Etude Marxiste Fire Gym Interview définitive + photo FR

Transcription

Etude Marxiste Fire Gym Interview définitive + photo FR
Fire Gym:
centre de sport pour le peuple
30 ans de construction de contre pouvoir populaire
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par Carlos Perez
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asbl Fire Gym vzw:
Galerij Charles Woeste, Rue Auguste Hainautstraat 48c, 1090 Jette, 02/428.45.83 www.firegym.be
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Met de steun van / soutenu par :
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Carlos Perez, ([email protected]) est un fils d’immigrés espagnols ayant fui le franquisme
et le fascisme. Depuis 1983, il est animateur et directeur du centre sportif social Fire Gym, situé à
Jette sur la frontière avec Molenbeek-Saint-Jean. Après une carrière sportive au palmarès
impressionnant, il se passionne pour la question de l’enseignement et toutes les discriminations qui
l’engendre.
Il est l’auteur du livre L’enfance sous pression, Quand l’école rend malade (2007 et 2012, Aden) et
de l'article « L’école et mixité sociale : mélange toxique ? », dans la revue Mauvais Sang, n°°3,
chez Aden. Il a développé une méthode novatrice dans la préparation physique, le Développement,
rééquilibrage et évaluation des performances sportives (DREPS).
Site web: www.lenfance-sous-pression.be, www.firegym.be, www.toperformance.be,
Facebook: firegym - enfance sous pression.
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Herwig Lerouge
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Interview de Carlos Perez
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Fire Gym, centre de sport pour le peuple, fête ses 30 ans
!
Le centre de fitness F.I.R.E Gym — Brussels Sports Movement est né en 1983 de la pratique
journalière du centre sportif bruxellois Fire Gym, à l’initiative de Carlos Pérez. Au départ le club
n’avait d’autre ambition que de se spécialiser dans le body-building, le power lifting,
l’haltérophilie et de créer des compétiteurs. Mais bien vite le quartier et la population allaient
changer le profil du club. Fire Gym a développé une vision particulière de la vie sportive ainsi que
de l’enjeu du sport dans une métropole comme Bruxelles.
La rédaction d’Études marxistes a rencontré Carlos Perez, le fondateur.
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Félicitations pour l’anniversaire du centre. Expliquez-nous, c’est quoi Fire Gym
aujourd’hui ?
Carlos Perez. Fire Gym c’est 700 m2 d’espace couvert en
location et dont l’asbl a assuré l’installation complète et
l’équipement (66 machines de fitness et cardio, une salle
avec parquet et miroir panoramique pour la danse, une salle
avec tatami pour les arts martiaux).
Le centre comprend un noyau stable de 250 membres
auxquels s’ajoutent 1 000 inscriptions épisodiques chaque
année, principalement du nord-ouest bruxellois (Molenbeek,
Laeken-Bruxelles Ville, Jette).
Fire Gym est une salle familiale ou
tous le monde est le bien venue
Fire Gym est ouvert sept jours sur sept, pour un total de
68 heures par semaine. L’offre comprend des leçons
spécifiques pour les disciplines de fitness, cardio, powertraining, haltérophilie, aérobics, step, body-sculpt, spinning,
boxe-aérobic, hip-hop, ragga, breakdance, taekwondo, judo,
jiu-jitsu brésilien, karaté, boxe anglaise, capoeira.
Les enfants sont accueillis à partir de trois ans et demi en fonction de l’activité et des stages sont
organisés pendant les congés scolaires. Fire Gym se veut accueillant pour les familles en présentant
des activités et horaires adaptés aux enfants et leurs mamans. Il est engagé socialement dans la
région et met à la disposition des écoles et clubs locaux des équipements et des moniteurs avec une
approche professionnelle et multiculturelle.
Nous organisons aussi des cours d’animateurs et de moniteurs Adeps1, accessibles à tous les
membres sans supplément de frais d’inscription et sanctionnés après examens par des diplômes de
l’Adeps.
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1!
Administration de l’éducation physique et des Sports (ADEPS), devenue actuellement la Direction générale du
Sport, partie intégrante du ministère de la Communauté française.
En quoi Fire Gym est-il différent d’une autre salle de fitness ?
Carlos Perez. Il est impossible pour un club de sport de quartier de ne pas se rendre compte des
problèmes du quartier. Il peut fermer les yeux et se limiter à sa pratique sportive en se disant que le
sport est neutre et apolitique. Ou il peut tenter
d’apporter dessolutions aux problèmes quotidiens
des gens.
La salle elle-même est un exemple de ce point
de vue. Elle a été créée en 1983 avec un objectif
commercial. En cours de route, les animateurs du
centre ont fait un choix collectif et d’utilité
publique, avec toutes les difficultés inhérentes à ce
choix. On est passé d’un public aisé financièrement
à une population économiquement faible. Fire Gym
a décidé de devenir un instrument qui essaie de
conscientiser la société autour d’elle, et cela à
L’équipe de Fire Gym organise regulierement
différents niveaux.
avec ces partenaire des fete de quartier
Notre fil rouge est la démocratisation du sport et
sportives.
son orientation au service de l’ensemble des plus
jeunes, mais aussi de ceux qui y ont habituellement
le moins accès. Fire Gym a choisi de se mettre à la
disposition des plus démunis (CPAS, chômeurs,
primo-arrivants, les enfants en Institution publique
de protection de la jeunesse (IPPJ), les sans-papiers ou leurs enfants, les statuts précaires, les
enfants en décrochage scolaire), mais pas uniquement., car tous les habitants du quartier, de même
que tous les sportifs sont les bienvenus. Notre objectif est à l’opposé de celui des multinationales
qui dirigent le secteur du fitness en Belgique et qui n’ont aucun intérêt à prendre en considération
les plus démunis puisque leur objectif est strictement commercial et que leur plus-value n’est pas
réinvestie au profit du bien public. Dès qu’elles ne font plus suffisamment de chiffre, elles se
mettent en vente ou disparaissent. Pérenniser un
travail d’éducation et d’émancipation n’est pas leur
l’émancipations c’est également
l’accessibilité au sport.
priorité.
Les salles de fitness et de mise en condition physique
n’existent pour ainsi dire pas dans le secteur social
alors que les besoins sont énormes. Le fitness est la
quatrième activité sportive la plus pratiquée par les
familles après la marche et le jogging. Le secteur est
laissé entièrement aux mains du privé. Nous faisons œuvre de pionniers dans cette branche.
Fire Gym ne dépend d’aucun pouvoir politique établi. Dans le secteur sociosportif et culturel,
l’action sur le terrain est souvent bloquée par des relais administratifs, politiques voire linguistiques.
On doit en permanence rendre des comptes à l’institution de tutelle qui impose une certaine
direction. Les initiatives sont souvent limitées à un profil particulier, notamment les jeunes en
difficulté entre 12 et 18 ans, d’un quartier spécifique et souvent limitées à la guidance et à
l’encadrement d’une jeunesse perçue comme allant à la dérive. L’objectif non avoué du soutien de
l’administration dans les quartiers dits difficiles ne consiste souvent qu’à maintenir la paix sociale
dans le cadre des contrats de sécurité. Des jeunes, et
plus précisément de jeunes garçons d’origine
immigrée, sont perçus comme une menace parce
qu’ils pourraient se livrer à des méfaits, commettre
des incivilités ou plus « simplement » parce que
leur présence constitue en soi une menace.
Fire Gym est autogéré. Son programme n’est pas
établi par le gouvernement et encore moins par les
contrats de sécurité, mais par ses membres et ses
volontaires.
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Qui fréquente Fire Gym ?
Carlos Perez. Fire Gym se veut ouvert à
A travers toutes ces accademie de sport tous
l’ensemble de la population locale. Toutes les
générations et populations se mélangent, hommes,
femmes, simples amateurs et sportifs de haut
niveau. Fire Gym n’applique pas le contrat annuel
obligatoire comme les multinationales du fitness qui ont plongé de nombreux jeunes des quartiers
dans des dettes. Pas de sélection à l’entrée. Nous ne refusons pas la maman africaine et son enfant
comme cette salle de fitness commerciale qui lui faisait croire qu’il y avait un nombre maximal
d’inscrits. Fire Gym n’a pas de public cible ni de profil particulier.
!
Comment est géré le centre ?
Carlos Perez. Fire Gym incite les jeunes à s’impliquer
dans le centre et les forme. La mutualisation des
bonnes pratiques et le développement des compétences
se font naturellement sans trop de bureaucratie. Les
idées qui partent de la base arrivent très vite au sommet
et les directives arrivent très vite à la base sans
intermédiaire. Aujourd’hui les jeunes formés au centre
prennent en charge le centre de fitness.
Le centre est à l’écoute des besoins et des intérêts de
la population. Cet esprit militant a permis
l’organisation d’une multitude d’activités culturelles,
A travers ces cours Fire Gym organise des
sociales et éducatives. L’école de formation sportive,
cours different et varier accesible a
l’ensemble de la populations
l’école de tutorat pour les plus jeunes et qui touche tous
les aspects de la culture physique sportive et éducative
et de soutien à leur scolarité sont mises au service de la
population. Tout comme certains partenariats,
événements sportifs, mobilisations pour différentes
causes et échanges internationaux.
La population elle-même est incluse dans les décisions. Les jeunes cadres de la structure se sont
formés sur le terrain et toutes les initiatives sont le fruit des besoins et des expériences du terrain. Le
modèle, c’est une entreprise sociale de production de biens et services pour le bien-être et la santé
collectifs.
Le rôle de Fire Gym a toujours été de créer des liens
sociaux avec cette partie de la population qui est exclue.
Fire Gym veut lutter contre la « dépossession » et
mobiliser toutes ses ressources, son savoir-faire et ses
compétences au service de l’inclusion, contre la
marginalisation des plus précaires. Installer des leviers de
changement et œuvrer au renforcement du pouvoir des
dépossédés : telle est notre mission.
!
Fire Gym se bat aussi pour la démocratisation du
sport. D’abord quel rôle attribuez-vous au sport dans
notre société ?
Carlos Perez. À travers le sport, les gens peuvent
acquérir des comportements et des compétences
susceptibles de les aider à s’émanciper : apprendre la
structure et l’organisation, apprendre à travailler
Fire Gym a manifester contre la guerre en
Iraq. Avec leur slogan Pas D’argent pour
ensemble, à croire en eux-mêmes, à développer leurs
la geure, mais plus d’argent pour
compétences, à soigner leur hygiène, leur esthétique et
l’enseignement et le bien être de l’enfants.
leur santé. Mais le sport est également un outil pour tisser
des liens sociaux. Le sport permet aussi d’être en contact
avec les problèmes et les besoins des familles au
quotidien et de trouver ensemble les solutions.
Les animateurs de Fire Gym constatent quotidiennement de nombreuses carences chez les
enfants. Le stress, l’asthme, l’obésité, le diabète… sont très répandus parmi la population
bruxelloise et chez les jeunes en particulier. Le livre blanc sur le sport et la santé de la fondation Roi
Baudouin le confirmait en 2000 : « Parmi les quinze plus anciens États membres de l’Union
européenne, la Belgique se classe avant-dernière au baromètre de la condition physique de la
jeunesse. Il est donc grand temps d’agir. Il faut mettre tout en œuvre pour lutter contre les nouvelles
maladies sociétales telles que l’obésité. Un tiers à peine des enfants âgés de 7 à 9 ans jouent encore
à l’extérieur. Cette situation pose de graves problèmes de santé publique2. »
Chez les plus jeunes, et de plus en plus tôt, le manque de motricité, l’isolement, le manque
d’espaces verts et la promiscuité
!
dans les appartements et dans les
écoles influent sur la santé
mentale et physique. Il n’y a pas
assez de place pour l’exercice
physique dans les écoles
primaires en Belgique
francophone. Chez les adultes s’ajoute la flexibilité au travail qui entraîne de nombreux burn-out. À
Molenbeek, le taux de chômage avoisine 30 % et constitue également un facteur de déséquilibre et
de stress pour les personnes qui le subissent.
Mais l’accès au sport est, à l’image de notre société, très inégal. « Les expériences d’associations
membres de la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant (CODE) indiquent que beaucoup
d’enfants défavorisés n’ont accès ni aux structures
mises en place pour permettre l’accueil des
Voyage de soutien au iraqiens durant la geure contre
enfants en âge préscolaire ou en dehors des temps
scolaires, ni aux activités de loisirs, ludiques,
sportives, artistiques et culturelles. […] Peu
d’enfants de familles pauvres ont l’occasion de
partir en vacances en groupe et encore moins en
!
2
Fire Gym a récolter plus de 600 kilo de
materiale médicale et sportive l’ore de sont
vouyage en iraque
« Un rapport européen pointe le manque de sport dans nos écoles primaires », L’Avenir, 2 septembre 2013.
famille, et ce durant toute leur enfance3. »
Que reprochez-vous à la politique gouvernementale en matière de sport ?
Le sport en Belgique n’est ni un droit ni un besoin d’utilité publique, mais un service
commercial et les utilisateurs de ce service sont considérés comme des consommateurs ou des
clients. Faire du sport en Belgique est un privilège, pas un droit. Le sport est privatisé et la volonté
du système néolibéral est de faire du sport une marchandise.
Comme on peut le lire dans l’analyse Sport et Économie de la Fondation Roi Baudouin en 2000,
« La philosophie libérale en vogue actuellement préconise que même les activités culturelles
deviennent financièrement autosuffisantes. Ceci
pousse certains à affirmer que le sport ne devrait pas
être subsidié par l’État, mais se contenter d’assurer sa
promotion. »
Si on ne se bat pas contre cette logique, le sport ne
sera jamais accessible à tous. L’État investit de moins
en moins dans le sport. En Belgique, ce sont les
familles qui supportent le poids le plus lourd en
matière de dépenses sportives. En 1982, selon le
rapport de la Fondation Roi Baudouin, les ménages
flamands réalisaient 71 % du produit sportif régional
Cours anatomie a des jeunes de l’abl
brut. Aujourd’hui la quote-part des pouvoirs publics a
Bravo dans le cadre d’une formation
sportives
été ramenée de 26 % en 1982 à 9 % quatorze ans plus
tard4.
Quelles sont les familles qui peuvent se permettre ces
dépenses et donc exercer une activité sportive ?
De plus, les budgets sportifs communautaires ne vont
pas aux petits clubs et petites fédérations, pourtant les plus accessibles aux populations les plus
pauvres (plus de 6 000 clubs en Belgique francophone). La Région bruxelloise, bien que
concentrant une population de plus d’un million
de personnes, dont 90 % de francophones, a
perçu moins de 2 % des subsides alloués par la
Communauté française.
Le budget public alloué au sport est d’ailleurs
plutôt investi dans les infrastructures et dans les
événements de prestige, qui génèrent le plus de
Depuits 2004 Fire Gym organise ensemble avec
d’autre club c’est propre jeux Olympic “les
Spartaciades”
!
3
« Être une enfant de famille pauvre en Belgique », CODE, août 2007, p. 5. Repris dans La Chronique de la
Ligue des droits de l’Homme, 126 (mars-avril 2008), pp. 4-15.
!
4
Sport et économie, série Société et sport, Fondation Roi Baudouin, 2000, p. 2, www.kbs-frb.be/uploadedFiles/
KBS-FRB/Files/FR/PUB_1069_Sport_et_economie.pdf.
profit et de visibilité du point de vue du marketing. Souvent, les investissements viennent de la
sphère publique et les retombées financières arrivent dans les mains du privé. Le flux d’argent
généré par le sport va principalement aux sports de haut niveau qui attirent plus de public que le
sport amateur.
Cela a des conséquences sur l’offre en
infrastructure des clubs amateurs et fait que la
Fire Gym a participé a la Cours pour la paix
un Suède. De la Fire Gym etais un des
fondateur de la cours pour la paix en
Belgique.
demande pour certaines activités sportives ne peut
pas être satisfaite. Dans certains quartiers, les petits
clubs se débattent dans l’indigence alors qu’il
existe une surcapacité pour d’autres activités. C’est
le cas pour les fédérations et clubs de prestige
comme les clubs de foot de première division, liés
au marché des services. Le combat de Fire Gym ne
réside pas dans la rivalité entre petits et grands clubs, c’est un combat contre la marchandisation du
sport. Donc en faveur d’un sport d’utilité publique accessible à tous. Le sport ne doit pas être un
luxe, mais un droit.
Les rapports sociaux et économiques ont toujours profondément influencé le contenu et la
pratique sportive. Le sport moderne est avant tout une organisation mondiale dominée par un
« gouvernement international » du sport, c’est-à-dire les fédérations internationales, le Comité
olympique international et tous les organismes de ce type, qui gèrent et contrôlent le sport. Le sport
mondial s’organise comme une immense
entreprise centralisée et supranationale,
sponsorisée par une multitude de
multinationales. Les « valeurs » du sport
moderne sont intrinsèquement liées aux
valeurs de l’entreprise et du commerce : des
équipes de football sont même cotées en
bourse.
Le code de déontologie dans le sport est
identique à celui d’une entreprise
performante : position concurrentielle,
En partenariat avec plusier organisations Magrebine
Fire gym organise le débat et des actions sportives aux
compétitivité et restructuration sont la clef
Maroc.
du « succès » de l’entreprise sportive. Les
joueurs de foot sont devenus une
marchandise, vendue au Mercato, au plus
offrant.
L’idéologie sportive est un auxiliaire
puissant de l’idéologie dominante. Organisé en dehors de ce cadre capitaliste, le sport n’est ni
valorisé, ni sponsorisé, ni médiatisé sauf pour servir d’alibi et pour préserver la paix sociale, par
exemple dans le cadre des contrats de sécurité. Le sport est éminemment dual et on retrouve dans
nos villes et nos quartiers le même schéma que
dans la société : le sport des riches et le sport des
pauvres, les quartiers riches et les quartiers
pauvres.
!
Mais il y a tout de même de nombreux clubs
amateurs dans toutes les disciplines ?
Carlos Perez. Le sport amateur représente 99 %
des gens mais 1 % des moyens. Plus de 6 000
clubs dans le domaine francophone sont, à
l’inverse du sport spectacle super médiatisé,
véritablement au service de la population et aux
côtés des familles.
Recolte de materielle sportive pour
Mais ces clubs amateurs dépendent surtout du
soutenir les clubs sportives a cuba.
bénévolat. Dans Fire Gym, chaque sous-club
Voyage avec plus de 40 personnes a
prend en charge 200 enfants. Si on tient compte
des parents, cela fait à peu près 600 personnes par
club. Le sport belge est une affaire de bénévoles,
sauf pour les quelques clubs professionnels. Le
monde sportif est le plus grand utilisateur de
travailleurs volontaires : 35 % du bénévolat total. Sans le bénévolat, le sport belge n’existerait tout
simplement pas.
L’État n’a guère d’intérêt à changer cette situation, car
elle a l’avantage d’un coût financier dérisoire grâce à des
milliers d’heures non rémunérées. De plus, les
professionnels techniques (entraîneurs, coaches), quelle que
soit leur branche sportive, n’ont bien souvent aucune
rémunération publique. Ils doivent soit faire appel aux
membres de leur club pour subvenir à leurs besoins, soit
avoir un métier à côté.
Le personnel rémunéré par les pouvoirs publics est très
peu nombreux. Il représente environ une personne tempsplein pour 22 clubs. Pour l’ensemble des 6 964 clubs de la
Communauté française, on estime leur nombre à
337 personnes chargées d’activités techniques à temps
plein.
Ce bénévolat présente de nombreux désavantages. Il ne
permet pas de planification de la répartition des clubs
sportifs. L’activité sportive dans un quartier déterminé
dépend essentiellement de la bonne volonté d’un bénévole.
L’offre sportive est plus ou moins correcte dans des zones géographiques économiquement
favorisées, mais les zones économiquement sinistrées sont souvent un vrai désert sportif du fait que
les habitants y ont moins de moyens pour investir dans le sport.
Le travail de bénévolat est exécuté pendant les temps de loisirs et la personne qui l’accepte
dispose de ressources qui lui permettent de vivre. Les parents qui en ont les moyens soutiennent
leur enfant dans leur club en temps et en finances et ceux qui n’en ont pas n’auront pas la possibilité
de le faire.
!
Fire Gym faits depuits des années la préparations
La politique en matière de formation du
physique d’athlète de haut niveau.
cadre sportif conduit aussi à une discrimination.
Audessus quelque un des champions: Hakim
Gouram (Champoints du monde Brasilian JuiLa formation théorique des cadres, des
Jutsu), Loren Georges (champoints du monde
entraîneurs ou des coaches est organisée par
Kick boxing), Rachid Boumalek (championts du
l’administration (Adeps). La partie pratique et
monde kick-boxing poids légé), Jawad Hsaine
(champoints de Belgique 800m)
et plusiers
technique est à charge des clubs et fédérations,
champoints natiaux de karaté Shotokan et Juiet, une fois de plus, c’est donc l’inégalité qui
Jutsu Brésilien.
règne. Les fédérations qui ont les moyens en
temps et en budget auront droit à cette
formation, les autres devront se débrouiller, ce
qui revient à dire qu’elles n’auront pas la
possibilité d’offrir cette formation et que les
entraîneurs des clubs sont souvent trop peu qualifiés.
Beaucoup de politiciens sont d’accord sur le constat. Mais leur solution consiste en davantage de
sponsoring et de privatisation, davantage de capital privé et moins d’État, y compris jusque dans les
écoles. Cette logique est poussée par la Commission européenne qui considère que l’intervention de
l’État fausse la concurrence y compris dans le sport. Bien que les autorités européennes n’aient
aucune compétence directe en matière de sport, le secteur du sport est, comme les autres secteurs de
l’économie, soumis aux règles du Traité de Lisbonne, dans la mesure où il génère une activité
économique.
!
Quelles sont vos solutions ?
Carlos Perez. Le sport est trop important pour le laisser
entre les mains du privé, qui ne vise que le bénéfice
Sur base du Livre L’enfance sous
pressions Fire gym a été demande pour
plusiers conférence sur les problème s
dans l’enseignement.
financier. Il doit devenir un droit et un outil d’utilité
publique. Le sport doit être accessible à tous et donc être
un droit. Les pouvoirs publics doivent limiter au
maximum les difficultés des petits clubs : les moyens
publics alloués au sport doivent prioritairement servir les
clubs qui soutiennent les centaines de milliers de jeunes.
La précarité des entraîneurs des 6 000 clubs francophones bloque le développement du sport
belge ; il importe donc de valoriser cette profession. Les formations doivent être adaptées et
suffisamment souples pour que l’ensemble des entraîneurs des petits clubs puisse y avoir accès. En
2010, mille bénévoles ont suivi la formation
d’initiateur Adeps. Pour les 6 600 clubs, ce
Actions sociale pour donnée a tous les enfants la
possibilité d’aprendre a nagé.
chiffre est insignifiant.
Pour les questions de structures, d’encadrement,
de formation, de valorisation et de planification
le rôle des services publics est incontournable.
Mais nous ne nous contentons pas de réclamer
l’intervention des pouvoirs publics. Nous
contribuons à résoudre ce problème à notre échelle. Nous demandons aux clubs sportifs de faire des
efforts supplémentaires pour que les jeunes puissent accéder au niveau d’assistant et de moniteur
sportif, afin d’offrir plus d’heures de cours de sport dans les clubs ou dans les écoles.
Fire Gym met tout en œuvre pour l’expansion
du sport à Bruxelles. Nous invitons les structures
!
du secteur sociosportif à s’unir pour organiser
Fire Gym participe a une manifestation contre
des formations. L’objectif est de trouver des
formules souples permettant d’inclure les
animateurs et de se procurer des outils de
formation continue. Nous proposons d’organiser
une agence de formation d’éducation par le sport.
Au fil des années, Fire Gym s’est transformé en centre de formation. Il a développé une méthode
innovatrice, « ToPerformance » et le « DREPS », une méthode initialement prévue pour les sportifs
de haut niveau. Cette méthode est valable pour toutes les disciplines et son efficacité a été
récompensée par des résultats nationaux et internationaux.
Fire Gym a voulu mettre ces compétences au service de tous les publics. Son objectif est de
démocratiser et de généraliser l’accès à un travail de qualité et d’excellence pour tous.
La question du sport de haut niveau a toujours été une question importante pour le centre. Faut-il
se limiter à l’initiation ludique au sport ou également rencontrer le désir des jeunes de se dépasser
dans les compétitions ? Faut-il
s’arrêter aux portes de la compétition
ou y participer ? Le choix a été fait
avec les membres du club. La
détermination d’atteindre des
objectifs ou d’accomplir des défis
provoque une grande motivation et
souvent un désir de perfectionnement
chez les jeunes. De cette vision est
née l’école « ToPerformance » qui se
place dans le cadre d’une culture
Actions pour le maintiens des cheques sport en partenairt avec
physique sportive et éducative,
orientée vers le bien-être, la santé et
l’équilibre physique et émotionnel de
l’athlète. L’objectif est de mettre le
professionnalisme présent chez les
cadres du centre au service des plus démunis. On veut leur permettre d’accéder à une préparation
physique et une activité sportive de qualité qui en général est inaccessible aux jeunes des quartiers.
!
!
Votre activité déborde aussi du cadre du club, vous êtes présents dans le quartier, dans les
écoles.
Carlos Perez. Il est impossible pour un club de
!
sport de quartier de ne pas se rendre compte des
problèmes du quartier. Fire Gym a décidé de
devenir un instrument qui essaie de conscientiser la
société autour d’elle, et cela dans différents
domaines.
Dans celui du sport, le centre lutte pour
l’accessibilité au sport pour tous, tant au niveau de
l’offre des structures qu’au niveau financier. Il s’est
battu pour l’augmentation des budgets alloués au
sport, pour les chèques sport. La pédagogie est formative, non sélective, globale et inclusive.
Chaque action du club comporte un thème politique : plus de sport à l’école, d’abord l’amitié puis
la compétition.
5 ans après la creation du centre de
sport. Fire Gym ce mets
bénévollement a la disposition des
enfants du cartier. Le début d’un
travaille pour et au service du peuple.
Ensuite, le club a entamé une réflexion sur l’enseignement sous la pression de parents anxieux
du devenir de leur enfant. L’idée d’écrire un livre s’est imposée à travers de nombreux contacts
avec des professeurs, des familles, des
animateurs du secteur sociosportif et des
Fire Gym est reconu comme centre de forma2ons et d’inser2ons de chomeurs de longeu durée.
responsables du monde associatif. C’est ainsi
que L’enfance sous pression est parue. De
plus en plus d’enfants sont malades à cause
du stress engendré par l’école. On exige des
jeunes qu’ils acceptent d’être à trente dans
un espace réduit, de s’adapter très vite,
d’être compétents, flexibles, de rester assis
toute la journée, d’être concentrés et tout cela, sans tenir compte de leur motricité ou de leur
créativité. L’école est devenue un marathon dont seuls les meilleurs émergeront. L’école rend
malade, provoque la dépression et même parfois
des suicides. Sans parler du nombre incalculable
Chaque année plusiers étudiants vienne faire de jeunes exclus du système scolaire. Plus de
leur stage dans notre centre de sport. Par fois 30 % des élèves en Communauté française
nous somme mëme demande a être dans le jury quittent l’enseignement sans le moindre diplôme.
pour évaluer les stagiair.
Ils sont constamment évalués, jugés et triés et
ensuite, pour beaucoup d’entre eux, relégués. Le
livre s’oppose aussi à la médicalisation d’un
nombre toujours plus élevé d’enfants,
notamment à la Rilatine, dans le cadre de l’école.
Nous avons élaboré dix revendications et faisons un travail de conscientisation et de mobilisation
des familles dans les quartiers. Les grands axes sont la nécessité du refinancement de
l’enseignement, sa gratuité, l’instauration d’un tronc commun jusqu’à 16 ans, sans redoublement, la
réduction du nombre d’élèves par classe, l’aménagement du temps scolaire afin d’y intégrer le sport
et la culture, la révision du système d’évaluation, l’intégration des familles dans le projet éducatif
de l’école, la priorité à la santé des enfants, l’arrêt de la médicalisation des problèmes pédagogiques
et la nécessité d’un syndicat écolier.
Fire Gym a créé au sein du club
un système de tutorat où des
universitaires se sont occupés
d’enfants en difficulté scolaire. Il a
organisé le 1er mai 2009 une
marche « contre l’exclusion et le
décrochage scolaire » avec les
enfants du club et leurs parents.
Le centre fait aussi la promotion
du sport à l’école. Le manque
d’éducation physique à l’école est
un danger pour la santé des enfants.
Pour changer cette logique néfaste,
le centre propose des « après-midi
sans cartable ». À Bruxelles, 30 %
des écoliers présentent des
faiblesses débouchant sur des
douleurs de la colonne vertébrale.
Ces problèmes sont dus aux
cartables trop lourds, mais également au fait qu’ils restent assis sur des chaises inconfortables
pendant plus ou moins mille heures par an. Le peu de sport et d’activité physique, deux heures par
semaine, ne compense pas cette sédentarité.
30 % des enfants accusent également un excès de poids.
L’école devrait remédier à cette situation ; un enfant y passe six à dix heures par jour. Les toutpetits, les écoliers et les jeunes ont besoin de plus d’exercice physique pour avoir une formation
épanouissante et intégrale qui tient compte de l’enfant non comme une ressource, mais comme un
être social.
Fire Gym propose aux autorités compétentes d’élaborer un statut officiel pour les moniteurs
sportifs des clubs et de mettre à disposition ces moniteurs, pour des formations continues, comme
entraîneurs au sein des écoles.
Fire Gym a produit aussi une analyse du secteur sociosportif et culturel. En grande partie, à
Bruxelles, ce secteur est né dans l’urgence après les émeutes de 1991 et il est situé dans le cadre du
contrat de sécurité des grandes villes. Pour remplacer la sécurité sociale détricotée et la sécurité
d’emploi devenue illusoire, on a trouvé un palliatif au mal-être grandissant particulièrement dans
les quartiers défavorisés. L’objectif était de détecter les jeunes en perdition ou marginalisés et de
recréer un lien social avec eux, en bref, de sécuriser les villes en accompagnant les jeunes.
À partir des contrats de sécurité, une multitude de petits métiers de l’éducation informelle se sont
mis en place : éducateur de rue, travailleur de prévention, médiateur scolaire, médiateur social, des
« hommes de rue » à tout faire. La question essentielle était et reste toujours pour les animateurs de
ce secteur : à quoi cela sert-il ? On anime, on encadre, on guide l’action individuelle, collective et
communautaire, mais quand l’école a échoué et que le travail n’existe pas, à quoi bon ?
Le compromis sur le terrain, à défaut de tirer les jeunes vers l’école et l’emploi, reste de soustraiter vers les associations sportives et culturelles. Les éducateurs doivent faire des partenariats et
là tout se complique. Dans ces secteurs éclatés et précarisés, gérés par le volontariat, l’anarchie est
la règle. Les alternatives proposées aux jeunes sont un leurre et une spirale vers le bas et vers une
marginalisation encore accrue. Ces structures sociosportives et culturelles sont des soupapes de
sécurité pour la société bourgeoise, mais se révèlent inefficaces pour l’avenir du jeune, tant les
perspectives d’émancipation sont limitées dans ces structures sauf, peut-être, pour quelques-uns qui
réussissent une petite carrière sportive et artistique, mais ceci est anecdotique. On veut faire jouer
aux secteurs sociosportifs et culturel un rôle qu’ils ne sont pas en mesure de jouer. Ils n’ont ni les
moyens, ni la prétention, ni le potentiel de remplacer l’école ou un quelconque travail.
Le secteur sociosportif et culturel doit être intégré au projet pédagogique des écoles, en devenant
partenaire à part entière de l’éducation nationale et non une soupape ultime de relégation ou comme
agent marginal de maintien de l’ordre. La formation et l’emploi des éducateurs, entraîneurs,
coaches, animateurs socioculturels doivent être garantis.
Fire Gym a ouvert ses portes au secteur social et créé des partenariats avec une trentaine
d’organisations sociosportives et culturelles. Elles participent à des activités multiples dans le
centre. Cela a permis de créer des liens et le projet existe de lancer un mouvement pour fédérer tous
ces secteurs aujourd’hui éclatés en une mosaïque d’asbl se concurrençant. Ce secteur a un grand
rôle à jouer dans le combat sur l’enseignement, le sport et la culture, en définitive sur le bien-être et
la santé des enfants.
Le club sportif s’est toujours engagé dans la société qui l’entoure. Il a toujours eu le souci de
contribuer à améliorer les conditions sociales par la participation de la population. Ce laboratoire
social de formation, d’organisation et de réflexion populaire a pris position sur différents chantiers
sociaux et politiques d’intérêt public, avec une vision propre et motivée par les groupes de
réflexion, les membres de notre organisation et les familles. Le fruit de ce travail a eu un certain
écho puisque certaines de nos thèses ont été éditées et nous avons participé à des débats et des
conférences.
La reconnaissance de Fire Gym comme Initiative locale de développement de l’emploi (ILDE) et
la possibilité de donner des brevets en culture physique et fitness ont aussi permis de créer un
espace de formation permanente plus formel. Fire Gym a ainsi amené vers l’emploi des dizaines de
jeunes. Certains ont créé leur propre club et un grand nombre d’entre eux travaillent en soutien dans
des clubs de foot, tennis, etc.
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Vous regardez aussi au-delà des frontières ?
Carlos Perez. Le centre organise des événements sportifs pour tous et invite tous les clubs sportifs
à collaborer à la création d’un sommet sportif annuel, appelé la Spartakiade. Il s’agit de « Jeux
olympiques » avec un message et des valeurs propres. En 2002, la première Spartakiade avait
comme devise « D’abord l’amitié, puis la compétition ». Chaque année, plus de 500 enfants venant
de plusieurs quartiers défavorisés de Bruxelles y participent. En 2002 le thème était : « Pas d’argent
pour la guerre, plus d’argent pour l’enseignement ». Une autre année c’était « Plus de sport à
l’école ».
Ces Spartakiades sont le contre-pied du modèle sportif libéral. Le sport est perçu comme un outil
de progrès et d’émancipation sociale, d’activité gratuite et accessible à tous.
La diversité des cultures qui se côtoient à la salle confronte Fire Gym à différents problèmes du
monde. Avec le sport comme outil, Fire Gym a créé des liens avec des pays en souffrance comme
l’Irak, Cuba, la Corée du Nord, le Rwanda, le Maroc…
Fire Gym défend la fraternisation et la solidarité internationale. C’est à son initiative que la
première course pour la Paix Käthe Kollwitz a eu lieu en Belgique en 1996. Chaque année cette
course se choisit un thème en faveur du pacifisme et de la résistance : contre les armes nucléaires ou
en soutien de la population de Gaza. Elle a lieu à Ypres, lieu symbolique de la Première Guerre
mondiale. Le centre entretient des liens de fraternité avec des clubs sportifs dans le tiers monde et
envoie des moniteurs sportifs dans ces pays comme entraîneurs locaux que ce soit dans des écoles
et des orphelinats au Maroc ou dans des centres pour moins valides en Espagne. Il partage des
initiatives sportives à Cuba avec de jeunes boxeurs, avec des lutteurs sénégalais et des pratiquants
de taekwondo en Corée.
Les voyages de soutien et de collaboration vers des populations expulsées, bombardées ou
opprimées forment et forgent la conscience des jeunes. Avec les jeunes, le centre a participé à de
nombreuses manifestations contre l’occupation de la Palestine et contre la guerre en Irak et en
Afghanistan.
Voilà comment une petite structure organisée peut influencer son quartier et sa commune, sa ville
et son pays.
Le caractère socialement positif du centre a été reconnu en 1999 quand le centre fut nommé
« Centre sportif et social de l’année » par la Communauté flamande. Depuis 2000 le centre est
soutenu par la Vlaamse Gemeenschapscommissie (VGC). En 2004, il a été reconnu comme projet
d’économie sociale avec, dans la foulée, la reconnaissance comme Best Brussels Social Company.
En 2006, la commune de Molenbeek a attribué à Carlos Perez le mérite sportif pour l’ensemble de
son action au bénéfice du sport pour tous. En 2010, le ministre bruxellois des Sports de l’époque,
Emir Kir, est venu décerner des certificats de mérite sportif à une dizaine d’athlètes formés à Fire
Gym. En 2010 a suivi la reconnaissance comme projet d’insertion et formation de chômeurs de
longue durée (ILDE) et cette année le centre a reçu le mérite sportif de Jette pour son travail social
de plus de trente ans.
Mais Fire Gym a aussi failli fermer une dizaine de fois. Chaque fois les gens sont venus le sortir
du trou.
En ces temps de pessimisme et de démoralisation ambiants, ceci est le message de progrès — et
pas du tout utopique — que le centre veut faire passer : organisez-vous ! Prenez les choses en main
là où vous êtes ! Celui qui se bat n’est pas sûr de gagner ; celui qui ne fait rien a déjà perdu.