Formation tutorale de nouveaux agents infirmiers

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Formation tutorale de nouveaux agents infirmiers
Formation tutorale de nouveaux agents infirmiers :
De l’établissement de référentiels de compétences à la formation des tuteurs
Piette, S-A., & Orban, M. (2003).
Personnel et Gestion, 12ème année, n°7, Ed. Kluwer.
Dans le cadre de deux projets subventionnés par le Fonds Social Européen portant l'un sur la gestion
des compétences et l'autre sur le tutorat, le Centre de Recherche sur l'Instrumentation, la Formation et
l'Apprentissage (CRIFA) de l'Université de Liège et les Hautes Etudes Commerciales de Liège (HECLiège) coordonnent leurs travaux pour développer une démarche complète allant de l’analyse des
besoins de formation sur base de l’identification de compétences à la mise sur pied d’une formation
par tutorat. L’article ci-dessous décrit la démarche suivie chez un de nos partenaires de terrain, le
Centre Hospitalier Régional de la Citadelle1 (CHR Liège), et, plus précisément, avec les équipes
infirmières de deux unités, les services de néonatologie et d'onco-hémato-pédiatrie.
1. Les enjeux pour l’hôpital
L’hôpital est intéressé à améliorer la prise en charge de leur nouveau personnel infirmier. Des
ressources existent déjà, plus ou moins développées selon les unités de soins, qui visent l’acquisition
d’une autonomie plus rapide dans des conditions de sécurité maximale. Cette prise en charge doit aussi
réduire autant que possible le stress lié à l’entrée dans une nouvelle fonction et placer les agents, dès
leur arrivée, dans un climat de formation continue et de développement personnel.
L’enjeu du projet de recherche est de développer et formaliser cette dynamique d’accompagnement,
sous la forme d’un ou plusieurs modèle(s) d’accompagnement des nouveaux agents infirmiers,
généralisable(s) à l’ensemble de l’hôpital.
Cette préoccupation s’inscrit dans le plan stratégique global 2003 de l’hôpital, dans le projet de soins
2003-2008 et dans les objectifs opérationnels 2003-2004 du département infirmier.
Les enjeux globaux de ces plans et stratégies sont de :
• développer des qualifications médicales « pointues »,
• améliorer les compétences managériales des infirmiers,
• augmenter toujours la qualité des soins et la sécurité,
• créer des modèles de transferts d’expertises cliniques et organisationnelles.
2. La problématique des « jeunes infirmier(ère)s»
L’hôpital de la Citadelle doit faire face, à l’heure actuelle, au renouvellement annuel d’une centaine
d’agents infirmiers, soit environ un dixième de l’effectif total. Les départs anticipés en pension, les
aménagements de fin de carrière à partir de 45 ans, la proportion importante (30 %) de travailleurs à
temps partiel, les congés prophylactiques de longue durée, expliquent en grande partie ce taux de
renouvellement élevé.
Les jeunes infirmier(ère)s, gradué(e)s en soins infirmiers (3 ans d'études) ou avec une année de
spécialisation complémentaire, doivent prendre en charge très rapidement des activités pour lesquelles
ils/elles n’ont pas toujours pu expérimenter suffisamment les pratiques apprises ou les adapter aux
procédures spécifiques de l’hôpital. Pour prendre un exemple assez général, les capacités
d’organisation de son travail ne peuvent avoir toutes été expérimentées lors des stages ou simulées
1
Cet hôpital compte 1036 lits aigus
1
dans le cadre scolaire : répartir son travail en fonction des urgences, des soins, du nombre de patients,
des activités liées à la salle (heures d'école, soins particuliers, départ pour le poste opératoire), des
imprévus , …
Pourtant, les infirmier(ère)s débutant(e)s doivent être autonomes très rapidement vu les normes
imposées d’effectif de personnel soignant. L’hôpital ne peut se permettre de prolonger la formation
initiale de ses nouveaux membres. Dans ce contexte, le tutorat semble être une des méthodes de
formation efficiente où la compétence individuelle se construit dans l’action à travers l’expérience,
l'appropriation et la mise en œuvre concrète de tous les savoirs nécessaires, à commencer par ceux qui
sont spécifiques au poste de travail, à l’unité de soins.
3. La réponse complémentaire des deux projets FSE à la demande de terrain
Dans le cadre du projet Gestion de Compétences, nous avons conduit la description, avec les
partenaires de terrain, des activités liées au métier infirmier des deux salles et l’analyse de ces
activités en termes de compétences et de ressources nécessaires. Sur base de ces référentiels, une
analyse des priorités de formation des jeunes a été réalisée, rejoignant là les préoccupations du projet
Tutorat.
Dans le cadre de ce dernier, nous avons poursuivi l’analyse des besoins de formation des tuteurs, puis
la formation proprement dite. Celle-ci est conçue en quatre parties :
• la transmission d’un bagage pédagogique minimum visant à améliorer les compétences de
formateur (au sens large) des futurs tuteurs ;
• l’appropriation de supports pédagogiques ;
• la conception d’outils de suivi et d’évaluation des acquis ;
• la réalisation de ressources de formation relatives aux contenus de formation identifiés.
4. La fonction tutorale
4.1. Définition du tutorat
Le tutorat est un dispositif de formation intégré au travail. Il permet " un apprentissage expérientiel
dont la principale caractéristique est de s’effectuer dans une situation dont l’objet principal n’est pas la
formation, mais le travail. " (Boulet, 1992). L’apprenant évolue dans un processus de construction de
compétences spécifiques à un poste de travail réel.
Un dispositif de formation est un ensemble de moyens dédié à l’apprentissage et comprend :
l’apprenant, le(s) formateur(s), le curriculum (objectifs, contenus, activités), les autres apprenants et
les technologies ou supports de formation.
L'efficacité de celui-ci est également tributaire du contexte organisationnel et institutionnel dans lequel
il s'exerce.
" L’intégration du sujet apprenant acteur de son apprentissage et la prise en compte de ses interactions
avec l’environnement de formation témoigne d’une approche constructiviste (qui considère que les
connaissances sont construites par les sujets au cours de leurs interactions avec l’environnement.)"
(Charlier, 2000).
4.2. Fonctions du tuteur
Le tuteur, dans cette perspective constructiviste, n’a pas seulement un message à transmettre à propos
d'un savoir-faire, mais doit créer les conditions favorables à l’apprentissage en situation de travail :
• analyse des besoins de départ, cadrage ;
• conception des activités utiles au développement des compétences de la personne ;
• conception et développement de ressources utiles à l’apprentissage.
2
•
•
•
mise en œuvre des activités; initiation et approfondissement des pratiques au départ d’activités de
terrain;
soutien (moral) dans l’intégration et dans l’apprentissage.
évaluation continue et finale de l’apprenant afin de juger si le niveau de compétences requis est
atteint.
Le tuteur est un formateur à part entière qui doit, en plus, gérer les actions dans un environnement de
production réelle. Il doit prendre en compte et maîtriser tous les aspects de sécurité et de qualité requis
par la situation de travail réel.
5. Facteurs influençant l’organisation du tutorat
Dans la pratique, il apparaît que certaines des difficultés rencontrées par la formation tutorale soient
dues à l'influence de facteurs appartenant à l'environnement organisationnel. Si le tuteur ne dispose par
exemple pas de suffisamment de temps pour former ou si la direction ne soutient pas le projet, il est
difficile pour le tuteur et l'apprenant de travailler dans un environnement favorable à l'apprentissage.
5.1. Facteur d'implication
Le projet de tutorat pour être efficace doit être conduit comme un projet collectif par l'ensemble de
l'entreprise. Comme toute dynamique de changement au sein d'une organisation, c'est naturellement la
direction qui doit être le premier acteur du projet en y apportant son appui et en dégageant les moyens
nécessaires à la mise en oeuvre des actions.
Notre expérience de travail chez différents partenaires nous a montré l’importance du cadrage de ce
type d’action par l’ensemble de la hiérarchie. Quelle que soit la méthode, la communication sur les
objectifs est fondamentale. Elle permet de situer des démarches précises dans les plans stratégiques de
l’institution. Elle donne du sens aux actions. Elle donne aussi les bases pour évaluer et réguler les
actions, pour prendre le recul nécessaire à une cohérence globale.
La communication entre les personnes directement impliquées dans l’action et la hiérarchie permet
encore à cette dernière de prendre la température du terrain, d’identifier les ressources nécessaires,
d’anticiper les problèmes ou d’y réagir, de soutenir les personnes et les propositions ou de les
réorienter.
Par exemple, lors d’une réunion d'un comité de pilotage, les difficultés liées au moment d’arrivée des
nouvelles recrues (juste après l’années scolaire, c’est à dire au moment des congés payés) ont été
soulevées et des possibilités d’engagement par « trains successifs » proposées et discutées.
5.2. Facteur de ressources allouées
Baudrit (1999) souligne que les bénéfices du tutorat ont plus de chance de se marquer lorsque ses
pratiques se déroulent sur une période d'une certaine durée. La direction doit pouvoir créer un cadre
propice et à long terme: "A partir du moment où tuteur et tutoré se rencontrent régulièrement,
disposent de suffisamment de temps pour mieux se connaître, interagir ou échanger de façon
approfondie, il est possible d'attendre des évolutions favorables, chez les uns comme chez les autres,
en matière d'apprentissage."
La gestion du temps est une des principales contraintes pour l’institution et pour chacune de ses unités
en particulier. Cela engendre souvent une réorganisation de l'organigramme de l'unité dans laquelle est
entrepris l'activité tutorale, voire l'engagement d'une nouvelle personne pour rééquilibrer la
distribution des rôles.
En effet, une particularité du tuteur est son ambivalence formateur - producteur et, souvent, si les
conditions favorables à la facette tutorale ne sont pas suffisantes, le rôle de producteur doit prendre le
3
pas sur celui de tuteur. Comme le souligne Bouvard (1993), "en entreprise, le temps est capital. Les
délais sont impératifs et vous pouvez être amenés à [...] remplacer votre stagiaire pour terminer à
temps votre travail. Bien entendu, vous n'avez plus le loisir de tout lui expliquer...".
5.3. Facteur de reconnaissance de la fonction tutorale
La fonction tutorale, alors qu’elle induit généralement une charge de travail supplémentaire pour le
tuteur, n'est bien souvent pas reconnue, ni statutairement, ni financièrement.
Une telle reconnaissance influence pourtant la motivation, l'implication des tuteurs et des apprenants,
et permet à chacun des intervenants de discerner les bénéfices et les avantages qui ressortiront de la
nouvelle activité.
Dans le cas de l’hôpital, il s’agit bien d’une démarche qui implique la hiérarchie et certaines unités de
soins. L’objectif est de mener ce projet en tant que pilote afin d’analyser des modèles organisationnels
applicables. Dans un second temps, la démarche pourra être élargie à l’ensemble de l’hôpital, ce qui
entraînera une série de décisions institutionnelles concernant :
• des engagements éventuels,
• le suivi des tuteurs,
• une monographie de fonction des tuteurs,
• des aménagements horaires et/ou organisationnels qui faciliteraient le(s) modèle(s) de tutorat
choisi(s),….
• le statut hiérarchique et la responsabilité des tuteurs.
6. Déroulement du projet
6.1. Phase 1. Définition du projet et cadrage des actions
Pendant plusieurs réunions, nous avons eu l’occasion de rencontrer le directeur du département
infirmier ainsi que l’infirmière chef de service chargée de la formation permanente du département.
Nous travaillons dans une perspective de recherche-action, c’est à dire où les échanges entre les
actions de terrain auxquelles participent les chercheurs et les apports théoriques, bibliographiques et
expérientiels de chacun(e) doivent servir les objectifs des partenaires de terrain tout en assurant la
capitalisation des savoirs acquis par le projet.
Les problèmes étant clarifiés, deux unités de soins ont été proposées pour participer à l’action pilote
sachant qu’elles avaient déjà développé des stratégies de formation des nouveaux agents et ne
partaient donc pas de rien dans la réflexion :
• L’unité d’onco-hémato-pédiatrie (salle 57) remédie aux lacunes généralement observées chez les
nouveaux par une semaine de formation intensive. Ce séminaire de formation est concentré sur des
contenus prioritaires comme par exemple le calcul de dosage des médicaments, l’organisation du
service.
• Dans l’unité de néonatologie intensive (salle 40), une infirmière est détachée pour l’encadrement
des nouveaux agents. Elle montre, explique, apprend, fait observer, fait faire, évalue les progrès de
l’apprenant : autrement dit, elle joue un rôle de tuteur.
Pour chacune de ces deux unités, un comité de travail a été constitué avec l’infirmier(ère) chef de
service, infirmière en chef, l’infirmière en chef adjointe et l’infirmières chargées de l’accueil et de
l’accompagnement des nouveaux infirmiers. Celui-ci a précisé ses attentes et les contextes
d’intervention. A ce stade déjà, apparaissaient de grandes différences de fonctionnement entre les deux
salles. Un comité de pilotage de l’ensemble du projet comprenant ces mêmes personnes ainsi que le
Directeur du Département infirmier et l’infirmière chef de service chargée de la formation permanente
du département s’est réuni a établi un plan de travail (voir figure 1).
4
Projet Tutorat – Gestion des compétences
J
Préparation / Observation
Pilotage
Réunion travail
Travail seules
F
M
Descriptif activités
A
Descriptif compétences problèmes
M
Descriptif compétences tuteur
J
Formation des tuteurs potentiels
J
Analyse des
formations
existantes
A
S
O
Descriptif complet des
compétences
Validation des référentiels
Dvpt supports
formation par
tutorat
Suivi formation par
tutorat
Comparaison
Auto-éval des
avec pré-acquis
équipes
supposés
Figure 1
6.2. Phase 2. Description des activités des infirmiers des deux unités
Cette description ayant pour finalité la formation par tutorat dans chacune des deux salles, nous avons
réalisé des listes descriptives distinctes. Un premier document de travail commun a été établi sur base
de documents existants (questionnaire d’évaluation des agents, le plan de progression infirmier,…) et
sur base de notre observation du travail infirmier. Le travail d’analyse et de rédaction s’est ensuite
déroulé en une dizaine d’heures par unité de soins afin de préciser les activités, d’amplifier la liste,
d‘analyser les contextes et les ressources, les critères de qualités des activités.
Les participant(e)s ont exprimé librement leurs idées. De séance en séance, les listes ont été
transformées, complétées, restructurées.
Afin de réunifier la réflexion et d’autoriser la comparaison, nous avons retravaillé les listes complètes,
leur donnant une structure parallèle en six grands volets (voir figure 2).
5
I. Organiser le travail du service
II. Réaliser les soins de chaque patient
Restructuration en
parallèle S40 // S57 :
III. Gérer les relations avec le patient
et sa famille
• arborescence
commune
IV. Réaliser le suivi administratif et
médical écrit du patient
• 6 dimensions
principales
V. Gérer les contacts avec les
services externes
• tronc commun +
activités spécifiques
VI. Développer les compétences et la
performance individuelle et
collective
! " #$%&'! ( )" *)+'%-,/.
021 3)4)1 365
Figure 2
Elles ont ensuite été relues une dernière fois par les deux groupes, chacun ajoutant encore à ce stade
quelques éléments issus de l’autre groupe, avant de valider le tout.
Extrait d’une des listes d’activités (figure 3) :
6
II. REALISER LES SOINS DE CHAQUE PATIENT
A. Réaliser les soins infirmiers
a) Réaliser les soins d'hygiène et de confort
• Alimenter l'enfant
• Distribuer les médicaments // aux heures des repas
• Réaliser la toilette de l'enfant / aider les parents à la faire
• Habiller l'enfant
• (Re)faire les lits
b) Observer, relever, analyser et interpréter des données spécifiques à une population
d'enfants (vs adultes)
• Observer visuellement l'état général et le comportement de l'enfant
• Effectuer la prise de paramètres, les analyser et les interpréter : t°, poids, taille, pouls,
PA, respiration, saturation, selles, urines, glycémie,
• Relever les données de surveillance appareillée et les analyser spécifiquement à la
population cardio-respiratoire, saturation O² (monitoring), PA, glycémie
• Déterminer le régime alimentaire approprié pour l'enfant
c)Réagir aux observations
…de manière autonome
•
•
•
•
•
•
Aspirer un enfant encombré
Oxygéner un enfant
"Resucrer" un enfant en hypoglycémie
Réaliser un prélèvement de selles
Intensifier la surveillance, augmenter la fréquence d'observation
Mettre un enfant qui convulse en position de sécurité
…en suivant les prescriptions du médecin (individuelles, ordres permanents)
(…)
d) Echanger des informations avec les collègues et avec les responsables de la salle
(infirmière-chef, médecin) (…)
Figure 3
Ces listes constituent la description par les personnes de terrain de ce qui se passe dans leurs unités de
soins.
Elles pourront servir à mieux informer les nouveaux agents du travail tel qu’il est pratiqué à l’heure
actuelle et avec les ressources actuelles dans chacune des salles.
Elles peuvent aussi servir à la hiérarchie pour :
- mieux visualiser ce qui se passe dans les salles;
- envisager, si le besoin s’en fait sentir, l’attribution de ressources particulières;
- entamer une démarche prescriptive (et non plus descriptive) des changements attendus, en
cohérence avec une politique globale de l’institution.
Les activités ont ensuite été classées selon deux axes (figure 4).
Premier axe : caractère central de l'activité.
D'un côté les activités considérées comme étant "au cœur" du métier et de la responsabilité de
l'infirmier(ère). De l'autre, des activités plus périphériques, moins spécifiques.
Deuxième axe : caractère problématique par rapport aux nouveaux agents.
7
Les activités ont été classées suivant trois niveaux de fréquence de difficulté posée pour leur maîtrise
rapide par les nouveaux agents.
V E N T IL A T IO N D E S
A C T I V IT E S
à p r o b lè m e
• a c tiv ité s a u « c œ u r »
d u m é t ie r / a c t iv ité s
p lu s p é r ip h é r iq u e s
« C œ ur »
• a c tiv ité s p o s a n t
p r o b lè m e a v e c le s
n o u v e lle s : to u jo u r s,
p a r fo is , p r e sq u e j a m a is
P é rip h é riq u e s
T o u jo u rs
P a rfo is
J a m a is
798:; < =>'?A@'; B 86< C'D)?E7/F-G
H)I J6K6I J'L
Figure 4
Cette ventilation a pour but d'identifier les compétences à considérer en priorité comme contenus de la
formation par tutorat, c'est-à-dire celles liées aux activités "cœur qui posent problème".
6.3. Phase 3. Création du référentiel de compétences
En utilisant la même méthode que lors de la création du référentiel d’activités, les acteurs de terrain
ont dressé la liste des compétences nécessaires à la bonne réalisation des activités. Ces compétences
ont été décomposées en savoirs (connaissances), savoir-faire relationnels (en partie décrits dans les
activités et dans les critères de la première liste), savoir-faire techniques (ceux-ci étant déjà
pratiquement décrits dans les activités) et attitudes. De plus, les ressources spécifiques nécessaires ont
également été répertoriées.
Nous avons explicité ce qui était attendu et la manière d’opérationnaliser les compétences, puis les
infirmières des groupes de travail ont continué le travail seules, en interaction régulière avec nous.
Nous avons, ensuite, rendu visible le travail de chaque salle à l’autre salle afin de mettre en parallèle et
de compléter les listes.
8
Exemple de mise en correspondance d’activités et de compétences (figure 5) :
ACTIVITES
Effectuer la prise de paramètres, les analyser et les interpréter.
Relever les données de surveillance
spécifiquement à la population.
SAVOIRS
appareillée
et
les
analyser
S.-F.
S.-F.
ATTITUDES RESSOURCES
TECHNIQUES RELATIONNELS
C • Connaître les • Interpréter • Adopter un
1
un
normes des
comportement
problème et
qui n’entraîne
paramètres
adaptés à
réagir en
aucun stress
l’âge des
fonction de
ou panique
des parents et
enfants.
l’urgence.
des enfants.
• Connaître les • Utiliser le
normes
matériel
• Faire appel
adéquat
aux médecins
critiques des
quand c’est
selon les
paramètres
âges.
nécessaire.
selon les
pathologies.
• Connaissance
des
personnes à
contacter en
cas de
problèmes
(services
spécialisés,
pédiatres de
garde et
spécialisés).
• Médecins de
garde.
• Liste des
médecins de
garde.
Figure 5
Tout ce matériau est très précieux. Non seulement, il définit les compétences à acquérir par les
nouveaux agents, mais il peut également aider à créer des outils d’évaluation (ou d'auto-évaluation) et
permettre, dès lors, d’organiser le développement du savoir individuel, collectif et de l’organisation.
6.4. Phase 4. Choix des tuteurs
6.4.1.Qualités requises du tuteur :
Le tuteur est un spécialiste du domaine de la compétence à acquérir, et est formé aux méthodes
d’accompagnement ou d’assistance pédagogique dans un dispositif de formation intégré au travail.
Le tutorat s’exerce presque exclusivement à l’occasion de formations individualisées et selon Baudrit
(1999, p.115) il ne peut fonctionner qu’entre : "un expert et un novice, un spécialiste et un nonspécialiste, un adulte et un enfant, etc." Cet auteur insiste sur la nécessaire asymétrie des compétences
entre les partenaires, l'aide des premiers aux seconds découlant tout naturellement de cette asymétrie.
6.4.2. Sélection des tuteurs :
La sélection doit se fonder sur au minimum quatre critères :
- Expertise professionnelle
9
-
Capacités à prendre du recul par rapport à son travail
Capacités relationnelles et pédagogiques
Volontariat
Sur le terrain, les choses ne sont cependant pas toujours aussi simples.
D’une part, si l’on souhaite mettre en place la fonction tutorale de façon globale et transversale à toute
l'institution, il faut tenir compte du fait que la gestion du personnel (type de communication,
désignations, …) ne se déroule pas toujours de la même façon dans les différents secteurs (ou unités).
D’autre part, il n’y a pas toujours de volontaires, surtout si des compensations (statutaires,
financières,…) ne sont pas clarifiées. Or, lors d'un projet pilote, l’institution ne peut pas prendre
d'engagements de ce type à terme. Il s’agit alors de trouver d’autres façons de motiver les individus
que l'on aimerait voir s'impliquer dans l'expérience.
6.5. Phase 5. Formation pédagogique des tuteurs
6.5.1. Caractéristiques de la situation d’apprentissage par tutorat :
Les caractéristiques suivantes portent sur l’apprentissage au travail qui est d’autant plus efficace que :
- le travail a du sens.
Pour progresser, la personne a besoin de savoir :
a. pourquoi telle ou telle activité doit être réalisée, à quoi elle sert ;
b. où se situe ce qu’elle fait dans l'ensemble de l'activité de l'entreprise ;
c. pour qui et avec qui elle travaille.
- des objectifs de progrès sont définis.
- on est sollicité par des problèmes à résoudre en situation de travail.
- on est intégré dans une équipe.
- on y assume des responsabilités.
L’apprentissage au travail n’est pas synonyme de tutorat. Un travailleur apprend par son travail
lorsque les caractéristiques ci-dessus sont rencontrées. Le tutorat a pour objet d’accélérer un processus
naturel d’apprentissage « sur le tas » et de le rendre « sécure ».
A ces caractéristiques, il faut ajouter les qualités pédagogiques du tuteur qui a pour mission
d’organiser le dispositif d’apprentissage.
6.5.2. Réflexion sur les actions efficaces des tuteurs :
A partir d'une analyse de cas d'apprentissage vécus par les futurs tuteurs comme positifs, nous avons
tiré avec eux des leçons en termes de comportements efficaces du tuteur.
Quelques exemples suivent dans le tableau ci-dessous (figure 6).
Facteurs favorables à l'apprentissage
Actions efficaces du tuteur
CADRER
Motivation, projet personnel, besoin, utilité, Faire percevoir l’utilité, les risques.
perception des risques, connaissance des buts.
Définir et discuter les objectifs, le plan de
formation.
[…]
[…]
Progressivité de l’apprentissage.
INITIER ET APPROFONDIR LES PRATIQUES
Construire progressivement la complexité.
Structuration de l’apprentissage, des contenus.
Apprentissage sans erreur.
Mise en œuvre de styles d’apprentissage variés Variété des stratégies de formation (polyvalence
(ambivalence mathétique).
didactique).
[…]
[…]
Besoin de feedbacks.
EVALUER
Donner des FB formatifs:
•
faire place à l’erreur comme indicateur de
besoins d’apprentissage.
10
•
[…]
réguler, relancer, redéfinir les objectifs,
adapter la formation.
[…]
Image de soi en tant que « capable de réussir».
[…]
Soutenir, faire exprimer.
[…]
Besoin de ressources : humaines,
organisationnelles, matérielles.
Mettre des personnes-ressources à disposition
pour montrer, expliquer,…
Développer des outils de simulation, des
exercices, des jeux de rôles,…
[…]
[…]
SOUTENIR
DEVELOPPER DES RESSOURCES
Figure 6
Même incomplet, ce tableau montre l'importance pour les futurs tuteurs :
- de la variété des situations de travail intéressantes pour l’apprentissage;
- de la variété des types d'actions et méthodes qu’ils peuvent mettre en place, en fonction des
objectifs à atteindre et du contexte d’apprentissage.
Par exemple, en situation à grand risque, on ne se permet pas de laisser l’apprenant trouver une
solution à son problème par essais et erreurs. Il s’agit de montrer ce qu’il y a à faire, de vérifier la
compréhension hors situation, de faire faire en ne « lâchant la bride » que petit à petit.
6.6. Phase 6. Réalisation de supports pédagogiques
L'objectif principal de cette phase de travail2 est de préparer avec les tuteurs des séquences d'activités
de tutorat à partir des référentiels d'activités et de compétences définis au cours des phases 2 et 3.
Cela suppose d'acquérir des habiletés :
- de définition d'objectifs de formation,
- de choix méthodologiques,
- de conception de supports de formation et d'apprentissage.
Le suivi de la progression des apprentissages réclame des outils spécifiques. Il s'agit par exemple de
construire avec les tuteurs des grilles d'observation et d'évaluation (auto-et hétéroévaluation) des
acquis.
Une présentation à différents responsables sera une première validation. L’expérience de tutorat sur le
terrain, observée par des personnes extérieures à l’institution, en sera une seconde. Enfin, la discussion
avec les apprenants complètera l'évaluation des actions de tutorat mises en place.
Un suivi des tuteurs sera organisé afin d’entendre les problèmes rencontrés, de rechercher les solutions
possibles et de mettre en place des éventuelles actions correctives.
6.7. Phase 7. Vers un modèle reproductible pour l’hôpital ?
La volonté de l’hôpital est de vérifier la pertinence de ce mode d’apprentissage et de parvenir, si les
résultats sont jugés satisfaisants, à définir un ou plusieurs modèles d’organisation et de dissémination
du tutorat dans l’institution. Suite à l’évaluation du projet, nous pensons pouvoir définir quelques
modèles (car les unités de soins ont trop de différences de fonctionnement pour arriver à un modèle
unique) qu’il sera utile de discuter avec l’ensemble des responsables de toutes les unités de soins afin
d’évaluer la pertinence globale ou les aménagements utiles pour élargir l’action à grande échelle. Au
stade actuel du projet, nous ne pouvons encore nous avancer sur ce que seront ces modèles, si ce n’est
que le modèle de « doublure » permanente avec le nouvel agent à former, utilisé actuellement en unité
2
Qui sera réalisée dans les prochains mois.
11
d’urgence, n’est sans doute pas reproductible dans des unités de soins dites « banalisées » pour cause
d’effectifs moins importants. Il faudra probablement imaginer des solutions moins individualisées,
comme par exemple celle d'une « équipe-tuteurs » structurée pour plusieurs apprenants, comprenant
un gestionnaire et son assistant, responsable du suivi de l’apprenant et complétée par une série
d’experts identifiés et mobilisés en fonction des besoins d’apprentissage.
Conclusions
La formation par tutorat dans une institution hospitalière semble parfaitement correspondre aux
besoins de formation de nouveaux arrivés. L’analyse préalable des métiers permet une grande
précision dans la définition des compétences à atteindre et celles qui font défaut à l’arrivée. De plus,
les analyses d’activités et de compétences liées à un métier dans une unité donnée permettent de
construire des outils de suivi des apprentissages et peuvent être utilisées par les équipes pour autoévaluer leurs faiblesses et s’organiser pour y remédier.
La démarche descriptive des activités a pour mérite de décrire "ici et maintenant" le fonctionnement
complet d’une unité de soins. Elle peut, par la suite, être transformée en - ou complétée par - une
démarche prescriptive.
Nous insistons également sur la nécessité de l’implication de la hiérarchie tout au long du processus,
sans laquelle les décisions institutionnelles concernant les moyens et l’organisation pour pérenniser
l’action ne pourraient pas être prises. Dans ce cadre, avec Baudrit (1999), soulignons que les bénéfices
du tutorat auront plus de chances de se marquer si ces pratiques se déroulent sur une période
suffisamment longue. La direction doit créer un cadre propice et à long terme.
La gestion du temps est une des principales contraintes pour l'entreprise et pour chaque unité de soins
en particulier. Cela engendrera certainement une réorganisation de l'organigramme de l'unité dans
laquelle sera entreprise l'activité tutorale, voire l'engagement d'une nouvelle personne pour rééquilibrer
la distribution des rôles.
La responsabilité du tuteur est engagée par rapport aux actions de la personne en formation. Or les
conditions de travail du tuteur ne lui permettent pas toujours de « suivre de près » l’apprenant. Il est
nécessaire de préciser le statut et les responsabilités de chacun.
Rappelons enfin que la particularité du tuteur est son ambivalence formateur - producteur et que,
souvent, contraint par les urgences, le rôle de producteur prend le pas sur celui de tuteur. Ce n’est donc
pas un rôle très facile à tenir. Il mérite un investissement suffisant en termes de préparation
pédagogique. Il est enrichissant car il oblige le tuteur à prendre du recul et à analyser ses propres
actions dans le travail. Il est enrichissant aussi par la relation d’apprentissage réciproque et les
relations personnelles qui se tissent dans tout travail mené en collaboration. Mais c’est une tâche
exigeante qu’il est important de valoriser d’une façon ou d’une autre.
Bibliographie
BAUDRIT, A. (1999). Tuteur : une place, des fonctions, un métier ? Paris : PUF.
BOULET, P., & COURTOIS, B. (1992). Accueillir et former des jeunes dans l'industrie de la
Plasturgie. Paris : Editions d'Organisation
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