder n'étant pas disponibles en langue française (à I'exception d'une édition canadienne de Frogs into Princes,
devenuLessecretsdelacommunication), jeme suis placé dans la position d'un lecteur francophone qui veut s'informer sur la P.N,L. etfaitson
marché en librairie, sans commander d'ouvrages aux Etats- Unis.
3
transformationnelle. EIle vit le jour au milieu des années cinquante avec les travaux de
Noam Chomsky ;par la suite, avec l'aide d'autres transformationnalistes, celui-ci mit au
point une méthodologie très élaborée et un ensemble de modèles formels qui permettent
d'appréhender les structures que nous employons pour générer notre langage". (ldem).
3/ D'autres exploitent ces trésors et en font profiter chacun. La P.N.L. est ainsi un de ces trésors
scientifiques transformés en une série d"'outils", de "techniques", sinon de "technologies".
Exemple
:
"Grinder
et Bandler ont repris les travaux des transformationnalistes (Grinder, lui-même
linguiste,
est
co-auteur
d'un classique américain sur
la
grammaire générative
transformationnelle) et en ont tiré une application pratiquel.
A partir de ce cadre théorique, ils ont étudié la communication verbale telle qu'elle prend
place en thérapie et ils ont créé un ensemble d'outils linguistiques, le métamodèle, qui
permet au thérapeute et au communicateur d'être précis dans leur usage du langage".
([dem, p.122-23).
C'est à ce stade que les opérations deviennent franchement critiquables d'un point de vue
scientifique. Les auteurs expliquent que le thérapeute va "reconnaître les transformations auxquelles
a procédé la personne pour passer de Ia structure profonde [...] à la structure de surface" (idem, p.
première grammaire générative sont exhibées
123). Trois expressions fétiches de
("transformations", "structure profonde" et "structure de surface") mais totalement détournées de
leur sens : d'opérations purement syntaxiques, les transformations deviennent des opérations
pragmatiques'. Les auteurs évoquent en fait le travail d'enchassement des présuppositions de tout
énoncé. Les douze catégories du "méta-modèle" de Bandler et Grinder doivent permettre au
thérapeute de reconstituer les inférences du patient et d'accéder à son "expérience primaire". Une
démarche qui n'est pas contestable : c'est celle de toute thérapie verbale, de la talking cure à la
P.N.L. Ce qui l'est plus, c'est le détour par Chomsky, dont les théories n'ont rien à voir avec le
discours thérapeutique.
la
Qu'on me comprenne bien : si un thérapeute obtient des résultats gràce au "méta-modèle" de Bandler
et Grinder-tant mieux ;je serai le dernier à le contester. Je ne m'insurge contre la P.N.L. qu'au moment
où elle se donne un fondement scientifique soit en invoquant un nom ou une théorie comme on vient
de le voir, soit en avançant des chiffres ou des explications sans les argumenter. C'est alors qu'il y a
détournement. Prenons deux autres exemples, qui me permettront de préciser ce que je veux dire.
La P.N.L. fait apparemment grand cas du "quadruplé VAKO", signifiant Visuel, Kinesthésique, Auditif
Olfactif/gustatif3. ll s'agit en fait de rappeler que la perception du monde extérieur et les
représentations qui en découlent reposent sur les cinq sens : rien de très nouveau dans cette
proposition. Par I'adjonction d'indices, le "système VAKO" donne l'impression d'une mathématisation
O"', e signifiant "externe" et i, "interne " Mais tout cela reste très
savante (par exemple : "V" A"
innocent. Ce quiest beaucoup plus irritant, c'est voir la P.N.L. retomber dans les tentations anciennes
d'une ÿpologie universelle, (cette fois fondée sur le mode de perception privilégié par les individus) et
lancer des chiffres pour l'étayer : "D'après Grinder et Bandler, 40% des gens environ seraient
d'abord des visuels, 40ÿ" des auditifs, et 20"/" des kinesthésiqueS". D'où sortent ces chiffres ?
Aucune source, aucune discussion. C'est comme ça. Et on continue.
et
lf
I
L'autorité scientifique de Grinder estconfirmée : son livre est un ''classique" (il s'agit en faitd'un manuel scolaire).
2
La présentation du "métamodèle" (cette fois sans tiret) par Catherine Cudicio s'embarrasse encore moins de subtilités théoriques:: "Si je dis
'Martin a acheté une voiture', c'est une structure superficielle, la structure profonde correspondante pourraii etre 'Martin a acheté à quelqu'un, tel jour,
à tel endroit, une voiture de telle sorte contre une certaine somme d'argent"' (Comprendre Ia P.N.L., op. cit., p. 51). Dans La programmation
neuro-linguistique d'A. Cayrol et P. Barrère aux Editions ESF ("manuels Mucchielli"), toute référence à Chomsky et au métamodèle a disparu. Trop
"théorique" ?
3
R"rnrrqron. qu'il eût suffi de placer ces lettres dans un autre ordre pour obtenir, par exemple, KAVO ou AKOV. L'effet phonique, sinon sémantique,
eût été tout autre...
4
R. cayHoL et J. de SAINT PAUL, Derrière la magie[...], op. cil, p. 52
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