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I-7 L'escorting_Mise en page 1 26/12/12 14:41 Page55 Note sur l’escorting. Complexité et diversité des pratiques prostitutionnelles Depuis une dizaine d’années, l’essor de l’usage des nouvelles techniques d’information et de communication (NTIC) a considérablement modifié le champ de la prostitution, en favorisant notamment le développement de l’escorting. Il s’agit d’une prestation de service tarifée qui allie une relation d’accompagnement à des pratiques sexuelles. La nature, la localisation, la durée et le coût de la prestation sont tacitement contractualisés préalablement à la rencontre entre l’« escort(e) » et son/sa client(e). Si cette activité est exercée majoritairement par des femmes, les annonces d’hommes et de personnes transgenres sont de plus en plus nombreuses tant sur les sites spécialisés que sur les sites généraux. Cette tentative de définition ne doit pas masquer la diversité des pratiques que le terme recouvre, lui conférant ainsi le statut de mot-valise aux contours flous et mouvants. Son usage peut être interprété comme une tentative pour déjouer les effets stigmatisants mais également réducteurs du mot prostitution et le resituer dans le continuum des échanges économico-sexuels. Le constat du caractère hétérogène de ces pratiques ne doit pas décourager l’analyse réflexive, tant cet état de fait est en lui-même gros d’enjeux cardinaux par rapport au débat actuel sur l’abolition de la prostitution par la pénalisation de ses clients. 55 I-7 L'escorting_Mise en page 1 26/12/12 14:41 Page56 Sens-Dessous : Désordre - décembre 2012 Dans cette perspective, nous aborderons deux questions qui nous permettront conjointement de décrire le cadre d’exercice et les pratiques des escort(e)s et de contribuer au débat actuel et à la lecture de l’argumentaire de la résolution votée le 6 décembre 2011: – Comment, et dans quelle mesure, le cadre internet modifie-t-il les pratiques prostitutionnelles ? – Quelle typologie des pratiques est-il possible de repérer, au regard notamment de ce que les escort(e)s restituent de leur activité ? Chercher à dénombrer les escort(e)s est un exercice périlleux du fait de la labilité du phénomène : les sites référencent des annonces plus ou moins personnalisées (et pas des personnes). Un(e) escort(e) peut multiplier les annonces qui peuvent être déposées simultanément ou successivement selon les stratégies de chacun(e) et ce, sous des pseudonymes différents ou pas. Enfin, la cessation d’activité ne se traduit pas par un déréférencement automatique selon les sites. Plusieurs dizaines de milliers d’annonces sont ainsi accessibles dans ce Le constat du caractère cadre protéiforme. hétérogène de ces pratiques ne doit pas décourager l’analyse réflexive, tant cet état de fait est en lui-même gros d’enjeux cardinaux par rapport au débat actuel sur l’abolition de la prostitution par la pénalisation de ses clients. Deux grands types de site référencent les annonces d’escort(e)s : des sites généraux et des sites spécialisés (payants pour l’annonceur). Dans ces derniers, l’espace de l’annonce permet à l’escort(e) de personnaliser son offre de service en se décrivant physiquement et en se donnant à voir (par la photographie), en explicitant sa pratique (et les limites qu’elle lui enjoint) et ses tarifs. Les prestations d’escorting sont tarifées à l’heure et non à l’acte comme dans la rue. Ces annonces sont également susceptibles de permettre l’accès au blog ou à la page personnelle de l’escort(e), s’ils existent (cette pratique est minoritaire), permettant au client d’affiner son choix et à l’escort(e) de se situer 56 I-7 L'escorting_Mise en page 1 26/12/12 14:41 Page57 SOCIAL ET POLITIQUE dans un rapport interactif avec sa clientèle en « dynamisant » sa prestation de service. Contrairement aux pratiques prostitutionnelles de rue dans lesquelles la rencontre entre l’offre et la demande, la contractualisation de la prestation sexuelle tarifée et son accomplissement se déroulent majoritairement dans une quasi-unité de temps et de lieu (de nombreux actes sexuels se déroulant en outre dans l’espace public), donc dans une dynamique marquée par la synchronie et l’immédiateté, les NTIC permettent un découplage de ces trois temps, créant ainsi des interstices et des espaces interméMajoritairement, diaires propices à l’étayage d’un rapport à l’activité originale. Cette l’escort(e) doit avoir dissociation spatio-temporelle de la l’apparence d’un(e) construction de l’offre, de la ami(e), voire du (de la) contractualisation de la prestation partenaire idéal(e) d’une (qui peut aller jusqu’à sa scénarisaheure, d’une journée, tion) et de la rencontre d’escorting d’un dîner ou d’un est susceptible de permettre de renvoyage (d’affaires ou dre compte de la réalité de l’acte pas). La dans ses dimensions multiples. La construction de l’offre permet à l’escontractualisation ellecort(e) de préciser sans équivoque la même se fait le plus nature de son implication (ce souvent par téléphone. qu’elle/il pratique), ses limites (ce qu’elle/il ne pratique pas), les attitudes qu’elle/il réprouve et celles qu’elle/il apprécie, les conditions matérielles dans lesquelles peuvent se dérouler la rencontre (comment entrer en contact avec elle/lui; où elle/il accepte de pratiquer). Elle/il y induit ou précise souvent son rapport à l’activité : occasionnel(le) ou régulier(e), amateur(e) ou professionnel(le). Enfin, sur Internet, l’annonce peut faire l’objet d’un travail permanent d’ajustement à différents types de contraintes (personnelles, économiques, juridiques, etc.). Avant le premier contact avec l’escort(e) (par téléphone le plus souvent, ou par email), le client a donc pu prendre connaissance de ces informations. Si certains négocient les conditions de l’offre, cela se fait à distance, ce qui permet à l’escort(e) de mettre un terme à toute transaction qui prendrait un tour trop anxiogène ou discordant au regard de son annonce. C’est donc par la médiation d’une annonce, adjonction de texte et de photo, que le client projette sa demande. Majoritairement, l’escort(e) doit avoir l’apparence d’un(e) ami(e), voire du (de la) partenaire idéal(e) d’une heure, d’une journée, d’un dîner ou d’un voyage (d’affaires ou pas). La contractualisation elle-même se fait le plus souvent par téléphone. 57 I-7 L'escorting_Mise en page 1 26/12/12 14:41 Page58 Sens-Dessous : Désordre - décembre 2012 A minima, elle précise le lieu, le coût et les pratiques engagés. Ce script fera office de balise lors de la rencontre (qui peut durer de moins d’une heure à une semaine, voire plus). Cette médiatisation téléphonique et/ou informatique, par les traces qu’elle laisse, peut se révéler être également une ressource protectrice pour les escort(e)s en cas de violence ou de vol de la part des clients. À l’issue de cette phase qui ne dure que quelques minutes mais qui peut n’aboutir qu’après plusieurs entretiens et/ou échanges de mails, rendezvous est pris. Les entretiens réitérés que nous avons eus avec des escort(e)s nous ont permis de dégager trois grands types de conception de l’escorting fondés sur la définition que chacune/chacun construit progressivement de son expérience de l’escorting au gré de son parcours personnel, de ses références socioculturelles. – Pour certain(e)s escort(e)s, cette pratique est verbalisée comme une relation sexuelle à connotation affective sans engagement: être payé(e)s leur permet de s’engager dans le présent de la rencontre et de l’acte sexuel en lui soustrayant toute dimension projective sur le plan affectif. Le registre professionnel n’est absolument pas mobilisé. – L’escorting comme relation d’assujettissement au sein de laquelle certaines escort girls se vivent dans le regard et dans les actes de leurs clients comme des marchandises, soit sous le registre de la soumission soit sur celui de la révolte, auxquels cas elles renversent la relation d’assujettissement en associant ces derniers à l’objet à dominer sans partage. Les personnes qui se situent plutôt sur ce registre font souvent référence à l’escorting comme seule alternative possible à leur précarité socio-économique et/ou à leur absence de qualification. – L’escorting comme activité professionnelle contractualisée tacitement (à laquelle ne manquerait que le statut juridique): ces escort girls se vivent comme des prestataires de service vendant de l’accompagnement érotique, de la santé sexuelle adaptés à la demande de leurs clients. À leurs yeux, la vente de services sexuels est une activité du tertiaire qui n’est pas dégradante et qui mobilise une éthique de la relation et des valeurs professionnelles. Ainsi, ces personnes distinguent très clairement les pratiques sexuelles tarifées de celles qui ne le sont pas. Elles revendiquent, pour une part significative d’entre elles, le statut de travailleuses du sexe. Ces trois types de signification de l’escorting mettent finalement en exergue combien le cadre de pensée et le système de valeur de référence structurent en chacun le rapport à l’activité et distribuent la complexité et la diversité des pratiques prostitutionnelles. Laurent Mélito 58