La modernisation du processus de distribution de Kraft Foods

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La modernisation du processus de distribution de Kraft Foods
Logistique & Management
La modernisation du processus
de distribution de Kraft Foods
John LABELLA
Directeur, Systèmes de distribution, Kraft Foods
Ce texte reprend l’intervention de M. John Labella Lors du XIIe colloque ISLI, en mai
2000 « Demand chain and new technologies : sources of creativity »
Mon objectif est de vous présenter une vue
d’ensemble de la façon dont Kraft Foods a
modernisé son système de distribution. Je
commencerai par vous donner quelques informations concernant la société Kraft pour
ensuite aborder les facteurs qui ont mené aux
changements dans l’entreprise. L’essentiel de
mon exposé portera sur les changements
eux-mêmes : la vision ou stratégie, les changements spécifiques aux processus de distribution, l’ampleur du projet, sa conception et
son élaboration, les leçons que nous avons pu
en retirer ainsi que les résultats obtenus.
La société Kraft
La fusion en 1988 de Kraft et la General
Foods Corporation a donné naissance à la
plus grande société agro-alimentaire
d’Amérique du Nord. Kraft-General Foods
propose une variété de marques toutes très
connues outre-atlantique. Celles-ci comprennent Post, Maxwell House, Kraft Cheese,
Oscar Mayer et d’autres encore.
La nouvelle entité comprenait à l’origine trois
unités distinctes: Kraft USA, General Foods
USA et Customer Service Inc., formant le
noyau de ce qui allait devenir le système commun de distribution. Les ventes, le marketing
et les opérations de chaque unité fonctionnaient de façon indépendante.
Cette nouvelle compagnie commerciale réunissait plus de soixante usines et plus de
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trente-cinq centres de distribution autonomes.
Malgré l’échec d’une première tentative de
système de distribution commun, nous avons
néanmoins pu créer une première synergie au
niveau des achats.
Les motivations liées
au changement
Une série de facteurs conjoncturels fut à
l’origine de la décision de modifier cette
structure. L’industrie américaine de l’agroalimentaire connaissait une consolidation
intense, laquelle s’est manifesté par l’émergence de mega-distributeurs et de magasins
comme Sam’s ou Price Club qui proposaient
aux consommateurs la possibilité d’acheter
quasiment au prix de gros.
Ces mutations du commerce de détail sont
survenues à une époque où la consommation
alimentaire était très stable. Les Américains
consomment autant de calories qu’il y a cent
ans. Cette stabilité a rendu difficile la croissance de l’industrie agro-alimentaire. De plus,
des études ont montré que les Américains
prennent de plus en plus leurs repas en dehors
de chez eux, dans des restaurants ou des cafés
par exemple. Cette tendance menace la rentabilité des produits alimentaires.
Enfin, comme beaucoup de sociétés, Kraft a
l’obligation d’augmenter ses profits. Et afin
d’atteindre cet objectif, la réduction des coûts
s’est révélée être la stratégie clé.
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La stratégie
En 1995, nous avons décidé de créer une
société unique visant à transformer Kraft
Foods en une seule société d’exploitation
comprenant huit divisions. Cela a entraîné la
création d’une force de vente unique et d’un
système de management commun ainsi que
l’alignement des prix et des conditions de
vente pour tout produit Kraft vendu aux
Etats-Unis. Cela a également signifié une présence unie dans les magasins d’alimentation.
La stratégie de la société unique s’appliquait
aussi à la production et à la distribution. Il a
fallu assurer la visibilité du stock au niveau
mondial et créer des mécanismes de planning
et d’ordonnancement globaux. La production
et la distribution devaient être gérées avec une
efficacité optimale. Il a fallu en plus mettre en
œuvre un ensemble harmonisé de systèmes de
la supply chain sur tous les sites Kraft.
Ces changements ont été guidés par un seul
objectif : le leadership incontesté du marché
de l’agro-alimentaire.
Mon rôle
J’ai joué un rôle important dans le développement et la mise en place des changements. J’ai
conduit une équipe responsable du développement stratégique des applications supply
chain. L’équipe a développé des applications
dans les domaines suivants : la prévision, le
Distribution Requirements Planning (DRP),
les systèmes de gestion d’entrepôts (WMS), le
suivi des transports (TMS), le planning de
production (PP&S), (MRP), les achats, et la
gestion des coûts etc. Tous ces systèmes
devaient travailler ensemble dans un même
objectif de réduction des coûts.
Afin d’identifier les systèmes les plus efficaces, nous avons adopté une démarche « best of
breed ». Certains systèmes ont été achetés
alors que d’autres ont été développés en
interne. Cette démarche était mieux adaptée à
la société Kraft que l’approche ERP car elle
nous a permis de trouver les solutions appropriées aux particularités de nos opérations.
Après avoir défini ces stratégies, on m’a
demandé de les mettre en oeuvre. J’ai notamment géré l’installation du système
d’information qui gérait les entrepôts et les
transports.
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Les changements
La vision de cette société unique a conduit à
des changements dans trois domaines : les
processus, les relations interculturelles et les
capacités technologiques.
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Les processus
Nous avons appliqué le concept de
« one-stop shopping » à tous les produits
Kraft. Nous avons également conjugué la
distribution de ces produits par niveau de
température. Ainsi, les produits réfrigérés
se retrouvent dans une catégorie, les produits secs dans une autre. Enfin, la production a été optimisée pour tous les produits
Kraft.
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Les relations interculturelles
La création d’une seule organisation à partir de trois organisations distinctes a été difficile, et son impact a eu une incidence sur
beaucoup de gens. Des nouvelles hiérarchies se sont manifestées à l’intérieur de la
nouvelle société et il a fallu développer des
méthodes de travail communes à tous.
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Capacités technologiques
Nous sommes passés de trois principaux
systèmes d’entrepôt à un seul, d’où la nécessité de développer des systèmes de données communs à tous.
Les changements au système de distribution
La consolidation de l’infrastructure
matérielle du système
Nous avons physiquement réorganisé
l’infrastructure de notre système de distribution. Afin d’y parvenir, nous avons remplacé
plus de trente-cinq centres de distribution
autonomes par sept nouveaux centres à travers
les Etats-Unis. Ces nouvelles installations
regroupent les produits réfrigérés et les produits secs sur le même site. Chacun des centres a été construit à neuf et conçu pour opérer
de façon tout à fait autonome. Afin de créer
des espaces tampons nous avons également
fait construire six nouveaux entrepôts pour
produits achevés aux emplacements des fabriques.
La consolidation des systèmes
Le remplacement des douze systèmes existants de management d’entrepôts par un seul
fut délicat. Le nouveau système a été installé
dans tous les usines, entrepôts et centres de
préparation. Nous avons poursuivi des programmes extensifs d’implémentation et de
formation. Pendant l’année 1996, nous avons
imposé le système de manière agressive, 4 à 5
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jours étaient nécessaire pour l’implémenter
dans une nouvelle usine.
Un planning centralisé
Nous avons également introduit la planification centralisée des expéditions. Ceci a nécessité le déplacement de cette activité vers une
même localisation ainsi que le développement
d’ outils de planification.
Nous avons pu réaliser une économie de
l’ordre de 7 à 8 millions de dollars US par an
grâce à cette technique de planification des
expéditions.
Nous avons constitué des sous-équipes ayant
pour rôle d’aborder les problèmes spécifiques
tels que la construction, les systèmes, le personnel et le service clientèle.
Les leçons
Chacun des changements majeurs a posé un
grand nombre de difficultés, dont nous avons
pu tirer des leçons importantes.
Les obstacles au processus
Remarques générales
Le plan nécessitait un capital significatif et
devait suivre de près le calendrier très précis
requis par le passage à l’an 2000 et le besoin
de garder la société opérationnelle pendant la
période de transition.
Lorsque nous avons entamé les changements,
nous ne comprenions pas entièrement ce
que nécessitaient la conception et
l’implémentation d’un tel système. Il existe
des dynamiques spécifiques à la conception,
le management et à l’implémentation d’une
supply chain intégrée.
La construction et l’occupation des nouveaux
lieux devaient être complétées avant la fin du
dernier trimestre de 1998. La transition a été
prévue autour des problèmes anticipés à cause
du passage à l’an 2000 et le besoin de rester
opérationnel à ce moment là. Nous ne voulions aucune perturbation dans nos services.
Nous avons d’abord appris l’importance des
règles cohérentes et des procédures disciplinées. Le travail individuel où chacun fonctionnait à sa façon n’était plus faisable. Nous
avions besoin de développer des conditions
communs de vente. De la même façon, il a
fallu homogénéiser la direction des taches.
Il fallait installer le système de management
d’entrepôts (Warehouse Management System)
sur plus de 65 sites, et former plus de 6000
collaborateurs. Il fallait que ces deux actions
soient achevées avant la fin du deuxième trimestre 1999.
Les problèmes spécifiques au système de
management d’entrepôts (WMS) et à la
planification centralisée des chargements
L’ampleur du projet
Les outils de planification centralisée des
chargements n’étaient pas encore conçus et le
logiciel que nous avions commandé ne fonctionnait pas au début. Depuis il a été réparé et
il est en ce moment même en train d’être installé.
Le processus
Cette opération extrêmement significative
nécessitait l’approbation de la direction générale. Le rôle du vice-président de la distribution, le vrai chef du projet, était une des clés de
notre succès. Il fallait également convaincre le
conseil d’administration d’approuver des
dépenses prévues à plus de 75 millions de dollars US.
Les éléments de conception comprenaient les
coûts de construction, systèmes et personnel.
Nous avons élaboré une chronologie de dates
clés et de remises y compris un plan détaillé
afin de bien réussir la période de transition.
Nous avons également réalisé un prévisionnel
des économies possibles.
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Afin d’employer correctement le système de
planification centralisée des expéditions, il a
fallu développer puis implémenter un modèle
standardisé de l’unité de charge. Les palettes
devaient être du même type et le conditionnement traité de façon homogène. Il a fallu
s’occuper de la nécessité de « self-life rotation » puisque nous vendons des denrées
périssables qui doivent tourner régulièrement.
Nous communiquions avec nos transporteurs
par téléphone, fax et plus récemment par le
biais d’Internet.
Les obstacles culturels
La confiance
La fusion de trois organisations d’entreprise
en une seule a été difficile et a eu un grand
impact sur le personnel. Nous avons abordé la
baisse de confiance de notre personnel sur une
période de plusieurs années. Le déplacement
des gens d’une compagnie à une autre, le
développement de nouvelles pratiques et de
procédures de reporting sont parmi les stratégies que nous avons adoptées. Malgré ces
mesures, le manque de confiance s’est révélé
être un problème majeur.
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Les changements dans les pratiques
Les problèmes de logiciel
Kraft a lancé un programme d’apprentissage
trans-compagnie censé éliminer les différences de terminologie entre les entreprises et
faciliter l’introduction des nouvelles méthodes de travail. La résistance à ces nouvelles
pratiques était marquée, et nous l’avons
nommé le syndrome de “ l’inventé ailleurs”.
Les logiciels commandés, censés constituer le
noyau du système centralisé de planification
des expéditions, ne fonctionnaient pas. Le
fournisseur avait prévu un minimum de documentation. Après trois ans de développement,
sa capacité et ses fonctionnalités n’étaient
toujours pas au point. Encore plus de problèmes se sont manifestés lors de son installation.
Ce fournisseur a été acheté par une compagnie
plus grande, qui a depuis résolu les problèmes.
Nous avons également du aborder les conflits
résultant de l’inadéquation entre les actions
souhaitées et les mécanismes existants pour
évaluer la performance. Nous avons notamment du repenser les “tableaux d’évaluation”
avec lesquels nous mesurons la performance.
Les obstacles techniques
Par rapport aux problèmes rencontrés au
niveau de la culture d’entreprise, ceux de
nature technique étaient relativement faciles à
résoudre.
La centralisation des systèmes d’information
Nous avons rencontré deux types de problèmes à cause de l’implémentation de
l’architecture des systèmes d’informations
centralisées. En ce qui concerne les données,
il a fallu harmoniser les définitions dans les
Business Units.
Nous voulions intégrer les transactions tout au
long de la supply chain. Ceci a donné lieu à
des problèmes non seulement de définition
des données mais aussi d’interaction entre les
ordinateurs composant le système. Nous voulions migrer vers une stratégie « midrange ».
Nous voulions développer des protocoles de
communication qui permettraient aux machines « midrange « de communiquer à la fois
avec les unités centrales et les unes avec les
autres. Tout ceci a du être fait en temps réel
afin de gérer la supply chain de façon efficace.
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Conclusion
Suite à l’implémentation du système de distribution, nous avons réalisé une réduction des
coûts d’environ 40 à 50 millions dollars US
par an. Les stocks sont fiables, les coûts de
transport ont été réduits, et nous pouvons
gérer la totalité de la supply chain. Ce système
a réduit les frais généraux ainsi que les coûts
directs liés à la main d’œuvre. Il nous a permis
de réduire les coûts de soutien du système et
de maintenance.
Nous sommes aujourd’hui à même de
développer des systèmes et des pratiques
communs à travers les Etats-Unis. Nous commandons 10 % à 12 % du volume total de
chaque épicerie du pays. C’est un chiffre
impressionnant. Si un représentant Kraft entre
dans une épicerie, le personnel de l’épicerie
l’écoutent.
Les programmes de marchandisage et de soutien clientèle sont beaucoup plus faciles à
implémenter avec un seul système présentant
une base de produits très large.
Aujourd’hui, Kraft est leader du marché
agro-alimentaire et de la croissance produit.
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