bulletin - Centre Mnemo
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Vo l . 1 4 B N° 1 U Été 2013 L L E T I N 255, rue brock, Drummondville (Québec) Canada J2c 1m5, téléphone : (819) 472-3608 / télécopieur : (819) 477-5723 c o u r r i e l : c e n t r e @ m n e m o . q c . c a • s i t e i n t e r n e t : w w w . m n e m o . q c . c a Notre folklore « au radio » (2e partie) : l’émission de la Living Room Furniture à CKAC Luc Bellemare* L e premier volet de cette série donnait un aperçu de la programmation à la Brasserie Frontenac, aux tout débuts de la radiodiffusion. Projetons-nous aujourd’hui dans les années 1930, une époque où je propose de classer le folklore des ondes en deux catégories. Par le biais de l’émission de la Living Room Furniture, cet article va uniquement me permettre de présenter le premier des deux styles identifiés, à savoir celui des « Veillées ». Je réserve l’autre style pour une troisième partie, au prochain bulletin. Comme nous allons le voir, l’émission porte un projet assez apparenté à celui des « Veillées du bon vieux temps » du Monument national. Le premier moment fort de la Living Room Furniture survient à l’autom* Ph.D. en musicologie (Université Laval, 2012). Chercheur postdoctoral affilié au CRILCQ-UQÀM et à BAnQ. Chargé du projet web « Musiques du Québec » à la Société québécoise de recherche en musique (SQRM), www.sqrm.qc.ca S o m m a i r e Notre folklore au radio : l’émission de la Living Room Furniture à CKAC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 1-6 La légende des « Veillées du bon vieux temps », 3e partie. . . p. 8-11 Le mystérieux manuscrit « JH » de Batiscan . . . . . . . . . . . . . . p. 12-16 ne 1929, alors que l’on retient justement les services du vétéran folkloriste Conrad Gauthier en qualité de maître de cérémonie. Quelques semaines plus tard, le concert de l’avant-veille du Jour de l’An donne lieu à la première présence radio que j’ai notée de Madame Bolduc, la nouvelle grande vedette des disques Starr. Au fil de la décennie 1930, la Living Room Furniture accueille les instrumentistes Isidore Soucy et Donat Lafleur, les comédiens Ovila Légaré et Damase Dubuisson, de même que le chanteur de variétés Albert Marier. Mais ne brûlons pas les étapes. Commençons donc par un mot de notre comTiré de la couverture de la revue « Le Canada qui chante », juin 1927 manditaire principal. En préparation à ma thèse, j’ai cle, déplore que l’orchestre tapageur trouvé environ une dizaine de sourjoue du boogie-woogie et s’insurge de ces qui nomment l’émission méconla platitude des annonces commernue de la Living Room Furniture. ciales. C’est dans ces mêmes années Au milieu des années 1940, le critique la chanteuse Alys Robi (1980 : que radio Jacques Beauchamp écrit 77) regagne le pays : « À mon qu’« En chantant dans le vivoir » retour d’Europe, j’appris que l’émis— l’un des noms francisés de la sion Living Room Furniture battait Living Room Furniture — est le protoutes les cotes d’écoutes, et que gramme français le plus populaire Gratien Gélinas, avec Ti-Coq, était des ondes en soirée. Notre critique l’auteur à la mode. » Ma collègue adopte cependant un ton élitiste musicologue Catherine Lefrançois et désapprobateur. Il vilipende les soutient par ailleurs que le jeune relents de salle paroissiale du spectachanteur country-western Paul B Brunelle figure à deux reprises parmi les gagnants d’un concours Living Room Furniture pendant les années 1940. Plus près de nous, les historiens Gabriel Labbé (1977 : 107), Roger Baulu (1982 : 69) et Robert Thérien (2003 : 207) mentionnent tous à une occasion l’émission. Paul Legendre, un autre pionnier de la critique radio, identifiait en 1947 la Living Room Furniture comme le plus ancien commanditaire encore actif à CKAC. Gilles Renaud, le président du C.A. du Centre Mnémo, soutient pour sa part que la compagnie a commandité diverses émissions du poste CKAC pendant 38 ans. Selon mon calcul, cela signifierait une présence en ondes ininterrompue de 1929 à 1967. Mais que sait-on de plus de la Living Room Furniture et de son rapport au folklore ? C’est dans l’temps du jour de l’An… Pour en apprendre davantage sur la compagnie, Gilles Renaud m’a orienté vers les recherches généalogiques de Paul-André Langelier, un neveu de J.-Georges Langelier (1879-1946), directeur-gérant de la Living Room Furniture. Des Langelier sont établis à L’Islet autour de l’an 1700. Fin XIXe siècle, Georges appartient à une famille de cultivateurs assez pauvres. Il a sept frères et deux sœurs. En 1883, la maisonnée s’enracine au village de L’Anse-à-Gilles. Après des études au Collège de l’Islet, Georges travaille un temps pour un magasin de meubles à Saint-Hyacinthe. Le premier commerce Parlor Furniture Manufactures Ltd, dirigé par messieurs Langelier et Roy, ouvre en 1916 à Pointe-aux-Trembles. La manufacture déménage en 1923 au 2566, Sainte-Catherine Est. Inscrite à l’Annuaire Lovell, elle adopte le nom de Living Room Furniture Manufactures Ltd. Donat Langelier, l’un des frères de Georges, fabrique et vend des pianos à Montréal, au 2 u l l e t i coin des rues Sainte-Catherine et Labelle. Le nom de son entreprise est encore aujourd’hui visible sur l’immeuble du magasin Archambault. L’entrée en ondes de la Living Room Furniture s’effectue le 12 mars 1929. L’émission est retransmise à CKAC tous les lundis soirs, à heure de grande écoute. La courte saison de lancement s’oriente volontiers vers l’opérette et le chant lyrique, interprétés principalement par les voix de Caro Lamoureux et Roméo Mousseau. Il semble qu’Edmond Trudel dirige à ce moment l’orchestre symphonique maison du poste CKAC pour accompagner ce répertoire. À l’automne 1931, il sera remplacé par Giulio Romano et son orchestre « composé uniquement de jeunes filles canadiennesfrançaises » (!) En fait, c’est toute la stratégie publicitaire de J.-Georges Langelier qui va cibler des valeurs chères aux Canadiens français… et c’est ici qu’entre en jeu le folklore. La Living Room Furniture recrute pour la première fois les services du folkloriste Conrad Gauthier le 11 novembre 1929, inaugurant par le fait même une collaboration régulière. Il s’agit alors de la première émission de cette série à radiodiffuser des airs traditionnels canadiens-français. Le magasin Archambault concrétise lui aussi en cette période un virage de la musique classique vers la chanson. Rappelons que les billets des « Veillées du bon vieux temps » se vendaient déjà depuis quelques saisons chez notre célèbre détaillant de musique. Au printemps 1930, Conrad Gauthier fait paraître son premier recueil de chansons folkloriques sous le titre « 40 chansons d’autrefois : mélodie et paroles ». Si Archambault n’en est pas l’éditeur, il en est à tout le moins le dépositaire général, comme en témoigne la page titre. Une publicité paraît aussi dans le bulletin « Entre nous » d’Archambault. Le programme de La Presse du 22 septembre 1930 révèle qu’Henri Miro aurait composé une Marche n originale pour le thème de l’émission Living Room Furniture. Dans un recueil chansonnier de la compagnie, on adopte plutôt un timbre sur l’air « Youpe, youpe sur la rivière » comme prétexte à une publicité. Celui-ci est signé « DARNOC », ce qui laisse peu de doute sur la filiation à Conrad Gauthier (partition p.7). Il faut effectuer ici un léger retour dans le temps pour ne pas perdre le fil de l’histoire. Le 6 décembre 1929, alors que la crise économique vient tout juste de frapper le monde occidental, Madame Bolduc enregistre avec grand succès chez Starr les chansons « La Cuisinière » et « Johnny Monfarleau ». Trois semaines plus tard, le 30 décembre 1929, on la retrouve pour la toute première fois à CKAC, à l’occasion d’un concert du Jour de l’An de la Living Room Furniture. Elle s’exécute en compagnie du maître de cérémonie Conrad Gauthier, de l’accordéoniste Joseph Latour, du chanteur populaire J.-E. Michaud et du pianiste René Delisle. Au programme, du violon, de l’accordéon, de la musique à bouche, une récitation en parler populaire et des chansons du pays : « On est Canayen ou ben on n’l’est pas », « L’Habitant canadien », « Jonas dans la baleine », « Dans le bon vieux temps » et l’air bien connu « Le Jour de l’An », que Madame Bolduc enregistrera sur disque seulement dix mois plus tard — sa discographie intégrale se trouve en ligne, sur le « Site Mary Travers dite “La Bolduc” » du Musée de Newport, en Gaspésie. Devant le succès de telle entreprise, les mêmes musiciens reviennent à la Living Room Furniture le 20 janvier 1930. Ce jour-là, le journal La Presse écrit : « [La Living Room Furniture] a obtenu tant de succès et provoqué tant d’appréciations élogieuses l’avant-veille du Jour de l’An. Les Canadiens, qui ont le culte du souvenir, aiment se rappeler le bon vieux temps et les amusements favoris de nos ancêtres. Aussi, est-ce avec