Un témoignage d`Espérance recueilli par Marie de Hennezel
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Un témoignage d`Espérance recueilli par Marie de Hennezel
Un témoignage d'Espérance recueilli par Marie de Hennezel, psychologue clinicienne, après des années d'accompagnement de personnes vivant leurs derniers instants dans des unités des soins palliatifs. « Mourir n'est pas comme nous le croyons si souvent, un temps absurde, dépourvu de sens. Sans diminuer la douleur d'un chemin fait de deuils, de renoncements, j'aimerais montrer combien le temps qui précède la mort peut-être aussi celui d'un accomplissement de la personne et d'une transformation de l'entourage. Bien des choses peuvent encore se vivre. Dans un champ plus subtil, plus intérieur, dans le champ de la relation aux autres. Quand on ne peut plus rien faire, on peut encore aimer et se sentir aimé, et bien des mourants, au moment de quitter la vie, nous ont lancé ce message poignant : ne passez pas à côté de la vie, ne passez pas à côté de l'amour. Les derniers moments de la vie d'un être aimé peuvent être l'occasion d'aller le plus loin possible avec cette personne. Combien d'entre nous saisissent cette occasion ? Au lieu de regarder en face la réalité de la proximité de la mort, on fait comme si elle n'allait pas venir. On ment à l'autre, on se ment à soimême, et, au lieu de se dire l'essentiel, au lieu d'échanger des paroles d'amour, de gratitude, de pardon, au lieu de s'appuyer les uns sur les autres pour traverser ce moment incomparable qu'est la mort d'un être aimé, en mettant en commun toute la sagesse, l'humour et l'amour dont l'être humain est capable pour affronter la mort, au lieu de cela, ce moment unique, essentiel de la vie, est entouré de silence et de solitude.... » Marie de Hennezel « La mort intime » ( Collection : Aider la vie -Robert Laffont) Suit un témoignage bouleversant sur l'accompagnement d'un jeune sidéen en phase terminale, complètement transformé au cours des derniers mois précédant sa mort. Marie de Hennezel raconte : « Bernard, je me rappelle quand tu étais hospitalisé au cinquième, pour ta première toxo. Tu mourrais de trouille. Tu étais sûr que tu allais mourir d'un jour à l'autre. Tu étais tellement angoissé que tu as décidé de prendre les devants. Tu te souviens ? Tu as avalé ta chevalière, et puis un clou, tu as même essayé de te jeter par la fenêtre. Tu ne voulais plus vivre, tu n'arrivais pas à te projeter dans l'avenir, tu n'arrivais pas à imaginer ce lent chemin vers la mort. Et puis tu te sentais tellement coupable ! Je t'ai parlé longuement de ces traversées nocturnes, ces traversées du désert où l'on est désespéré parce qu'on ne voit pas le bout, parce qu'on ne sait pas ce qu'il y a devant. Mais je t'ai dit aussi qu'on les traverse, ces moments terribles, et qu'on découvre alors en soi des forces insoupçonnées. Je me souviens, tu m'as dit : « Tu crois ? » J'allais partir une semaine et j'ai eu envie avant de te quitter de te donner la force d'y croire. Je t'ai répondu : « J'en suis sûre », avec une telle fermeté que cela m'a étonnée. Une semaine plus tard, en revenant à l'hôpital, j'ai croisé ton cher Dr Tirou, il m'a dit que c'était un vrai miracle : tout était rentré dans l'ordre, et tu étais en pleine forme. Je me suis précipitée dans ta chambre. Tu étais assis sur ton lit, le visage rayonnant, et tu m'as prise dans tes bras. « J'ai envie de vivre » m'as-tu dit, et je t'ai simplement répondu, tellement j'étais émue : « j'ai envie de t'y aider. » « Tu sais Bernard, tu es l'une des personnes qui m'ont le plus appris. Je t'ai regardé vivre et te battre contre cette maladie, je t'ai vu te transformer. Tu m'as montré qu'on peut regarder sa mort en face et continuer à vivre en donnant un sens à sa vie. Je me souviens de ce moment dans la salle d'attente d'un médecin où tu évoquais tranquillement ta mort, le lieu où tu aimerais que tes cendres soient dispersées dans ce coin d'Italie que tu aimes, sous les oliviers. Je t'ai regardé. Tu respirais la vie, ce matin-là, et tu me parlais comme d'une chose naturelle de la mort. Je t'ai profondément et intimement remercié, Bernard, de me faire témoin d'une pareille chose. « Tu comprends, j'ai tout réglé maintenant, et je crois que je suis en paix avec tout le monde, je peux continuer à vivre ou mourir d'un moment à l'autre, je suis prêt », m'as-tu dit. C'était il y a trois mois. Tu en as fait du chemin, en dix-huit mois depuis ce jour où tu as basculé dans le désespoir parce que tu venais d'apprendre que tu avais le sida. »