R.G. N° 12/04752 le 27 mars 2013
Transcription
R.G. N° 12/04752 le 27 mars 2013
COUR D'APPEL DE VERSAILLES Code nac : 82D RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LE VINGT SEPT MARS DEUX MILLE TREIZE, La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre : 14ème chambre ARRÊT N° contradictoire DU 27 MARS 2013 R.G. N° 12/04752 AFFAIRE : Stéphane KERGARAVAT président du CHSCTFOOT LOCKER FRANCE ... C/ Chrystelle JUBAN ... Décision déférée à la cour : ordonnance rendue le 22 juin 2012 par le président du tribunal de grande instance de NANTERRE Monsieur Stéphane KERGARAVAT président du CHSCT FOOT LOCKER FRANCE né le 29 octobre 1970 à SAINT-GERMAIN-EN-LAYE (Yvelines) de nationalité française 124 rue de Verdun 92800 PUTEAUX Représenté par la SELARL MINAULT PATRICIA (Me Patricia MINAULT) (avocats au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20120469) assisté de Me Ghislain BEAURE D’AUGERES membre de la SELAFA CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE (avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE) SAS FOOT LOCKER FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège N° SIRET : 382 401 867 124 rue de Verdun 92800 PUTEAUX Représentée par la SELARL MINAULT PATRICIA (Me Patricia MINAULT) (avocats au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20120469) assistée de Me Ghislain BEAURE D’AUGERES membre de la SELAFA CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE (avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE) APPELANTS **************** N° RG : 12/01541 Expéditions exécutoires Expéditions Copies délivrées le : à: SELARL MINAULT PATRICIA Me Véronique BUQUET-ROUSSEL Madame Chrystelle JUBAN 26 rue de la République 69002 LYON Représentée par Me Véronique BUQUET-ROUSSEL membre de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT (avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 350/12) assistée de Me Elise BENISTI (avocat au barreau de PARIS) CHSCT FOOT LOCKER FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège 124 rue de Verdun 92800 PUTEAUX Représenté par Me Véronique BUQUET-ROUSSEL membre de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT (avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 350/12) assisté de Me Elise BENISTI (avocat au barreau de PARIS) INTIMEES **************** Composition de la cour : En application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 février 2013 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre MARCUS, président et Madame Patricia GRANDJEAN, conseiller, chargés du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Monsieur Jean-Pierre MARCUS, président, Monsieur Philippe BOIFFIN, conseiller, Madame Patricia GRANDJEAN, conseiller, greffier, lors des débats : Madame Agnès MARIE, -2- FAITS ET PROCÉDURE, Saisi par la société FOOT LOCKER FRANCE et M. KERGARAVAT d’une action tendant à faire annuler la délibération par laquelle le CHSCT de l’entreprise, le 23 mars 2012, a décidé de recourir à la désignation d’un expert en application de l’article L 4614-12 du code du travail en raison de l’existence d’un risque grave pour la sécurité ou la santé des salariés, le président du tribunal de grande instance de Nanterre agissant par délégation, aux termes d’une ordonnance de référé rendue le 22 juin 2012 à laquelle il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, a : - débouté la société FOOT LOCKER FRANCE et M. KERGARAVAT de leurs demandes, - condamné la société FOOT LOCKER FRANCE aux dépens et à payer au CHSCT la somme de 3 588 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Par déclaration au greffe en date du 4 juillet 2012, la société FOOT LOCKER FRANCE et M. KERGARAVAT ont relevé appel de cette décision. Dans des conclusions déposées le 4 octobre 2012, ils sollicitent : - la réformation de l’ordonnance entreprise et l’annulation de la délibération litigieuse, - subsidiairement, la réformation de l’ordonnance et la réduction du périmètre de la mission confiée à l’expert à la détermination des mesures de prévention, de sécurité et de traitement adapté aux prétendues situations de souffrance au travail ou de risques psychosociaux, - la condamnation des succombants aux dépens. Ils exposent que l’entreprise compte 1 050 salariés répartis dans 99 magasins et dispose d’une représentation du personnel complète, avec un CHSCT. Ils indiquent que dans le cadre de l’actualisation du document unique d’évaluation des risques, la société a souhaité charger le Bureau Veritas d’une mission de diagnostic de situations à risques et que, sans attendre le résultat de cette étude, le CHSCT a décidé de mettre en oeuvre une expertise. Ils contestent l’existence d’un risque grave actuel et identifié justifiant le recours à cette expertise, soulignent le caractère ancien des éléments retenus par le premier juge, l’absence de situations précisément identifiées par le CHSCT et le caractère non significatif des indicateurs cités. Ils font état des résultats des enquêtes de satisfaction menées auprès des salariés et rappellent qu’une procédure interne est en place pour répondre à toute difficulté relative notamment à une situation de harcèlement moral. Ils notent que l’expertise litigieuse n’a pas été mise en oeuvre malgré la teneur de l’ordonnance attaquée. -3- Ils soulignent le caractère général de la motivation du recours à l’expertise et rappellent que le notion de risque grave doit être rapportée à l’environnement dans lequel intervient l’entreprise, en l’espèce la vente au détail. Ils contestent enfin la pertinence du libellé de la mission confiée à l’expert au regard du concours nécessairement purement technique de l’expert et sollicitent, à titre subsidiaire, une limitation du champ de cette mission. Par des conclusions déposées le 4 décembre 2012, le CHSCT de la société FOOT LOCKER FRANCE sollicite la confirmation de la décision entreprise et la condamnation de la société FOOT LOCKER FRANCE aux dépens et à payer la somme de 4 694,80 € au titre de ses frais de procédure. Il soutient qu’un risque psychosocial grave est avéré en raison d’une augmentation du nombre des absences injustifiées, des plaintes relatives à une souffrance au travail qu’il a pu relier à une situation d’insécurité dans certains magasins, à la constatation d’agressions physiques ou verbales de salariés, à une charge de travail excessive et un décalage entre les horaires planifiés et les horaires réalisés, ainsi qu’à des situations de harcèlement moral. Il fait état de ses tentatives pour convaincre la direction de recourir à un avis extérieur afin d’évaluer les situations de travail. Il fait état des courriers de l’inspecteur du travail qui signalent l’existence de risques psychosociaux et rappellent à l’employeur ses obligations légales. Il relève que le médecin du travail s’est fait l’écho des plaintes des salariés et que dans les documents uniques d’évaluation des risques (DUER) sont évoqués le stress récurrent et les risques d’agression parmi les risques avérés. Il indique que la mission confiée par l’entreprise à la société Bureau Veritas dans le cadre de l’actualisation du DUER et les éventuelles mesures préventives prises par l’employeur ne font pas obstacle à son propre droit de recourir à la désignation d’un expert. Il conteste la restriction de la mission confiée à l’expert qui est suggérée par la société FOOT LOCKER FRANCE. **** Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des faits et prétentions. L’instruction de l’affaire a été close le 13 février 2013. **** En application de l’article L 4614-12 du code du travail, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement. Il appartient au CHSCT de rapporter, par tous moyens, la preuve de l’existence d’un risque grave constaté dans l’entreprise à la date de la délibération contestée. -4- Les éléments postérieurs à cette date sont indifférents à la solution du litige. En l’espèce, par délibération du 23 mars 2012, après avoir relevé “des témoignages et plaintes de représentants du personnel et de salariés laissant à appréhender des situations conflictuelles pouvant aller jusqu’à du harcèlement moral ressenti, une perte partielle de l’autonomie au travail due à des problèmes managériaux, un manque de moyens en effectif qui a pour effet d’aggraver les conditions de travail, un soutien social défaillant (pas de sentiment d’appartenir à une équipe, sensation d’exclusion...), une reconnaissance au travail défaillante” caractérisant selon lui un risque grave de souffrance au travail, le CHSCT de la société FOOT LOCKER FRANCE a désigné le cabinet Technologia en qualité d’expert avec mission de : - analyser l’organisation du travail existante et les situations de travail dans lesquels ce risque grave est présent, - analyser et évaluer ce risque grave, - formuler, pour ce risque grave, des propositions de mesures de prévention, de sécurité et d’organisation des premiers secours qui seront de nature à enrichir la démarche de la direction. Il est a observer : - que la mission ainsi confiée à l’expert ne qualifie pas de façon circonstanciée le risque grave allégué relativement à une “souffrance au travail”, - que les motifs de la délibération ne font aucune référence à des éléments de faits précis localisés dans le temps ou dans l’espace, - qu’ils ne font pas davantage référence à des éléments recueillis auprès du médecin du travail ou de l’inspecteur du travail, ni à des indicateurs pourtant disponibles notamment dans le bilan social de l’entreprise et le DUER. Or le recours à une mesure technique ne saurait dispenser le CHSCT d’exercer ses prérogatives propres relativement à l’analyse des conditions de travail au sein de l’entreprise. Par ailleurs, si le CHSCT produit une douzaine de procès-verbaux de réunions tenues sur une période de quatre années (2008-2011) au cours desquelles ont été évoqués diverses situations de mal-être, un conflit entre les salariés et l’équipe de management du magasin de Nancy et trois agressions par des tiers : - il ne verse aux débats aucun des rapports de visite ou d’enquête consécutifs aux inspections qu’il a mises en oeuvre à compter de 2009, à l’exception du rapport de visite du 20 février 2012 qui dénonce principalement un sous-effectif de l’encadrement des magasins de Marseille et Vitrolles et “des situations d’agressions verbales voire physiques” non circonstanciées et d’un “complément d’information sur la visite de Nancy, non daté, qui mentionne clairement une difficulté individuelle de management pour ce magasin (pièces 28 et 34), - le seul document émanant du médecin du travail en date du 21 octobre 2010 qu’il produit suggère “d’améliorer la prise en compte des risques” sans fournir aucun élément de fait sur l’existence, la nature et la gravité des risques concernés (pièce 25), -5- - les courriers de l’inspection du travail qu’il communique et qui font suite à des visites de plusieurs magasins rappellent l’obligation pesant sur l’employeur quant à l’analyse des situations de travail et mécanismes pouvant porter atteinte à la santé et à la sécurité des salariés mais ne contiennent aucun élément se rapportant à la constatation d’un risque (pièces 20, 27) ; il ne ressort pas du dossier que les services de l’inspection du travail aient eux-mêmes diligenté une enquête sur quelques risques suspectés dans l’entreprise et les griefs relatifs à un non-respect des durées de travail journalière ou hebdomadaire n’ont pas donné lieu à des procès-verbaux d’infractions ou à une condamnation de l’entreprise. Au contraire, il ressort des pièces produites que : - les conclusions négatives des enquêtes menées par la direction de l’entreprise en présence du CHSCT sur 17 faits qualifiés de harcèlement par les plaignants n’ont pas suscité de critiques de la part des élus ; depuis 2006, deux procédures prud’homales menées contre l’entreprise ont retenu l’existence d’une situation de harcèlement et aucun élément ne permet d’induire un caractère collectif de ces circonstances dans une entreprise qui compte une centaine de magasins ; - les données du bilan social de la société pour 2011 sur l’absentéisme qui montrent, entre 2010 et 2011, une baisse du nombre d’heures d’absence pour maladie non professionnelle et une forte baisse du nombre d’heures d’absence pour congé parental (au total 6 300 heures environ) et, inversement, une forte hausse du nombre d’heures d’absence injustifiée (+ 6 900 environ) ne suscitent aucune tentative d’interprétation ou explication par les parties et ne peuvent être tenues pour significatives de l’existence d’un risque psychosocial ; - le document unique d’évaluation des risques, mis à jour par la société en 2011 qui s’avère très précis dans l’identification des sources de danger (à titre d’exemple il prend en compte le stress lié à la présence de plusieurs clients en attente et à la crainte de l’agression liée à la valeur des biens vendus) et dont le contenu ne suscite pas de contestation de la part des élus évalue les risques psychosociaux de 4 à 5 sur une échelle de 1 à 16 à l’exception du risque “agression - récupération de produits” pour le travail en réserve dans un des magasins de Marseille (coté à 7) et du “stress du manager dû à la multiplicité des tâches à effectuer” dans le même magasin (coté à 12) ; - aucun élément ne décrit ou rapporte de façon circonstanciée les situations de faits qui ont pu faire l’objet des témoignages et plaintes visés par le CHSCT dans sa délibération. Le fait que la direction de l’entreprise ait sollicité l’intervention du Bureau Veritas pour la réalisation d’un diagnostic des conditions de travail ne saurait en lui-même caractériser l’existence d’un risque grave constaté. Enfin, le recours important à des contrats à durée déterminée, qui n’a pas varié de façon significative au cours des dernières années, n’est pas en lui-même un critère d’identification d’un risque psycho-social. En conséquence, le CHSCT n’établit pas l’existence d’un risque grave constaté dans l’entreprise pouvant justifier le recours à une expertise sous le visa de l’article L 4614-12 du code du travail. Il convient donc de réformer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et d’annuler la délibération litigieuse du CHSCT. -6- Dès lors que le CHSCT ne dispose pas de budget propre, les dépens et frais de procédure qu’il a exposés sont à la charge de la société FOOT LOCKER FRANCE en application de l’article L 4614-13 du code du travail. PAR CES MOTIFS ; La cour, Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Réforme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Annule la délibération en date du 23 mars 2012 par laquelle le CHSCT de la société FOOT LOCKER FRANCE a décidé de recourir à la désignation d’un expert et désigné le cabinet Technologia ; Laisse les dépens de première instance de d’appel à la société FOOT LOCKER FRANCE et la condamne à payer la somme de 4 694,80 € (quatre mille six cent quatre-vingt-quatorze euros et quatre-vingt centimes) au titre des frais de procédure exposés par le CHSCT ; Autorise l’application de l’article 699 du code de procédure civile ; Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Monsieur Jean-Pierre MARCUS, Président et par Madame MARIE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. Le GREFFIER, Le PRESIDENT, -7-